Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mmes Martine Filleul, Marie Mercier.

1. Procès-verbal

2. Soutien au Président de la République

3. Questions d’actualité au Gouvernement

réforme de l’assurance chômage

Mme Annie Le Houerou ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail.

compensation des recettes des régies communales

Mme Maryse Carrère ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué.

féminicides

Mme Esther Benbassa ; Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances.

campagne de vaccination

M. Dany Wattebled ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; M. Dany Wattebled.

états généraux de la justice

Mme Muriel Jourda ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne ; Mme Muriel Jourda.

situation des français de l’étranger vaccinés avec un vaccin non homologué

M. Olivier Cadic ; M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie.

conditions du passage du baccalauréat cette année

M. Jérémy Bacchi ; Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire.

point d’étape de parcoursup

M. Abdallah Hassani ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

retraites

M. René-Paul Savary ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail ; M. René-Paul Savary.

réforme des aides personnalisées pour le logement

Mme Viviane Artigalas ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; Mme Viviane Artigalas.

panne des numéros d’urgence

M. Patrick Chaize ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur ; M. Patrick Chaize.

situation des copropriétaires bailleurs de résidence de tourisme

Mme Annick Jacquemet ; M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie ; Mme Annick Jacquemet.

rapatriement des personnels civils de recrutement local afghans

M. Étienne Blanc ; Mme Florence Parly, ministre des armées ; M. Étienne Blanc.

restructuration des services financiers de la poste

Mme Isabelle Briquet ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; Mme Isabelle Briquet.

éoliennes

Mme Kristina Pluchet ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique.

situation des producteurs de fraises

M. Jean-Paul Prince ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre

4. Bibliothèques et développement de la lecture publique. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi et rapporteure de la commission de la culture

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture

Mme Monique de Marco

M. Julien Bargeton

M. Bernard Fialaire

M. Jérémy Bacchi

M. Pierre-Antoine Levi

Mme Elsa Schalck

M. Joël Guerriau

M. David Assouline

M. Philippe Folliot

Clôture de la discussion générale.

Article 1er – Adoption.

Article 2

M. Jean-Claude Tissot

Adoption de l’article.

Articles 3 à 6 – Adoption.

Article 7

Amendement n° 2 rectifié de M. Didier Mandelli. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 8 – Adoption.

Article 9

Amendement n° 3 de M. Didier Mandelli. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Articles 10 et 11 – Adoption.

Article 12

Amendement n° 4 de Mme Monique de Marco. – Rejet.

Amendement n° 5 de Mme Monique de Marco. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 13

Amendement n° 1 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.

Vote sur l’ensemble

Mme Laure Darcos

Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi et rapporteure

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

Suspension et reprise de la séance

5. Protection sociale globale. – Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale :

M. Rachid Temal, auteur de la proposition de loi

Mme Annie Le Houerou, rapporteure de la commission des affaires sociales

Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire

M. Martin Lévrier

M. Jean-Claude Requier

Mme Laurence Cohen

M. Olivier Henno

M. Édouard Courtial

M. Joël Guerriau

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Michelle Meunier

M. Christian Klinger

Clôture de la discussion générale.

Article unique

M. Rachid Temal, auteur de la proposition de loi

M. René-Paul Savary

Mme Raymonde Poncet Monge

Rejet, par scrutin public n° 130, de l’article unique de la proposition de loi.

6. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Martine Filleul,

Mme Marie Mercier.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Soutien au Président de la République

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, au nom du Sénat, je souhaite faire part de notre soutien et de notre solidarité au Président de la République, qui a été agressé hier, dans la Drôme.

Par cet acte inacceptable, ce sont notre démocratie et la République elle-même qui ont été attaquées.

Cette agression est un symptôme symbolique, un acte qui illustre une fois de plus la montée de la violence dans notre société : certains discours et prises de position sont de plus en plus marqués par l’agressivité, l’intolérance, le refus du débat démocratique et, aujourd’hui, le complotisme.

Ce sont désormais les représentants de l’autorité publique et du service public qui sont victimes de ces violences : élus, policiers et gendarmes, pompiers, soignants, enseignants et, hier, le Président de la République.

Devant la multiplication de ces actes, il est de notre responsabilité, à nous, élus de la Nation, mais aussi de la responsabilité de l’ensemble des citoyens de ce pays de faire vivre le débat d’idées sans jamais transiger sur le nécessaire respect dû aux personnes et à la diversité des idées. Nous devons veiller à faire vivre la démocratie dans un cadre digne et apaisé.

Tel est le message que je souhaitais vous adresser, mes chers collègues, ainsi qu’à tous ceux qui nous regardent, à l’ouverture de notre séance de questions d’actualité au Gouvernement. (Applaudissements.)

3

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun d’entre vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges les valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres, ainsi que du temps de parole.

réforme de l’assurance chômage

M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Annie Le Houerou. L’Insee estime que, durant la période allant du premier confinement, en mars 2020, à mars 2021, ce sont 29 % des ménages qui auraient vu leur revenu mensuel baisser.

L’Observatoire des inégalités, dans son rapport de 2021, conclut que la crise sanitaire agit comme un accélérateur des inégalités, en précipitant dans la pauvreté des personnes qui en étaient proches.

Le Gouvernement met en œuvre sa réforme de l’assurance chômage dans un contexte où beaucoup de Français ont encore la tête sous l’eau. D’après l’étude d’impact menée par l’Unédic, 1,15 million de personnes, dont 345 000 jeunes, vont constater une baisse moyenne de 17 % de leur allocation.

Qui sont ceux qui pâtiront de cette réforme ? Les personnes qui alternent des contrats courts, de l’intérim et des périodes d’inactivité, non par choix, mais par impossibilité de trouver des emplois stables. Elle frappera de nouveau les jeunes, à qui vous ne proposez que des dispositifs précaires. Cette réforme va toucher les régions où le taux de chômage est le plus fort : près de 10 000 personnes dans mon département des Côtes-d’Armor ; plus de 52 000 personnes en Bretagne, et 200 000 personnes en Île-de-France, dont 45 000 jeunes.

Vous vantez une réforme porteuse de justice sociale, grâce au bonus-malus sur les contrats courts, mais vous oubliez de préciser que ce dispositif n’entrera en vigueur qu’à l’automne 2022, alors que les effets dévastateurs de votre réforme seront effectifs dès ce mois de juillet !

Ne pensez-vous pas que nos concitoyens les plus précaires ont déjà lourdement payé cette crise ? Quel est le but de cette réforme, sinon de faire des économies, une fois de plus, sur le dos des plus vulnérables ?

Je vous le demande solennellement, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État : abrogez cette réforme ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des retraites et de la santé au travail.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre du travail, de lemploi et de linsertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Madame la sénatrice, j’ai pris connaissance de l’étude du parti socialiste que vous avez évoquée. (Marques détonnement sur les travées du groupe SER. – Rires sur des travées du groupe Les Républicains.)

Les chiffres qui ont été repris sont effectivement issus du cadrage de l’Unédic, mais, au total, l’utilisation qui en est faite aboutit à des conclusions erronées et terriblement anxiogènes, d’autant qu’ils sont tronqués. Je vais vous dire pourquoi.

D’abord, vous évoquez une solution disparate selon les régions. J’espère que vous ne découvrez pas qu’il y a plus de chômage dans le nord et dans le sud du pays que dans d’autres régions ! (Mme Laurence Rossignol sexclame.) Pour ma part, en tant qu’élu des Hauts-de-France, je ne suis pas étonné. Établir une carte qui indique simplement les différences en termes de densité de population et de nombre de chômeurs, je pense que cela a peu d’intérêt in fine

Sur le fond de cette réforme, ensuite, je vous répondrai qu’aucun demandeur d’emploi actuel ne sera pénalisé ; aucun d’entre eux ne verra ses droits baisser au 1er juillet ! (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.) C’est la réalité, même si cela vous fait réagir…

M. Pierre Laurent. À vous entendre, ce sont les syndicats qui mentent…

M. Fabien Gay. Et l’Unédic aussi !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Je le redis, la réforme ne concernera que ceux qui se retrouveront sans emploi au-delà de cette date. Seuls ceux qui gagnent plus en étant au chômage plutôt qu’en travaillant toucheront une allocation plus basse. C’est l’objet de la réforme.

Il ne vous aura pas échappé que, dans le dispositif porté par Muriel Pénicaud auparavant, puis par Élisabeth Borne et moi-même aujourd’hui, il y a une volonté d’introduire de l’équité et de ne plus permettre que l’on gagne davantage au chômage qu’en travaillant. (M. David Assouline sexclame.)

Là encore, le montant total des droits ne baissera pas, puisque les personnes dont l’allocation sera plus basse la toucheront plus longtemps.

M. Fabien Gay. C’est faux !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Le capital d’allocations chômage reste le même ; simplement, il sera réparti sur une plus longue durée. En réalité, le droit global est le même.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Pour finir, je souhaite rappeler que le marché du travail est en très nette reprise, madame la sénatrice. Vous invoquez le fait que cette réforme a été pensée à un autre moment, mais nous voyons bien que la situation économique actuelle la justifie aussi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

compensation des recettes des régies communales

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, j’aimerais une nouvelle fois exprimer, au nom du groupe RDSE, toute notre solidarité et notre soutien au Président de la République à la suite de l’agression dont il a été victime hier. (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.) En République, on règle ses désaccords par le débat ou dans les urnes, et jamais par la violence ou l’intimidation !

Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

Monsieur le ministre, s’il n’est plus besoin de revenir sur l’impact dramatique de l’épidémie de covid-19 sur notre économie, et s’il est important de reconnaître l’implication des pouvoirs publics aux côtés des entreprises, il reste encore des zones d’ombre, qu’il conviendrait d’éclaircir, dans les dispositifs du Gouvernement.

Le quatrième projet de loi de finances rectificative (PLFR 4) semble viser à combler ces lacunes, avec près de 200 millions d’euros prévus pour les collectivités. Pour autant, celles qui se sont trouvées dans l’obligation d’abonder le budget de leurs régies ou de leurs établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) par leur budget principal semblent exclues des dispositifs de compensation. Je fais référence ici à l’article 10, alinéa 7, de ce PLFR.

Face à cette situation, ressentie comme une injustice, on répond à ces communes que, si elles ont compensé ces pertes de recettes, c’est qu’elles avaient les moyens de le faire. Et l’on évoque une compensation pour les seules communes qui auraient le plus souffert.

Aussi, je rappelle que nombre d’entre elles se sont vues obligées d’abonder ces budgets pour faire face aux frais de fonctionnement, au paiement des salaires, ainsi qu’aux créances, le tout en subissant la double peine que l’on connaît : des budgets lourdement impactés et des capacités d’autofinancement considérablement réduites pour l’avenir.

Dans mon département des Hautes-Pyrénées, si je prends l’exemple d’Argelès-Gazost, ville de 2 980 habitants, ce sont près de 400 000 euros en 2020 et 150 000 euros en 2021 que la commune a dû verser sans la moindre compensation, ce qui a amputé de moitié sa capacité d’autofinancement.

In fine, c’est une véritable distorsion de concurrence qui est créée entre ces communes supportant des établissements ou stations de ski gérés en régie ou via des EPIC, et celles qui, à ce jour, ont pu entrer dans des dispositifs existants.

M. le président. Posez votre question, ma chère collègue !

M. Bruno Sido. Il n’y a pas de question !

Mme Maryse Carrère. Compte tenu de l’inquiétude des élus locaux, je voudrais savoir si les EPIC seront éligibles aux différentes aides prévues dans le PLFR. Les régies verront-elles leurs pertes de recettes tarifaires compensées, même si les communes ont compensé les déficits ?

Enfin (Marques dimpatience sur les travées du groupe Les Républicains.), les régies et les EPIC dont les activités annexes ont été rendues impossibles par la fermeture des remontées mécaniques seront-ils éligibles ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, tout d’abord, au travers des différents projets de loi de finances rectificative que le Parlement a bien voulu adopter, les collectivités ont été accompagnées – vous l’avez rappelé –, notamment avec un mécanisme de garantie de recettes minimales en matière fiscale et domaniale pour l’année 2020. Ce dispositif a été reconduit pour la partie fiscale en 2021.

Nous accompagnons aussi les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) par des systèmes de compensation et d’avances remboursables. À la demande du Premier ministre, nous allons élargir la prise en charge de certaines dépenses des AOM pour assurer une égalité de traitement, selon la nature de leurs services.

Vous nous avez interrogés, comme nombre de parlementaires, sur la question des régies. Je vous confirme qu’à la demande du Premier ministre, Jacqueline Gourault et moi-même avons longuement échangé avec les associations représentatives d’élus. Je suis en mesure de vous annoncer que l’article 10 du projet de loi de finances rectificative, que j’aurai l’occasion de défendre devant l’Assemblée nationale ce vendredi, et au tout début du mois de juillet devant vous, permettra une prise en charge pour les régies qui ont vu leur épargne brute baisser sensiblement au cours de l’année 2020.

Cet article a pour objet d’aider les services publics industriels et commerciaux (SPIC) soumis à concurrence, mais privés d’aide publique dans certains cas, ainsi que les services publics administratifs (SPA) qui ont vu leurs recettes tarifaires baisser fortement.

Nous allons veiller – et le Gouvernement déposera à cet effet un amendement à l’Assemblée nationale – à ce que les régies qui ont fait l’objet d’un abondement soient accompagnées, lorsque l’abondement de la commune ou de l’intercommunalité s’est traduit par une diminution très forte de l’épargne brute de ces collectivités.

Ce sont plus de 1 000 régies que nous allons ainsi aider, à hauteur d’un peu plus de 120 millions d’euros. Nous consacrerons 80 millions d’euros à une dotation forfaitaire, à la main des préfets de région et des préfets de département, destinée à accompagner les collectivités, communes et intercommunalités en proie aux difficultés que vous avez mentionnées. Les régies thermales, les remontées mécaniques, les grottes touristiques seront concernées, à Argelès-Gazost ou à Luz-Saint-Sauveur. Ainsi, vingt régies bénéficieront de cette aide dans votre département.

M. le président. Il faut conclure !

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Je forme le vœu que l’amendement que nous présenterons permette de compléter le dispositif. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)

féminicides

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Esther Benbassa. Chahinez, le 4 mai à Mérignac, blessée par arme à feu puis brûlée vive par son ex-mari. Stéphanie, le 23 mai à Hayange, mortellement poignardée à cinq reprises par son compagnon. Mezgebe, le 24 mai à Arpajon, tuée à coups de marteau. Odile, le 27 mai à Valenciennes, mortellement poignardée par son ex-compagnon. Jennifer, le 30 mai à Émerainville, abattue avec un revolver par son ex-compagnon. Aurélie, le 31 mai à Douai, battue à mort par son compagnon, qui a déjà douze condamnations à son actif. Doris, le 3 juin à Colmar, défenestrée du huitième étage de son immeuble par son conjoint, ivre, qui avait l’interdiction de l’approcher depuis un jugement.

Au total, 146 femmes tuées par leur compagnon ou ex-conjoint en 2019, 101 en 2020, et 49 cette année, au 5 juin…

Il était prévisible que les violences contre les femmes allaient augmenter en raison des confinements et couvre-feux successifs. Le numéro d’appel dédié, le 39 19, a reçu plus de 164 000 appels, soit une augmentation de 70 % en un an. Or seuls 60 % de ces appels ont pu être pris en charge. Vous auriez pu mieux doter cette plateforme afin que ce flux d’appels puisse être mieux traité.

Il est urgent de donner plus de moyens et un effectif permanent supplémentaire à la justice, de sensibiliser la police pour agir plus efficacement, de loger les femmes victimes de violences. Les relations entre les femmes et les hommes, l’éducation à l’égalité, l’engagement contre le patriarcat méritent toute notre attention, toute votre attention.

Les lois ne servent que si on les applique. Or nous en sommes loin. Oui, les femmes sont en danger. Lisez le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes paru aujourd’hui : il est édifiant !

Devrons-nous juste continuer à compter les victimes ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Madame la sénatrice Benbassa vous évoquez dans votre question des faits dramatiques qu’aucune femme au monde ne devrait subir.

Il y a encore quelques années, ces faits seraient restés invisibles. Aujourd’hui, ils occupent tous les esprits. Tant mieux, parce que chaque féminicide est un féminicide de trop.

Comme vous le savez, le Gouvernement et la majorité sont mobilisés et déterminés depuis plusieurs années pour enrayer ce fléau dans notre pays. L’égalité entre les femmes et les hommes est la grande cause du Président de la République, et la lutte contre les violences faites aux femmes en est un pilier essentiel.

Quel gouvernement a mis en place le Grenelle des violences conjugales, qui a réuni 4 500 personnes pour parler de ce sujet ?

M. Pierre Laurent. Et après ?

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Quel gouvernement a fait voter en quatre ans quatre lois pour protéger ces femmes ?

Quel gouvernement a augmenté de 60 % le nombre de places d’hébergement pour accueillir ces victimes ?

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Ce gouvernement a augmenté le nombre d’ordonnances de protection et doublé le nombre de téléphones grave danger.

Il a mis en place les centres de prise en charge des auteurs de ces violences. Nous avons aussi été les premiers à verbaliser les violences sexuelles et sexistes de rue.

Quel gouvernement… (Marques dimpatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Ça suffit !

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. … a encore étendu les horaires du 39 19 à partir du mois de juin ? Ce service sera ainsi accessible 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains.) Permettez-moi de terminer !

Le Gouvernement a augmenté le budget du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances de 40 % pour éradiquer ce fléau.

Je sais combien le Sénat est sensible à ces questions ; je sais combien vous vous battez pour protéger ces femmes dans notre pays. Je m’entretiendrai avec la présidente Annick Billon demain matin. Je vous rencontrerai bientôt, madame la sénatrice, pour en parler. (On est sauvés ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Et le Premier ministre recevra ce soir les ministres pour envisager les mesures à prendre…

M. le président. Il faut conclure !

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. … afin que les femmes de notre pays ne subissent plus ces meurtres, ces assassinats, qui sont intolérables. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

campagne de vaccination

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Dany Wattebled. Monsieur le président, l’ensemble de notre groupe s’associe aux condamnations des violences dont le chef de l’État a été l’objet. Dans nos territoires, mais aussi dans notre assemblée, de nombreux élus de la République ont connu des agressions inadmissibles.

Quand il est porté atteinte aux élus, c’est toute la République qui souffre. C’est encore plus symbolique quand cet élu est le Président de la République. Ensemble, nous devons nous mobiliser contre la montée de ce climat préjudiciable à notre démocratie.

Ma question porte sur la vaccination. Les rarissimes cas de thrombose ont amené à une brève suspension du vaccin AstraZeneca, jusqu’à la décision de reprise par l’Agence européenne des médicaments. Ce climat délétère a considérablement freiné l’élan de ce vaccin, avec une véritable désaffection des Français à son égard. C’est regrettable, car il s’agit pourtant d’un vaccin efficace. Ses effets secondaires sont très limités, comme l’a démontré l’utilisation massive qui en a été faite au Royaume-Uni.

Madame la ministre, quelles actions sont-elles envisagées pour relancer la vaccination avec les doses AstraZeneca ? Si toutes les doses en attente, dont le nombre se compte en millions, ne trouvaient pas preneurs, qu’adviendrait-il de ces stocks ?

Je veux aussi attirer votre attention sur la vaccination des personnes identifiées comme étant à risque. Il faut savoir que moins de la moitié de ces personnes classées à risque pour cause d’obésité ont reçu, à ce jour, une dose de vaccin.

Après un démarrage difficile de la vaccination, nous constatons que la France et nos partenaires européens sont maintenant parmi les plus avancés. Il reste néanmoins nécessaire de résoudre ces deux problématiques.

Madame la ministre, quelles mesures envisagez-vous de prendre à cet égard ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’autonomie, que nous félicitons par ailleurs pour son élection.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Dany Wattebled, votre question me permet de rappeler un point essentiel : la vaccination est l’outil principal pour nous permettre de retrouver une vie normale. C’est le seul moyen dont nous disposons à ce jour pour nous prémunir du virus, nous défendre efficacement contre celui-ci et protéger nos proches.

Le vaccin est une chance, après une année particulièrement difficile durant laquelle les Français ont répondu présents face à toutes les mesures qui s’imposaient à eux. Ils en ont bien compris la portée, et les résultats sont là : plus de 28,5 millions de Français ont reçu au moins une injection, et près de 15 millions ont désormais un schéma vaccinal complet. Cette campagne s’accélère, avec plus de 650 000 vaccinations hier.

Trois impératifs nous guident : la sécurité sanitaire et l’efficience des vaccins ; la priorisation des publics les plus fragiles ; le libre choix des Français.

Nous avons toujours fait le choix de la transparence. Les données qui permettaient de répondre aux craintes des Français ont été rendues publiques et les protocoles adaptés en fonction. La vaccination avec l’AstraZeneca a repris par la suite, et ceux qui en ont bénéficié se portent bien… je me porte très bien ! C’est la meilleure preuve que nous puissions donner à nos concitoyens. (Sourires.)

Nous cherchons toujours à faciliter le recours à ces vaccins. Je veux rappeler qu’ils sont désormais davantage disponibles en médecine de ville, plutôt qu’en centre de vaccination, afin que les médecins traitants aillent vers leurs patients éligibles. Nos efforts en termes d’« aller vers », que nous déployons par plusieurs moyens, permettent de toucher les Français qui doivent être vaccinés en priorité. Les associations dédiées, les organisations de professionnels de santé, les acteurs locaux, et en particulier les élus, sont pleinement mobilisés. Je tiens à les en remercier.

Dans votre département du Nord, que je connais bien, les efforts payent : plus de 52 % des personnes présentant une obésité ont reçu au moins une dose de vaccin. La campagne s’intensifie dans votre territoire, comme partout en France. Notre mobilisation est donc totale et nous comptons sur l’engagement de tous, évidemment, pour réussir à vacciner le plus largement possible. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour la réplique.

M. Dany Wattebled. Je vous remercie de votre réponse globale, madame la ministre, mais je pense qu’il va nous rester pas mal de doses d’AstraZeneca. Il y aurait peut-être quelque chose à faire pour relancer ce vaccin.

états généraux de la justice

M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Muriel Jourda. Ma question s’adressait à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, mais je constate qu’il est absent…

En mars 2019, Mme Belloubet avait fait adopter un texte pour instiller des réformes structurelles dans la justice et redonner confiance aux Français dans l’institution judiciaire. Cela n’a guère été efficace, semble-t-il, puisque moins de deux ans plus tard, le garde des sceaux annonçait une nouvelle loi censée également redonner confiance aux Français dans la justice. Or ce projet de loi n’est pas encore discuté devant les deux chambres du Parlement que le Président de la République nous annonce des États généraux de la justice !

Il faut dire que, selon un sondage, un Français sur deux déclare ne pas avoir confiance dans la justice. Dans une manifestation, la police pointe du doigt la responsabilité de l’institution judiciaire et, dans une tribune, les hauts magistrats accusent les politiques.

Dites-nous si ces États généraux, au-delà du « coup de com’ » politique, qui est dénoncé, à moins d’un an de l’élection présidentielle, seront enfin un remède efficace à tous ces maux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.

M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Madame la sénatrice, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser le garde des sceaux, qui est retenu à l’Assemblée nationale par un texte que vous connaissez bien, celui relatif à la bioéthique.

Comme vous l’avez d’une certaine façon dit, nous ne partons pas d’une feuille blanche. Permettez-moi de rappeler en quelques instants ce que nous avons fait en faveur de notre justice – et nous partions de loin ! – : un budget en hausse continue depuis 2017 de 21 %, avec un bond historique de 8 % en 2021 ; le lancement de la justice de proximité, avec des recrutements massifs de plus de 10 % de personnels judiciaires ; le doublement des délégués du procureur ; le lancement de 8 000 places de prison en avril dernier pour venir compléter le plan de 7 000 places lancé en 2018.

En tout, ce sont donc 15 000 places nettes qui ont été lancées sous ce quinquennat, et presque la moitié sera livrée ou en construction d’ici à 2022. Ces places, je le précise, ont été programmées budgétairement, ce qui nous change des périodes précédentes, où l’on annonçait des choses sans aucun élément budgétaire. (Exclamations.)

Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire porte des mesures fortes pour rassurer les Français.

En matière de violences faites aux femmes, nous avons aussi œuvré, avec notamment les bracelets anti-rapprochement. C’est aussi le cas pour les violences contre les élus.

M. Jacques Grosperrin. Répondez à la question !

M. Marc Fesneau, ministre délégué. Vous m’interrogez sur l’annonce par le Président de la République du lancement des États généraux de la justice, à la demande – je le rappelle – de la première présidente et du procureur général près la Cour de cassation.

Cette action déterminée en faveur de l’institution judiciaire doit se poursuivre, et pour cela nous devons tous nous mettre autour de la table.

Il reviendra au garde des sceaux de décliner à l’automne ces États généraux afin que, partout sur notre territoire, tous les acteurs du monde judiciaire – avocats, magistrats, agents pénitentiaires, greffiers, forces de sécurité –, mais également les parlementaires et, bien sûr, nos concitoyens puissent construire un contrat d’objectifs partagés.

Je le répète, nous ne partons pas de rien. Nous avons beaucoup œuvré durant ce quinquennat et nous devons continuer à le faire, en faveur de la justice et des actions dont elle a besoin. Tel est le sens de ces États généraux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour la réplique.

Mme Muriel Jourda. Vous avez raison, monsieur le ministre, nous ne partons pas d’une page blanche. Cela fait vingt ans que le budget de la justice augmente sans discontinuer. Quant à la réunion des acteurs de la justice, nous en avons pris l’initiative voilà deux ans, à l’instigation de Philippe Bas, alors président de la commission des lois du Sénat. Je dois dire, d’ailleurs, que Mme Belloubet n’avait alors pas écouté un seul des mots que nous avions prononcés, y compris lorsqu’il y avait un consensus entre tous les acteurs.

Je crois que vous ne prenez pas conscience de l’importance du problème et de la difficulté d’aujourd’hui.

Je rappelle que, l’année dernière, en plein confinement, des policiers fuyaient sous des tirs de mortier à Saint-Denis.

Au mois de février, cette année, un retraité n’a pas pu obtenir de la justice de récupérer sa maison, alors qu’elle était occupée par des squatteurs ; ce sont des particuliers qui l’ont aidé à le faire.

Enfin, le mois dernier, les consommateurs de crack du quartier de Stalingrad ont été dispersés par des tirs de mortier que l’on attribue à des riverains et qui, en tout cas, ont été approuvés par eux.

L’État de droit se délite. Non seulement le droit n’est plus appliqué et les policiers fuient devant les délinquants, mais nos concitoyens préfèrent la justice privée à la justice de la République.

Ce n’est pas une aimable causerie entre acteurs de la justice qui va nous permettre de résoudre ces problèmes, mais la restauration de l’État régalien. Nous en sommes loin ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

situation des français de l’étranger vaccinés avec un vaccin non homologué

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Cadic. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie. Elle porte sur la situation des Français de l’étranger vaccinés contre la covid-19 dans leur pays de résidence avec un vaccin chinois ou russe.

