M. le président. La parole est à M. Claude Kern, pour présenter l’amendement n° 353 rectifié bis.
M. Claude Kern. Cela vient d’être dit, cet amendement vise à garantir la pérennité du système de gestion de l’eau par bassin et à empêcher sa recentralisation dans les mains de l’État.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour présenter l’amendement n° 402.
M. Didier Marie. Notre préoccupation est la même. Le présent article renforce le rôle du préfet de département et celui du préfet coordonnateur. On ne peut prétendre qu’il s’inscrit dans une logique de déconcentration, qui est pourtant l’objet du titre VI du projet de loi ; il s’agit, au contraire, d’une recentralisation des enjeux de l’eau et d’une reprise en main par l’État qui ne dit pas son nom.
Les modifications apportées par nos rapporteurs, tout à fait cosmétiques, n’ont pas modifié cet état de fait. Nous souscrivons au point de vue des élus membres du Conseil national d’évaluation des normes, qui ont critiqué cette disposition, la jugeant contraire aux ambitions affichées par le Gouvernement en matière de proximité et d’efficacité de l’action publique. Nous proposons donc sa suppression.
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour présenter l’amendement n° 756 rectifié ter.
Mme Maryse Carrère. Cet amendement a été bien défendu. J’ajoute toutefois que ce changement est d’autant plus surprenant qu’il n’émane aucunement d’un souhait de nos communes ni de nos représentants. Il est dommage de modifier les choses quand elles s’avèrent satisfaisantes…
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour présenter l’amendement n° 1355.
M. Ronan Dantec. Je n’attends plus beaucoup de réponses de la part de Mme la ministre, qui semble avoir décidé, ce matin, de ne répondre à rien. Sans doute, cela nous permettra d’avancer plus vite, mais je considère néanmoins que, en ce lieu, il convient de répondre aux questions.
Cela dit, Maryse Carrère a bien formulé la question : pourquoi procéder à cette modification ? Elle n’est demandée par strictement personne ; pourtant, l’État remet du préfet partout.
Par conséquent, madame la ministre, prenez dix secondes pour essayer de nous répondre !
M. le président. L’amendement n° 1592 rectifié bis n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur ces cinq amendements ?
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Je répondrai d’abord à M. Marie pour lui dire que je goûte de façon immodérée la nuance de ses propos… (Sourires.)
Si les changements introduits par la commission des lois ne sont pas de nature à modifier la proposition du Gouvernement, alors, en effet, il y a un véritable problème. Si vous mettez sur le même pied le préfet de région et le préfet de département, c’est – pardonnez-moi – que vous n’avez pas dû assister à beaucoup de réunions relatives à l’attribution de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) ou à la politique de l’eau, à moins que, en Seine-Maritime, les problèmes ne se posent pas avec la même acuité que dans beaucoup de départements, où l’eau est devenue l’enjeu majeur.
D’autre part, nous avons justement essayé de répondre aux problématiques soulevées par le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), en remettant le comité de bassin au centre des enjeux et en rapprochant le préfet de département du comité de bassin.
M. Didier Marie. Cela ne change rien !
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Au contraire, cela change fondamentalement les choses ! Le préfet de département n’a pas le même avis que le préfet de région, qui agit à un échelon complètement différent.
Or les problématiques de l’eau se posent très différemment d’un département à l’autre. En outre, un comité de bassin se situe à un échelon suprarégional, donc ne prétendez pas que la commission des lois n’a rien changé. Vous persistez à dire, de façon complètement figée et dogmatique, que l’on recentralise et que « préfet de région » égale « préfet de département ». (M. Didier Marie proteste.) Nous avons des philosophies très éloignées – nous jouons la carte de la proximité, vous celle du dogme –, donc, forcément, nous n’arriverons pas à avancer ensemble sur ces sujets.
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Par ailleurs, j’entends bien l’argumentation de M. Dantec et je ne lui donne pas tort ; nous n’avions pas nécessairement demandé une modification sur ce point, mais comprenez bien, mon cher collègue, que les apports de la commission des lois répondent, selon nous, à un triple enjeu : la proximité, avec la mise en avant du préfet de département ; la réponse aux inquiétudes soulevées par le CNEN et par les élus des territoires, avec le rétablissement du lien entre le comité de bassin et les préfets ; et la prise en compte de l’échelon départemental, qui nous semble être l’échelon pertinent pour la politique de l’eau.
La commission demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je commencerai par répondre à la question sur l’Ademe puisque, paraît-il, je ne l’ai pas fait.
