M. le président. La parole est à M. Joël Bigot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Joël Bigot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, malgré toutes les précautions de langage de Mme la ministre, je crois bien que nous nous dirigeons vers une nouvelle défaite dans la lutte contre le réchauffement climatique. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, que j’ai l’honneur de représenter, tentera bien sûr d’améliorer ce texte, qui ne transcrit que très fébrilement les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, sans compter les jokers pavloviens du Président de la République.
Née du mouvement des « gilets jaunes », cette expérience inédite de démocratie participative a fait naître des attentes et des espérances qui seront déçues en l’état actuel du texte. Missionnés par le Premier ministre d’alors, nos héliastes contemporains ont planché durant des mois sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et sur la justice climatique avec les meilleurs experts dont dispose le pays, si bien que leur rapport et leurs propositions concrètes touchent là où le bât blesse : information du consommateur, régulation de la publicité, rehaussement des engagements des entreprises, décarbonation des mobilités, rénovation thermique des logements, transition agroécologique, pénalisation des atteintes à l’environnement.
Or nous constatons que la justice sociale est la grande absente de ce texte. La titulature de votre ministère devrait pourtant rappeler à chacun la nécessité d’une transition écologique et solidaire. Le refus initial d’une taxation sur les dividendes, proposée par la Convention, annonçait cette coupable lacune que les rapporteurs pointent à juste titre.
Une nouvelle fois, vendredi dernier, lors d’une audience au Conseil d’État, le rapporteur public a estimé que la plus haute juridiction administrative devait ordonner à l’exécutif d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national pour respecter les objectifs que nous avions fixés durant le quinquennat précédent. Cette injonction, prononcée juste avant l’examen du projet de loi Climat dans cet hémicycle, replace utilement nos débats.
Nous sommes nombreux sur ces travées à espérer des évolutions significatives du Gouvernement. Nous représentons une majorité de Français qui souhaitent que leur pays retrouve la voie d’un leadership écologique. C’est le moment, madame la ministre, d’accorder vos discours d’autocongratulation à l’efficacité des mesures de ce texte.
D’ici à la fin du mois de juin, le Conseil d’État pourrait ainsi rejoindre l’ensemble des organismes consultés qui jugent plus que sévèrement la copie gouvernementale : le CESE, le Haut Conseil pour le climat, le Conseil national de la transition écologique ont tous désavoué la faible ambition de ce projet de loi au regard de la SNCB. Vous me permettrez de considérer que ces instances, moins conciliantes que le cabinet d’affaires Boston Consulting Group, sont bien plus dans le vrai. C’est en s’appuyant sur leur expertise démocratique et transparente que nous défendrons, lors du débat, des amendements structurants.
En matière d’information du consommateur, traitée dans le titre Ier, nous plaidons pour un affichage unique, simple à comprendre pour le citoyen-consommateur désireux de connaître la valeur environnementale de ses achats.
Par ailleurs, cela ne vous surprendra guère, l’inclusion de critères sociaux, de respect des droits humains dans la fabrication des biens et des services nous paraît essentielle. La responsabilité écologique ne peut s’émanciper d’une responsabilité sociale faisant fi des conditions de travail. À l’heure de la casse du droit du travail par les plateformes numériques, il est temps de redonner aux citoyens les moyens d’une consommation éthique et durable.
En outre, il convient d’encadrer plus farouchement la publicité en dépassant les simples engagements volontaires, de mettre en adéquation les messages publicitaires et les objectifs de développement durable, quel que soit le support, afin d’éviter un déport de la publicité carbonée vers internet. Parallèlement, nous défendrons la création d’un fonds pour une publicité responsable dans le but de développer l’écoresponsabilité et d’influer sur les comportements.