Le 17 mars dernier, monsieur le secrétaire d’État, vous avez affirmé au Sénat que 84 % des Français établis hors de France étaient éligibles aux dispositifs de vaccination locaux, et que l’envoi de vaccins par la France pour les protéger n’était pas nécessaire. Sur tous les continents, nombreux sont nos compatriotes qui ont suivi le conseil de nos autorités de se faire vacciner localement, obéissant ainsi à la politique sanitaire mise en œuvre dans leur pays d’accueil. De nombreux Français se sont ainsi fait administrer les vaccins chinois Sinopharm et Sinovac, reconnus par l’OMS, ou le vaccin russe Sputnik.

Le Gouvernement n’a jamais émis d’avis de contre-indication à l’égard de ces vaccins. Pourtant, sa stratégie de réouverture des frontières, qui entre en vigueur aujourd’hui, ne les prend pas en compte. La France assimile ces Français à des personnes non vaccinées et leur impose de se placer en quarantaine durant sept jours, avec des tests de dépistage renforcés qui peuvent être très coûteux, surtout pour des familles.

Nos élus des Français de l’étranger m’ont alerté sur le sujet. Ils relaient l’inquiétude, voire l’indignation de nombre de nos compatriotes qui veulent revenir en France, notamment pour les vacances estivales, et qui se sentent ainsi discriminés.

Monsieur le secrétaire d’État, pourquoi cette distinction entre les vaccins, alors que l’Espagne et la Grèce ne la font pas pour attirer les touristes ? Est-ce que nos compatriotes déjà vaccinés doivent prévoir de se faire vacciner une seconde fois en France à leur retour, pour être reconnus par le pass sanitaire ? Doit-on déjà les inciter à chercher un rendez-vous sur ViteMaSurdose.com ? (Sourires.) Cela n’est-il pas de nature à mettre leur santé en danger ?

Le Gouvernement a annoncé avoir livré des vaccins Johnson & Johnson destinés à des Français de l’étranger établis à Djibouti ou à Madagascar. À ne vacciner que certains Français de l’étranger, vous créez une inégalité de droits dans cette communauté. Quand allez-vous vacciner tous les Français de l’étranger ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de létranger et de la francophonie. Monsieur le sénateur Olivier Cadic, permettez-moi tout d’abord d’adresser mes chaleureuses félicitations à tous les conseillers des Français de l’étranger élus ou réélus voilà quelques jours, qui participent, aux côtés de nos consulats et de nos ambassades, à l’accompagnement de nos communautés dans cette période si complexe.

S’agissant de la vaccination, c’est justement parce que nos compatriotes ne peuvent pas prétendre à des vaccins homologués par l’Union européenne dans un certain nombre de pays que nous organisons nous-mêmes cette vaccination. Elle se déploie à bon rythme : des vaccins ont été envoyés ou sont en train de l’être dans 35 pays, le plus souvent situés sur le continent africain ou en Asie. J’ai notamment en tête l’Afrique du Sud, Djibouti, l’Éthiopie, le Népal ou le Tadjikistan.

Nous sommes également en discussion avec les autorités de 28 autres pays, car cet acheminement ne peut bien évidemment se faire qu’avec l’accord des autorités des pays de résidence. Nous discutons par exemple avec le Pérou, l’Argentine ou le Brésil.

Cette approche est cohérente avec la stratégie Covax, qui vise à rendre la vaccination universelle. J’ai pu examiner le fonctionnement du dispositif à Madagascar : c’est tout à l’honneur de nos postes diplomatiques de faire dans ce pays le travail qu’accomplissent les préfets et les agences régionales de santé (ARS) sur le territoire national, avec des moyens pourtant bien plus limités.

S’agissant du retour de nos compatriotes, les choses sont très claires : tout Français établi hors de France peut à tout moment revenir sur le sol français, indépendamment du vaccin qu’il a reçu.

Mais, en effet, la France reconnaît les seuls vaccins homologués par l’Agence européenne des médicaments (AEM).

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat. Si la personne n’a pas reçu l’un de ces vaccins, elle devra en effet suivre les recommandations en matière de tests PCR ou antigéniques, et éventuellement s’auto-isoler.

Nous continuons toutefois nos efforts pour offrir la vaccination à tous, y compris sur le sol national pour nos compatriotes qui reviendraient. (M. Martin Lévrier applaudit.)

conditions du passage du baccalauréat cette année

M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Jérémy Bacchi. Madame la secrétaire d’État, c’est la dernière ligne droite pour des centaines de milliers d’élèves qui, dans moins de dix jours, se retrouveront seuls face à leur copie de baccalauréat. L’inquiétude est chaque jour un peu plus grande.

La tension était à son comble dès ce lundi pour les élèves des sections européennes qui ont passé leurs oraux, non sans quelques « couacs », pour reprendre les termes du ministre. Ces défaillances pourraient être qualifiées d’anecdotiques si l’on ne prenait pas la mesure de ce que représente le baccalauréat dans le parcours d’un élève.

Fort de l’expérience de l’an passé, le Gouvernement aurait dû être en mesure d’appréhender ces dysfonctionnements. Malheureusement, les leçons n’ont pas été tirées et les futurs bacheliers sont aujourd’hui victimes de ces choix.

Tâtonnements, absence de directives claires, incertitudes quant aux modes d’évaluation, manque de perspectives, alternance répétée entre présentiel et distanciel, dysfonctionnements réguliers des plateformes : autant de maux qui ont inévitablement conduit à une détresse lycéenne, exprimée aujourd’hui avec force. On note une augmentation de 80 % des hospitalisations en psychiatrie chez les jeunes depuis le début de la pandémie.

Des choix ont été faits, certes, mais ils furent tardifs et insuffisants.

L’état des lieux reste préoccupant, notamment en termes d’égalité. L’accès à internet, l’environnement familial ou encore les conditions d’habitation ne garantissent pas les mêmes chances de réussite aux élèves. Les protocoles variables d’un établissement à l’autre et la différence significative de traitement entre le public et le privé ont également creusé les écarts entre établissements.

Ces différents facteurs renforcent la sélection sociale à l’entrée de l’enseignement supérieur, le grand oral, la réforme des lycées et la machine à sélectionner Parcoursup maintenant ce cap inégalitaire.

Il aurait pu être sage d’annuler le grand oral et les épreuves terminales. Mais votre refus d’entendre l’inquiétude et la colère des élèves, des enseignants et des parents nous ont fait perdre un temps précieux.

Comment comptez-vous, dans ces conditions, et à quelques jours du début du baccalauréat, assurer une égalité de traitement entre les élèves et rassurer parents, élèves et enseignants ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’éducation prioritaire.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de léducation prioritaire. Monsieur le sénateur, le dispositif que nous avons mis en place vous semble hasardeux. Au contraire, il m’apparaît plutôt que, durant cette période sanitaire si particulière marquée par la pandémie de covid, nous n’avons jamais cessé de nous adapter et de faire preuve d’agilité, avec toujours trois objectifs comme boussole : la santé et la sécurité de nos élèves – nous n’avons jamais cessé d’adapter nos protocoles sanitaires tout au long de l’année –, la bienveillance et le pragmatisme.

Vous évoquez plus spécifiquement les conditions de passage du baccalauréat. Oui, vous avez raison, nous avons souhaité maintenir le grand oral et l’épreuve de philosophie, car il faut préparer nos élèves lycéens à l’enseignement supérieur et conserver au diplôme du baccalauréat sa valeur, de même que son caractère national et solennel.

Pour autant, je le redis, nous tenons bien évidemment compte des conditions sanitaires dans lesquelles nos lycéens évoluent, la plupart d’entre eux étant en demi-jauge depuis octobre dernier, avec une alternance de présentiel et de distanciel. Il faut aujourd’hui répondre à cela de façon très pratique, et c’est notamment ce que nous faisons en adaptant les épreuves de français et de philosophie, ou encore le grand oral.

Je vous rappelle également que, depuis le mois de janvier, nous n’avons cessé d’augmenter progressivement le contrôle continu, qui représente aujourd’hui 82 % de la note globale.

C’est donc avec beaucoup de bienveillance et de pragmatisme que nous allons aborder ces épreuves. Nous le savons, c’est un temps particulièrement important pour nos élèves comme pour leurs parents, et nous mettons tout en œuvre pour que le baccalauréat se passe dans les meilleures conditions, et que nos lycéens en soient fiers. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

point d’étape de parcoursup

M. le président. La parole est à M. Abdallah Hassani, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Abdallah Hassani. Madame la ministre, comme chaque année, les élèves de terminale sont inquiets. Mais la situation est particulière. Ils ont expérimenté la réforme du lycée et subi deux années de pandémie avec des conditions de vie scolaire éprouvantes, entre confinement et demi-jauges. Les épreuves du bac ont également dû être aménagées.

Beaucoup d’entre eux s’alarment par ailleurs de l’incertitude dans laquelle les plonge Parcoursup. La plateforme s’est nettement améliorée grâce aux réels efforts qui ont été accomplis, et qu’il faut saluer. Des remontées du terrain nous rapportent toutefois encore des difficultés de connexion et des bugs qui annuleraient des vœux en attente.

La promesse que très peu d’élèves resteront in fine sans solution, et que le but est de trouver une formation à chacun ne saurait suffire à apaiser un sentiment d’injustice. J’ajoute qu’outre-mer, les lycéens doivent s’organiser pour rechercher très loin de chez eux un hébergement et acheter des billets d’avion.

Confrontés à une crise exceptionnelle, beaucoup d’élèves ont fait des choix qui traduisent une volonté de construire un monde plus solidaire et une économie responsable. Ils privilégient les professions de santé, les formations d’ingénieurs et de techniciens supérieurs, le droit ou l’apprentissage. Nous nous devons de leur faciliter la tâche, de les accompagner avec équité et transparence dans leurs choix.

Madame la ministre, quels moyens mettez-vous en œuvre pour apaiser leurs inquiétudes ? Quel bilan d’étape faites-vous, quinze jours après les premières réponses aux vœux ? Enfin, quelles dispositions seront-elles prises pour ne pas pénaliser les étudiants victimes de dysfonctionnements ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Monsieur le sénateur Hassani, vous l’avez dit, en même temps que le baccalauréat, les processus d’entrée dans l’enseignement supérieur s’enclenchent. Voilà maintenant quinze jours que la plateforme Parcoursup fonctionne, et je veux évidemment vous rassurer, de même que tous les jeunes qui nous écoutent.

D’abord, avec Jean-Michel Blanquer, nous avons mis en place une cellule d’observation, justement pour voir quel est l’impact de la transformation du baccalauréat sur les choix des lycéens. Nombre d’entre eux ont en effet témoigné de beaucoup d’engagement et d’altruisme en choisissant les métiers du soin.

Avec le Premier ministre, grâce au plan de relance, nous avons créé plus de 6 000 places supplémentaires dans ces filières pour accueillir davantage de jeunes. Vous avez aussi mentionné l’apprentissage, qui permet à de très nombreux jeunes de poursuivre dans l’enseignement supérieur. Là encore, grâce au plan « 1 jeune, 1 solution » et au plan de relance, nous allons essayer de dépasser le record, atteint l’an dernier, du nombre de jeunes dans l’enseignement supérieur bénéficiant de processus d’apprentissage.

Vous avez également mentionné les difficultés de connexion que certains étudiants ont rencontrées. Dans ce cas, les rectorats prennent le relais et remplissent avec les jeunes le dossier Parcoursup. Nous le faisons depuis l’ouverture de la plateforme. Nous appelons également individuellement, depuis le 28 mai, tous les étudiants qui n’ont fait que des vœux sélectifs et qui n’ont reçu que des réponses négatives. Nous veillons à ce que personne ne reste sur le carreau.

Vous m’avez enfin demandé où nous en étions. Sur les 634 000 lycéens qui ont fait des vœux, plus de 81,3 % ont reçu une proposition, et plus de neuf lycéens en bac général sur dix. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

retraites

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. René-Paul Savary. Ma question s’adresse au secrétaire d’État chargé des retraites.

Monsieur le secrétaire d’État, les Français sont très attachés à leur système de retraite. Il faut dire que notre pays est celui où l’on part le plus tôt en retraite, avec une pension en moyenne plus élevée que dans les pays voisins. En contrepartie, nous payons des cotisations particulièrement importantes, mais cela ne suffit pas puisque le déficit est chronique.

Les travaux du Conseil d’orientation des retraites (COR) sont particulièrement édifiants : quel que soit le scénario retenu, l’équilibre ne pourrait être atteint qu’au détriment du niveau des pensions.

Nous aimerions que vous puissiez nous aider à décrypter les pensées du Président de la République, ou tout au moins ses arrière-pensées, et que vous n’hésitiez pas dans la foulée à nous faire part des pistes que vous envisagez ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des retraites et de la santé au travail.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre du travail, de lemploi et de linsertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Monsieur le sénateur René-Paul Savary, vous êtes fort averti du sujet des retraites. Au lieu de chercher à décoder la pensée des uns ou des autres, je vous exposerai la mienne, ce sera plus simple !

Rappelons tout d’abord que la priorité absolue, aujourd’hui, c’est d’accompagner la reprise de l’activité et le rebond de l’économie.

S’agissant des retraites, vous connaissez ma ligne : je reste convaincu qu’une réforme profonde est nécessaire pour assurer, à la fois, l’équité et la pérennité du système de retraite par répartition.

Pas de solidarité durable sans équilibre durable ! La solidarité est à ce prix. La transformation du pays enclenchée en 2017 reste donc indispensable, peut-être plus encore aujourd’hui qu’hier.

La crise de la covid-19 a d’ailleurs montré l’importance de la solidarité lorsque celle-ci est assise sur la base la plus large possible. C’est précisément cette solidarité qui fonde notre système de retraite par répartition, auquel nous sommes profondément attachés.

S’agissant du financement de notre système de retraite, il ne vous a effectivement pas échappé que les dernières projections du COR, qui seront discutées dans les heures et les jours qui viennent, témoignent d’un déficit durable, qui s’est élevé pour 2020 à 18 milliards d’euros, corrigé de 5 milliards d’euros d’abondements. L’équilibre de nos régimes est aujourd’hui précaire : il nous faut un système plus pérenne financièrement pour garantir la stabilité et la soutenabilité de notre système par répartition. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. On l’a compris !

M. le président. Il faut conclure !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Comme l’a indiqué le Président de la République récemment, rien n’est exclu concernant le sujet, mais, pour l’heure, rien n’est décidé. (Mêmes mouvements.)

Mme Sophie Primas. Magnifique !

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour la réplique.

M. René-Paul Savary. Merci, monsieur le secrétaire d’État, pour cette réponse très précise… (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.) Il n’en demeure pas moins que l’étau se resserre.

Attendre, c’est laisser le déficit se creuser un peu plus, remettre en cause notre système par répartition et inciter les Français à épargner plutôt qu’à consommer. C’est faire que la reprise ne se passe pas exactement comme prévu.

À l’inverse, agir dans la précipitation, c’est nier le besoin de consensus et de discussions. C’est risquer de mettre les Français dans la rue et de compromettre aussi la reprise, d’une autre manière.

Tout cela est bien compliqué, mais le pire serait de ne rien faire. Il faut mettre un terme aux doutes, aux tergiversations inutiles – ce sont de légitimes sources d’inquiétude – et passer à l’acte !

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez constaté le fiasco d’un projet que personne n’a compris, que même le Président de la République a jugé trop complexe.

Dites la vérité aux Français, même si ce n’est pas forcément très populaire, et proposez-nous des choses simples. Car, on le voit bien, à vouloir tout changer, on ne change rien ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et des travées du groupe UC.)

réforme des aides personnalisées pour le logement

M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Viviane Artigalas. Alors que le Président de la République souhaite consacrer sa dernière année de mandat à des réformes sociales, le calcul en temps réel des aides personnelles au logement (APL) est un ratage complet.

Cette réforme devait avantager ceux qui connaissent une chute subite de revenus. Elle devait surtout permettre à l’État d’économiser 750 millions d’euros. Les chiffres révélés hier confirment qu’elle a fait beaucoup de perdants, et de manière plus rapide que prévu. Et ceux qui en font les frais sont, en grande majorité, les jeunes.

Pour le seul mois de janvier, on compte 8,4 % d’allocataires en moins, et 41 % des allocataires ont vu baisser leur APL. Sans la réforme, leur aide n’aurait pas diminué, ou moins rapidement. Faut-il s’étonner de tels résultats, en l’absence d’une étude d’impact ?

Pour les jeunes, le calcul des APL tous les trois mois est très impactant : en raison d’un effet de rattrapage brutal, tous sont perdants. Et le dispositif mis en place par Action Logement n’a pas suffi, tant les besoins sont importants.

Madame la ministre, quelles mesures comptez-vous mettre en œuvre pour vraiment compenser cette réforme ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Madame la sénatrice Artigalas, le principe même de la réforme du calcul des APL en temps réel, c’est de rendre notre système de protection sociale plus juste.

Il s’agit de pouvoir verser rapidement une aide adaptée à la situation des bénéficiaires, mais aussi de moderniser et de simplifier les APL. Tout est calculé de façon automatique pour la grande majorité des allocataires, ce qui diminuera aussi le taux de non-recours, beaucoup trop important jusqu’à présent.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Bref, tout va bien ! (Sourires ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Barbara Pompili, ministre. À la suite du changement du mode de calcul au 1er janvier, une première actualisation trimestrielle des droits est intervenue en avril.

J’insiste, madame la sénatrice, sur le fait qu’il n’existe pas à ce stade de données consolidées sur les impacts de la réforme, y compris sur les droits versés en janvier. Les chiffres qui circulent actuellement dans la presse correspondent à des données provisoires et l’historique des années précédentes montre des évolutions sensibles entre données provisoires et données définitives. Le ministère du logement communiquera à ce sujet en juillet, une fois que les chiffres du mois de janvier seront stabilisés.

Concernant l’impact de la réforme, les jeunes actifs qui ont un travail verront en effet leur niveau d’APL diminuer plus rapidement qu’avec l’ancien système si leurs revenus salariés augmentent significativement. Mais ce sera l’inverse pour ceux dont les revenus diminuent, et c’est précisément le principe de la réforme.

Si les chiffres montrent véritablement une baisse des APL versées, cela signifiera surtout que les dispositifs de soutien que nous avons mis en place pendant la crise ont fonctionné. Je ne peux que le souhaiter.

Je rappelle par ailleurs que le niveau des APL est maintenu pour les étudiants, voire augmenté pour les étudiants salariés dont la prise en compte des revenus n’entraîne désormais plus de dégressivité des allocations. Les stagiaires et les alternants bénéficient également d’un système avantageux de prise en compte de leurs revenus.

Nous sommes particulièrement attentifs à la situation des jeunes. Nous avons fait le choix de modifier la formule de calcul des APL afin de mieux prendre en compte la situation spécifique de ceux qui sont en contrat de professionnalisation – cette évolution est effective depuis le mois dernier.

Je vous rappelle enfin que le Gouvernement déploie le dispositif « 1 jeune, 1 solution », sous l’égide de ma collègue Élisabeth Borne, afin d’aider chaque jeune à accéder à un emploi. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.

Mme Viviane Artigalas. Madame la ministre, contrairement à vos affirmations, les chiffres sont têtus : visiblement, ce que vous proposez ne suffit pas à répondre aux besoins.

Cela confirme que tout ce que le Gouvernement a entrepris en matière de logement n’aura fait qu’accroître les inégalités. La baisse des APL de 5 euros était déjà choquante. Trois ans plus tard, cette baisse est huit fois supérieure !

Elle a été couplée avec la mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS), un dispositif dont la Cour des comptes a souligné les défaillances et qui a grandement fragilisé l’action des bailleurs sociaux, tant en matière de construction que de réhabilitation du parc existant.

La pandémie l’a montré, le logement est un sujet majeur. Pourtant, l’État persiste à se reposer entièrement sur des opérateurs comme Action Logement, tout en n’écartant pas la possibilité de ponctionner encore son budget, au risque de freiner ses actions.

Pour le Gouvernement, le logement n’est qu’une variable d’ajustement, une source d’économies. C’est bien la preuve de son désengagement en matière de progrès social. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et GEST. – Mme Valérie Létard applaudit également.)

panne des numéros d’urgence

M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Chaize. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, qui appeler au secours lorsque même les secours pointent aux abonnés absents, quand aucun appel ne peut aboutir ?

Cette question, nos concitoyens ont eu de très longues minutes d’attente, et souvent d’angoisse, pour se la poser le 2 juin dernier. J’ai bien évidemment ici une pensée pour les familles touchées.

Stéphane Richard, PDG d’Orange, l’opérateur en charge de la distribution et de la continuité de ces appels, a indiqué que cet incident grave et inédit serait la conséquence d’une panne logicielle sur des équipements critiques du réseau. Je note qu’il a d’emblée exclu, sans attendre les résultats de l’enquête, tout problème de maintenance ou d’attaque cybercriminelle. Dont acte.

Il a pourtant précisé que ce service était redondé au moins cinq fois. Dans ces conditions, une panne semble statistiquement extrêmement improbable, sauf à ce que la redondance ne serve strictement à rien. C’est la première interrogation dont je souhaitais vous faire part, monsieur le ministre.

Il semblerait par ailleurs que la panne n’ait pas été détectée en premier lieu par Orange, mais par les services de l’État. Pouvez-vous nous le confirmer ?

Orange a annoncé qu’elle publierait les résultats de son enquête interne. De son côté, le Gouvernement a lancé un audit. J’ose espérer que la lumière sera faite sur l’origine de cette panne d’ampleur et que les Français en seront informés.

Cet événement dramatique doit aussi nous permettre d’envisager autre chose que de simples correctifs, par exemple en accélérant le passage de nos services publics vers le tout-IP, afin de disposer de technologies innovantes et réellement sécurisées.

Quels enseignements le Gouvernement tire-t-il de cette triste expérience ? Comment expliquer qu’une telle panne soit possible ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Gérald Darmanin, ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur, le 2 juin, vers seize heures trente, les services de l’État – la préfecture de police de Paris, mais aussi les préfets de plusieurs départements – ont signalé jusqu’à 30 % d’appels en moins vers les numéros d’urgence que la moyenne habituelle. Chaque jour, en effet, 150 000 Français appellent le 15, le 17 ou le 18.

La société Orange n’était manifestement pas informée de cette panne dans un premier temps. Une heure environ après les services de l’État, elle a toutefois reconnu qu’il y avait un problème, qui se traduisait non par un arrêt, mais par une dégradation du service.

Selon les premières estimations de l’État, non confirmées pour l’instant par un quelconque rapport, nous aurions perdu environ 30 % des appels, soit que l’opérateur ne répondait pas, soit que la communication s’interrompait au bout de trente secondes.

En raison de l’essence même des numéros d’urgence, j’ai demandé très rapidement au directeur de cabinet du Premier ministre, présent à Paris – j’étais pour ma part en déplacement avec Cédric O et M. le Premier ministre à Tunis –, d’activer la cellule interministérielle de crise. Les préfets ont alors substitué aux numéros d’urgence des numéros plus longs dans les minutes qui ont suivi : 400 numéros ont été mis en place dans 80 départements. Pendant deux jours, nous avons pris en main le travail dévolu en principe au serveur Orange. Je veux d’ailleurs remercier les autres opérateurs, qui ont permis de résoudre une partie des problèmes rencontrés.

Comme vous, monsieur le sénateur, j’ai une pensée particulière pour les personnes qui ont vécu les six situations critiques, dont quatre décès, ayant peut-être un lien direct – ce n’est pas certain à ce stade – avec l’impossibilité de joindre les services d’urgence. Une enquête individuelle administrative a été demandée par M. le Premier ministre à l’ARS et au préfet pour chacun de ces cas.

La société Orange a communiqué. Pour notre part, nous n’excluons aucune cause, monsieur le sénateur. Nous ne sommes pas capables à ce stade de comprendre ce qui s’est passé exactement. Sur la base du code des télécommunications, nous avons saisi, à la demande du Premier ministre, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) et diverses inspections pour diligenter un rapport que nous rendrons public.

Nous n’excluons pas une attaque informatique, même si ce n’est pas l’hypothèse privilégiée. Ayant convoqué Stéphane Richard place Beauvau dès le lendemain matin de la panne, j’ai eu l’occasion, avec Cédric O, de dire combien cette situation était inacceptable et de demander à Orange, non seulement des explications sur cette panne, mais aussi des modifications pour que tout fonctionne à l’avenir. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.

M. Patrick Chaize. Cette panne est en effet inacceptable. Je vous rejoins sur ce point, monsieur le ministre.

La desserte fixe et mobile est un enjeu de plus en plus urgent ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

situation des copropriétaires bailleurs de résidence de tourisme

M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Jacquemet. Ma question, à laquelle j’associe mes collègues Jean-Michel Arnaud et Loïc Hervé, s’adresse au secrétaire d’État chargé du tourisme. Elle concerne le non-versement des loyers par les exploitants de résidences de tourisme aux propriétaires bailleurs.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez déjà été interpellé plusieurs fois sur le sujet. Pour autant, la question reste sans réponse.

Plusieurs dizaines de milliers de copropriétaires bailleurs sont dans une situation impossible. Ils sont impuissants face aux différents exploitants qui gèrent leurs résidences partout en France. Ils ont pour la plupart emprunté afin de réaliser un investissement dans le but de s’assurer un complément de retraite.

Ils se retrouvent aujourd’hui pris à la gorge, car les exploitants arguent de la crise sanitaire pour ne pas leur verser leurs loyers depuis mars 2020. Ils n’ont donc plus aucune rentrée d’argent, tandis qu’ils continuent à devoir payer leurs charges.

Ces exploitants ont pourtant reçu toutes les aides accordées par le Gouvernement, dont les prêts garantis par l’État (PGE). Si les chiffres qui nous ont été communiqués sont exacts, Appart’City aurait touché 32 millions d’euros, et Pierre & Vacances-Center Parcs 240 millions d’euros, justement pour renforcer leur trésorerie et assurer le règlement des sommes dues à leurs fournisseurs, soit en l’espèce les bailleurs, qui attendent toujours… Pouvez-vous nous confirmer que vous avez connaissance de cette situation ? Dans l’affirmative, comment le Gouvernement compte-t-il y mettre fin ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de létranger et de la francophonie. Madame la sénatrice, le tourisme, c’est une grande chaîne d’acteurs très divers. Mais si certains plongent, ils entraînent tous les autres. Dans cette affaire, on a besoin de trouver des solutions concrètes tous ensemble, par le dialogue.

Qu’a fait l’État ? Il a apporté son soutien aux acteurs économiques, notamment aux résidences de tourisme, à travers les PGE, le fonds de solidarité et le dispositif « coûts fixes » – sans aucun seuil pour les résidences à la montagne –, afin qu’ils puissent au mieux faire face à leurs obligations contractuelles. Mais le choc a été tel qu’ils l’ont fait de façon inégale. À la montagne, seuls 50 % des loyers ont en effet été versés.

