M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous y voici : nous abordons l’examen tant attendu de la dernière loi environnementale du quinquennat, celle qui a pour ambition d’ancrer l’écologie dans le quotidien des Français. À l’aune d’un examen qui nous réunira pendant deux semaines, qu’en est-il réellement ?
Tout d’abord, nous craignons que ce projet de loi ne vous permette pas d’atteindre vos objectifs, madame la ministre. Trop de mesures sont symboliques ou programmatiques et pas assez pragmatiques – je pense notamment à l’article 10, qui oblige à fournir soi-même le contenant nécessaire au recueil d’un échantillon commercial.
Ensuite, il est incompréhensible de lancer des missions sur la rénovation énergétique des bâtiments ou sur la publicité, censées alimenter le projet de loi, alors que la discussion de celui-ci a commencé.
Enfin, malgré un texte passé de 69 à 218 articles, certaines questions ont été totalement oubliées. Tel est le cas de l’impact environnemental du numérique, de la prévention des risques et du secteur ferroviaire, mais aussi de la forêt, qui absorbe pourtant 11 % de nos émissions de gaz à effet de serre.
Au total, nous commençons l’examen d’un projet de loi laissant planer le doute sur sa capacité à entraîner une réelle réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce doute est partagé par le Haut Conseil pour le climat, par le CESE et par la Convention citoyenne elle-même.
Dès lors, pour le groupe Union Centriste, l’examen sénatorial de ce projet de loi doit avoir une seule finalité : le rehaussement de son ambition. Nous souhaitons résolument nous engager et faire des propositions en ce sens, avec une approche pragmatique par le bilan carbone, afin de rehausser l’ambition de ce projet de loi et d’assurer, in fine, la crédibilité de notre pays en amont de la COP26 et de la présidence française de l’Union européenne.
D’une part, nous défendrons une approche territoriale visant à replacer les collectivités au cœur de la transition. C’est notamment le cas quand il s’agit du « zéro artificialisation nette », avec une application différenciée et territorialisée de l’article 49.
D’autre part, nous adopterons une approche assurément incitative, afin d’esquisser une véritable écologie sociale, qui veille à accompagner toute mesure coercitive de dispositifs redistributifs.
L’exemple des engrais azotés, dont traite l’article 62, est pertinent : à une hypothétique taxation, synonyme d’ultimatum punitif, nous préférons des mesures d’accompagnement.
L’examen en commission a été l’occasion d’apports majeurs de la part du Sénat : la prise en compte des enjeux environnementaux dans le cadre de la réforme du code minier ; l’ajout de dispositions relatives à l’hydroélectricité ; la structuration de notre politique de lutte contre la déforestation importée ; ou encore la baisse de la TVA sur les travaux de rénovation énergétique dans le logement social.
En résumé, si la Convention citoyenne pour le climat a démontré que certaines formes de démocratie participative pouvaient trouver leur place dans la Ve République, éloignons-nous d’un idéal athénien de tirage au sort. La Convention citoyenne pour le climat n’a jamais eu vocation à se substituer au pouvoir législatif, et le Parlement a démontré qu’il n’abandonnerait sous aucun prétexte son droit d’amendement !
Enfin, ce texte nous permet de nous interroger sur l’écologie que nous souhaitons pour notre génération comme pour les suivantes.
Le groupe Union Centriste défendra des amendements cohérents, suivant une ligne de crête bien identifiée : ne pas opposer écologie et économie ; réduire les émissions de gaz à effet de serre ; saisir les nombreuses chances que nous offre cette transformation, qu’il s’agisse de la croissance, de l’innovation ou de l’emploi, afin de tracer un chemin heureux de la transition écologique. Nous proposerons par exemple de faciliter l’agrivoltaïsme, de développer le stockage d’énergie ou encore de relever notre ambition nucléaire.
Sur ce dernier point, permettez-moi une précision. Face au dogme de l’écologie politique selon lequel il faudrait bannir une énergie souveraine, décarbonée et compétitive, en améliorant l’empreinte carbone de notre pays uniquement au prix de la délocalisation de ses émissions, nous défendons la complémentarité entre l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables afin de verdir véritablement notre mix électrique.
Mes chers collègues, le risque politique réside assurément aujourd’hui dans le fait de ne pas agir : en matière climatique, personne n’est innocent, tout le monde sera victime, et nous avons tous une part de responsabilité. N’attendons pas non plus que tout vienne de l’État : ce sont d’abord les collectivités territoriales qui doivent piloter la transition écologique.