Nous insisterons aussi sur les délais des mesures proposées. Il est majeur de les raccourcir pour accélérer la transition et donner un calendrier de conversion clair aux acteurs privés, qui sont d’ailleurs nombreux à se saisir de l’enjeu écologique. Fixer un cap trop lointain affaiblit les stratégies de décarbonation et laisse trop de portes ouvertes au détricotage légistique, tandis que des objectifs rapprochés obligent à l’action concrète. C’est à la collectivité qu’il revient de définir la trajectoire, d’où, par exemple, notre volonté d’accélérer encore l’interdiction des plastiques à usage unique ou la rénovation thermique. Cela peut s’apparenter à une lapalissade, mais nous connaissons bien ici toute la force qu’à une date inscrite dans la loi.
Sur le volet « Produire et travailler », on ne peut que regretter les coupes sèches de la majorité sénatoriale. À l’issue des travaux en commission, il ne reste quasiment plus rien du dialogue social et des clauses d’insertion dans les marchés publics, pourtant adoptées à l’Assemblée nationale. Ainsi, pour dessiner un chemin différent entre ces deux majorités, nous porterons l’attention sur le développement de l’économie sociale et solidaire, qui, localement, constitue un outil efficace pour une transition écologique et inclusive. Pour anticiper les efforts, nous défendrons la création d’une stratégie nationale concertée de programmation des emplois et des compétences de la transition écologique pour garantir la résilience de notre système économique – elle est si peu envisagée dans ce texte.
En faveur de la résilience et de la justice sociale, nous souhaitons créer une garantie à l’emploi vert. La démarche des territoires zéro chômeur de longue durée entamée sous le précédent quinquennat a fait ses preuves. Nous proposerons de nous en inspirer en développant massivement les éco-activités, pour ainsi réconcilier politique de l’emploi et transition écologique.
Le titre III a recueilli toute notre attention, car les mobilités figurent en bonne place de nos émissions de gaz à effet de serre. Favoriser les transports durables représente un enjeu immense pour lutter contre notre dépendance aux énergies fossiles. Développer les frets ferroviaire et fluvial – grands absents du texte – en créant une redevance kilométrique nationale pour les poids lourds, renforcer le malus par rapport au poids des véhicules, réaffirmer le principe du « pollueur-payeur » acté par la loi de 2015, accompagner les ménages modestes pour renouveler leur voiture : voilà les solutions que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain défendra ; elles constituent une alternative étayée et argumentée face à l’immobilisme.
Je veux enfin évoquer l’abandon du crime d’écocide, issu d’une proposition de loi de notre collègue Jérôme Durain. Le sujet est le respect du vivant et l’habitabilité de la Terre : si nous voulons mettre fin à l’impunité écologique, ceux qui s’y attaquent doivent en payer les conséquences.
« À long terme, nous serons tous morts », disait Keynes, pour expliquer l’horizon temporel des économistes. Dans « le temps du monde fini » dont parlait Paul Valéry dès 1931, nous n’avons pas d’autres moyens que de ménager les ressources naturelles pour les générations futures. Là est le réalisme écologique, là est la véritable révolution culturelle qui, pour quelque temps encore, échappe aux tenants de l’immobilisme.
Nous tenterons, malgré tout, de vous convaincre pour que le Sénat s’inscrive dans la poursuite de la loi AGEC et démontre un volontarisme écologique à la hauteur des enjeux et de nos objectifs climatiques. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Didier Mandelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous y sommes ! Il aura fallu attendre deux ans, depuis l’annonce faite par le Président de la République de la création de la Convention citoyenne pour le climat, en avril 2019, pour que le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets puisse être débattu dans notre hémicycle. Ce projet de loi intervient après une série de textes qui ont amorcé, depuis plus de dix ans, chacun à leur niveau, la transition énergétique et écologique de notre pays.
Depuis 2018, nous avons examiné deux textes importants relatifs à la transition écologique et énergétique : la loi d’orientation des mobilités et la loi AGEC. Le présent projet de loi, lui, traduit l’aspiration des Français à vivre dans un environnement préservé, à se déplacer et à consommer différemment. Avant tout, il permet au Président de la République de cocher la case « climat ».