C’est pourquoi le Gouvernement a souhaité faciliter le travail de dialogue et de conciliation. Dans la loi de finances pour 2021, vous avez voté un crédit d’impôt pour faciliter l’abandon de loyers en contrepartie de cet avantage fiscal. Nous avons également mobilisé le médiateur des entreprises et les commissions locales pour les baux commerciaux. Il est important que ce travail se poursuive. Le Syndicat national des résidences de tourisme (SNRT) travaille main dans la main avec l’Union nationale de la propriété immobilière (UNPI), qui représente les propriétaires investisseurs, et la Fédération bancaire française.

Il est important de pouvoir trouver des solutions sur mesure pour les propriétaires investisseurs, qui se retrouvent parfois dans des situations complexes qu’ils ne savent plus gérer. La recherche de solutions au cas par cas est aussi une façon de progresser.

Beaucoup de problèmes ont déjà été résolus, d’autres restent pendants. Les différentes parties doivent poursuivre ce travail de dialogue, et vous pouvez naturellement compter sur notre vigilance permanente, madame la sénatrice.

M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet, pour la réplique.

Mme Annick Jacquemet. J’entends bien tout ce que vous avez déjà fait, monsieur le secrétaire d’État. Pour autant, nous nous faisons le relais de tous ces copropriétaires bailleurs pris à la gorge, désespérés.

Vous n’êtes pas resté inactif, mais c’est vraiment le pot de terre contre le pot de fer… Les copropriétaires bailleurs ont vraiment besoin du soutien de l’État ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

rapatriement des personnels civils de recrutement local afghans

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Étienne Blanc. Ma question s’adresse à Mme la ministre des armées.

Madame la ministre, entre 2001 et 2014, environ 50 000 soldats français ont servi sur les théâtres opérationnels d’Afghanistan. À leurs côtés ont travaillé environ 700 Afghans – chauffeurs, voituriers, magasiniers, interprètes ou traducteurs. Aujourd’hui, un grand nombre d’entre eux ont pu gagner la France : le Gouvernement leur a attribué des visas. Mais tous n’en ont pas reçu.

Or voici qu’à la faveur de l’évolution de la situation politique et militaire en Afghanistan, les armées talibanes sont aux portes de Kaboul. De manière très explicite, elles ont mis une cible sur ces Afghans qui ont travaillé à nos côtés. Aujourd’hui, ceux-ci subissent une inquiétude terrible. Ils sont identifiés, ils sont connus, et leurs familles avec eux.

M. David Assouline. C’est honteux !

M. Étienne Blanc. Or il ne reste a priori que quelques semaines avant l’entrée des talibans dans Kaboul.

Alors, madame la ministre, ma question est simple : quelle est la position du Gouvernement quant à l’attribution à ces Afghans qui ont servi notre pays de titres de séjour qui leur permettront de rejoindre une terre d’asile ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des armées.

Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur Étienne Blanc, comme vous l’avez rappelé, la France a été engagée en Afghanistan entre 2001 et 2014, sous des mandats successifs de l’ONU. Au cours de cet engagement, 90 militaires français sont morts au combat ; permettez-moi de leur rendre hommage, mes pensées vont vers leurs familles.

Comme la plupart des autres nations qui se sont engagées en Afghanistan, nous avons eu recours à des civils recrutés localement pour aider la force dans sa mission au profit de la population afghane. Environ 1 000 personnes ont ainsi constitué le personnel civil de recrutement local (PCRL) ; parmi eux, une majorité d’interprètes, qui ont œuvré au profit de leur pays, aux côtés des forces françaises.

Entre 2013 et 2015, lorsque la France s’est désengagée de ce conflit, nous avons organisé en deux vagues le rapatriement de 171 d’entre eux et de leurs familles, soit 550 personnes au total.

En 2017, le Président de la République a considéré, au vu de la dégradation des conditions sécuritaires, en particulier à Kaboul, qu’il était nécessaire de rapatrier d’anciens PCRL qui en émettraient le souhait. C’est la raison pour laquelle un nouveau dispositif d’accueil a été mis en place ; entre 2018 et 2019, nous avons rapatrié 51 ex-PCRL supplémentaires ainsi que leurs familles, soit 218 personnes. Au total, ce sont donc 222 ex-PCRL et leurs familles qui ont été rapatriés, soit près de 800 personnes.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, de nouveaux événements sont récemment venus marquer ce pays. Avant de les évoquer, je voudrais vous rappeler que le ministère de l’Europe et des affaires étrangères avait organisé, dans le cadre des procédures de droit commun, les éventuelles demandes de retour exprimées par les ex-PCRL. Toutefois, du fait du retrait organisé par les États-Unis et les troupes de l’OTAN, ce ministère a mis en place un nouveau dispositif au profit des agents de droit local : 500 bénéficiaires ont d’ores et déjà été identifiés, parmi lesquels 400 ont déjà été rapatriés à ce jour ; une centaine d’autres devraient l’être d’ici à la fin de ce mois.

Je crois donc, monsieur le sénateur, que la France a su assumer ses responsabilités et exprimer sa solidarité vis-à-vis de ces personnes qui l’ont accompagnée durant toutes ces années d’engagement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour la réplique.

M. Étienne Blanc. Madame la ministre, votre réponse à ces situations très particulières et spécifiques était extrêmement attendue.

Je voudrais tout de même attirer votre attention sur le fait que l’expérience antérieure démontre que, dans un certain nombre de cas, les visas ont été contestés ; il a fallu plaider devant des tribunaux administratifs français pour que certains de ces cas soient résolus.

Le sens de mon propos est celui-ci : sur de tels sujets, l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) permet exceptionnellement à des étrangers de séjourner sur le territoire français au titre des services rendus à la France. Il faut à mon sens nous montrer très ouverts et très conciliants quant à l’interprétation des textes.

Tout le monde pense à ce qui s’est passé pour les harkis : il y va de l’honneur de la France ! Il s’agit d’apporter satisfaction à des Afghans qui ont servi la France et à leurs familles, à ceux qui ont servi loyalement un pays qu’ils ne connaissaient même pas, et qui l’ont servi de manière constante. Les questions juridiques ne doivent pas constituer un frein ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE et SER. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)

restructuration des services financiers de la poste

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Isabelle Briquet. J’associe mon collègue Christian Redon-Sarrazy à cette question.

Depuis plusieurs années, La Poste est en réorganisation permanente. Si l’on peut comprendre certaines évolutions visant à répondre aux besoins des usagers, il est des décisions incompréhensibles et lourdes de conséquences tant en matière d’emplois et d’aménagement du territoire que de service rendu.

C’est le cas aujourd’hui de la restructuration de ses services financiers. Nous avons appris le 4 juin dernier la fermeture des services de relation client de cinq centres financiers employant près de 500 personnes. À Limoges, ce sont 150 femmes et hommes qui sont directement concernés par cette décision, alors même que ce centre est reconnu nationalement pour ses performances et la qualité de ses conseils.

Or le choix de fermer ces services ne tient aucun compte d’éléments qualitatifs objectifs, mais seulement de l’éventuelle facilité à reclasser les salariés concernés. Je dis bien « éventuelle », car les possibilités de reclassement ne considèrent ni les grades, ni les compétences, ni les traitements et salaires.

Cette décision semble s’inscrire dans une stratégie de concentration d’activités au sein de certaines grandes métropoles. Pourtant, préserver l’activité et des emplois qualifiés répartis équitablement sur l’ensemble du territoire national est un impératif pour réduire les inégalités territoriales.

La Poste doit avoir les moyens d’assurer les missions de service public qui lui sont confiées par la loi. Une présence territoriale équilibrée y contribue et la fermeture de ces services financiers serait un recul supplémentaire.

Monsieur le ministre, considérant le poids de l’État au sein du groupe, quelles actions envisagez-vous pour préserver les emplois et le maillage territorial qui ont fait les preuves de leur efficacité ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice Briquet, la question que vous posez et l’inquiétude que vous relayez sont légitimes. Les députés Sophie Beaudouin-Hubière et Pierre Venteau nous en ont saisis, Bruno Le Maire et moi-même, il y a quelques jours.

Nous avons pris contact avec le président de La Poste, Philippe Wahl, qui nous a confirmé – nous partageons cette orientation – que le développement économique de son groupe ne pouvait se faire sans les territoires et, notamment, sans un maillage territorial dans des villes petites, moyennes, ou grandes. Limoges est l’une de ces villes, un centre financier pour La Banque postale et le quatrième centre financier de France.

Ce centre va évoluer, puisque La Banque postale a fait le choix de transformer progressivement les centres financiers en centres d’expertise et en centres de compétence produit, en s’engageant à mettre en place la formation et les investissements dans le numérique qui seront nécessaires.

Le président Wahl a redit aux députés que j’ai cités sa détermination pour que le centre financier de Limoges reste, en taille, le quatrième de France et soit même amené à croître dans le cadre du développement d’activités, notamment en matière de gestion des titres et des valeurs mobilières, comme en termes de développement des activités numériques et du paiement à distance.

Cela nécessite un investissement dans les outils numériques mais aussi dans la formation, pour permettre au personnel que vous avez évoqué, aux 147 salariés travaillant à Limoges, d’occuper ces postes. Cela nécessite aussi d’organiser des mobilités au sein du groupe La Poste.

Cela nécessite enfin de la concertation. Celle-ci a débuté. Une première réunion des instances sociales s’est tenue hier ; une seconde aura lieu vendredi.

Je peux donc vous assurer, à la fois, de la fermeté des engagements pris par le groupe La Poste vis-à-vis du Gouvernement, mais aussi des parlementaires, et de la très grande attention avec laquelle nous suivons ce dossier pour faire en sorte que ces engagements de maintien des emplois et des compétences soient tenus et que cette transformation, cette réorganisation et cette modernisation de l’activité financière de La Banque postale, que nous assumons, ne soient pas préjudiciables aux territoires et en particulier à Limoges.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour la réplique.

Mme Isabelle Briquet. Monsieur le ministre, j’entends bien votre réponse. La Poste ne joue pas n’importe quel rôle auprès des Français. C’est aussi pour cela que les élus sont particulièrement attentifs à défendre la présence postale en zone rurale.

À l’heure où la crise sanitaire nous oblige à repenser l’organisation territoriale des activités, La Poste doit pouvoir contribuer à l’aménagement du territoire pour les services de proximité au quotidien, mais aussi pour maintenir les bassins d’emploi qualifié. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

éoliennes

M. le président. La parole est à Mme Kristina Pluchet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Kristina Pluchet. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition écologique.

Madame la ministre, depuis quelques jours, la presse s’est fait l’écho des arguments des naufragés de l’éolien anarchique, après des années de promotion partiale et unilatérale. Aujourd’hui, de nombreux Français découvrent, scandalisés, ce leurre écologique.

Je ne reviendrai pas sur la liste fournie des arguments de raison que vous semblez ne pas entendre : vous les connaissez. En revanche, vous avez reconnu que de nombreux parcs éoliens avaient été installés « trop rapidement » et sans « suffisamment de concertation ».

C’est de la colère des élus et des riverains que je veux me faire le porte-voix, de ces élus ulcérés par leur impuissance et leur mise à l’écart ; ils font face à des réglementations qui n’ont cessé de réduire la participation des communes concernées et qui ont toujours plus restreint les voies de recours.

Ces élus et ces riverains, eux aussi très attachés à la défense de l’environnement, sont très inquiets du mitage et de l’artificialisation des sols de nos campagnes, artificialisation par ailleurs combattue avec force dans le projet de loi Climat et résilience.

Désormais les arguments de l’économie éolienne ne convainquent plus que les acteurs qu’elle enrichit. L’engagement pour le mix énergétique n’est pas le tout-éolien. L’écologie ne signifie pas la dictature des lobbies.

Face à un front d’opposition grandissant, ne croyez-vous pas, madame la ministre, qu’il est temps de renouer avec une vraie concertation, en redonnant aux élus la possibilité de choisir, pour les projets en cours et à venir ? Quelles mesures concrètes comptez-vous mettre en œuvre ?

Cette concertation a été muselée à coup d’ordonnances, de décrets et d’arrêtés depuis plusieurs années. Il est temps de donner un coup d’arrêt à cette tromperie et non un coup d’accélérateur, comme votre dernière circulaire aux préfets le laisse à penser.

Il est temps de revoir notre stratégie de mix énergétique avec des énergies moins dommageables du point de vue environnemental, économique et démocratique. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sonia de La Provôté applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Madame la sénatrice Pluchet, vous savez bien que, sur ces sujets, il faut essayer d’avoir un débat qui soit le plus calme et le plus serein possible… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Nous sommes calmes et sereins !

Mme Barbara Pompili, ministre. …, un débat qui soit autant que possible établi sur des faits. Malheureusement, dans la période que nous vivons, de fausses informations circulent trop souvent. Nous devons donc, tous ensemble, essayer de distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas.

Ce qui est vrai, c’est que nos besoins en électricité évoluent fortement : nous voulons avoir le mix énergétique le plus décarboné possible. Les voitures vont devenir plus électriques, nos industries aussi. Pour ce faire, nous avons besoin d’un mix qui soit à la hauteur.

La programmation pluriannuelle de l’énergie nous indique la direction à suivre : nous allons baisser la part du nucléaire à 50 % d’ici à 2035… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Sido. On n’y arrivera pas !

Mme Barbara Pompili, ministre. … et augmenter la part des énergies renouvelables de manière à équilibrer ce mix.

Nous devons évidemment réaliser des projections sur ce que nous voulons faire ensuite. RTE (Réseau de transport d’électricité) travaille sur différents types de mix. Quel que soit le scénario retenu – six sont envisagés, avec une part plus ou moins importante d’énergie nucléaire et d’énergies renouvelables –, il va falloir augmenter la part de toutes les énergies renouvelables, l’éolien terrestre n’étant que l’une d’entre elles : il y a évidemment bien d’autres énergies renouvelables !

Quant à la manière dont cela doit être fait, je suis d’accord avec vous : il faut plus de concertation et de visibilité, il faut que les territoires soient mieux associés.

C’est pourquoi j’ai envoyé la semaine dernière une circulaire aux préfets leur demandant d’établir une cartographie permettant de savoir où il est possible, sur chaque territoire, d’implanter des éoliennes et où c’est impossible, en fonction des éléments patrimoniaux, des radars militaires, du vent, bien sûr, mais aussi de la biodiversité, à laquelle nous sommes tous attachés.

À partir de cette cartographie, nous pourrons enfin avoir de la visibilité et associer les acteurs pour que, à la fin, le besoin en énergie soit satisfait au travers d’une meilleure concertation. Je suis sûre qu’en s’y mettant tous ensemble nous y arriverons ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et GEST.)

situation des producteurs de fraises

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Prince, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Paul Prince. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Monsieur le ministre, comme vous le savez, notre industrie agroalimentaire héberge une filière fraisière particulièrement dynamique. La première étape de la production fraisière est la production de plants de fraisiers, qui sont ensuite vendus à d’autres exploitations. La production hexagonale de plants de fraisiers est réputée pour sa diversité et la qualité gustative de ses produits.

Les producteurs de plants de fraisiers doivent respecter des obligations sanitaires strictes, la législation européenne fixant des seuils nuls ou très faibles de maladies et de ravageurs. De plus, la réglementation française fixe un niveau d’exigence supérieur à celui du droit européen. Pour ce faire, la qualité des sols est très importante. Les exploitants français utilisent à cette fin du Basamid, seul produit encore autorisé après l’interdiction du métam-sodium, et dont l’utilisation est strictement réglementée.

Or l’homologation de ce produit n’a pas été reconduite par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Des alternatives existent, mais soit elles sont plus chères et moins efficaces, soit elles sont encore à l’étude.

Le retrait de ce produit du marché, sans alternative, risque de compromettre gravement la production nationale de plants de fraisiers en créant une distorsion de concurrence avec nos concurrents européens qui utilisent des produits de désinfection interdits en France. Certains producteurs de plants pourraient même être tentés de mettre fin à leur activité. Les producteurs français de fraises seraient alors contraints d’acheter des plants à l’étranger.

Dans cette affaire, monsieur le ministre, plusieurs intérêts sont en cause : la survie d’entreprises françaises, l’emploi, la préservation d’un savoir-faire français, ainsi que notre souveraineté alimentaire.

Monsieur le ministre, avez-vous pris la mesure de l’enjeu ? Dans l’affirmative, comment envisagez-vous d’y répondre ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le sénateur Prince, oui, à l’évidence, nous avons pris la mesure de la difficulté à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés du fait de l’arrêt de ce produit, le Basamid.

Au préalable, je voudrais rappeler la position du Gouvernement à l’égard de cette transition. Nous entendons porter au maximum les débats à l’échelle européenne, comme vous l’avez dit dans votre question : c’est essentiel, si l’on veut des transitions, de les faire à l’échelle européenne. Ensuite, nous voulons accompagner les agriculteurs et ne pas les laisser sans solutions.

Dans le cas concret qui nous occupe, il est question d’un désinfectant du sol qui est notamment utilisé depuis la fin de la commercialisation d’autres produits, tels que le métam-sodium que vous avez mentionné. Il s’avère que, dans le cas du Basamid, l’Anses a revu les règles d’utilisation, mettant fin à la possibilité d’utiliser ce produit à partir de 2020.

Je voudrais, face à cette situation, souligner trois points.

En premier lieu, évidemment, nous nous sommes assurés que le retrait du produit serait assorti d’un délai, notamment pour l’utilisation du stock.

Deuxièmement, il est possible aujourd’hui que la firme qui commercialise ce produit fasse une demande de dépôt à l’Anses sur d’autres règles d’utilisation, un peu plus strictes, comme cela a été fait en Belgique, ce qui permet à nos concurrents belges de continuer à utiliser ce produit.

Enfin, il faut investir dans la recherche d’alternatives. L’une d’entre elles en particulier nous paraît très prometteuse : l’eau ozonée, qui est d’ailleurs portée par une société française. Nous voulons absolument l’aider ; c’est pourquoi un permis d’expérimentation lui a été accordé pour un délai de trois ans.

Notre position est que plus cette transition sera partagée à l’échelle européenne, plus elle sera rapide. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Je rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 16 juin 2021, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.)

PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique
Discussion générale (suite)

Bibliothèques et développement de la lecture publique

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique, présentée par Mme Sylvie Robert et plusieurs de ses collègues (proposition n° 339, texte de la commission n° 653, rapport n° 652).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi et rapporteure.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique
Article 1er

Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi et rapporteure de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, fallait-il une loi sur les bibliothèques ? Cette question peut paraître provocante : puisque je propose à vos suffrages ma proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique, la réponse semble aller de soi.

En réalité, cette question témoigne du long cheminement qui a émaillé la réflexion autour de l’opportunité d’une loi sur les bibliothèques.

Que de débats parmi les professionnels ! Préciser, mais ne pas brider ; encadrer, mais ne pas enfermer : l’équilibre à trouver n’a pas été si évident. Il a d’ailleurs requis d’intenses réflexions avec le ministère de la culture. Je veux ici l’en remercier très sincèrement et saluer en particulier, au sein de la direction générale des médias et des industries culturelles, le Service du livre et de la lecture. Mais nous avons aussi mené notre réflexion avec les professionnels, les collectivités territoriales et les élus.

Cette proposition de loi est l’expression d’un compromis, que je pense pouvoir dire unanime, en faveur de la reconnaissance de l’importance des bibliothèques et des bibliothécaires.

Elle est aussi l’expression de mon attachement profond aux bibliothèques et de ma reconnaissance pour les personnels qui les font vivre et pour les millions de nos concitoyens qui, chaque jour, en poussent les portes, peu importe la raison.

On va dans les bibliothèques pour lire, pour en parcourir les rayons, bien sûr, mais aussi pour écouter un auteur, visiter une exposition, participer à un débat ou à un atelier, pour refaire son CV ou pour réviser le bac, pour participer à un tournoi de jeux vidéo, pour aller sur internet, et pour tant d’autres activités encore qu’il me faudrait une discussion générale entière et, en tout cas, plus de vingt minutes, pour être exhaustive.

En somme, la bibliothèque est une expérience culturelle et ludique, mais aussi sociale. Elle est un lieu unique, exceptionnel, qui ouvre à tous les possibles.

C’est la bibliothèque-univers qu’Umberto Eco décrit dans son opuscule De Bibliotheca : « Si la bibliothèque est, comme le veut Borges, un modèle de l’Univers, essayons de le transformer en un univers à la mesure de l’homme, autrement dit une bibliothèque où l’on ait envie d’aller et qui progressivement se transforme en une grande machine pour le temps libre. » C’est un lieu de livres, évidemment, mais également un lieu de vie.

Saint Thomas d’Aquin écrivait : « Je crains l’homme d’un seul livre. » Dans notre époque marquée par la violence du débat politique, par le dogmatisme, par l’enfermement dans des certitudes souvent faciles, les bibliothèques s’imposent comme des lieux indispensables de respiration citoyenne et civique, comme des lieux d’émancipation où chacune et chacun peuvent se forger un esprit critique ; en somme, aujourd’hui plus que jamais, comme des lieux de raison et de libertés.

Je ne crois d’ailleurs pas que ce soit un hasard si Adolphe Thiers, lors de la construction de notre hémicycle en 1837, a choisi de faire édifier une bibliothèque au plus près de la salle des séances. Nous avons encore aujourd’hui la chance de siéger à quelques mètres de l’une des plus belles bibliothèques de France, qui nous offre, dans un cadre privilégié, l’occasion de prendre un peu de recul vis-à-vis de notre action politique et un peu de distance face à la vitesse de notre actualité.

Plus concrètement, avec ma proposition de loi, j’ai souhaité porter deux objectifs : ancrer profondément les bibliothèques dans notre droit, d’une part ; conforter leur lien avec les collectivités territoriales, dans le plein respect de leur liberté de gestion, et renforcer les politiques publiques en matière de lecture publique, d’autre part.

J’ai souhaité tout d’abord ancrer profondément dans notre droit les bibliothèques. Les dispositions qui les concernent ne représentent aujourd’hui que cinq articles dans le code du patrimoine, sans même une définition de leur mission, soit douze fois moins que pour les archives. En réalité, mes chers collègues, il n’y a jamais eu dans notre pays de loi sur les bibliothèques !

Telle est la finalité de ma proposition de loi, qui constitue, pour ces établissements, une consécration législative et, pour moi, l’aboutissement de plusieurs années de travail et de multiples rencontres, ainsi que de réflexions nourries par mes travaux parlementaires et par mon expérience d’élue chargée de la culture à Rennes et en Bretagne.

Mon rapport de 2015 sur l’adaptation et l’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques a permis la mise en place d’un dispositif de soutien financier de l’État à destination des collectivités territoriales.

Parallèlement, le sujet s’est imposé dans le débat public, comme en a témoigné la mission Orsenna-Corbin, en 2017 et 2018, ainsi que le lancement par le ministère de la culture d’un plan bibliothèques visant à ouvrir plus et mieux. Ce plan s’accompagnera d’une augmentation de la dotation générale de décentralisation de 8 millions d’euros, soit un investissement total de 88 millions d’euros.

Enfin, avec Colette Mélot, j’ai présenté en juillet dernier à notre commission de la culture un rapport d’information consacré à l’évaluation de la politique publique en faveur de l’extension des horaires des bibliothèques. Ce rapport a été très intéressant à élaborer.

De cette réflexion au long cours est née la certitude qu’il fallait enfin donner un cadre, un statut et des missions aux bibliothèques municipales, intercommunales et départementales, qui font vivre nos territoires.

Il était impératif de fixer plusieurs grands principes, qui ont d’ailleurs parfois été remis en cause, y compris ces dernières semaines, alors même qu’ils sont au fondement des bibliothèques : le pluralisme des courants d’idées et d’opinion, l’égalité, la liberté et la gratuité d’accès, la neutralité du service public.

Dans la très grande majorité des cas, ces principes sont déjà pratiqués au quotidien, si bien que les énoncer les renforce et les conforte. En outre, ils apportent une sécurité juridique et peuvent prévenir certaines dérives que nous avons vues à l’œuvre récemment.

Avec cette proposition de loi, j’ai également voulu souligner le lien entre les collectivités territoriales et leurs bibliothèques.

Je n’ai pas voulu imposer de contraintes supplémentaires ni de dépenses nouvelles. Nous savons trop bien, comme élus locaux, qu’il vaut mieux laisser l’initiative au plus proche du terrain et qu’il est préférable que la loi fixe les grands principes et les objectifs généraux, tout en laissant aux collectivités de la latitude pour les remplir.

Pour autant, je souhaite que les élus s’emparent pleinement du sujet et établissent dans leurs cités une véritable politique culturelle et éducative, qui fasse rayonner les bibliothèques sur leur territoire.

En effet, comme élus, nous entendons tous des témoignages convergents. La semaine dernière encore, en commission, nous avons pu constater la capacité remarquable des bibliothécaires à réinventer leur métier et leur passion dans nos territoires. Les témoignages de mes collègues étaient véritablement très touchants.

En effet, on sait bien que les bibliothécaires pratiquent une évolution permanente ; elles – j’emploie volontairement le féminin ! – font preuve d’une capacité à s’adapter et à créer, parfois avec peu de moyens, qui doit être saluée. C’est aussi grâce à elles et à eux que les bibliothèques sont des endroits vivants qui ont su accompagner l’évolution des usages, avec le numérique, mais aussi inventer, créer et innover ; je veux associer à cette idée Erik Orsenna et Noël Corbin.

Au-delà des symboles, les bibliothécaires attendaient depuis longtemps l’inscription dans la loi des missions des établissements. Je veux profiter de cette tribune pour leur témoigner ma reconnaissance, à la fois amicale et admirative pour leur travail quotidien : leur sens du service public s’accorde parfaitement avec leur mission de service public.

Les bibliothèques constituent en effet le seul service public où vous pouvez venir en toute liberté et rester, toute la journée si vous le voulez, sans que personne vienne vous solliciter pour autre chose que, peut-être, un conseil. Ce sont des lieux de sociabilité et de croisement de toutes les populations, des lieux d’accueil, de bienveillance et même, si je puis dire, d’hospitalité.

Si j’ai volontairement recherché, dans cette proposition de loi, le consensus le plus large, il n’en reste pas moins que des sujets essentiels attendent encore d’être traités. Il conviendrait également de consolider le chaînage vertueux qui existe entre les collectivités territoriales et les bibliothécaires.

La première lecture de ce texte par le Sénat constitue pour moi un moment très important. Je m’adresse à vous, madame la ministre, car je sais pouvoir compter sur votre engagement et sur votre force de conviction : vous l’avez déjà démontré en m’accordant que ce texte soit examiné en procédure accélérée, et je vous en remercie sincèrement. Mais ce texte est aussi une première étape, qui en appelle au moins deux autres avant la fin de cette année.