Pour compléter la conclusion de mon excellent collègue Stéphane Demilly, je vous certifie que le groupe Union Centriste s’engagera résolument dans ces débats, avec cette attitude : l’envie d’agir collectivement, ambitieusement et de manière pragmatique. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Jean-Pierre Corbisez et Mme Sophie Primas applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, en 1778 déjà, le grand naturaliste et scientifique Buffon écrivait dans Les Époques de la nature : « La face entière de la Terre porte aujourd’hui l’empreinte de la puissance de l’homme. »
En décembre 2015, la France devenait, le temps d’une conférence, le phare d’un monde qui prenait la résolution de s’engager dans un changement de paradigme existentiel pour contenir les effets problématiques du réchauffement climatique sur le globe terrestre et l’ensemble du règne vivant. Ainsi, pour la première fois de son histoire, l’humanité prenait acte de son entrée dans l’anthropocène et de l’urgence d’une action collective tout entière tournée vers la durée, la durabilité.
Depuis, dans notre pays, les actes législatifs et réglementaires se sont succédé. Ils ont été assortis de nombreuses déclarations, de beaucoup de communication, d’une programmation pluriannuelle de l’énergie et d’une stratégie nationale bas-carbone.
Les filières industrielles infléchissent plus ou moins activement leurs stratégies pour s’adapter aux temps nouveaux. En effet, le constat s’impose à tous – je le rappelle à mon tour – : à ce rythme-là, nous ne contiendrons jamais le réchauffement dans les limites nécessaires à une planète vivable, à tel point que l’Union européenne a relevé de 40 % à 55 % le seuil de réduction des émissions.
Alors, le texte dont nous allons discuter est nécessaire, oui ! Il est important au regard des enjeux que nous avons à relever collectivement, oui ! Mais il est d’ambition faible. On le sait d’ores et déjà : ses mesures ne permettront pas d’atteindre la cible de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Mme la ministre de la transition écologique elle-même qui nous l’a confié en audition.
En réalité et sur le fond, pour le Gouvernement, ce texte est davantage dicté par la contrainte extérieure qu’il ne résulte d’une stratégie assumée de transformation et d’adaptation de la société française aux grandes mutations du monde qui sont à l’œuvre. Le phare de 2015 est bien pâle aujourd’hui. Je crois même qu’il est éteint !
Significative à cet égard est aussi la place donnée à la démocratie dans le processus de concertation.
Si nous jugeons opportune et bienvenue la méthode d’ouverture à la société civile qui a conduit aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat, nous nous interrogeons sur ce qui restera des propositions formulées. Ce devait être « du sans filtre » ; or le filtre s’est bouché entre la Convention et l’Assemblée nationale.
En outre, qu’en est-il, dans ce texte, de la prise en compte de l’acceptabilité sociale, condition indispensable à la réussite de la transition ? De bonnets rouges en gilets jaunes, on a mis les problèmes sous le tapis le temps que le soufflé retombe. Le peuple de la ruralité le sait, parce qu’il le vit au quotidien. À ce titre, rien n’est résolu sur le fond, et nous ferons des propositions pour donner à la ruralité la reconnaissance qu’elle mérite de la part de la Nation.
L’occasion nous est donnée de fonder juridiquement la notion d’aménités rurales. J’espère que notre chambre haute saisira cette occasion de reconnaître les externalités positives de la ruralité, dont bénéficient l’ensemble des Français.
De cette conversion du regard pourraient découler de nouvelles politiques en faveur des populations rurales et des agriculteurs. Or, s’il est un sujet qui nous inquiète tout particulièrement, c’est bien le développement et l’accueil des populations nouvelles en milieu rural.
Le « zéro artificialisation nette » ne doit pas brider ou annihiler les capacités d’accueil des communes rurales françaises. Or, sur ce point, la majorité de l’Assemblée nationale n’a pas pris ses responsabilités. Elle s’en tient à une démarche d’imposition verticale, définie par décret, échappant donc à tout débat démocratique, une fois de plus !
À terme, les maires et, plus largement, les élus locaux ne pourront que constater les effets négatifs d’une procédure qui leur a complètement échappé. Pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, ce n’est pas acceptable ; il ne suffit pas, comme l’a proposé la commission des affaires économiques, de s’affranchir de l’objectif pour que le problème disparaisse. Il faut, dans la négociation avec les acteurs concernés, construire un calendrier réaliste qui nous permettra d’être au rendez-vous de 2050. C’est possible, mais pas avec le texte proposé.
