M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. C’est vrai !
M. Rémi Féraud. Ces règles, cumulées avec l’article 40 de la Constitution, d’une part, et la définition relativement limitative du domaine des lois de finances, d’autre part, rendent le travail parlementaire très contraint.
Je veux évoquer une limite forte au rôle des parlementaires, illustrée récemment par le report de près de 40 milliards d’euros de crédits de 2020 à 2021. En effet, nous ne votons qu’une autorisation de dépense, que le Gouvernement demeure parfaitement libre de ne pas engager entièrement. Il ne se prive d’ailleurs pas de le faire, lorsqu’il le juge opportun, et sans véritablement consulter le Parlement.
C’est là un point qu’il convient de souligner et qui devrait nous pousser, à mon humble avis, à donner beaucoup plus d’importance, chaque année, à la discussion de la loi de règlement.
M. Gérard Longuet. Exactement !
M. Rémi Féraud. Le débat que nous avons eu dans cet hémicycle sur le plan de relance, cet automne, a bien montré les limites de notre rôle. C’était uniquement parce que des crédits très importants étaient inscrits au sein de la mission « Plan de relance » que, d’une manière exceptionnelle, nous avons pu faire preuve d’initiative.
Mais, même dans ce cadre, nous ne sommes pas vraiment parvenus à faire bouger les choses… L’étude du plan de relance a certes permis la tenue de débats de fond sur les moyens mis en œuvre pour sortir de la crise, mais, à montant égal de crédits budgétaires, cela n’a pu avoir de conséquences réelles sur la mission adoptée, même au Sénat.
J’en viens maintenant à l’accès à l’information. L’ennemi de l’analyse et de la décision politiques n’est pas le manque d’informations mais, en l’occurrence, le trop-plein d’informations.
La proposition de loi organique présentée à l’Assemblée nationale par Laurent Saint-Martin et Éric Woerth, relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, dresse le même constat. Les milliers de pages que constituent le projet de loi, les rapports budgétaires, les jaunes, bleus, oranges et autres questionnaires budgétaires rendent parfois difficile la vision politique pour les parlementaires, sans parler de la transparence et de l’accès à l’information pour les citoyens. Mais les propositions formulées ne sont pas suffisantes, car elles restent très techniques, là où l’enjeu est politique.
Quant au rapport Arthuis, il recommande d’appliquer des critères financiers très stricts que nous ne pouvons pas approuver, surtout dans le contexte actuel et au moment où le pacte de stabilité européen est suspendu. La tentation d’un pacte de stabilité français est réelle, mais le mettre en place serait un non-sens tant démocratique qu’économique ; le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne pourrait que s’y opposer.
Nos débats déjà fort contraints doivent-ils l’être davantage, en ajoutant de nouvelles règles limitatives sur les déficits et la dette publique ? Pourquoi cette volonté, que l’on sent poindre jusqu’au sein du Gouvernement, de clore dès à présent le grand débat sur la dette publique, alors que, au contraire, le contexte économique et social nécessite de le prolonger et de l’approfondir, ainsi que de faire émerger de nouvelles solutions ?
Mes chers collègues, le débat qui nous anime aujourd’hui est propre à la Ve République et au parlementarisme rationalisé, mais il a pris encore plus d’acuité eu égard à la pratique constatée sous ce quinquennat. Si nous devons réduire un déficit, c’est bien le déficit démocratique de nos institutions, dans leur pratique actuelle. La crise que nous traversons, qui remet en cause notre modèle, et les échéances électorales de 2022 n’en sont-elles pas l’occasion ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, comme l’a affirmé Pascal Savoldelli, l’idée générale qui sous-tend ce débat est que le rôle du Parlement, plus précisément du Sénat, serait restreint dans l’élaboration des lois de finances. C’est vrai si l’on s’en tient à l’actualité. Mais le Parlement conserve tout de même un rôle – je veux vous le démontrer.
Historiquement, le rôle du Parlement dans l’élaboration des lois de finances a toujours existé et il a été en quelque sorte consacré par la LOLF. En effet, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dans ses articles XIII, XIV et XV, affirme l’idée que la Nation, par sa représentation parlementaire, a le droit de consentir les impôts, d’en constater la nécessité et d’en suivre l’emploi, ainsi que de demander des comptes à son administration.
