M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le président du Sénat, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes d’abord ici pour exprimer notre solidarité à l’égard de nos compatriotes d’outre-mer frappés par une vague violente de ce virus aussi imprévisible qu’impitoyable, et pour saluer le magnifique élan de solidarité des soignants de métropole qui, par centaines, se succèdent en Martinique, en Guadeloupe et désormais en Polynésie, afin d’épauler leurs collègues, débordés par un flot de malades souvent dans un état très grave.
Pour qu’une telle épreuve ne se cantonne pas à son côté désespérant, il faut en tirer les enseignements. Le premier d’entre eux – M. le ministre et M. le rapporteur l’on dit –, c’est le nombre démesuré des victimes dans les territoires peu vaccinés, alors que la métropole, grâce à un fort taux de vaccination, est en train d’éteindre la quatrième vague, après avoir contenu le nombre de cas graves.
S’il fallait une preuve de ce que les scientifiques répètent depuis des mois, que le vaccin pour tous est la seule chance de vaincre le virus, cette preuve, nous l’avons sous les yeux, de la manière la plus éclatante et, malheureusement, la plus triste qui soit !
Cette preuve vient accabler, démasquer et dénoncer ceux qui depuis des mois tentent de discréditer le vaccin, d’effrayer les Français et de répandre leurs bobards sur des réseaux antisociaux devenus le fort Chabrol des agités du bocal (Sourires.) et dans des cortèges de pigeons menés par des ânes, ces politiciens des deux extrêmes, dont les sermons vaccinosceptiques ne sont que le moyen d’atteindre l’objectif qui les obsède : foutre en l’air le système.
Heureusement, comme dit le proverbe, le trot de l’âne ne dure pas longtemps. Après avoir jeté le soupçon sur le vaccin, forcé les autorités sanitaires à avancer à pas comptés et tenté de vider les vaccinodromes grâce à la désinformation, ils sont aujourd’hui pris à leur propre piège. Alors que les résistants d’opérette s’exprimaient dans les rues avec leurs pieds, tous les autres Français se sont exprimés avec leur cervelle en se faisant vacciner.
Les Camille Desmoulins des boulevards de la démagogie avaient battu le rappel des antivax, des anti-système, des anti-Macron, des antisémites et surtout des « anti-tout » ; les sondages leur révélant que même leurs propres sympathisants se partagent désormais entre antivax et vaccinés, ils tentent de sortir de la nasse en se mêlant au mouvement des anti-passe : je suis anti-passe, donc je ne suis pas vraiment antivax, je suis anti-passe donc je ne suis pas vraiment provax non plus.
Avec ce double jeu, ils sont devenus la chauve-souris de la fable de La Fontaine : « Je suis Oiseau : voyez mes ailes […] Je suis Souris ; vivent les Rats ». Heureusement, nous avons rarement vu une chauve-souris gagner l’élection présidentielle. (Rires et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
Aujourd’hui, les cortèges ont fondu et les Français ont bien compris que la seule liberté que défendent ces leaders de pacotille, qui crient à la dictature en France tout en admirant Poutine et Maduro, est la liberté de mettre en danger la vie d’autrui au nom de théories qui tiennent plus du champignon hallucinogène que de la science et de certitudes acquises à l’université Facebook, section fake news. Ils ne savent même pas localiser leur vésicule biliaire, mais ils ont un avis tranché sur l’ARN messager et l’hydroxychloroquine. (Mêmes mouvements.)
Divine surprise ! Après un débat confisqué pendant des mois par des minorités aussi bruyantes que clairsemées, boursouflées par une couverture médiatique inversement proportionnelle à leur nombre, dans un drôle d’attelage à trois – les excités cherchant le bruit, les télévisions cherchant l’audience, les réseaux cherchant la haine – une majorité silencieuse de Français, de plus en plus solide, est montée en puissance pour défendre l’adhésion à des vérités rationnelles que les adeptes du glissement de terrain mental n’auraient jamais dû pouvoir mettre en doute.