Nous, nous avons été constructifs et responsables sur cette question. Nous pensons que la transition écologique, l’économie agricole et les aspirations de nombreux Français à la ruralité sont compatibles et que ces dernières doivent être saisies comme une chance, comme un levier de développement.
Dans le même esprit, nous proposerons que toutes les formes de production d’alimentation de qualité soient mieux reconnues.
En matière de politique énergétique, peut-on penser un seul instant que le projet Hercule, l’affaiblissement d’EDF et de ses filiales nous permettront de mieux répondre aux enjeux de la programmation pluriannuelle de l’énergie, dont la trajectoire reste par ailleurs floue et incertaine ?
Les mesures d’accompagnement que contient ce texte ne sont pas non plus à la hauteur des difficultés du quotidien que rencontrent beaucoup de Français. Les aides au logement et à la rénovation font fi des moyens nécessaires pour les ménages de condition modeste. Nous ferons des propositions pour qu’ils soient mieux aidés.
Je l’évoquais, la question qui se pose aujourd’hui est aussi celle du débat public : il faut éviter un rejet de la société. La transition ne se fera pas sans les Français ou contre eux. À cet égard, le texte est insuffisant, et nous regrettons que nos propositions visant à développer le dialogue social aient toutes été rejetées en commission.
Pour terminer, je tiens, au nom de mon groupe, à souligner les grands manques de ce texte.
Des pans entiers de l’économie, générateurs de gaz à effet de serre, ont été laissés de côté. La gouvernance envisagée échappe largement au Parlement et aux citoyens, une fois de plus. Les questions touchant à la publicité ont été expurgées ou presque. Ce sujet tabou illustre parfaitement la difficulté à prendre en compte la dimension culturelle et anthropologique de la transition.
La clé de notre efficacité collective nationale se situe dans le pilotage des processus, la fixation d’objectifs clairs et concrets pour chaque acteur, les moyens financiers publics d’accompagnement et l’évaluation permanente. L’État doit donc aussi se remettre en question face aux enjeux de transformation de la société.
La situation budgétaire engendrée par la pandémie, intenable, se rappelle à nous. Comment allez-vous gérer la dette publique abyssale, la réduire tout en soutenant les acteurs de la transition et les Français dont la vie s’est dégradée pendant les dix-huit mois de covid ? Le « quoi qu’il en coûte » qui a prévalu jusqu’ici va-t-il être prolongé au service du financement de la transition vers un modèle socialement inclusif, que nécessitent l’urgence de la situation et le retard que nous avons déjà pris ? Où allez-vous trouver les ressources pour mener à bien, dans les temps impartis, les transitions à opérer dans les domaines les plus contributeurs au réchauffement climatique ?
Dans le secteur des entreprises et de l’économie en général, les préoccupations majeures sont la relance immédiate et la résorption de la dette covid accumulée. Dès lors, je vous le dis, ce texte ne pourra être dissocié du projet de loi de finances pour 2022, qui lui donnera, ou pas, les moyens de son existence. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Étienne Blanc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que l’influence des activités humaines sur le climat, en raison des émissions de CO2 et des gaz à effet de serre, fait l’objet d’un accord quasi unanime, il est tout de même bien curieux que le Gouvernement puisse présenter un texte si faible, qui n’atteindra pas les objectifs qu’il annonce.
Ce texte provient de la crise dite « des gilets jaunes », laquelle engendra une bien curieuse institution : la Convention citoyenne pour le climat. On dit que cette instance fut constituée par tirage au sort. Mais, lorsque le sort ouvre la porte à plus de 50 % de représentants d’associations, de militants proches des milieux environnementaux, lesquels recueillent à peine 10 % des voix aux élections nationales, on ne peut s’empêcher de penser que, finalement, le sort a de bien mauvaises manières…
Pour les Grecs, au temps de la démocratie athénienne, le tirage au sort était absolument insoupçonnable. Il n’était pas le fruit du hasard : c’étaient les dieux qui choisissaient à la place des hommes, lesquels ne pouvaient pas choisir. D’ailleurs, madame la ministre, pendant le long débat qui s’annonce, vous ne manquerez pas de nous dire à quel dieu nous devons ce résultat aussi surprenant qu’improbable !
Mais voilà que, désormais, les tirés au sort se rebellent. Ils se rebellent contre un texte qu’ils jugent notoirement insuffisant.