La transition écologique est nécessaire, mais elle ne saurait être contraignante. Elle doit tenir compte des réalités économiques et sociales de notre pays ; c’est la définition même du développement durable. C’est au législateur que revient la tâche de définir ce qui est à la fois indispensable, raisonnable et acceptable. C’est un subtil équilibre. Nous devons être attentifs à ce que la transition ne devienne pas l’exclusion. C’est pourquoi le fruit de nos travaux ne saurait être frappé du sceau du dogmatisme. Je l’ai souvent dit dans cet hémicycle, ce chemin vers une économie décarbonée et respectueuse de l’environnement ne se fera pas sans intégrer l’ensemble des acteurs et chacun de nos concitoyens dans les réflexions et dans l’action.
Pour en venir au texte, je dirai que ce dernier souffre de sa construction difficile et des attentes qu’il a légitimement suscitées. La Convention citoyenne pour le climat a fait part de sa déception quant à la prise en compte par le Gouvernement des mesures qu’elle avait proposées, les jugeant insuffisantes et déplorant une forme de trahison puisque le Président de la République s’était engagé à les reprendre « sans filtre ».
Selon l’avis rendu par le Haut Conseil pour le climat, ce projet de loi manque de portée stratégique et ne contribuerait pas à atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Lors de son audition au Sénat dans le cadre du projet de loi constitutionnelle, j’ai fait part au garde des sceaux d’une certaine incohérence entre la volonté affirmée de modifier la Constitution sur la question environnementale et ce texte, taxé d’être insuffisant par presque tous les acteurs. Ce n’est donc pas une surprise si le projet de loi, qui comptait 69 articles lors de son dépôt à l’Assemblée nationale, a été transmis au Sénat avec 218 articles, soit plus du triple.
Je rappelle, une fois de plus, que le temps dont nous avons disposé pour examiner ce texte est tout simplement insuffisant. Pour preuve, le Gouvernement n’a pas eu la possibilité d’évaluer l’impact environnemental des nouvelles mesures votées à l’Assemblée nationale, et ce malgré les recommandations du Haut Conseil pour le climat.
Je dois vous avouer que, en examinant la nouvelle version de ce texte, j’ai été d’abord frappé par la faible portée normative des différentes dispositions. On navigue très souvent entre des mesures symboliques ou anecdotiques ; je pense notamment à la suppression de la publicité aérienne et aux nombreuses demandes de rapport.
Les objectifs fixés par l’accord de Paris sur le climat – réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici à 2030 par rapport à 1990 et neutralité carbone d’ici à 2050 – semblent tout simplement inatteignables au regard de la portée normative du texte. Nous avons souhaité mettre l’accent sur ce manque d’ambition à travers un amendement tendant à insérer un article additionnel avant le titre Ier A, rédigé collectivement et soutenu par la plupart des groupes politiques.
Il n’est pas dans les habitudes du Sénat de se résigner devant un projet de loi dont l’étude d’impact comporte de nombreuses zones d’ombre. Le Haut Conseil pour le climat a demandé au Parlement de compléter et d’améliorer la portée des mesures : c’est ce que nous avons décidé de faire ici. Nous avons souhaité, via le travail en commission, redonner au texte une véritable ambition ; en bonne intelligence et en responsabilité avec tous les groupes politiques, nous en avons retravaillé chaque aspect.
À ce titre, je souhaite saluer le travail des commissions saisies au fond et pour avis, de mes collègues rapporteurs, en particulier Marta de Cidrac, Philippe Tabarot et Pascal Martin pour la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qui ont eu à entendre et à examiner les positions de plus de deux cents acteurs. Je tiens également à saluer le travail essentiel accompli par les personnels du Sénat, notamment ceux de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ; je les remercie de leur mobilisation.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 1 960 amendements ont été déposés en commission, 697 ont été adoptés. Je n’oublie pas les 1 800 élus locaux qui se sont mobilisés sur ce sujet via une consultation en ligne proposée par le Sénat. Si nous avons le rôle de définir la politique en matière de transition écologique, ces élus ont, quant à eux, la tâche de la décliner dans nos territoires et sont une force de proposition.