La décision courageuse des autorités de Nouvelle- Calédonie devant le risque terrifiant d’une nouvelle flambée nous montre aujourd’hui l’exemple. La vaccination obligatoire, ou en tout cas généralisée, est notre prochain défi.
Les chiffres baissent partout, y compris aux Antilles. Sommes-nous à l’aube d’une victoire sur la pandémie ou n’est-ce qu’une simple trêve ? La réponse simple, claire et définitive à cette question est : « Dieu seul le sait. »
Le Gouvernement va devoir continuer à prendre des décisions délicates, difficiles, contestées par des irresponsables d’autant plus décidés à mettre le feu qu’ils viennent de subir une déroute. Faut-il décider d’une vaccination obligatoire en métropole ? Comment organiser les modalités de la troisième dose ? Comment maîtriser les risques à l’école, à l’université, dans les lieux publics ? Ce sont quelques-unes des questions que nous aurons à trancher ensemble dans les prochaines semaines, et le Sénat le fera avec le même sens de la responsabilité qu’il a su montrer jusqu’ici.
Pour l’heure, il s’agit avant tout de parer au drame que vivent nos compatriotes d’outre-mer. Évidemment, nous voterons le projet de loi qui va le permettre. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le président du Sénat, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais que le monde soit aussi simple et schématique que le présente mon prédécesseur à la tribune, mais je ne pense pas qu’il en aille ainsi.
D’état d’urgence en état d’urgence prolongé, nous devons de nouveau actualiser le cadre de notre droit pour faire face à la pandémie. À l’heure de la rentrée, ses dangers se rappellent à nous. Si notre pays a vécu des fluctuations de la situation depuis le début de la pandémie, ce nouvel épisode est particulièrement dur pour nos territoires d’outre-mer. Toutefois, les situations sont hétérogènes, comme l’ont très bien montré M. le rapporteur et M. le ministre.
À l’heure où le Congrès mondial de la nature, organisé cette année par la France, s’achève à Marseille, alors que 80 % de la biodiversité française est ultramarine, je souhaite rappeler que les réseaux de collectivités territoriales mondiaux, y compris les collectivités françaises, ont unanimement adopté une résolution importante, qui, entre autres, insiste à son point 4 sur « l’interdépendance forte entre la santé des populations humaines et l’état de la biodiversité et des écosystèmes. Cette interdépendance est illustrée par le développement de nouvelles zoonoses ».
Mon propos n’a pas vocation à vous alarmer inutilement. Il a simplement vocation à rappeler le contexte général de la pandémie et à vous inciter à lire cette résolution adoptée par l’ensemble des collectivités territoriales, y compris les collectivités françaises, je le rappelle.
Alors que la Nouvelle-Calédonie a voté l’instauration d’une obligation générale de vaccination pour les majeurs, et décidé d’un confinement à la suite de la découverte de trois cas de covid-19, la situation sanitaire est dégradée. Les taux d’incidence ultramarins sont parfois bien éloignés de la moyenne nationale en métropole, qui est récemment passée en dessous du seuil d’alerte de 200 cas pour 100 000 habitants.
Ces chiffres diffèrent d’un territoire à l’autre et sont parfois éloignés de la réalité violente qui touche de nombreuses familles de nos concitoyens.
Face à ce variant delta, le faible taux de couverture vaccinale est un facteur aggravant. Il résulte en partie d’une défiance acquise, hélas ! de longue date.
Nous devons comprendre cette perte de confiance dans le positionnement des autorités en faveur d’un vaccin, alors que, il n’y a pas si longtemps, ces mêmes autorités justifiaient, par exemple, l’utilisation du chlordécone uniquement pour les territoires de Guadeloupe et de Martinique, autorisation d’autant plus exceptionnelle que l’interdiction était en vigueur dans le reste du pays, à cause des effets néfastes reconnus de ce produit sur la santé.
Les liens de confiance brisés sont les plus durs à réparer.
Notre groupe appelle de ses vœux une meilleure communication : « l’aller vers », y compris, récemment, grâce à la possibilité donnée à tous les médecins d’utiliser les vaccins Pfizer, commence par une information relayée à tous les niveaux par une diversité d’acteurs, dans un dialogue continu et soutenu, pour lever les peurs et les doutes.
