M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Hugues Saury, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui à l’issue de la commission mixte paritaire du 24 juin dernier, longtemps attendu, constitue une avancée importante pour notre politique de solidarité internationale.
Le passage au Parlement a en effet permis de concrétiser le travail accompli depuis plusieurs années par les commissions des affaires étrangères des deux assemblées. Il traduit également votre engagement, monsieur le ministre, à mener à son terme un processus long et semé d’embûches, dont la crise sanitaire n’a pas été la moindre.
Ce projet de loi fixe ainsi un cadre clair et précis pour l’ensemble des principes et des finalités de cette politique de solidarité internationale.
À cet égard, l’ajout d’un article liminaire résumant ses grands axes constitue un apport pertinent des députés, dont nous avons souhaité renforcer encore la portée, en distinguant trois aspects principaux : la lutte contre la pauvreté et les inégalités internationales ; la préservation des biens publics mondiaux ; la défense des droits humains.
Chacun de ces grands objectifs, d’égale importance, doit se déployer selon une logique qui lui est propre, avec des instruments financiers spécifiques. L’intelligibilité de la loi et l’adhésion de nos concitoyens à cette politique souvent très méconnue supposaient cette clarification, que les députés ont pleinement approuvée.
Nous nous félicitons également des dispositions améliorant la gouvernance de l’aide publique au développement, même si nous aurions souhaité aller plus loin dans ce domaine.
Le texte introduit certes un peu plus de cohérence, mais nous estimons que le rôle de chef d’orchestre du ministre chargé du développement devrait davantage être affirmé, notamment en ce qui concerne le pilotage de l’Agence française de développement.
S’agissant des dispositions financières, nous avions, dès le début de l’examen du texte, relevé le paradoxe que constituait une loi de programmation qui ne prévoyait pas de crédits au-delà de 2022.
« Loi de programmation rétrospective », « loi dont les objectifs sont atteints avant même d’être votés » : les qualificatifs quelque peu ironiques, mais malheureusement assez fondés, n’ont pas manqué, aussi bien de notre part que de celle des députés.
Au Sénat, nous avions tenté d’y remédier par l’introduction d’une programmation des crédits de la mission « Aide publique au développement » jusqu’en 2025. Les députés, tout en voulant maintenir un objectif de 0,7 % du RNB en 2025, s’y sont opposés.
Finalement, nous nous sommes accordés sur une trajectoire de croissance avec des pourcentages du RNB pour chaque année jusqu’en 2025. Il s’agit maintenant de traduire cette trajectoire au sein des lois de finances successives afin de donner à cette politique les moyens de ses ambitions.
La commission mixte paritaire a également permis d’aboutir à un accord sur un autre aspect très novateur du texte : la création d’une commission d’évaluation de l’aide publique au développement, sujet sur lequel le président de notre commission, Christian Cambon, s’est particulièrement engagé.
Nous avions ici une différence d’appréciation notable avec les députés qui souhaitaient, sur le modèle britannique, une commission purement administrative et technique avec des experts à temps plein.
Nous estimions de notre côté qu’une commission équilibrée devait comporter parmi ses membres des parlementaires, capables d’apporter un regard différent, soucieux de l’efficacité concrète des projets et motivés par le contrôle démocratique de cette politique.
Nous avons trouvé un accord combinant les deux approches, en prévoyant au sein de la même commission un groupe d’experts indépendants rendant compte de ses travaux à un collège de parlementaires. Cette commission permettra ainsi de mesurer l’impact final des projets et d’apporter de nombreuses informations à l’Assemblée nationale et au Sénat afin que le Parlement puisse exercer le rôle de contrôle de l’action du Gouvernement qui lui est confié par la Constitution.
Par ailleurs, nous avons également trouvé un accord avec les députés s’agissant des dispositions relatives au ciblage de l’aide, que nous avions introduites lors de l’examen du texte par notre commission.
C’est la première fois qu’est ainsi fixé dans la loi un triple objectif : part comparée des dons et des prêts ; part des crédits bilatéraux par rapport aux crédits multilatéraux ; concentration sur les pays prioritaires. Je rappelle que ceux-ci sont les pays africains les plus en difficulté, notamment les pays du Sahel, ainsi qu’Haïti, dont il est inutile de rappeler la situation critique.