Ce travail d’écoute et ces nombreuses modifications permettent, avant l’examen en séance publique, de présenter un texte davantage en adéquation avec les objectifs climatiques. Je ne reviendrai pas sur les mesures votées en commission, qui ont été détaillées, pour la plupart, par les différents rapporteurs.
Les présidents de groupe de la majorité sénatoriale, les présidents de commission et les rapporteurs ont su traduire la volonté du président du Sénat d’aboutir à une position équilibrée qui réponde aux objectifs fixés dans le cadre des négociations climatiques internationales et aux impératifs économiques et sociaux. Les débats qui vont suivre devraient conforter ces orientations – je m’en félicite !
Mes chers collègues, madame la ministre, je vous remercie par avance de votre présence et de vos riches contributions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Stéphane Demilly. Madame la ministre, le groupe Union Centriste est globalement d’accord avec les grands objectifs de votre projet de loi. Nous vous trouvons courageuse et pugnace dans cette vaste entreprise de vous attaquer, à juste titre, au mur solidifié par le temps d’un certain nombre d’habitudes et de comportements, dont on mesure dorénavant, au vrai sens du terme, combien ils sont inadaptés et néfastes pour notre environnement. Mais – car il y a un « mais » – être d’accord sur les objectifs ne signifie pas approuver les moyens employés pour les atteindre.
Nous siégeons dans un hémicycle parlementaire national qui légifère sur des textes concernant 67 millions de personnes, alors que notre belle planète – nous partageons tous l’envie de la rendre plus belle et plus vivable – est peuplée par près de 8 milliards de Terriens… Nous légiférons donc sur le comportement de 0,8 % de la population mondiale, alors que nos débats ont pour objet des pollutions d’ampleur internationale qui circulent – c’est le cas de le dire –, au gré du vent, par-delà les frontières.
Cette lapalissade vise à ne pas perdre de vue qu’un comportement national vertueux, dans un pays aussi beau et regardé soit-il, n’aura que peu d’effets concrets face à l’évolution du réchauffement climatique mondial et à ses dramatiques conséquences sur la biodiversité. Mais, me rétorquerez-vous, et vous aurez raison, ce n’est pas parce que les autres feignent d’ignorer leurs responsabilités individuelles que nous pouvons nous exonérer des nôtres. Même si j’apprécie la métaphore du colibri de Pierre Rabhi, je pense néanmoins, en l’occurrence, que donner l’exemple ne suffira pas.
Une fois de plus, j’entends bien le rôle moteur et déclencheur que vous souhaitez voir jouer par notre pays ; c’est en cela que je trouve votre démarche audacieuse et courageuse. « Chacun rêve de changer l’humanité, mais personne ne pense à se changer lui-même », disait Léon Tolstoï… Néanmoins, ne balayons pas d’un revers de main les éventuels impacts économiques que peuvent avoir de sages et légitimes décisions, prises de façon solitaire dans un univers économique impitoyablement concurrentiel.
L’équation n’est donc pas simple : comment agir localement pour être en adéquation avec ses convictions et contribuer à donner l’impulsion aux autres, sans pour autant se sacrifier corps et âme, notamment sur le plan économique ?
À l’occasion de cette discussion générale, il me paraissait nécessaire de resituer le contexte global des débats que nous allons avoir, en rappelant qu’avoir raison tout seul est loin de nous garantir une place au paradis… Je vais essayer de traduire de façon plus précise mes propos.