Ce constat de réticence n’est, nous le savons, pas seulement limité aux territoires d’outre-mer, mais à l’ensemble des territoires oubliés, voire abandonnés par la République, comme le montrent les écarts de couverture vaccinale récemment mis en avant, par exemple dans ma ville de Marseille.
Comment ne pas voir la similitude entre les zones à faible taux vaccinal et celles concentrant le plus de difficultés sociales et économiques et le plus de misère et de pauvreté ?
Outre un taux vaccinal faible, ces territoires se trouvent particulièrement fragilisés : le système hospitalier y est vite saturé, malgré une mobilisation remarquable des personnels. Si l’hôpital va mal, si la diminution des moyens pour fonctionner et la fermeture de lits ont pesé ces dernières années et pèsent encore plus depuis le début de cette pandémie, cela est d’autant plus vrai dans ces territoires.
Leurs structures hospitalières, de faible capacité, sont sous-équipées, et les évacuations sanitaires qui ont pu s’avérer nécessaires sont bien plus complexes et coûteuses qu’en métropole, en raison de leur isolement géographique. Ces mouvements de patients, comme ceux de médecins de soutien, sont l’exemple d’une solidarité nationale forte, mais qui ne saurait remédier durablement aux carences des politiques publiques.
Mes chers collègues, il est important que le Gouvernement adapte la prorogation de la possibilité de déclarer l’état d’urgence en fonction des réalités de ces territoires si variés, et pourtant parfois traités comme un bloc homogène.
J’insiste ! Notre chambre et sa commission des lois rappellent au Gouvernement l’exigence de nuance dans son action, mais aussi les nuances de notre vote de ce jour : nous autorisons effectivement la prolongation cet état d’urgence jusqu’au 15 novembre, mais cela ne constitue en rien une obligation de prolongation jusqu’à cette date. Monsieur le ministre nous en a donné l’assurance, je l’en remercie.
Aussi, notre groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte et apporte tout son soutien à nos concitoyens ultramarins. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Dominique Théophile. Monsieur le ministre, les chiffres de la quatrième vague, que vous venez d’évoquer et qui frappe principalement la Martinique, la Polynésie française et la Guadeloupe, sont glaçants. Isolés les uns des autres, ils peinent pourtant à rendre compte de la réalité.
Pour ne fournir qu’un seul exemple, puisque le temps m’est compté : entre le 20 et le 27 août dernier, douze personnes en moyenne sont décédées chaque jour de la covid-19 en Guadeloupe. Rapporté à la population française, cela représente le double de la moyenne nationale au plus fort de la première vague. C’est trop, beaucoup trop.
Puisque l’occasion m’en est donnée, j’aimerais renouveler mon soutien ainsi que celui de mes collègues à l’ensemble des familles endeuillées, et aux malades qui parfois peinent à se rétablir.
Permettez-moi également de saluer les soignants et l’ensemble des acteurs – collectivités, élus, bénévoles – qui œuvrent sans relâche pour endiguer cette pandémie, et particulièrement ceux de l’Hexagone venus nous prêter main-forte et maintenir à flot nos hôpitaux sous tension. La situation sanitaire aux Antilles et en Polynésie française et la crainte de voir basculer le reste des territoires ultramarins imposent de poursuivre les mesures prises pour freiner l’épidémie, qui ont fait leurs preuves, et d’autoriser en conséquence, une fois de plus, le Gouvernement à y décréter, ou proroger, l’état d’urgence sanitaire.
Nous le savons pourtant, ces mesures de court terme ne sauraient constituer une réponse satisfaisante à la crise. Les scientifiques nous le répètent, la vaccination reste à ce jour le moyen le plus efficace pour lutter contre l’épidémie de covid-19.
Pour vacciner, au pays de Pasteur comme ailleurs, il faut d’abord rassurer. Il faut expliquer, et renforcer « l’aller vers » qui partout montre ses effets.
En Guadeloupe, la région, le département et les communes s’y emploient depuis plusieurs semaines aux côtés de l’État. Un « vaccibus » a ainsi été affrété pour pallier un maillage territorial insuffisant des centres de vaccination.