En fixant ainsi de véritables obligations de résultat pour la concentration des moyens sur les pays qui en ont le plus besoin, nous tenons, me semble-t-il, une véritable avancée.
Celle-ci prend tout son sens au moment où la réduction du format de nos forces engagées au Sahel a été annoncée par le Président de la République. On le sait, le développement de cette région est la condition de sa stabilité à long terme et nous devons être plus que jamais aux côtés des États concernés pour soutenir tous les efforts qu’ils entreprendront au bénéfice de leurs populations.
Ce projet de loi nous y aidera indéniablement ; c’est pourquoi je vous invite à l’adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le texte qui nous rassemble de nouveau aujourd’hui, après nous avoir beaucoup occupés ces derniers mois, est essentiel pour l’avenir de notre diplomatie, dont le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales constituent désormais l’un des piliers, alors que la vie internationale est marquée par d’immenses défis, à commencer par la pandémie et l’urgence environnementale.
Chacun le sait désormais, ces défis qui ont partout de très graves conséquences appellent des solutions collectives, qui doivent aussi s’inventer au Sud.
C’est le sens de ce projet de loi auquel l’Assemblée nationale, puis le Sénat ont manifesté leur soutien. Les deux chambres ont apporté de précieux enrichissements, que les travaux de la commission mixte paritaire du 24 juin ont permis de concilier. Le texte renforcé et équilibré qui en résulte reçoit le plein accord du Gouvernement.
Nous avons proposé un texte d’ambition qui dote notre politique de développement solidaire de moyens fortement accrus. Nous avons proposé un texte pragmatique qui définit des géographies et des enjeux prioritaires en parfaite cohérence avec les engagements politiques de la France. Nous avons proposé un texte à la fois stratégique et humaniste, c’est-à-dire porteur d’une véritable géopolitique des valeurs françaises, mais aussi européennes.
Nous avons présenté ce texte pour proposer à nos partenaires du Sud une autre voie que celle de la dépendance, voire de la sujétion à des acteurs qui ne cherchent qu’à étendre leur emprise. Il s’agit de les accompagner sur la voie d’une souveraineté renforcée, préoccupation que nous partageons pleinement et que nous mettons également en œuvre pour nous-mêmes au sein de l’Union européenne.
Nous avons proposé ce texte pour construire sur la scène internationale un autre chemin que celui de la brutalisation et du « chacun pour soi », qui ne peut mener qu’à un échec collectif.
Souvent, au-delà des clivages politiques, nos débats l’ont montré, la représentation nationale s’est reconnue dans ces grandes orientations. Mieux, vous avez eu à cœur de les décliner de manière encore plus précise, tout en faisant droit aux contraintes avec lesquelles nous devons tous composer, si nous voulons agir et construire une véritable différence.
Je veux aujourd’hui saluer à la fois l’esprit d’exigence et de responsabilité, dont vous avez fait preuve, et le dialogue constant, constructif et fructueux que nous avons mené ensemble tout au long de ces mois de travail. Notre réussite, je tiens à le redire cet après-midi, doit aussi beaucoup à l’engagement ancien et permanent du président Cambon et de la regrettée Marielle de Sarnez, dont le président Bourlanges poursuit aujourd’hui les efforts.
Ce travail doit aussi beaucoup à Hervé Berville, à Hugues Saury et à Rachid Temal, qui ont œuvré ensemble, jusque dans la dernière ligne droite, pour que nous aboutissions à ce résultat dont nous pouvons collectivement être fiers.
Je tiens aussi à remercier devant vous Jean-Baptiste Lemoyne, qui m’a accompagné avec beaucoup d’efficacité tout au long de l’examen de ce projet de loi devant le Parlement.
Le Gouvernement se réjouit que vous soyez parvenus à un accord avec l’Assemblée nationale sur l’article 1er qui fixe les moyens consacrés à l’aide publique au développement. La rédaction retenue réaffirme notre volonté collective de concrétiser l’engagement du Président de la République de consacrer 0,55 % de la richesse nationale à notre aide publique au développement d’ici à 2022, ce qui correspondra à une enveloppe supplémentaire de 4 milliards d’euros sur la durée du quinquennat.