Les Français pensaient qu’en 2020 le palais de l’Élysée avait enfin trouvé le système démocratique idéal, celui sur lequel le monde réfléchit depuis Platon, et que le génie créatif de La République En Marche avait trouvé la martingale permettant, ainsi, de lutter contre le changement climatique. Rien que cela ! Patatras ! Cela n’a pas marché comme on l’espérait. Mais c’était à prévoir. Le constituant de 1958, lui, l’avait bien prévu, puisqu’il écrivait dans l’ordonnance du 17 novembre : « Il est interdit d’apporter des pétitions à la barre des deux assemblées. »
En fait, vous avez confondu consultation et décision. Dès lors, le texte que vous nous présentez contient une foule de mesures anecdotiques, brouillonnes et désordonnées, produites par des lobbies divers et par des associations qui, s’ils sont actifs, sont issus d’un sort sur lequel pèse évidemment le soupçon. De surcroît, nous le savons, la mise en œuvre de cette foule de mesures sera coûteuse, pour des résultats marginaux.
Ce texte contient plus de trente-cinq mesures d’interdiction, sur la base desquelles votre administration ne manquera pas de produire une réglementation foisonnante. Il va bien falloir qu’elle s’assure que les interdictions et les sanctions qui les accompagnent seront mises en œuvre. On le sait, en la matière, au ministère de l’environnement, on ne fait pas dans la demi-mesure ; en tout cas, on ne manque pas de ressources.
Pour contrôler la publicité dans les échoppes et dans les magasins ; pour former, sensibiliser, éduquer – surtout rééduquer – dans tous les domaines ; pour inspecter les cantines scolaires et leurs frigidaires ; pour s’assurer que les échantillons de parfum ne seront distribués qu’à bon escient ; pour surveiller et contrôler les agriculteurs, déjà accablés par une réglementation qu’ils n’arrivent pas à suivre, vous allez bien sûr créer des postes de fonctionnaires. Surtout, vous allez produire des normes, encore plus de normes, toujours plus de normes ! Le respect du Parlement aurait d’ailleurs mérité que vous nous fournissiez une étude d’impact précise, digne de ce nom, pour mesurer l’ampleur des conséquences financières de ce projet de loi.
Enfin, ce projet de loi est une belle occasion manquée. Vous auriez dû l’organiser en partant des sources du réchauffement climatique, qui sont aujourd’hui parfaitement identifiées, chacune contribuant à hauteur d’environ un tiers : l’habitat, le transport et l’industrie.
Nous le savons, en l’état des données actuelles de la science, c’est l’électricité qui permet d’apporter une réponse solide : utilisée directement ou indirectement avec la filière hydrogène, elle permet des activités humaines, économiques ou industrielles absolument neutres en émission de carbone. Mais, pour produire cette électricité, la filière nucléaire est indispensable, sauf à poursuivre le massacre de nos paysages, par l’implantation d’éoliennes produites d’ailleurs pour la plupart en Chine, ou par la couverture de panneaux solaires, désormais exclusivement produits en Chine eux aussi, puisque la filière européenne n’existe plus. Las, les dieux qui ont influencé le sort de la Convention citoyenne pour le climat semblaient ne pas connaître, ou en tout cas ne pas soutenir, cette filière contemporaine, qui est désormais absente du présent texte.
Alors, nous allons discuter et améliorer ce projet de loi. Nous allons travailler sur un certain nombre de mesures utiles : l’artificialisation des sols, l’écotaxe régionale ou l’isolation des logements, par exemple. Mais, d’ores et déjà, nous le savons, votre texte n’est pas à la hauteur des enjeux. Pis encore, il va créer une nouvelle déception, dans une démocratie déjà bien fatiguée ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sur ce texte, nous pourrions dire un tas de choses. Pour ma part, je ne reviendrai pas sur la problématique de l’évolution du climat ; je me focaliserai sur un élément, à savoir le renforcement de la résilience.
Je me suis amusé à regarder la véritable définition de ce mot. Originellement, la résilience désigne la résistance d’un matériau aux chocs ou, dit autrement, la capacité à surmonter les épreuves. À mon sens, ce projet de loi en donne une tout autre image : il culpabilise encore un peu plus avec arrogance, il punit encore un peu plus sans discernement, il interdit encore un peu plus sans limite et par la peur.