Il faut enfin s’attaquer à la désinformation qui, sur les réseaux sociaux notamment, détourne du vaccin, dans des proportions effrayantes, les plus indécis. Continuons donc de faire confiance à la science.
La peur du vaccin et la méfiance à l’égard du personnel médical ne sauraient enfin justifier les menaces proférées à son encontre et les attaques dont il fait l’objet. Elles ne font que miner le moral et l’action de ceux qui nous protègent.
Je terminerai brièvement en rappelant – et mon collègue Teva Rohfritsch complétera mon propos dans quelques instants – les difficultés que rencontrent l’ensemble des acteurs économiques de nos territoires, et particulièrement le secteur touristique et de l’événementiel.
La prorogation de l’état d’urgence sanitaire doit en effet s’accompagner de mesures adaptées à un tissu économique constitué de très, très petites entreprises. Vous avez, monsieur le ministre, apporté à l’instant certaines précisions demandées par l’Association des communes et des collectivités d’outre-mer (ACCD’OM) et d’autres structures. Nous vous en remercions.
Le groupe RDPI apportera son concours à ce texte en votant en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le président du Sénat, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes une fois de plus placés devant notre responsabilité de parlementaires afin de permettre, dans un cadre légal et proportionné, des mesures de protection exceptionnelles pour nos concitoyens d’outre-mer.
L’urgence est là, sanitaire comme juridique. Cet été, la réalité d’un emballement du variant delta dans nos départements ultramarins a été criante. Les soignants nous ont fait part de leur désarroi face à l’afflux de patients, de leur crainte de devoir faire du tri, de leurs appels aux réservistes et, quand cela était possible, aux évacuations.
Cette situation était d’autant plus choquante qu’elle faisait écho à la première vague vécue en métropole en mars 2020, durant laquelle nous ne disposions pas de vaccin. Mais elle était plus grave encore : la contagiosité du variant, la prévalence de comorbidités, l’isolement insulaire, la capacité hospitalière et le faible taux de vaccination ont contribué à un état critique qui appelle la mobilisation de la solidarité nationale.
Compte tenu de la circulation très active du virus, le projet de loi tend à prolonger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 15 novembre 2021 en Guyane, à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et en Polynésie française. Rappelons que la Guyane est en état d’urgence continu depuis le 17 octobre 2020, La Réunion et la Martinique depuis le 14 juillet 2021, la Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin depuis le 29 juillet 2021, et la Polynésie française depuis le 12 août 2021. Les mesures concernant la Polynésie expirant le 11 septembre et celles concernant les autres territoires le 30 septembre, cette prolongation s’imposait, d’autant que l’école n’a pas repris partout.
Par ailleurs, ce projet de loi anticipe de possibles dégradations rapides. Il prévoit en effet qu’en cas de déclaration par décret de l’état d’urgence sanitaire avant le 15 octobre 2021 à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Wallis-et-Futuna ou en Nouvelle-Calédonie, celui-ci expirera également le 15 novembre 2021. Là encore, l’insécurité juridique, synonyme de recours, ne doit pas s’ajouter à une insécurité sanitaire. Aussi souscrivons-nous à cette stratégie qui protège les populations tout en assurant une certaine souplesse dans sa mise en œuvre.
Je souhaite ajouter quelques interrogations qui me paraissent déterminantes pour aider les Ultramarins à surmonter cette catastrophe sanitaire.
Le conseil scientifique, dans son avis du 29 août, émet d’utiles recommandations pour adapter les politiques publiques.
Il préconise tout d’abord d’« aller vers » la vaccination tout en conservant un regard bienveillant vis-à-vis des populations défavorisées. Il souligne également une perte de confiance majeure chez nos concitoyens d’outre-mer sur l’ensemble des enjeux de la crise sanitaire. Il existe en effet, outre-mer plus qu’ailleurs, une forte défiance à l’égard de la vaccination, qui nécessite une adaptation des politiques publiques. Le conseil scientifique pointe enfin un nombre supérieur de comorbidités dans les territoires ultramarins. Quelles politiques publiques sont-elles prévues pour mieux prévenir ces facteurs de risque ?