Cependant, dans la pratique, on remarque un effacement du Parlement au profit du Gouvernement, comme le constatait déjà Christian Poncelet en 2001, à l’occasion d’un colloque organisé au Sénat sur le thème de l’évolution du rôle du Parlement dans le processus budgétaire.
Pour le président Poncelet, cet effacement serait dû au fait majoritaire, lequel conduit à « une étroite harmonie de pensée entre le gouvernement en place et la majorité des députés qui le soutiennent ». Dès lors, il s’interrogeait sur la capacité de l’Assemblée nationale à contrôler l’action budgétaire du Gouvernement. Mais, en miroir, il pensait que le Sénat avait un rôle spécifique à jouer dans le contrôle budgétaire, à savoir de vérifier l’adéquation des moyens budgétaires aux besoins de l’action de l’État.
La promulgation de la LOLF, le 1er août 2001, a réaffirmé le rôle historique du Parlement dans l’élaboration des lois de finances. Ce texte consacre l’information du Parlement : justification par le Gouvernement de ses dépenses dès le premier euro ou encore organisation des dépenses par mission, avec des objectifs précis pouvant faire l’objet d’un contrôle.
Mais il faudra attendre la loi organique du 15 avril 2009 pour que les articles des projets de loi de finances fassent l’objet d’évaluations publiées. Ces dernières sont formalisées et chaque rubrique doit être remplie « avec le plus grand soin », selon les termes d’une circulaire de juin 2009, ce qui n’est pas toujours le cas lorsqu’on les examine dans le détail.
Si l’on se fie à l’actualité, le Parlement a, en pratique, un rôle assez limité. C’est ce que l’opinion publique et, peut-être aussi, les sénateurs ont ressenti quinze ans après l’entrée en vigueur de la LOLF.
Dans un éditorial de décembre 2020, j’écrivais : « Il s’agit de mon troisième PLF, duquel se dégage l’impression forte de voir rejouer la même mauvaise pièce que les années précédentes. Un Sénat constructif, des débats riches, des amendements adoptés à l’unanimité, puis… plus rien. »
Si l’on considère strictement le périmètre des lois de finances, la majorité des amendements adoptés par le Sénat sont supprimés en nouvelle lecture. Lors de l’examen du PLF pour 2021, quelque 600 amendements avaient été votés par le Sénat ; l’Assemblée nationale avait repris intégralement 147 d’entre eux ; mais il s’agissait essentiellement d’amendements rédactionnels.
Sur le fond, il reste assez peu des apports du Sénat. C’est notamment pour cette raison qu’il n’y a pas de nouvelle lecture du PLF au sein de notre hémicycle, puisque l’on constate des désaccords qui ne pourraient pas être surmontés.
Ce rôle limité du Parlement dans l’opinion publique tient sans doute au fait que certains ministres sont absents lors de l’examen du PLF, en général, et de ses crédits budgétaires, en particulier. Cette critique ne s’adresse pas à vous, monsieur le ministre ; je l’ai déjà affirmé à plusieurs reprises, nous étions heureux de vous voir venir débattre régulièrement avec nous.
Comme l’a rappelé Rémi Féraud, l’initiative parlementaire est fortement encadrée par la Constitution. Au-delà de son article 40, que nous connaissons tous, son article 42 prévoit que le texte présenté en séance publique est non pas le texte de la commission, mais celui du Gouvernement. Tel n’était pas le cas sous les IIIe et IVe Républiques.
Si la révision constitutionnelle de 2008 a bien élargi les pouvoirs du Parlement, c’est le cas pour tous les textes, excepté ceux qui présentent un caractère financier. L’article 47 de la Constitution, quant à lui, encadre le temps de travail du Parlement en ce qu’il limite à 70 jours le délai qui lui est accordé pour voter le projet de loi de finances.
Je voudrais terminer par une note positive en évoquant le rôle d’aiguillon que joue le Parlement, tout particulièrement le Sénat, dans la mise en œuvre de la politique.
Le précédent rapporteur général de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, se plaisait à dire que le Sénat a souvent raison trop tôt. Plusieurs exemples peuvent illustrer son propos.
Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, Jean-François Husson, alors simple sénateur de Meurthe-et-Moselle, avait anticipé le futur mouvement des « gilets jaunes », en évoquant le précédent mouvement des « bonnets rouges ». Pascal Perrineau explique cela par le fait que les sénateurs entretiennent des liens très étroits avec leur territoire, ce qui leur donne une capacité à sentir comment les choses peuvent évoluer.