Pour ma part, il me semblait pourtant y avoir répondu à plusieurs reprises, en expliquant en quoi consiste la fonction de délégué territorial de l’Ademe incombant au préfet. Au cours de toutes les concertations que j’ai organisées sur le territoire – toutes ! –, dans toute la France, un sujet revenait en permanence : le décalage entre l’Ademe et les desiderata des élus locaux, ainsi que le manque de relais entre ces derniers et l’Agence.
Le préfet servira donc, je l’ai indiqué précédemment, à exprimer, d’une seule voix, la volonté de l’État dans le territoire, tout en portant la parole des élus. C’est là que se trouvait le dysfonctionnement.
Les amendements identiques ont pour objet de supprimer l’article 46, afin de limiter le pouvoir des préfets dans les agences de l’eau et d’éviter une reconcentration des moyens des agences.
Je signale qu’aujourd’hui toutes les agences de l’eau, sans exception, sont présidées par des préfets.
L’article 46 vise à donner au préfet le rôle non pas de fixer les priorités de ces agences, mais celui d’exposer les priorités et les projets de l’État dans la perspective de la meilleure coordination possible entre l’action des services déconcentrés et celle des agences au service des politiques de l’eau et de la biodiversité.
Les conseils d’administration des agences de l’eau, composés, pour un tiers, de représentants de l’État, pour un tiers, d’usagers et, pour un tiers, de représentants des collectivités, restent bien souverains dans leur prise de décision, mais il est normal que les agences de l’eau tiennent compte des politiques publiques que l’État entend mettre en place.
Par ailleurs, dans un objectif de meilleure coordination entre les services déconcentrés de l’État et les agences de l’eau, mais aussi d’une plus grande déconcentration, il est proposé que le préfet coordonnateur de bassin préside le conseil d’administration des agences.
En fait, nous régularisons ce qui existe déjà, en pratique, depuis 2021. Auparavant, trois des six présidents étaient des inspecteurs du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Nous ne changeons rien : nous officialisons une organisation qui existe déjà.
Par conséquent, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Monsieur Kern, l’amendement n° 353 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Claude Kern. Compte tenu des explications de notre excellent rapporteur, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 353 rectifié bis est retiré.
Madame Cukierman, l’amendement n° 287 est-il maintenu ?
Mme Cécile Cukierman. Le travail parlementaire est le fruit d’un échange entre les parlementaires et le Gouvernement, mais aussi entre les assemblées. Nous ne doutons pas, madame la ministre, que ce texte sera soumis prochainement à l’Assemblée nationale.
J’entends les arguments qui viennent d’être développés, mais je sais aussi l’évolution qu’il y a pu y avoir par rapport à la version initiale de l’article et le travail qui a été réalisé par la commission des lois.
En conséquence, même si nous ne sommes pas pleinement satisfaits de la rédaction, en l’état, nous préférons « cranter » la volonté de redonner du pouvoir au préfet de département et éviter une recentralisation excessive à l’échelle du bassin.
Nous retirons donc notre amendement.
M. le président. L’amendement n° 287 est retiré.
La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je pense que les arguments de la commission sont les bons : il ne s’agit pas de recentralisation. Il s’agit véritablement du rôle coordinateur du préfet. Ce rôle est essentiel dans tous les domaines.
Aucune agence, que ce soit l’Office français de la biodiversité, l’Ademe ou une autre, ne peut travailler dans son coin en ignorant les préoccupations alentour !
Le préfet de département joue un rôle essentiel, madame la ministre. On voit bien que, au niveau régional, le comité de bassin n’est jamais la bonne échelle. Les eaux ne suivent pas le découpage régional, surtout dans les grandes régions.
Le métier de préfet est très particulier, raison pour laquelle nous resterons très attentifs aux réformes proposées concernant la nomination des préfets et le devenir de ce corps très particulier.
M. le président. Mes chers collègues, je vous remercie d’en rester à l’objet des amendements.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 402, 756 rectifié ter et 1355.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 1420, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Le 1° de l’article L. 213-8-1 est ainsi rédigé :
« 1° Du préfet coordonnateur de bassin où l’agence a son siège, qui préside le conseil d’administration ; »
2° Après le deuxième alinéa de l’article L. 213-9-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le préfet coordonnateur de bassin, après avoir recueilli l’avis des préfets de départements, porte à la connaissance du conseil d’administration les priorités de l’État et la synthèse des projets de l’État et des collectivités territoriales dans les domaines de compétence de l’agence et en lien avec les enjeux du territoire. »
La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il s’agit d’une mesure technique.