Dans mon métier, la résilience, je connais cela : c’est semer tous les ans sans être sûr de récolter, et pourtant toujours semer. Au lieu de punir et d’interdire, la résilience voudrait qu’on bâtisse et qu’on trouve des solutions. Je pense notamment à l’eau. Pendant des siècles, nos ancêtres ont cherché à la maîtriser, à la conserver et à la stocker. Les exemples sont légion dans l’ensemble de notre territoire : les étangs de la Dombes, les aqueducs romains ou encore le marais poitevin. Or, avec ce projet de loi, notre génération fait tout l’inverse : on détruit les ouvrages les plus vieux, les seuils qui ont fait notre force hydroélectrique. Par pur dogmatisme, on est contre, archicontre l’hydroélectricité ; on refuse de stocker l’eau pour l’irrigation ; on refuse même de l’utiliser, afin de mieux faire comprendre aux consommateurs et plus largement aux Français, s’ils ne l’avaient pas compris, qu’avec le réchauffement climatique ils seront sûrs d’une chose : c’est d’avoir soif !
Je ne comprends pas qu’on persiste dans cette politique d’interdits. En la matière, ce que nous visons sans cesse, comme si c’était une ligne directrice, c’est la destruction de notre économie. On y va par tous les moyens et tout y passe !
Tous les métiers sont dans le viseur. C’est le cas dans l’industrie. Il suffit de regarder l’évolution du prix du métal : puisqu’on n’en produit plus, on la prend directement dans la figure ; ce prix a été multiplié par deux en quinze jours ! Il en est de même dans l’agriculture : puisque nous produisons moins, nous importons ce que nous refusons de produire chez nous et, souvent, ce que nous refusons de faire chez nous.
Je suis élu d’un département où la plasturgie est un important secteur d’activité. Eh bien, on préfère importer de Chine des gobelets en carton et des couverts en bambou plutôt que de moderniser notre filière de la plasturgie ! Et tout cela pour quoi ? Pour réduire les émissions de CO2 de la France et de l’Europe, qui représentent respectivement 0,9 % et 9 % de la production mondiale.
À ce titre, vous pouvez retenir la règle suivante : moins un pays émet de CO2, plus sa balance commerciale est déficitaire. J’ai là une foule d’exemples ! La France émet 0,9 % du CO2 mondial : sa balance commerciale est en déficit de 84 milliards d’euros. L’Allemagne émet plus : elle a 200 milliards d’euros d’excédent. L’Italie émet plus : elle a 64 milliards d’euros d’excédent. Ce que je constate, ni plus ni moins, c’est que plus on punit, moins on produit.
En outre, ce sont toujours les mêmes qui trinquent : ceux qui travaillent. La suppression des lignes aériennes pour lesquelles il existe une liaison ferroviaire équivalente en moins de deux heures et demie en est l’exemple typique – vous vous en êtes même vantée, madame la ministre. Qui concerne-t-elle ? Uniquement ceux qui travaillent ! Ceux qui chercheront une correspondance pour les Caraïbes trouveront toujours un avion ! En revanche, ceux qui ont besoin d’un avion pour venir travailler à Paris seront punis : ils devront prendre le train. (Exclamations sur les travées des groupes SER et GEST.)
En parallèle, avec le « zéro artificialisation des sols », on refuse de regarder les différences entre les territoires. C’est toujours pareil : du jacobinisme à tous les étages, au prétexte que tous les territoires se vaudraient ! On fait donc du zéro artificialisation partout, sans se poser de questions.
Madame la ministre, vous avez connu le mouvement des « gilets jaunes ». Demain, on connaîtra le mouvement des rats des villes et des rats des champs : quand vous aurez interdit à la campagne de construire, qu’est-ce qui lui restera ? Elle n’aura plus qu’à crever la bouche ouverte : c’est déjà ce qu’elle fait !
Enfin, votre projet de loi, c’est toujours plus de taxes et de punitions. La taxe azote est l’exemple typique : encore un nouvel impôt, censé nous permettre d’être compétitifs par rapport à nos voisins, de limiter nos importations et de gagner notre souveraineté alimentaire.
Vous voulez faire manger du végétal à nos concitoyens ; mais, pour cela, il faut de l’azote. Je n’ai jamais vu une plante pousser sans azote, sans phosphore et sans potasse. Pour l’anecdote – j’ai fait des recherches –, sachez que, quand on mange un kilo de salade, on absorbe 1 500 milligrammes de nitrates, alors que, quand on boit de l’eau, la teneur en nitrates est limitée à 50 milligrammes par litre !