La lutte contre la fraude à la TVA est un autre exemple. Lors de l’examen du PLF pour 2020, je vous faisais remarquer, à cette tribune, que le Sénat l’avait adoptée dans le PLF pour 2019, que l’Assemblée nationale avait rejeté les propositions faites par la commission des finances en la matière, pour finalement les retenir un an plus tard.
Dernier exemple : le dispositif de carry back. Nous l’avions voté ici l’an dernier, lors de la discussion des projets de loi de finances rectificatives, et nous y serons confrontés de nouveau quand nous examinerons le projet de loi de finances pour 2022.
Tous ces exemples peuvent donner aux citoyens le sentiment d’une perte de temps dans la mise en place de ces différentes réformes. Au-delà de la séance publique, le véritable travail des parlementaires, c’est le contrôle du Gouvernement, qui s’effectue tout au long de l’année.
Nous déplorons que trop peu de temps soit consacré à l’examen de la loi de règlement, alors qu’il nous permet de critiquer certaines dérives. Ne retombons pas dans les travers du début du siècle précédent : il a fallu attendre 1936 pour que les comptes de l’exercice de l’année 1915 soient formellement adoptés.
M. Jérôme Bascher. Il y a eu une petite guerre entre-temps…
Mme Christine Lavarde. Pour l’ensemble de ces raisons, nous suivrons avec attention les propositions visant à faire évoluer le cadre de discussion des lois de finances, mais tout n’est pas à jeter ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le retour des beaux jours et l’assouplissement des mesures sanitaires, nous serions tentés de croire que la crise est déjà derrière nous. Du point de vue économique, la prévision de croissance à 5 % pour l’année 2021 pourrait nous conforter dans cette idée. Mais c’est, bien sûr, un effet de perspective, car cette croissance dynamique ne nous permettra pas de retrouver le niveau de richesse que nous connaissions avant la crise.
Or tant que notre dette demeurera si élevée, à hauteur de 120 % du PIB, notre situation financière restera très préoccupante. Une fois de plus, nous comptons sur nos enfants pour qu’ils payent, demain, les dépenses que nous engageons aujourd’hui.
Aussi, le sujet de ce débat peut, de prime abord, sembler anecdotique eu égard aux enjeux financiers. Nous allons discuter de la méthode pour élaborer le budget, alors qu’il faudrait discuter de la stratégie pour réduire notre dette publique. Mais il n’en est rien : la question n’est pas anecdotique, puisqu’il s’agit précisément de déterminer qui peut élaborer cette stratégie de réduction de notre dette publique, et par quelle voie nous devons agir dans ce sens.
Quelle est la portée de l’intervention du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances ? Elle est minime – ce seul adjectif suffit à répondre à la question. Il sera intéressant de recueillir les points de vue des différents groupes, mais je crains que nous ne tombions tous d’accord. C’est un comble, car c’est l’une des missions premières et essentielles du Parlement que de voter le budget et de contrôler son exécution.
Il en va de la loi de finances comme des autres textes législatifs, c’est une réalité : 80 % des textes adoptés par le Parlement sont d’initiative gouvernementale. En clair, le Gouvernement prend les initiatives, le Parlement les valide. Dans ce processus de validation, le Sénat, des deux chambres, joue le rôle le plus ingrat. La Haute Assemblée se contente, dans les faits, d’un rôle d’amendement et l’Assemblée nationale a tout loisir de détricoter le travail que nous effectuons chaque année avec sérieux.
J’insiste : le Sénat, chaque année, accomplit ce travail avec sérieux, bien qu’il s’agisse essentiellement de déposer des amendements. Il le conduit même parfois avec trop de sérieux, en durcissant les contraintes qui s’imposent à lui.
L’article 40 de la Constitution, le mieux connu de notre assemblée, est ici en cause. Il dispose que les amendements des parlementaires « ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».
La conséquence, c’est l’augmentation drastique du coût du tabac, avec le recours désormais proverbial à la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
C’est une voie de facilité à laquelle nous cédons, bien souvent par commodité légistique, en gageant nos propositions, sans engager de réflexion de fond sur cette limitation. Au demeurant, c’est moins l’article 40 de la Constitution qui limite notre travail que l’interprétation qui en est faite. Bien souvent, les raisons qui conduisent notre excellente commission des finances à l’appliquer demeurent impénétrables aux sénateurs, dont les propositions sont tues.