Sur le plan scolaire – il n’est jamais trop tard pour s’en préoccuper –, comment la continuité pédagogique à distance est-elle assurée, sachant que les enfants ne peuvent aller à l’école et disposent dans certains cas de peu d’équipements ou d’infrastructures ?
S’agissant des structures médicales et hospitalières, monsieur le ministre, proposerez-vous, dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, de former plus de soignants outre-mer et d’augmenter le nombre de lits en conséquence ?
J’ajouterai une préoccupation supplémentaire : les territoires d’outre-mer ont-ils des soignants et des structures adaptées pour prendre en charge les personnes atteintes de covid long ?
Nous voterons en faveur de ce texte nécessaire et proportionné, tout en gardant à l’esprit que des politiques adaptées, visibles, structurelles permettront de redonner confiance à nos concitoyens et contribueront également à une meilleure protection sanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. le rapporteur, M. Teva Rohfritsch et Mme Lana Tetuanui applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président du Sénat, mes chers collègues, la pandémie de covid-19 a révélé partout dans notre pays les inégalités sociales, sanitaires et territoriales qui subsistent entre l’Hexagone et les outre-mer.
Les territoires ultramarins – donc celles et ceux qui y vivent et dont nous sommes solidaires – subissent les conséquences des politiques successives de sous-investissement dans les services publics et en particulier dans les services de santé, sous-dotés en soignants et en infrastructures.
Cette situation a entraîné une explosion du nombre de malades de la covid-19 et une saturation des hôpitaux, notamment en Martinique et en Guadeloupe, marqués par un taux d’incidence excédant les 1 000 cas pour 100 000 habitants et un taux d’occupation des lits de réanimation supérieur à 96 %.
En Polynésie française, la situation sanitaire nous inquiète également, le taux d’incidence dépassant les 4 000 cas pour 100 000 habitants dans les îles Sous-le-Vent et l’hôpital de Papeete étant complètement saturé.
Face à cette situation, le Gouvernement demande au Parlement de proroger l’état d’urgence sanitaire en Guyane, en Guadeloupe et en Martinique et de l’étendre aux territoires de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Mayotte, à la Nouvelle-Calédonie ainsi qu’à la Polynésie française. Pour notre part, nous pensons qu’il est urgent d’accélérer la campagne de santé publique en faveur de la vaccination contre la covid-19 sans pour autant porter atteinte à nos libertés, une campagne qui ne stigmatise pas les populations pour leurs croyances, mais qui intègre clans son discours la domination de l’Hexagone et la méfiance à l’égard des organismes sanitaires perceptible depuis l’affaire du Mediator et, surtout, du chlordécone. (M. le rapporteur manifeste son approbation.)
Mais la nécessaire vaccination ne résoudra pas le problème de la sous-densité médicale de ces territoires ni celui du retard accumulé par ces derniers par rapport à la métropole en matière d’infrastructures de santé.
Selon le rapport de 2019 de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) sur les établissements de santé en France, la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe sont les plus touchées par la sous-densité médicale, suivies en métropole par l’Île-de-France et le Centre-Val de Loire.
Il s’agit donc d’une question d’égalité républicaine, mais également d’égalité sanitaire avec nos compatriotes ultramarins qui présentent des comorbidités spécifiques. Selon l’agence régionale de santé de Martinique, 95 % des patients admis en réanimation présentent au moins une comorbidité – hypertension, diabète, obésité, insuffisance respiratoire – et plus de 90 % des personnes hospitalisées sont en surpoids.
La pandémie de covid-19 pointe les faiblesses de nos services publics, mais aussi les mesures urgentes à prendre. Face aux inégalités sociales de santé, le Gouvernement doit lancer un plan d’investissement en faveur des services de santé ultramarins, pour rattraper le retard accumulé depuis des années et répondre à d’éventuelles reprises épidémiques. L’article unique du projet de loi ne prévoit rien sur ce sujet et c’est fort regrettable.