Pour conclure (Marques d’impatience sur les travées du groupe GEST.), je reprendrai ces mots prononcés par Pompidou en 1966 : « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays ! On n’en peut plus ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux ! Foutez-leur la paix ! Il faut libérer ce pays ! » Pompidou disait également (Nouvelles marques d’impatience sur les travées du groupe GEST.) :…
M. Fabien Gay. Allez, encore une petite dernière ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. Il faut conclure !
M. Laurent Duplomb. … « Comment se ruiner ? Par le jeu ? C’est le plus rapide. Par la technocratie ? C’est le plus sûr ! » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. J’appelle chacun à rester calme. Gardez vos forces, mes chers collègues, nous en avons encore pour deux semaines… (Sourires.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Barbara Pompili, ministre. Je ne reviendrai évidemment pas sur tous les points qui viennent d’être abordés : nous aurons tout le temps de le faire pendant l’examen des amendements.
Avant tout, je tiens à remercier les orateurs de cette discussion générale, qui est déjà très riche et qui est assez représentative des débats que nous avons connus à l’Assemblée nationale.
J’ai entendu des arguments dans un sens comme dans l’autre. Pour les uns, ce texte est trop symbolique, ne contient pas assez de mesures, n’imprime pas assez de changements et n’est pas à la hauteur des ambitions ; pour les autres, il contient trop de mesures punitives, qui vont « emmerder » les Français – pardon du terme –, qui vont faire beaucoup de victimes, etc.
Nous sommes face à l’éternelle question en matière de transition écologique. Certains d’entre vous l’ont rappelée : c’est celle du curseur. Comment trouver les solutions les plus adaptées face à un enjeu qui nous dépasse tous ?
Je crois que nous sommes tous d’accord sur ce point : ceux qui subiront les conséquences de ce que nous faisons, c’est nous-mêmes, un peu, mais surtout ceux qui nous suivent. Notre responsabilité est donc très grande : il s’agit de trouver les bonnes mesures pour réussir.
On a évoqué tel ou tel manque. À cet égard, il est important de rappeler que ce projet de loi s’inscrit dans le cadre de réformes plus générales, menées depuis le début du quinquennat. Certaines d’entre elles prolongeaient d’ailleurs des mesures prises précédemment. Il est donc normal que certains aspects ne soient pas développés ici, ou qu’ils le soient peu, puisqu’ils sont détaillés ailleurs. Nous avons déjà eu une loi d’orientation des mobilités ; une loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire ; une loi relative à l’énergie et au climat. Le Boston Consulting Group l’explique bien dans l’analyse qu’il a consacrée à cette réforme : si l’on regarde l’ensemble des mesures prises au cours du quinquennat, on constate que tout le spectre de l’action en faveur de la transition écologique est couvert. L’est-il suffisamment ou pas assez ? C’est un autre débat. En tout cas, aucune thématique n’a été oubliée.
Un certain nombre d’entre vous ont également évoqué l’ajout de mesures lourdes dans ce projet de loi. Il s’agit notamment du code minier et du trait de côte. C’est un choix qui a été fait en toute connaissance de cause, en voyant la fin du quinquennat arriver : sur ces deux points, nous avions besoin, d’urgence, d’actualiser notre droit face à un certain nombre de réalités qui posent problème.
Le fameux immeuble du Signal, bien connu d’un certain nombre d’entre vous, montre la réalité du recul du trait de côte et des problèmes qu’il entraîne dans les territoires. Nous avons besoin d’adapter notre droit très vite.
Il se trouve que des parlementaires, notamment des députés, mais aussi des sénateurs, ont beaucoup travaillé sur cette question, si bien que les textes étaient prêts : il suffisait de trouver le moment législatif opportun. Nous avons saisi l’occasion qui se présentait à nous.
S’agissant du code minier, le sujet me tient particulièrement à cœur, parce que, comme un certain nombre d’entre vous, je suis issue du bassin minier et je sais ce qui s’y passe. Mes grands-parents étaient tous deux mineurs, je vois très bien quel est le sujet aujourd’hui, c’est une des raisons pour lesquelles je considère que l’on ne peut plus traîner pour réformer ce texte.
Nous étions, en outre, confrontés à des litiges concernant, par exemple, la Montagne d’or, un projet compliqué en Guyane. Cela démontre que notre droit n’était plus adapté et qu’il fallait très vite le modifier en conséquence.
À mon sens, nous avons réussi à trouver un équilibre à l’Assemblée nationale sur cette question, dans la mesure où une grande majorité des points importants du code ont été inscrits en dur dans le projet de loi, l’ordonnance renvoyant surtout à du nettoyage de texte.