Cette application très stricte de l’article 40 laisse craindre que le Sénat ne bride lui-même ses propres initiatives. Or je pense l’avoir bien démontré : notre position dans le processus d’élaboration de la loi ne nous autorise pas vraiment à pécher par excès de zèle.
Bien sûr, comme le disait déjà Frédéric Bastiat il y a plus d’un siècle, rien n’est plus facile pour les représentants que de voter une dépense et rien ne leur est plus difficile que de voter une recette. C’est une réalité que nous ne pouvons ignorer.
Mais c’est précisément parce que nous connaissons cette réalité que nous nous devons d’engager une stratégie ambitieuse de réduction du déficit. Dès lors, notre travail d’amendement ne risquera pas de nous entraîner sur des chemins que nous ne comptons pas emprunter.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, mes chers collègues, je remercie le groupe CRCE de ce débat ; celui-ci est certes assez confidentiel, mais il n’en est pas moins fondamental pour la démocratie, la République et l’État.
En démocratie, c’est le Parlement qui vote l’impôt, qui donne l’autorisation budgétaire. C’est là une condition essentielle de la transparence, de la confiance, du consentement à l’impôt. La question est essentielle, nous devons donc y revenir régulièrement.
La Ve République avait pour objectif de mettre au pas le parlementarisme au nom de l’efficacité et de la stabilité. Aujourd’hui, on peut douter de la réussite sur ces deux points… En tout cas, l’affaiblissement du Parlement est palpable.
De nos jours, le rôle du Parlement dans la construction budgétaire est marginal – je le déplore ! Les événements de ces dernières années devraient nous faire tirer d’amères leçons.
Nous avons été nombreux, ici, à tirer la sonnette d’alarme et à vous avertir que la transition écologique devrait être réalisée dans la justice, notamment dans la justice fiscale. Quelques jours après ces avertissements, dont témoigne le compte rendu de nos débats, les « gilets jaunes » occupaient les ronds-points. Résultat : la violence sociale, l’austérité budgétaire et l’injustice des choix censés nous orienter vers la transition écologique.
Le Parlement sert de caisse de résonnance à ce qui se passe dans notre société. En tant qu’élus, nous sommes proches des territoires, nombre de personnes nous parlent de la réalité sociale… Nous gagnerions à être davantage écoutés !
Je n’évoquerai pas les nombreuses propositions qui ont été votées au Sénat, qu’il s’agisse de celles d’Albéric de Montgolfier ou de celles d’Éric Bocquet, sur la lutte contre l’évasion fiscale. De loi de finances en loi de finances, elles ont souvent été votées à l’unanimité, mais rarement mises en œuvre.
La LOLF est à réinterroger. Véritable constitution financière de l’État, elle régit toutes les étapes de construction et de suivi de notre budget. Il est vrai qu’elle facilite la lisibilité des dépenses de l’État, mais elle met aussi en place une logique de performance qui produit de nombreux effets pervers. La performance s’oppose au bon fonctionnement des services publics, car elle se mesure non pas à l’aune de l’utilité sociale, mais via des indicateurs le plus souvent quantitatifs.
Le rôle du Parlement est donc marginal ; la LOLF n’aide pas à le rendre plus important et les perspectives que l’on nous présente sont extrêmement dangereuses. C’est un effacement de la démocratie qui s’annonce encore si certaines propositions, notamment celles du rapport Arthuis, venaient à être appliquées.
Quel avenir nous promet-on au lendemain de la crise sanitaire ? Depuis des mois, nous alertons sur le fait que le retour de la contrainte budgétaire serait une grave erreur. Les discours alarmistes sur la dette publique et les déficits se multiplient et cherchent à enfermer le débat dans une alternative simpliste : d’un côté, les dépensiers et les irréalistes ; de l’autre, les responsables. Mais ces derniers, en réalité, ont pour seule proposition le retour d’une « règle d’or ».
Tel est le sens des conclusions du comité Arthuis et de la proposition de loi conjointe déposée par Éric Woerth et Laurent Saint-Martin – le premier est issu de la droite parlementaire, l’autre de la majorité présidentielle.
Le rapport Arthuis suggère ainsi de définir une norme de dépenses sur cinq ans, qui contraindrait les autorisations budgétaires du Parlement. Derrière le masque de la pluriannualité se cache le serpent de mer du verrouillage budgétaire…
Le débat politique est essentiel : non, les questions budgétaires ne sont pas des questions techniques ! Ne dépolitisons pas le budget : le dépolitiser, c’est expliquer qu’il n’y a pas de choix politique, mais simplement les contraintes de la nécessité. Cela ne fonctionne pas !