En 2020, 34 milliards de tonnes de CO2 ont été émises dans le monde. Cela représente une baisse historique de 2,4 milliards de tonnes par rapport à 2019. Malheureusement, cette chute est liée non pas à la qualité des décisions législatives des 195 pays de notre petite planète, mais bel et bien à une situation pandémique conjoncturelle durant laquelle, cloîtrés à domicile, nous avons assisté à une baisse de 3,4 % du PIB mondial – du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale !
Cette corrélation éclatante entre les analyses environnementales et économiques apporte d’ailleurs de l’eau au moulin, si j’ose dire, des partisans de la décroissance. Nous ne pouvons pas l’ignorer, même si nous sommes nombreux sur ces travées à partager le souhait d’une croissance différente, d’une croissance revisitée, d’une croissance responsable, d’une croissance intelligente, d’une croissance soucieuse de l’avenir… Mais d’une croissance quand même ! En d’autres termes, nous préférons un développement qualitatif partagé à une course égoïstement effrénée à la croissance quantitative.
Comme au siècle des Lumières, lors duquel la France a joué un rôle moteur pour dépasser l’obscurantisme et promouvoir la connaissance, l’idée qu’elle soit aujourd’hui un guide mondial sur le chemin vertueux du progrès responsable paraît assez séduisante. Cela répond à l’appel à la cohérence de Michel de Montaigne, qui prônait une harmonie entre le « dire » et le « faire ».
Mais tout de même, madame la ministre, comment ne pas regretter que ce ne soit pas nos institutions internationales qui prennent le lead devant de tels enjeux planétaires ? Comment raisonnablement tenter de résoudre localement un problème planétaire ? Sans aller jusqu’à la gouvernance mondiale, il est vraiment regrettable que nous n’ayons pas a minima une approche partagée et décisionnelle à l’échelle de l’Union européenne. Cela aurait eu plus d’allure, et l’effet d’entraînement aurait été nettement plus contagieux. Mais là, rien !
Notre vieux continent est aux abonnés absents. Il ne peut pas déclencher de dynamique sur le sujet, puisqu’il n’est ni exemplaire, ni cohérent, ni volontaire, ni solidaire. Il faut donc encore et toujours remettre l’ouvrage sur le métier européen. C’est pour cela que je remercie les présidents Longeot et Marseille d’avoir rappelé, par le biais d’un amendement tendant à insérer un article additionnel avant le titre Ier A, l’adhésion déterminée de la France au cadre climatique multilatéral qu’elle a, plus que n’importe quel autre pays, contribué à établir.
Je veux prendre un seul exemple, lourd de sens. Notre voisin et meilleur allié européen, l’Allemagne, qui émet à elle seule un quart des émissions de CO2 de l’Union européenne, a sur son territoire une quarantaine de centrales à charbon. Or je vous l’ai dit lors d’un échange en commission, et j’avais d’ailleurs initialement du mal à le croire, une seule centrale à charbon allemande émet plus de CO2 que tout le trafic domestique et international de l’aviation française. Tout est dit !
Une fois de plus, il est louable de dénoncer combien il est stupide de maintenir trois ou quatre lignes aériennes quand on peut effectuer le même parcours aussi vite en train, sans formalités de contrôle chronophages, sans dépenses onéreuses de parking et en étant écologiquement responsable. Sauf que ces lignes ne représentent qu’un pourcentage infime de la totalité du transport aérien, qui lui-même n’est responsable que de 0,8 % des émissions totales de gaz à effet de serre… Devant cette décision aux conséquences environnementales epsilonesques, mais qui génère des crispations pour des raisons plus légitimes que vous ne l’imaginez – nous en reparlerons lors de l’examen de l’article 36 –, on est en droit de se demander si, en définitive, elle ne relève pas du registre des décisions cosmétiques.