Grâce au Parlement, ce texte donne une perspective additionnelle à ce volontarisme, en précisant que la France s’efforcera d’atteindre l’objectif de 0,7 % du RNB en 2025 conformément à l’engagement que nous avons pris devant les Nations unies.
À l’issue de la commission mixte paritaire, un équilibre s’est dégagé entre la nécessité de dessiner une trajectoire jusqu’en 2025 et la difficulté de prévoir des chiffres en valeur absolue, notamment du fait de l’évolution de la part non pilotable de notre aide publique au développement.
Je sais que votre assemblée tenait à ce que soit inscrite une trajectoire des moyens accordés à l’aide publique au développement jusqu’en 2025.
La rédaction retenue est un bon compromis qui permet de répondre en grande partie à cette préoccupation, puisque le texte prévoit, au-delà des crédits budgétaires pour l’année 2022, des cibles intermédiaires à titre indicatif en pourcentage du RNB pour les années 2023 et 2024.
En outre, comme le Gouvernement s’y était engagé, le texte prévoit que la représentation nationale sera consultée sur la programmation des crédits avant la fin de l’année 2022.
Nous partageons par ailleurs avec vous – je sais que vous y êtes particulièrement attachés – la volonté de concentrer notre aide sur les pays les plus vulnérables, en particulier sur les dix-neuf pays prioritaires.
Nous avons eu l’occasion d’en discuter à plusieurs reprises lors des débats sur les projets de loi de finances successifs et dans le cadre de l’examen de ce projet de loi. Des propositions en ce sens ont été faites par votre assemblée pour mieux cibler notre aide publique au développement.
Je me félicite de la flexibilité introduite par le texte issu de la commission mixte paritaire, qui permettra de concilier nos différents objectifs : concentration de la composante bilatérale de l’APD, part de dons et aide programmable à destination des dix-neuf pays prioritaires. Ces objectifs devront aussi, je le rappelle, s’insérer dans les discussions qui auront lieu dans le cadre des prochaines conférences de reconstitution des fonds multilatéraux ; la France sera légitimement attendue à l’occasion de ces discussions et elle compte bien être au rendez-vous.
Ainsi, ce texte permet de définir des priorités claires sur les canaux, les instruments et les pays prioritaires, tout en mettant en place les éléments de souplesse nécessaires. Cet équilibre, fruit de nos nombreux et intenses échanges, est très positif et constitue une contribution importante du Sénat à ce texte.
Cette concentration de nos efforts va de pair avec la logique partenariale de notre politique de développement. On ne saurait concevoir le développement aujourd’hui comme on le pratiquait hier. Il s’agit de faire davantage avec nos partenaires, et pas simplement pour eux. On ne le répétera jamais assez : imposer des solutions de l’extérieur à nos partenaires du Sud serait aussi politiquement critiquable que pratiquement inefficace. Nous faisons de plus en plus face à des défis communs ; c’est donc forcément ensemble que nous devons inventer les solutions pour y répondre.
Grâce au travail du Parlement, en particulier à celui du Sénat, le rôle capital des acteurs non étatiques a pu être renforcé dans le texte, qu’il s’agisse des collectivités territoriales ou des organisations de la société civile. On ne le répétera jamais assez : si l’État doit prendre ses responsabilités, il ne peut pas et ne doit pas tout faire. L’action sur le terrain des collectivités territoriales et des ONG qui mettent en œuvre cette politique est également essentielle à son efficacité, car ces acteurs agissent le plus souvent au plus près des populations.
Je tiens également, parmi les avancées permises par vos travaux, à souligner la création d’un dispositif de restitution des produits de cession des biens dits mal acquis introduit par l’Assemblée nationale. Il a fait l’objet d’un large consensus au sein des différents groupes politiques. Je veux ici rendre hommage à Jean-Pierre Sueur : son implication et les propositions qu’il a formulées sur ce sujet ont été décisives.
Ce dispositif constitue un moyen très concret de lutter contre les ravages de la corruption et de la prévarication. À ce titre, il s’inscrit parfaitement dans l’esprit de notre texte.