Et les règles d’or, sous toutes leurs formes, sont autant de camisoles de force pour les parlementaires. Cela a pour conséquence d’agrandir le fossé entre la démocratie représentative et les citoyens.
Au contraire, un débat économique et budgétaire est plus que jamais nécessaire : retour à l’austérité ou investissement dans l’avenir ? Allons-nous refaire les mêmes erreurs qu’en 2010, celles qui ont enfermé notre continent dans l’impasse de l’austérité, alors que l’on vit aujourd’hui partout les conséquences politiques de la tragédie des inégalités et de l’inaction climatique ?
Nous pensons qu’il faut refonder notre constitution financière, débattre d’une réforme de la LOLF. Cela doit se faire à partir de l’axe majeur politique et scientifique que nous voyons tous se déployer sous nos yeux, en ce début de XXIe siècle : l’anthropocène. Nous ne sommes pas des irréalistes ; au contraire, le réalisme est de notre côté. Nous devons réfléchir à nos discussions budgétaires à l’aune de cet enjeu, y compris avec une traduction très claire de l’empreinte environnementale dans les constructions budgétaires.
Cela impose donc de renforcer le contrôle parlementaire et de débattre, mais jamais d’étouffer les enjeux sous un masque technocratique…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Sophie Taillé-Polian. L’écologie est consubstantielle à la justice sociale et à la démocratie. Pour cela, un débat parlementaire plus important, et de meilleure qualité, serait une force. (M. Rémi Féraud applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les questions budgétaires sont au fondement du Parlement, de son existence même. C’est sur les sujets budgétaires que sont nées les démocraties parlementaires.
En 1215, avec la Grande Charte, Jean sans Terre fut obligé de demander au Grand Conseil d’approuver sa politique fiscale. En 1776, l’opposition des colons britanniques – No taxation without representation – déboucha sur la Révolution américaine. En 1789, si les états généraux furent convoqués, c’est en raison de la banqueroute de l’État ; il fallait financer les guerres et donc lever de nouveaux impôts. Les états généraux se rassemblèrent, mais la représentation refusa de quitter la salle des Menus Plaisirs. On connaît la suite…
Depuis la Révolution, et surtout après la Restauration, le Parlement a pris un rôle considérable dans la gestion des finances publiques, que la Ve République a entendu modérer.
Sous la IIIe République, les majorités ne parvenaient plus à voter les budgets. Christine Lavarde l’a rappelé : il a fallu attendre 1936 pour que la loi de règlement de 1915 soit votée ! Il était sans cesse fait recours aux décrets-lois tant le Parlement avait peine à voter les budgets et, parce qu’elles les construisaient de fait, les commissions des finances étaient devenues très puissantes – cela a de quoi faire rêver certains d’entre nous.
La IVe République, quant à elle, fonctionnait par douzièmes provisoires, car le Parlement ne parvenait pas non plus à voter les budgets. Cela a fini par devenir problématique à la fin du régime, compte tenu du coût des guerres coloniales.
La Ve République est ainsi venue rationaliser le parlementarisme. L’une des illustrations principales de cette rationalisation est la loi de finances, plus précisément le fait que son examen soit enserré dans des délais. Le vote est également encadré, notamment sur les charges.
Dès lors, le rôle du Parlement a été considérablement réduit. La LOLF est plutôt venue renforcer ce rôle et améliorer la portée de l’autorisation parlementaire. La charge s’entend de la mission, ce qui permet donc de jouer sur la répartition des crédits à l’intérieur des missions – ce n’est pas sans difficulté, car il faut diminuer les crédits d’un programme pour augmenter ceux d’un autre. En outre, la LOLF a encadré un certain nombre de mécanismes réglementaires qui restreignaient la portée de l’autorisation parlementaire, notamment sur les décrets d’avance.
Je ne partage pas ce qui a été dit sur la pratique du gouvernement actuel.
Premièrement, les réserves de précaution ont été considérablement réduites. Or cette pratique, qui consiste à faire voter des crédits qui ne sont pas utilisés ensuite, constitue déjà un dévoiement de l’autorisation parlementaire.