Tout d’abord, nous aurons à reparler très prochainement des bibliothèques départementales et assurément de la situation en outre-mer, probablement dans le cadre de l’examen du projet de loi dit 4D ou 3D», qui aura lieu en juillet au Sénat.

Ensuite, mes chers collègues, il nous faudra nous assurer tous ensemble, dans le cadre du prochain projet de loi de finances, de la pérennisation des moyens des bibliothèques qui ont bénéficié, ces dernières années, de crédits supplémentaires au sein de la dotation générale de décentralisation.

Cet effort ne doit pas rester sans lendemain ; il faut que ces crédits deviennent pérennes, tant les premiers résultats enregistrés ont été spectaculaires en matière d’adaptation et d’ouverture au public ; nous avons pu le constater, lors des travaux que j’ai conduits avec Colette Mélot.

Voilà, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’esprit qui anime et qui fonde la proposition de loi que j’ai l’honneur et le plaisir de vous présenter aujourd’hui.

Je suis sensible également à la concomitance de l’examen de ce texte avec celui de la proposition de loi de ma collègue Laure Darcos sur l’économie du livre, qui a été adoptée hier à l’unanimité de notre assemblée.

Cette séquence sénatoriale que nous traversons autour et en faveur du livre et de la lecture publique me semble importante.

En deux jours, le Sénat se sera honoré en débattant pleinement de l’ensemble de la chaîne du livre, ce qui témoigne une nouvelle fois de notre engagement sans faille en faveur de la culture et de toutes celles et tous ceux qui la font vivre. Mes chers collègues, je vous en remercie très sincèrement. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, Laurent Lafon, madame la rapporteure et auteure du texte, chère Sylvie Robert, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de vous retrouver aujourd’hui pour évoquer la politique des bibliothèques, après avoir débattu hier de plusieurs sujets importants pour les acteurs de la chaîne du livre, grâce à la proposition de loi de Laure Darcos.

Les 15 000 bibliothèques françaises constituent le premier équipement culturel de notre pays. Près de 13 000 collectivités territoriales – communes, intercommunalités, départements – font vivre ces lieux de culture et d’éducation, sur tout le territoire. Elles consacrent chaque année près de 1,7 milliard d’euros à ce service public ; grâce à elles, plus de 85 % des Français ont accès à une bibliothèque dans leur commune.

L’État prend part à cet effort en faveur des bibliothèques et de la lecture publique. Outre les bibliothèques universitaires, il gère deux bibliothèques nationales : la Bibliothèque nationale de France, la BNF, et la Bibliothèque publique d’information, la BPI. Il accompagne aussi les collectivités territoriales pour moderniser leurs bibliothèques et maintenir la vitalité de la lecture publique.

Le partenariat noué entre les collectivités territoriales et l’État autour des bibliothèques est remarquable ; ce quinquennat restera un moment particulièrement fort de cette relation.

Sur la base du diagnostic posé par Erik Orsenna en 2018 – vous y faisiez allusion, madame la rapporteure –, les collectivités territoriales et l’État ont renforcé leur collaboration pour étendre les horaires d’ouverture des bibliothèques, diversifier leurs missions et accompagner la formation des professionnels.

Grâce au plan Bibliothèques qui en est issu, l’État a accru les moyens alloués aux collectivités au travers de la dotation générale de décentralisation, du plan de relance et d’une politique de contractualisation renforcée.

Une véritable dynamique est née ; j’espère qu’elle se poursuivra. Les résultats sont là : entre 2016 et aujourd’hui, 710 communes ont vu leur médiathèque étendre de huit heures trente par semaine leurs horaires. Plus de 11,3 millions de Français peuvent ainsi bénéficier d’un service accru, notamment dans les territoires les plus fragiles.

Les bibliothèques ont été parmi les seuls établissements culturels à rester largement ouverts durant la crise sanitaire, puisqu’elles n’ont interrompu leurs services que quelques semaines au printemps et à l’automne 2020, lors des premier et deuxième confinements.

Ce « moment bibliothèques » trouve aujourd’hui sa concrétisation sur le plan législatif, sur votre initiative, madame Robert. Je salue votre engagement sans faille en faveur des bibliothèques, puisque vous aviez déjà œuvré, en 2016, à la création du dispositif de soutien à l’extension de leurs horaires d’ouverture.

Bien que le secteur des bibliothèques n’échappe pas au droit, vous avez relevé à juste titre la faiblesse de la présence des bibliothèques dans notre corpus législatif : là où le code du patrimoine accorde plus de soixante articles aux archives et trente aux musées, il n’en consacre que cinq aux bibliothèques.

La pauvreté relative de ce cadre législatif a suscité, depuis des décennies, nombre de débats parmi les professionnels sur la nécessité ou non d’une loi sur les bibliothèques. Elle a conduit à plusieurs tentatives de légiférer ; aucune n’a cependant abouti.

Je crois qu’est venu aujourd’hui le moment de faire pleinement entrer les bibliothèques dans le droit, avec un texte qui, à mes yeux, présente au moins quatre avancées.

Premièrement, il est fondamental de rappeler que les missions culturelles, éducatives, sociales ou ludiques des bibliothèques s’inscrivent dans le respect des principes de pluralisme des courants d’idées et d’opinions et de neutralité du service public – la période actuelle nous invite à cette exigence.

Plus que jamais, les bibliothèques doivent demeurer des espaces de liberté, des lieux de respiration démocratique ; leurs professionnels doivent être protégés de la censure, comme de toute pression politique, religieuse ou sociale ; leurs collections doivent refléter la diversité des opinions.

Deuxièmement, les bibliothèques doivent rester accessibles à tous, librement et gratuitement. Il est important que la loi entérine un principe qui fait consensus et qui constitue l’une des conditions cardinales du succès des bibliothèques.

Troisièmement, la loi accompagne la montée en puissance des collaborations entre collectivités territoriales, tout en respectant leur libre administration et en réaffirmant le rôle ô combien essentiel des bibliothèques départementales, en soutien aux petites bibliothèques, notamment rurales.

Enfin, ces avancées prennent la forme d’un texte concis et ramassé. Il est de nature, j’en suis convaincue, à faire l’objet d’un consensus, à l’image de celui qui existe autour du rôle des bibliothèques, si chères à nos concitoyens.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement soutient sans réserve l’esprit et la lettre de la proposition de loi de Sylvie Robert relative aux bibliothèques – ce « carrefour de tous les rêves de l’humanité », comme disait Julien Green – et au développement de la lecture publique. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur mon engagement pour assurer rapidement la poursuite du processus législatif de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC, SER et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, notre pays compte aujourd’hui plus de 16 500 bibliothèques. Le réseau de lecture publique s’est considérablement développé grâce à la décentralisation.

Les bibliothèques ont élargi leur champ de compétences, proposant des plateformes de consultation en ligne. Outre le livre, qui reste leur cœur d’activité, les bibliothèques et médiathèques sont des portes ouvertes sur de nombreuses expressions culturelles : musique, cinéma, arts visuels, contes ou photographie. Ce sont des lieux d’échanges et de rencontre, mais aussi des lieux d’utilité sociale, inclusifs et solidaires.

Toutefois, dans le même temps, le cadre juridique dans lequel les bibliothèques territoriales s’inscrivent est insuffisant. Même s’il existe un ensemble de textes réglementaires et de jurisprudences, il n’existe aucun texte de loi établissant une définition claire et précisant le rôle de ces temples de l’information.

Les bibliothèques sont notamment absentes du code du patrimoine, où aucune mention n’en est faite. Seules la BNF et la BPI sont placées sous la tutelle directe du ministère de la culture et disposent d’une législation propre.

Les agents des bibliothèques attendaient avec impatience une évolution de notre corpus juridique et la reconnaissance du travail qu’ils font au quotidien. Grâce à eux, nos bibliothèques ont su innover et se réinventer, afin de sauvegarder cette richesse qu’est la lecture publique. Je remercie donc ma collègue Sylvie Robert, auteure et rapporteure de ce texte, lequel participe au développement de l’accès à la culture en France.

Cette proposition de loi réaffirme trois grands principes essentiels : la liberté d’accès aux bibliothèques municipales et intercommunales sur tout le territoire français ; le principe de la gratuité d’accès aux collections et aux documents présents dans les bibliothèques territoriales ; le pluralisme des collections, afin de respecter les opinions de chacune et de chacun et de réaffirmer la neutralité de nos services publics.

Mentionné à l’article 5, ce principe s’inspire du manifeste de l’Unesco, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, sur la bibliothèque publique, qui rappelle que « les collections et les services ne doivent être soumis ni à une forme quelconque de censure idéologique, politique ou religieuse, ni à des pressions commerciales. »

Je salue la volonté, à l’article 12, de limiter la destruction intempestive de milliers de livres chaque année, après « désherbage ». En donnant la possibilité aux bibliothèques territoriales de céder des livres à des associations caritatives. Cet article pose les bases légales d’un principe que je défendrai toujours : ne jamais détruire un livre.

C’est d’ailleurs pour renforcer ce principe, mais aussi ouvrir le débat sur les dons, que nous avons déposé deux amendements. En réalité, trop peu d’associations ont les moyens d’organiser un plan de redistribution à grande échelle.

Des livres et des documents risquent toujours d’être détruits après désherbage. De ce fait, certaines bibliothèques font d’ores et déjà cession de documents à des entreprises de l’économie sociale et solidaire ou à des organismes d’accueil communautaire et d’activités solidaires, des Oacas, comme Emmaüs.

Je tiens à saluer le travail de nos collectivités, qui doivent faire toujours mieux avec encore moins de moyens financiers. La lecture publique n’y fait pas exception. Nous espérons que le projet de loi désormais appelé « 3DS », qui prévoit le transfert de certaines compétences aux collectivités locales, sera l’occasion de développer la responsabilité de nos départements et d’accroître leurs moyens dans le développement de la lecture publique.

Cette proposition de loi répond aux enjeux et aux problématiques qui s’imposent à la lecture publique et aux bibliothèques. Elle fait le pas vers une bibliothèque inclusive, gratuite et informée dans le choix de ses collections.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera chaleureusement ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Madame présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre groupe s’associe aux félicitations qui ont été exprimées et votera bien entendu ce texte.

Aujourd’hui, les bibliothèques publiques sont le premier équipement culturel de France : notre pays compte 16 500 établissements, pour 12 millions d’usagers. Le rapport Orsenna-Corbin de 2018, qui a déjà été cité, montrait que 40 % des Français fréquentaient une bibliothèque au moins une fois par an, mais que seuls 50 % d’entre eux y empruntaient un livre. Cela témoigne de la diversification des activités des bibliothèques et de l’évolution des usages.

Étant jeune, je me rappelle avoir fréquenté la bibliothèque Faidherbe, dans le XIe arrondissement de Paris ; j’y écoutais les contes qui étaient lus aux enfants pour leur faire découvrir la lecture. Aujourd’hui, c’est parfois un accueil, du café, du wifi ou des lectures publiques que l’on va chercher dans les bibliothèques… Bref, ces dernières sont indispensables.

J’observe une extraordinaire adhésion des Français aux bibliothèques, mais aucune définition de ces dernières n’existe, ni aucune loi-cadre. Ce texte est donc tout à fait bienvenu.

Trois acteurs décentralisés sont impliqués – les communes, les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, et les départements –, sans que leur rôle soit précisé. Peut-être faudra-t-il demain aller plus loin et inscrire les bibliothèques parmi les compétences obligatoires des départements ?

Un consensus a émergé. Je remercie le Gouvernement d’avoir décidé de la procédure accélérée et la commission d’avoir voté ce texte à l’unanimité. Ce consensus rejoint d’ailleurs celui qui prévalait hier sur les librairies indépendantes. Je n’y vois pas qu’une simple coïncidence de date : le livre rassemble et bibliothèques sont le lieu du lien, aussi bien entre les personnes qu’entre le passé et l’avenir.

Dans À la Recherche du temps perdu, Marcel Proust écrit : « C’est grâce à cet oubli seul que nous pouvons de temps à autre retrouver l’être que nous fûmes […] Au grand jour de la mémoire habituelle, les images du passé pâlissent peu à peu, s’effacent, il ne reste plus rien d’elles, nous ne le retrouverons plus. Ou plutôt nous ne le retrouverions plus, si quelques mots […] n’avaient été soigneusement enfermés dans l’oubli, de même qu’on dépose à la Bibliothèque nationale un exemplaire d’un livre qui sans cela risquerait de devenir introuvable. »

Nos bibliothèques publiques sont donc bien les gardiennes de la mémoire, mais aussi le lieu du lien. Elles ont un rôle patrimonial et d’actualité ; elles sont des lieux à la fois de vie, d’échange et de mémoire, et c’est en cela qu’elles sont extrêmement importantes. Cette proposition de loi acte intelligemment l’évolution de leurs usages et accompagne leur mutation. C’est pourquoi nous la voterons.

Comment ne pas citer Le Nom de la Rose et ne pas penser au bibliothécaire aveugle, Jorge de Burgos, dont le nom évoque Borges ? L’action du roman se passe dans un monastère, mais la bibliothèque y joue un rôle central. Umberto Eco y écrit : « La bibliothèque se défend toute seule. Insondable comme la vérité qu’elle héberge, trompeuse comme le mensonge qu’elle conserve. Labyrinthe spirituel, c’est aussi un labyrinthe terrestre. »

Mes chers collègues, entrons dans le labyrinthe pour mieux en sortir ! (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pour Gaston Bachelard, « Le paradis, à n’en pas douter, n’est qu’une immense bibliothèque ».

En bon radical, si j’aspire au paradis, c’est sur terre que je veux y accéder ! (Sourires.) Aussi, je m’inscris dans cette pensée qui témoigne de la valeur civilisatrice et essentielle dans nos vies de tels lieux culturels.

La France, terre de littérature, bénéficie d’une large couverture de bibliothèques sur tout son territoire, permettant un surcroît de fréquentation au sein de ces lieux culturels clés. Ainsi, 89 % de la population française ont accès à un lieu de lecture dans sa commune, et plus de 27 millions de Français fréquentent ces équipements culturels, en grande partie grâce à la diversification de leurs activités.

Les bibliothèques s’ancrent de plus en plus au cœur de la cité et participent activement aux politiques publiques de lutte contre l’illettrisme ou la fracture numérique.

Sur la base du rapport Orsenna-Corbin, le Gouvernement avait déjà entendu adapter et étendre les horaires des bibliothèques publiques, pour en faire un « troisième lieu » entre le travail et la maison – les bibliothèques sont un pôle d’échanges et de sociabilité au cœur des activités quotidiennes des citoyens.

Néanmoins, au-delà de la problématique des horaires, il était temps que le législateur saisisse davantage cet enjeu primordial pour le tissu culturel, avec plus de 16 000 établissements. En effet, à la différence des autres domaines patrimoniaux, les bibliothèques n’ont jamais fait l’objet d’une loi-cadre.

L’article 1er du présent texte apporte une définition bienvenue des missions de service public de la bibliothèque, parmi lesquelles la conservation et la communication des œuvres – livres, CD ou DVD –, mais aussi la contribution aux progrès de la connaissance et de la recherche à destination du public.

Le texte consacre le pluralisme et le renouvellement des collections et inscrit les principes de liberté et de gratuité d’accès aux bibliothèques municipales et intercommunales – on ne paye pas de droit d’entrée au paradis… (Sourires.)

Enfin, la proposition de loi conforte les bibliothèques départementales dans leur rôle d’assistance et de soutien à celles des communes et des établissements publics de coopération culturelle, les EPCC.

Dans le respect de la libre administration des collectivités, l’auteure de la proposition de loi a utilement tracé un cadre moins contraignant et plus respectueux des compétences locales. C’est ainsi que l’article 7 charge les bibliothèques d’établir les orientations générales de leur politique documentaire, orientations que l’assemblée délibérante serait incitée à débattre.

Enfin, la loi étend le bénéfice du concours particulier « bibliothèque », au sein de la dotation générale de décentralisation, à l’ensemble des EPCI, des groupements de collectivités et des groupements d’intérêt public, les GIP, et non plus seulement aux communes.

Cet accroissement du soutien financier de l’État favorisera inévitablement le développement de la lecture publique dans tous les territoires.

Pour l’ensemble de ces raisons, mon groupe et moi-même voterons avec enthousiasme cette indispensable proposition de loi, améliorée par le travail de la commission ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérémy Bacchi.

M. Jérémy Bacchi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « la lecture est à l’esprit ce que l’exercice est au corps ». Ces mots, je les tiens de Joseph Addison, intellectuel anglais qui s’opposa dans son pays à la monarchie absolue.

En effet, c’est bien en accédant à la connaissance, notamment par la lecture, que l’on se construit une âme de citoyen. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le premier réflexe des régimes autoritaires est de s’attaquer aux livres et à leur accès. C’est vrai des anciens régimes comme c’est vrai encore aujourd’hui, malheureusement.

Les bibliothèques publiques sont les chevilles ouvrières de cette politique de la connaissance. Pour tous les citoyens, quelle que soit leur condition, elles participent à la « démocratisation de la démocratie », pour reprendre les termes d’Étienne Balibar.

Toutefois, cette mission civique fait porter sur les épaules des bibliothèques de lourdes responsabilités. La première est celle de l’accès aux bâtiments, mais aussi à leurs trésors. Dans cette perspective, il est essentiel de valoriser les très nombreuses actions des bibliothèques pour, d’une part, attirer des personnes qui se sentiraient illégitimes ou pas assez dotées pour les fréquenter, et, d’autre part, faire de la médiation culturelle.

À ce titre, les actions d’accueil des publics scolaires, comme cela se fait à Marseille, entre autres, participent pleinement à la formation citoyenne des enfants.

La seconde responsabilité consiste à garantir des contenus divers et pluralistes. On l’a vu récemment dans certaines villes : la tentation est grande pour des majorités municipales de restreindre les contenus bibliothécaires à ce qui va dans leur sens. Nous devons lutter contre cette tentation, qui restreint le champ des possibles et contribue à assécher le débat démocratique.

Alors que l’uniformisation des modes de pensée guette, le service public bibliothécaire a une responsabilité toute particulière. Nous devons donc le préserver et lui donner les moyens d’exercer sa mission.

Néanmoins, les bibliothèques sont aujourd’hui bien plus que des bâtiments d’un autre temps, comme certains voudraient le faire croire. L’arrivée massive de nouvelles œuvres culturelles au sein des bibliothèques doit être accompagnée et encouragée. Les musiques et les films sont autant de contenus qui non seulement attirent les jeunes, mais aussi les forment intellectuellement.

De la même manière, il est malheureux que certaines communes fassent le choix de couper leurs abonnements à des journaux, alors même que les bibliothèques sont aussi des lieux pour s’informer, notamment pour celles et ceux qui ne peuvent pas se permettre de s’abonner à un journal.

Cette proposition de loi doit donner les outils nécessaires aux bibliothécaires pour se protéger de ces manœuvres, qui vont à l’encontre de l’essence même des bibliothèques : donner à chaque citoyen la possibilité de se construire un rapport au monde qui lui soit propre et lui donner les moyens de faire des choix éclairés.

Enfin, on ne peut pas parler des bibliothèques sans évoquer l’espace de vie qu’elles constituent. Expositions, conférences, rencontres, initiatives d’aide à l’exercice des droits, accès à internet : ces maisons du savoir permettent aux citoyens, parfois isolés, de s’intégrer à la communauté.

Accès à la connaissance et au divertissement, émancipation, construction citoyenne et intégration sociale, ce n’est pas un autre but que visait la Révolution en nationalisant les bibliothèques ecclésiastiques, puis en constituant les collections publiques à partir de 1790.

Si, comme le pensait la romancière Mary Higgins Clark, « une bibliothèque est un chemin vers le futur », l’absence de loi-cadre reconnaissant ce genre d’institution est une erreur que nous allons réparer, grâce à cette proposition de loi – je veux en remercier Sylvie Robert. Notre groupe soutiendra ce texte sans aucune réserve. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre-Antoine Levi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en politique, il faut apprécier les concerts de louanges, les grands-messes œcuméniques, les moments où tout le monde est d’accord, tant ils sont rares. L’examen de la présente proposition de loi en est un.

S’il y a bien une chose que la crise du covid-19 nous a enseignée, c’est notre besoin collectif de culture. Ces mois de fermeture de l’ensemble des lieux culturels ont été particulièrement difficiles pour bien des Français.

Je me félicite donc que la proposition de loi de notre collègue Sylvie Robert arrive au moment opportun, à l’heure où nous pouvons enfin retrouver ces espaces de culture qui font vivre nos villes, nos villages et nos territoires.

S’il faut apprécier ces moments, il faut aussi les prendre avec lucidité. Nous nous retrouvons aujourd’hui autour de quelques principes, auxquels nul ne songerait trouver quoi que ce soit à redire. Qui est contre les bibliothèques ? Qui pourrait défendre l’idée que leur accès devrait cesser d’être libre ou devenir payant ? Quelle collectivité prendrait cette décision politiquement suicidaire ? Seuls les partisans d’une taxe sur l’air que l’on respire pourraient s’opposer à de tels principes ! (Sourires.)

Fallait-il donc une loi pour cela ? Je me pose la question… Ce texte contribue peut-être à l’inflation législative, mais je reconnais dans le travail de Sylvie Robert une consécration des bibliothèques, gravant dans le marbre certains principes généraux consensuels pouvant avoir quelques conséquences qui le sont moins.

L’article 5, en particulier, m’est cher, parce qu’il énonce le principe de la pluralité idéologique dans un contexte où la pensée décoloniale et la cancel culture veulent faire disparaître tous les ouvrages qui ne correspondent pas à leurs positions…

La liberté d’expression n’est pas négociable, c’est pourquoi j’adhère pleinement à cet article. Mais il faut bien comprendre que, ce faisant, ce sont les opinions les moins consensuelles que l’on défend. Je m’interroge d’ailleurs sur l’articulation entre cet article et l’article 7, qui prévoit que les bibliothèques présentent leurs orientations de politique documentaire aux assemblées locales.

L’ingérence de la politique municipale dans la politique documentaire des bibliothèques est-elle une bonne chose ? Ne risque-t-on pas de basculer dans une politisation trop poussée des lieux de lecture ?

Par-delà ses dispositions concrètes, le présent texte nous donne l’occasion de nous interroger sur l’avenir des bibliothèques. Ces dernières se sont déjà énormément modernisées, pour devenir des espaces multimédias, des zones de coworking, des tiers lieux de respiration sociale. C’est ce mouvement qu’il nous faut accompagner dans nos collectivités, mais cela ne passera pas forcément par la loi.

Au vu de ces éléments, le groupe Union Centriste votera avec grand plaisir cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Elsa Schalck. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Elsa Schalck. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la richesse que constituent les livres est inestimable ; ils sont source de savoir, de connaissances, et peut-être plus que tout, source de liberté, d’émancipation et de créativité.

Les livres sont à l’honneur depuis deux jours, au Sénat, grâce à l’étude de deux textes importants : je tiens à remercier mes collègues de leur travail et de leur engagement depuis des années, sans lesquels ces propositions de loi n’auraient jamais vu le jour.

Hier, nous votions à l’unanimité le texte de Laure Darcos mettant en avant la filière professionnelle du livre et nos librairies, si importantes à la vie culturelle de nos communes.

Aujourd’hui, nous examinons celui de Sylvie Robert, relatif aux bibliothèques et au développement de la lecture publique. Comme nous l’avons constaté en commission, ce texte répond à une réelle attente ; son accueil très positif s’explique par le fait qu’il vient combler plusieurs lacunes et acter les mutations auxquelles ces lieux de culture indispensables se sont trouvés confrontés.

Les Français sont 76 % à estimer que les bibliothèques sont utiles à tous et 20 % de la population considèrent les bibliothèques comme un équipement indispensable.

Cette proposition de loi adapte les dispositions existantes au paysage territorial, autour de trois grands principes qu’il était important de consacrer, afin de donner un cadre législatif précis et ambitieux aux bibliothèques, tout en respectant la libre administration des collectivités.

Ces principes sont la liberté d’accès aux bibliothèques municipales et intercommunales, la gratuité, tant de l’accès aux espaces publics que de la consultation sur place, et le pluralisme des collections, afin notamment d’éviter toute censure.

Les enjeux auxquels ce texte répond avaient déjà été mis en évidence dans votre rapport de 2015, madame la rapporteure, ainsi que dans le rapport Orsenna-Corbin de 2018.

Dans notre pays, des lois sont dédiées aux musées ou aux archives, mais jamais, jusqu’à ce jour, il n’y avait eu de loi relative aux bibliothèques. Pour la première fois donc, ce texte donne aux bibliothèques une définition et, en cela, il les consacre comme le premier équipement culturel en France.

En raison de leur maillage territorial dense, les bibliothèques sont la première porte d’un égal accès à l’apprentissage et à la découverte de la lecture, avec tout ce que cela comprend : lutte contre l’illettrisme, ouverture sur le monde, exercice de la citoyenneté, développement de l’esprit critique et épanouissement de l’individu.

Quelque 70 % des communes de plus de 2 000 habitants ont une bibliothèque ; nous voyons de plus en plus de projets de boîtes à livres émerger dans les petites communes. En France, on compte 16 500 équipements de lecture publique, soit autant que de points postaux.

Les missions des bibliothèques départementales, elles aussi, sont définies dans ce texte : l’article 9 vient confirmer leur rôle essentiel de soutien, de coordination et d’ingénierie dans le développement de la lecture publique, notamment dans les zones rurales.

En tant que sénatrice du Bas-Rhin, je prendrai pour exemple la Bibliothèque d’Alsace, créée dès 1946. Son bon fonctionnement et l’engouement qu’elle suscite témoignent de la forte utilité des bibliothèques départementales. Les chiffres parlent d’eux-mêmes dans le réseau des bibliothèques d’Alsace, puisque ce ne sont pas moins de 6 sites existants, 700 000 ouvrages mis à la disposition des 288 bibliothèques, 60 services proposés et plus de 3000 bénévoles qui y sont investis.

Aujourd’hui, les bibliothèques sont protéiformes et offrent des services qui s’adressent à tous, enfants et adultes. En évolution permanente, elles ont su rebondir et se transformer pour relever les défis sociaux, éducatifs et culturels. Elles ne sont plus seulement un lieu de savoir et d’études : elles ont de plus en plus une vocation sociale et permettent la rencontre de toutes les générations et de tous les milieux socioprofessionnels.

Les enjeux d’une bibliothèque publique en 2021 sont nombreux, tels que les ressources numériques et la médiation culturelle, ainsi que l’éducation aux médias, une thématique qui se développe très fortement.

Plus généralement, d’autres enjeux sont inhérents aux bibliothèques publiques.

Je pense tout d’abord aux enjeux socio-économiques. Les bibliothèques luttent contre la fracture numérique et développent l’engagement citoyen par le bénévolat. Elles offrent des services diversifiés. Ainsi, le livre constitue un outil de culture comme lien entre les parents et les enfants.