Des précisions tout à fait bienvenues ont été apportées au cours des débats au Sénat. Je me félicite de la formulation de compromis adoptée par la commission mixte paritaire, qui garantit la compatibilité de ce dispositif avec nos obligations découlant de la convention des Nations unies contre la corruption, en permettant aux populations concernées de bénéficier des richesses dont elles ont été spoliées.
Le Gouvernement se réjouit, en outre, des dispositions introduites sur l’initiative de vos rapporteurs pour mieux définir et encadrer l’action de l’Agence française de développement, qui contribue à la mise en œuvre de la politique de développement définie par l’État, et les missions de service public exercées par Expertise France.
Le texte prévoit très clairement un renforcement du pilotage par l’État de notre politique de développement. C’était une forte demande de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il était nécessaire que ce projet de loi y réponde : cela nous permettra de mieux garantir que les actions que nous menons et que nous finançons correspondent aux objectifs stratégiques que nous nous sommes fixés.
La chaîne de décision et de gouvernance est ainsi clarifiée du plus haut niveau, avec le Conseil présidentiel du développement, en passant par nos opérateurs, notamment l’Agence française de développement, jusque dans nos pays partenaires où le rôle dévolu aux ambassadrices et aux ambassadeurs sera renforcé dans le cadre d’un conseil local du développement qui rassemblera régulièrement, sous leur présidence, toutes celles et tous ceux qui contribuent à cette politique au quotidien, en lien direct avec les populations bénéficiaires.
S’agissant la composition de la commission d’évaluation – grand débat ! –, je salue la solution retenue par la commission mixte paritaire, qui garantit un parfait équilibre entre les positions de l’Assemblée nationale et celles du Sénat. Elle permettra à cette instance d’être réellement indépendante.
Au-delà des modes de désignation des personnalités qualifiées, qui seront précisés par décret, il est essentiel de veiller à ce que les membres de cette commission ne reçoivent pas d’instructions, ne subissent pas de pressions et disposent d’un mandat dont la durée soit suffisamment longue pour leur permettre de travailler sereinement, en présence de parlementaires. Ces conditions sont désormais réunies.
Le Gouvernement, je le dis en particulier au président Cambon qui est très attaché à ce sujet, est déterminé à ce que cette commission d’évaluation indépendante voie le jour le plus rapidement possible. La hausse des moyens engagés depuis le début du quinquennat rend nécessaire de renforcer encore davantage ce que les instances internationales de développement appellent la redevabilité.
Je me félicite également que la commission mixte paritaire ait trouvé un accord sur le nouveau dispositif d’attractivité des organisations internationales prévu dans ce projet de loi. Comme vous le savez, le Gouvernement est très attaché à ce dispositif qui, sans méconnaître les droits du Parlement, doit permettre de renforcer notre activité internationale.
Là encore, l’enjeu est de placer notre pays au centre du combat pour le développement et les biens publics mondiaux. Nous devons en effet chercher à conjuguer influence et attractivité dans un contexte où la diplomatie des biens communs s’inscrit désormais dans un ensemble de dynamiques aussi géopolitiques que d’autres sujets.
Ce dispositif nous permettra d’aller plus vite dès le début, puisqu’il ne sera plus nécessaire d’attendre la loi autorisant la ratification de l’accord de siège. Les privilèges et immunités pourront être octroyés immédiatement, mais le Parlement sera amené à se prononcer trois fois : d’abord sur l’habilitation, puis sur la ratification de l’ordonnance et, enfin, sur l’autorisation de ratification de l’accord de siège.
Je tiens aussi à vous remercier d’avoir enrichi notre cadre de partenariat global. Ce document est d’une importance majeure dans la mesure où il expose à l’intention de nos partenaires, comme d’ailleurs de nos concitoyens, la philosophie qui préside au renouveau de notre politique de développement, ses grandes priorités géographiques et sectorielles, ainsi que son architecture de pilotage et sa trajectoire globale.