Par ailleurs, les décrets d’avance ne sont plus utilisés que pour des cas de crise, notamment la crise récente. Sinon, ils ont été jusqu’à présent très limités sous ce quinquennat.
Enfin, on a considérablement réduit le nombre de dispositions fiscales dans la loi de règlement ; elle n’en comprend plus, sauf exception. Il faut poursuivre dans cette voie.
À partir du moment où l’on veut aller plus loin et sortir de la célèbre formule du président Edgar Faure sur les débats budgétaires, « litanie, liturgie, léthargie », cette belle allitération qui signifiait que tout cela était un peu répétitif et que l’on entendait la même chose chaque année, il faudrait donner un peu de tonus démocratique au débat budgétaire parlementaire.
Enfin, pour respecter l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » et qui pose le contrôle citoyen, deux options s’offrent à nous.
La première option consiste à sortir de la Ve République afin qu’une autre Constitution donne un autre rôle au Parlement. Toutefois, il s’agit là d’un autre débat qui dépasse le cadre de celui qui nous réunit aujourd’hui : c’est une option politique, globale, structurelle.
La seconde option consiste à chercher à améliorer nos institutions actuelles. Dans leur rapport d’information, MM. Saint-Martin et Woerth mettent de nombreuses pistes sur la table, qui ne portent pas seulement sur les questions de la dette ou de l’encadrement de la dépense. D’intéressantes propositions sont formulées. Ainsi, le collectif budgétaire ne pourrait plus contenir de dispositions fiscales, sauf si celles-ci concernent uniquement l’année en cours. Le nombre d’indicateurs pourrait également être harmonisé, pour plus de simplicité.
Il nous faut également réfléchir à la question de l’évaluation, notamment par un rapprochement des commissions des finances et des commissions des affaires sociales sur la question des recettes. Lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous examinons des éléments correspondant à la fiscalité des ménages ou des sociétés que nous revoyons lors de la discussion du projet de loi de finances, notamment parce qu’il y a, pour les particuliers, d’un côté, la CSG, de l’autre, l’impôt sur le revenu et, pour les entreprises, d’un côté, l’impôt sur les sociétés, de l’autre, les prélèvements sociaux.
Ne pourrait-on imaginer un débat budgétaire qui porterait d’abord sur les recettes et qui lierait à cette occasion la dimension sociale et la dimension fiscale du budget ? Ne pourrait-on également imaginer une commission d’évaluation mixte, réunissant des membres des commissions des affaires sociales et des commissions des finances, qui permettrait là aussi de donner un peu de « peps » à la loi de règlement ?
Si des pistes sont sur la table, n’oublions pas que la démocratie, c’est que la majorité vote des budgets sur lesquels elle a été élue et sur lesquels les Français attendent des résultats. Cela n’empêche évidemment pas d’améliorer la transparence et la lisibilité démocratique en faveur des citoyens.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier le groupe communiste républicain citoyen et écologiste d’avoir pris l’initiative de ce débat. C’est un sujet sur lequel il y a beaucoup à dire et il est certain que nous ne l’épuiserons pas aujourd’hui.
Chacun le sait, le vote annuel du budget est la raison d’être du Parlement. Sans remonter jusqu’à la Magna Carta anglaise de 1215 – Julien Bargeton vient de le faire ! (Sourires) –, l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen énonce que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».
L’objectif de la loi de finances est d’abord de lever l’impôt, outil de puissance publique par excellence, afin de fournir les recettes nécessaires pour mener les politiques publiques. C’est l’objet de la première partie du projet de loi de finances, dont l’article 1er, symbolique, rappelle chaque année le principe du consentement à l’impôt. Il y aurait sans doute là aussi un débat de fond à mener un jour.
Après le vote des recettes, le Parlement se prononce sur les crédits qu’il veut bien accorder au Gouvernement. Cette autorisation n’est pas automatique, comme en témoigne chaque année le rejet de plusieurs missions budgétaires par le Sénat – pour des raisons parfois quelque peu politiques, il est vrai.
Comme, dans notre système institutionnel, l’Assemblée nationale a le dernier mot et se soumet au fait majoritaire, nous n’avons que très rarement connu, sous la Ve République, une situation où le Parlement aurait rejeté tout ou partie du budget proposé par l’exécutif. On peut néanmoins se remémorer les dissensions de la majorité RPR-UDF en 1979, ayant conduit au rejet de la partie recettes par l’Assemblée nationale.