Je pense également aux enjeux éducatifs. On note que 15 % des enfants n’ont malheureusement pas de livres chez eux ; la pratique culturelle de la lecture contribue, là aussi, à la formation de l’individu. Les bibliothèques ont développé de nombreux partenariats et projets avec les écoles et la sphère éducative, et cela pour encourager l’apprentissage et les joies de la lecture dès la maternelle.

Je pense aussi aux enjeux culturels, avec des contenus multimédias sélectionnés, renouvelés, valorisés, ainsi que des animations proposées ponctuellement et une offre de proximité structurée, du point lecture jusqu’à la médiathèque.

Je pense enfin aux enjeux de développement local. Les bibliothèques sont un partenaire central pour de nombreux champs de politique publique et un vecteur d’attractivité de nos territoires. Véritable service public de proximité et parfois seul équipement culturel de la commune, les bibliothèques sont des lieux de vie auxquels les élus et nos concitoyens sont particulièrement attachés.

Inscrire les bibliothèques dans la loi, c’est également reconnaître le rôle de l’ensemble des personnes qui travaillent afin de les protéger : bibliothécaires, bénévoles, étudiants, dont le travail et l’engagement au service des autres sont à saluer. Cette proposition de loi à vertu incitative permet ainsi d’acter ces mutations et l’évolution des missions des bibliothèques pour permettre un meilleur accès à la culture et au savoir.

En conclusion, je remercie une nouvelle fois Sylvie Robert de son investissement et de son engagement, afin de consacrer à un échelon législatif ce sujet ô combien important pour notre territoire. Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, notre groupe votera ce texte avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis André Malraux, la politique culturelle de la France a pour premier objectif l’accessibilité des œuvres au plus grand nombre et l’encouragement de la création.

L’accès à la culture au sens large est l’une des principales vocations des bibliothèques. Cette proposition de loi s’intéresse plus spécifiquement aux bibliothèques des collectivités territoriales et représente la première initiative visant à instaurer un cadre juridique pour ces lieux de culture indispensables à la vie locale.

Cela a été rappelé, la France compte 16 500 lieux de lecture publique accueillant près de 27 millions de lecteurs chaque année. Relais de culture, mais aussi de lien social, leur mission et leurs actions s’inscrivent pleinement dans les grands enjeux contemporains : 7 % des Français sont encore en situation d’illettrisme, soit 2,5 millions de personnes, et 20 % des Français seraient concernés par l’illectronisme.

Si elles représentent un levier contre l’analphabétisme, les bibliothèques contribuent aussi à combler la fracture numérique territoriale et générationnelle et offrent désormais des services étendus, de l’éducation artistique à la maîtrise des outils numériques.

Dans les milieux ruraux et les banlieues, les bibliothèques sont de précieux relais de l’État sur le territoire et remplissent des missions aussi diverses qu’essentielles pour un public souvent isolé socialement : aides aux démarches administratives, accueil des migrants, accompagnement des personnes âgées dépendantes, des détenus ou encore des personnes marginalisées. Aussi ces lieux de culture sont-ils également des lieux d’intégration participant pleinement à la réparation du lien social.

Cette proposition de loi fixe les grands principes qui régissent les missions et l’organisation des bibliothèques de nos collectivités et favorisent le développement de la politique de lecture publique. Cependant, nous devons être attentifs à ne pas fixer un cadre trop contraignant pour les élus locaux, en particulier en ce qui concerne leur liberté d’organisation et de gestion de ces lieux de culture.

En effet, il faut analyser avec précaution le principe de liberté d’accès fixé à l’article 2 : les collectivités doivent pouvoir organiser le fonctionnement des bibliothèques, notamment en matière de réservation des plages horaires pour des publics particuliers, de fixation de jauges de fréquentation ou encore de respect de la tranquillité des lieux.

Par ailleurs, l’article 3 consacre le principe de gratuité d’accès aux bibliothèques des communes et intercommunalités.

Je suis favorable au principe de la gratuité de la consultation sur place, mais je considère que la mairie doit pouvoir conditionner l’emprunt de livres à une inscription ou à un abonnement si elle le souhaite. En effet, dans la mesure où les collectivités locales financent leurs bibliothèques et médiathèques, il appartient aux élus locaux d’adapter les conditions d’accès et les grilles de tarification de l’emprunt de livres. Ce point n’est pas contradictoire avec cette proposition de loi, je tenais simplement à le rappeler.

Ce texte présente donc des avancées que nous approuvons. Pour autant, d’autres progrès sont envisagés ; je pense en particulier à l’encouragement à la création. En effet, il convient de souligner que 15 % des auteurs professionnels en France perçoivent moins de 400 euros par mois ; je souhaite appeler votre attention sur ce point, madame la ministre.

Lorsque la création d’un artiste dans le domaine musical est diffusée dans un cadre public, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, ou Sacem, impose à la collectivité de verser des droits d’auteur.

Pourquoi les livres empruntés dans le cadre de bibliothèques ne font-ils pas l’objet d’un comptage par auteur ? Il faut deux ans pour réaliser une bande dessinée ; il serait logique que les auteurs perçoivent, ainsi que les éditeurs, une juste rémunération de ce travail très souvent fastidieux. Cela permettrait d’encourager la création. Je rappelle que, pour nombre d’entre eux, ces auteurs vivent dans des conditions très difficiles. C’est un sujet auquel il faudra tôt ou tard s’attaquer.

Cette proposition de loi est une excellente initiative. Elle présente de nombreuses avancées. C’est pourquoi le groupe Les Indépendants – République et Territoires l’approuve et la votera. (M. Martin Lévrier applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. David Assouline. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « la lecture est une amitié », écrivait Marcel Proust.

Cette amitié, plus de 6 millions de Français l’ont avec leurs bibliothèques et par la bibliothèque, en étant inscrits à l’une d’entre elles et en ayant emprunté 247 millions de livres en 2019. Avec plus de 16 000 sites en France, la bibliothèque est le lieu culturel de référence pour les Français, par sa présence sur l’ensemble du territoire. Ce service public est essentiel. Il méritait une loi-cadre. Il est nécessaire de le valoriser et de le renforcer.

Ce que nous faisons aujourd’hui, même si nous sommes peu nombreux dans cet hémicycle, constitue un acte historique. En effet, cela n’a jamais été réalisé et, s’il est une parlementaire qui mérite de voir son nom associé à cette initiative historique, c’est bien Sylvie Robert, qui, depuis de longues années, s’est engagée dans ce travail. (Applaudissements.)

Cet espace arrive dans nos quotidiens dès le plus jeune âge, à l’école. Il deviendra ensuite un rendez-vous régulier pour les enfants, souvent avec un documentaliste, homme ou femme, passionné, qui leur inculquera une base solide pour comprendre le fonctionnement d’une bibliothèque et y découvrir le plaisir de la lecture.

La bibliothèque sera aussi présente tout au long du parcours scolaire, de l’école primaire à l’université. Elle accompagne l’élève dans son apprentissage, mais également dans ses loisirs et sa citoyenneté.

Lieu convivial d’échanges, de culture et évidemment de lecture, la bibliothèque est un espace où les barrières générationnelles et sociales disparaissent pour laisser un plaisir commun : la rencontre, le partage et la découverte.

M. Bernard Fialaire. C’est exact !

M. David Assouline. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est fondamental que ce lieu soit accessible à tous, et ce gratuitement, pour qu’il soit le plus ouvert possible.

Je tiens à saluer le travail formidable réalisé par tous ces bibliothécaires, archivistes, documentalistes, passionnés, qui ont tant de plaisir à recommander des livres selon les envies de chacun et de proposer une sélection d’œuvres de qualité. Les agents travaillant en bibliothèque jouent un rôle fondamental ; nous nous devons de les soutenir, de les protéger pour offrir un service public de qualité.

Les bibliothèques ont longtemps été délaissées. Tout comme pour les autres services publics, les pratiques, les missions et les besoins changent, et il est nécessaire de s’y adapter. Trop peu de lois ont été discutées pour moderniser ou valoriser cet acteur de la culture.

Aujourd’hui, cette initiative vient réparer cet oubli ou ce peu d’intérêt manifesté par le législateur. Je pense notamment à l’adaptation et à l’extension des horaires d’ouverture au public, qui permet au plus grand nombre d’accéder à ce service. Un effort non négligeable a été également réalisé pour soutenir le développement de missions, davantage méconnues des Français, par les agents des bibliothèques.

Vous l’aurez compris, les travaux menés sur les bibliothèques et la lecture publiques ne sont pas restés lettre morte : ils ont trouvé une concrétisation et des évolutions qui nécessitaient toutefois d’être précisées et affermies. C’est bien l’objectif principal de cette proposition de loi, que l’on doit saluer.

Tout d’abord, inscrire les principes de gratuité et de liberté d’accès aux bibliothèques municipales et intercommunales dans la loi est fondamental dans un pays démocratique comme le nôtre.

La bibliothèque est l’une des pierres angulaires de la démocratisation et de l’accès à la culture pour tous. C’est également l’une des premières rencontres avec la lecture pour nombre de Français. Il est donc essentiel d’inscrire dans la loi ces principes comme immuables. Nous devons nous battre pour prohiber tout développement de pratiques qui viseraient à les restreindre ou à les rendre payants.

Le pluralisme est également un élément précisé dans la loi. Dans le monde tel qu’il va, ce pluralisme n’est pas un luxe, c’est une nécessité absolue, notamment à l’heure de l’uniformisation des grandes plateformes, des descentes verticales de même contenu, sans choix possible et sans cette diversité qui fait la richesse de la culture et de l’éducation.

Les bibliothèques favorisent encore l’exercice de la liberté et de l’esprit critique, cela a été rappelé. L’actualité nous rappelle tous les jours de façon brutale que nous sommes face à des « vérités alternatives », des thèses complotistes, des religieux extrémistes qui veulent endoctriner et d’autres extrémismes idéologiques.

Développer son esprit critique, se former à la liberté et à la raison trouve son support premier dans la lecture et dans le livre ; je n’en ai pas encore trouvé de meilleur. C’est également l’une des raisons essentielles de ce texte.

Je ne rappelle pas ce que tout le monde avant moi a bien exposé, puisque cette proposition de loi est consensuelle. Je conclurai en soulignant que les Français sont attachés à ce service public. Nous devons lui donner les moyens de ses ambitions, afin de lui permettre le rayonnement qu’il mérite.

C’est pourquoi notre groupe soutiendra bien entendu cette proposition de loi avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Folliot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il est des inventions et des techniques qui changent le monde. Nous fêterons bientôt les 470 ans d’une invention technique, l’imprimerie, qui a bouleversé le monde en permettant la diffusion de la connaissance et sa démocratisation.

À certains égards, les Lumières sont les enfants de cette évolution technique. Nous vivons aujourd’hui d’autres révolutions techniques, dont l’avenir montrera peut-être qu’elles sont ou auront été aussi importantes que celle de l’imprimerie. Je pense à la numérisation, qui envahit aujourd’hui notre quotidien, mais surtout à l’intelligence artificielle, qui est sur le point de bouleverser bien des domaines et des secteurs.

Dans cette perspective, on peut se demander si le livre et les bibliothèques ont de l’avenir. À cette question, comme chacun d’entre nous, je réponds oui ! C’est en effet un socle, et c’est sur ce socle que nous pourrons construire le reste. C’est notre devoir et notre intérêt.

À ce titre, je remercie Sylvie Robert de cette proposition de loi, qui est fort utile et qui, comme cela a été souligné par les orateurs précédents, apportera un socle juridique essentiel pour les bibliothèques et cette capacité d’innovation et d’invention.

Je suis le président d’une association qui a inventé un lieu original et atypique en ouvrant, voilà une dizaine d’années, la première bibliothèque-restaurant de France, qui fonctionne sans aucune subvention de collectivités territoriales.

Ce faisant, nous avons créé une forme de tiers lieu de culture, accessible à tout le monde : on y trouve une bibliothèque, une galerie d’art, des conférences, et des concerts y sont organisés. S’y ajoute même une petite maison d’édition associative. Elle s’appelle la Bibliotèca, qui signifie « bibliothèque » en occitan.

Mme Roselyne Bachelot, ministre. Très bien !

M. Philippe Folliot. « Une bibliothèque, c’est le carrefour de tous les rêves de l’humanité », écrivait Julien Green. Madame la rapporteure, par le biais de cette proposition de loi, nous pouvons garder l’espoir que les bibliothèques restent encore très longtemps ce carrefour de tous les rêves de l’humanité qui est si chère et si importante pour notre avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique

Chapitre Ier

Définir les bibliothèques et leurs principes fondamentaux

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique
Article 2

Article 1er

Au début du titre Ier du livre III du code du patrimoine, il est ajouté un article L. 310-1 A ainsi rédigé :

« Art. L. 310-1 A. – Les bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements ont pour missions de garantir l’accès de tous à la culture, à l’information, à l’éducation, à la recherche, aux savoirs et aux loisirs. À ce titre, elles :

« 1° Constituent, conservent et communiquent des collections de documents et d’objets, définies à l’article L. 310-3, sous forme physique ou numérique ;

« 2° Conçoivent et mettent en œuvre des services et des activités associés à leurs missions ou à leurs collections.

« Les bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements transmettent également aux générations futures le patrimoine qu’elles conservent. À ce titre, elles contribuent aux progrès de la connaissance et de la recherche ainsi qu’à leur diffusion.

« Ces missions s’exercent dans le respect des principes de pluralisme des courants d’idées et d’opinions, d’égalité d’accès au service public et de neutralité du service public. »

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
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Article 3

Article 2

L’article L. 320-3 du code du patrimoine est ainsi rétabli :

« Art. L. 320-3. – L’accès aux bibliothèques municipales et intercommunales est libre. »

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, sur l’article.

M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’engagement et le travail de Sylvie Robert, dont la proposition de loi vient enfin définir précisément les missions des bibliothèques publiques, tout en accompagnant ces dernières vers un développement futur.

Ce texte, unanimement salué par les principales associations de bibliothécaires, porte dès son article 2, une notion majeure, en inscrivant le principe de liberté d’accès aux bibliothèques municipales et intercommunales dans la loi.

N’oublions pas ce rôle d’inclusion sociale qu’ont les bibliothèques, dès le plus jeune âge et dans tous les territoires, ruraux comme urbains. Ainsi, définir la liberté d’accès, accompagnée par la gratuité d’accès à l’article 3, c’est réellement permettre une égale accessibilité pour tous à ces lieux de culture et de savoir.

L’inclusion sociale est l’une des missions quotidiennes des bibliothécaires : conseiller un livre, accompagner un élève dans ses recherches, aider à écrire un courriel ou à se connecter à un site de service public, mais aussi accueillir et travailler avec les écoles, participer à des programmes auprès des publics dits éloignés de la culture, en partenariat avec les centres sociaux, les prisons, les hôpitaux…

Oui, les bibliothèques participent activement aux politiques d’inclusion sociale et de cohésion au sein de notre pays et au sein de notre République.

Permettez-moi une remarque actuelle, qui peut sembler dissonante dans cette ambiance consensuelle. Malgré l’importance de ces équipements culturels, nous pouvons regretter la non-prise en compte des bibliothécaires dans les publics prioritaires à la vaccination au mois de mai dernier.

Cette proposition de loi, débattue aujourd’hui par la Haute Assemblée, est la bienvenue pour ce secteur. Au regard des principes défendus dans ce texte, mes chers collègues, je ne puis que vous inviter à voter cet article, ainsi que l’intégralité du texte. Je ne doute pas d’ailleurs que tel sera le cas ! (Sourires.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 est adopté.)

Article 2
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Article 4

Article 3

L’article L. 320-4 du code du patrimoine est ainsi rétabli :

« Art. L. 320-4. – L’accès aux bibliothèques municipales et intercommunales et la consultation sur place de leurs collections sont gratuits. » – (Adopté.)

Article 3
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Article 5

Article 4

L’article L. 310-3 du code du patrimoine est ainsi rétabli :

« Art. L. 310-3. – Les collections des bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements sont constituées de documents et d’objets dont la liste est précisée par décret en Conseil d’État. » – (Adopté.)

Article 4
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Article 6

Article 5

L’article L. 310-4 du code du patrimoine est ainsi rétabli :

« Art. L. 310-4. – Les collections des bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements sont pluralistes et diversifiées. Elles représentent, chacune à leur niveau ou dans leur spécialité, la multiplicité des connaissances, des courants d’idées et d’opinions et des productions éditoriales. Elles sont rendues accessibles à tout public, sur place ou à distance. » – (Adopté.)

Article 5
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Article 7

Article 6

L’article L. 310-5 du code du patrimoine est ainsi rétabli :

« Art. L. 310-5. – Les collections des bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements qui relèvent du domaine privé mobilier de la personne publique propriétaire sont régulièrement renouvelées et actualisées. » – (Adopté.)

Article 6
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Article 8

Article 7

L’article L. 310-6 du code du patrimoine est ainsi rétabli :

« Art. L. 310-6. – Les bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements élaborent les orientations générales de leur politique documentaire, qu’elles présentent devant l’organe délibérant de leur collectivité territoriale ou de leur groupement et qu’elles actualisent régulièrement. »

Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Mandelli et Retailleau, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par les mots :

La présentation peut être suivie d’un vote.

La parole est à M. Didier Mandelli.

M. Didier Mandelli. Initialement, je n’avais pas prévu d’intervenir dans ce débat et j’avoue humblement que je n’avais pas étudié dans le détail cette proposition de loi.

Mon intervention est liée à un rendez-vous que le directeur départemental des bibliothèques de Vendée a sollicité et qui a eu lieu vendredi dernier. Il s’agissait pour lui d’un simple rendez-vous de courtoisie, visant à me dire tout le bien qu’il pensait de la proposition de loi de Sylvie Robert, dont il souhaitait l’adoption et qu’il suivait attentivement, comme nombre de professionnels des bibliothèques.

En préparant ce rendez-vous, ce que je fais à chaque fois, comme chacun de mes collègues, j’ai lu le texte, et mon regard d’ancien maire et d’ancien président de communauté de communes a été attiré par ce qui m’a semblé être deux imprécisions qu’il fallait corriger. J’ai donc déposé deux amendements pour ce faire.

Cet amendement vise à apporter une précision sur le vote éventuel de la collectivité délibérante. En effet, cet article prévoit que les orientations générales de la politique documentaire font l’objet d’une présentation « devant l’organe délibérant ». Un maire pourrait se demander si l’organe délibérant doit se prononcer ou non par un vote.

Il s’agit donc d’indiquer que cette présentation peut être suivie d’un vote.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sylvie Robert, rapporteure. Cet amendement vise à prévoir la possibilité d’un vote de l’assemblée délibérante sur les orientations générales de la politique documentaire.

Je n’ai pas voulu contraindre et obliger le maire à faire voter cette politique documentaire ; c’est la philosophie de ma proposition de loi. Cet amendement de précision est un peu plus explicite, tout en laissant cette possibilité de vote à la discrétion du maire.

Non seulement cela n’enlève rien à la philosophie de cet article, mais cela apporte une précision opportune.

Par conséquent, la commission émet un avis favorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre. Le Gouvernement émet également un avis favorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 7, modifié.

(Larticle 7 est adopté.)

Article 7
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Article 9

Article 8

Le titre Ier du livre III du code du patrimoine est complété par un article L. 310-7 ainsi rédigé :

« Art. L. 310-7. – Les agents travaillant dans les bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements présentent des qualifications professionnelles nécessaires à l’exercice des missions définies à l’article L. 310-1 A. » – (Adopté.)

Chapitre II

Soutenir le développement de la lecture publique

Article 8
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Article 10

Article 9

Le titre III du livre III du code du patrimoine est complété par un article L. 330-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 330-2. – Les bibliothèques départementales ont pour missions, à l’échelle du département, de :

« 1° Renforcer la couverture territoriale en bibliothèques, afin d’offrir un égal accès de tous à la culture, à l’information, à l’éducation, à la recherche, aux savoirs et aux loisirs ;

« 2° Favoriser la mise en réseau des bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements ;

« 3° Proposer des collections et des services aux bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements et, le cas échéant, directement au public ;

« 4° Contribuer à la formation des agents et des collaborateurs occasionnels des bibliothèques des collectivités territoriales. »

Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par MM. Mandelli et Retailleau, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« …°Élaborer un schéma de développement de la lecture publique à l’échelle du département, validé par l’assemblée départementale. »

La parole est à M. Didier Mandelli.

M. Didier Mandelli. Dans le même esprit que pour l’amendement précédent, il s’agit d’indiquer que, conformément à ce que prévoit l’article 11, à savoir que les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, devront valider et voter un schéma de développement de la lecture publique, les départements devront définir et faire voter un schéma de développement de la lecture publique à l’échelon départemental.

En effet, dans la mesure où cette compétence est aussi du ressort des départements avec la bibliothèque départementale, il me paraissait important que la même règle soit applicable aux départements.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sylvie Robert, rapporteure. Cet amendement vise à inclure dans les missions des bibliothèques départementales l’élaboration d’un schéma de développement de la lecture publique, validé par un vote de l’assemblée départementale. Cela constitue pour nous une avancée très utile.

Pour ne rien vous cacher, j’avais l’intention d’inscrire ce point dans le cadre de l’examen du projet de loi dit 4D, pour « déconcentration, décentralisation, différenciation, décomplexification », ou 3DS, pour « déconcentration, décentralisation, différenciation, simplification », au mois de juillet prochain. En effet, la proposition de loi ne précise pas si la gestion des bibliothèques départementales est une compétence obligatoire ou optionnelle des départements.

Le rapport d’information que j’ai rédigé avec Colette Mélot pointait cette question de la sécurisation de la compétence des départements relative à la lecture publique. Je suis heureuse de constater que vous partagez notre objectif, mon cher collègue, et j’espère vous retrouver dans cet hémicycle pour défendre, dans le cadre de la loi 4D, un amendement visant à sécuriser cette compétence.

L’adoption de l’amendement n° 3 serait donc une première avancée très utile. Pour toutes ces raisons, la commission y est favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre. Avis favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 9, modifié.

(Larticle 9 est adopté.)

Article 9
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Article 11

Article 10

L’article L. 1614-10 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° À la seconde phrase du premier alinéa, les mots : « établissements publics de coopération intercommunale » sont remplacés par les mots : « groupements de collectivités territoriales » ;

2° Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Sont également éligibles à ce concours particulier les établissements publics de coopération culturelle et les groupements d’intérêt public comprenant des collectivités territoriales ou leurs groupements, pour les travaux d’investissements et les dépenses de fonctionnement non pérennes des bibliothèques dont ils assurent la gestion. » ;

3° Au début du deuxième alinéa, le mot : « Toutefois » est supprimé. – (Adopté.)

Article 10
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Article 12

Article 11

I. – La section X du chapitre Ier du titre Ier du livre II de la cinquième partie du code général des collectivités territoriales est complétée par un article L. 5211-63 ainsi rédigé :

« Art. L. 5211-63. – Lorsqu’un établissement public de coopération intercommunale décide que la lecture publique est d’intérêt intercommunal, il élabore et met en place un schéma de développement de la lecture publique. »

II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2023. – (Adopté.)

Article 11
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Article 13

Article 12

L’article L. 3212-3 du code général de la propriété des personnes publiques est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Ils peuvent également céder gratuitement les documents dont leurs bibliothèques n’ont plus l’emploi à des fondations ou à des associations relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association mentionnées au b du 1 de l’article 238 bis du code général des impôts et dont les ressources sont affectées à des œuvres d’assistance, notamment à la redistribution gratuite de biens meubles aux personnes les plus défavorisées. Ces associations ou ces fondations ne peuvent procéder à la cession, à titre onéreux, des biens ainsi alloués à peine d’être exclues définitivement du bénéfice des mesures du présent alinéa. »

Mme la présidente. L’amendement n° 4, présenté par Mme de Marco, MM. Dossus et Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :

Alinéa 2, seconde phrase

Compléter cette phrase par les mots :

, à l’exception des organismes d’accueil communautaire et d’activités solidaires mentionnés à l’article L. 265-1 du code de l’action sociale et des familles

La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. L’article 12 prévoit la possibilité pour les bibliothèques territoriales de céder des documents dont elles n’ont plus l’utilité à des écoles, fondations ou associations caritatives à but non lucratif. Ces structures ne peuvent procéder à la cession des documents à titre onéreux.

Il est toutefois un principe de réalité : certaines associations ne peuvent pas gérer ce plan de redistribution des documents à grande échelle. Dans cette période de crise sanitaire, les bibliothèques n’ont pu procéder à un désherbage, puis à une vente locale, et ont fait don des documents plutôt que de les envoyer au pilon.

Cet amendement vise donc à ouvrir la possibilité de cession à des organismes d’accueil communautaire et d’activités solidaires, notamment les communautés Emmaüs, qui pratiquent des prix solidaires. Les bénéfices de ces cessions à titre onéreux permettent aux personnes accueillies dans la communauté de participer à des activités solidaires et d’obtenir une forme de rémunération.

La philosophie qui sous-tend cet amendement correspond à l’objectif initial de l’article 12, qui veut limiter la destruction de documents participant à l’élargissement des connaissances de nos concitoyens et favoriser des actions de solidarité entre les différents organismes.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sylvie Robert, rapporteure. Cet amendement vise à autoriser certains bénéficiaires de dons d’ouvrages des bibliothèques, comme Emmaüs, à vendre les livres pour financer leurs activités.

Je le rappelle, l’article 12 autorise les bibliothèques à donner les ouvrages dont elles n’auraient plus l’usage à des fondations et des associations reconnues d’utilité publique. Toutefois, ces livres ne doivent pas être vendus et ont vocation à être distribués.

Pour mémoire, je vous rappelle que le droit empêche les collectivités territoriales de céder gratuitement leurs documents relevant du domaine privé. Les cessions à titre gratuit sont restreintes au matériel informatique et aux logiciels dans les mêmes conditions que celles qui sont autorisées pour l’État et ses établissements publics. L’article 12 est donc une nouvelle exception à ce principe.

Je comprends très bien la philosophie de cet amendement, ma chère collègue. Cependant, je pense que les titulaires de droits d’auteur et les éditeurs seraient opposés à ce développement potentiellement important du marché du livre d’occasion, qu’ils surveillent avec beaucoup d’attention.

Par ailleurs, il me paraît important que cette exception pour les livres soit aussi bien comprise comme une modalité d’accès à la culture pour un plus large public, et non pas comme une opération commerciale, quel qu’en soit l’objectif final, et j’ai bien compris celui qui prévalait ici.

La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre. Excellente argumentation de Mme la rapporteure !

Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Madame de Marco, l’amendement n° 4 est-il maintenu ?

Mme Monique de Marco. Oui, je le maintiens, madame la présidente.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 5, présenté par Mme de Marco, MM. Dossus et Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :

Lorsqu’aucune association ou fondation n’est en capacité, au moment de la cession, de recevoir les documents, au sein du département de la collectivité territoriale concernée, les bibliothèques peuvent céder ces derniers, à des entreprises de l’économie sociale et solidaire telles que définies à l’article 1er de la loi n° 2014-856 relative à l’économie sociale et solidaire. Ces entreprises peuvent procéder à la cession des biens alloués, à titre onéreux, dans la mesure où les bénéfices perçus respectent les principes fondamentaux de l’économie sociale et solidaire comme définis au même article 1er.