Madame la ministre, je souhaitais, à l’occasion de cette discussion générale, vous alerter sur les risques que nous prendrions à être les pionniers de décisions légitimes mais solitaires. Le groupe Union Centriste abordera ce texte de façon constructive, tout en regrettant, j’y insiste, l’absence de coordination européenne sur ces grands sujets environnementaux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Yves Bouloux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Yves Bouloux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au XXIe siècle, la lutte contre le dérèglement climatique est certainement l’enjeu le plus crucial de l’humanité. Comment pourrons-nous gérer une planète portant à peu près 7,8 milliards d’hommes et de femmes ? Le climat est une sorte de compteur que l’on relève, tributaire essentiellement des activités humaines et de la démographie ; ces deux éléments sont au cœur du sujet.
Depuis toujours, l’être humain cherche à améliorer son sort. Au fil du temps, des avancées notoires sont apparues. Cependant, c’est avec l’ère industrielle que le démarrage exponentiel fut lancé : au progrès indéniable, accompagné des inconvénients du système tels que les pollutions et les gaspillages, a succédé un développement difficile à contrôler.
Face à une situation considérée comme alarmante, le Conseil et le Parlement européens veulent parvenir à la neutralité climatique en 2050 et atteindre les objectifs renforcés de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Sur la scène internationale, les principaux États déclarent faire un effort significatif : les États-Unis de Joe Biden, le Royaume-Uni, le Canada, le Japon, la Chine, la Russie. Ce sont de bonnes nouvelles, si toutefois les promesses sont tenues.
Le texte issu de la première lecture à l’Assemblée nationale laisse à désirer, pour ne pas dire plus. Point cocasse : il se veut lutter contre le dérèglement climatique alors qu’aucune décision sur l’énergie n’est prise.
On retrouve la mauvaise idée de modifier des dispositions législatives récentes qui posent problème. Comment légiférer sérieusement dans l’instabilité ? C’est le cas, par exemple, des Sraddet, des zones à faibles émissions mobilité, de la loi Égalim, avec les nouvelles expérimentations des menus végétariens, le diagnostic de performance énergétique (DPE), etc. En outre, les collectivités territoriales, pour intégrer un objectif en matière d’artificialisation des sols, devront revoir leurs documents d’urbanisme, ce qui ne sera pas sans coût.
Le logement est particulièrement important dans notre société, mais, une fois encore, on ne prend pas en compte la demande de nombreux locataires. Rénover les passoires thermiques est une évidence, mais comment y procéder quand les aides ne sont pas là ? Par ailleurs, pour les propriétaires immobiliers, en particulier les copropriétaires, les obligations pèsent lourdement. Quant à l’exclusion du marché locatif des biens classés F et G en 2028, comment va-t-on gérer et financer les 1,5 million de logements concernés ?
Enfin, la ruralité et l’agriculture sont encore malmenées. Nos concitoyens ruraux ne disposent généralement pas de transports en commun ; ils ont accès, au mieux, à des services très lacunaires. Par conséquent, seule la voiture est source de mobilité. En outre, dans nos campagnes reculées, les salaires sont notoirement faibles. Si les véhicules plus décarbonés sont une excellente chose, il faut laisser du temps, à moins que le Gouvernement ne décide de renflouer les émoluments des citoyens pauvres… Quant à l’objectif « zéro artificialisation nette », ce sont essentiellement les territoires ruraux qui seront encore perdants en termes d’attractivité et de développement.
La majeure partie de notre population ne connaît plus l’agriculture. Si, en d’autres temps, de véritables abus de pesticides ont existé, nous en sommes aujourd’hui bien loin. Nos agriculteurs font un travail excellent, l’agriculture française est un modèle, mais les Français ne le savent pas !