De la même manière, nous regrettons l’absence de comité de suivi associant les représentants de l’État, les professionnels de santé et les élus des territoires d’outre-mer. Le refus du Gouvernement d’accepter la proposition des parlementaires ultramarins qui veulent être mieux associés aux prises de décision n’est pas de nature à rétablir la confiance des populations à son égard.
L’annonce du Président de la République évoquant la possibilité de repousser la fin programmée du passe sanitaire et du régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire après le 15 novembre pose également question.
Le Gouvernement envisage-t-il de repousser l’état d’urgence sanitaire au 28 février, date de fin de la session parlementaire, ou jusqu’au 30 juin, c’est-à-dire après les élections, présidentielle et législatives ? La perspective de l’organisation d’une campagne électorale présidentielle et législative sous état d’urgence sanitaire n’est pas acceptable pour nous.
En conclusion, les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE voteront contre ce projet de loi qui porte atteinte aux prérogatives du Parlement et réduit les libertés publiques de manière disproportionnée, en cohérence avec leurs votes sur les précédents projets de loi portant sur l’état d’urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Lana Tetuanui. Monsieur le président, monsieur le président du Sénat, monsieur le ministre, mes chers collègues, ‘ia ora na. La situation sanitaire des outre-mer s’est considérablement dégradée depuis quelques semaines en raison de la propagation spectaculaire du variant delta de la covid-19. Je voudrais exprimer notre solidarité et notre fraternité envers nos compatriotes de ces différents territoires.
C’est tout particulièrement le cas chez moi, en Polynésie, où nous déplorons le décès de plus de 535 personnes. Nous enregistrons, hélas, le taux d’incidence le plus élevé de France, plus de 3 000 personnes sur 100 000 habitants étant touchées par le virus.
Nos structures sanitaires sont débordées et le centre hospitalier de la Polynésie française comme les hôpitaux périphériques ont dû traiter un nombre de cas incroyablement élevé.
À ce jour, pas moins de 257 hospitalisations sont enregistrées, dont 54 en réanimation. En matière de taux de vaccination, d’énormes efforts sont réalisés par l’ensemble des instances locales pour accélérer la campagne et atteindre notre objectif. Plus de 144 000 Polynésiens ont reçu la première dose et plus de 120 000 ont un schéma vaccinal complet, sur un nombre total de 276 000 habitants. Nous souhaitons d’ailleurs, monsieur le ministre, qu’une déclinaison du passe sanitaire soit mise en œuvre dans notre territoire.
Des évacuations sanitaires sont effectuées sur tous les archipels, par ambulance, par avion, par hélicoptère et parfois même par bateau, quand l’île ne dispose pas de piste d’aviation. Ces difficultés, liées à notre spécificité géographique, ne se retrouvent nulle part ailleurs. Il faut souligner les moyens nécessaires pour y faire face, ainsi que le mérite du personnel de santé à l’œuvre dans ces conditions éprouvantes.
Je n’oublie pas non plus tous les bénévoles et les personnels communaux et tiens à les remercier pour leur action. Je salue également les moyens de l’État déployés sur notre fenua, notre territoire.
La solidarité nationale a aussi pleinement joué son rôle, par l’envoi de renforts sanitaires et de matériels médicaux. Permettez-moi, à ce titre, de remercier le ministre des solidarités et de la santé, le ministre des outre-mer, le président du Sénat ainsi que toute la représentation nationale.
Depuis plusieurs semaines, un couvre-feu a été établi en Polynésie et les îles des archipels les plus touchés sont confinées depuis le 23 août 2021.
Cette situation de crise sanitaire provoque évidemment une crise économique et financière d’une très forte ampleur, qui se traduit par une baisse de plus de 12 % du PIB, et la perte de nombreux emplois.
Tous les secteurs économiques, particulièrement celui du tourisme, ont été profondément affectés par les confinements précédents et par la fermeture de l’espace aérien. La collectivité a dû faire face à cette situation. Le pays a ainsi supporté pas moins de 73 457 246 euros de dépenses au titre de ses propres compétences.