Mathieu Darnaud vient d’expliquer qu’il souhaitait que tous les préfets de département viennent devant le comité de bassin.
Pour notre part, nous pensons que la présence du préfet coordonnateur de bassin au conseil d’administration est suffisante, puisqu’il porte la voix des préfets de département. Il nous paraît préférable qu’il assure la synthèse des contributions des préfets : cela fait moins de monde au comité, ce qui est moins lourd.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Notre collègue Ronan Dantec parlait tout à l’heure de cohérence. Je pense que la cohérence de la commission des lois est très claire : elle épouse parfaitement la philosophie des cinquante propositions du Sénat.
À l’issue d’une réflexion à laquelle tous les groupes ont été associés, nous avons décidé collectivement que le préfet de département était le guichet, la porte d’entrée de l’État territorial et celui qui coordonnait l’action de ce dernier sur les territoires.
Nous réaffirmons donc avec force et clarté, sur cette question des agences de l’eau, comme sur la question de l’Ademe et sur les autres points que nous verrons dans quelques instants et qui ont tous trait à l’organisation de l’État territorial et à ces mesures de déconcentration, qu’il incombe au préfet de département de jouer ce rôle de coordination.
On ne peut pas dire que nous ayons tiré les leçons de cette crise sanitaire, qui, hélas ! n’est pas derrière nous, notamment par rapport à cette agilité, à cette juste complémentarité entre collectivités et État territorial au niveau des départements que les élus des territoires nous demandent avec insistance.
Plutôt que de renvoyer toujours à un échelon supérieur, c’est-à-dire au niveau régional, quand on sait combien la seule navette entre régions et départements peut être source d’inertie et participer à un ralentissement de l’action de l’État sur les territoires, nous réaffirmons la place centrale du préfet de département.
L’avis de la commission est défavorable.
M. le président. L’amendement n° 175 rectifié ter, présenté par Mme Havet, MM. Théophile et Mohamed Soilihi, Mme Schillinger, MM. Iacovelli, Haye et Hassani, Mme Duranton et MM. Dennemont et Rohfritsch, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
1° A Au 2° de l’article L. 213-8, après le mot : « pêche », sont insérés les mots : « , des présidents de conseils économiques et sociaux environnementaux régionaux concernés » ;
II. – Compléter cet article par un alinéa et un paragraphe ainsi rédigés :
…° Au I de l’article L. 371-3, après les mots : « des départements de la région », sont insérés les mots : « des conseils économiques et sociaux environnementaux régionaux ».
…. – Le 1° A du I du présent article prend effet à compter des prochains renouvellements des comités de bassin.
La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Je prends la parole au nom de ma collègue Nadège Havet.
La gouvernance des questions liées aux milieux aquatiques, au respect de l’environnement naturel de ces espaces, à la gestion de la ressource en eau, aux différents usages dans chaque bassin n’intègre pas explicitement la société civile, incarnée par les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser).
En effet, les Ceser apportent une vision équilibrée, fruit de dialogues démocratiques sur les enjeux liés à la gestion de ces milieux.
C’est pourquoi cet amendement vise à intégrer les présidents de Ceser dans les comités de bassin à partir de leur prochain renouvellement et dans les comités régionaux de la biodiversité pour renforcer l’expression de la société civile dans cette gouvernance. Le Gouvernement pourrait-il nous assurer de leur possible présence ?
Sans refaire le débat sur l’article 2, je rappelle également que la parole des Ceser n’a de valeur que si elle s’appuie sur des processus délibératifs de construction collective entre des membres de la société civile organisée indépendants des pouvoirs politiques en place. Ce point est fondamental.
En suggérant que les membres des Ceser soient désormais nommés par le conseil régional nouvellement élu, l’amendement adopté en commission suscite des interrogations : quelle est l’indépendance politique, institutionnelle et organisationnelle du Ceser ? Quelle sera la valeur ajoutée en termes de relations de travail entre les deux assemblées, alors que la récente réforme du Conseil économique, social et environnemental national a acté la suppression des quarante sièges de personnalités qualifiées, afin notamment d’assurer son indépendance et que s’exprime une attente forte en termes de démocratie participative ? Le Sénat va devoir rassurer sur ce point.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Je veux déjà dire à notre collègue Dominique Théophile que nous sommes revenus sur le sujet de la nomination des membres du Ceser par les conseils régionaux. Son argument a donc trouvé une suite favorable dans les positions qui ont été prises lors du débat et de l’examen du texte.