Alors, le texte de l’Assemblée nationale, technocratique, quelque peu hors sol, avec ses panoplies de taxes et d’interdits, souffle un relent de « gilets jaunes » : prenons garde ! Le projet de loi arrive ce jour en séance à la Haute Assemblée. À l’issue de la première lecture des débats sénatoriaux, il serait étonnant de trouver un consensus parfait. Mais, compte tenu de l’enjeu, je souhaite vivement que nous puissions nous accorder au moins sur les sujets cruciaux. Cela représente du travail pour le Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte, adopté par l’Assemblée nationale, a fait l’objet de l’un des plus longs débats parlementaires de la Ve République. Félicitons, d’entrée, le travail réalisé par nos collègues députés.
Nous nous apprêtons à notre tour à examiner 2 200 amendements, dans une période très particulière : alors que la sortie progressive de la crise sanitaire et la campagne vaccinale se poursuivent, se tient la campagne en vue de l’élection des représentants de nos départements et de nos régions. Ces collectivités jouent et joueront un rôle fondamental dans ces politiques environnementales ; mon groupe et moi-même défendrons plusieurs amendements les concernant, sur des problématiques littorales, maritimes, rurales, urbaines, en attendant l’examen du projet de loi 4D.
L’ère que nous vivons est singulière : le réchauffement climatique ne cessera plus jamais de préoccuper les citoyens et les responsables que nous sommes. Face à cet autre état d’urgence, ce texte entend apporter des réponses très concrètes. Mon groupe tient, en introduction, à saluer l’engagement du Gouvernement – le vôtre en particulier, madame la ministre – et celui des rapporteurs des commissions saisies au fond et pour avis.
L’objectif, sur toutes les travées, est commun : faire de l’écologie notre quotidien, du lever au coucher, à notre domicile, dans la rue, dans les transports, au bureau, dans nos assiettes, dans les salles de classe, lors de nos courses ; bref, dans toutes nos activités. Nous partageons aussi un état d’esprit qui se veut positif et constructif.
Traduction de la Convention citoyenne pour le climat, ce texte fait suite à un exercice démocratique inédit. Certaines mesures sont déjà actées – elles ne relevaient pas toutes de la compétence du législateur –, d’autres vont être abordées dès ce soir, avec pour perspective la recherche aussi nécessaire que difficile d’une écologie non pas punitive, mais incitative.
Il s’agit de rechercher un point d’équilibre pour que la protection de l’environnement ne s’oppose pas au social, à cet autre impératif, celui de relever ensemble ces immenses défis. Qu’ils habitent les monts d’Arrée, l’île de Sein, la Cornouaille ou le centre de Paris, il est nécessaire d’accompagner financièrement celles et ceux qui en ont le plus besoin. Nous devons avancer avec détermination, en échangeant constamment avec tous les acteurs concernés, quitte à trouver des compromis.
J’ai suivi les débats à l’Assemblée nationale. Sur la problématique des lignes aériennes, les différences de position au sein même de certains groupes m’ont marquée. Où mettre le curseur ? Je voudrais rappeler ce qui semble être deux vérités.
J’entends souvent qu’en matière climatique nous n’aurions pas fait assez par le passé ; nous pouvons tous ici le reconnaître. Le Conseil d’État vient d’ailleurs de le rappeler. Il nous faudra toujours aller plus loin, et ce sur chaque texte. J’entends parfois aussi que notre majorité ne serait pas au rendez-vous. Je ne peux être d’accord : l’année dernière, pour la première fois, nous avons adopté un budget vert. La France est le seul pays à l’avoir fait. Elle est désormais une référence incontournable.
Le plan de relance, voté en réponse à cette période économique si compliquée et rendu possible grâce à l’action de la France, réserve 30 milliards d’euros à la transition écologique ! La hausse sensible du budget est vouée à financer des baisses, celles de nos émissions de CO2, du rythme de bétonisation des sols, du nombre de vols intérieurs, de véhicules les plus polluants en ville, de logements très énergivores.
Il faut le dire, nous ne sommes pas seuls, nous devons nous battre à l’échelle internationale. La présidence française de l’Union européenne au premier semestre de l’année 2022 sera l’occasion, avec nos amis européens, de porter haut la voix de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)