Il propose également un cadre qui permettra de mesurer les résultats atteints dans les pays partenaires par le biais de notre APD bilatérale, mais aussi via nos contributions aux grands fonds multilatéraux. Il est en effet très important que nous puissions identifier la part des fonds multilatéraux qui revient aux pays prioritaires identifiés par la France.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, protéger vraiment la France, les Françaises et les Français des bouleversements, des instabilités et des crises internationales suppose de construire avec nos partenaires du Sud la voie d’un développement qui soit efficace pour faire reculer concrètement les inégalités, durable pour assurer la préservation de nos biens communs et aussi humaniste – je veux y insister, car nous sommes dans une compétition de modèles et de valeurs. Il n’y a de véritable progrès qu’au service de l’humain, de sa dignité et de ses droits.
Je suis vraiment très heureux que nous soyons parvenus ensemble à donner forme à cette conviction grâce à ce texte qui est historique pour notre politique de développement, car il permet de réaffirmer collectivement, pour le XXIe siècle, une certaine vision française du monde et de la solidarité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le mois dernier, nous nous réjouissions des avancées obtenues sur cette programmation qui nous tient particulièrement à cœur.
C’était l’occasion pour nous d’exprimer toutes nos attentes autour de ce pilier, encore si fragile, de la politique étrangère française. Car cette aide n’est pas facultative, elle n’est pas un geste de charité : c’est une responsabilité.
Il s’agit d’une responsabilité qui nous incombe, dès lors que nous faisons partie des vingt pays qui cumulent 90 % de la richesse mondiale.
Quel est le résultat aujourd’hui de ce modèle de développement économique que nous avons imposé à de nombreux pays de l’hémisphère sud il y a plusieurs décennies ?
Nous n’avons pas, loin de là, réussi à éradiquer la faim dans le monde : aujourd’hui, ce sont encore 690 millions d’êtres humains, soit 10 % de l’humanité, qui souffrent de la faim. Ce chiffre est en augmentation à cause de la crise climatique, tout comme celui de l’extrême pauvreté.
Ces données, vous les connaissez, ce sont celles qui ont motivé l’effort budgétaire important inscrit dans la présente programmation qui doit nous amener à consacrer 0,7 % du RNB à l’aide publique au développement en 2025 – un engagement pris par la France avant même ma naissance…
Réjouissons-nous, après une décennie de baisse de l’APD, qu’elle augmente de nouveau et qu’elle prenne mieux en compte les recommandations de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et des ONG en matière de canaux de répartition et d’objectifs.
Ainsi, l’augmentation de l’aide bilatérale et des dons est désormais chiffrée. Le rôle des organisations de la société civile est formellement reconnu – cela a été rappelé – et les financements qui transitent par elles sont voués à augmenter.
L’égalité des genres est enfin consacrée comme une priorité transversale, une place accrue est accordée à la jeunesse et les peuples autochtones sont pris en compte.
Le groupe écologiste, qui défendait tous ces points et bien d’autres, tient à saluer les améliorations apportées par le Sénat. Nous voterons donc majoritairement en faveur de ce projet de loi, bien que les conclusions de la commission mixte paritaire se soient traduites par des reculs regrettables.
Ces reculs portent d’abord sur des demandes des ONG : je pense à la disparition du principe de non-discrimination et à la suppression de la référence au Fonds de soutien aux organisations féministes. En outre, l’objectif de financement des ONG reste bien trop fragile.
Ensuite, je note que la programmation budgétaire est atrophiée. L’objectif de 0,7 % reste mollement inscrit, mais cette programmation n’est fixée en valeur absolue que jusqu’à l’année prochaine, et non plus, comme nous l’avions proposé, jusqu’en 2025. Peut-on encore parler dans ces conditions de loi de programmation ? Ce manque de visibilité est particulièrement dommageable pour nos partenaires, en particulier les ONG.
Enfin, la trajectoire budgétaire en hausse, en quelque sorte esquissée au crayon à papier, ne peut endiguer la montée des inégalités mondiales que si elle s’accompagne d’une lutte contre les causes de ces inégalités, aux premiers rangs desquelles un modèle économique qui n’est favorable ni aux populations ni à l’environnement.
Sans cette dimension, l’APD demeure, je l’ai déjà dit, le pansement sur la jambe de bois du système capitaliste. La vision que nous portons en tant qu’écologistes est celle d’une APD libérée des logiques de rentabilité et des impératifs de la diplomatie économique française.