La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Dans le même esprit, cet amendement vise à autoriser la cession des livres issus des désherbages des bibliothèques à des entreprises de l’économie sociale et solidaire.

Il s’agit de poser les bases légales d’une pratique qui a cours actuellement, d’autant que, à la suite du confinement, de nombreuses bibliothèques ont donné des livres à ce type d’associations et de structures d’économie sociale et solidaire.

Je sais le sort qui attend cet amendement : Mme la rapporteure fera sans doute la même réponse qu’à l’amendement précédent. Cependant, plutôt que de mettre au pilon des livres que les associations ou les fondations ne peuvent accepter, ne pourrait-on envisager que des structures d’économie sociale et solidaire ou Emmaüs récupèrent ces ouvrages de façon à les vendre à très bas prix ?

Il faudra bien un jour se poser cette question. Qui plus est, cette démarche consistant à proposer des livres très peu chers favoriserait la lecture publique.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sylvie Robert, rapporteure. Comme vous l’avez deviné, ma chère collègue, ce sont les mêmes arguments que j’opposerai à cet amendement ; je ne les répéterai donc pas.

Cette question pourrait être débattue à l’occasion d’autres véhicules législatifs. Vous avez posé le débat, et il est important. Cependant, dans le cadre de ma proposition de loi, et parce que se pose la question des droits d’auteur et des éditeurs, il ne me semble pas du tout opportun d’autoriser que puisse être revendu un ouvrage qui a été donné, quels qu’en soient les objectifs et les bénéficiaires.

C’est pourquoi la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre. Pour les mêmes raisons, le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Madame de Marco, l’amendement n° 5 est-il maintenu ?

Mme Monique de Marco. Oui, je le maintiens, madame la présidente.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 12.

(Larticle 12 est adopté.)

Article 12
Dossier législatif : proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 13

Les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot, ministre. Par cet amendement de suppression, le Gouvernement lève le gage prévu à l’article 13.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sylvie Robert, rapporteure. Je ne puis que remercier Mme la ministre et émettre un avis tout à fait favorable sur cet amendement ! (Sourires.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’article 13 est supprimé.

Vote sur l’ensemble

Article 13
Dossier législatif : proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Laure Darcos, pour explication de vote.

Mme Laure Darcos. Ma collègue Elsa Schalck s’étant très bien exprimée au nom de notre groupe, je serai brève.

Je tiens à remercier une fois de plus Sylvie Robert. Nous avons vécu toutes les deux une grande semaine. Nos deux propositions de loi, qui auraient dû être liées, ont finalement été examinées à un soir d’intervalle.

Je vous remercie également, madame la ministre, d’avoir accepté l’examen en procédure accélérée de nos deux textes. J’espère que l’Assemblée nationale s’en saisira rapidement.

Chère Sylvie Robert, je vous félicite du travail que vous avez accompli – je sais que les bibliothèques sont toute votre vie –, ainsi que de votre précédent rapport. Le Sénat peut être très fier de voter, grâce à vous, une loi en faveur des bibliothèques. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à la parole est à Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi et rapporteure.

Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi et rapporteure. Je tiens tout d’abord à remercier Mme la ministre, ainsi que le Service du livre et de la lecture, qui m’a beaucoup accompagnée dans la rédaction de cette proposition de loi. Je vous remercie également, madame la présidente, monsieur le président de la commission, mes chers collègues.

Nous avons eu l’occasion cette semaine de parler un peu de culture, lors de l’examen de la proposition de loi de Laure Darcos, puis de la mienne. Des auteurs, des poètes ont été cités. Il est très important, dans le contexte actuel, plus que jamais peut-être, non seulement de défendre la culture, mais aussi d’évoquer ces poètes et ces auteurs. Ce sont des moments de grâce et d’émotion, des moments très importants, que nous avons partagés.

Au cours de la discussion générale, des propos louangeurs ont été tenus sur les bibliothèques et les bibliothécaires. Pour elles, car ce sont surtout des femmes, j’espère vraiment que cette proposition de loi, comme celle de ma collègue Laure Darcos, se transformera en loi ; je vous fais confiance, madame la ministre, car vous vous y êtes engagée. Nous pourrons alors nous féliciter que l’aventure pour ces textes ait débuté ici, au Sénat, avec vous cet après-midi. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme la présidente. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents et je vous félicite à mon tour, madame la rapporteure ! (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique
 

5

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à la protection sociale globale
Discussion générale (suite)

Protection sociale globale

Rejet d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi relative à la protection sociale globale, présentée par M. Rachid Temal et plusieurs de ses collègues (proposition n° 430, résultat des travaux n° 661, rapport n° 660).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Rachid Temal, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la protection sociale globale
Article unique (début)

M. Rachid Temal, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi relative à la protection sociale globale que j’ai l’honneur de vous présenter a un objectif, combattre la pauvreté, et une ambition, mettre fin à une hypocrisie française. Je dis bien : une hypocrisie française !

Avant d’aller plus loin, permettez-moi de vous rappeler les éléments sur lesquels s’appuie cette proposition de loi.

Elle se fonde tout d’abord sur notre loi fondamentale, la Constitution. Selon le préambule de la Constitution de 1946, en effet, « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».

Cette proposition de loi repose ensuite sur le fruit d’une histoire collective, qui, je pense, nous rassemble, sur toutes les travées du Sénat, à savoir le programme du Conseil national de la Résistance, lequel prévoyait « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail ».

Or quelle est aujourd’hui la réalité dans notre pays ?

Notre système de protection sociale s’est progressivement et patiemment construit depuis 1945 avec l’avènement de la sécurité sociale. Depuis lors, il s’est étoffé et a intégré de nombreux dispositifs comme les aides au logement, l’allocation aux adultes handicapés, ou AAH, ou le revenu minimum d’insertion, le RMI, puis le revenu de solidarité active, le RSA.

Malgré cela, la pauvreté s’est installée massivement dans notre pays, à tel point que, aujourd’hui, 9,3 millions de personnes sont considérées comme pauvres selon l’Insee. Près d’un tiers d’entre elles sont des enfants et des adolescents, plus de la moitié ont moins de 30 ans.

Ces quinze dernières années, le taux de pauvreté des jeunes âgés de 18 à 29 ans a augmenté de plus de 50 %. Plus frappant encore, le Secours populaire souligne qu’un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté et ne mange pas tous les jours à sa faim. Les personnes handicapées pauvres sont, elles, plus de 800 000 en France, soit 12 % de l’ensemble des adultes en situation de pauvreté.

En matière de logement, selon une étude de la Fondation Abbé-Pierre, quelque 300 000 Français seraient sans domicile. Et je ne parle pas des mal-logés. Chacun le mesure au nombre de demandes de logements déposées dans sa mairie.

N’oublions pas que, selon les associations, près d’un million de personnes ont rejoint cette cohorte depuis le début de la crise. La France compte aujourd’hui plus de 11 millions de pauvres, soit 17 % de la population, alors qu’elle est la sixième puissance économique mondiale.

Face à cette situation, que chacun déplore et souhaite combattre, un phénomène participe à l’enfermement dans la précarité et la pauvreté : le non-recours.

En 2018, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la Drees, le taux de non-recours à l’aide au paiement d’une complémentaire de santé, l’ACS, oscillait entre 53 % et 67 %. Dans son dernier rapport, le Secours catholique estime pour sa part qu’un tiers des allocataires potentiels du RSA n’en bénéficie pas.

Si les raisons qui expliquent le non-recours sont multiples, la principale est la méconnaissance du public des dispositifs existants et leur complexité d’accès. Cette raison explique à elle seule 70 % des non-recours. Il s’agit là d’un véritable fléau.

Permettez-moi maintenant d’évoquer ce que j’ai appelé l’hypocrisie française face à la pauvreté, qui repose sur trois éléments.

Tout d’abord, nous créons des droits théoriques sans nous assurer qu’ils sont effectivement mis en œuvre.

Ensuite, nous assistons parfois à des logiques d’économies, au détriment des plus précaires. On sait bien que le non-recours a une dimension budgétaire.

Enfin, pour parodier une citation célèbre, « contre la pauvreté, nous n’avons pas tout essayé ».

Aussi la présente proposition de loi vise-t-elle à passer d’un droit reconnu, mais théorique, à un droit réel. C’est fidèle à ces principes, à la Constitution, au programme du Conseil national de la Résistance, et conscient de la réalité de la pauvreté qui brise des vies, parfois dès la naissance, que je me présente aujourd’hui devant vous.

Cette proposition de loi vise à compléter les dispositifs existants, à être efficace rapidement et à soutenir les Français qui ont droit à des prestations sociales. Bien entendu, la lutte contre le non-recours fait partie des missions obligatoires des caisses de sécurité sociale et des caisses d’allocations familiales, notamment au travers des « Rendez-vous des droits ». Je salue cet engagement et je m’en félicite.

Le dispositif que je vous propose vise évidemment non pas à remplacer ou à concurrencer l’existant, mais à le compléter. Les associations et l’administration reconnaissent que beaucoup reste à faire en matière de non-recours.

La commission des affaires sociales le souligne d’ailleurs dans son rapport : « Aussi intéressantes qu’elles soient, ces démarches se heurtent soit à la complexité de réformer un paysage d’aides sociales sédimentées et au temps nécessaire à leur mise en œuvre, soit au fait qu’elles n’atteignent pas les publics les plus éloignés des dispositifs sociaux, affectés par la fracture numérique ou l’exclusion sociale ».

Elle souligne également que le dispositif proposé dans la présente proposition de loi, « à périmètre constant des droits et prestations sociales, a le mérite d’offrir un mécanisme applicable dans un délai raisonnable, alors que les travaux engagés par le Gouvernement pour mettre en place un revenu universel d’activité ne trouveront pas de traduction concrète avant la fin de ce quinquennat ».

C’est maintenant qu’il nous faut agir ! Tel est l’objet de cette proposition de loi.

En réalité, mes chers collègues, ce texte met en lumière deux visions de la société. Certains – ce n’est pas une condamnation de ma part – considèrent que les bénéficiaires de prestations sociales doivent être surveillés, responsabilisés ; ils estiment parfois même qu’il faut leur imposer des conditions. D’autres, comme moi, pensent que la lutte contre la pauvreté doit être une priorité et veulent mettre fin à l’hypocrisie française que j’évoquais au début de mon intervention.

Les débats en commission ont d’ailleurs été particulièrement instructifs. Pour les uns, il faudrait, pour bénéficier du RSA par exemple, fournir un « effort d’insertion supplémentaire ». Pour ma part, je ne savais pas que, pour bénéficier des dispositifs et droits garantis par la loi, nos concitoyens devaient faire des « efforts ».

Cette logique s’applique-t-elle à tous les droits ou uniquement à ceux des plus précaires ? A-t-on demandé aux contribuables soumis à l’impôt de solidarité sur la fortune, lorsque celui-ci a été supprimé, de faire preuve de sens des responsabilités, de prendre des engagements, de faire une quelconque démarche ? Les lois et les décisions que nous prenons reposent sur le principe d’universalité.

D’autres encore pensent que cette proposition de loi prévoit un « versement automatique ». Qu’ils soient rassurés, le mécanisme que je propose repose toujours sur une demande initiale de l’ayant droit.

Pour d’autres enfin, la réduction du non-recours aurait des effets financiers : elle coûterait cher, nous disent certains. Comme il s’agit ni plus ni moins d’appliquer le droit, cet argument ne peut s’entendre, sauf à voter des droits et, dans le même temps, à faire des économies au détriment des personnes en situation de précarité. Quel modèle de société !

Si un droit existe, il doit être appliqué, « quoi qu’il en coûte ». Et ce n’est pas le vice-président de la commission des affaires sociales, qui a lui-même rappelé ce fait au Gouvernement lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 et de l’amendement dont est issue la présente proposition de loi, qui me contredira.

Le Gouvernement avait alors invoqué à l’Assemblée nationale le risque que cette disposition n’allonge les délais et ne pénalise les ayants droit. Ce n’était pas le cas dans la première version, cela ne l’est pas non plus dans le présent texte. Il n’y a pas de risque de retard pour les bénéficiaires des prestations sociales.

Dès lors, mes chers collègues, une fois mis de côté ces arguments de circonstance, dont certains sont idéologiques, je rappellerai que cette proposition de loi reprend un amendement que j’avais déposé lors de l’examen du PLFSS pour 2021 et que notre Haute Assemblée avait adopté le 12 novembre dernier. Il serait bien de réaffirmer que ce qui était bon le 12 novembre dernier l’est encore aujourd’hui.

Notre groupe, quel que soit le résultat du vote de ce soir – j’ai lu les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales, il n’y a donc pas de suspens ! – continuera de porter ce combat contre le non-recours, car il est juste et essentiel.

Nous continuerons à porter ce combat, parce qu’il n’est plus acceptable que certains droits soient théoriques et non pas réels.

Nous continuerons à porter ce combat, parce que nous devons mettre fin à l’idée trop largement répandue selon laquelle les personnes précaires doivent faire des « efforts » pour que leurs droits soient appliqués.

Nous continuerons à porter ce combat, parce qu’il y va tout simplement de la vie et de l’avenir de millions de Français – de femmes, d’enfants, d’hommes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, une part significative des personnes éligibles aux droits et prestations sociales n’en bénéficient pas. C’est ce que nous appelons le « non-recours », un sujet auquel les sociologues ont consacré un premier article en 1976, soit il y a près d’un demi-siècle.

Depuis lors, les livres se comptent par dizaines sur cette question, qui mobilise des laboratoires de recherche entiers. Et pour cause : le non-recours est devenu un phénomène massif avec la multiplication des dispositifs. Le Secours catholique estime que, désormais, un tiers des allocataires potentiels du RSA et un quart des personnes éligibles aux allocations familiales ne les perçoivent pas.

Que révèlent ces chiffres de la pertinence des choix collectifs ? Que disent-ils de ce qu’éprouvent les plus fragiles ? De l’état de notre pacte social ? Ces questions méritent assurément d’occuper les chercheurs, mais tout autant, voire davantage, les parlementaires que nous sommes, inquiets de cette réalité qui ne s’estompe pas.

De façon classique, le non-recours aux droits s’explique par le parcours des individus, dont on tente de cerner la rationalité en matière d’accès aux droits.

Si les personnes éligibles au RSA ne le perçoivent pas, c’est d’abord par ignorance de son existence ou méconnaissance de ses conditions d’accès. Le non-recours peut aussi être volontaire, motivé par le refus de la stigmatisation ou la conviction qu’il y a toujours plus malheureux que soi. Mais la principale cause réside dans la complexité des démarches, qui décourage les demandeurs, quand elle ne les effraie pas.

Pour y remédier, les organismes gestionnaires ont été responsabilisés : la lutte contre le non-recours fait désormais partie des missions légales des caisses de sécurité sociale. Les caisses d’allocations familiales obtiennent quelques résultats grâce à leurs « Rendez-vous des droits ».

Les modalités de repérage des personnes les plus en difficulté sont de plus en plus sophistiquées, grâce notamment aux techniques de data mining – c’était l’objet de l’article 82 de la dernière loi de financement de la sécurité sociale.

Des efforts importants sont aussi déployés pour mieux informer les administrés et fluidifier les échanges entre administrations.

Outre les simulateurs en ligne proposés par les différents organismes, le portail numérique des droits sociaux – mesdroitssociaux.gouv.fr – permet aux assurés de visualiser leurs droits, de les simuler et de réaliser leurs démarches en ligne en matière de retraite, d’emploi, de santé, de logement, mais aussi de prestations de solidarité, d’allocations familiales ou encore d’aides extralégales de certaines collectivités territoriales.

Le portail Mon parcours handicap a pour sa part vocation à servir de guichet unique numérique, afin de simplifier les démarches des usagers tout au long de leur vie.

Ces initiatives sont intéressantes, mais l’accent mis sur la numérisation des démarches fait fi de la fracture numérique et de l’illectronisme. Eh oui : les difficultés d’accès au numérique touchent plus fréquemment ceux qui ont vocation à se servir de ces outils !

Ainsi, selon une étude réalisée par le Secours catholique, près de 55 % des personnes interrogées rencontrent des difficultés avec les démarches en ligne. Parmi celles que l’association prend en charge, un tiers a un accès nul ou limité aux outils informatiques.

Selon les analyses plus récentes sur le non-recours, qui partent des dispositifs eux-mêmes, si de nombreuses personnes éligibles aux prestations sociales n’en bénéficient pas, c’est sans doute aussi parce que ces dernières sont mal conçues. Lutter contre le non-recours devrait donc passer non seulement par l’accompagnement des personnes, mais aussi par la refonte des dispositifs qui leur sont destinés et des procédures à suivre.

Idéalement, pour plus de lisibilité, le nombre de prestations devrait être réduit au minimum et leurs voies d’accès simplifiées au maximum.

Une promesse de cet ordre a été faite en juin 2018 avec le projet de revenu universel d’activité, le RUA, vaisseau amiral de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, bâti pour garantir un meilleur pilotage. Trois ans plus tard, il s’est ensablé…

Dans ce contexte, la proposition de loi de M. Temal est astucieuse et originale.

Elle est astucieuse, car elle ne touche pas au paysage des aides et prestations, ni à leurs conditions d’accès. D’aucuns y verront peut-être une faiblesse, mais, plutôt que de concurrencer le chantier du RUA, qui aboutira peut-être un jour, mieux vaut proposer un mécanisme plus directement opérationnel. C’est ce mécanisme qui rend cette proposition de loi originale et qui laisse à penser que, au moins en matière de lutte contre le non-recours, on n’a pas encore tout essayé.

Pour le décrire d’un mot, ce mécanisme systématise l’examen de l’éligibilité du demandeur d’une prestation à une liste de droits et de prestations connexes. Ce faisant, c’est à l’administration, et non plus aux usagers, qu’il reviendrait de frapper à la bonne porte, et cela de manière organisée, pour plus d’efficacité.

Deux grandes catégories de prestations sont distinguées. La première comprend les prestations relevant du soutien à l’autonomie : l’éligibilité à l’AAH, à la prestation de compensation du handicap, la PCH, à l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, et à la carte mobilité inclusion entraînerait automatiquement l’examen de l’éligibilité aux autres droits et prestations qui ne leur sont pas incompatibles.

Le même mécanisme est prévu pour les prestations destinées aux personnes à faibles ressources : la prime d’activité et les trois aides au logement.

Ces deux groupes de prestations sont en outre reliés entre eux : l’autorité qui prononcerait l’admission au bénéfice d’un droit ou d’une prestation du premier ensemble saisirait sans délai les organismes compétents pour l’examen de l’éligibilité aux prestations du second ensemble. Les deux ensembles sont pareillement reliés au RSA, ainsi qu’à la complémentaire santé solidaire.

Lorsque l’autorité saisie en application d’un tel mécanisme en aura la compétence et disposera de tous les éléments nécessaires, elle se prononcera simultanément sur l’admission de l’intéressé au bénéfice d’un ou plusieurs autres droits ou prestations, ainsi qu’au bénéfice du RSA. À défaut, elle informera le bénéficiaire qu’il sera procédé sans délai à l’examen de son dossier par l’organisme compétent, qui lui serait indiqué.

Un tel mécanisme épouse l’évolution de notre système social, sans remettre en cause son fonctionnement. Le principe de quérabilité des aides est ici respecté, puisqu’il faut faire une demande originelle pour déclencher l’examen de l’éligibilité à d’autres prestations.

Cette automaticité ne serait pas nouvelle, elle a déjà gagné un peu de terrain.

En effet, toute demande de RSA vaut demande de prime d’activité ; tout bénéficiaire du RSA a déjà automatiquement accès à la complémentaire santé solidaire en cochant une simple case ; toute demande de prestation faite à une maison départementale des personnes handicapées, une MDPH, sur le formulaire unique en circulation depuis 2019 vaut demande de toutes celles qu’elle peut distribuer.

D’aucuns feront sans doute valoir que de telles obligations d’instruction de nouveaux dossiers alourdiront les charges de gestion des organismes délivrant les prestations. Cela se discute.

Tout d’abord, certaines dispositions du texte prévoient les souplesses nécessaires : en prévenant les requêtes sans objet, en permettant, à la suite d’un premier refus, l’examen de l’éligibilité du demandeur à d’autres droits ou prestations, ou bien la saisine à cette fin de l’autorité compétente. Le texte prévoit même que le demandeur puisse renoncer à tout moment au bénéfice d’une prestation.

Ensuite, la simplification globale des démarches pourrait, en prévenant les ruptures de droits en cascade, faire faire des économies globales au système social, car les besoins des personnes seraient appréhendés avant que leur situation ne soit trop dégradée.

Ce texte apparaît en réalité complémentaire des chantiers en cours. S’il exige peut-être des efforts de formation des agents aux prestations qu’ils ne servent pas directement, il ne nécessite pas d’autres efforts de gestion que ceux qui sont déjà engagés en matière de rapprochement des données fiscales et sociales, de simplification numérique et de lutte contre l’illectronisme.

Quand bien même il serait démontré que tout cela alourdirait la gestion des prestations ou exigerait des autorisations d’échanges de données supplémentaires, on ne saurait sérieusement invoquer de tels arguments pratiques et techniques pour faire obstacle au droit élémentaire de chacun de bénéficier de ce qui doit lui revenir.

Certains de nos collègues ont enfin regretté en commission que les dépenses qu’entraînerait un tel mécanisme n’aient pas été chiffrées. Une telle inquiétude est apparemment légitime.

L’inquiétude de certains collègues, qui siègent plutôt sur ma droite, révèle toutefois une curieuse perspective. Car enfin, mes chers collègues, le problème n’est pas que ce texte ne soit pas accompagné d’une étude d’impact, il est plutôt que nos projets de loi de finances annuels ne comprennent pas d’évaluation du montant des économies que nous réalisons en décourageant les plus fragiles ! Le Secours catholique évoque des « économies honteuses ». Rachid Temal, l’auteur de la proposition de loi, parle, lui, d’une « hypocrisie française ».

Que fait le législateur qui redessine les aides au logement ou élargit le bénéfice de l’AAH, sans, dans le même temps, s’assurer que ses destinataires pourront en profiter, sinon se payer de mots ? Il est à craindre que, à terme, ce ne soit cette dépense-là qui nous coûte le plus cher.

On ne s’étonnera donc pas, mes chers collègues, que, dans sa sagesse, le Sénat ait déjà voté un tel mécanisme, présenté sous forme d’amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, après avis de sagesse du rapporteur général de la commission des affaires sociales – sous une forme bien moins aboutie que celle qui est prévue dans cette proposition de loi. Qu’il ait ensuite été supprimé de la version définitive du texte ne nous interdit pas de l’adopter de nouveau, bien au contraire.

Néanmoins, la commission des affaires sociales n’a pas adopté cette proposition de loi, à laquelle je suis, vous l’avez bien compris, favorable à titre personnel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de léducation prioritaire. Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence aujourd’hui de ma collègue Brigitte Bourguignon, qui est actuellement en déplacement au Danemark, où elle doit rencontrer tôt demain matin son homologue.

Je suis très heureuse de pouvoir m’exprimer en son nom, sur un sujet que je connais assez bien.

J’admets que le lien entre l’éducation prioritaire et l’objet du texte n’est pas évident, mais, si l’on examine les choses de près, on aperçoit des ponts.

Monsieur le sénateur, vous avez parlé de « précarité alimentaire ». Dans mon champ ministériel, je m’emploie à développer une politique sociale volontariste, par exemple en redéployant les petits-déjeuners gratuits. Je lutte également contre le non-recours aux bourses : un certain nombre de dispositions seront mises en place à partir de l’année prochaine. Encore une fois, il s’agit d’un sujet auquel je suis particulièrement attachée.

La proposition de loi dont nous allons débattre vise à lutter contre le non-recours aux droits sociaux en instaurant une instruction automatique de l’éligibilité à des prestations autres que celle pour laquelle une demande a été initialement déposée.

Monsieur le sénateur, je souhaite avant toute chose vous remercier de vous emparer d’un tel sujet. Comme je le soulignais, la lutte contre le non-recours aux droits est un enjeu majeur. Elle est au cœur de notre pacte social. Nous partageons pleinement votre volonté de lutter efficacement contre les situations de non-recours, qui précarisent des publics souvent déjà fragilisés.

Vous le savez, le non-recours aux droits est un phénomène complexe, aux origines plurielles. Trop souvent encore, il est lié au manque d’informations : les personnes n’ont pas connaissance de l’existence des prestations ou ne savent pas qu’elles y sont éligibles. Il est parfois aussi dû à l’aridité des démarches administratives, qui, nous le savons, découragent certains. Enfin, il est pour d’autres un choix délibéré, qui peut traduire une certaine conception de ce que devrait être l’action sociale de l’État.

Vous le comprenez, la problématique du non-recours est éminemment complexe, et les réponses à apporter varient selon les spécificités des situations.

Pour autant, la présente proposition de loi ne semble pas être une réponse adaptée. Si son objectif est louable, le dispositif proposé présente aussi des faiblesses techniques et opérationnelles. (M. Rachid Temal sexclame.)

Tout d’abord, le choix des prestations que vous avez ciblées interroge. Il ignore notamment le fait qu’il existe déjà un dossier unique pour les prestations liées au handicap – je pense à l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, à la prestation de compensation du handicap, la PCH, ou à la carte mobilité inclusion, la CMI – instruites par les maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH.

Par ailleurs, le dispositif envisagé méconnaît la complexité de notre filet de protection sociale, notamment au regard des liens et incompatibilités qui existent entre certaines prestations sociales. Je pense ainsi à l’allocation aux adultes handicapés, qui ne peut être cumulée avec la prime d’activité que dans de rares cas, ou encore au droit au revenu de solidarité active, le RSA, dont l’instruction nécessite d’apprécier des ressources beaucoup plus larges que pour l’examen d’une demande d’aide au logement.

La diversité des conditions d’éligibilité qui existe entre les prestations ne permettra pas aux organismes d’examiner le droit à une prestation sur la seule base des informations recueillies à l’occasion de l’instruction d’une autre prestation. Il faudrait alors revenir vers les intéressés, au risque d’allonger les délais de traitement et sans valeur ajoutée.

À ce sujet, l’harmonisation des bases ressources de ces prestations, indispensable pour que les bénéficiaires n’aient pas à renseigner de nouvelles informations, requerrait des autorisations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, alors que cette dernière refuse qu’une même base de données soit utilisée pour plusieurs prestations, y compris au sein d’un même organisme de sécurité sociale.

Par ailleurs, ce que vous proposez ne prévoit pas de mécanisme de vérification des dossiers déjà déposés et renforce en pratique le risque qu’une demande ne soit instruite plusieurs fois.