En outre, si je peux comprendre la philosophie de son amendement, je veux simplement rappeler que la gestion de l’eau est un sujet relativement clair, borné, cadré.
Notre collègue évoque les représentants de la société civile, mais je veux lui rappeler que les usagers de l’eau siègent dans les comités de bassin. Je ne vois donc pas ce que le Ceser apporterait de plus.
Pour toutes ces raisons, l’avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Des représentants du Ceser siégeaient auparavant dans les comités de bassin. Ils étaient en général plutôt assidus.
La loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a été réécrite. Les usagers économiques et les usagers non économiques constituent désormais deux collègues distincts et la représentation des Ceser en tant que tels a été supprimée.
La représentation de la société civile dans les agences de bassin me semble une bonne idée. Par conséquent, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 175 rectifié ter.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 46.
(L’article 46 est adopté.)
Article 46 bis (nouveau)
L’article L. 1111-6 du code général des collectivités territoriales est ainsi rétabli :
« Art. L. 1111-6. – I. – Dans les domaines de compétence des collectivités territoriales dans lesquels le législateur a confié au pouvoir réglementaire national l’application des dispositions législatives, le représentant de l’État dans le département, la région, la collectivité à statut particulier ou la collectivité d’outre-mer régie par le II de l’article 74 peut autoriser, par arrêté motivé, les collectivités territoriales ou leurs groupements à déroger aux règles fixées par les décrets.
« II. – La dérogation doit répondre aux conditions suivantes :
« 1° Être justifiée par un motif d’intérêt général et l’existence de circonstances locales ;
« 2° Être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France ;
« 3° Ne pas porter atteinte aux intérêts de la défense nationale ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.
« III. – Les matières dans lesquelles ces dérogations peuvent intervenir sont définies par décret en Conseil d’État. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 288 est présenté par Mmes Cukierman, Assassi, Brulin, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 1421 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Céline Brulin, pour présenter l’amendement n° 288.
Mme Céline Brulin. Nous proposons un amendement de suppression de l’article 46 bis, qui prévoit que les préfets puissent autoriser les collectivités à déroger aux règles fixées par décret, notamment en matière d’exigences environnementales, lorsque le législateur a confié au pouvoir réglementaire national l’application de dispositions législatives. Autrement dit, le préfet a le pouvoir d’intervenir, dans le cadre de ce dispositif, pour déroger dans le domaine de compétences des collectivités territoriales, et non précisément dans celui de l’État.
D’une part, ce renforcement des pouvoirs du préfet altère le rapport à la légalité par la création de dispositifs permettant de neutraliser la volonté du législateur, sous couvert d’adaptation locale et de différenciation, alors même que le législateur peut directement, dans la loi, prévoir ou non de renvoyer des dispositions au pouvoir réglementaire local ou national.
D’autre part, renforcer la déconcentration n’implique pas, à nos yeux, de renforcer les pouvoirs du préfet.
Il faut, au contraire, travailler à une reconquête de la présence de l’État dans nos territoires, dans la diversité de ses services publics, y compris par ses services déconcentrés. À nos yeux, cela donnerait beaucoup plus de sens à ce que l’on appelle « déconcentration ».
À l’inverse, plus l’État recule dans nos territoires, plus il se fait intrusif dans la gestion des collectivités. On a beaucoup parlé, ces derniers temps, du couple formé par le maire et le préfet dans la gestion de la crise. L’un des membres du couple a parfois été prépondérant, si je puis m’exprimer ainsi… Nous devons être vigilants.
Nous demandons la suppression de cet article, qui vient, à nos yeux, mettre en concurrence pouvoirs réglementaires national et local, alors que ceux-ci doivent, au contraire, être complémentaires.
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 1421.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le présent amendement vise à supprimer l’article 46 bis, adopté par la commission.
En effet, cet article étend le pouvoir de dérogation du préfet, reconnu par le décret du 8 avril 2020, aux normes réglementaires applicables aux collectivités territoriales et à leurs groupements.
Quand bien même les matières dans lesquelles cette dérogation pourrait intervenir seraient limitativement énumérées par décret en Conseil d’État, une telle évolution doit être envisagée avec précaution au regard des règles constitutionnelles relatives au rôle du représentant de l’État, auquel l’article 72 de la Constitution confie, dans les collectivités territoriales de la République, « la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois. » En clair, le préfet ne pourrait contrôler et déroger dans le même temps.
Par ailleurs, cet article donnerait la possibilité au préfet d’intervenir pour déroger non pas dans le domaine des compétences de l’État, mais dans celui des collectivités territoriales et de leurs groupements, lui aussi protégé par l’article 72.