Nous regrettons profondément de n’avoir pu infléchir le texte en ce sens. Ainsi, nous avions souhaité y inscrire un principe de cohérence des politiques publiques avec les objectifs de développement durable. Ce principe, qui aurait pu, par exemple, nous permettre de ne pas financer des projets d’agro-industrie, a été supprimé.
Nous avions également comme objectif l’exigence d’une transparence et d’une responsabilité accrues pour tous les organismes qui contribuent à notre influence à l’étranger.
Enfin, le dépassement des logiques de rentabilité aurait dû nous permettre de consacrer davantage aux pays les plus pauvres, ce qui devrait être le premier but de notre APD.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires continuera de porter ces objectifs qui sont les seuls à même de faire de l’aide au développement un véritable pilier de notre politique extérieure. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis de notre réunion d’aujourd’hui sur les conclusions de la commission mixte paritaire. Cette séance marque l’achèvement d’un long processus législatif entamé en 2018.
Je tiens à remercier tout d’abord le président de notre commission et les deux rapporteurs, ainsi que le rapporteur de l’Assemblée nationale. Je salue leur état d’esprit constructif.
Le chemin a été long et semé d’embûches, mais grâce à votre détermination, monsieur le ministre, le cap a été maintenu. Ce cap est celui d’une APD représentant 0,55 % du RNB en 2022 et 0,7 % en 2025.
La semaine dernière, cinq agences de l’ONU ont publié des données qui montrent combien il est urgent de renforcer notre mobilisation pour atteindre les objectifs de développement durable d’ici à 2030. Face à cette urgence, nous avions le devoir de nous entendre sur un texte de compromis.
L’objectif fixé par le Gouvernement est atteint. Le texte que nous nous apprêtons à adopter confère un nouveau souffle à notre politique d’aide au développement. Il nous donne les moyens d’accompagner nos partenaires – il s’agit essentiellement des dix-neuf pays prioritaires, dont dix-huit sont situés sur le continent africain – dans leur transition vers des modèles de croissance plus résilients et plus durables.
En bonne intelligence, nous avons réussi à dépasser nos divergences qui, bien que peu nombreuses, concernaient des dispositions majeures. Pour la première fois, le Gouvernement a eu le courage de proposer l’inscription dans la loi d’une véritable programmation budgétaire pour notre APD. Le texte établi par la commission mixte paritaire prévoit une programmation ambitieuse et réaliste.
Pour ce qui concerne la commission d’évaluation de l’APD, nous avons trouvé, après des débats assez difficiles, puisque nous avions tous des positions divergentes – je dois dire que j’ai moi-même longtemps hésité sur cette question –, un compromis tout à fait positif. La création de deux collèges permet de répondre, à la fois, à la volonté du Sénat de faire participer les parlementaires à ce processus et à celle de l’Assemblée nationale de prévoir des garanties d’indépendance et d’efficacité.
Je me réjouis que l’article 9 qui est relatif à cette commission comprenne de nombreuses dispositions issues d’amendements du groupe RDPI auquel j’appartiens. Je pense notamment à l’extension du champ de l’évaluation, à l’élection de son président par ses membres et à l’obligation pour les personnalités qualifiées de remettre une déclaration d’intérêts.
Plus largement, je me félicite que le texte final comprenne, en plus de ces nombreuses mesures, des propositions issues des autres groupes – c’est une œuvre collective.
Je veux citer certaines mesures qui figurent dans le texte : la remise d’une lettre annuelle d’objectifs au directeur de l’AFD ; le rôle central joué par les collectivités d’outre-mer et par les organisations de la société civile, ce qui n’est pas évident pour un vieux pays colbertiste comme le nôtre ; l’affirmation de l’autonomie corporelle des filles et des femmes ; le renforcement des capacités numériques des États partenaires ; enfin, un dispositif destiné à lutter contre les biens mal acquis, sujet sur lequel notre collègue Jean-Pierre Sueur est à l’initiative.
Enfin, vous comprendrez que, en tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, je me réjouisse du renforcement des compétences des conseillers des Français de l’étranger, qui seront membres de droit des conseils locaux de développement.
En conclusion, je ne vous surprendrai pas, en vous disant que notre groupe votera le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)