Enfin, et cela ne doit pas être négligé, un tel dispositif mobiliserait des moyens supplémentaires considérables, du point de vue tant informatique, pour favoriser le partage d’informations entre les systèmes, que des ressources humaines, pour permettre aux organismes concernés, déjà surchargés, d’absorber de telles charges administratives. (M. Rachid Temal proteste.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi, même si son objectif est bien légitime, souffre d’insuffisances.

Pour autant, le Gouvernement n’est pas resté passif face aux situations de non-recours. Depuis le début du quinquennat, nous œuvrons pour honorer notre pacte social et permettre à toutes celles et à tous ceux qui le souhaitent de bénéficier des aides et prestations auxquelles ils peuvent légitimement prétendre. Depuis 2018, les caisses de sécurité sociale organisent des campagnes de data mining.

Les résultats sont encourageants. En 2019, cela a permis de cibler 26 % des dossiers de personnes qui pouvaient prétendre au RSA et aux allocations logement. En 2020, quelque 7 705 allocataires ont ainsi ouvert un nouveau droit à la prime d’activité suite à un repérage dans ce cadre. Des actions structurantes ont également été entreprises pour favoriser le déploiement de dispositifs d’« aller vers ».

À ce sujet, les rendez-vous des droits des caisses d’allocations familiales, les CAF, et des caisses de Mutualité sociale agricole, les MSA, sont des leviers efficaces de lutte contre le non-recours. Concrètement, les allocataires les plus vulnérables se voient proposer un entretien personnalisé, afin de faire le point sur l’ensemble des aides auxquelles ils peuvent prétendre.

En 2017, quelque 50 % des bénéficiaires des rendez-vous de la CAF déclaraient avoir reçu des droits nouveaux, avec une ouverture en moyenne de 1,4 prestation. C’est considérable.

Par ailleurs, à l’été 2020, une expérimentation a permis le déploiement de 107 équipes mobiles des caisses primaires d’assurance maladie, les CPAM, et des CAF dans les structures d’hébergement temporaire. Cette expérimentation a rencontré un vif succès, puisqu’elle a permis d’engager 4 871 actions d’ouverture de droits.

Nous avons parallèlement entrepris un vaste plan de simplification des démarches administratives, qui permet de réduire les formulaires à renseigner, de favoriser la dématérialisation des démarches, ou encore de diminuer le nombre de pièces justificatives requises.

Pour y parvenir, nous travaillons à renforcer le partage des données entre les administrations. À terme, ces efforts permettront de préremplir automatiquement les données relatives aux ressources des allocataires. Tel sera le cas par exemple pour le téléservice de la complémentaire santé solidaire d’ici à la fin de l’année 2021.

Enfin, des simulateurs ont été mis à la disposition des citoyens, afin que ceux-ci puissent vérifier les aides auxquelles ils peuvent prétendre. Je pense notamment au portail numérique des droits sociaux, aux simulateurs déployés par la CAF, ou encore au simulateur la Boussole, qui a été mis en ligne au mois d’avril dernier et qui rassemble toutes les aides auxquelles les jeunes peuvent prétendre. Je vous invite à les consulter ; ce sont des outils précieux.

Et comme nous n’ignorons pas que notre système de soutien monétaire aux plus précaires souffre de certains défauts, nous avons lancé des travaux ambitieux sur la création d’un revenu universel d’activité, le RUA, conformément à l’engagement du Président de la République. (M. Rachid Temal ironise.)

Ces travaux, qui ont été suspendus du fait de la crise sanitaire, seront finalisés, avec la remise d’un rapport public d’ici à la fin de l’année. Je ne doute pas que nous aurons l’occasion d’en débattre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, le Gouvernement s’est engagé pour lutter activement contre les situations de non-recours et permettre à tous ceux qui le souhaitent d’avoir accès aux droits qui leur sont ouverts s’ils en font la demande. Le défi est grand, mais nous sommes prêts à le relever.

Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le taux de non-recours aux aides sociales reste important dans notre pays.

En effet, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la Drees, il varie entre 32 % et 44 % pour la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C, et peut s’élever jusqu’à 67 % pour l’aide au paiement de la complémentaire santé. Par ailleurs, on estime qu’entre 7,5 % et 8,2 % des allocataires ne recourent pas à leurs droits pour les aides à la famille.

Complexité des démarches qui décourage les demandeurs, ignorance ou méconnaissances des dispositifs existants ou encore non-recours volontaire et motivé par le refus de la stigmatisation ou la conviction qu’il y a toujours plus malheureux que soi… Les raisons sont multiples.

C’est pour pallier ce phénomène complexe que notre collègue le sénateur Rachid Temal a déposé une proposition de loi visant à lutter contre le non-recours aux prestations sociales dans les secteurs du handicap, de la protection complémentaire de santé ou encore du RSA.

Pour ce faire, il propose dans un article unique la mise en place d’un système par îlots. Le premier serait dédié aux prestations liées à un handicap. Le second engloberait celles qui sont liées à de faibles ressources hors RSA. L’examen automatique aurait lieu au sein de ces îlots.

Le manquement aux obligations ainsi créé serait considéré comme constitutif d’une faute de nature à engager, en cas de préjudice, la responsabilité de l’administration. Ne risquons-nous pas d’aller ainsi vers la déresponsabilisation de l’allocataire ?

En outre, la proposition de loi prévoit la possibilité pour les organismes chargés de l’examen de l’éligibilité aux prestations de saisir à cette fin l’autorité compétente s’ils se trouvent dans l’incapacité de mener à bien l’opération.

Si l’intention de mon collègue est louable, le dispositif proposé se heurte à un certain nombre d’impossibilités matérielles.

Lors de l’examen de notre dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, le sujet avait été abordé. Il était clairement apparu que le montant de certaines allocations était conditionné soit aux ressources, soit à la situation familiale ou encore à la gravité du handicap. Il faudrait systématiquement demander ces données à l’allocataire, parfois inutilement et souvent de façon redondante.

Ainsi, ces démarches supplémentaires risquent de ralentir l’ouverture des droits demandés. C’est aller à rebours de l’objectif de cette proposition de loi, que nous partageons tous.

Par ailleurs, plusieurs dispositifs existent d’ores et déjà face au non-recours.

Je pourrais évoquer, au sein de l’assurance maladie, le plan local d’accompagnement du non-recours, des incompréhensions et des ruptures ou encore la plateforme d’intervention départementale pour l’accès aux soins et à la santé.

Je pense également aux plateformes numériques qui permettent aux Français de s’informer sur les prestations. Rappelons l’existence des simulateurs de droits sur « www.mesdroitssociaux.gouv.fr ». Songeons aussi aux maisons France Service, qui permettent de simplifier la relation des usagers aux services publics. Je rappelle que l’État a pris un engagement financier global de 200 millions d’euros d’ici à 2022 pour assurer leur déploiement et leur fonctionnement.

Enfin, n’oublions pas les rendez-vous des droits des CAF, ces entretiens personnalisés qui permettent d’étudier l’éligibilité des allocataires aux différentes prestations gérées ou non par les caisses d’allocations familiales, ou encore les technologies de la CNAF, qui, depuis 2017, facilitent un repérage du non-recours au sein de ses allocataires, afin de cibler au mieux les démarches proactives vis-à-vis de ceux-ci.

Mes chers collègues, comme je vous l’expliquais précédemment, le dispositif proposé se heurte à un certain nombre d’impossibilités matérielles. En outre, cette proposition de loi peut conduire à une forme de déresponsabilisation de l’allocataire. Enfin, elle ne tient pas tout à fait compte des dispositifs mis en place par le Gouvernement depuis 2018.

Pour ces raisons, notre groupe votera contre ce texte. (M. Joël Guerriau applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de la présentation de la stratégie nationale de prévention de lutte contre la pauvreté, au mois de septembre 2018, le Président de la République déclarait : « On n’a jamais réglé le problème de la pauvreté en s’assurant que des gens n’aient pas recours à un revenu. »

Aujourd’hui encore, un nombre important de personnes éligibles à des aides sociales n’en bénéficient pas. Si l’un des freins est parfois la peur d’être stigmatisé, les principales raisons sont la méconnaissance des dispositifs existants et, surtout, la complexité d’accès aux aides.

Depuis 1945, pour mieux prendre en compte la diversité des risques sociaux et des situations individuelles, de nouvelles prestations ont été créées. Certaines ont été remplacées ou supprimées, d’autres ont fusionné, ce qui rend leur accès encore plus difficile, notamment pour les plus précaires. Les réponses actuelles – je pense notamment aux rendez-vous des droits organisés par les caisses d’allocations familiales – ont montré une réelle efficacité, mais sont encore insuffisantes.

Selon le dernier rapport annuel du Secours catholique et de l’Observatoire des non-recours aux droits et services, l’Odenore, un tiers des personnes accueillies et éligibles au RSA ne le touchent pas, et plus d’un quart des personnes éligibles à des allocations familiales ne les perçoivent pas.

Ces chiffres sont particulièrement inquiétants, d’autant que, avec la crise sanitaire, les plus précaires sont encore plus fragilisés. Alors que le Gouvernement a déployé tout un arsenal d’aides et que les élans de solidarité pour tenter d’atténuer les effets de la pandémie sur les plus vulnérables ont été exceptionnels, le Secours populaire compte 45 % de bénéficiaires en plus, et les Restos du cœur 30 %.

Dans ce contexte, la question du non-recours aux aides sociales est prégnante, et je remercie nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain de nous permettre d’en débattre.

Lutter contre le non-recours constitue un enjeu de justice sociale, dès lors que les personnes les plus vulnérables sont la plupart du temps celles qui méconnaissent le plus leurs droits. C’est surtout un défi pour notre pays de ne laisser personne sur le côté de la route.

Certains pourraient penser que le non-recours nous fait faire des économies. Ces « économies honteuses » dont parle le Secours catholique dans son dernier rapport traduisent en réalité un échec de nos politiques sociales.

Comme le rappelle très justement le rapport d’Eurofound de 2015, si des prestations ont été créées au service d’objectifs stratégiques, comme la réduction de la pauvreté, le fait que ces prestations n’atteignent pas leur cible est un obstacle à la politique menée. Il y a par ailleurs un risque d’accroître à plus long terme le coût social de la lutte contre l’exclusion.

La proposition de loi de nos collègues vise à lutter contre ce fléau, et chacun de nous ne peut qu’y souscrire. Il convient toutefois de s’interroger sur le mécanisme proposé. Vous-même, madame la rapporteure, avez reconnu qu’il n’était pas parfait.

Nous craignons ainsi que le dispositif n’introduise une complexité supplémentaire. Nous regrettons également que certaines dispositions en soient exclues.

Surtout, il nous faut trouver des solutions pertinentes sur le long terme. Je pense notamment au revenu universel d’activité, dont la création a été annoncée par le Président de la République dans le cadre du plan pauvreté, au mois de septembre 2018.

Il s’agirait de fusionner le plus grand nombre possible de prestations pour une meilleure lisibilité et plus d’équité. La réforme devrait par ailleurs s’accompagner d’une simplification des démarches. Le Premier ministre a annoncé la reprise des travaux de concertation, qui, je l’espère, pourront rapidement donner vie à ce nouveau dispositif.

Aussi, et en raison notamment de la complexité du dispositif, le RDSE ne soutiendra pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que nos débats dans cet hémicycle se focalisent trop souvent sur le renforcement des contrôles des bénéficiaires des aides sociales, la proposition de loi du groupe socialiste a le mérite d’engager une réflexion en faveur de l’amélioration de l’accès aux droits.

Comme il est indiqué dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi, le non-recours aux droits a de lourdes conséquences dans plusieurs domaines, tels que l’accès aux soins, l’exclusion sociale, l’accès au logement, l’alimentation, la réussite éducative ou encore l’autonomie.

Il est aujourd’hui inconcevable que celles et ceux qui ont droit à ces aides et qui en ont besoin ne puissent pas en bénéficier uniquement parce qu’ils n’ont pas déposé le bon dossier, que les démarches sont trop complexes ou tout simplement qu’ils n’ont pas connaissance des dispositifs Nous dénonçons depuis des années l’absence d’automaticité des droits. Je veux le souligner, le non-recours aux prestations sociales représente un montant plus élevé que la fraude aux aides sociales.

Alors que la crise sanitaire a renforcé les inégalités sociales et a réaffirmé l’urgence de garantir à toutes et tous un salaire ou un minimum décent, la création d’un droit au recours constitue un progrès indéniable.

L’idée selon laquelle l’octroi d’une prestation déclencherait automatiquement l’examen d’éligibilité aux autres prestations avec un fonctionnement par îlots est donc intéressante.

Si le transfert de l’accomplissement des démarches du demandeur à la puissance publique permet de lutter contre le non-recours, il pose la question de la formation des personnels et des moyens humains pour traiter les demandes.

En effet, les politiques d’austérité menées depuis vingt ans par les gouvernements successifs ont réduit le nombre de fonctionnaires et d’agents de la sécurité sociale. Les progrès des échanges d’informations ne permettront pas de faire l’économie d’un plan de recrutement et de formation des personnels.

Par ailleurs, nous craignons que le data mining ne renforce le fichage et le contrôle des bénéficiaires.

Enfin, au prétexte de « décompartimenter » les aides sociales, la proposition de loi reprend à son compte les projets de remplacement de la sécurité sociale par une protection sociale, projets qui renvoient à deux visions opposées du système social.

D’un côté, la sécurité sociale est financée par les cotisations sociales et gérée par les salariés et les employeurs, avec un principe fondateur : « Chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. »

De l’autre, la protection sociale renvoie à un champ beaucoup plus large, qui inclut les mutuelles, les assurances, les instituts de prévoyance, les régimes complémentaires individuels et collectifs de retraites, chômage et de santé, avec un mode de financement complètement différent.

On se souvient de l’adoption par l’Assemblée nationale en juillet 2018 d’un amendement du député Olivier Véran, qui tendait à introduire la notion de « protection sociale » dans la Constitution.

Plus récemment, et dans la même veine, le député Thomas Mesnier a déposé une proposition de loi organique pour réformer le pilotage financier et la gouvernance de la sécurité sociale.

La majorité sénatoriale n’est pas en reste, puisqu’elle a déposé une proposition de loi organique visant à refondre l’organisation des débats de la sécurité sociale, en incluant l’assurance chômage et les régimes complémentaires de retraites dans la loi de financement de la sécurité sociale.

Nous assistons bel et bien à une tentative de reprise en main par l’État de la sécurité sociale, avec un financement par l’impôt, ainsi qu’à sa dénaturation, en y intégrant les assurances privées.

Notre crainte est que cette proposition de loi ne soit la porte ouverte à une confusion entre les prestations de la sécurité sociale et les aides sociales de l’État.

Alors que les prestations de sécurité sociale sont universelles et redistributives, les aides sociales s’adressent aux plus fragiles et aux plus précaires. Le risque est donc la suppression à terme de l’universalité des prestations sociales.

Nous craignons que l’utilisation sémantique de « protection sociale globale » ne soit une manière d’effacer la sécurité sociale, dans le contexte d’attaques et de démantèlement que je viens de décrire. Pourquoi ne pas avoir plutôt intitulé cette proposition de loi : « Lutte contre le non-recours », afin d’éviter toute confusion et récupération à d’autres fins ?

Néanmoins, les parlementaires du groupe CRCE, soucieuses et soucieux de lutter en faveur d’un meilleur accès aux droits, ne s’opposeront pas à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno.

M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sortons à peine de l’une des plus graves crises sanitaires de notre histoire contemporaine. Pendant cette année si particulière, nous avons tous été heurtés dans nos habitudes et nos modes de vie.

Néanmoins, nous avons tenu ensemble, grâce au courage des Français et à l’engagement des soignants et des professions en première ligne. Le courage de ces derniers et la discipline de nos concitoyens ont été exemplaires.

Nous avons aussi tenu ensemble grâce à notre solidarité nationale. L’État et les collectivités ont répondu présent. Je le dis, parce que je pense que notre État-providence et notre solidarité collective sont une chance.

Cependant, plusieurs questions essentielles se posent à nous régulièrement. Jusqu’où doit aller cette solidarité ? Comment permettre à chacun d’accéder à ses droits sociaux ? Quel consensus autour de cette solidarité ?

Tel est l’objet de cette proposition de loi, qui tend à lutter contre le non-recours aux droits sociaux de nos concitoyens en systématisant l’examen de l’éligibilité aux droits. C’est un débat important, qui nous interroge sur les fondements de notre solidarité nationale.

En commission des affaires sociales, j’évoquais les fondateurs du programme du Conseil national de la Résistance. Ils nous inspirent encore aujourd’hui dans nos réflexions. Je ne suis pas sûr du tout qu’ils aient songé à rendre l’accès à notre solidarité nationale automatique.

Le non-recours aux droits et aux prestations sociales est un problème complexe, auquel nous sommes confrontés dans nos responsabilités. Je l’ai été en tant que vice-président du département du Nord chargé de l’insertion. Je connais les difficultés d’accès de nos publics les plus fragiles aux aides sociales, mais aussi l’importance de les accompagner dans une démarche responsable et active.

Les causes de ces difficultés sont nombreuses. La principale est liée à la complexité des démarches, qui décourage, voire effraye les demandeurs. L’ignorance ou la méconnaissance des dispositifs existants jouent également un rôle. Il peut exister enfin – cela a été évoqué – un non-recours volontaire, motivé par le refus de la stigmatisation.

Le non-recours touche davantage les publics les plus fragiles, les parents célibataires ou isolés, les personnes vivant en habitat précaire et nos concitoyens qui n’ont pas d’emploi stable.

Automatiser l’octroi des droits et prestations, comme le propose ce dispositif, aurait des conséquences que nous devons mesurer ensemble.

Tout d’abord, cela revient à remettre en cause l’idée d’une démarche personnelle du bénéficiaire et d’un engagement de sa part dans le processus d’insertion. Or le fait de solliciter une aide participe à l’adhésion du citoyen à notre système de protection sociale. C’est une étape importante.

Aussi, depuis plusieurs années, un travail substantiel est mené par l’État et les collectivités territoriales pour renforcer l’information des publics concernés. Des portails d’information ont été mis en place, mais pas seulement. Il existe également des simulateurs de droits numériques.

Dans le combat contre le non-recours et pour un engagement de nos concitoyens dans cette démarche, l’information et l’accompagnement sont la clé. Ainsi que cela a été rappelé, la CAF a mis en place des rendez-vous des droits, qui permettent aux assurés d’avoir conscience des prestations dont ils peuvent bénéficier.

La dynamique de certaines administrations sur ces sujets doit être saluée. Je pense notamment aux mécanismes qui permettent à chacun de bénéficier de l’ensemble de ses droits sociaux. Si davantage doit être fait pour lutter contre le non-recours, cela doit passer par le renforcement de l’accompagnement individuel autour des démarches des demandeurs.

La présente proposition de loi, comme celle de notre collègue Rémi Cardon sur l’élargissement du RSA aux jeunes âgés de 18 à 25 ans, pose de façon sous-jacente la question du revenu universel d’activité. Les réflexions de Christophe Sirugue sur ce sujet nous obligent à nous interroger. C’est légitime.

La mission d’information sur l’intérêt et les formes possibles de mise en place d’un revenu de base en France, présidée par notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, permet un débat passionnant, que nous devrons avoir ensemble.

Ce débat devra intégrer toutes les dimensions du RUA : solidarité, évaluation financière – nous sommes des élus et des parlementaires responsables – et valeur travail, qui structure notre société. En attendant, il ne nous semble pas opportun de nous engager dans une démarche complexe, qui interroge notre modèle social sans régler vraiment le problème du non-recours.

M. Rachid Temal. Bref, on remet toujours à plus tard…

M. Olivier Henno. La présente proposition de loi soulève une vraie question, mais la réponse apportée nous paraît insatisfaisante et incomplète. C’est pourquoi notre groupe ne votera pas ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Édouard Courtial.

M. Édouard Courtial. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la solidarité nationale est l’application concrète du principe de fraternité inscrit au fronton de nos mairies.

Ainsi, nous ne pouvons que souscrire à l’objectif du texte présenté aujourd’hui : s’assurer que la solidarité nationale atteigne tous ceux qui en ont besoin, afin de faire vivre cette fraternité qui sous-tend le pacte républicain.

Depuis 1945, notre pays s’honore de cette solidarité. La protection sociale a été maintenue et développée par tous les gouvernements successifs, aboutissant à augmenter le panel des bénéficiaires pour s’adapter aux situations financière, familiale et professionnelle de chacun et répondre au plus près aux besoins.

Néanmoins, comme le soulignent les auteurs de la proposition de loi, nous observons un important phénomène de non-recours : certains de nos concitoyens ayant droit à des aides sociales n’en profitent pas. Les raisons sont diverses, mais une majorité de cas trouvent leur origine dans une méconnaissance du système, faute de communication suffisante, dans une appréhension face à la complexité des démarches ou, enfin, dans un accès moindre ou nul aux outils informatiques.

Une telle situation de non-recours aux droits doit être combattue ; je crois que nous nous accordons tous sur ce point. Au demeurant, s’y résoudre et ne rien proposer en retour aggraverait la situation de celles et ceux qui sont déjà fortement fragilisés.

Président du conseil départemental de l’Oise entre 2015 et 2017, j’ai toujours eu à cœur de m’assurer que les aides gérées par cette collectivité soient les plus accessibles possible, tout en rappelant – c’est aussi ma responsabilité – qu’il s’agit non pas d’argent gratuit, mais du fruit du travail des Français. J’ai donc pris part à la réflexion visant à améliorer l’accès au système d’aides sociales, afin de remplir la promesse que la République a faite à ses enfants les plus fragiles.

Dans ce cadre, la mesure proposée s’appuie sur une classification des prestations en deux catégories : les aides liées à un handicap, d’une part, les aides liées à de faibles ressources, d’autre part. À partir de cela, on établit des ponts entre les différentes prestations, afin que l’accès à une prestation sociale déclenche automatiquement l’examen d’éligibilité aux autres.

Cependant, aussi séduisant que ce dispositif peut apparaître, il ne nous satisfait pas complètement. Comme cela a été très bien relevé en commission par notre collègue Philippe Mouiller, une telle mesure exclut certaines prestations, comme l’allocation de solidarité aux personnes âgées ou l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé.

Trois autres limites sont également à signaler.

La première tient à la question, largement sous-estimée, de la mise en œuvre. En effet, les responsabilités qui sont aujourd’hui réparties entre les différents organismes délivrant les différentes prestations deviendraient confuses. Jusqu’où irait la responsabilité de l’organisme se bornant à notifier à une personne son éligibilité à une prestation délivrée par un autre organisme, qui s’appuierait lui-même sur autre chose, puisque tout est automatisé ?

Rendre automatique le système revient à diviser les responsabilités et nécessite un changement en profondeur, que nous ne pouvons pas atteindre aujourd’hui.

La seconde limite concerne le coût financier de cette opération. Si l’accès à une prestation déclenche automatiquement un examen d’éligibilité à d’autres prestations, dépendantes d’autres organismes, alors doit être organisé un très important transfert de données entre les organismes.

De ce côté, tout reste à faire, car, aujourd’hui, les données sont plutôt cloisonnées et ne circulent pas assez. Or leur transfert et leur traitement nécessitent davantage de moyens humains et techniques et donc un budget sûrement bien supérieur à ce que l’État peut aujourd’hui proposer.

Enfin, nous pouvons et nous devons nous interroger sur l’efficacité du dispositif proposé. En effet, si le constat de ce phénomène de non-recours est réel et regrettable, les efforts faits sont eux aussi réels.

Aujourd’hui, d’autres acteurs, associatifs en particulier, participent à la solidarité nationale en étant présents là où l’État ne l’est que peu ou pas du tout. Mme Annie Le Houerou a cité par exemple dans son exposé en commission les rapports du Secours catholique, mais sont actifs également les Restos du cœur, la Croix-Rouge française, la Fondation Abbé-Pierre et d’autres encore.

Ces organismes délivrent des aides sociales de tout type, alimentaire, humanitaire, sanitaire, etc., et méritent d’être encouragés. Or automatiser un dispositif revient à le placer entièrement sous la responsabilité de l’État, et ainsi à enrayer l’action de ces associations, lesquelles, pourtant, se portent volontaires pour supporter les contraintes que la lutte contre le non-recours impose.

Cela manifeste le dernier point qui fonde cette troisième raison : faut-il accroître le poids que représente cette lutte sur les services de l’État si d’autres acteurs sont prêts à se mobiliser et se mobilisent d’ailleurs déjà ?

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, telles sont donc les raisons pour lesquelles ce dispositif ne semble pas convenir et a été repoussé en commission. (M. Rachid Temal sexclame.)

Aussi, malgré notre volonté commune de rendre la solidarité nationale plus efficace et effective, le texte proposé nous semble poser davantage de difficultés qu’il n’offre de solutions ; c’est pourquoi notre groupe ne le votera pas.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi, présentée par le sénateur Rachid Temal, vise à automatiser par îlots l’examen de l’accès aux droits sociaux tels que le RSA, l’allocation aux adultes handicapés, la prestation de compensation du handicap, l’allocation personnalisée autonomie ou encore la carte « mobilité inclusion ».

L’objectif annoncé est de lutter contre le non-recours aux droits, dont le taux est particulièrement élevé pour certaines prestations, notamment pour le revenu de solidarité active : la moitié des personnes éligibles n’aurait pas recours à ce minimum social. Autre exemple éloquent, plus de la moitié des bénéficiaires potentiels n’utilise pas l’aide au paiement de la complémentaire santé proposée par l’État.

Les raisons du non-recours sont multiples : le manque d’information, la complexité des démarches et la stigmatisation sont les trois principaux freins identifiés par la Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques, la Drees.

Aussi, le problème soulevé par cette proposition de loi est loin d’être marginal. De nombreux Français sont concernés et nous partageons pleinement la volonté de l’auteur du texte d’apporter des solutions pragmatiques et pérennes à ce problème.

Comme cela a été indiqué en commission, le texte reprend un amendement examiné dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 et adopté par le Sénat, contre l’avis du Gouvernement, lequel avait jugé que le dispositif se heurtait à un certain nombre d’impossibilités matérielles. Un dispositif similaire avait donc été adopté à l’Assemblée nationale, prévoyant des échanges d’information entre les organismes de sécurité sociale, afin de faciliter l’identification des bénéficiaires potentiels.

La lutte contre le non-recours aux droits s’inscrit pleinement dans la volonté du Gouvernement de mettre en œuvre un versement social unique, dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté.

La première étape de cette réforme est déjà enclenchée, il s’agit de la révision des règles de calcul de certaines prestations nationales pour une meilleure prise en compte de la situation actuelle du bénéficiaire. La deuxième étape, en cours de déploiement, est la simplification des démarches administratives pour favoriser l’accès aux droits sociaux.

L’automatisation de l’examen de l’éligibilité des bénéficiaires est l’une des possibilités qui pourrait être étudiée, mais cette option appelle des réserves importantes.