On peut également douter que cette mesure soit compatible avec l’article 37 de la Constitution, qui confie au seul Premier ministre le pouvoir réglementaire et qu’il peut seul ajuster, comme dans le décret relatif au droit de dérogation reconnu au préfet.
Enfin, la maturité des collectivités territoriales et de leurs groupements plaide plutôt, ainsi que l’article 2 du projet de loi le prévoit, en faveur d’une extension du pouvoir réglementaire propre, qu’elles pourraient exprimer elles-mêmes de façon différenciée.
Vous voyez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il y a un peu d’inconstitutionnalité dans l’air…
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Il s’agit pour nous d’un point assez fondamental.
En effet, pour le dire trivialement, ce que propose le texte en matière de différenciation territoriale, c’est un peu les vaches maigres !
On peut se réjouir que ce texte consacre la différenciation dans son intitulé, mais, si l’on n’accroît pas le pouvoir dérogatoire de l’État territorial, qui reste relativement faible actuellement, par le biais de son représentant qu’est le préfet de département, il me semble qu’il sera difficile de prendre en compte les spécificités territoriales.
Je le dis tout de suite à notre collègue Céline Brulin : il ne s’agit pas d’imposer une forme de tutelle ou de dicter la loi de l’État. Ce que nous recherchons est précisément l’équilibre qu’elle appelle de ses vœux.
Mais comment peut-il y avoir un équilibre quand les collectivités, par leur agilité, sont souvent largement plus réactives que les services déconcentrés de l’État ?
Au reste, il va sans dire que nous ne cherchons pas ici à imposer une forme de tutelle ni même à remettre en cause la libre administration des collectivités. Nous souhaitons, au contraire, une coconstruction et un pouvoir dérogatoire qui associe pleinement les collectivités.
J’ajoute que, en raison du contrôle du juge administratif, le préfet ne pourra pas faire n’importe quoi.
Il faut permettre au préfet de département, en lui permettant d’être plus réactif, d’avoir cette juste et nécessaire capacité à s’adapter aux besoins du territoire et aux demandes.
Par exemple, aucun d’entre nous ne peut dire qu’il n’a pas vu, durant la crise sanitaire, un maire éprouver les pires difficultés pour faire appliquer les protocoles scolaires ! Cela a souvent été l’expression du décalage avec le représentant de l’État dans les territoires, qui, malgré toute sa bonne volonté, n’a pu répondre avec la spontanéité et l’exigence nécessaires aux aspirations et aux inquiétudes fondées, des maires notamment. C’est ce que nous souhaitons corriger.
Par conséquent, je pense que nous éprouvons le même respect et que nous épousons la même philosophie, madame la ministre. Et, si le dispositif que nous proposons présente des imperfections et des risques d’inconstitutionnalité, faisons œuvre commune et utilisons le temps que nous laissera la navette pour les corriger.
Quoi qu’il en soit, faisons en sorte d’attribuer au préfet un utile pouvoir de dérogation.
M. le président. Monsieur le rapporteur, je vous remercie, dans la suite de nos débats, de ne pas dépasser le temps de parole de deux minutes trente qui vous est imparti pour exprimer l’avis de la commission.
La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. À titre personnel, j’ai un désaccord philosophique et idéologique profond avec Mme la ministre.
Je soutiens ce qu’a dit M. le rapporteur : cette possibilité existe déjà dans les outre-mer, en concertation avec les élus.
Tout à l’heure, je présenterai un amendement tendant précisément à renforcer l’information des élus. Prenons le risque de l’inconstitutionnalité !
Dans les outre-mer, cela se fait de deux manières : le préfet peut déroger au pouvoir réglementaire et l’on peut demander des habilitations pour faire la loi. Moi-même, en tant que président de région, j’ai été à l’origine de 29 lois de régions, qui ont été publiées au Journal officiel.
Mon groupe s’abstiendra, mais, à titre personnel, je voterai cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Monsieur Lurel, c’est l’article 73 de la Constitution qui concerne vos territoires. Les autres territoires relèvent de l’article 72.
Pour faire suite à l’intervention de M. le rapporteur, je veux préciser que c’est ce gouvernement qui a mis en place le pouvoir dérogatoire des préfets l’année dernière. C’est ce gouvernement qui transfère du pouvoir réglementaire aux collectivités territoriales de façon accrue.
J’entends bien que ce n’est qu’un début, que nous pouvons aller plus loin que les mesures que nous avons prises jusqu’à présent, mais il faut garder cet équilibre.