Parmi ces dépenses, je citerai celles du centre hospitalier de la Polynésie française, celles liées à l’isolement et au placement en site dédié des cas positifs, celles relatives aux dispositifs d’aide au maintien des emplois, ou encore les dépenses de l’Institut Louis-Malardé et les pertes constatées de notre compagnie aérienne.
Lorsque le Président de la République s’est rendu en Polynésie française, il a témoigné avec force de la solidarité de l’État envers notre collectivité et a pris quelques engagements. J’en retiens en particulier trois.
Le premier concerne l’octroi par l’Agence française de développement (AFD) d’un prêt de 300 millions d’euros garanti par l’État afin de financer la crise, mais aussi, et surtout, la relance de l’économie polynésienne. Il est important que les instances de l’AFD puissent accorder ce concours, puis procéder à la signature de la convention qui s’y rapporte. De même, la prochaine loi de finances rectificative doit expressément prévoir la garantie de l’État.
Le deuxième engagement du Président de la République concerne le soutien de l’État à la compagnie aérienne locale Air Tahiti Nui. Il faut que l’État puisse aider l’ensemble des transporteurs ultramarins de manière équitable.
Enfin, le troisième sujet concerne le maintien des dispositifs d’aide en faveur des entreprises. M. le ministre de l’économie et des finances a annoncé que les dispositifs du fonds de solidarité de l’État seraient reconduits jusqu’à la fin de l’année. C’est une très bonne décision, dont je sais qu’elle sera appréciée par les professionnels concernés en outre-mer.
Ainsi, compte tenu de la situation sanitaire qui prévaut dans les outre-mer, il est évident qu’il convient de proroger l’état d’urgence sanitaire décrété depuis le 11 août. Cependant, la mise en œuvre des mesures destinées à lutter contre l’épidémie pose une réelle et grave difficulté pour les collectivités du Pacifique.
En effet, il appartient désormais exclusivement aux autorités de l’État de prendre toutes les mesures nécessaires sur le territoire de la Polynésie française, et ce nonobstant le partage des compétences établi par la loi organique statutaire du 27 février 2004 qui confère à la collectivité d’outre-mer la compétence de principe et à l’État une compétence d’exception.
Ainsi, la proclamation de l’état d’urgence sanitaire a eu pour effet de réduire à néant certaines compétences de la Polynésie française, désormais exercées par l’État. En temps « normal », où prévaut en principe le droit commun, la Polynésie française est compétente en matière de santé publique et dispose aussi du pouvoir de police administrative spéciale en matière sanitaire, ce qui lui permet de lutter contre les fléaux dont pourraient souffrir les Polynésiens. Mais, en raison de la proclamation de l’état d’urgence sanitaire due à cette période exceptionnelle, et qui tend, hélas ! à devenir le droit commun, les compétences de la Polynésie doivent s’effacer au profit de celles de l’État, et plus particulièrement du haut-commissaire de la République.
Ce nouvel état du droit pose deux problèmes.
Tout d’abord, il ne me semble pas totalement conforme à la jurisprudence du Conseil d’État, puisque la Haute Assemblée, dans un avis du 15 mars 2005 relatif à la sécurité et à la sûreté en matière aérienne, a considéré qu’« il appartient à l’État de financer les missions qui lui incombent sur le territoire » de la collectivité de Polynésie française. Aussi, il convient de se demander s’il n’appartient pas à l’État de supporter les charges relatives à la lutte contre la pandémie, qui, pour l’instant, incombent exclusivement à la Polynésie française.
Ensuite, ce nouvel état du droit instaure, d’une certaine manière, une forme de « curatelle » pour les collectivités d’outre-mer dotées de l’autonomie, ainsi que pour la Nouvelle-Calédonie. N’est-il pas temps de mettre fin à cette situation de mise sous tutelle, qui a des relents d’un passé révolu ? Autrement dit, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie ne devraient pas être censurées en termes de compétences, mais sur le plan de la légalité interne. Certes, il s’agit là d’un autre débat qui touche à l’évolution statutaire. Cependant, dans un proche avenir, il faudra envisager une réforme statutaire des collectivités d’outre-mer.
Le groupe Union Centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Teva Rohfritsch applaudit également.)