Il me semble que la démarche volontaire de demande d’accès à un droit est essentielle pour recueillir l’adhésion de la personne éligible au dispositif, qui n’est pas uniquement une aide financière. Dans le cas du RSA, l’accompagnement du bénéficiaire par les services sociaux est une composante indispensable du dispositif.

C’est la raison pour laquelle le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas cette proposition de loi, tout en remerciant son auteur d’en avoir pris l’initiative. (M. Martin Lévrier applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe socialiste d’avoir mis à l’ordre du jour la recherche d’outils pour lutter contre le non-recours, à la veille de l’application de la contre-réforme de l’assurance chômage, qui va augmenter le nombre des bénéficiaires potentiels du RSA, dans un contexte de crise sociale aiguë. Le texte est donc d’actualité !

Certes, cette proposition ne traite pas du non-recours des personnes n’ayant effectué aucune démarche dans le cadre du périmètre des îlots, mais elle garantit, pour toutes celles qui ont accédé à l’une des prestations retenues, donc en ayant fait la demande, l’instruction systématique de l’éligibilité à un certain nombre d’autres droits existants.

Ce faisant, elle renoue avec le sens et la démarche propre au travail social, qui s’attache à l’étude de la situation globale de la personne, de ses besoins, de ses droits, au-delà de sa demande première, tributaire de sa connaissance de dispositifs éclatés.

La personne informée de son éligibilité à d’autres droits devra toujours en faire la demande, puisque n’est pas remis en cause le principe de quérabilité, pour des raisons de reste à charge et, surtout, de contreparties attachées aux prestations.

La proposition reste centrée sur la levée des principaux freins à l’accès aux droits existants, dans le cadre des règles d’octroi actuelles.

Il ne s’agit donc pas de refonder certains droits sociaux ou d’en modifier les conditionnalités, toujours plus fortes. À nos yeux, pourtant, c’est là que réside une autre partie de la solution, car le système actuel produit du non-recours et de l’exclusion sociale, du fait, notamment, des contreparties exigées.

Le texte entend plutôt s’attaquer à la perte en ligne du recours aux droits, en raison de la complexité des dispositifs aggravée par l’insuffisance des moyens humains d’accompagnement, de plus en plus consacrés à des fonctions de contrôle.

Il s’agit donc de passer du constat récurrent de l’ampleur et des conséquences graves du non-recours aux droits fondamentaux – du revenu de subsistance aux dispositifs santé –, malgré les progrès partiels permis par les rendez-vous des droits, dont le nombre est toutefois très limité, ou les sites internet, à une obligation de moyens cohérents et systématiques.

L’objectif est que les organismes assurent ensemble leur mission première de protection sociale, soit protéger des risques et réduire les inégalités de situation.

L’accès aux droits fondamentaux est de la responsabilité du politique, lequel doit se soumettre en la matière à une obligation de résultat. Cette proposition y contribue, en reprenant la logique d’un amendement votée par le Sénat lors du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.

Écartons l’objection de l’impact financier d’un meilleur recours aux droits ouverts, sauf à considérer que, dès la conception d’un dispositif, on tablerait, sans la combattre, sur une part de non-recours.

Enfin, soulignons un autre facteur du non-recours dû au ciblage de la protection sociale vers des publics de plus en plus restreints, en raison de logiques d’économies budgétaires. Ce rétrécissement des publics allocataires fait perdre à la protection sociale sa portée universelle et augmente le non-recours par refus de la stigmatisation, d’autant plus que les règles de contrôle portent souvent atteinte à la dignité des personnes.

Quand l’État ne garantit pas l’accès aux droits de deuxième génération, y compris pour les plus vulnérables, alors que le discours sur l’assistanat sature l’espace public et les médias, quand recule la confiance en l’État social, la citoyenneté et l’attachement à notre République sociale sont mis à mal.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Michelle Meunier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Rachid Temal a un objectif simple : rendre concrètes et palpables les aides auxquelles ont droit celles et ceux qui répondent aux critères retenus pour leur attribution, rendre concret le fruit de la solidarité nationale, par le versement d’allocations ou de prestations de sécurité sociale.

Loin d’être des mécanismes de simple assistanat, souvent décriés à la droite de cet hémicycle, il s’agit de dispositifs découlant de ce que certaines situations, d’origines diverses, ouvrent des droits.

Ces situations sont parfois liées à la condition du bénéficiaire : la perte d’autonomie dans les actes du quotidien provenant du vieillissement, du handicap, ou de la maladie ; parfois au faible montant de ses revenus, qui nécessite, de la part de la société, une redistribution, selon les cas, au titre de l’aide au logement, des allocations familiales, de l’incitation à la reprise d’activité ou de la souscription d’une complémentaire de santé.

La rapporteure Annie Le Houerou a énuméré ces diverses aides : APA, CMU, APL, PCH, RSA, etc. Leur description nous rappelle dans quel but nous avons su tisser des mécanismes de protection mutuelle, combien les conquêtes de notre histoire sociale sont précieuses et combien leurs spécificités permettent d’approcher un sur-mesure qui ne laisse personne au bord du chemin de la concorde sociale.

Pourtant, nous savons que tout le monde ne parvient pas à s’en sortir, et, en même temps, nous mesurons que de nombreuses personnes qui pourraient être épaulées par la solidarité nationale, au travers de la redistribution de l’impôt, ou prises en charge par la sécurité sociale, grâce à la mutualisation des moyens de tous pour faire face aux besoins de chacun, ne le sont pas. Beaucoup n’ont pas accès à ces aides, faute de faire instruire leurs droits.

Ce triste phénomène porte le nom de non-recours aux droits. Cela revient à avoir droit en théorie, mais à ne rien percevoir en pratique, faute d’avoir su, faute d’avoir pu, le demander. Ce n’est pas anecdotique : cela concerne un cas sur dix pour les aides au logement, un sur trois pour la CMU complémentaire, deux sur trois pour l’aide à la complémentaire santé.

La solution que nous proposons, par son automaticité, entend répondre à une partie du problème du non-recours, l’instruction insuffisante des dossiers au regard des informations dont on dispose.

Jusqu’alors, j’ai bien l’impression que nous partageons tous cette vision, si je me réfère à nos débats en commission.

Pourtant, pour nos collègues majoritaires au Sénat, l’urgence à agir semble relative : la solution proposée ne serait pas idéale, telle aide serait oubliée, tel organisme de sécurité sociale décrié, telle charge pèserait injustement sur les collectivités. Pour d’autres, une instruction automatique, donc la perception d’un cumul d’aides, éloignerait de la valeur travail.

Certains d’entre eux se targuent de veiller à l’équilibre des comptes sociaux, d’autres préfèrent conditionner toute aide à un accompagnement, terme parfois commode pour ne pas dire « contrepartie », voire « bénévolat ».

Entendons-nous bien : nous, socialistes, ne faisons pas de cette automaticité l’alpha et l’oméga de notre approche sociale. En premier lieu, nous dénonçons les réformes qui ne visent qu’à diminuer le montant des prestations. Le gouvernement actuel en a fait sa spécialité : baisse des APL en début de mandat, contemporanéité des aides au logement ensuite, qui conduit à des économies sur le dos des plus précaires, notamment des jeunes actifs. Nous avions mis en garde ; le premier bilan nous donne – hélas ! – raison.

Nous croyons à l’approche humaine, nous militons pour développer les moyens et les ressources permettant d’embaucher des professionnels dans les services sociaux, des conseillers en économie sociale, au plus près de toutes les formes de familles, de toutes les formes de précarité, en maraude dans nos rues, en veille dans les établissements scolaires ou à la sortie d’une hospitalisation.

Mettre en place cette instruction automatique, c’est justement libérer du temps pour ces personnes qui accompagnent, afin qu’elles puissent se consacrer à l’effectivité des droits des plus précaires et un peu moins à leurs papiers.

Enfin, nous sommes convaincus que la mise en place d’un tel dispositif ne doit pas nous empêcher d’interroger en permanence les périmètres et les pertinences de nos politiques sociales. Nous ne souhaitons ni figer le paysage de l’aide sociale ni nous dispenser de poursuivre les recherches en sciences sociales sur les raisons qui conduisent au non-recours intentionnel.

L’Observatoire des non-recours aux droits et services, l’Odenore, assure cette mission avec utilité et justesse. Il nous apprend que, pour certains bénéficiaires potentiels, devoir faire la démarche est un acte dégradant en lui-même, une posture stigmatisante à laquelle ils se refusent. Pour cette raison, pour le respect de ces personnes, faisons en sorte que le terme « fraternité », qui honore notre République, ne rime pas avec « indignité ».

Les collectivités locales ont bien progressé dans ce domaine ; Philippe Warin, fondateur de l’Odenore, le rappelle : « Les élus ont compris que ne pas lutter contre le non-recours revenait à s’exposer, pour les années à venir, à des dépenses supplémentaires. ». Pour cette raison seulement, cela vaut la peine d’adopter ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Klinger.

M. Christian Klinger. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la sécurité sociale fait partie de l’identité de la France et de notre patrimoine. Elle a sa place dans le quotidien de tous les Français et exprime notre conception française de l’égalité et de la fraternité.

Avoir accès aux différents dispositifs d’aide est donc un enjeu essentiel de notre État-providence. Le préambule de la Constitution de 1946 reconnaît d’ailleurs le droit de tous à avoir accès à la protection sociale.

Pourtant, de nombreuses personnes restent éloignées de l’ensemble des dispositifs sociaux et ne recourent pas aux différentes aides, alors qu’elles y sont pourtant éligibles.

Cette proposition de loi pointe ainsi un vrai problème, celui du non-recours aux droits sociaux dans la France du XXIe siècle. C’est un phénomène complexe, mal connu et dont les chiffres sont difficilement exploitables. Par exemple, le taux de recours à la CMU-C est estimé en 2018 entre 56 % et 68 %, et celui du recours à l’ACS entre 33 % et 47 % seulement.

Il existe également un non-recours important pour les prestations destinées aux personnes à faibles ressources. Le recours à la prime d’activité est ainsi estimé à 77 %.

Les raisons du non-recours aux différentes aides sont diverses et nombreuses, mais c’est principalement la complexité des démarches à entreprendre qui décourage les demandeurs. Il existe aussi un manque de connaissance et de compréhension face à la multitude des dispositifs et des interlocuteurs à solliciter. Il faut noter que ce non-recours est particulièrement présent chez les personnes les plus fragiles, alors que ce sont ces personnes qui ont le plus besoin des aides.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise ainsi à remédier à cette problématique. L’article unique prévoit que, dès lors qu’une personne est admise au bénéfice d’une prestation sociale, un examen automatique de son éligibilité à d’autres prestations sociales relevant du champ de l’autonomie et des minimas sociaux doit être réalisé.

Les mesures que contient ce texte pourraient donc constituer un outil supplémentaire pour les caisses de sécurité sociale et les départements, afin de lutter contre le non-recours aux droits sociaux.

Pourtant, la mise en œuvre et la portée de ce mécanisme d’examen automatique d’éligibilité suscitent de nombreuses réserves.

Tout d’abord, le périmètre des prestations retenues n’englobe pas les prestations familiales ou l’allocation de solidarité aux personnes âgées.

Ensuite, les caisses et les organismes de sécurité sociale seraient confrontés à des difficultés de mise en œuvre concrète de ces mesures.

En outre, le mécanisme proposé, qui vise à informer le bénéficiaire de son éligibilité à d’autres prestations, ne constitue pas, en réalité, un apport significatif pour lutter contre le non-recours aux droits sociaux, au regard des dispositifs qui sont déjà mis en œuvre par les différents organismes.

Enfin, en ne s’adressant qu’aux personnes ayant déjà formulé une demande de prestation, le dispositif ne vise pas celles qui sont les plus éloignées des aides sociales.

Par conséquent, si nous considérons que le problème soulevé est réel, nous sommes réservés sur la réponse proposée, laquelle ne pourra résoudre de manière satisfaisante les nombreuses difficultés qui ont été soulevées.

Il convient, en réalité, de prendre le problème dans le bon sens. Comme je l’ai indiqué, la principale raison de ce non-recours est la complexité des aides et le manque de compréhension des différents dispositifs. Pour y remédier, il faudrait engager une grande démarche de simplification de notre système d’accès aux aides de la protection sociale, devenu complètement illisible au fil du temps.

En 2018, Gérald Darmanin, alors ministre des comptes publics, déclarait lui-même qu’il y avait beaucoup d’aides sociales et qu’il n’en connaissait pas la totalité. Comment peut-on espérer qu’un citoyen lambda se retrouve dans cette tuyauterie, alors que le plombier en chef ne connaît même pas l’ensemble de ses outils ?

Par ailleurs, il convient de traiter le problème de manière globale. Il y a le sujet du non-recours aux aides, mais il y a également, de l’autre côté, le sujet des fraudes sociales. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.) Dans son rapport de septembre 2020, la Cour des comptes évalue à 1 milliard d’euros le montant de la fraude aux organismes sociaux, concentrée essentiellement sur le RSA, la prime d’activité et les aides aux logements de la CAF.

La fraude est en augmentation continue depuis plusieurs années, puisqu’elle était évaluée en 2017 à 850 millions d’euros. Il y aurait aussi 2,4 millions de bénéficiaires fantômes de l’assurance maladie d’après la direction de la sécurité sociale.

Malgré les différentes alertes, trop peu est encore fait pour lutter contre la fraude sociale. La Cour des comptes signale d’ailleurs depuis plusieurs années que les systèmes de contrôle sont insuffisants et que les enjeux de fraude sont encore peu pris en considération. C’est également sur ce volet que nous attendons des résultats, madame la secrétaire d’État.

Pour toutes ces raisons, et comme l’a indiqué Édouard Courtial, le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi initiale.

proposition de loi relative à la protection sociale globale

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la protection sociale globale
Article unique (fin)

Article unique

I. – Sous réserve des dispositions du VII et sauf lorsque cette décision est prise à la suite d’un examen prévu au présent I, l’admission au bénéfice de l’un des droits ou prestations suivants entraîne automatiquement l’examen de l’éligibilité du bénéficiaire aux autres de ces droits et prestations qui ne lui sont pas incompatibles, soit en eux-mêmes, soit en raison des conditions auxquelles ils sont soumis :

1° L’allocation aux adultes handicapés prévue aux articles L. 821-1 et L. 821-2 du code de la sécurité sociale ;

2° L’allocation prévue à l’article 35 de l’ordonnance n° 2002-411 du 27 mars 2002 relative à la protection sanitaire et sociale à Mayotte ;

3° La prestation de compensation du handicap prévue à l’article L. 245-1 du code de l’action sociale et des familles ;

4° L’allocation personnalisée d’autonomie prévue à l’article L. 231-1 du même code ;

5° La carte « mobilité inclusion » prévue à l’article L. 241-3 dudit code.

L’octroi d’une allocation pour un montant forfaitaire en application du deuxième alinéa de l’article L. 232-12 du même code ou de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 232-14 du même code ne constitue pas une admission au bénéfice d’un droit ou d’une prestation au sens du premier alinéa du présent I.

II. – Sous réserve des dispositions du VII et sauf lorsque cette décision est prise à la suite d’un examen prévu au présent II, l’admission au bénéfice de l’une des prestations suivantes entraîne automatiquement l’examen de l’éligibilité du bénéficiaire aux autres prestations et qui ne lui sont pas incompatibles :

1° La prime d’activité prévue à l’article L. 841-1 du code de la sécurité sociale ;

2° Chacune des aides personnelles au logement prévues à l’article L. 821-1 du code de la construction et de l’habitation.

III. – Sous réserve des dispositions du VII et sauf lorsque cette décision est prise à la suite d’un examen prévu aux I ou II, l’autorité qui prononce l’admission au bénéfice d’un droit ou d’une prestation mentionné aux 1° à 4° du I saisit sans délai les organismes compétents en vertu de l’article L. 843-1 du code de la sécurité sociale et de l’article L. 812-1 du code de la construction et de l’habitation afin qu’il soit procédé à l’examen de l’éligibilité de l’intéressé à, respectivement, la prime mentionnée au 1° du II du présent article et les aides mentionnées au 2° du même II.

IV. – Sous réserve des dispositions du VII et sauf lorsque cette décision est prise à la suite d’un examen prévu aux I ou II, l’autorité qui prononce l’admission au bénéfice d’un droit ou d’une prestation mentionné aux 1° à 4° du I ou au II saisit sans délai le président du conseil départemental aux fins d’examen par celle-ci de l’éligibilité et, le cas échéant, d’admission du foyer bénéficiaire au revenu de solidarité active prévu à l’article L. 262-2 du code de l’action sociale et des familles.

V. – Sous réserve des dispositions du VII et sauf lorsque cette décision est prise à la suite d’un examen prévu aux I ou II, l’autorité qui prononce l’admission au bénéfice d’un droit ou d’une prestation mentionné aux 1° à 4° du I ou au II saisit sans délai la caisse mentionnée à l’article L. 861-5 du code de la sécurité sociale aux fins d’examen par celle-ci de l’éligibilité et, le cas échéant, d’admission du bénéficiaire de ce droit ou de cette prestation à la protection complémentaire de santé prévue à l’article L. 861-1 du même code.

VI. – Lorsque l’autorité qui prend une décision prévue au premier alinéa des I ou II en a la compétence, le cas échéant par délégation, et dispose de tous les éléments nécessaires, elle se prononce dans la même décision sur l’admission de l’intéressé au bénéfice d’un ou plusieurs autres droits ou prestations prévus, selon le cas, aux mêmes I ou II ainsi que, pour l’application du III, sur l’admission de son foyer au bénéfice du revenu de solidarité active.

Dans les autres cas, l’autorité informe le bénéficiaire, lors de la notification de sa décision, qu’il va être procédé sans délai à l’examen de son éligibilité aux autres droits et prestations et lui indique le ou les organismes chargés de l’instruction de cet examen. Le délai à prendre en compte pour déterminer les conséquences du silence gardé par ce ou ces organismes court alors à compter de cette notification.

Lorsqu’il est fait application des dispositions du deuxième alinéa du présent V, l’autorité peut communiquer à chacun des organismes saisis par elle les informations dont elle dispose sur les ressources de l’intéressé après en avoir informé celui-ci.

VII. – Les autorités qui accordent un droit ou une prestation susceptible de donner lieu à un examen de l’éligibilité à un autre droit ou à une autre prestation en application des I à V n’ont pas, selon le cas, à procéder à cet examen ou à saisir à cette fin une autre autorité pour les droits ou prestations auxquels, au vu des éléments dont elles disposent, l’intéressé n’est manifestement pas éligible ou a déjà été admis.

VIII. – En cas de rejet d’une demande portant sur un droit ou une prestation relevant des I à IV, l’autorité peut procéder à l’examen de l’éligibilité du demandeur à une ou plusieurs autres droits ou prestations mentionnés aux mêmes I à IV ou saisir à cette fin l’autorité compétente.

Les délais de recours contre une décision rendue à la suite d’un examen ou d’une saisine intervenue en application du premier alinéa du présent VIII ne commencent à courir qu’à compter de la notification de cette décision à l’intéressé.

IX. – L’autorité qui, à l’issue de l’examen de l’éligibilité en application des I à V ou du VI, admet une personne au bénéfice d’un droit ou d’une prestation l’informe, dans la notification de sa décision, des éventuelles incompatibilités de ce droit ou de cette prestation. La personne peut à tout moment renoncer au bénéfice de ce droit ou de cette prestation.

Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.

Je rappelle que le vote sur l’article a valeur de vote sur l’ensemble de la proposition de loi.

La parole est à M. Rachid Temal, auteur de la proposition de loi.

M. Rachid Temal, auteur de la proposition de loi. Bien des choses ont été dites. Il me semble qu’un constat nous anime tous : le non-recours est un véritable fléau qui touche beaucoup de nos concitoyens ; il me semble que nous sommes d’accord pour le combattre. C’est une bonne chose : nous avons un point d’accord.

J’ai entendu des propos intéressants : pour certains d’entre vous, notamment pour le dernier orateur qui s’est exprimé, cela ne va pas assez loin, il faudrait ajouter d’autres prestations ; pour d’autres, ce serait trop complexe. Je puis entendre tout cela et nous pourrions en débattre, mais malheureusement, aucun amendement n’a été déposé.

En fait, il est donc urgent d’attendre ! Les millions de pauvres de notre pays pourront saluer la sagesse du Sénat qui consiste à dire : « C’est très important et très grave, mais nous allons attendre »…

Madame la secrétaire d’État, vous avez vanté le bilan du Gouvernement. Il est vrai que les APL ont été baissées à plusieurs reprises et que l’on débat aujourd’hui de l’assurance chômage, qui va aussi être diminuée. Des milliers de Français n’en bénéficieront même plus ! Je pourrais prendre d’autres exemples : votre bilan est éloquent. (Sourires sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Vous nous dites : « Nous avons fait beaucoup. » Vous nous avez donné deux chiffres : 7 500 personnes concernées par une mesure, et c’est très important pour elles, 4 000 par une autre. Or nous parlons ici de millions de personnes ! J’ai compris que vous étiez dans une démarche active, mais celle-ci se limite à proposer un rapport en fin d’année. Franchement, les bras m’en tombent ! J’aurais aimé plus de conviction, plus de propositions. Il n’en est rien, et c’est tout à fait regrettable.

Nous nous orientons donc vers un scrutin public. C’est intéressant : sur ce texte à vocation sociale, qui n’est certes pas parfait, qui peut être amélioré, que nous avons déjà adopté en séance, on ne dépose pas d’amendements et on vote au scrutin public…

Puisque l’Euro approche, permettez-moi de finir par la fameuse phrase de Gary Lineker : « Le football est un sport qui se joue à onze contre onze, et à la fin, c’est l’Allemagne qui gagne. » Malheureusement, pour sauver une majorité qui s’interroge, mais qui ne sait pas comment avancer, il faut se jouer du règlement.

Ce sujet de la pauvreté aurait mérité un vrai débat et même un vote favorable, qui aurait permis de faire bénéficier ce texte de la navette avec l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Avant de faire une nouvelle loi, il faut appliquer celles que nous avons votées, madame la secrétaire d’État.

Nous attendons notamment un décret en Conseil d’État qui doit préciser les catégories de données pouvant être utilisées, ainsi que les garanties apportées aux personnes dans le traitement de leurs données pour l’exercice de leurs droits, et qui est toujours en attente de publication.

Nous avions proposé de réaliser une expérimentation de partage des données pour couvrir un certain nombre de prestations. Prenons donc déjà les décrets des lois que nous avons adoptées.

Ensuite, notre groupe n’a pas à rougir en matière de politique sociale : nous avons mis sur pied le RSA, alors que, quand les socialistes étaient au pouvoir, ils n’ont pas pris les mesures qu’ils proposent aujourd’hui pour faire avancer les choses.

M. Rachid Temal. C’est nous qui avons créé le RSA !

M. René-Paul Savary. Ce qui nous importe, c’est la notion de droits et de devoirs. Or il apparaît certain qu’une instruction automatique ne favorise pas la partie relative aux devoirs, qui est pourtant tout à fait nécessaire et qui relève notamment de la responsabilité des départements. Ceux-ci, faute de moyens, ne parviennent pas à mener la politique d’insertion qu’ils souhaitent.

Par ailleurs, le problème de ce non-recours tient aussi à ce que nous travaillons en silos. Or vous proposez justement de partager des données numériques pour rapprocher les silos. Cela laissera pourtant toujours en dehors du système ceux qui connaissent les situations les plus difficiles et qui ne répondent pas directement aux exigences de chacune des prestations. Ceux-là ne seront pas atteints, on ne fera que favoriser les droits de ceux qui peuvent en bénéficier.

J’en viens au data mining. Quand j’étais président de conseil départemental, je l’ai pratiqué pour répondre aux préoccupations de fraude sociale ; or, une fois sur deux, cela permettait de détecter des personnes qui n’avaient justement pas recours à leurs droits. Il ne semble donc pas inintéressant d’aller dans ce sens.

Enfin, je relève que cette proposition de loi prévoit le partage de données, mais ne s’accompagne pas d’un avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL.

On sait pourtant toutes les difficultés que l’on rencontre lorsque l’on propose que les données soient partagées : on se heurte à chaque fois à un état d’esprit qui n’est pas toujours ouvert pour de telles mesures, ce que l’on peut d’ailleurs comprendre. Ce texte pose ce problème à ce titre, et la CNIL devrait donner son avis.

Telles sont les raisons pour lesquelles mon groupe n’a pas souhaité émettre un avis favorable sur cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Le hasard de l’ordre de passage en discussion générale a fait que c’est le dernier orateur qui a évoqué la fraude aux prestations sociales. Il en a rappelé l’ampleur : 1 milliard d’euros. Mais je rappelle que le non-recours concerne quant à lui 13 milliards d’euros !

En ce qui concerne la fraude sociale, vous avez présenté une proposition de loi au sujet de laquelle vous ne sembliez pas aussi attentif que vous l’êtes aujourd’hui à la transmission des données, monsieur Savary…

S’agissant du texte qui nous occupe aujourd’hui, le non-recours sous-entend qu’il s’agit de droits existants. Nous ne prétendons pas que ceux-ci sont parfaits, mais si un tiers des personnes qui devraient percevoir le RSA ne le touchent pas, on pourrait considérer que l’on manque à une obligation de résultat, plutôt que de prendre pour cible ceux qui le perçoivent à tort.

Notre groupe a indiqué qu’il voterait ce texte, malgré ses limites. Le Secours catholique a été beaucoup cité, mais, avec d’autres organismes, il demande une modification du cadre existant, avec le passage à un revenu minimal garanti sans contrepartie. Cela ferait un bon débat, mais ce n’est pas celui d’aujourd’hui.

S’il restait des réserves, si des manques avaient été identifiés, le débat sur les amendements aurait été l’occasion d’y travailler. À défaut, on ne peut que constater l’absence de volonté de s’attaquer au non-recours autant que l’on s’attaque la fraude aux prestations.

Enfin, on parle de droits et de devoirs. Il y a, certes, des droits sociaux. Quant aux devoirs, il me semble que les milliards d’euros consacrés au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi n’en étaient pas assortis. On nous avait promis un million d’emplois ; un pins avait même été réalisé sur ce sujet… N’était-ce pas un devoir ? J’aimerais que l’on soumette ces subventions aux entreprises aux mêmes devoirs que l’on fait peser sur les allocataires des minima sociaux.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi relative à la protection sociale globale.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 130 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 330
Pour l’adoption 92
Contre 238

Le Sénat n’a pas adopté.

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6

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 10 juin 2021 :

De dix heures trente à treize heures et de quatorze heures trente à seize heures :

(Ordre du jour réservé au groupe UC)

Proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant, présentée par M. Pierre-Antoine Levi et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 657, 2020-2021) ;

Proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie, présentée par Mme Anne-Catherine Loisier (texte de la commission n° 655, 2020-2021).

À l’issue de l’espace réservé au groupe UC :

Débat sur le thème « Revitalisation des centres-villes : quelles stratégies, quels résultats ? » ;

Débat sur le thème « Quelle portée de l’intervention du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances ? ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER