Sommaire
Présidence de Mme Laurence Rossignol
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa, M. Jacques Grosperrin.
3. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 24 et 25 juin 2021
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
M. Clément Beaune, secrétaire d’État
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
Suspension et reprise de la séance
4. Amélioration de l’économie du livre. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Laure Darcos, auteure de la proposition de loi
Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure de la commission de la culture
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
Clôture de la discussion générale.
Mme Roselyne Bachelot, ministre
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques
Amendement n° 2 de Mme Laure Darcos. – Adoption.
Amendement n° 3 de Mme Laure Darcos. – Adoption.
Amendement n° 7 rectifié de Mme Laure Darcos. – Adoption.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques
Mme Roselyne Bachelot, ministre
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 1er
Amendement n° 6 de M. Jérémy Bacchi. – Retrait.
Amendement n° 5 de M. Thomas Dossus. – Retrait.
Adoption de l’article.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 4 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Intitulé de la proposition de loi
Amendement n° 1 de Mme Laure Darcos. – Adoption de l’amendement rédigeant l’intitulé.
Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure
Mme Laure Darcos, auteure de la proposition de loi
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa,
M. Jacques Grosperrin.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 3 juin 2021 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Renvoi pour avis multiple
Mme la présidente. Mes chers collègues, le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement a été envoyé pour son examen à la commission des lois.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et la commission de la culture ont demandé qu’il leur soit renvoyé pour avis.
La conférence des présidents est compétente, en vertu de l’article 17 de notre règlement, pour autoriser le renvoi pour avis quand plus d’une commission le demande. Dans la mesure où celle-ci ne se réunira pas avant le 16 juin prochain, je propose au Sénat d’autoriser le renvoi pour avis à ces deux commissions.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
3
Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 24 et 25 juin 2021
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 24 et 25 juin 2021.
Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur général, je suis ravi de venir de nouveau devant le Sénat pour évoquer les principaux enjeux du Conseil européen à venir, qui se tiendra les 24 et 25 juin prochain. Auparavant, si vous le permettez, parce que les deux sommets sont étroitement liés, je vais revenir sur les débats qui ont animé le sommet précédent des 24 et 25 mai. Ce Conseil européen extraordinaire s’est articulé autour de trois sujets principaux : la gestion de la pandémie de la covid, la lutte contre le changement climatique et plusieurs dossiers internationaux, parmi lesquels l’un était d’actualité immédiate, celui de la Biélorussie ; les autres concernaient la Russie, le Mali et le Brexit.
Concernant la question sanitaire, alors que la courbe épidémiologique tendait à s’inverser partout en Europe, les dirigeants européens ont exprimé une grande vigilance face à l’apparition de nouveaux variants. Ce risque appelle des efforts maintenus de séquençage, de protection et une accélération de la cartographie européenne de ces variants de manière à suivre ensemble la situation dans les pays tiers.
Cela étant, les évolutions constatées en matière de vaccination ont été une source de soulagement et de satisfaction. À la fin du mois de mai, 300 millions de doses de vaccins avaient été livrées dans l’Union européenne et près de 250 millions de doses avaient été administrées. Ces chiffres ont augmenté depuis : aujourd’hui, en moyenne, près de 50 % de la population adulte européenne a reçu au moins une première dose de vaccin. Comme vous le savez, ce chiffre dépasse les 52 % en France. La vaccination pour les jeunes de 12 à 15 ans démarrera dans quelques jours dans notre pays, l’Agence européenne des médicaments ayant approuvé l’utilisation du vaccin Pfizer-BioNTech pour cette tranche d’âge.
L’heure est donc à la levée progressive des restrictions, grâce notamment à des mesures de coordination européenne. Le certificat numérique, parfois appelé pass sanitaire européen, devrait être adopté définitivement dès demain par le Parlement européen. Étant reconnu partout en Europe à compter du 1er juillet, il contribuera à faciliter les déplacements au cours de la saison touristique qui s’ouvre devant nous. Cependant, nous devrons rester prudents. C’est pourquoi la réouverture progressive obéira à une double approche : elle sera ciblée sur les pays dans lesquels la situation sanitaire s’est significativement améliorée, que l’on qualifie parfois de « verts » dans la terminologie française et européenne, tout en reconnaissant la preuve de vaccination ; dans le même temps, de la manière la plus coordonnée possible, elle sera très stricte dans des pays dits « rouges », dans lesquels la circulation des variants que j’évoquais se maintient, voire s’accélère.
L’heure est aussi à la solidarité internationale. J’y insiste, parce que des reproches ont parfois été nourris à l’égard de l’action européenne en matière de vaccination. Or, en la matière, nos valeurs et nos engagements internationaux sont en jeu, ainsi que notre sécurité sanitaire de long terme. Un objectif a été fixé à l’occasion de ce sommet européen : donner au moins 100 millions de doses de vaccin d’ici à la fin de l’année aux pays qui en ont le plus besoin. La France et l’Allemagne se sont engagées à livrer au moins 30 millions de doses.
Durant le sommet européen de la fin du mois de mai, l’enjeu climatique a également été évoqué ; il a donné lieu à un débat d’orientation générale. Compte tenu de l’ampleur et de la difficulté des efforts pour atteindre l’objectif de 55 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, la Commission proposera des mesures législatives le 14 juillet prochain. Celles-ci feront l’objet de débats plus détaillés et conclusifs, probablement à l’occasion du sommet européen du mois d’octobre.
Je veux dire un mot d’un dossier international évoqué en raison de l’actualité : le cas biélorusse. Le lendemain du détournement aussi spectaculaire que terrifiant de l’avion européen de la compagnie Ryanair, qui circulait entre des capitales européennes avec des passagers européens en majorité, des sanctions et des interdictions de survol ont été prises de manière unanime et rapide par l’Union européenne.
Je ne sais pas s’il faut les ranger dans la catégorie des dossiers internationaux, mais je veux dire un mot du Brexit et de nos relations avec le Royaume-Uni, puisque le Sénat, singulièrement sa commission des affaires européennes, suit ce dossier de très près. À la demande de la France, le sujet a été évoqué par les chefs d’État ou de gouvernement. La préoccupation est forte concernant la mise en œuvre incomplète, pour le dire pudiquement, de l’accord par la partie britannique, ainsi que la nécessité absolue de sa mise en œuvre complète, rapide et intégrale. Cela vaut pour la question de la pêche, qui préoccupe nos concitoyens, mais aussi, parce que la paix est en jeu, pour la question du protocole nord-irlandais, qui concerne toute l’Europe.
Une partie de ces débats se prolongera durant le Conseil européen ordinaire des 24 et 25 juin prochain. Cette réunion abordera, dans un peu plus de quinze jours, les suites de la gestion de la crise sanitaire, ainsi que la relance économique, la situation migratoire et deux sujets internationaux voisins et hautement sensibles : le dossier de la Turquie et la question russe.
Sur la covid-19, je ne reviendrai pas sur les éléments que j’ai indiqués il y a un instant. Il est temps toutefois de réfléchir aux conséquences que l’Europe doit tirer de cette crise et de sa gestion, que nous avons essayé de coordonner au mieux.
Nous sommes parvenus récemment à un certain nombre d’avancées – la cartographie des variants, la définition de critères pour classer les pays en fonction de leurs risques, le certificat sanitaire –, mais la coordination a été tardive et insuffisante. Vous le savez, la compétence sanitaire européenne était inexistante au début de la crise. Nous devons forger cette Europe de la santé de manière pragmatique. Il nous faudra avancer sur au moins deux sujets, qui seront abordés par le Président de la République au cours de ce sommet européen.
Tout d’abord, il convient de créer une agence sanitaire européenne chargée de financer l’innovation et la recherche médicale. Des initiatives européennes ont d’ores et déjà eu lieu, mais nous devons les amplifier. L’un des grands avantages dont ont bénéficié certains de nos partenaires, notamment les États-Unis, dans la réponse vaccinale à la crise a été leur capacité d’innovation et de réaction rapide, le reste ayant sans doute été moins bien géré, en comparaison.
Nous ne disposons pas d’une telle agence au niveau européen, en tout cas pas de manière collective et avec des moyens suffisants. Le projet existe, il s’appelle HERA, inspiré de l’agence fédérale américaine Barda. Cependant, les financements consacrés à la préfiguration de cette agence sont encore très limités, comme nous l’avions évoqué dans cet hémicycle. Il serait utile, à mon sens, et dans l’intérêt collectif, que la France pousse en faveur d’une ambition plus grande sur cette question du financement de l’innovation et d’une agence sanitaire européenne. C’est ce que nous ferons.
Ensuite, il importe de renforcer nos capacités à suivre l’épidémie. Nous n’avons pas de cartographie commune – nous l’avons construite tout récemment, et elle est encore objectivement balbutiante – permettant de comparer nos données. Cette Europe de la santé doit aussi être une Europe de l’harmonisation des données et de la comparaison fiable, pour travailler et agir ensemble sur les mesures de restriction aux frontières et de protection que nous avons dû mettre en place pendant la crise. La coordination a été nécessairement incomplète en raison de ces manques.
Nous aborderons la question de la relance économique, évidemment liée à la crise de la covid. Nous en avons souvent discuté : nous avons franchi une étape très importante avec la ratification par les vingt-sept États membres avant la fin du mois de mai, il y a donc quelques jours, de la décision sur les ressources propres, que votre assemblée avait approuvée au début du mois de février. J’aurais aimé que ce succès soit plus précoce, mais il est tout de même intervenu plus tôt que prévu.
Le délai a été long : dix mois au total se sont écoulés entre l’accord politique et la ratification définitive. C’est normal, c’est le temps démocratique européen, impliquant le Parlement européen et l’ensemble des assemblées des États membres. Cependant, cela a été plus rapide que les fois précédentes, alors même qu’il n’y avait alors pas de plan de relance à financer, mais un budget ordinaire sur sept ans.
La décision « ressources propres » est en vigueur. Elle a permis à la Commission européenne de lancer, dès le 1er juin, le processus d’émission d’une dette commune pour financer le plan de relance ; cette première émission aura lieu au cours du mois de juin et deux autres se produiront au cours du mois de juillet. Cela permettra de lever plusieurs milliards d’euros avant le début de l’été.
Pour la France, les sommes en jeu dans la première tranche concernent le préfinancement de notre enveloppe nationale de plus de 40 milliards d’euros, soit environ 5 milliards d’euros de premier versement que nous attendons au mois de juillet.
Un autre sujet très différent sera aussi discuté lors de ce sommet européen : la question migratoire. Nous le savons, nous n’avons pas seulement été confrontés, ces dernières années, à des crises migratoires ; nous faisons face à un phénomène migratoire durable, dont les résurgences récentes, parfois ponctuelles, traduisent un mouvement plus profond et nous rappellent que ce sujet européen n’est pas résolu. Nous l’avons constaté de manière très spécifique à Ceuta ; nous le voyons, de manière peut-être plus significative, avec les arrivées qui ont repris ces dernières semaines sur les côtes italiennes, à Lampedusa en particulier.
Nous avons besoin d’avancer rapidement sur le pacte sur la migration et l’asile européen. La proposition que la Commission européenne a refondue et formulée à la fin du mois de septembre dernier semble correspondre à un bon équilibre, mais le consensus politique pour l’adopter n’est pas encore atteint.
La France et l’Italie, en particulier, travaillent de concert pour que nous puissions ouvrir ce débat de nouveau, s’agissant notamment de la relation avec les pays tiers, condition de la protection de nos frontières, de la régulation des arrivées, des reconduites effectives et de la solidarité européenne. L’objectif que j’appelle de mes vœux est que nous puissions avancer avant la présidence française sur ce dossier migratoire dans ses différentes composantes de responsabilité, de solidarité et de protection des frontières.
C’est sur ce dernier volet que nous avons le mieux progressé, par la montée en puissance de notre agence Frontex, dirigée par l’un de nos compatriotes, par la mise en place de certaines opérations qui n’ont pas toujours pour but direct la protection de nos frontières, mais qui y contribuent, comme l’opération Irini.
En revanche, nous n’avons pas encore avancé sur les règles de responsabilité du contrôle aux frontières et sur la solidarité européenne. L’une ne peut aller sans l’autre, puisque nous ne pouvons légitimement pas demander un effort supplémentaire à des pays comme l’Italie, la Grèce ou l’Espagne, pays de première entrée, si nous ne sommes pas capables de leur garantir une solidarité minimale. Celle-ci ne se fera pas au détriment de la France, puisque nous prenons notre part, mais elle doit associer un plus grand nombre de pays européens. Or certains sont aujourd’hui encore réticents à cet équilibre et à cette solidarité européenne.
Nous évoquerons de nouveau la question turque – laquelle n’est pas dépourvue de lien avec ce qui précède – à la demande de la France. À la suite de nos demandes au Conseil européen du mois de décembre, des sanctions ont été préparées, des mesures de fermeté élaborées, de manière consensuelle, et un dialogue s’est réengagé avec la Turquie. Les quelques signaux positifs en matière de retrait des bateaux en Méditerranée orientale ne suffisent pas aujourd’hui, à notre sens, à témoigner d’une volonté d’apaisement et de désescalade de la Turquie en Méditerranée.
Nous aurons cette discussion au Conseil européen, elle est difficile ; la France a fait bouger les lignes par les signaux de fermeté qu’elle a envoyés tout au long de l’année 2020. Nous sommes toujours prêts à entretenir un dialogue constructif avec la Turquie, mais c’est à la Turquie de donner clairement un signal de désescalade en Méditerranée orientale, en Libye, par ses comportements dans certaines crises en Asie centrale, pour que nous continuions à nous engager dans ce dialogue. Ce n’est pas encore le cas. Je signale à cet égard que des comportements internes, comme le retrait de la convention d’Istanbul, ne confortent pas notre idée d’un dialogue politique apaisé et constructif.
Nous aborderons de nouveau ce sujet lors de ce sommet européen, durant lequel nous défendrons le maintien d’une ligne de fermeté européenne sans laquelle le dialogue est vain : si l’Europe apparaît faible, il ne se réengagera sur aucune base crédible.
Nous aborderons aussi le dossier russe, qui, nous le savons, ne s’est pas amélioré ces dernières semaines. Nous sommes confrontés à un pouvoir russe frappé par un très net complexe obsidional. Il convient de rediscuter de notre approche stratégique, sans casser l’unité européenne et sans naïveté aucune.
Le Président de la République l’a exprimé lors d’une rapide discussion au cours du sommet européen du mois de mai, notre approche est souvent à la fois trop faible et insuffisamment engagée. Le dialogue politique est limité au niveau européen ; nos mesures de fermeté, celles que nous avons prises en matière de sanctions et que nous devons maintenir, car il n’y a aucune justification à les lever, n’ont pas produit d’effet de pression suffisant, il faut le constater.
La fin de la redéfinition de notre stratégie n’interviendra sans doute pas dès ce sommet européen, mais nous mènerons une discussion profonde, informelle, pour trouver l’équilibre entre le dialogue et les mesures de fermeté, notamment les sanctions. Faut-il les revoir ou les durcir tout en engageant un dialogue politique plus ferme, mais aussi plus constant ? C’est une option, qui correspond à la stratégie bilatérale que la France défend depuis plus de deux ans. Nous aurons cette discussion au niveau européen.
Comme ce sommet européen se tient dans un peu plus de deux semaines et que notre débat intervient plus tôt que d’habitude, je ne peux pas exclure que d’autres sujets s’invitent, en fonction de l’actualité, au menu des discussions internationales en particulier. Si tel devait être le cas, je serais ravi de prolonger nos échanges devant la commission des affaires européennes.
En l’état, voilà ce que je pouvais vous dire quant à la préparation de ce sommet européen du mois de juin, à moins de six mois de la présidence française de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des formes armées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comment aborder ce débat sans évoquer d’abord, une fois de plus, les difficiles suites du Brexit ? Le Royaume-Uni persiste à vouloir remettre en cause ses propres engagements. C’est ainsi qu’il prolonge jusqu’en octobre la dispense provisoire de contrôle sanitaire des produits agroalimentaires passant de la Grande-Bretagne à l’Irlande du Nord. La Commission européenne a lancé, le 15 mars, une procédure d’infraction contre le Royaume-Uni, qui a répondu le 14 mai. La Cour de justice de l’Union européenne pourrait être saisie.
La Commission poursuit le dialogue, mais Londres fait dépendre l’issue de ce dossier du déroulement de la marche des Unionistes, le 12 juillet. David Frost, le ministre britannique du Brexit, estime, quant à lui, qu’il est « difficile de voir comment, dans sa forme actuelle, [le protocole irlandais] peut être soutenable longtemps ».
Pendant ce temps, nos pêcheurs souffrent toujours ; les conditions d’obtention des licences pour les îles Anglo-Normandes sont modifiées sans préavis ; les négociations sur les volumes capturables par espèces patinent.
Alors, faut-il menacer de recourir aux mesures de compensation que comporte l’accord sur le Brexit ? Le climat général est déjà bien dégradé, et la situation des expatriés européens inquiète à son tour. Cette dérive britannique est-elle donc irrésistible ?
Au reste, nos voisins ne semblent pas avoir l’intention de s’impliquer dans la politique de sécurité et de défense de l’Union européenne. Ils sont sortis d’Althea, ils n’entrent pas dans la coopération structurée permanente et leur dernière revue stratégique a pour seul point de mire l’OTAN, dont, justement, le sommet du 14 juin prochain marquera le point d’orgue du réinvestissement américain, avec la venue du Président Biden à Bruxelles.
Dans ce contexte, comment faire pour que ne se brise pas l’élan en faveur de la sécurité et de la défense européennes qu’incarne la boussole stratégique ?
Le problème de la Turquie illustre la complexité de la situation actuelle. Les alliés de l’OTAN se refusent à sanctionner son comportement. Il n’existe pas de code de bonne conduite entre alliés, malgré une proposition en ce sens du groupe de réflexion.
L’Union européenne est donc la seule structure de sécurité collective susceptible de faire preuve de fermeté face à la Turquie. Ne nous précipitons pas, à la faveur d’une rhétorique devenue un peu moins inamicale, pour nous engager sans condition dans un agenda positif. La Turquie ne reconnaît toujours pas le droit de la mer. Les dénégations de son ministre des affaires étrangères à l’occasion de sa venue à Paris ne peuvent masquer la réalité d’un nationalisme expansionniste. La Turquie répète qu’elle veut rejoindre l’Union, mais elle malmène les libertés et les droits de la personne.
Le Conseil européen traitera également de la Russie. L’Union européenne a bien réagi en sanctionnant les responsables russes impliqués dans l’affaire Navalny. Toutefois, tout en refusant la politique russe du fait accompli, l’option du dialogue avec ce voisin incontournable nous semble devoir rester sur la table.
Dans la perspective de ne pas pousser plus encore la Russie dans les bras de la Chine, les États-Unis eux-mêmes ne s’opposent plus à l’achèvement du gazoduc Nordstream 2. C’est donc une ligne de crête, très étroite, qu’il s’agira de suivre, peut-être en coordination avec les alliés, entre la nécessaire réaction aux violations du droit international, la sanction des provocations et la poursuite d’étroites relations diplomatiques.
Concernant le détournement d’un avion civil par la Biélorussie, il faut souligner la gravité de cet acte. Les sanctions annoncées vont dans le bon sens, mais le Conseil n’en devra pas moins exiger la libération de ces deux prisonniers.
On le voit, l’Union européenne gagne en crédibilité en tant qu’acteur géostratégique. Ses réactions tendent à être plus fermes et plus rapides, mais cette crédibilité se mesure aussi aux effets de ses déclarations, de ses décisions et de ses condamnations. Or cela est un peu décevant, car l’Union est encore loin de revendiquer un statut de puissance. Pour y parvenir, le premier axe qui s’offre à elle est de placer sa puissance économique au service de ses intérêts stratégiques. À ce titre, la récente intervention de Thierry Breton, laissant entendre que des vaccins pourraient être fournis à la Biélorussie contre un retour à des relations plus coopératives, en est un bon exemple.
La politique internationale de l’Union ne sera toutefois jamais véritablement opérante sans traduction concrète au travers de sa politique de défense et de sécurité commune. Sur ce point, comment faire, monsieur le secrétaire d’État, pour que nos partenaires s’investissent dans le projet de boussole stratégique ?
Notre commission souhaite savoir quelles seront les positions du Gouvernement sur ces différents dossiers lors du prochain Conseil. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. André Gattolin, Franck Menonville et Jean-Claude Requier applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que notre pays, comme l’ensemble des États membres de l’Union européenne, retrouve un peu d’oxygène en ouvrant progressivement ses lieux publics et ses frontières, la relance économique européenne constituera un sujet majeur à l’ordre du jour du Conseil européen des 24 et 25 juin prochain. Les prévisions de croissance présentées le mois dernier par la Commission européenne permettent d’espérer voir enfin le bout du tunnel : la croissance au sein de l’Union s’élèverait à 4,2 % en 2021 et à 4,4 % en 2022, même si elle reste largement conditionnée par l’amélioration durable des conditions sanitaires.
Dans cette perspective, le rendez-vous des vingt-sept États membres permettra de faire le point sur la mise en œuvre de la facilité pour la reprise et la résilience, qui constitue la pièce maîtresse du plan de relance européen. Le suivi du déploiement de celui-ci fait d’ailleurs l’objet d’une attention particulière de notre commission, avec notre collègue Jean-Marie Mizzon, qui conduit des auditions sur le sujet.
La première étape incontournable de cette mise en œuvre était la ratification de la décision « ressources propres » par l’ensemble des États membres, selon leurs règles constitutionnelles propres. Après bien des craintes résultant de blocages, notamment en Hongrie, en Autriche et aux Pays-Bas, cette première étape a été franchie, et la décision « ressources propres » est entrée en vigueur le 1er juin.
Le délai de ratification nécessaire pour une mise en œuvre à temps de la relance européenne a été respecté. Cela n’avait rien d’évident, comme nous l’avions souligné lors du dernier débat préalable à la réunion du Conseil européen. Désormais, les premiers préfinancements au titre de la facilité pour la reprise et la résilience pourront être versés aux États membres qui ont transmis leur programme national correspondant, soit presque un an après que l’ensemble des États membres a trouvé un accord, en juillet dernier, sur les contours de ce plan de relance européen.
Monsieur le secrétaire d’État, lors du dernier débat préalable à la réunion du Conseil européen, je vous avais interrogé sur le dimensionnement de ce plan de relance, alors que la crise sanitaire durait depuis plus longtemps qu’initialement anticipé. Sur ce point, le commissaire européen à l’économie, Paolo Gentiloni, a reconnu dans la presse que ce plan pourrait ne pas être suffisant et qu’il faudrait revoir les règles budgétaires européennes avant d’aller plus loin. Estimez-vous également que ce plan de relance doive être complété ? Dans l’affirmative, quel calendrier la France pousse-t-elle pour la révision du cadre budgétaire européen, alors que l’année 2023 est désormais évoquée pour aboutir à des conclusions ? Si l’on considère qu’un renforcement du plan de relance européen est nécessaire, alors cet horizon apparaît bien tardif.
En outre, les progrès accomplis dans la mise en œuvre du plan de relance européen n’épuisent pas la question de son remboursement, sur laquelle nous avions mis en garde le Gouvernement lors de l’examen du projet de loi autorisant la ratification de la décision « ressources propres ». En effet, à défaut de nouvelles ressources propres, ce remboursement reposera uniquement sur les contributions nationales, soit une hausse de 2,5 milliards d’euros par an pour la France, à compter de 2028.
À cet égard, le prochain Conseil européen se tiendra peu de temps avant la présentation par la Commission européenne de ses propositions de nouvelles ressources propres, au nombre de trois : une redevance numérique, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, le système d’échange des quotas d’émission carbone.
S’agissant de la redevance numérique, la proposition européenne va intervenir alors que les ministres des finances du G7 ont tout juste trouvé un accord sur la réforme de la fiscalité internationale des entreprises, y compris sur la taxation des activités numériques. Comment la proposition de la Commission européenne s’articulera-t-elle avec cet accord ? Estimez-vous que la dynamique impulsée par le G7 puisse être réellement suivie par les vingt-sept États membres, compte tenu des réticences de longue date de certains d’entre eux ?
Sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, il nous faudra être particulièrement attentifs aux effets potentiels de ce dispositif sur nos propres entreprises importatrices de certaines matières premières. De même, pour la ressource fondée sur le système d’échange des quotas d’émission carbone, un équilibre délicat doit être trouvé dans la définition des secteurs visés, afin de satisfaire un objectif de rendement budgétaire et une incitation écologique sans peser excessivement sur nos entreprises et emplois européens.
Monsieur le secrétaire d’État, quels secteurs d’activités la France souhaite-t-elle voir intégrés dans le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous apercevons enfin la lumière au bout du tunnel dans lequel la covid-19 a enfermé l’Union européenne depuis déjà quinze mois. Même si la vigilance reste de mise à l’égard des variants, l’épidémie reflue et la vaccination accélère enfin. Ainsi, à ce jour, près de la moitié des adultes européens ont reçu au moins une dose de vaccin.
La liberté de circulation est en voie de rétablissement, grâce au certificat vert, créé par un règlement européen qui devrait être opérationnel d’ici à trois semaines. Toutefois, le retour à la normale ne sera possible qu’à la condition de rendre disponibles les vaccins aux quatre coins de la planète. L’Union exporte déjà la moitié de sa production de vaccins ; elle est aussi le plus important bailleur de fonds de Covax, l’initiative mondiale visant à garantir un accès équitable aux vaccins.
Vendredi, la Commission a aussi proposé d’utiliser les flexibilités de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce pour faciliter l’accès des pays vulnérables aux vaccins. Plutôt qu’une levée pure et simple des brevets, la Commission européenne propose ainsi de recourir aux licences obligatoires, mais aussi de faciliter la production de vaccins dans les pays en développement, en leur donnant accès aux ingrédients utiles, et de réduire les entraves aux exportations de vaccins.
Cette proposition sera discutée demain à l’Organisation mondiale du commerce. C’est à nos yeux une stratégie équilibrée, misant sur le multilatéralisme et garantissant une juste rémunération pour l’innovation. Sur ce sujet, le Président de la République a beaucoup tergiversé, se rangeant derrière l’Inde, l’Afrique du Sud et les États-Unis, pour finalement indiquer qu’il se déterminerait à la fin de l’année. Pourtant, le Conseil européen se tient dans quinze jours. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer quelle sera finalement sa position ?
La seconde dimension du retour à la normale est la relance. Sur ce front aussi, nous avons matière à nous réjouir : un grand pas a été franchi avec la ratification par tous les États membres de la décision « ressources propres », qui ouvre la voie à l’emprunt mutualisé sur lequel repose le plan de relance européen. Parallèlement, il est désormais acquis que les règles budgétaires du pacte de stabilité et de croissance resteront suspendues en 2022. C’est une bonne nouvelle.
Enfin, le Parquet européen a commencé ses activités le 1er juin à Luxembourg, ce qui contribuera à assurer le bon usage des milliards d’euros que mobilise l’Union européenne pour la relance.
Je dois toutefois avouer quelques motifs d’inquiétude.
Le premier concerne les délais de mise en œuvre du plan de relance. Notre pays a présenté son plan national de relance et de résilience dans les délais, avant la fin du mois d’avril. Pouvez-vous nous indiquer où en sont vos échanges avec la Commission sur ce sujet ? Surtout, pouvons-nous compter sur les premiers versements de l’Union – tant promis – dès le mois de juillet, comme annoncé initialement ?
Mon second motif d’inquiétude porte sur la conditionnalité liée au respect de l’État de droit.
Lors du Conseil européen de décembre dernier, les dirigeants européens sont convenus de conditionner le versement des fonds européens au respect de l’État de droit. Le mécanisme alambiqué mis en place a depuis lors été contesté par la Hongrie et la Pologne, qui ont demandé son annulation à la Cour de justice de l’Union européenne. Dans l’attente de sa décision, et malgré la pression du Parlement européen, la Commission européenne n’a toujours pas présenté les lignes directrices de la mise en œuvre de ce mécanisme, si bien que celui-ci ne peut être activé, alors même que la dérive de certains États membres se poursuit, voire s’accélère. Il y a trois jours, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe déplorait notamment une « détérioration notable de la liberté d’expression et de la liberté des médias [en Slovénie] ».
La France fera-t-elle part au Conseil européen de sa préoccupation à cet égard ? Soulignera-t-elle, notamment, la nécessité d’une réaction rapide de la Slovénie, alors même que ce pays s’apprête à présider le Conseil de l’Union européenne dès le 1er juillet pour les six prochains mois ?
Je ne m’étendrai pas sur le volet extérieur de l’ordre du jour du Conseil européen. La question migratoire et celle des relations extérieures de l’Union européenne avec la Turquie et la Russie seront notamment abordées. Vous avez en outre déjà largement évoqué le sujet de la Biélorussie, monsieur le secrétaire d’État. Permettez-moi toutefois de citer un sujet de relations extérieures que le Conseil européen ne saurait négliger : notre relation avec le Royaume-Uni, évoquée par Pascal Allizard.
Lors du Conseil extraordinaire du 24 mai dernier, les dirigeants européens se sont penchés sur le sujet. Ils ont rappelé que l’accord de commerce et de coopération conclu entre l’Union européenne et le Royaume-Uni était entré en vigueur le 1er mai dernier et que, avec l’accord de retrait et ses protocoles conclus en octobre 2019, il constituait le cadre de la nouvelle relation euro-britannique. Les dirigeants européens ont appelé la Commission à poursuivre ses efforts « pour assurer la mise en œuvre intégrale [de ces deux] accords, notamment dans les domaines des droits des citoyens de l’Union européenne, de la pêche et de l’égalité des conditions de concurrence, en faisant pleinement usage des instruments prévus par les accords […] et en dialoguant de manière permanente avec le Conseil ».
Monsieur le secrétaire d’État, vous connaissez ma sensibilité sur ce dossier – vous l’avez d’ailleurs évoquée. Notre commission vous entendra, ainsi que Mme Girardin, dans quelques jours sur le sujet de la pêche. Pouvez-vous toutefois d’ores et déjà nous indiquer si nous pourrons compter sur la mobilisation et la détermination du Gouvernement, dans les jours et les semaines à venir, pour régler ces questions qui devraient déjà l’être ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de notre dernier débat préalable, j’ouvrais mon propos en évoquant les tensions entre la Commission européenne et l’entreprise AstraZeneca. Depuis lors, la politique vaccinale européenne s’est beaucoup accélérée et l’horizon se dégage. L’Union européenne prend aujourd’hui toute sa part en matière de solidarité internationale. Cette bataille contre le virus – faut-il le rappeler ? – se gagnera à l’échelle planétaire. Le volet industriel, piloté par le commissaire Thierry Breton, s’est également accéléré ; il faut le saluer.
Après l’ouverture de la vaccination à tous les adultes en France et la gestion de la question cruciale de la distribution et des livraisons, c’est désormais la gestion des variants qui doit nous mobiliser. Là aussi, l’Union paraît se préparer à une réaction rapide. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous le confirmer ?
Les frontières de l’Union européenne commencent à se rouvrir, particulièrement avec la saison estivale qui débute. Qu’en est-il donc du certificat vert numérique, dont la mise en œuvre est prévue au 1er juillet prochain ?
Le second volet de la crise que nous traversons – cela a été rappelé – est évidemment économique. Cette fois, la question est à l’ordre du jour du Conseil européen.
Le plan de relance européen a enfin été ratifié par tous les États membres. Nous en espérons les versements dès juillet prochain. Est-ce réaliste ?
Je tiens également à souligner l’avancée historique conclue ce week-end par le G7 Finances dans le combat contre l’évasion et l’optimisation fiscales. En instaurant un taux mondial d’imposition d’au moins 15 % des multinationales, le G7 a fait preuve de direction collective et d’un souci de justice pour les classes moyennes. C’est une avancée considérable sur laquelle l’Europe doit capitaliser pour poursuivre la convergence fiscale et sociale, mais aussi aider à libérer nos énergies et notre capacité à entreprendre.
Cette crise nous a aussi conduits à nous interroger plus particulièrement sur nos dépendances. Le redressement économique doit passer par plus de souveraineté. C’est d’autant plus vrai pour le secteur de l’alimentation. La PAC en est bien sûr le cœur.
La défense des grands équilibres est primordiale. L’échec dans la recherche d’un accord lors du dernier trilogue laisse la place à une situation qui nous préoccupe. Nous avons besoin d’un accord sur la PAC, et rapidement. La limite, que la présidence portugaise a souhaité fixer à fin juin, approche à grands pas.
Le Conseil des ministres s’est prononcé en faveur d’un assouplissement des textes relatifs à la dimension environnementale de la PAC. Cette position me semble satisfaisante et représentative de la vision stratégique des États, notamment concernant les écorégimes. J’estime qu’un maintien de ces derniers à 25 % serait souhaitable.
L’avenir de l’Europe se joue également au niveau de ses frontières. Mercredi dernier, la Commission européenne a exposé des propositions de réforme de l’espace Schengen, avec comme priorité le renforcement des contrôles aux frontières attendu par de nombreux citoyens, l’objectif étant d’éviter que les États membres établissent des restrictions à leurs propres frontières.
À ce sujet, l’inefficacité de l’agence Frontex, de plus en plus critiquée, pose question. Quelles sont les positions de la France sur ces sujets, en particulier sur la révision des règles de l’espace Schengen ? Comment pouvons-nous mettre ces réflexions en lien avec la réforme de l’asile au niveau européen ?
La Commission européenne a profité de ces annonces pour inviter le Conseil européen à se positionner sur l’intégration dans l’espace Schengen de trois États membres : la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie. Quelle est la position de la France sur ce sujet ?
Reste la politique migratoire, qui demeure très complexe à dessiner à vingt-sept. Une nouvelle fois, nous avons assisté il y a quelques semaines à de terribles images, entre arrivées illégales et expulsions. L’Union ne peut plus sous-traiter sa politique migratoire à ses voisins. Bien loin de nous renforcer, cela nous fragilise – nous l’avons vécu récemment avec la Turquie.
Ce Conseil européen marque le retour des discussions sur notre relation avec la Turquie. Nos rapports sont instables, et nous ne pouvons considérer son dirigeant actuel comme un allié. À l’heure où un accord politique a été trouvé sur l’aide financière dans le cadre de l’instrument d’aide à la préadhésion dont la Turquie va bénéficier, nous devons nous interroger sur notre avenir commun. Or, à ce stade, l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne n’est ni souhaitable ni envisageable. Comme je l’ai déjà indiqué, la situation de ce pays au sein de l’OTAN interroge.
Enfin, le dernier volet de ce Conseil, et non des moindres, est notre stratégie face à la Russie. Nous devons mener une réflexion commune afin de définir notre position.
De manière plus large, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, avait indiqué lors de sa prise de fonction qu’elle souhaitait une Commission géopolitique. Force est de constater que, depuis, les crises politiques s’enchaînent et montrent la difficulté de répondre d’une seule voix. Pourtant, l’Europe doit absolument renforcer son poids politique et diplomatique dans le monde. Il y va de l’équilibre de ce monde. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, peut-on se laisser entraîner par la petite musique française dans la belle symphonie européenne du monde d’après qui commence ? Si oui, ce serait fait : l’Europe aurait carrément changé de logiciel !
L’Europe de la jungle concurrentielle, des contraintes du pacte de stabilité et de croissance, celle de l’obsession austéritaire, c’était avant ! Cap à présent sur le pacte Vert et la neutralité carbone, sur l’Europe sociale pour concrétiser la tenue des objectifs de Porto, sur les investissements dans les transitions d’avenir, avec l’élan de la relance, les promesses des ressources propres et de l’ajustement carbone aux frontières ! Cap sur la justice fiscale, avec le dispositif européen imposant la transparence aux multinationales et, surtout, avec l’avancée historique que constituerait la fixation, par le G7, d’un taux minimal d’imposition des sociétés au plan mondial à 15 % !
Monsieur le secrétaire d’État, comme on aimerait que se déroule aussi bien ce beau tapis vert de l’avenir européen et comme on voudrait que notre gouvernement joue véritablement un rôle moteur pour toutes ces belles avancées. Comme vous l’aurez compris, nous n’en sommes pas tout à fait convaincus.
Je concentrerai mon propos sur les deux enjeux que constituent la question fiscale et la question climatique en lien avec le pacte Vert.
Le tour des parlements nationaux de la décision sur les ressources propres – cela a été dit – a enfin été bouclé, débloquant ainsi la relance. Ces ressources propres doivent maintenant être mises en place progressivement. Mais avance-t-on vraiment au rythme programmé ? Déjà, la proposition législative qui devait être présentée en juin serait repoussée.
La taxation des entreprises a certes été spectaculairement relancée par le Président américain, qui a donné l’impulsion qu’on attendait – comme d’ailleurs il l’avait fait, à sa manière, sur les vaccins. Quelle leçon pour notre Europe, trop souvent poussive ! Le Président Biden avait d’ailleurs proposé 21 % de taxation au minimum. Qui a freiné, qui a réduit cette ambition, qui a proposé 12,5 %, pour finalement arriver à 15 % ? Non, notre pays ne passe pas pour moteur face à cette opportunité au niveau mondial de s’attaquer au règne du moins-disant fiscal ! D’un côté, Bruno Le Maire déclare que « l’Europe ne peut pas accepter des modèles économiques fondés sur le dumping fiscal », mais, de l’autre, il pose des actes qui sapent un peu l’ambition d’agir au bon niveau.
S’agissant de l’ajustement carbone aux frontières et de la taxe sur les transactions financières, la contribution française sera-t-elle du même ordre, avec un tel écart entre les discours et les actes ? L’ajustement carbone aux frontières n’est-il pas en passe d’être fragilisé, dénaturé, si la ligne française de maintien des quotas gratuits à nos industries les plus polluantes l’emporte ?
La future directive en faveur d’un reporting public et obligatoire des multinationales s’avérerait extrêmement efficace, puisqu’elle permettrait de vérifier que les impôts sont bien payés là où ils doivent l’être ; elle permettrait d’identifier les lacunes du système, de disposer des données pour agir afin de garantir la justice fiscale et de mettre fin à la concurrence déloyale fondée sur l’abus du système.
Nous ne voulons pas que soit réduite cette ambition. C’est pourquoi, comme je l’ai déjà indiqué, nous n’acceptons pas le principe de la clause de sauvegarde portée par le Gouvernement. Permettre aux multinationales de garder secrètes pendant cinq ou six ans des informations comptables basiques sous prétexte d’un possible préjudice à leur position commerciale affaiblirait considérablement l’exigence de transparence. Nous attendons des dirigeants européens qu’ils assurent un dispositif robuste pour s’attaquer avec sérieux au fléau de l’évasion fiscale.
Sur le pacte Vert et l’enjeu climatique, nous attendons le paquet législatif européen et le détail du partage de l’effort pour concrétiser la trajectoire d’une baisse de 55 % des émissions pour 2030 et la neutralité carbone d’ici à trente ans. Ce sera la contribution européenne au rendez-vous de Glasgow. Elle crédibilisera l’accord de Paris, de façon à peser, pour entraîner, si possible dans une même dynamique, les autres grands destructeurs du climat.
Où en est le pays garant des accords de Paris ? Tient-il pleinement son rôle leader exemplaire ? Le paquet législatif européen devra être au niveau, mais notre propre loi Climat ne peut être autant en deçà. Nos efforts nationaux de transition doivent être inscrits concrètement dans l’objectif européen de baisse de 55 %. Notre Sénat va, je le souhaite, afficher cette exigence. Il est nécessaire que notre gouvernement, par son action européenne sur l’enjeu climatique comme sur les défis fiscaux, se reprenne.
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, adoncques, le compte à rebours est commencé : dans six mois et pour six mois, la France occupera la présidence du Conseil de l’Union européenne, un moment qui est devenu rare au fil des élargissements successifs. Ainsi la dernière présidence française remonte-t-elle à plus de treize ans.
À chaque fois, c’est un moment important, chargé de grands desseins pour le pays concerné et pour l’exécutif qui est à sa tête. En France, c’est même une occasion devenue unique, car la limitation de l’exercice présidentiel à deux quinquennats rend arithmétiquement impossible pour notre chef de l’État de présider deux fois ledit Conseil.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. C’est très bien ainsi !
M. André Gattolin. Angela Merkel, qui quittera prochainement ses fonctions, est d’ailleurs le seul dirigeant européen, depuis le grand élargissement de 2004, à avoir présidé par deux fois cette instance. Seul M. Viktor Orban, s’il était réélu une nouvelle fois en 2022, pourrait espérer égaler cet exploit. Brrr… Entre nous, je ne suis pas sûr qu’il s’agisse là d’une perspective très réjouissante pour l’avenir de l’Europe.
Au-delà des enjeux de politique interne immanquablement associés à chaque présidence tournante, ceux de nature proprement européenne sont de loin les plus importants, car ils portent ni plus ni moins sur la capacité de notre Union à répondre aux défis auxquels nous sommes collectivement confrontés. Or ces défis partagés – vous le savez, monsieur le secrétaire d’État – ne sont ni minces ni en nombre réduit. Quand on considère le temps que prennent les négociations pour trouver des accords à vingt-sept et le temps législatif nécessaire à la mise en œuvre des décisions prises, les six petits mois d’une présidence paraissent à la fois des plus succincts et d’une intensité presque angoissante. Aussi, le succès d’une présidence de ce type, outre son devoir de réagir avec dextérité à une éventuelle crise imprévue, repose sur sa préparation en amont, sur sa capacité à faire aboutir des initiatives engagées par les présidences antérieures et, enfin, sur sa faculté à proposer et à articuler des réponses nouvelles à des questions d’ampleur jusque-là peu ou insuffisamment traitées à l’échelon européen.
Pour en venir, après tous ces prolégomènes, à l’ordre du jour proprement dit du prochain Conseil européen, je dirai que les sujets mis en discussion illustrent, pour une fois, assez bien plusieurs des enjeux qui comptent parmi les plus structurants de l’Union aujourd’hui. Évidemment, on y parlera covid-19, notamment sous l’angle des campagnes de vaccination, de la question des nouveaux variants et du rétablissement de la libre circulation au sein de l’UE. La relance économique et l’état d’avancement du plan européen seront également à l’ordre du jour.
Les deux sujets – pandémie et relance de l’économie – sont assez étroitement liés. Sans qu’on puisse encore présager aujourd’hui une issue heureuse à très court terme, qui se traduirait par une pandémie durablement jugulée et par une reprise forte des économies européennes, ces dernières semaines ont tout de même apporté un lot appréciable de bonnes nouvelles.
Sous l’effet notamment de l’amplification des campagnes nationales de vaccination, la pandémie semble enfin régresser assez significativement dans toute l’Europe. L’adoption du pass sanitaire européen devrait rapidement permettre une large réouverture des frontières intraeuropéennes, facilitant notamment la reprise de l’industrie du tourisme, déterminante pour l’économie globale de nombreux États membres.
La ratification, au cours des deux dernières semaines, par des États membres qui ne l’avaient pas encore fait, du plan de relance européen ouvre enfin la voie à sa mise en œuvre officielle. Plusieurs pays, dont le nôtre, connaissent déjà un frémissement qui devrait s’amplifier au cours du second semestre de cette année.
À ces avancées indiscutables de l’Union, j’ajouterai volontiers la décision historique, prise la semaine passée par le G7, d’établir enfin une fiscalité minimale à l’encontre des grandes multinationales, ainsi qu’une meilleure répartition de la valeur entre les territoires qui sont à l’origine de la création de celle-ci. La mise en œuvre de cette décision reste encore à discuter, mais elle constituerait une réponse importante à la question du remboursement de la dette publique souscrite pour faire face à cette crise sans précédent depuis quatre-vingts ans.
Si l’Union et ses États membres ont à présent quelques bonnes raisons de renouer avec l’optimisme, il n’en demeure pas moins que des incertitudes continuent de peser et que certains points d’ombre pourraient entacher une très attendue sortie de crise.
Concernant le plan de relance européen et les plans nationaux qui lui sont adjoints, bien que d’une envergure sans précédent, ceux-ci ont été conçus au second semestre de 2020, à un moment où l’on pensait voir la pandémie refluer et la reprise très vite s’engager. Les prévisions de croissance de la Commission à l’époque n’envisageaient-elles pas un rebond de 6 % à 7 % de la croissance en 2021 ?
Avec les vagues successives de covid-19 qui se sont développées depuis et les incertitudes que font peser les nouveaux variants, pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État, que les plans de relance conçus l’an passé sont encore à la hauteur des enjeux ? Devons-nous dès à présent envisager la préparation d’un second plan, et comment pourrions-nous le financer ? Les réticences déjà exprimées l’an passé par certains États ne risquent-elles pas de faire échouer, cette fois-ci, une telle initiative ?
Les migrations sont également à l’ordre du jour de ce Conseil, ce qui m’amène à faire un lien avec le point concernant la pandémie de covid-19. La vaccination constitue un enjeu colossal pour les pays en développement, particulièrement pour l’Afrique. Si nous échouons à nous montrer à la hauteur des besoins de nos partenaires africains, ne risquons-nous pas de nous trouver face à une vague renforcée de migration à destination de notre continent ?
Tout le monde s’accorde à dire aujourd’hui que les politiques de régulation des migrations de l’Union ne sont plus adaptées aux enjeux actuels et que le règlement Dublin II est une source de tensions dangereuses entre les États membres. Monsieur le secrétaire d’État, pensez-vous que nous serons en mesure de nous accorder sur une réforme de l’espace Schengen avant que l’Union européenne ne soit frappée par une nouvelle crise migratoire d’ampleur ?
Enfin – et ce n’est pas la moindre des ombres qui pèsent sur notre continent –, l’Union est aujourd’hui confrontée à quelques voisins au comportement des plus agressifs et inquiétants : Russie, Turquie, Biélorussie. À cette liste, on pourrait aisément ajouter la Chine, qui se comporte chaque jour davantage en rivale systémique plutôt qu’en partenaire de confiance.
Pour le coup, il faut saluer le fait que l’ordre du jour du prochain Conseil européen ne soit cette fois-ci ni à rebours ni hors sol. Il devrait être l’occasion d’un passage en revue approfondi de nos relations avec la Fédération de Russie ; c’est une bonne chose. On le sait, cet important voisin procédera en septembre prochain à des élections législatives dont on peut malheureusement penser qu’elles ne seront ni libres ni équitables. On sait aussi que nos approches entre États membres à son endroit sont loin de converger.
Là encore, monsieur le secrétaire d’État, pensez-vous que nous serons en mesure d’accorder nos violons lors de ce Conseil européen ou faudra-t-il attendre l’issue des élections fédérales en Allemagne, et les longues négociations de construction d’une coalition gouvernementale qui suivront, pour harmoniser nos positions ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Alain Richard. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, depuis quelques semaines, un peu partout en Europe, les États membres sont entrés dans une nouvelle ère, celle du possible retour à une vie normale. Un temps critiquée pour son démarrage plutôt lent, il faut aujourd’hui reconnaître que la stratégie européenne de vaccination ne fonctionne pas si mal.
Nous devons néanmoins rester vigilants au regard de la situation mondiale. Il suffit d’observer les difficultés sanitaires en Asie, une région auréolée, hier, pour sa gestion de la pandémie. Une fois de plus, l’ampleur de cette pandémie invite à l’humilité et à une certaine retenue dans la critique des politiques publiques en la matière.
Dans ces conditions, comment aborder l’avenir ? La Commission européenne a proposé de réviser la recommandation encadrant les restrictions de déplacements non essentiels dans l’Union européenne. C’est une bonne chose ; on ne peut que partager cette orientation, qui s’inscrit dans la logique de l’accord interinstitutionnel trouvé sur le certificat covid numérique de l’Union européenne. Le groupe du RDSE a déjà eu l’occasion d’affirmer son soutien à ce certificat, sous réserve que celui-ci ne constitue ni un outil discriminatoire ni un billet pour la captation des données personnelles.
Notre salut dépend aussi de la situation vaccinale sur les autres continents. La pandémie ne sera terminée qu’après la vaccination d’au moins 70 % de la population mondiale. Il faut souligner l’effort de solidarité qu’a consenti l’Europe, dont près de 40 % de la production de doses a été exportée pour contribuer à la lutte contre la pandémie.
Je citerai toutefois un autre chiffre : seuls 2,1 % des Africains ont reçu au moins une dose. À l’évidence, c’est bien trop peu. À moins que la levée des brevets apparaisse comme l’alternative au partage des doses ? On entend bien souvent au sein du Gouvernement que cette question ne serait pas taboue, mais cette sémantique n’est pas tout à fait une approbation claire. Monsieur le secrétaire d’État, qu’en est-il exactement de la position française ?
Vendredi dernier, la Commission européenne semble avoir fait un petit pas en proposant d’utiliser les flexibilités de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, les fameuses licences obligatoires. L’Europe apparaît toutefois de plus en plus isolée face à la demande de levée pure et simple des brevets.
Mes chers collègues, bien que la situation sanitaire ne soit pas stabilisée, il faut préparer le monde d’après, celui du retour à une croissance économique durable. Dans cette perspective, notre pays pourra abonder son plan national pour la reprise et la résilience grâce aux fonds européens qui seront très vite débloqués.
Monsieur le secrétaire d’État, vous le savez, la Commission veillera à ce que la France engage un certain nombre de réformes structurelles. Quelles sont les réformes qui entreraient dans le champ des exigences européennes ? Dans notre plan national, il est par exemple question d’encourager la solidarité entre les générations. La réforme des retraites pourrait-elle faire partie des projets à court terme ? Cette réforme semble revenir dans le débat public. Est-ce vraiment le moment, alors que la cohésion nationale doit être préservée à tout prix ?
La Commission exige également que nos politiques investissent six domaines d’action, dont celui de la transition écologique. Je m’inquiète toutefois d’une petite contradiction : alors qu’il est, à juste titre, exigé de verdir notre économie, dans le même temps, certaines mesures de la PAC vont à l’encontre d’un développement durable. Je citerai un seul exemple : les aides au maintien du secteur de production biologique sont menacées, alors que l’objectif de 15 % de surfaces cultivées en bio ne sera probablement pas atteint l’année prochaine. J’ai eu l’occasion de le rappeler la semaine dernière lors du débat sur le pacte Vert : le verdissement de l’agriculture est non négociable.
Dans ce monde d’après, le nécessaire retour à une plus grande autonomie industrielle au sein de l’Union européenne alimente également les discussions. Le groupe du RDSE partage fortement cet objectif. Dans cette perspective, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, la France a souvent défendu la lutte anti-dumping. L’instauration d’un taux mondial d’imposition minimum des sociétés est donc une bonne nouvelle, mais le taux de 15 % sera-t-il suffisant pour instaurer une concurrence plus équitable ? Probablement pas !
Enfin, le débat sur le remboursement de la dette commence à émerger chez les partisans de l’orthodoxie budgétaire. Le pacte de stabilité et de croissance est suspendu, et c’est une bonne chose que son rétablissement ne soit pas prévu au moins avant 2023. Il faudra de toute façon rediscuter des règles au regard des lignes que la pandémie a permis de franchir dans le domaine budgétaire.
À mon sens, la question serait plutôt : ne faudrait-il pas un second plan de relance, comme le défend le commissaire à l’économie Paolo Gentiloni ? Le Président de la République a évoqué la possibilité de défendre un nouveau plan d’investissements massifs. Vous-même, monsieur le secrétaire d’État, avez suggéré la création d’une capacité d’investissement commune. Comment ce plan s’articulerait-il avec la nouvelle stratégie industrielle que propose la Commission ?
Par ailleurs, l’Europe ne devrait-elle pas profiter de l’élan impulsé en matière économique pour relancer l’Union pour la Méditerranée ? L’intégration régionale que promeut cet accord est trop lente, alors que les pays d’Afrique du Nord rencontrent de véritables difficultés économiques. L’Europe a tout intérêt à soigner cette zone au regard des défis migratoires qu’elle impose aux frontières extérieures de l’Europe. Nous l’avons encore tristement constaté récemment, avec les images bouleversantes de Ceuta.
Si le Maroc et la Turquie ont les mains libres pour exercer sans état d’âme un chantage migratoire, n’est-ce pas aussi parce que l’Europe n’a pas suffisamment consolidé sa politique migratoire ? La politique européenne d’externalisation, qui revient à déléguer le contrôle de ses frontières, trouve ici ses limites. L’augmentation des moyens de Frontex n’est pas non plus une réponse suffisante, d’autant que la Cour des comptes européenne vient de dresser un tableau sévère du fonctionnement de l’agence.
Il faudra rapidement trouver des mécanismes permanents et solidaires de régulation conformes à la tradition d’accueil de l’Union européenne, ce que le pacte sur les migrations en discussion ne promet pas complètement.
M. le ministre des affaires étrangères a évoqué ici, il y a quelques semaines, lors de l’examen du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, la « diplomatie des valeurs » menée par la France. On ne peut qu’encourager notre pays à exercer une telle diplomatie pour peser dans le sens d’un monde plus solidaire à tous les niveaux : sanitaire, économique et humanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je souhaite évoquer brièvement quatre sujets à l’ordre du jour du prochain Conseil européen.
Premièrement, priorité est donnée une nouvelle fois à la pandémie de covid-19 – tant mieux ! Cependant, à la veille d’une réunion décisive de l’OMC, la Commission européenne vient d’annoncer qu’elle ne soutiendrait pas la proposition de plus de cent pays en faveur de la levée des brevets sur les vaccins. L’Union européenne reste donc bien calée dans la roue des gros industriels de la pharmacie. Les 36 millions d’euros dépensés chaque année dans le lobbying européen par ces groupes, comme l’a révélé le rapport de Corporate Europe Observatory, ne l’auront pas été en pure perte.
Alors que le développement des vaccins a été largement financé par les États, que la pandémie a déjà fait 3,5 millions de victimes et que la pénurie mondiale de vaccins compromet une sortie réelle mondiale de la crise sanitaire, l’Union européenne, sous prétexte de protéger les droits de propriété intellectuelle, protège en vérité les profits, puisque l’achat des vaccins se fait à des prix de plus en plus exorbitants. La dérogation transitoire au régime des brevets permettrait pourtant de lever les barrières qui empêchent la majeure partie du monde de stopper la circulation du virus. Si plus de 1,9 milliard de doses de vaccin anti-covid ont déjà été injectées dans le monde, selon un décompte de l’AFP, seulement 0,3 % de ce total a été administré dans les vingt-neuf pays les plus pauvres, qui comptent 9 % de la population mondiale.
Pour suivre la ligne de conduite du « ni nationalisme vaccinal ni soumission aux multinationales », nous devrions au contraire développer une nouvelle coopération européenne, sous contrôle public, et soutenir la création d’un pôle public fort du médicament en France. Nous pourrions ainsi réellement promouvoir la logique d’un vaccin « bien public mondial » et non pas, comme nous le faisons aujourd’hui, celle de la charité au compte-goutte de l’Union européenne pour les pays les plus pauvres.
Deuxièmement, je veux évoquer un aspect du financement du plan de relance, à savoir l’accord annoncé sur la fiscalité mondiale. J’entends en effet un concert de louanges, alors que je suis plus circonspect.
Là encore, les pays les plus riches membres du G7 Finances viennent de négocier entre eux un accord avant de le soumettre aux 140 pays membres de l’OCDE.
Le taux de taxe de 15 % sur les profits réalisés par les multinationales à l’étranger, sur lequel le G7 Finances s’est accordé, est présenté par Bruno Le Maire comme une victoire historique. Celui-ci prônait pourtant un taux bien supérieur, et de nombreux économistes, par exemple Gabriel Zucman, fondateur du récent Observatoire européen de la fiscalité, estiment le taux adopté « dérisoire ».
Après les paradis fiscaux, dont rien ne dit à cette heure que l’accord en question signerait la disparition, après les accords de gré à gré comme celui négocié par Google, qui a récemment réglé un contentieux fiscal avec la France pour s’éviter de nouvelles poursuites, voilà donc l’officialisation d’un régime fiscal mondial de faveur pour les multinationales ! En effet, concrètement, cet accord entérine le dumping fiscal des multinationales, en France par exemple, où ce seront toujours les entreprises les plus riches, souvent les moins vertueuses en matière sociale et environnementale, qui paieront le taux d’impôt le plus faible, en l’occurrence 15 %, au lieu des 25 % toujours acquittés par nos PME créatrices d’emploi, pour financer les dépenses publiques utiles à la collectivité.
L’inégalité fiscale est ainsi légalisée. En plus, rien ne dit que les mécanismes de contournement et d’optimisation de cet impôt minimal ne seront pas à nouveau utilisés par les mêmes. Comptez pour cela sur Amazon et consorts, si vous continuez à leur dérouler le tapis rouge !
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire comment la France peut se réjouir d’un tel accord et comment elle compte agir pour le faire appliquer en Europe, où l’évasion fiscale est la règle dans les multinationales ? Pouvez-vous nous dire ce que notre pays attend concrètement de cet accord ? On parle de quatre petits milliards d’euros attendus de recettes fiscales. Rappelons que, dans le scénario d’un taux à 25 %, l’Union européenne envisageait de doubler ses recettes d’impôt sur les sociétés à 510 milliards d’euros, dont 26 milliards d’euros abonderaient le budget de la France, soit plus que le montant de la contribution de la France à l’Union européenne. Voilà de quoi relativiser la prétendue portée « historique » de cet accord !
Troisièmement, le pacte sur la migration et l’asile, également inscrit à l’ordre du jour du Conseil européen, est un autre visage des politiques d’inégalités européennes. L’aveuglement et l’inhumanité restent malheureusement la règle. Les logiques déjà largement éprouvées et totalement dans l’impasse, qui sont fondées sur une approche répressive et sécuritaire au service de l’endiguement des migrants et des expulsions et qui œuvrent au détriment d’une politique d’accueil à même de garantir la dignité humaine et les droits fondamentaux, sont certes révisées, mais pour être renforcées.
L’Europe tourne malheureusement à nouveau le dos aux défis des migrations contemporaines. Encore une fois, des moyens colossaux seront déployés pour financer l’érection de barrières physiques, juridiques et technologiques, ainsi que la construction de camps sur les routes migratoires.
Au sein de ce pacte, un des nouveaux règlements, relatif à la gestion des « situations de crise et de force majeure », prévoit pour la première fois des dérogations aux règles qui s’appliquent en matière d’asile, en suspendant par exemple l’enregistrement des demandes d’asile pour une durée d’un mois minimum. Cette mesure entérine des pratiques contraires au droit international et européen, à l’instar de ce qu’a fait la Grèce au début du mois de mars 2020 pour refouler les migrants venus de Turquie.
L’Europe foule aux pieds ses valeurs et ne sait décidément plus penser son rapport au monde. Elle pourrait continuer de le payer très cher politiquement, en ouvrant plus grandes encore les portes à la xénophobie.
Enfin, quatrièmement, je veux évoquer les relations avec la Turquie, qui figurent aussi à l’ordre du jour du Conseil européen.
Alors que la répression antidémocratique du régime d’Erdogan est plus violente que jamais en Turquie, où l’on recense des milliers de prisonniers d’opinion, et alors que les visées expansionnistes islamistes du régime sont toujours plus revendiquées, que signifie ce titre lu dans Le Figaro, ce matin, « Paris et Ankara jouent la carte de l’apaisement avant le sommet de l’OTAN », à propos de la visite que le ministre des affaires étrangères turc a rendue, hier, à Jean-Yves Le Drian ?
Tout indique notamment que la Turquie cherche à obtenir un feu vert de l’OTAN pour une nouvelle offensive terrestre en territoire kurde, dans le nord de la Syrie et de l’Irak, après la reprise de ses bombardements depuis le mois d’avril dernier. Pourquoi faire silence sur cette question ? Qu’a-t-on donc négocié, à Paris, hier ? Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, réaffirmer clairement votre intention de défendre la solidarité de la France avec les démocrates de Turquie et nos alliés kurdes ?
Le 14 juin prochain, je serai pour ma part à Erbil, aux côtés de nos amis kurdes pour briser ce silence, dénoncer les tractations et réaffirmer notre solidarité.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre Louault. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer nos collègues européens, qui sont de retour au Parlement de Strasbourg, pour la session de juin. La France retrouve le Parlement de Strasbourg !
Je commencerai mon propos en évoquant le plan de relance européen.
À la suite de la crise sanitaire, l’Union européenne a adopté à l’unanimité un plan de relance de l’économie européenne d’une valeur de 750 milliards d’euros, qui viendront s’ajouter au budget européen. Rappelons qu’il s’agit là d’une première en matière de solidarité européenne.
En pratique, la Commission peut dès à présent commencer à emprunter au titre de Next Generation EU et rendre ainsi l’instrument économique opérationnel après des mois d’attente, puisque l’ensemble des États membres ont ratifié la décision relative aux ressources propres, conformément aux exigences constitutionnelles. Ce plan européen, qui se trouve ventilé à travers différents fonds, aura notamment un volet de 15 milliards d’euros destiné au Fonds européen agricole pour le développement rural. Monsieur le secrétaire d’État, avez-vous des précisions quant au montant qui sera alloué à la France ? Quels seront les grands objectifs fixés ?
Le Conseil européen des 24 et 25 juin prochain sera également l’occasion d’évoquer la question de l’harmonisation de la fiscalité au niveau européen. Le projet d’un taux d’imposition mondial sur les Gafam, rejeté puis promu par les États-Unis, représente une avancée dans l’optique de la création d’une fiscalité européenne commune.
Il est urgent de se saisir de cette question et de faire en sorte que l’Union européenne ne soit pas à la traîne dans cette course au leadership face aux grandes puissances économiques mondiales. Il y va de la compétitivité de nos entreprises et de notre indépendance commerciale et industrielle vis-à-vis de ces dernières. Quel financement a-t-on prévu pour la relocalisation de l’industrie, qui confortera l’indépendance économique de l’Europe ?
À l’occasion du prochain Conseil européen sera abordée la question de l’immigration. La Commission a indiqué qu’elle présentera avant la fin de l’année une refonte du code Schengen, notamment pour permettre la liberté de circulation si les frontières internes européennes sont rétablies après les fermetures pour raison sanitaire.
Si les problèmes sanitaires persistent, il nous paraît important de travailler sur une harmonisation européenne des règles de restriction de déplacement à travers le territoire européen, afin de moduler les divergences de règles entre chaque pays. Cette harmonisation est d’autant plus importante pour les visiteurs extraeuropéens.
À tout juste un mois de l’entrée en vigueur du certificat covid numérique de l’Union européenne, le 1er juillet prochain, nous devons agir rapidement. Par exemple, les voyageurs intra-Union européenne ayant complété leur vaccination devraient évidemment être exemptés de la quarantaine que certains pays imposent. Si les annonces faites récemment vont dans ce sens, il est urgent de les confirmer.
J’aborderai, bien sûr, comme mes collègues, le sujet de la Turquie, qui est à l’ordre du jour du prochain Conseil européen. Pas plus tard que la semaine dernière, le 2 juin plus précisément, les institutions européennes ont annoncé un accord politique sur un budget de près de 15 milliards d’euros. Peut-être est-il utile de rappeler que l’Union européenne a mis en place un mécanisme d’aide, conditionné à l’État de droit ?
Monsieur le secrétaire d’État, je ne suis pas certain que trouver un accord politique qui vise à financer le régime de M. Erdogan soit aujourd’hui légitime. La Turquie, par l’intermédiaire de son Président, n’a de cesse de provoquer notre continent et notre pays. Les valeurs et les méthodes qui caractérisent les agissements de la Turquie ces dernières années ne sont pas compatibles avec les prérequis pour adhérer à l’Union européenne. La Turquie l’a encore prouvé il y a dix jours, lorsque les services de renseignement turcs ont interpellé au Kenya le neveu du prédicateur Fethullah Gülen, farouche opposant au régime de M. Erdogan.
Je suis assez inquiet face au peu de réactions suscitées par une affaire de ce type, car, semaine après semaine, un sentiment d’impunité se développe du côté de la Turquie. Si la France est alliée à ce pays au sein de l’OTAN, depuis de nombreuses années maintenant, il est important de rappeler que les agissements turcs ne sont pas acceptables dans nos démocraties européennes et qu’il n’est pas souhaitable d’accorder un quelconque financement à ce pays sans garantie incontournable. Il faut donc avancer vers une Europe dotée d’une puissance militaire. Celle-ci ne servira pas à faire la guerre, mais à se faire respecter. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, le prochain Conseil européen, le dernier sous présidence portugaise, marque aussi la sortie espérée d’une crise sanitaire qui a bouleversé les certitudes comme les doutes sur l’Union européenne. On pourrait dire une fois encore que « l’Union européenne est à la croisée des chemins ». J’hésite, cependant, à utiliser cette formule, car en tapant par curiosité sur internet les mots « Europe à la croisée des chemins », j’ai souri aux quelques dizaines de pages d’occurrences qui reprennent la formule depuis des décennies, comme si l’Union n’en finissait pas d’être à la croisée des chemins…
Il n’empêche, au risque de tomber dans la facilité, que cette crise sanitaire a bien fait changer les lignes. Je m’arrêterai sur deux aspects positifs.
Le premier est l’approche commune en matière de soutien à l’économie, qui a abouti à un plan de relance européen, pour la première fois fondé sur un emprunt commun et mutualisé. Il faut aussi mentionner la suspension des règles budgétaires ou encore la mise en place en 2020 du programme SURE de soutien aux régimes nationaux de chômage partiel. La décision permettant à la Commission de lancer cet emprunt commun vient d’être ratifiée par tous les États membres. Dix mois de cheminement pour les Vingt-Sept, c’est comparativement peu, mais c’est long par rapport à l’urgence, surtout si l’on considère que ce principe est une pièce incontournable de l’accord.
Le second aspect porte sur la capacité à élaborer une stratégie commune en matière de lutte contre l’épidémie, alors même que l’Union n’a qu’une compétence d’appui. La mise en place de contrats d’achats anticipés, l’assouplissement temporaire des conditions d’aides publiques aux entreprises stratégiques, l’accord sur une répartition des vaccins au prorata de la population sont autant de mesures positives qui ont permis à l’Europe d’avancer groupée.
Ce qui est intéressant dans cette crise, c’est que tout le monde s’est aperçu, y compris les pays dits « frugaux », que notre sort était lié. Cette solidarité européenne sous forme mutualisée est – il faut le reconnaître – quelque chose de relativement nouveau. Elle semble avoir été réaffirmée lors du sommet social de Porto, qui acte le principe d’une reprise équitable et, surtout, collective et inclusive, fondée sur la cohésion.
Finalement, on pourrait se contenter d’une certaine satisfaction. Pourtant, au terme de cette présidence portugaise, qui a tenté, dans un contexte difficile, de réorienter les politiques européennes et qui a fait de l’Europe sociale le cœur de sa feuille de route, trois points méritent d’être rappelés, car ils sont porteurs d’exigences.
Premier point : après l’urgence sanitaire, l’urgence est désormais sociale et appelle une réorientation de la croissance.
Les transitions écologiques et numériques qui ont été engagées doivent non seulement être des leviers de croissance, mais aussi de véritables viviers d’emplois, décents et durables. Ces transitions vont contribuer à supprimer des emplois, souvent dans des secteurs qui demandent peu de qualifications. Sans anticipation, la nasse peut se refermer très vite sur les travailleurs les moins qualifiés, d’où le rôle fondamental de l’accompagnement. Le Parlement européen vient d’ailleurs d’approuver le renforcement du financement du volet social du Fonds pour une transition juste, en ce sens.
De même, la recommandation présentée par la Commission, en mars dernier, concernant un soutien actif et efficace à l’emploi est positive.
En revanche, nous regrettons qu’il n’y ait pas de fonds spécifiquement dédié à toutes les mesures sociales et que les financements soient mis à disposition des États membres sans stricte obligation de les utiliser à ces fins.
Cette réorientation de la croissance suppose la poursuite du soutien à l’économie européenne. Comme notre collègue Cabanel l’a souligné, certains, au sein même de la Commission, dont Paolo Gentiloni, préconisent la révision des règles budgétaires et défendent la nécessité de faire plus : « L’acquis de cette pandémie, ce n’est pas seulement la solidarité entre Européens avec le plan de relance. C’est aussi le fait que la croissance est au cœur de notre politique économique, et le niveau de la dette n’en est pas le mot clé. »
En conséquence, nous nous interrogeons quant à la nature des plans de relance nationaux. Le timing, la formule, l’engagement de telle ou telle réforme en contrepartie des sommes allouées, cela ressemble étrangement à un exercice classique de semestre européen et à un système de conditionnalité auquel nous n’adhérons pas. Il y a là une forme de contradiction sur laquelle, monsieur le secrétaire d’État, nous aimerions d’autant plus connaître votre position que, au niveau français, certains membres du Gouvernement commencent à dire que l’après-crise sera une période de restriction budgétaire. La formule « lutter contre le virus quoi qu’il en coûte » deviendrait-elle « rembourser la dette quoi qu’il en coûte » ? Le spectre de l’austérité doit-il devenir l’horizon après 2023 ?
Pour nous, une solution est plutôt dans l’harmonisation fiscale en complément du premier pas que constituent les ressources propres.
Si nous saluons l’avancée essentielle de l’accord du G7, le week-end dernier, nous nous interrogeons sur la position du gouvernement français dans les négociations sur l’élargissement de l’assiette de la taxe sur les transactions financières.
Vous avez notamment déclaré, monsieur le secrétaire d’État, que la France était favorable à un accord à vingt-sept. Or celui-ci relève du vœu pieux ou d’un accord minimaliste, comme l’ont dit certains de mes collègues. En revanche, un accord sur la base d’une coopération renforcée pourrait être un véritable levier.
Le deuxième point qui nous préoccupe porte sur la nécessaire réorientation des priorités stratégiques de l’Union. Or plusieurs négociations patinent.
Les difficultés concernent le futur paquet climat, qui sera présenté le 14 juillet prochain et sur lequel les conclusions du dernier Conseil restent vagues. Pis, la référence à la révision du règlement européen sur le partage de l’effort, prévue dans le paquet législatif, a été supprimée du fait des divergences avec certains États membres, notamment la Pologne.
À cela, il faut ajouter l’échec des négociations de la PAC, domaine lié aux enjeux climatiques comme sociétaux, sur des questions comme la souveraineté alimentaire. Le recul en matière d’agriculture bio se traduit en France par l’annonce de baisses de financements qui nous semblent graves et incohérentes au regard du modèle que nous préconisons.
Les difficultés portent aussi sur les politiques industrielle et commerciale, pour formaliser l’autonomie stratégique ouverte telle qu’elle a été annoncée.
Certes, Paris et Berlin ont déclaré lors du dernier conseil des ministres franco-allemand vouloir « accroître la résilience et la capacité d’action de l’Union européenne », en développant notamment une stratégie européenne pharmaceutique, un travail sur les projets d’intérêt commun et un dispositif de l’Union permettant de débloquer un soutien public pour des secteurs stratégiques. Cependant, la présentation d’une véritable stratégie industrielle au niveau européen est reportée depuis mars dernier. Si le projet HERA, que vous avez cité, pour créer une agence à l’image de la Barda américaine est un premier pas, les moyens restent bien en deçà de ce qu’il faudrait, comme l’ont souligné certains collègues.
Il manque un étage à la « fusée Europe », celui des investissements d’avenir, qu’ils soient matériels, concernant les infrastructures, ou intellectuels, dans les domaines de l’éducation, de la culture et de la recherche et du développement. Vous l’avez d’ailleurs souligné, à juste titre, monsieur le secrétaire d’État.
Ce manque nous ramène inéluctablement à la question de la faiblesse du budget européen, à la nécessité d’un deuxième plan de relance et de la pérennisation du mécanisme d’emprunt européen.
Sur le plan de la réorientation de la politique commerciale, le Conseil des affaires étrangères du 20 mai dernier a achoppé sur trois points pourtant essentiels : l’équilibre entre ouverture des marchés et protection des entreprises européennes ; le respect de l’accord de Paris comme clause essentielle des accords de libre-échange ; la mention ou non de l’accord commercial avec le Mercosur. À ce sujet, nous nous interrogeons sur le statut des garanties supplémentaires qui seraient exigées avant tout aval du Conseil. Comment, alors que les négociations sont closes, parvenir à une réelle prise en compte des exigences en matière de déforestation et de normes sanitaires et environnementales ?
Le troisième point de vigilance porte sur la dimension politique de l’Union et sur le respect de l’État de droit. Un arc de crises ceint l’espace européen avec des zones d’instabilité qui se rapprochent. Or l’Europe peine à se positionner et à prendre des décisions unanimes, ce qui est normal d’un point de vue juridique.
Comme le souligne le dernier rapport de la Fondation Robert-Schuman, l’Europe a gagné la paix, mais n’a pas conquis la puissance. L’Union est le contraire d’un empire et le contraire d’un État, d’où la difficulté à défendre les attributs d’un État.
De fait, l’Union européenne réagit plus qu’elle ne construit une stratégie. La décision d’isoler la Biélorussie après le détournement d’un avion en est un exemple, et je ne reviendrai pas sur ce qu’ont dit certains de mes collègues.
Dans le cas de la Russie, l’Union en reste à la réaction et à la condamnation incantatoire, comme cela a déjà été dit.
À cela s’ajoute la question des relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, qui ont commencé à nous inquiéter ces derniers jours.
Lié à cette dimension politique de l’État de droit, le dernier point que je souhaite aborder porte sur les migrations.
La réunion des ministres qui s’est tenue aujourd’hui montre bien le caractère ambigu et embarrassé des positions, notamment en ce qui concerne le pacte sur la migration et l’asile. En effet, l’approche sécuritaire globale de ce pacte marque un tournant régressif pour l’accès au droit d’asile, les conditions d’évaluation des besoins de protection et le respect des droits fondamentaux. Le texte ne résout pas du tout la question des flux à long terme. De plus, la mise en place d’un système de remplacement de l’actuel règlement de Dublin laisse une marge de manœuvre importante aux États. La récente initiative du Danemark de sous-traiter les demandes d’asile à des pays tiers montre tout le cynisme auquel on peut aboutir.
De fait, la voie d’un compromis entre des pays aux intérêts divergents et aux opinions publiques clivées semble étroite. Il y a pourtant urgence, d’autant plus que, au vu du rapport de la Cour des comptes, qui dresse un constat sévère de l’action de l’agence Frontex, certaines dispositions sont à modifier.
Le Parlement européen, qui a récemment débattu de la situation dramatique sur les voies migratoires en Méditerranée, a mis en avant des solutions, telles que le déploiement d’un mécanisme européen de sauvetage en mer ou la décriminalisation de l’assistance humanitaire. En effet, selon nous, la non-assistance à personne en danger est un crime et pas une manière de gérer les frontières.
Enfin, sur le plus long terme, le Parlement a également proposé de renforcer les voies légales menant à l’Europe, ce qui suppose une véritable politique européenne d’asile et d’immigration.
En conclusion, je voudrais rappeler les trois points de vigilance qui sont les nôtres : l’urgence sociale appelle une redéfinition de la croissance ; la réorientation stratégique appelle à réformer les politiques industrielle, agricole et commerciale, ainsi que celle de la recherche et du développement, et à donner des moyens budgétaires propres à l’Union ; enfin, l’affirmation des fondements de l’État de droit tant sur le plan international qu’en interne est une nécessité. Ces points constituent le triptyque d’un avenir européen qu’il reste à forger. Nous voudrions que la France joue un rôle efficace dans cette entreprise. Tel est le sujet sur lequel nous souhaitons vous interroger. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, le Conseil européen se réunira les 24 et 25 juin prochain et examinera la question de la liberté de circulation, notamment la réforme de l’espace Schengen ou encore le pacte sur la migration et l’asile, sujet que j’aborderai dans un second temps. Bien évidemment, la question des déplacements au sein de l’Union européenne en cette période de crise sanitaire sera également évoquée. C’est sur ce thème que je souhaite ouvrir mon propos, même si beaucoup d’éléments ont déjà été rappelés.
Si l’épidémie commence à perdre de l’ampleur en Europe, notamment grâce aux campagnes de vaccination, il faut rester vigilant et prendre certaines mesures pour limiter les risques de reprise. C’est l’une des raisons pour lesquelles il a été décidé de mettre en place un certificat dit « vert ». Celui-ci permettra aux citoyens européens de prouver, soit qu’ils sont vaccinés, soit qu’un test a montré qu’ils étaient négatifs à la covid, soit qu’ils se sont remis de la maladie et possèdent donc des anticorps. Les ressortissants européens disposant de ce certificat pourront alors circuler dans l’Union européenne, mais aussi en Islande, au Liechtenstein et en Norvège, ainsi qu’en Suisse si les négociations aboutissent.
Il faut saluer le fait que la vaccination ne sera pas obligatoire pour circuler. En offrant la possibilité de voyager également en présence d’un test ou d’un certificat de récupération, l’Union européenne laisse plusieurs options à ses citoyens. Il me semble qu’un arbitrage équilibré a été trouvé entre libertés fondamentales et sécurité sanitaire.
Plusieurs garanties ont en outre été mises en place, telles que la limitation aux seules données médicales permettant d’attester de l’absence de contamination à la covid-19, la protection des données personnelles ou encore la limitation de la durée durant laquelle le certificat pourra être exigé. Cependant, il reste à mon sens quelques points de vigilance, ainsi que des écueils à éviter si nous souhaitons préserver au maximum les libertés de nos concitoyens.
Ainsi, la question de la gratuité des tests se pose. Si les ressortissants français disposent de tests gratuits lorsqu’ils les effectuent en France, tous les États membres n’ont pas fait le même choix. Il existe par exemple des pays où les tests sont gratuits uniquement en cas de symptômes de la covid, mais pas lorsque le test est effectué en vue d’un déplacement. Pourtant, en l’absence de généralisation de la gratuité des tests dans l’ensemble de l’Union européenne, nous prenons le risque de favoriser les personnes ayant les moyens de faire des tests, tandis que les plus défavorisés ne pourront en réalité pas jouir pleinement de leur liberté de circulation, puisqu’ils n’auront pas les fonds nécessaires pour se faire tester. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer si la France soutiendra la gratuité des tests dans l’ensemble des États membres ?
Je souhaite aborder, en second point, la question des régions transfrontalières. Comme vous le savez certainement, le sujet me tient à cœur en raison de la proximité de mon département, la Haute-Savoie, avec la Suisse et l’Italie.
Il existe à ce jour une règle dite « des bassins de vie frontaliers », qui a été une réussite. Celle-ci prévoit que, pour les personnes résidant à moins de trente kilomètres d’une frontière, la présentation d’un justificatif n’est pas nécessaire pour se rendre dans le pays frontalier. Il était en effet obligatoire non seulement de permettre aux travailleurs frontaliers de se rendre à leur travail, mais également de permettre aux habitants de ces régions de conserver leurs habitudes de vie, en les laissant aller voir leurs proches dans l’autre pays ou encore continuer à effectuer leurs achats dans l’État de leur choix.
Cette règle était nécessaire pour préserver la liberté des habitants de zones frontalières. Je tiens à souligner l’importance de son maintien a minima. Je pense même qu’elle devrait être assouplie. Je vous ai d’ailleurs envoyé un courrier à ce sujet, monsieur le secrétaire d’État, sans réponse à ce jour.
De fait, si la limite de trente kilomètres était justifiée au plus fort de la pandémie, elle semble désormais trop limitative. Il paraît en effet injuste que les personnes situées à seulement quelques kilomètres au-delà de cette limite ne puissent pas jouir des mêmes droits que les personnes se trouvant dans le même bassin de vie. À titre d’exemple, sur les deux cent soixante-dix-huit communes du département de la Haute-Savoie, il n’en existe qu’une seule dont aucun des habitants n’est frontalier. Plusieurs d’entre elles se situent à plus de trente kilomètres d’une frontière, et même les habitants qui ne travaillent pas en Suisse s’y rendent de manière assez régulière pour diverses raisons.
Puisque la situation sanitaire est désormais plus stable, il serait opportun d’étendre cette dérogation à l’ensemble des habitants d’un département ayant une frontière avec un autre État. La Suisse semble y être favorable.
Les restrictions de liberté que cette règle instaure paraissent aujourd’hui disproportionnées. Imposer à ces habitants de présenter un certificat vert chaque fois qu’ils souhaitent se rendre dans un État voisin est trop contraignant et porte une atteinte trop importante à leur liberté de circulation.
L’été dernier, une exonération de justificatif avait été mise en place pour les habitants des départements frontaliers : aucune difficulté particulière n’avait été constatée. Rien ne semble donc s’opposer à ce que cette règle « du bassin de vie » soit abandonnée au profit d’une exonération pour l’ensemble des résidents d’un département frontalier.
Monsieur le secrétaire d’État, lors du Conseil européen, le Gouvernement plaidera-t-il en faveur d’un assouplissement des règles de circulation pour les habitants des départements frontaliers ?
Dans un autre registre, je voudrais aborder la question de la réforme de l’espace Schengen, ainsi que celle du pacte sur la migration et l’asile.
Si l’espace Schengen est l’une des principales réalisations de l’Union européenne et une avancée incontestable pour le marché intérieur, nous en connaissons tous les lacunes. Les menaces terroristes ayant émergé ces dernières années, la crise migratoire de 2015 ou encore la pandémie ont mis en lumière les défaillances de ce système. Sans bien entendu revenir dessus, il est absolument nécessaire de prévoir des ajustements pour les pallier.
La situation est bloquée depuis l’échec de la réforme du code Schengen de 2017. Il est urgent que la Commission apprenne des erreurs qu’elle a commises avec ce premier projet, et ce tout particulièrement si l’on veut une application plus flexible des règles conduisant au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures. Sinon, il est certain que la réforme sera un nouvel échec.
L’interopérabilité, qui avait été promise pour 2019, mais dont nous n’avons toujours pas vu la couleur, doit également être mise en œuvre le plus rapidement possible.
Enfin, la coopération policière et le renforcement de Frontex et d’Europol seront primordiaux si nous souhaitons faire preuve d’une réelle efficacité au niveau des contrôles aux frontières extérieures et, ainsi, éviter un rétablissement trop fréquent des contrôles aux frontières intérieures, dont les effets négatifs pèsent sur le fonctionnement de l’espace Schengen.
Concernant le pacte sur la migration et l’asile, il est là encore nécessaire de tirer les conclusions de l’échec du paquet Asile de 2016.
La gestion de la situation migratoire reste insuffisante. Seule une réforme en profondeur permettra d’y remédier. Les discussions restent compliquées à ce jour, alors que la question devient de plus en plus urgente, comme en témoigne l’arrivée de milliers de migrants à Ceuta il y a quelques semaines. Bien que l’on ne puisse que saluer la volonté du Portugal de trouver une solution d’ici à la fin de sa présidence du Conseil de l’Union européenne, je suis malheureusement pessimiste quant à la possibilité d’obtenir un accord rapide, en raison des dissensions internes que nous ne connaissons malheureusement que trop bien.
La Slovénie prendra prochainement la présidence du Conseil, mais il est une fois de plus peu probable qu’un accord soit trouvé durant ce mandat. Les espoirs reposent donc sur la présidence française qui débutera en 2022 : il est absolument nécessaire que le Gouvernement anticipe et prenne le leadership à ce sujet.
Pourtant, j’ai cru comprendre que votre ministère ne pensait pas parvenir à un accord d’ici à 2022 et pencherait davantage en faveur d’une solution externe, via des partenariats avec des pays tiers. Bien sûr, aucune piste ne doit être laissée de côté. Loin de moi l’idée de fustiger ces partenariats, mais nous avons constaté les limites de cette politique lors des récentes actions de la Turquie et du Maroc. C’est pourquoi je souhaite insister sur l’absolue nécessité de ne pas relâcher nos efforts pour parvenir à un accord en interne.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous assurer que la voie qui mène à un accord interne ne sera pas abandonnée sous la présidence de la France ? Par ailleurs, quelle sera la position du Gouvernement en ce qui concerne la réforme de l’espace Schengen et, plus précisément, les règles entraînant le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures ? Plaiderez-vous pour l’accélération de la mise en œuvre de la réforme ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le choix de l’Union européenne d’engager un plan de relance est apparu à chacune et à chacun comme une décision majeure permettant, dans un moment difficile, de retrouver confiance dans la construction européenne. Les conditions dans lesquelles ce plan a été ratifié, qui ont été particulièrement laborieuses, notamment les discussions relatives à la conditionnalité des aides au regard des droits de l’homme, ont laissé beaucoup d’entre nous perplexes. Cela étant, je salue la ratification désormais définitive du plan de relance par l’ensemble des pays européens, puisque l’Autriche et la Pologne l’ont approuvé le 27 mai dernier – vous y avez fait référence, monsieur le secrétaire d’État.
Plusieurs questions vous ont déjà été posées au sujet du plan de relance européen. Pour ma part, je voudrais évoquer deux points.
Le premier a trait non pas tant aux 40 milliards d’euros qui seront versés à notre pays ou à la première tranche de 5 milliards d’euros qu’il recevra – nous avons bien compris tout cela – qu’à la manière dont ces fonds seront déployés au sein de notre pays. J’aimerais en effet comprendre, sur un plan plus pratique, comment cela va se passer.
On nous a parlé d’une règle tendant à éviter – ce que l’on peut concevoir – toute superposition des programmes de financement. Or, demain, notre pays sera amené à gérer des crédits européens, qui proviendront de l’enveloppe allouée au plan national dit « pour la reprise et la résilience » – pour employer des termes techniques –, mais aussi les fonds de la politique de cohésion 2021-2027, voire les reliquats des fonds de cohésion de la période 2014-2020.
Le Sénat et les élus locaux ont une assez mauvaise expérience de la mise à disposition des fonds européens, en particulier les crédits versés au titre des fonds de cohésion ou des politiques régionales. J’avoue que nous ne souhaiterions pas rencontrer les mêmes difficultés s’agissant de la répartition des crédits du plan de relance.
En d’autres termes, comment ces fonds seront-ils gérés ? Dans quelle mesure notre pays et l’Europe seront-ils capables d’assouplir les dispositifs existants ? Nous avions longuement interrogé votre prédécesseur, Mme de Montchalin, à ce sujet. Si celle-ci se voulait être très moteur sur le sujet à l’époque, elle a depuis été appelée à d’autres responsabilités, et je ne suis pas tout à fait certain que l’on nous ait répondu sur la meilleure manière de simplifier les circuits de financement ou de répartition des crédits du plan de relance.
Le second point concerne les modalités de remboursement de ces nouveaux financements.
Je ne vais pas répéter les arguments excellemment développés par les précédents orateurs au sujet du plan de relance et des annonces faites à propos d’une fiscalité minimale mondiale – nous n’en sommes actuellement qu’au stade du projet, même s’il est vrai que l’évolution est significative. Je voudrais simplement m’assurer que ces nouvelles ressources ou que cette fiscalité potentielle ne nous seront pas proposées deux fois
Je m’explique : une fois les crédits du plan de relance consommés, il faudra bien sûr les rembourser. On nous a indiqué que le remboursement des aides devrait provenir de recettes nouvelles de l’Union européenne, au premier titre desquelles figure la taxe sur le numérique, la fameuse taxe Gafam. Or, désormais, on nous raconte que la solution consiste à mettre en œuvre un taux minimal mondial d’impôt sur les sociétés, qui est présenté comme un supplément potentiel de recettes pour les différents pays. Monsieur le secrétaire d’État, vous m’avez compris : soit les ressources tirées de l’instauration de cet impôt minimum nous permettront de contribuer au remboursement des mesures de relance au niveau européen, soit elles seront affectées au budget national. Ces ressources budgétaires ne pourront pas servir deux fois, c’est-à-dire à la fois au niveau national et au niveau européen. (Sourires.)
Je voudrais également aborder la question du pass sanitaire européen, que vous avez, comme plusieurs des précédents intervenants, abordée dans votre propos introductif. Il convient bien sûr de le distinguer totalement du pass sanitaire franco-français, qui doit disparaître le 30 septembre prochain. Je pense que le Parlement serait passablement irrité si ce pass était prolongé au-delà de cette date, car cela contribuerait à entretenir la confusion entre les deux dispositifs, européen et national.
Nous avons bien compris le code couleur – vert, orange et rouge – qui déterminera la manière dont la France accueillera les personnes arrivant des pays correspondant à ces différentes catégories. Mais, en sens inverse, quid de l’accueil des Français dans les pays concernés ? Comment se négocieront les mesures de réciprocité avec ces États ? Seront-elles négociées directement par notre pays ou par l’Union européenne, qui, par exemple, pourrait traiter directement avec des pays comme les États-Unis ou la Chine ?
Au-delà des plaisirs liés au tourisme, les familles, les particuliers et les entreprises se déplacent aujourd’hui partout dans le monde. Ce sujet revêt donc une importance pratique.
Comme plusieurs orateurs, j’aimerais évoquer le cas de la Biélorussie.
Je veux insister sur la notion de sanction. Dans votre propos liminaire, monsieur le secrétaire d’État, vous avez souligné que le Conseil européen avait réagi rapidement et fortement en prenant des sanctions. J’avoue ne pas partager totalement votre approche : l’annonce de la fermeture de l’espace aérien européen aux avions biélorusses me paraît constituer une sanction peu dissuasive. Quant au fait de sanctionner tel ou tel dirigeant biélorusse, c’est bien entendu purement symbolique. Les seules sanctions efficaces sont économiques et s’appliqueraient aux entreprises biélorusses.
Il y a aussi derrière cette crise une question de confiance entre nous et les pays baltes. En outre, les événements récents posent un énorme problème en termes de souveraineté et de droits de l’homme.
Tout le monde connaît la situation dramatique en Biélorussie dans ce domaine, mais tout de même ! Détourner un avion européen – il s’agit, je vous le rappelle, d’un avion irlandais effectuant un vol d’Athènes à Vilnius – est une atteinte extrêmement grave à la souveraineté de l’Union européenne. La réponse qui a été faite me paraît très insuffisante à ce jour : je serais très heureux de connaître votre sentiment à ce sujet.
Je veux dire un mot, pour terminer, sur les migrations. Je ne suis pas sûr que vous ayez quelque chose à nous annoncer à propos de l’évolution du pacte migratoire. En revanche, mes collègues ont évoqué à plusieurs reprises la question de Frontex.
Il est très difficile pour nous de comprendre exactement ce qu’il en est de cette agence : Frontex est-il un formidable outil en cours de construction, qui pourra compter sur 10 000 gardes-frontières d’ici à 2027 ? Frontex est-il au contraire une agence destinée à masquer une forme d’incapacité à traiter les questions migratoires ?
Les critiques adressées explicitement à Frontex aujourd’hui – il n’est qu’à voir le rapport de la Cour des comptes européenne – sont-elles ou non justifiées ? Doit-on y voir une tentative de déstabilisation de l’agence au moment où celle-ci a adopté une position plus ferme dans le conflit opposant la Turquie et la Grèce ? En bref, quelle analyse le gouvernement français fait-il de l’évolution de Frontex et quelles sont les perspectives qui seront les vôtres à cet égard ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je m’attarderai plus longuement sur le premier point de mon intervention, la lutte contre la covid-19 et la libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne, que sur les suivants. En effet, avec deux de mes collègues, René-Paul Savary et Véronique Guillotin, nous avons rédigé un rapport au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, qui montre tout l’intérêt des outils numériques pour tenter de tempérer les effets d’une crise comme celle que nous vivons.
À l’occasion du Conseil européen, monsieur le secrétaire d’État, vous allez très certainement discuter du passeport sanitaire, à ne pas confondre avec le pass sanitaire qui sera nécessaire en France pour accéder à certains lieux. Certes, moins « high-tech » que les algorithmes de contact tracing, mais sans doute beaucoup plus importants pour la sortie de crise, ces deux dispositifs numériques reprennent tout simplement le principe ancien du carnet de vaccination au format papier, en y ajoutant d’autres critères comme les tests et la preuve d’infection, et en garantissant un haut niveau de sécurité et de fiabilité. Il s’agit nécessairement d’instruments clés en vue de la réouverture des frontières.
Le 17 mars 2021, la Commission européenne a présenté son projet de « certificat vert numérique », dont l’objectif est de faciliter la libre circulation, en toute sécurité, à l’intérieur des frontières de l’Union européenne. Le projet présenté par la Commission européenne a été adopté par le Parlement européen le 29 avril. Deux jours plus tôt, la France, qui y était initialement opposée, devenait le premier État membre à présenter par anticipation un dispositif correspondant partiellement – je précise bien : « partiellement » ; j’y reviendrai. Si les négociations ne sont pas tout à fait terminées à ce jour, le certificat vert devrait en principe permettre aux Européens de voyager au sein de l’Union européenne à compter du 1er juillet 2021.
On a constaté des évolutions sensibles au sein des États membres. À l’instar de la France, l’Allemagne ou les Pays-Bas avaient eux aussi exprimé de fortes réserves sur un tel dispositif, en insistant notamment sur les risques que celui-ci ferait peser en termes de droits et de libertés. À l’inverse, les pays très dépendants du tourisme, comme la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, ont très tôt appelé à la mise en place d’une solution de ce type au niveau européen. Ils l’ont parfois même déjà adoptée à l’échelon national. La Grèce a par exemple signé un accord bilatéral avec Israël en ce sens.
Le certificat vert européen a vocation à être intégré dans les différentes applications nationales : d’un point de vue technique, on ne développe donc pas d’application européenne. En revanche, le projet prévoit la mise en place d’un portail européen pour assurer la compatibilité des pass nationaux entre eux, afin que les autorités d’un État membre puissent vérifier l’authenticité du document présenté par le ressortissant d’un autre État.
Le développement de cette infrastructure a été confié à deux entreprises allemandes, qui étaient déjà à l’origine de l’application allemande Corona–Warn–App – l’équivalent de notre application TousAntiCovid –, ainsi que du portail permettant l’interopérabilité de toutes les applications de contact tracing, à l’exception de la nôtre, TousAntiCovid.
Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais revenir sur ce point et vous demander si la France est prête à adopter une solution technologique que je qualifierais d’« européenne ». En effet, le choix français d’un protocole souverain – pour les plus initiés, il s’agit du protocole Robert – interdit toute interopérabilité avec les applications d’un autre pays. Ainsi, toutes les applications européennes sont compatibles entre elles, sauf la nôtre : une personne voyageant dans un autre pays européen que le sien n’aura pas à télécharger de nouvelle application, sauf si elle vient en France ! Elle devra alors télécharger l’application TousAntiCovid. Pendant la crise, permettez-moi de remarquer que cette spécificité française n’a pas aidé à l’identification des chaînes de contamination.
Que les infrastructures informatiques des différents systèmes de santé ne soient pas compatibles entre elles, c’est un fait contre lequel on ne peut pas grand-chose à court terme. En revanche, il me semble que les smartphones sont les mêmes partout au sein de l’Union européenne : refuser d’en tirer profit est un choix difficilement justifiable.
Par ailleurs, la Commission européenne indique que le certificat vert constitue une mesure temporaire, qui sera suspendue dès que l’OMS aura déclaré la fin de l’urgence sanitaire internationale. Je me demande pourquoi, puisqu’il a été mis en place sur le plan technique, on ne maintient pas a minima ce système en état de veille : il serait ainsi prêt à être réactivé facilement en cas de nouvelle menace épidémique.
La flexibilité et la fiabilité du dispositif en font un candidat naturel pour remplacer les multiples dispositifs existants, tels que le carnet de vaccination ou encore le certificat jaune mis en place sous l’égide de l’OMS pour la fièvre jaune. Il serait ainsi possible d’attester très facilement du respect des milliers de critères sanitaires fixés par tous les pays du monde et d’intégrer l’ensemble aux systèmes d’information des compagnies aériennes et des gestionnaires d’infrastructures, ce qui contribuerait ainsi à fluidifier le parcours des voyageurs.
La politique européenne en la matière dépend également des mesures de réciprocité appliquées par certains pays. Or il est probable que d’autres pays feront le choix de se doter d’un dispositif pérenne, à commencer par la Chine, qui l’a annoncé très tôt, ou les pays dont la situation sanitaire le requiert.
Bien entendu, si le passeport sanitaire devait à terme devenir aussi nécessaire pour voyager qu’un titre d’identité, il faudrait alors répondre à de nombreuses questions, notamment celles qui concernent la protection des droits et des libertés des voyageurs.
Voilà, monsieur le secrétaire d’État, des réflexions qui pourraient être menées avec nos partenaires européens.
Je passerai plus rapidement sur le sujet de la relance économique, car un certain nombre de points ont déjà été soulevés. Je voudrais simplement formuler deux remarques à propos du financement du plan Next Generation EU.
S’agissant de la future recette tirée du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre de l’Union européenne, j’ai rappelé en commission des finances, lors de la présentation de mon rapport pour avis sur le projet de loi Climat et résilience, que près de 44 % des quotas sont aujourd’hui attribués gratuitement au secteur aérien. Il faudrait que nous et nos partenaires européens conduisions une réflexion d’ensemble. La délivrance de ces quotas à titre gratuit pourrait en effet permettre d’atteindre l’objectif que nous nous fixons avec l’article 35 du projet de loi Climat, à savoir de faire en sorte que les entreprises du transport aérien s’acquittent d’un prix du carbone suffisant en privilégiant un dispositif européen.
Ma seconde remarque porte sur la révision à la baisse de certains budgets pour financer la relance, tout particulièrement le secteur clé de la recherche. Le programme Horizon Europe, dont le montant initial devait atteindre 150 milliards d’euros en 2017, s’élève aujourd’hui à 95 milliards d’euros après plusieurs rabotages successifs. Certains observateurs soulignent le décalage entre les plans de relance européen et états-unien. L’Europe donne parfois l’impression d’avoir du retard, notamment dans certains domaines stratégiques comme celui des semi-conducteurs, dans lequel les États-Unis investissent 50 milliards d’euros.
Le Président de la République, Emmanuel Macron, et le président du Conseil italien, Mario Draghi, ont tous deux appelé au lancement d’un plan d’investissement à la suite du plan de relance, afin de permettre à l’Europe d’atteindre ses objectifs, notamment celui de la neutralité carbone en 2050. Le ministre de l’économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire, a tenu des propos analogues devant la commission des finances, citant pêle-mêle plusieurs secteurs dans lesquels la France et l’Europe devraient investir.
Je partage cette vision, et j’ai eu l’occasion de le dire la semaine dernière à l’occasion du débat sur le pacte Vert européen. Seule l’innovation permettra de réduire nos émissions de gaz à effet de serre.
Pour conclure, je souhaite évoquer un dernier sujet en tant que président du groupe interparlementaire d’amitié France-Liban. Je voudrais savoir si le prochain Conseil européen sera l’occasion d’aborder la situation du Liban. En effet, la France a décidé, pour l’instant seule, de mettre en place des sanctions vis-à-vis des personnalités politiques responsables du blocage politique actuel. Ce sujet a été évoqué à plusieurs reprises, notamment au sein du groupe Maghreb-Machrek du Conseil puis lors du conseil Affaires étrangères du 10 mai dernier. Pouvez-vous nous indiquer si ce thème sera à l’ordre du jour de la réunion ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je parlerai bien sûr de la politique agricole commune, un sujet qui peut sembler hors sujet par rapport aux interventions précédentes, sauf qu’à y regarder d’un peu plus près cette politique pourrait conditionner d’éventuelles migrations, qui pourraient venir perturber des territoires comme les nôtres, et qu’elle présente un intérêt en termes de souveraineté alimentaire, en particulier dans le contexte lié à l’épidémie de la covid-19.
Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais vous rappeler quelques éléments historiques.
Il y a un peu moins de quatre ans, en juillet 2017, le Président de la République, dans un discours resté célèbre, le discours de la Sorbonne, avait fait quelques remarques spécifiques sur la politique agricole commune. Ces formules ne sont pas restées sans résultat.
Le Président de la République avait tout d’abord insisté sur la nécessité d’ouvrir de nouvelles perspectives budgétaires au niveau européen pour conduire d’autres politiques. Par définition, l’Europe écoute, et, puisque le premier budget de l’Union est celui de la politique agricole commune, il paraissait évident qu’il faudrait peut-être l’abaisser pour faire autre chose.
Le résultat est là : la diminution du budget de la PAC est réelle puisque, je vous le rappelle, celui-ci diminuera d’environ 9 % en euros constants entre la période 2014-2020 et la période 2021-2027. Alors, certes, en exprimant les montants en euros courants, on parvient toujours à se rassurer, mais la réalité, pour les exploitations, c’est une baisse des aides et une augmentation des charges en euros constants. Il faut aussi noter que cette baisse de 9 % viendra s’ajouter à la diminution de 9 % des crédits que ce budget a déjà subie entre la période 2007-2013 et la période 2014-2020, ce qui représente au total un recul de plus de 18 % du montant des aides versées au titre de la PAC en quelque treize ou quatorze ans.
Le Président de la République avait également mis l’accent sur la « subsidiarité », un nouveau mot qui avait d’ailleurs eu encore plus de retentissement : grâce à la subsidiarité, la politique agricole commune, qui présentait l’avantage d’être commune, le deviendrait de moins en moins. Malheureusement, comme je crois vous l’avoir déjà dit, monsieur le secrétaire d’État, la réalité est là.
Pour la France, comme le ministre de l’agriculture l’a annoncé dans son plan stratégique, le transfert des crédits du premier vers le second pilier de la PAC va être limité à 7,53 %. Cette décision me convient et me semble une bonne chose. En revanche, comme je l’avais également prédit, les véritables intentions pouvaient se dissimuler derrière la subsidiarité. Par exemple, la Pologne a décidé de transférer 25 % des crédits du second vers le premier pilier de la PAC, incitant ainsi ses agriculteurs à mettre en œuvre moins de mesures environnementales pour dégager davantage de marges de compétitivité, concurrencer nos marchés et exporter leurs produits vers la France, et ce alors même que, dans la bouche de tous les politiques français, on n’entend parler que de souveraineté alimentaire.
Comme je l’indiquais précédemment, nous pouvons en revanche nous féliciter de l’annonce du ministre de l’agriculture concernant le transfert de budget d’un pilier vers l’autre.
Nous pouvons aussi nous féliciter du maintien du budget de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) dans le cadre de la politique agricole commune : 1,1 milliard d’euros. Là encore cependant, il fallait compter avec les conséquences de la nouvelle politique agricole commune. La Commission s’est en effet bien gardée de maintenir le niveau de sa participation à 75 %, puisqu’elle l’a réduite à hauteur de 65 %, demandant à l’État français, qui a donc apporté sa contribution, de rajouter 108 millions d’euros.
Monsieur le secrétaire d’État, il reste malgré tout des points de vigilance extrêmement importants. Le chaos qui a régné lors des dernières discussions ayant eu lieu il y a quelques jours montre que tous les pays n’ont pas la même position.
Je soutiens la position du ministre de l’agriculture : je suis favorable à un niveau de convergence progressive des aides de 85 %. Nous ne pouvons pas atteindre l’objectif de 100 % aussi rapidement que ce qui est prévu.
Je maintiens aussi qu’il faut accompagner cette convergence d’un mécanisme de limitation des pertes fixé à 30 % : les exploitations ne peuvent pas accepter une différence aussi importante en si peu de temps.
Comme l’ont dit mes prédécesseurs, le trilogue doit se mettre d’accord au sujet des écorégimes : nous ne pouvons pas accepter une approche progressive, partant de 22 % pour s’élever en définitive à 30 %. Il faut un choix clair et des aides disponibles dès le début. Arrêtons de laisser penser aux agriculteurs qu’à un moment donné ils peuvent être accommodés à une sauce et que, cinq ans après, ils le seront à une autre. La meilleure solution serait que l’écorégime s’applique à 25 % du premier pilier.
Il faut prévoir davantage de souplesse au niveau de la gestion des aides européennes. Il n’est pas acceptable que l’on nous oblige à les rembourser, tout cela parce que des règles nationales trop contraignantes nous empêchent de les utiliser. Ce serait en effet une double peine.
Il faut ouvrir la voie à une certaine forme de fongibilité des budgets, de sorte que les fonds auxquels on n’aurait pas eu recours dans le cadre des écorégimes puissent être réemployés dans le cadre d’autres dispositifs : je pense en particulier aux droits au paiement unique. Sinon, cela se traduira, encore une fois, par un appauvrissement de la France au profit de ses voisins européens.
Je voudrais aborder un autre sujet extrêmement important, celui du « couplage » des aides. Si, pendant des années, nous nous sommes posé la question de savoir si l’Europe devait découpler ou coupler les aides, il semble aujourd’hui important que ce couplage soit respecté, et ce de façon extrêmement claire. Il faut appliquer la règle des 13+2 : les aides couplées peuvent être attribuées dans la limite de 13 % de l’enveloppe des aides directes, avec la possibilité d’octroyer 2 % supplémentaires pour la production de protéines.
Nous ne pouvons pas accepter de subir le diktat de l’Europe et de nous voir imposer un couplage différent de celui-là : il aurait des conséquences néfastes sur l’élevage, en particulier sur l’élevage allaitant.
Il faut également inciter à la reconnaissance des mélanges graminées-protéines, qui font la force de notre agriculture de montagne et de notre agriculture en général concernant la culture de l’herbe.
Nous ne pouvons pas accepter non plus que la reconnaissance de l’ICHN ne se traduise que par 40 % de l’ensemble des aides versées au titre du second pilier. Il faut que ce pourcentage atteigne 60 %. L’ICHN participe à la promotion des élevages extensifs et de ce qui fait la beauté de la France.
Comme le temps m’est compté, je ne pourrai pas vous parler de la BCAE 8 et de la BCAE 9. Je conclurai donc en disant que la PAC doit apporter une certaine stabilité aux agriculteurs. Aussi, la PAC doit-elle rester en cohérence avec les objectifs du pacte Vert européen, mais elle ne peut pas sans cesse s’aligner sur des objectifs qui changent au gré du temps et des demandes des ONG.
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Laurent Duplomb. Un quart des crédits du premier pilier seront « verdis » grâce à la sanctuarisation des mesures issues du verdissement déjà engagé. On ne peut pas continuer…
Mme la présidente. C’est fini, mon cher collègue !
M. Laurent Duplomb. … à courir après quelque chose que l’on ne peut pas attraper ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Arnaud Bazin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les Balkans occidentaux ne devraient pas figurer à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, sinon dans les points divers. Pourtant, la question des relations avec les Balkans occidentaux mériterait un véritable débat entre les chefs d’État ou de gouvernement.
Marqués par des conflits meurtriers au cours de l’histoire, situés au carrefour des civilisations et des religions, les Balkans occidentaux constituent une région stratégique au cœur de l’Europe. Cette région soulève des enjeux majeurs en matière économique, de sécurité ou de migrations. N’oublions pas qu’elle a été la principale porte d’entrée vers l’Europe lors de la crise migratoire en 2015.
Vingt ans après la fin des conflits de l’ex-Yougoslavie et du Kosovo, cette région connaît encore de fortes tensions. L’idée de modifier le tracé des frontières ne fait que les raviver. Comme le disait Churchill, cet espace produit « plus d’histoire qu’il n’en peut consommer ».
Depuis quelques années, on constate un affaiblissement de la place et de l’influence de l’Union européenne au profit de puissances comme la Russie, la Chine ou la Turquie, qui considèrent cette zone comme une porte d’entrée vers le marché européen.
Face à ces puissances, l’Union européenne manque de stratégie et ne parle pas d’une seule voix. Ainsi, malgré un accord de principe, l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord et l’Albanie restent bloquées par le veto de la Bulgarie en raison d’un différend bilatéral portant sur la langue macédonienne.
Si les négociations d’adhésion ont été ouvertes avec la Serbie et le Monténégro, la Commission européenne a relevé dans son dernier rapport un manque de progrès, voire des reculs, sur le respect de l’État de droit, la liberté de la presse ou l’indépendance de la justice.
En Bosnie-Herzégovine, le système institutionnel né des accords de Dayton est paralysé, le Kosovo reste divisé et n’est pas reconnu par cinq des vingt-sept États de l’Union européenne.
Ces pays, déjà fragiles, ont été touchés de plein fouet par la pandémie, qui a provoqué une grave récession économique. La corruption y est endémique et ouvre la voie à tous les trafics.
Sans illusions sur son avenir – c’est le plus grave –, la jeunesse ne rêve que de s’exiler en Europe, et la région subit une grave crise démographique.
Si la perspective de l’adhésion à terme de ces pays, lorsque tous les critères seront remplis, doit demeurer un levier, la stratégie de l’Union européenne à l’égard des Balkans ne peut se résumer à l’élargissement. Face à la Russie, à la Chine ou à la Turquie, celle-ci doit pouvoir faire entendre sa voix pour défendre les valeurs de la démocratie, mais également nos intérêts économiques ou énergétiques.
Je voudrais donc vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, au nom du groupe Les Républicains, mais aussi au nom du groupe d’amitié France-Balkans occidentaux du Sénat, présidé par notre collègue Marta de Cidrac, sur la stratégie de l’Union européenne et de la France vis-à-vis des Balkans occidentaux : quelle est la position de la France sur l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord et l’Albanie et sur la question d’une modification du tracé des frontières ? Quelles sont les initiatives que vous comptez prendre, notamment sous la présidence française, pour renforcer l’influence de la France dans cette région ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. J’essaierai de répondre aussi complètement que possible sans être trop long, contrairement à mes mauvaises habitudes. Si nécessaire, madame la présidente, vous me rappellerez à l’ordre… J’aborderai les différents sujets dans l’ordre dans lequel ils ont été évoqués, en croisant les thèmes qui se sont « entrechoqués » dans les différentes interventions.
La question du Brexit a été soulevée à plusieurs reprises, notamment par M. le vice-président Allizard. Oui, nous sommes prêts à envisager des mesures de rétorsion, ce qu’on appelle pudiquement des mesures de compensation ! Elles sont prévues par l’accord. Le vice-président de la Commission chargé du dossier de manière transversale, qui a succédé à Michel Barnier dans le suivi de cette négociation après la mise en place de l’accord, Maros Sefcovic, échange en ce moment même avec le ministre britannique David Frost ; il lui fera part, conformément au sens des messages que nous avons fait passer, de cette option.
Il est fort utile, j’y insiste, que cet accord de commerce et de coopération ait été ratifié par le Parlement européen voilà quelques semaines. Auparavant, étant seulement provisoirement applicable, il ne nous était pas permis juridiquement de réagir en adoptant des mesures de rétorsion, possibilité qui nous est désormais offerte, non pas directement, mais selon des procédures définies. Dès lors qu’un contentieux est engagé, comme c’est le cas, nous pouvons dans l’intervalle mettre en place ce type de mesure. Si nous devions constater une mauvaise volonté du côté britannique dans certains domaines – on l’a vu avec la question de la pêche, on tend à le constater sur le protocole nord-irlandais –, nous pourrions activer cette option, prévue, avec d’autres, par l’accord pour nous protéger. Certes, nous n’agirons pas à la légère, mais nous ne l’excluons certainement pas.
M. le rapporteur général, avec d’autres, a évoqué le plan de relance, la révision des règles budgétaires et d’autres questions qui sont intrinsèquement liées.
Il a fallu dix mois – cela a été rappelé – pour mettre complètement en œuvre le plan de relance. Je le redis, le moment du décaissement arrive, puisque l’émission de dettes, étape très importante, commence ce mois-ci, les premiers versements, pour la France comme pour les autres pays, intervenant à compter du mois de juillet. Auditionné en commission, j’avais dit espérer une ratification complète pour la fin du mois de mai. Nous y sommes.
Je dirai quelques mots des prochaines étapes.
Le plan national de relance et de résilience français, comme ceux de la plupart des États membres, a déjà été soumis à nos partenaires et à la Commission européenne pour échanges. C’est probablement entre le 15 et le 20 juin que celle-ci donnera un avis – favorable, je l’escompte bien – sur ce plan pour que, une fois les opérations d’émission de dettes réalisées, nous puissions commencer à percevoir ces fonds.
L’urgence est de réaliser le plus rapidement possible ces opérations de décaissement. Ce plan est d’ampleur : 750 milliards d’euros, 400 milliards d’euros de subventions, dont plus de 40 milliards d’euros pour la France.
Pour être très clair – le ministre de l’économie a eu l’occasion de le dire également –, ce n’est pas le plan de relance lui-même qu’il faut rediscuter : le cas échéant, nous rouvririons de longues et complexes négociations, cependant que nous avons encore plusieurs centaines de milliards d’euros à dépenser et à investir. En revanche, comme vous l’avez indiqué, madame la sénatrice Lavarde, c’est sur ce point précis que l’Europe pourrait décrocher par rapport aux États-Unis, et non pas au regard des mesures de soutien d’urgence que nous avons mises en place depuis 2020 – et que le Parlement a approuvées –, telles que le chômage partiel, le fonds de solidarité, etc., non plus qu’au regard de la phase de relance immédiate de cette année et des deux prochaines années – le plan de relance européen s’étale sur trois ans. De fait, sans un effort supplémentaire de l’Europe, nos investissements dans les nouvelles technologies d’avenir, les semi-conducteurs, les microprocesseurs, le spatial et, probablement, la recherche médicale pourraient être inférieurs à ceux des États-Unis.
Ce débat, qui sera sans doute ouvert à la fin de l’année, sera en partie traité au cours de la présidence française de l’Union européenne. Un accord devra être conclu entre la France et les autorités allemandes issues des élections du mois de septembre. C’est aussi cela qu’a évoqué le commissaire Paolo Gentiloni.
Ce débat ne doit pas être déconnecté du débat relatif aux règles budgétaires, dont l’intérêt en soi, si je puis dire, n’est pas de savoir ce que doit être « la boîte à outils ». La question est de savoir comment on encadre nos finances publiques dans une zone monétaire commune, comment on dégage des capacités d’investissement dans les technologies d’avenir sans mettre en danger la soutenabilité de nos dettes, comment on révise le pacte de stabilité à cette aune. Par conséquent, le débat sur une capacité commune d’investissement et le débat sur les règles budgétaires sont un seul et même débat. L’aborder seulement sous l’un ou l’autre de ces deux angles serait sans doute une erreur politique et économique : nous devons traiter ensemble à la fois la question de notre capacité d’investissement, au-delà du plan de relance, probablement sur une décennie, et la question des règles budgétaires communes.
S’agissant des ressources propres, sujet abordé à plusieurs reprises en lien avec celui de la relance, des propositions législatives seront formulées dès cet été par la Commission européenne, conformément à la feuille de route définie à la fin de l’année dernière : d’une part, sur ce qu’on appelle parfois la taxe carbone aux frontières ou le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières – ce n’est pas à proprement parler une taxe – ; d’autre part, sur la fameuse taxe numérique.
En lien avec les questions évoquées ce week-end lors du G7, je veux dire un mot de la taxe numérique.
Le débat sur la taxation des seuls GAFA – les grandes entreprises du numérique – devra sans doute être d’une nature nouvelle puisque, pour le dire d’un mot, il s’est élargi autour des deux fameux piliers négociés au sein de l’OCDE. Si c’est finalement la négociation sur l’imposition minimale qui a progressé le plus rapidement, monsieur le sénateur Laurent, ce n’est pas parce que les Américains ont été leaders, mais parce qu’ils s’y sont ralliés. L’accord du G7 n’est qu’un point de départ ; il devra aboutir cet été à l’OCDE, sans doute au mois de juillet. Par la suite, il faudra transposer ces principes internationaux fixés dans ce cadre dans des textes législatifs européens et nationaux. L’Europe devra alors sans doute élargir ses propositions législatives pour traduire ces principes d’imposition minimale, sans se limiter aux entreprises du numérique, même si les GAFA en font partie.
Pour le dire clairement, si accord international il y a – ce que nous souhaitons –, la proposition européenne devra en traduire les principes dans les faits, sans être contradictoire avec celui-ci ou passer à côté. C’est ce à quoi nous veillerons, et nous sommes en discussion à ce sujet avec la Commission européenne.
Ce qui prendra sans doute la forme d’une proposition fiscale de ressources budgétaires supplémentaires propres affectées au remboursement du plan de relance dépassera – je le souhaite – le seul secteur du numérique. C’est ce à quoi doit travailler l’Europe pour être en ligne avec ces négociations internationales.
Je veux dire quelques mots sur la conditionnalité imposée par le plan de relance pour le versement des fonds européens au respect de l’État de droit – et c’est tant mieux –, règle que, avec d’autres, vous avez rappelée, monsieur le président Rapin. Il faut en effet que la Commission accélère dans la finalisation de ses lignes directrices, mais, sans attendre la décision de la Cour de justice de l’Union européenne sur la conformité de ce règlement aux traités européens, celle-ci a commencé à instruire la façon dont seront dépensés les premiers euros du budget européen 2021-2027 et, bientôt, ceux du plan de relance. Il n’y a pas eu de temps perdu dans la procédure.
De même, pour éviter tout risque de confusion, j’indique que, depuis le 1er janvier 2021, l’emploi des fonds issus du nouveau budget européen est soumis à ce mécanisme de vérification du respect de l’État de droit, qui peut donc s’appliquer de manière rétroactive. Par conséquent, l’impunité ne sera pas la règle pendant ces six mois d’instruction administrative et judiciaire.
La question de la covid et les brevets ont été évoqués à plusieurs reprises. Là aussi, soyons concrets et dépassons les polémiques : l’objectif de faire du vaccin un bien public mondial est, me semble-t-il, très largement partagé. En la matière, nous devons faire preuve de fierté en tant qu’Européens et en tant que Français – même si je dissocie le débat partisan français du débat plus large que nous devons avoir sur cette question. En effet, c’est bien l’Europe, notamment grâce à la France, mais pas seulement, qui, par différentes initiatives, a œuvré pour concrétiser depuis un an cette notion de bien public mondial. Cela nous oblige à court terme – et ce n’est pas de la charité ; c’est de la solidarité – à donner aux pays qui en ont besoin des doses de vaccin.
Il faudra certainement en venir à lever les brevets et développer les capacités de production, j’y reviendrai dans un instant, mais, aujourd’hui – je maintiens ce que j’ai dit à plusieurs reprises –, la solution n’est pas là : si nous voulons cibler notamment les publics prioritaires, par exemple les soignants, tout particulièrement en Afrique, nous n’y parviendrons pas en procédant à des dons de vaccin, même s’il n’y a là rien de honteux, mais en levant les interdictions à l’export. Voilà la première mesure à mettre en place ! Nous espérons bien que les Américains le feront, ainsi que nous le leur demandons.
On a reproché à l’Europe une forme de naïveté lorsqu’elle a décidé, dans le cadre de l’initiative solidarité Covax, d’exporter – majoritairement sous forme de dons – des doses de vaccin. Or elle a ainsi amorcé la pompe de la solidarité internationale.
Première étape, donc : donnons des doses de vaccin et levons les interdictions d’export.
Deuxième étape : recourons à des solutions pragmatiques. Ce point fait l’objet, en ce moment, de discussions entre l’OMC et l’OMS en particulier. Le Président de la République a été très clair à ce sujet lors de son déplacement en Afrique du Sud : nous sommes ouverts à toutes les options – transfert de technologies, augmentation des capacités de production. D’ailleurs, la France et l’Europe soutiennent financièrement des initiatives en Afrique du Sud, au Sénégal, en faveur de cette montée en puissance de la production de vaccins.
Ces solutions très concrètes doivent s’inspirer de celles qui ont été mises en place dans la lutte contre le VIH. Par exemple, le mécanisme des licences obligatoires – qui ne s’apparente pas exactement à une levée des brevets – oblige les laboratoires à donner ou à vendre une licence d’exploitation à tout pays qui en ferait la demande, sans qu’ils puissent y faire obstacle.
Troisième étape, qui prendra plus de temps, il faut le dire : la possible levée des brevets. En l’espèce, je n’emploierai qu’une formule, celle qu’a utilisée le Président de la République : aucun élément ni aucune règle de propriété intellectuelle ne sera un obstacle au développement des vaccins. Comme l’a elle-même déclaré la secrétaire au commerce américaine, la discussion que le Président Biden a voulu engager sur cette levée des brevets prendra au moins six mois. Dans cette attente, on ne peut exclure les autres mesures de solidarité : levée des interdictions d’export, licences obligatoires, le cas échéant, puis, possiblement, si cela est utile, levée des brevets.
Certains pays européens y sont encore hostiles – tel n’est pas le cas de la France. Nous pousserons dans cette direction, tout en lançant d’autres initiatives entre-temps.
Je m’aperçois que je suis déjà trop long. Je vais donc dire brièvement un mot sur la politique agricole commune, évoquée par MM. les sénateurs Menonville et Duplomb, sujet sur lequel le ministre de l’agriculture aura l’occasion de revenir.
D’abord, je ne peux pas laisser dire qu’on a laissé sacrifier le budget de la PAC. Certes, on peut débattre de son montant en euros courants et en euros constants, mais ce que perçoit chaque agriculteur doit être apprécié en euros courants – c’est ce qui se retrouve sur son compte en banque ou dans sa poche. Évidemment, il faut prendre en compte l’inflation et l’évolution du pouvoir d’achat. Le taux d’inflation qu’avait retenu la Commission dans ses hypothèses s’est révélé au final bien supérieur à ce qu’il a été en réalité ; par conséquent, le fameux chiffre de 9 % de baisse du budget de la PAC doit être relativisé. En dépit de quelques « sursauts » de l’inflation, celle-ci est aujourd’hui quasi nulle. Donc, bien malin celui qui peut chiffrer exactement l’évolution du budget de la PAC en tenant compte de l’inflation.
C’est toujours ainsi que nous avons raisonné. Peut-être aurait-il été possible d’aller encore plus loin, mais voyons ce qui a été fait : la Commission européenne avait proposé de réduire le budget de la PAC de 15 milliards d’euros sonnants et trébuchants. Or, en euros courants, nous avons remonté la pente et dépassé, en prenant en compte les fonds du plan de relance relevant du deuxième pilier, en euros courants, son niveau de 2014-2020. Cet effort doit être souligné. C’est non pas à la suite des déclarations de la France que la Commission avait proposé de baisser le budget de la PAC ; au contraire, c’est grâce aux efforts de notre pays qu’elle a pu être préservée, notamment les paiements directs à nos agriculteurs.
Ensuite, même si je ne vais pas revenir en détail sur les flexibilités qui sont offertes, je veux tout de même en dire un mot. Tout n’est pas parfait probablement, et le ministre de l’agriculture y travaille, mais, s’agissant des fameux écorégimes, l’idée est de fixer des règles européennes communes, afin que, in fine, le Parlement européen et Conseil s’entendent sur un seuil probable de 25 %. Il est important de souligner leur caractère obligatoire, ce qui est un progrès significatif même si tous les problèmes de concurrence interne ne s’en trouveront pas réglés : ainsi, les règles environnementales applicables en France devront être respectées par tous.
Malheureusement, je ne dispose pas du temps nécessaire pour entrer dans le détail de ces éléments, mais je voulais rappeler ces deux aspects très importants de la nouvelle PAC.
Monsieur le sénateur Fernique, vous avez évoqué un changement de logiciel. Sans entrer dans la polémique, je ne peux pas laisser dire que l’Europe, la France en particulier, est restée à la traîne au sujet de la fiscalité internationale. Les deux piliers OCDE – imposition minimale et taxation des multinationales, notamment du numérique – ont été introduits dans la négociation par la France et l’Allemagne, d’abord, mais aussi par l’Italie et l’Espagne. À cet égard, je vous renvoie aux tribunes publiées par Olaf Scholz et Bruno Le Maire en particulier.
Les Américains, certes à l’époque de l’administration précédente, étaient contre ! C’est toujours celui qui déverrouille la porte qu’il a lui-même verrouillée qui donne l’impression d’ouvrir celle-ci ! Mais enfin, ce n’est tout de même pas nous qui avons posé le verrou au départ ! Au-delà de nos appartenances partisanes, reconnaissons collectivement que ces sujets ont été portés par l’Europe. Or, à l’époque de l’ancienne administration américaine, il était chimérique d’imaginer un consensus international sur un taux de taxation minimum de 12,5 %.
Alors que le taux d’imposition de la France va s’établir à 25 %, on comprend bien qu’il n’est pas dans notre intérêt de pousser en faveur d’un taux harmonisé minimum trop bas. Au contraire, il est de notre intérêt à la fois moral et pour des raisons de compétitivité que ce taux soit fixé à un niveau aussi haut que possible.
Il ne doit y avoir aucun doute sur la détermination de la France et de l’Europe en la matière.
Monsieur le sénateur Gattolin, je crois avoir répondu sur la question d’un second plan de relance et sur la question des investissements.
S’agissant du pass sanitaire, évoqué à plusieurs reprises, je veux tordre le cou à une idée : il n’existe pas deux pass. En revanche, le pass français et le pass européen reposent sur des bases juridiques différentes.
Le premier, selon les règles votées au Parlement, est encadré légalement, a une durée de vie limitée, jusqu’au 30 septembre, et est exigible pour certaines activités seulement, tout autre usage étant illégal. C’est clair ! Et il ne pourra être prolongé ou voir son champ étendu sans approbation parlementaire !
La base juridique du second, le pass européen, procède d’un règlement européen d’application directe.
Dans un souci de simplicité, ces deux pass sont dotés d’un même QR code, qu’il soit dématérialisé ou imprimé sur une feuille de papier. Dès le 21 juin, d’ailleurs, le format français, que certains ont déjà dans leur application TousAntiCovid, sera converti en un format européen pour des questions de reconnaissance et d’interopérabilité.
Pour être très précis, madame la sénatrice Lavarde, le pass européen repose sur une base juridique valable jusqu’à l’été 2022. Je partage votre avis : il ne faut pas le tuer par avance, peut-être sera-t-il encore utile pour circuler ou pour harmoniser un certain nombre d’activités à l’échelle de l’Europe indépendamment de nos activités sociales chez nous, voyages ou autres. Sa durée de vie est limitée, parce que le Parlement européen et le Parlement français ont voulu qu’il soit encadré ; si sa durée de validité devait être prolongée, il faudrait alors une autorisation parlementaire.
Madame la sénatrice Harribey, vous avez évoqué l’urgence sociale. Effectivement, les plans nationaux de résilience et de relance excluent toute mesure de ciblage social stricto sensu – ils contiennent des mesures de ciblage environnemental et numérique. Néanmoins, le plan français contient une part sociale très importante. Ainsi, c’est grâce à celui-ci qu’est financé en partie le plan « 1 jeune, 1 solution ».
De même, je ne veux pas qu’on oublie cet outil européen moins connu, mais très important, qu’est le mécanisme SURE, destiné à soutenir financièrement les assurances chômage des pays européens et qui a déjà décaissé plus de 100 milliards d’euros. Dix-neuf pays ont déjà bénéficié de ce complément des plans de relance – peut-être la France y recourra-t-elle à terme.
Je conclurai mon propos en évoquant les questions migratoires, dont différents aspects ont été abordés.
Il ne faut pas qu’il y ait d’ambiguïté : Frontex est une réponse européenne parmi d’autres – même si toutes n’en sont pas au même stade d’avancement – face à la crise migratoire. Je le dis sans scrupule et sans état d’âme : c’est un instrument de protection commune de nos frontières. Les effectifs de cette agence croissent. Certes, elle est confrontée à des difficultés, à des tensions, des remarques ou des critiques sont formulées sur son management, sur l’exécution de son mandat, sur quelques opérations, mais ne confondons pas tout : que le management de Frontex doive être exemplaire, que le Parlement européen en particulier contrôle son conseil administration, où les États membres sont représentés, son action et vérifie que les opérations de police aux frontières sont conformes aux règles internationales et respectent les droits humains, c’est une évidence. Si des manquements étaient constatés, nous les condamnerions.
Partant, il ne faudrait pas que ce débat dérive vers la remise en cause du rôle même de Frontex, à savoir la police aux frontières. Oui, Frontex doit assurer cette fonction de police européenne aux frontières ! Ce n’est pas une association, ce n’est pas une organisation non gouvernementale – lesquelles exercent d’autres missions – : c’est une organisation de police européenne aux frontières, mission nécessaire. Nous vérifions évidemment chaque fois que celle-ci s’exerce dans le respect des règles juridiques et des personnes.
Quant au pacte sur la migration et l’asile, monsieur le sénateur Pellevat, je n’exclus pas l’idée qu’il en soit débattu sous la présidence française. Nous ferons le point à l’issue de la présidence slovène. Néanmoins, et sans qu’il y ait là contradiction, nous devrons trouver pour l’été des solutions qui passeront sans doute par une rediscussion de l’accord de La Valette, conclu avec un certain nombre de pays méditerranéens – pas seulement, puisque l’Allemagne y est associée –, le but étant de venir en aide à des pays de première entrée tels que l’Italie.
Je rappelle que, depuis 2018, la France est le pays qui a accueilli dans ce cadre le plus grand nombre de migrants réfugiés ou pouvant prétendre à un tel statut aux termes des règles de répartition fixées par l’Europe. Pour autant, par le biais de Frontex ou au moyen d’autres dispositifs de contrôle aux frontières, nos partenaires doivent assumer leurs responsabilités et obligations minimales, en particulier l’enregistrement des personnes qui ont été secourues.
La France apportera son concours en matière de solidarité et de responsabilité.
Cet accord de La Valette, auquel seuls quelques pays sont parties prenantes, ne peut être qu’une forme de rustine provisoire, j’en conviens. Mais, je le répète, l’urgence, avant l’été, c’est de le rediscuter avant de reprendre les négociations du pacte sur la migration et l’asile dans son ensemble.
Monsieur le sénateur Pellevat, vous avez également abordé la situation des frontaliers au regard des tests. C’est une question importante sur laquelle il ne doit y avoir aucune ambiguïté : les mesures que l’Allemagne avait mises en œuvre à l’égard des Mosellans – je cite ce cas, même s’il ne concerne pas le département que vous évoquiez – sont aujourd’hui levées. Dès demain, et c’est une nouveauté, nous allons reconnaître les tests antigéniques pour tous les frontaliers amenés à se déplacer entre nos pays. Pour les déplacements frontaliers du quotidien – travail, courses, rendez-vous médicaux ou familiaux, etc. –, les dérogations existantes demeurent, à savoir l’exception des trente kilomètres et des vingt-quatre heures. Si la situation sanitaire s’améliore encore, nous pourrons – c’est notre souhait – assouplir encore ces dérogations : nous devons faciliter la vie des frontaliers de la Suisse, du Luxembourg et de l’Allemagne en particulier.
S’agissant de la gratuité des tests, que nous pratiquons, il n’existe pas malheureusement de principe général européen en la matière, aucune règle juridique ne permettant de l’imposer aux différents États membres. Lors de la mise en place du certificat sanitaire européen, il a été demandé que ces tests soient d’un « prix abordable » – je reprends les termes utilisés par le Parlement européen. À ce jour, la France compte parmi les deux pays européens où ils sont gratuits. C’est généreux, il faut le reconnaître et le souligner ; c’est aussi une question de sécurité sanitaire, car personne ne doit s’interdire de pratiquer un test pour des raisons financières. Cela irait à l’encontre de notre objectif de protection collective de la société. C’est pour cette raison que nous maintenons ce principe de gratuité.
Madame la sénatrice Lavarde, la situation au Liban n’est pas à l’ordre du jour du Conseil européen, mais elle le sera à celui du conseil Affaires étrangères, auquel participera Jean-Yves Le Drian, le 21 juin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
Monsieur le président, vous m’avez fait signe que vous souhaitiez raccourcir votre intervention. Vous n’êtes pas responsable du temps qu’a pris ce débat ; ne vous brimez pas !
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Je vous remercie de votre sollicitude, madame la présidente, mais, rassurez-vous, considérant qu’une conclusion n’est pas forcément une synthèse, je ne reviendrai pas dans le détail de tous ces débats intéressants.
Monsieur le secrétaire d’État, voilà deux ans, nous craignions avec angoisse l’après-Brexit. Aujourd’hui, c’est avec une même angoisse – teintée d’espoir, cette fois-ci – que nous craignons l’après-covid, au niveau européen en tout cas. Vous nous avez exposé toutes les mesures qui ont été prises. Néanmoins, à la suite des interventions de mes différents collègues, je voudrais vous faire passer deux messages.
S’agissant de l’agriculture, Laurent Duplomb a fait le point sur la PAC, cependant que Pascal Allizard a abordé la question de la pêche, que je me suis interdit d’évoquer. Il est essentiel de revoir ces deux politiques européennes intégrées, qui ont été parmi les premières à être mises en place. Peut-être faut-il justement profiter de ces périodes de l’après-Brexit et de l’après-covid pour envisager le futur.
S’agissant de la politique migratoire, vous nous avez parlé de la mission de Frontex, gardien aux frontières pour empêcher les gens d’entrer sur le territoire européen. Demain, peut-être, entrera-t-il aussi dans ses missions de les empêcher d’en sortir.
Dans les Hauts-de-France – vous avez sans doute reçu des messages d’alerte importants à ce sujet –, on voit se reconstituer très progressivement, jusqu’en Normandie, de nouveaux camps. On peut s’attendre, dans les semaines qui viennent, avec le retour des beaux jours, à ce que tous ces gens, poussés en ce sens par des passeurs, tentent de rejoindre le Royaume-Uni, ces traversées s’avérant de plus en plus dramatiques. C’est là un sujet qui relève pleinement de l’Europe.
Vous avez parlé du pacte migratoire, mais peut-être devrions-nous, en appui des forces de police et de gendarmerie qui n’en peuvent plus d’assurer ces missions de surveillance des migrants tentant d’emprunter ces voies maritimes, solliciter l’aide de Frontex, ce qui serait pour l’agence une mission sans doute nouvelle. Frontex en a les moyens, sans compter que l’Europe pourra peut-être lui en donner encore davantage demain pour ce faire.
Je tiens ces propos en cette journée mondiale de l’océan…
Monsieur le secrétaire d’État, avec l’ensemble de mes nombreux collègues, qui ont fait part de leur intérêt pour ces sujets européens, je vous remercie d’avoir passé ce temps avec nous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI, RDSE et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 24 et 25 juin 2021.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Amélioration de l’économie du livre
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs, présentée par Mme Laure Darcos (proposition n° 252, texte de la commission n° 663, rapport no 662, avis n° 651).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Laure Darcos, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Julien Bargeton applaudit également.)
Mme Laure Darcos, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure – chère Céline –, madame la rapporteure pour avis – chère Martine –, mes chers collègues, « le livre de pierre, si solide et si durable, allait faire place au livre de papier, plus solide et plus durable encore. […] Ceci tuera cela ». Chacun connaît la prophétie de Victor Hugo, qui voit le livre comme l’élément premier et constitutif de la civilisation moderne, comme sa pierre angulaire. Y attenter, c’est mettre un pied dans le vide ou tout déconstruire. Tel est l’enjeu !
Quarante ans après le vote de la loi Lang, qui institua un principe d’équité, je vous propose tout simplement, sur le même principe, de continuer à sauvegarder ce fondement vital de toute culture. Ce propos ne relève pas d’une posture de circonstance. Mon engagement en faveur du livre ne date pas d’aujourd’hui. C’est un secteur d’activité dans lequel j’ai évolué durant bien des années et dont je connais les lignes de force et les fragilités. C’est aussi un univers dont j’apprécie les valeurs et les acteurs, qui œuvrent sans relâche et avec beaucoup d’intelligence pour défendre trois causes essentielles à mes yeux : la connaissance, la création et la diversité des modes d’expression culturelle.
Cette proposition de loi est le fruit de très nombreuses heures de consultations, de débats et de rencontres avec les acteurs de la chaîne du livre et de l’édition musicale : auteurs, éditeurs, détaillants et responsables de syndicats professionnels. Je les remercie de leur disponibilité et de leur engagement à mes côtés pour bâtir un texte équilibré et – je l’espère – pertinent à l’heure de grands bouleversements sanitaires, économiques et technologiques.
Je tiens également à remercier le président du Sénat, Gérard Larcher, le président de la commission de la culture, Laurent Lafon, ainsi que le président de mon groupe politique, Bruno Retailleau : ils ont accepté, non seulement de saisir le Conseil d’État afin de solliciter son expertise juridique, mais également, une fois l’avis de cette instance connu, d’inscrire très rapidement cette proposition de loi à l’ordre du jour de notre assemblée.
Ma gratitude va aussi à mes amies et collègues la rapporteure au fond, Céline Boulay-Espéronnier, et la rapporteure pour avis, Martine Berthet, qui m’ont rejointe dans ce monde du livre et dans l’intérêt passionné qu’il suscite forcément.
Enfin, j’adresse mes chaleureux remerciements à Mme la ministre de la culture, à son cabinet et aux responsables du service du livre et de la lecture. Nous nous connaissons de longue date. Ils m’ont constamment encouragée et accompagnée.
En préambule, je rappellerai que la dernière loi consacrée au livre date de 2014. Le législateur avait alors jugé nécessaire d’intervenir pour encadrer les conditions de la vente à distance des livres. Il avait notamment posé l’interdiction de la décote de 5 % sur le prix fixé par l’éditeur lorsque le livre est expédié à l’acheteur ; sept ans après cette loi de régulation, la proposition de loi que je soumets à votre appréciation est marquée du sceau de la transparence, de la confiance et de la projection dans l’avenir.
La transparence des règles du jeu concurrentiel sur le marché du livre est indispensable. Pour vous en convaincre, je tiens à rappeler que le commerce de détail de livres neufs est caractérisé par une rentabilité médiocre, la plus faible des branches du commerce.
Le bénéfice annuel d’une librairie de taille moyenne employant trois salariés représente 1 % de son chiffre d’affaires, soit environ 5 000 euros. Beaucoup de librairies indépendantes peinent à atteindre l’équilibre et sont menacées de disparition. De nombreux facteurs exogènes pèsent sur leur rentabilité, notamment les loyers, particulièrement élevés dans les centres-villes. Faute de fonds propres suffisants, certains libraires renoncent à moderniser leur magasin ; près des deux tiers ne peuvent avoir recours à des sites de vente à distance et gagner ainsi en visibilité.
Agir pour plus de transparence comme je le propose, c’est en premier lieu mettre fin à une distorsion de concurrence contraire à l’esprit de la loi du 10 août 1981 : la quasi-gratuité des frais de livraison pratiquée par certaines plateformes de e-commerce. La mise en œuvre d’un tarif réglementé de livraison de livres à domicile, tenant compte de la réalité des tarifs des prestataires de services postaux, m’a d’emblée paru une solution d’équité pertinente.
Mes chers collègues, nous le savons tous, Amazon est un acteur important du marché du livre et pratique la livraison à 1 centime d’euro, quel que soit le montant du panier d’achat, obligeant ses concurrents à s’aligner sur ce tarif. Amazon est clairement déficitaire sur ce marché, mais n’en a cure, puisque l’optimisation fiscale qu’il pratique lui permet d’écraser toute concurrence.
Je regrette également que l’Autorité de la concurrence n’ait rien trouvé à redire à une telle anormalité, car cette distorsion de concurrence empêche bel et bien les libraires de développer une offre internet compétitive et de qualité, complémentaire de l’offre en magasin.
Lors des auditions, j’ai entendu l’argument selon lequel Amazon serait le défenseur de la ruralité et des plus modestes. Cette assertion ne convaincra personne à la lumière des chiffres dont nous disposons : si Amazon dessert effectivement les territoires ruraux, son marché principal se trouve dans les grandes agglomérations et auprès des catégories socioprofessionnelles favorisées, lesquelles sont parfaitement capables d’absorber une augmentation des tarifs de livraison.
Ce sont bien la préservation de la diversité culturelle, le maintien de l’accès de tous les citoyens à la culture et la vitalité de l’économie locale dans les centres-villes et les centres-bourgs qui sont ici en jeu.
Agir pour plus de transparence, c’est également garantir au consommateur un affichage du prix du livre cohérent et dépourvu de toute ambiguïté sur les sites de vente à distance de livres neufs et d’occasion. Trop souvent, l’acheteur doit faire face à une confusion, parfois volontairement entretenue, en matière de prix. Or – faut-il le rappeler ? – le prix du livre neuf est un prix unique, fixé par l’éditeur ou l’importateur, conformément aux dispositions de la loi Lang. Je propose une clarification en la matière.
Agir pour plus de transparence, enfin, c’est mieux encadrer la pratique des soldes de livres et empêcher le contournement de la loi par un éditeur qui, sans modifier le prix fixé par lui en tant qu’éditeur, voudrait procéder à des ventes directes à prix cassé comme détaillant.
Ma proposition de loi est également marquée du sceau de la confiance à l’égard des acteurs du livre et de l’édition musicale.
L’article 3 s’emploie à faire évoluer certaines règles applicables aux relations entre auteurs et éditeurs dans les domaines du livre et de la musique, avec l’objectif d’établir entre eux des relations à la fois loyales et équilibrées.
Parmi les mesures favorables aux auteurs dans le secteur du livre, je propose, d’une part, l’amélioration de l’information qui leur est due sur l’exploitation de leurs œuvres et le montant de leurs droits en cas de cessation d’activité d’une maison d’édition ; d’autre part, la reprise de ses droits par l’auteur lorsque la maison d’édition avec laquelle il est sous contrat a cessé son activité depuis plus de six mois ou lorsqu’une liquidation judiciaire a été prononcée.
Ma proposition de loi tire par ailleurs les conséquences du nouvel accord interprofessionnel signé le 29 juin 2017 entre le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l’édition. Cet accord porte à la fois sur la provision pour retours d’exemplaires invendus et sur la compensation des droits issus de l’exploitation de plusieurs livres, plus communément appelée compensation intertitres. Désormais, le contrat d’édition ne pourra prévoir la provision pour retours qu’à condition d’en déterminer le taux et l’assiette ou, à défaut, la méthode de calcul. La compensation intertitres est quant à elle exclue, sauf convention contraire conclue entre l’auteur et l’éditeur et distincte du contrat d’édition.
Ma proposition de loi ouvre enfin la possibilité, pour les auteurs et les organisations de défense des auteurs, de saisir le médiateur du livre en cas de litige portant sur l’application des lois du 10 août 1981 relative au prix du livre et du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique. Curieusement, la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation ne les avait pas mentionnés. L’élargissement de la saisine du médiateur du livre fait consensus et concourt au renforcement de la confiance entre auteurs et éditeurs.
Concernant les relations entre auteurs et éditeurs dans le secteur de l’édition musicale, le présent texte complète le code de la propriété intellectuelle afin de tirer toutes les conséquences de l’accord signé le 4 octobre 2017 par les organisations professionnelles représentatives des éditeurs de musique et des auteurs d’œuvres musicales. Cet accord, qui prend la forme d’un code des usages et des bonnes pratiques de l’édition d’œuvres musicales, clarifie les relations contractuelles entre ces parties.
En préambule, j’évoquais la nécessité de se projeter dans l’avenir. Se projeter dans l’avenir, c’est conforter la présence du livre au cœur même de nos communes et préserver sur l’ensemble du territoire un réseau dense de détaillants. Les 3 300 librairies indépendantes de France sont un joyau qu’il nous faut défendre et soutenir sans faillir contre la dictature de l’algorithme et l’uniformisation des contenus, inhérente au modèle économique d’une grande plateforme.
Regardons les choses en face : c’est la diversité culturelle qui est ici en jeu. Rien ne remplace le contact avec le libraire, qui, par ses conseils, joue un rôle d’éveil et éclaire le choix du lecteur. C’est pourquoi j’ai souhaité que nos collectivités territoriales aient la faculté d’accorder des subventions à leurs libraires, comme elles le font pour les petites salles de cinéma grâce à la loi dont notre collègue Jean-Pierre Sueur prit l’initiative.
Enfin, ma proposition de loi modernise les règles du dépôt légal numérique. Il s’agit de permettre aux grands opérateurs que sont la Bibliothèque nationale de France, le Centre national du cinéma et de l’image animée et l’Institut national de l’audiovisuel de poursuivre, avec toute l’efficacité voulue, les missions qui leur sont dévolues : la collecte et la conservation pour les générations futures du patrimoine documentaire de la France.
Lors de l’entrée en vigueur de la loi du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, les contenus numériques étaient très largement accessibles et leur collecte était dépourvue de dispositifs de cryptage. Cette gratuité n’est plus de mise aujourd’hui. De nombreux services et contenus sont devenus payants, à tel point que les organismes dépositaires rencontrent de plus en plus de difficultés pour en organiser eux-mêmes la collecte automatisée. Afin de pallier ces difficultés, je propose de créer, à la charge des déposants, une obligation de transmission des documents numériques non accessibles tout en leur laissant le choix de la procédure de dépôt.
Mes chers collègues, tels sont les enjeux auxquels tend à répondre ma proposition de loi et les objectifs d’équité qu’elle vise. J’espère que vous partagerez mon analyse et que vous pourrez vous associer à ma démarche en faveur du dynamisme culturel de nos territoires et du plus large accès possible de nos concitoyens à la culture. Sinon, je vous répondrai ce que disait Churchill à ceux qui tergiversaient face à l’investissement culturel ou qui ne voyaient là qu’un débat subalterne : « Alors, pourquoi nous battons-nous ? » Telle est la question que je vous pose aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – MM. Jean-Pierre Decool et Bernard Fialaire applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission – cher Laurent Lafon –, mes chers collègues, Laure Darcos a mis dans sa proposition de loi visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs l’enthousiasme et le talent que nous lui connaissons tous. En tant que rapporteure, j’ai moi-même pu mesurer, durant les auditions et tables rondes que j’ai menées, que ce texte était très attendu par tous les acteurs concernés. Il propose en effet la première réforme d’ampleur du monde de l’édition depuis 2014. Nous le savons bien à la commission de la culture, les auteurs, les éditeurs, les libraires, ceux qui font vivre au quotidien le livre, doivent être entendus et préservés comme partie intégrante de notre exception culturelle.
Avec la loi sur le prix unique de 1981, dont nous fêtons les quarante ans cette année, la France s’est dotée d’une législation protectrice, copiée depuis dans de nombreux pays, justifiée par le caractère très singulier du livre dans notre culture. En effet, nous sommes un pays littéraire. C’est d’ailleurs à quelques mètres de notre hémicycle, au détour d’une allée du Luxembourg, que Gérard de Nerval célébrait de sa prose la beauté d’une passante « vive et preste comme un oiseau ». Victor Hugo, qui a siégé ici même, a fait naître dans ce jardin l’amour entre Marius et Cosette dans Les Misérables, et William Faulkner y a imaginé la dernière scène de Sanctuaire.
En un mot, dans notre pays pétri de littérature, et plus encore sur ces travées, il est normal que l’écrit recueille toute l’attention des pouvoirs publics. Dès lors, le politique doit prendre ses responsabilités, car il est essentiel de protéger et de valoriser les acteurs qui font vivre l’écrit.
Avec sa réjouissante ironie, Guy Bedos disait : « Le seul prix qui intéresse vraiment un écrivain, c’est le prix du livre. » (Sourires.) Faut-il y voir un hommage à la loi sur le prix unique ? Peut-être… En tout cas, cette proposition de loi a le mérite de saisir la logique économique du secteur du livre, qui va de l’auteur au lecteur en passant par l’éditeur, le libraire et tant d’autres.
Demain, nous examinerons une proposition de loi de Sylvie Robert, très complémentaire, qui propose une réforme d’ampleur des bibliothèques : c’est ainsi tout le livre qui est valorisé.
Cette économie du livre, remarquons-le, est sans cesse menacée et constamment ressourcée.
Mes chers collègues, revenons quelques années en arrière. À l’arrivée de la télévision, combien de parents ont cru, désespérés, que leurs enfants ne liraient plus ? Il y a dix ans, le livre numérique ne devait-il pas tout emporter sur son passage ? Aujourd’hui, internet et les réseaux sociaux ne suscitent-ils pas une vive inquiétude, tant l’attrait des écrans est grand ? Ces derniers ont même pénétré nos vies. Pourtant, force est de constater qu’à chaque fois l’objet livre survit. Mieux, il se développe, insensible aux modes et au temps qui passe.
C’est à la lueur de ces constats que notre collègue Laure Darcos a déposé une proposition de loi dont l’ambition est d’adapter le monde du livre à notre époque. Son article 1er permet de restaurer une concurrence plus saine et loyale entre les libraires et les grandes plateformes de vente en ligne. Si la vente à distance permet la distribution de livres sur l’ensemble du territoire, pour certains difficiles à se procurer – on ne peut pas le nier –, avec une qualité de service appréciable, nous avons néanmoins cherché à préserver le choix dans le mode d’acquisition de l’ouvrage.
Autrement dit, il était important de réinstaurer un équilibre entre les différents acteurs de la vente à distance et, ce faisant, d’encourager nos concitoyens à aller plus fréquemment dans les librairies. Le journaliste François Busnel décrit très justement cette expérience : « Une librairie, c’est l’endroit où l’on pense trouver ce que l’on cherche et dont on ressort souvent avec des livres auxquels on n’avait jamais songé. » Là est la vraie diversité culturelle. Notre collègue Julien Bargeton notait d’ailleurs dans son rapport pour avis sur le dernier projet de loi de finances une division par trois du nombre de références vendues entre novembre 2019 et novembre 2020, conséquence de la fermeture des librairies pendant une partie de l’année.
Gardons bien à l’esprit que la librairie, c’est la liberté de flâner et de se laisser surprendre, alors que la vente en ligne, c’est la liberté de trouver précisément ce que l’on cherche et seulement cela. L’article 1er vise donc à pérenniser cette distinction, ce qui implique de protéger notre réseau de libraires indépendants, qui, eux, sont présents dans tous les territoires.
Participe également de cet effort l’article 2, qui ouvre aux communes et intercommunalités la possibilité d’aider financièrement les libraires.
L’article 3, pour sa part, procède à une rénovation du contrat d’édition. Il permet de conforter la confiance qui doit exister entre l’auteur et son éditeur, relation aussi nécessaire que complexe. On peut d’ailleurs se féliciter que l’article transpose dans la loi l’accord conclu entre les associations d’auteurs et d’éditeurs en 2017, ce qui signifie que le dialogue social se déroule sans trop d’encombres – tel n’a pas toujours été le cas.
Enfin, l’article 5 actualise et modernise le dépôt légal. Comme je le soulignais en introduction, il s’agit là aussi d’une manière d’adapter la collecte de notre mémoire, de toutes nos mémoires, au monde numérique. Si le champ de l’article dépasse le domaine de l’écrit, il n’en est pas moins intéressant, car il transpose finalement au numérique la politique de préservation instaurée en 1537 par François Ier.
Mes chers collègues, vous le constatez, ce texte ne manque ni de souffle ni d’ambition !
Avant de terminer, je tiens à souligner que j’ai pu bénéficier d’aides précieuses pour vous présenter aujourd’hui mon analyse sur cette proposition de loi.
Tout d’abord, je pense au Conseil d’État, qui, saisi par le président du Sénat, a remis un avis très positif. Je le remercie de la clarté de son propos et du respect qu’il a manifesté à cette occasion pour l’initiative parlementaire.
Ensuite, je pense aux services du ministère de la culture, dont je salue l’aide précieuse. Ils m’ont permis de bien appréhender la complexité de ce secteur et de mener, dans des délais très brefs, un travail passionnant que j’espère abouti.
Enfin, je remercie sincèrement notre collègue Martine Berthet, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. Si nos opinions ont parfois pu diverger, nous avons mené un travail d’écoute, nous avons eu des échanges passionnants, de grande qualité, et nous nous sommes rejointes sur l’essentiel, à savoir la nécessité de préserver un cadre équilibré et spécifique pour le commerce des livres.
Je sais que nos débats de ce jour seront le reflet de ce travail riche, mené dans le sens de l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques s’est saisie pour avis de l’article 1er de cette très intéressante proposition de loi de Laure Darcos.
L’article 1er opère trois modifications. Plus particulièrement, nous nous sommes penchés sur la disposition qui prévoit la fixation, par arrêté ministériel, d’un tarif plancher des frais d’envoi de livres devant obligatoirement être facturé au client. La commission a adopté un amendement qui vise à supprimer cette mesure. Je souhaite vous expliquer le raisonnement qui a conduit à ce choix.
L’article 1er part d’un constat que nous faisons tous : la vente en ligne de livres se développe rapidement – elle atteint à présent environ 20 % du marché, soit 70 millions de livres par an – et peut représenter un danger pour la pérennité de nos librairies indépendantes. Dans ce domaine, le principal acteur, qui fut d’ailleurs initialement une librairie aux États-Unis, vend environ 40 millions de livres par an en France.
Aussi, la question qui se pose est la suivante : comment les librairies indépendantes peuvent-elles rivaliser avec de grands acteurs mondiaux, surtout numériques, lorsque ces plateformes pratiquent des frais d’envoi à 1 centime d’euro ? L’article 1er propose d’y répondre en fixant par arrêté ministériel un tarif plancher des frais d’envoi de livres, obligatoirement facturé au client.
Après analyse, nous pensons que la mesure proposée présentera d’importants effets de bord. Elle devrait conduire à une hausse drastique des prix des livres, qui enrichira directement et massivement les grandes plateformes que l’on essaie justement de réguler sans que les libraires gagnent des clients pour autant. En effet, cette mesure repose sur une hypothèse à laquelle la commission ne souscrit pas : les clients des plateformes vont soudainement les quitter lorsqu’ils devront payer les frais d’envoi, pour se rendre dans des librairies physiques ou sur le site internet d’une librairie.
Selon nous, les consommateurs qui se rendent sur ces plateformes de ventes en ligne ne recherchent pas simplement la quasi-gratuité des frais de livraison : ils en sont clients pour d’autres raisons, comme la profondeur de l’offre ou la rapidité de la livraison. Nous pensons donc qu’ils resteront clients de ces plateformes, d’autant qu’ils appartiennent souvent aux catégories aisées. Aussi, nous sommes face au schéma suivant : le lecteur paiera quelques euros de plus par livre tout en continuant d’acheter sur les plateformes de commerce en ligne. En conséquence, les grands gagnants de cette facturation obligatoire seront les géants du numérique eux-mêmes. Ils pourront facturer 2 ou 3 euros de plus par livre sans perdre de client.
Pour ne prendre qu’un exemple, Amazon vend 40 millions de livres par an en France. S’il touche demain 2,50 euros de plus par livre, du fait de cette mesure, Amazon verra son chiffre d’affaires augmenter de 100 millions d’euros d’un coup sans rien faire.
La commission a donc proposé de rejeter ce chèque en blanc donné, certes involontairement, aux grandes plateformes.
En outre, la hausse des prix sera immédiate et massive : un tarif plancher de 2,50 euros représenterait une augmentation de 25 % pour un livre neuf, payé en moyenne 10 euros. Nous ne sommes pas convaincus qu’une telle hausse des prix soit un signal que nous devrions envoyer en ces temps troublés.
Par ailleurs, cette mesure créera une inégalité entre lecteurs : ceux qui habitent les centres-villes pourront échapper aux frais en se rendant dans une librairie physique ; ceux qui vivent en zone rurale ou périurbaine ne le pourront qu’en prenant leur voiture pour faire plusieurs kilomètres ou en se rendant dans les grandes surfaces, dont l’offre est par nature bien plus réduite. Seul le lecteur urbain de centre-ville verra donc sa situation inchangée.
Ces dispositions pourraient être un peu plus acceptables si elles bénéficiaient aux libraires. Mais, là également, le bât blesse : les librairies ne gagneront pas de clients ou elles n’en gagneront que très peu. Un tel cadeau aux grandes plateformes n’est donc pas justifié, a fortiori de la part du législateur.
Aussi, nous avons proposé la suppression de cette mesure. Non seulement nous voulons éviter une hausse massive des prix, mais nous refusons de donner, sans la moindre contrepartie, des dizaines de millions d’euros à des plateformes qui, pour certaines, pratiquent cette optimisation fiscale qui nuit tant à nos commerçants.
Madame la ministre, nous avons entendu les annonces du Président de la République pour un prix véritablement unique du livre. Compte tenu des difficultés que soulève l’article 1er, quelles sont les modalités opérationnelles auxquelles le Gouvernement réfléchit ? Comment atteindre cet objectif sans faire de cadeau aux géants du numérique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la présidente, monsieur le président de la commission – cher Laurent Lafon –, madame la rapporteure Céline Boulay-Espéronnier, madame la rapporteure pour avis Martine Berthet, madame l’auteure de la proposition de loi – chère Laure Darcos –, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le livre n’est pas un bien comme les autres. C’est autour de cette conviction essentielle que s’est structuré, depuis les années 1980, le soutien de l’État à la filière du livre.
Par l’instauration d’un prix unique du livre ou le soutien constant aux différents maillons de la chaîne du livre au travers des aides du Centre national du livre, la France a su, au cours des quarante dernières années, protéger cette filière tout en accompagnant ses mutations.
S’il ne faisait aucun doute que les Français étaient attachés au livre et à la lecture, la crise sanitaire a été l’occasion de le rappeler et de mettre en lumière notre première industrie culturelle.
Les libraires et les maisons d’édition ont été particulièrement touchés par les périodes de confinement, mais le soutien public a été une nouvelle fois au rendez-vous. En complément des dispositifs transversaux, le ministère de la culture a su rapidement déployer de nombreuses mesures sectorielles : fonds de soutien aux librairies indépendantes et aux maisons d’édition, prise en charge des frais d’expédition, modernisation des équipements, etc.
Le retour en nombre des clients à l’issue du confinement a une nouvelle fois montré la soif de lecture qui anime nos concitoyens ; et le développement des ventes par internet a permis de limiter la chute des ventes en 2020 – ces dernières ont reculé de 3,3 % en moyenne par rapport à 2019, selon le syndicat de la librairie française.
Le soutien au secteur du livre doit être constant : c’est le sens des crédits importants que j’ai souhaité lui dédier dans le cadre du plan de relance. En 2021 et 2022, 53 millions d’euros seront ainsi déployés afin de poursuivre la modernisation des librairies et des bibliothèques, de généraliser le dispositif Jeunes en librairie et de renforcer les achats publics de livres.
Au-delà de cet accompagnement financier indispensable, la filière connaît de grandes mutations depuis dix ans – vous l’avez souligné, chère Céline Boulay-Espéronnier. Je pense en particulier à l’accroissement des ventes en ligne. Il était ainsi indispensable d’adapter l’arsenal législatif existant. C’est le sens de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui et qui comprend donc des dispositions très attendues. Le Gouvernement y attache une importance particulière. C’est précisément pourquoi il a demandé qu’elle fasse l’objet d’une procédure accélérée.
Cette proposition de loi concerne à titre principal l’économie du livre, mais elle va au-delà : une de ses dispositions porte sur le contrat d’édition dans le secteur de la musique enregistrée et un article est consacré à la modernisation de l’outil du dépôt légal des œuvres. Ce n’est pas seulement un hasard du calendrier si elle est examinée la veille de la proposition de loi de Mme Sylvie Robert, que je salue. Je sais combien les deux sénatrices ont travaillé ensemble sur la politique du livre et de la lecture, dont les enjeux sont très largement transpartisans.
Ce texte bienvenu vient compléter et moderniser la régulation du secteur du livre en adaptant les deux grands types de normes dont il bénéficie : les règles économiques et les règles du droit d’auteur.
En matière économique, tout d’abord, il contient un certain nombre de mesures visant à moderniser et à adapter notre loi de prix fixe. La loi Lang du 10 août 1981, dont nous fêtons cette année le quarantième anniversaire, a su démontrer son rôle essentiel dans le maintien de la diversité des réseaux de distribution du livre et de la diversité éditoriale.
Nous nous devons bien sûr de faire vivre cette loi, cette mesure d’exception culturelle structurante. Or les équilibres que doit préserver cette législation sont fragilisés par le développement de certaines pratiques, qu’il faut encadrer au fur et à mesure qu’elles se développent et s’installent dans le paysage du commerce du livre. Chère Laure Darcos, vous avez parfaitement décrit les difficultés et les défis que doivent affronter nos libraires.
La proposition de loi que nous examinons ensemble aujourd’hui prévoit des dispositions visant à un renforcement très important de notre régulation du prix de vente du livre. Il s’agit en effet de compléter et de parfaire l’encadrement des pratiques de vente à distance, qui avait été introduit par le législateur en 2014.
L’impact de cette législation de 2014 n’a pas été nul, loin de là. Toutefois, il paraît aujourd’hui insuffisant, des conditions inéquitables de concurrence perdurant sur ce marché. Un opérateur propose systématiquement la livraison quasi gratuite des livres, quelle qu’en soit la quantité et quel que soit le montant d’achat, aucun autre acteur ne parvenant à proposer une telle aubaine au lecteur. Cette extraordinaire politique tarifaire, cette étrange générosité, cet opérateur ne la propose de surcroît que pour les livres.
Depuis 1981, nous avons, au regard de la nature spécifique du livre, limité la concurrence par les prix au sein de ce marché. Le seul geste commercial possible, c’est la ristourne de 5 % maximum que tous les détaillants peuvent se permettre. La pratique commerciale dont nous parlons, celle que cette proposition de loi vise à prohiber, constitue indubitablement une nouvelle forme de concurrence par les prix, qui ne permet plus à la loi de 1981 de produire son plein effet.
Ces dispositions sont utiles et même nécessaires. Le Gouvernement les soutient pleinement. Je sais qu’un certain nombre de doutes et d’inquiétudes ont été exprimés en amont de l’examen en séance publique de ce texte. J’espère que nos débats permettront de les lever.
Par ailleurs, il paraît essentiel aujourd’hui de renforcer l’information du consommateur, en clarifiant la distinction entre livres neufs et livres d’occasion dans la vente en ligne. Conformément aux préconisations du médiateur du livre, il s’agit d’éviter que soit entretenue dans l’esprit du consommateur une confusion tendant à brouiller la perception du principe du prix unique du livre neuf.
Nous devons également veiller, comme nous l’a recommandé le médiateur du livre, à resserrer la pratique des soldes de livres dans le cadre de ventes directement opérées par les éditeurs, afin de ne pas fragiliser l’économie des libraires.
Ces mesures proposées par Laure Darcos sont tout à fait cohérentes avec l’économie générale de la loi sur le prix unique du livre.
Le principe d’équité qui sous-tend cette proposition de loi doit également guider la recherche de solutions pour ce qui concerne les relations entre un auteur et son éditeur. J’ai présenté en mars dernier un programme de mesures qui permettront d’améliorer les conditions de création des auteurs. L’une d’entre elles vise à accompagner les négociations professionnelles sur l’équilibre de la relation contractuelle, notamment dans le secteur du livre.
Dans le prolongement du long processus de concertation interprofessionnelle dont est issue la réforme fondamentale de l’économie des relations contractuelles de 2014, j’ai confié au professeur Pierre Sirinelli une nouvelle mission de médiation, afin d’accompagner les organisations professionnelles représentant les auteurs et les éditeurs dans le travail d’évaluation et de révision de l’accord du 1er décembre 2014 entre le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l’édition sur le contrat d’édition dans le secteur du livre. Cet exercice de révision doit permettre de régler les difficultés nées de l’application de cet accord et de tenir compte de l’évolution des usages professionnels, ainsi que des mutations induites par les technologies numériques.
Il faut laisser à cette nouvelle étape du dialogue interprofessionnel le temps de prospérer et d’aboutir à la construction de solutions consensuelles que les différents acteurs pourront s’approprier. Cependant, certains sujets consensuels tels que les problématiques spécifiquement liées à la cessation d’activité des entreprises d’édition ne sont pas dans le champ de l’accord de 2014 et nécessitent sans attendre une adaptation de la loi. La proposition de loi doit permettre, en cas de cessation d’activité de l’éditeur, d’une part, d’améliorer l’information des auteurs sur l’exploitation des œuvres éditées et, d’autre part, de faciliter la reprise de ses droits par l’auteur en simplifiant les conditions de résiliation dudit contrat.
Ce texte offre également une base législative à l’accord interprofessionnel signé par le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l’édition en 2017 et relatif à l’encadrement des pratiques de la provision pour retours d’exemplaires invendus et de la compensation intertitres.
Toutes ces mesures permettront d’améliorer l’équilibre et la transparence dans les relations entre auteurs et éditeurs.
Enfin, ce texte apporte un complément très attendu au cadre légal du dépôt légal des œuvres à l’ère du numérique. Depuis l’ordonnance royale du 28 décembre 1537, le dépôt légal constitue un dispositif essentiel pour la constitution de la mémoire documentaire de la France. Il assure l’entrée dans les collections nationales de la production éditoriale diffusée sur le territoire national et sa conservation pérenne pour les générations à venir. Or le dispositif mis en place par la loi du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, qui a permis la collecte automatique des services de communication au public en ligne, à savoir les sites web, ainsi que leur contenu numérique, ne permet plus de garantir l’effectivité du dépôt légal pour les œuvres qui ne sont pas librement accessibles.
Parce qu’elles sont protégées par des mots de passe ou des systèmes d’achat en ligne, de nombreuses œuvres numériques ne sont plus collectées automatiquement par les robots des organismes dépositaires que sont la Bibliothèque nationale de France, l’Institut national de l’audiovisuel et le Centre national du cinéma et de l’image animée. Pour pallier cette difficulté et permettre rapidement la complétude du dépôt légal, il est donc nécessaire d’opérer dès maintenant une modification du cadre légal, pour que les éditeurs et producteurs de contenus numériques non librement accessibles puissent déposer eux-mêmes ces derniers auprès desdits dépositaires, à l’instar de ce qui est opéré pour les documents physiques. La France rejoindrait ainsi les autres pays qui opèrent déjà la collecte des documents numériques de manière complète.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c’est donc un texte important qui est soumis à votre examen, et je veux saluer Laure Darcos qui en a pris l’initiative, ainsi que Céline Boulay-Espéronnier pour son travail en tant que rapporteure. Cette proposition de loi permet d’adapter le monde du livre à l’ère numérique, de rééquilibrer les relations souvent complexes entre éditeurs et auteurs, de consolider l’attachement profond de notre pays au secteur. C’est un beau symbole qu’elle soit examinée l’année de la célébration des quarante ans de la loi Lang.
Vous l’aurez compris, le Gouvernement est résolument favorable à ce texte. Vous pouvez compter sur ma mobilisation pour permettre la poursuite du processus législatif à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, GEST, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le livre est un objet à part. Il occupe dans notre société une place singulière, car il constitue tout à la fois un vecteur d’idées, un objet de transmission et un lieu d’évasion.
Ce n’est pas faire injure à notre République laïque ni à aucune religion d’ailleurs d’affirmer que le livre relève, pour la France, du sacré. Notre pays, sans doute plus que tout autre, entretient avec le livre une relation bien particulière.
D’abord, notre patrie a forgé son identité dans sa littérature. Ses grands auteurs en sont ses ambassadeurs, et l’esprit français n’existe pas sans ses belles-lettres.
Ensuite, notre pays a une magnifique tradition d’artisanat d’art en lien avec le livre. Les relieurs, les doreurs, les enlumineurs, les imprimeurs, et j’en passe, illustrent notre fascination pour les beaux livres.
Pour le dire simplement, la France aime passionnément le livre. Elle l’aime sous ses deux facettes : en tant que sujet et contenu, d’une part, et en tant qu’objet et contenant, d’autre part. On ne saurait totalement séparer le corps de l’âme, mais il est utile de rappeler ces deux composantes essentielles.
Ces deux composantes – le contenu et le contenant – et tous les acteurs économiques et culturels qu’elles font vivre ont un destin commun en partage. C’est pourquoi, pour défendre le livre qui nous est si cher, nous devons aborder le problème de façon globale. C’est particulièrement vrai au moment où l’irruption des nouvelles technologies de l’information bouleverse les équilibres en place.
Ce n’est pas la première fois que le monde du livre est contraint de se réinventer. Il suffit de regarder les magnifiques incunables, ces ouvrages antérieurs au XVIe siècle, entièrement rédigés et décorés à la main, pour se rappeler que le livre que nous connaissons aujourd’hui n’a rien à voir avec celui d’hier.
Les étapes décisives de cette évolution ont été nombreuses. Le passage du volumen au codex, le remplacement du parchemin par le papier, l’invention de l’imprimerie ou encore son développement industriel sont autant d’épreuves qui ont profondément modifié le livre. Il n’en est pas mort, mais il a dû se transformer et, avec lui, les acteurs qui y travaillent. C’est pourquoi, pour défendre le livre, et avec lui notre identité nationale, nous devons améliorer son économie et renforcer l’équité entre ses acteurs.
Mes chers collègues, j’ai cru utile d’en passer par cette longue introduction, car je souhaitais expliquer en quoi le texte dont nous allons discuter est si important. Je crois pouvoir l’affirmer, nous voulons tous promouvoir le livre.
Je tiens donc à remercier l’auteure de la proposition de loi, notre chère collègue Laure Darcos, qui nous apporte un texte consistant et ambitieux. Je ne maintiendrai pas le suspens plus longtemps : je souscris très largement aux mesures de cette proposition de loi. Elle intervient à plusieurs niveaux de façon pertinente. La proposition résulte en effet de larges concertations avec les acteurs du secteur. Par ailleurs, la saisine du Conseil d’État a permis de renforcer le dispositif sur le plan législatif.
L’obligation faite à tout éditeur en cessation d’activité d’adresser un état des comptes à tous les auteurs sous contrat avec lui est une mesure de bon sens. C’est une demande des auteurs que nous soutenons sans réserve.
C’est la même chose pour la possibilité ouverte aux auteurs et à des groupements d’auteurs de saisir le médiateur du livre. Il s’agit également d’une demande exprimée par les auteurs, que nous soutenons également sans réserve.
Reste que ce texte manquerait largement sa cible s’il n’apportait pas des solutions concrètes aux problèmes des libraires. La crise sanitaire a mis en évidence à la fois cette situation difficile et l’attachement des Français à leur libraire. La possibilité donnée aux communes et, sur proposition de la rapporteure, aux EPCI de les soutenir financièrement répond à une demande forte.
Nos libraires tissent dans nos territoires un précieux maillage culturel et social, auquel les Français tiennent. Que les acteurs publics puissent y contribuer paraît donc pertinent. Ces mesures, je crois, ne porteront pas à polémique.
Tel n’est pas le cas de la réglementation des frais d’envoi. Sur ce point, je sais la divergence de fond entre la commission des affaires économiques et la commission de la culture. Ayant moi-même récemment quitté la première pour rejoindre la seconde, j’ai reçu les arguments de l’une et de l’autre avec une égale bienveillance.
Je constate que cette divergence au fond reposait sur deux hypothèses différentes quant aux comportements d’achat. Je veux faire confiance aux forces vives de France, en choisissant la proximité. C’est pourquoi le groupe Les Indépendants soutiendra sans réserve le texte de la commission. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
(M. Roger Karoutchi remplace Mme Laurence Rossignol au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
vice-président
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, « la diffusion du livre connaît depuis quelques années une mutation commerciale dont les conséquences sont loin d’être neutres sur le plan culturel ». C’est par ces mots que s’ouvrait le projet de loi relatif au prix du livre discuté dans cette même chambre voilà quarante ans et présenté par Jack Lang, alors ministre de la culture.
Le prix unique du livre fut, voilà quarante ans, la première pierre d’une politique culturelle ambitieuse dont nous pouvons être fiers. Depuis lors, le secteur a été bouleversé par l’arrivée de nouveaux acteurs, notamment numériques. Il convient donc de mettre à jour cette politique culturelle majeure pour rappeler le rôle particulier des libraires dans nos villes et villages. C’est tout l’intérêt de cette proposition de loi visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs, déposée par notre collègue Laure Darcos, que je tiens à remercier pour son travail de grande qualité.
Ce texte a été enrichi par les apports du Conseil d’État, dont la saisine aura été bénéfique. On voit ainsi l’importance du travail de cette institution pour aider les parlementaires. Je profite de cette intervention pour regretter que son avis ne soit pas sollicité, parfois volontairement, sur d’autres textes d’ampleur. Je pense notamment à la loi Sécurité globale.
Deuxième secteur de l’industrie culturelle française avec 2,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019, le marché du livre est un maillon essentiel de la culture, auquel nous sommes attachés. Le volume de vente de livres est néanmoins en baisse de 14 % au cours des dix dernières années.
Pourtant, au sein du secteur, il n’y a pas que des perdants. En effet, selon l’étude économique de 2019 du syndicat de la librairie française, les plateformes de vente en ligne ont connu un taux de croissance moyen de 5,7 % entre 2008 et 2018.
À l’inverse, ce taux de croissance a enregistré une baisse de 2,7 % par an pour les petites librairies dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 700 000 euros. Or ce sont précisément ces TPE qui souffrent depuis plusieurs années de la concurrence des plateformes de vente en ligne, concentrées autour de trois géants, dont Amazon, qui représente à lui seul 10 % du marché français.
Face à ces géants froids, notre pays est maillé par un réseau de 4 000 librairies indépendantes, qui font toute la richesse de notre secteur culturel. La principale distorsion de concurrence dont elles sont victimes vient de la livraison à domicile, qui a été pendant longtemps gratuite, faisant du livre un produit d’appel vendu à perte. Pour y mettre fin, la loi du 8 juillet 2014, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale et le Sénat, a interdit la gratuité des frais de port. Les plateformes, avec le cynisme qu’on leur connaît, ont contourné aisément cette interdiction : on a ainsi vu fleurir la livraison à 1 centime d’euro ou bien les abonnements annuels offrant, contre un prix dérisoire, la gratuité des frais de port.
La mesure phare de cette proposition de loi s’attaque concrètement à cette concurrence déloyale, ce qui constitue une excellente chose. L’article 1er instaure ainsi un tarif réglementé sur les livraisons de livres. Soyons francs, les tarifs réglementés ne sont pas d’habitude la tasse de thé de la droite sénatoriale. Elle les a ainsi supprimés pour le gaz et l’électricité.
Nous nous réjouissons donc, mes chers collègues, que vous admettiez que tout ne peut pas reposer sur l’autorégulation du marché et qu’il faut parfois imposer une régulation préservant nos biens communs. Je vous invite, lors de nos débats sur la loi Climat, à poursuivre dans cette direction en votant nos amendements visant à limiter l’implantation de nouveaux entrepôts logistiques – je pense en particulier à ceux d’Amazon –, qui sont autant de menaces sur nos commerces de proximité et, donc, nos librairies.
J’ai bien entendu les réticences de notre collègue de la commission des affaires économiques. Je lui dis : n’ayez pas peur de la régulation ! N’ayez pas peur non plus de l’interventionnisme que permet notamment l’article 2, qui autorise les communes et leurs groupements à délivrer des subventions à des librairies indépendantes en difficulté, comme c’est déjà possible pour le cinéma. Nous favoriserons ainsi le maintien d’un réseau dense, y compris dans nos zones rurales. Nous avons pu éprouver ces derniers mois le rôle culturel absolument essentiel que jouent ces librairies.
Les articles 3, 4 et 5 n’appellent pas de remarques de notre part. Ils amélioreront les relations entre les acteurs du secteur, par exemple en permettant aux auteurs de saisir, préalablement à une action en justice, le médiateur du livre, ce qui n’était curieusement pas possible jusqu’alors. Il y aurait beaucoup à dire sur le rapport entre éditeurs et auteurs, mais tel n’est pas l’objet premier du texte.
Mes chers collègues, avec plusieurs autres groupes de l’hémicycle, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a soutenu, pendant le second confinement, les « commerces essentiels » que sont les librairies. C’est donc tout naturellement que nous voterons aujourd’hui cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans son récent Petit Traité du lecteur, le libraire écossais Shaun Bythell dresse une typologie des lecteurs. Inversement, en France, les lecteurs pourraient dresser une typologie des libraires. En effet, grâce à la loi relative au prix du livre, nous avons maintenu notre réseau. Pour autant, nos 3 300 librairies indépendantes ont vu leur part de marché baisser de près de 3 points entre 2006 et 2019. Une part croissante des achats de livres se fait désormais sur internet : celle-ci est passée de 2,2 % en 2002 à 22 %, soit une multiplication par dix en vingt ans.
La pandémie a certes fait reculer le chiffre d’affaires des librairies de 3,3 %, mais il s’agit d’une baisse modérée. À cet égard, soulignons le soutien sans précédent du Gouvernement et le plébiscite des Français en faveur de la réouverture de leurs librairies.
Ces chiffres témoignent du bouleversement de l’économie du livre, notamment avec l’avènement du numérique.
Un autre ouvrage récent que je vous invite à regarder est Histoire du livre et de l’édition de Yann Sordet, qui est directeur de la bibliothèque Mazarine. Ce livre explique les différentes mutations de l’économie du livre à travers les siècles, du codex jusqu’au livre numérique. C’est un ouvrage extrêmement intéressant, qui montre bien que ce secteur a toujours connu des bouleversements, notamment la grande séparation des métiers lors de la fin du libraire éditeur.
La dernière réforme d’ampleur – elle concernait le livre numérique – date de 2011. On le voit bien, il était temps de légiférer, car les grandes plateformes contournent la loi. En effet, s’il est interdit d’expédier gratuitement des livres depuis la loi du 8 juillet 2014, les géants s’en accommodent en pratiquant des tarifs de livraison d’environ 1 centime d’euro. Bien évidemment, cette situation n’est pas viable pour les libraires, pour lesquels un envoi revient à peu près à 6,50 euros. Il y a donc là une très forte distorsion de concurrence. C’est la raison pour laquelle mon groupe soutient l’instauration d’un prix plancher. Levant très vite le suspens, je vous annonce que nous voterons ce texte.
Un consensus s’est dessiné autour de la nécessité de protéger les librairies indépendantes. Le 21 mai dernier, le Président de la République a d’ailleurs formulé le souhait d’un prix réellement unique pour tous les livres, qu’ils soient achetés en librairie ou livrés.
Le Gouvernement a enclenché la procédure accélérée sur ce texte, dont Laure Darcos, que je salue, a pris l’initiative. Cette proposition de loi a également fait l’objet d’une saisine du Conseil d’État par le président du Sénat, que je tiens aussi à saluer. Enfin, le syndicat de la librairie française, qui regroupe plus de 600 personnes, est très favorable à ces dispositions.
Finalement, le consensus a gagné la commission des affaires économiques du Sénat. Je tiens également à saluer le fait qu’elle ait renoncé à déposer son amendement de suppression. Dans le cas contraire, nous aurions eu l’impression étrange et gênante que les deux hémisphères d’une même majorité ne se parlaient pas.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Ce n’est pas le cas !
M. Julien Bargeton. C’est ce que j’ai dit, et je le salue.
Les librairies abritent l’âme de notre pays et permettent l’exportation de notre langue. Ainsi, la librairie Albertine de New York, qui fait référence à l’œuvre de Proust, est un acteur du rayonnement de la culture française à l’étranger. J’évoquerai également le XXe arrondissement de Paris, que je connais bien. L’installation de plusieurs librairies a transformé la configuration de certains quartiers. Je salue à ce titre le réseau Librest, qui existe à Vincennes, cher Laurent Lafon, mais aussi dans l’Est parisien. Il permet à des librairies indépendantes de se regrouper et, donc, de faire vivre des quartiers. Je salue plus particulièrement le rôle actif du Comptoir des mots dans le XXe arrondissement.
Chacun a sa place dans l’économie du livre, mais personne ne doit avoir toute la place. Oui à la complémentarité, mais non au monopole, qui détruit l’âme de nos quartiers et l’âme de la culture française ! Chacun doit s’inscrire dans un cadre légal, qui évolue. Réjouissons-nous de ce qu’apporte ce texte en matière d’évolution du droit.
Pour finir, je rappelle que les grandes plateformes utilisent des algorithmes, qui sont dangereux, bien qu’ils puissent nous paraître agréables à utiliser. Ils nous installent en effet dans des bulles de facilité, nous proposant des ouvrages en fonction de ce que nous venons d’acheter. La librairie, au contraire, c’est la promenade, le hasard, la rencontre, la découverte. Qui n’est pas ressorti d’une librairie avec un livre qu’il n’avait pas prévu d’acheter, soit parce qu’il l’a découvert sur une pile, soit parce qu’il a fait confiance au libraire ? Cela m’arrive très régulièrement, et je suis persuadé que tel est également votre cas à tous.
La librairie permet l’ouverture d’esprit, le hasard, le choc de la rencontre. Comme le disait Jules Renard, « quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux ». Merci, madame Darcos, de nous conforter dans cette certitude ! Grâce à ce texte, peut-être serons-nous encore plus heureux ! (M. Jean-Claude Requier applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le secteur du livre a été fortement touché par la crise sanitaire avec la fermeture des bibliothèques et des librairies ou l’annulation des salons et des résidences d’écriture.
Après avoir vendu des biens jugés « non essentiels », les librairies, dans une situation financière déjà très fragile, doivent appliquer des jauges protocolaires strictes. Le secteur se voit surtout confronté au développement des ventes en ligne sur Amazon, dont les parts de marché ne cessent de s’accroître, grâce à un avantage concurrentiel décisif. Pourtant, le livre ne constitue qu’un produit d’appel pour ces plateformes numériques.
Cette situation fragilise massivement le tissu des librairies indépendantes, qui représentent pourtant le cœur battant de l’accès universel aux œuvres culturelles, grâce à un maillage territorial dense constitué de 3 300 librairies employant 13 000 salariés.
Malgré les mesures de soutien enclenchées par le Gouvernement durant la crise sanitaire à destination des librairies, comme la prise en charge des frais d’expédition, le secteur reste en souffrance et en attente de la pérennisation de ces mesures.
L’objet de la présente proposition de loi est bien de soulager cet écosystème, tout en assurant une plus forte équité entre tous les acteurs du secteur, quarante ans après la loi Lang sur le prix unique du livre et dix ans après la loi Legendre sur le prix du livre numérique.
Depuis cette date, aucun texte législatif n’était venu compléter l’arsenal juridique. Cette proposition de loi vise à en assurer l’application effective au travers de l’interdiction de la gratuité de livraison des ouvrages.
Le Président de la République s’est d’ailleurs prononcé il y a quelques semaines en faveur d’un « vrai prix unique du livre ». En effet, si, selon Bernard Pivot, « le TGV, trop rapide, est un mauvais coup porté au livre », il en va de même pour la livraison à grande vitesse gratuite.
L’encadrement des tarifs postaux permettra d’instaurer une concurrence plus équitable. En effet, un libraire doit en moyenne dépenser environ 6 euros pour l’expédition d’un livre à un client, contre quelques centimes d’euro pour Amazon.
Ce que nous défendons aujourd’hui, c’est également notre souveraineté nationale et notre exception culturelle. Il n’est plus tolérable qu’une firme transnationale s’affranchisse de la politique des États. L’économie du livre ne peut être soumise exclusivement aux règles du marché.
De plus, le texte introduit plusieurs innovations qui sécurisent et modernisent la chaîne du livre. C’est ainsi que le régime des soldes est réformé pour que la faculté de solder un livre ne soit ouverte qu’aux seuls détaillants.
Par ailleurs, le texte autorise les collectivités à subventionner les librairies indépendantes dans la limite de 30 % de leur chiffre d’affaires, dans le prolongement du dispositif de la loi Sueur pour les cinémas. Cet accroissement du soutien financier à ces établissements permettra aux communes de s’impliquer davantage dans le maintien du réseau culturel dans les territoires.
Le texte consacre aussi utilement une modernisation des relations entre éditeurs et auteurs d’œuvres écrites et musicales, alors que leurs relations sont très sensibles.
La production d’un état des comptes à la date de la cessation d’activité d’un éditeur offre un soutien primordial aux auteurs, qui pourront ainsi désormais connaître le nombre d’exemplaires des ouvrages vendus.
C’est donc toute la chaîne du livre qui est appréciée aujourd’hui, de l’auteur jusqu’au lecteur, en passant par l’éditeur et les libraires.
Enfin, l’article 5 permet d’améliorer la collecte de toute production éditoriale française au profit du dépôt légal au travers d’une nouvelle procédure. Cet aménagement, comme les autres présents dans ce texte, permet de rendre effectifs les principes fondateurs du secteur du livre.
Pour toutes ces raisons, avec le groupe du RDSE, je voterai favorablement cette proposition de loi, la saisine du Conseil d’État ayant permis de renforcer la solidité juridique du texte déposé et défendu avec passion par notre collègue Laure Darcos, que je remercie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Laure Darcos. Merci beaucoup !
M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi.
M. Jérémy Bacchi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans deux mois, nous fêterons les quarante ans d’une loi essentielle pour l’industrie du livre et les libraires, la fameuse loi Lang relative au prix du livre. Cette dernière a marqué un tournant majeur à plus d’un titre : elle a sécurisé les libraires à l’égard des éditeurs, en fixant un prix unique à une œuvre, quel que soit le vendeur ; elle a permis aux Françaises et aux Français d’acheter le même livre au même prix, qu’il soit disponible à côté de chez eux ou à l’autre bout du pays ; enfin, elle a sacralisé le livre en tant que bien culturel d’exception, qu’il convient de protéger et de diffuser le plus largement possible.
Malheureusement, quarante ans plus tard, malgré les apports de la loi de 2011, les mutations technologiques et l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché n’ont pas eu les effets escomptés. En effet, on aurait pu penser que la multiplication des médias et des canaux de diffusion aurait permis de démocratiser l’accès au livre et à la lecture, tout en préservant les acteurs historiques. À l’inverse, on a assisté à une sorte de cannibalisation au sein de la distribution du livre, dont on peut craindre, à terme, une raréfaction des possibilités d’achats de livres.
Ce qui est en jeu avec ce texte – je salue à cet égard le travail de notre collègue Laure Darcos –, c’est la préservation des librairies indépendantes par rapport aux géants du net, la préservation du patrimoine culturel de la France, ainsi que la protection des auteurs. Pour ces trois chantiers, il y a urgence.
L’arrivée dans le secteur des géants du net, mais aussi le déploiement numérique des grandes chaînes culturelles comme Fnac Darty, met sous pression les librairies. Ces dernières, qui pâtissent d’une rentabilité nette extrêmement faible, sont pourtant des cœurs de ville essentiels aux communes et à la culture. C’est d’ailleurs ce que note le Conseil d’État dans son avis : les 3 300 librairies indépendantes et leurs 13 000 salariés sont une part essentielle de l’exception et de la diversité culturelles françaises.
L’accord permettant à Amazon d’expédier ses livres à un centime d’euro de frais de port tient d’une logique de captation par laquelle l’entreprise profite de sa taille pour imposer des conditions sur lesquelles les libraires, même en réseau, ne pourront pas s’aligner. Cette dynamique existe déjà mais, faute de régulation, elle ne pourra que s’amplifier ; certains Français n’auront plus d’autre choix que de commander leurs livres en ligne.
De la même manière, la confusion entretenue entre livres neufs et livres d’occasion « en état neuf » fait partie d’une stratégie d’évitement de la loi. Rien de neuf sous le soleil, me direz-vous, pour ces géants d’internet qui ont décidé depuis des années que leur loi était la bonne. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Amazon veut imposer, en matière de livre numérique, « son » prix unique. Ainsi, sur Kindle, c’est l’entreprise de Seattle qui fixerait son prix, et non plus les éditeurs.
Comme il ne peut y avoir de livres sans auteurs, cette proposition de loi vise par ailleurs à sécuriser leur position. Certes, il convient de rester mesuré : cela ne réglera pas les nombreux problèmes que connaissent ces professionnels. On le sait, la moitié des auteurs environ gagnent moins que le SMIC. On le sait aussi, la considération de leurs revenus comme revenus du patrimoine et non du travail a des conséquences néfastes, notamment en matière de cotisations sociales.
Si cette proposition de loi ne répond pas à ces problématiques structurelles, qui demanderaient une réforme de plus grande ampleur, elle va néanmoins dans le bon sens. Elle permet de rééquilibrer le rapport entre éditeurs et auteurs. Les cas de la compensation intertitres et des provisions pour retours d’invendus sont emblématiques de la situation actuelle.
Mes chers collègues, quelques éléments méritent d’être rappelés pour illustrer le déséquilibre flagrant qui règne entre éditeurs et auteurs au profit des premiers. Les auteurs perçoivent en moyenne 7,2 % de droits ; un quart d’entre eux ne reçoivent pas d’à-valoir ; lorsqu’il existe, ce dernier est de toute façon, dans la majorité des cas, extrêmement faible. Pendant ce temps, le secteur enregistre malgré tout un chiffre d’affaires proche des 4 milliards d’euros sur l’année 2020.
Je conclurai en évoquant la réforme du dépôt légal. On le sait – ils nous le disent –, les organismes dépositaires ont de plus en plus de mal à capter les contenus numériques afin d’en garder une copie pour l’histoire. Lorsque le modèle du dépôt numérique a été pensé, tout ou presque était encore disponible assez facilement.
Aujourd’hui, les organismes dépositaires doivent faire, d’une part, avec les mesures de blocage prises par les éditeurs et, d’autre part, avec l’expansion d’internet, qui est si riche en contenus qu’il devient difficile de cibler sa recherche. De la conservation, nous sommes passés à l’instantanéité.
Cette proposition de loi apporte une réponse intéressante au problème que nous avons à traiter. C’est donc sans réserve que mon groupe et moi-même la soutiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme Catherine Morin-Desailly. « Lire, c’est boire et manger. L’esprit qui ne lit pas maigrit comme le corps qui ne mange pas » : ainsi s’exprimait le grand Victor Hugo, démontrant que, oui, le livre et la lecture sont essentiels, et même vitaux.
En témoignent les débats passionnés et militants sur le maintien de l’ouverture des librairies pendant le confinement, au moment même où, précisément, on avait le plus le temps de lire, l’incohérence avec le traitement fort heureusement réservé aux maisons de la presse étant d’ailleurs dénoncée. Cette période aura prouvé en tout cas à quel point les Français étaient attachés à la Librairie avec un grand L !
Notre commission de la culture, qui défend le rôle des librairies indépendantes, est aussi celle de l’éducation : elle sait bien à quel point le livre et la lecture sont le socle de toute émancipation. La lecture est la première source de savoir, parce qu’elle rend accessible la connaissance dans tous les domaines ; elle est également la première porte vers l’imaginaire, parce qu’elle donne accès à des mondes inconnus et insoupçonnés.
Aussi sommes-nous attentifs à l’économie du secteur, à la bonne santé de toute la filière, ainsi qu’au rôle de la bibliothèque publique dans la cité. C’est pourquoi je ne peux que saluer les initiatives de nos collègues Laure Darcos et Sylvie Robert, qui nous proposent, aujourd’hui et demain, deux textes de loi visant à améliorer sensiblement notre législation dans ces domaines.
Si nos librairies résistent plutôt bien ces dernières années, on le doit, d’une part, à une politique volontariste du ministère de la culture mais aussi des collectivités territoriales – je pense notamment aux régions et à leurs agences du livre –, et, d’autre part, au législateur, qui a su d’emblée prendre en considération les nouveaux usages numériques.
La dernière loi votée en matière d’économie du livre, déjà sur l’initiative du Sénat, et de notre ancien collègue Jacques Legendre, celle du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique, a été essentielle. Elle a permis de prendre en compte rapidement l’irruption dans la chaîne du livre des plateformes, acteurs nouveaux susceptibles de bouleverser les équilibres existants.
Malgré tout, comme pour la musique, comme pour le cinéma, et plus encore comme pour la presse, il nous faut sans relâche être vigilants s’agissant de la manière dont lesdites plateformes s’ingénient, comme c’est leur habitude, à casser le marché à leur avantage. Ainsi d’Amazon qui, pour contourner la loi du 8 juillet 2014 encadrant les conditions de la vente à distance des livres, a proposé une livraison gratuite ou quasi gratuite pour le seul livre, érigé en produit d’appel !
Ainsi, comme l’a rappelé notre rapporteure Céline Boulay-Espéronnier, dont je salue l’excellent travail, il était important que la législation soit complétée pour corriger les désavantages concurrentiels subis par la profession. Tel est l’objet de l’article 1er du texte, qui supprime la gratuité des frais de port et vise à mettre en place un montant minimum de frais de port, fixé par arrêté. L’objectif est de rééquilibrer le rapport de force entre libraires et plateformes en ligne. Il est vrai qu’il est difficile de mesurer l’impact d’une telle mesure, mais je veux attirer ici l’attention sur deux points : notre souveraineté culturelle, d’une part ; notre modèle de société et de développement, d’autre part, à l’aune du défi environnemental et climatique, qui doit tous nous responsabiliser.
Internet s’est d’abord construit sur l’idée d’une fausse gratuité. Souvenez-vous, c’est d’ailleurs ce qui, à défaut d’une offre légale suffisante, a initialement encouragé le piratage des œuvres, notamment musicales et cinématographiques.
Or, si c’est gratuit – c’est bien connu désormais –, c’est que vous êtes le produit, par les données que vous générez en cliquant et en commandant des produits. Le premier clic enclenche la machine à vous attirer, à vous capter, et vous fait consommer toujours plus, selon une logique d’offres formatées pour vous.
Il faut bien se dire qu’en l’état du modèle économique des plateformes, si vous ne payez peut-être pas de frais de port, c’est que vous vous vendez vous-même !
Par ailleurs, outre le désavantage concurrentiel notoire qui oblige tous les acteurs français et européens à s’aligner alors qu’ils ne disposent pas de la même capacité financière, la gratuité des frais de port proposée par une société comme Amazon revient à casser le marché et fait peser une menace sur nos librairies, quand bien même ces dernières disposeraient elles-mêmes de plateformes de distribution.
Ce que nous défendons là, c’est l’équité, mais aussi un modèle de société : c’est le rôle que peut jouer la culture dans nos territoires parce qu’y survivent des lieux comme les librairies, les cinémas, les bibliothèques, autant de lieux de vie et de partage à nul autre pareils.
Si la période de confinement nous a démontré quoi que ce soit, c’est que les outils numériques, c’est bien et même formidable, mais qu’ils ont leurs limites et surtout que nous avons profondément besoin de contacts directs. Quant aux robots et aux algorithmes de recommandation, ils sont peut-être fascinants, mais rien ne remplacera le bibliothécaire, le libraire, l’animateur intervenant dans les cinémas, pour nous faire découvrir, ensemble, des œuvres qu’à notre tour nous partagerons avec d’autres.
Il ne s’agit pas pour autant de combattre le progrès et de déclarer la guerre au commerce en ligne, qui démontre chaque jour son utilité pour certains de nos concitoyens empêchés dans leurs déplacements ou vivant dans des territoires éloignés… quoique des études aient montré que ceux-ci n’étaient pas les consommateurs pratiquant le plus l’achat connecté.
Il s’agit simplement d’en souligner les écueils et les limites.
Ainsi, dans une logique de responsabilisation, il me semble essentiel que l’impact que peuvent avoir ces nouveaux modes de consommation numériques sur notre environnement soit porté à la connaissance du grand public.
Il est vrai que nous méconnaissons le coût social et le coût écologique de telles pratiques – à cet égard, il faut saluer le travail effectué par nos collègues Rémy Pointereau et Nicole Bonnefoy, qui ont récemment publié un rapport sur le transport de marchandises au regard des impératifs environnementaux. Les livraisons gratuites, qui incitent à la surconsommation, ont un réel impact. En afficher le prix réel serait pédagogique et favoriserait de meilleures pratiques de consommation.
Outre l’article 1er, le texte qui nous est soumis contient toute une série de propositions utiles.
La possibilité donnée aux collectivités de soutenir leurs librairies, prévue à l’article 2, me semble particulièrement intéressante : ainsi se trouve reconnu, au-delà du simple aspect commercial, leur rôle d’animation, de conseil et de voie d’accès à la culture. Ce rôle est d’autant plus essentiel dans les zones rurales, où continue d’être en jeu l’attractivité de bourgs dont la revitalisation préoccupe grandement notre assemblée.
La transposition dans la loi des dispositions de l’accord interprofessionnel du 29 juin 2017 entre le syndicat national de l’édition (SNE) et le conseil permanent des écrivains (CPE) va aussi dans le bon sens en ce qu’elle rénove la relation entre auteurs et éditeurs. Je voudrais rappeler ici à quel point ceux-ci, auteurs comme éditeurs, ont été fragilisés durant la période qui vient de s’écouler.
Nous soutenons enfin l’adaptation du dépôt légal à l’ère numérique pour la Bibliothèque nationale de France (BNF), le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et l’Institut national de l’audiovisuel (INA), qui se trouvent actuellement bloqués dans leur travail de conservation patrimoniale numérique.
L’article 5 tel qu’il ressort de nos travaux constitue – il faut bien le dire – un remarquable et exceptionnel travail de colégislation effectué par notre commission avec le Conseil d’État pour lever les obstacles techniques et juridiques auxquels la rénovation du dépôt légal se heurte aujourd’hui.
Au terme de mon intervention, madame la ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, les sénatrices et les sénateurs du groupe Union Centriste voteront avec conviction en faveur de cette proposition de loi dont nous félicitons une nouvelle fois l’auteure, Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chère Laure Darcos, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans la tradition des textes importants visant à protéger la filière du livre et ses acteurs, et à l’adapter au monde contemporain, à commencer par la loi Lang dont on fête cette année le quarantième anniversaire. Après cette première loi, d’autres ajustements législatifs importants ont suivi, en 2011, puis en 2014, accompagnés de la mise en place de plusieurs mesures de soutien.
La société a néanmoins radicalement évolué sous l’effet de la révolution numérique et avec elle, bien sûr, l’économie, notamment celle du livre. C’est dans cette perspective de modernisation que la loi du 8 juillet 2014 encadrant les conditions de vente à distance des livres a été votée à l’unanimité. Rappelons-le, l’objectif était de lutter contre les pratiques des opérateurs en ligne qui proposaient, en plus de la remise de 5 % autorisée sur le prix du livre, la gratuité des frais de port. Cette pratique, clairement déloyale à l’égard des librairies traditionnelles, mettait en péril à terme la viabilité de celles-ci.
En somme, la main du législateur n’a jamais tremblé lorsqu’il s’est agi de porter secours à une filière aussi menacée que vitale pour notre rayonnement culturel et nos territoires.
Aujourd’hui, mes chers collègues, dans un contexte sanitaire et économique encore tendu, et face à l’appétit toujours croissant des grandes plateformes, il s’avère de nouveau urgent de nous pencher sur la situation des librairies et des artistes-auteurs, qui n’ont connu aucune réforme structurelle depuis maintenant dix ans.
C’est dans cet esprit – protéger et consolider l’ancrage de nos librairies, accroître le soutien apporté à nos auteurs – que nous examinons la proposition de loi de notre collègue Laure Darcos, dont je tiens à saluer amicalement l’engagement constant et combatif pour la filière du livre. Il y va, avec cette proposition de loi, de trois enjeux majeurs.
Le premier est celui du soutien économique apporté à nos librairies et de la lutte contre les inégalités concurrentielles qu’elles subissent du fait des grandes plateformes, et tout particulièrement d’Amazon.
Le deuxième a trait à un meilleur équilibre de la relation contractuelle qui unit artistes-auteurs et éditeurs.
Le troisième enjeu porte sur l’adaptation de notre droit en matière de collecte des œuvres numériques sur internet.
Cette proposition de loi prévoit en outre des mesures fortes pour assurer la pérennité de nos librairies.
Durant la crise sanitaire, chacun a pu mesurer l’importance que les Françaises et les Français attachent à leurs librairies, ces commerces de proximité permettant d’accéder au savoir et à l’émancipation – nous nous souvenons tous du tollé provoqué lorsqu’ils furent déclarés « non essentiels ».
Mais ce secteur, peut-être plus qu’un autre, a été soumis à rude épreuve par l’avènement du numérique. Pour rappel, en volume comme en valeur, Amazon, la Fnac et France Loisirs représentent environ les trois quarts des achats en ligne, tous réseaux confondus. La part de marché d’Amazon représenterait environ la moitié de ce total, soit 10 % du marché du livre en France.
C’est face à ce type de « mastodontes » que nos librairies indépendantes doivent lutter, et c’est pour leur donner les moyens d’affronter cette concurrence que l’article 1er de cette proposition de loi a été rédigé. En effet, en l’état, Amazon profite de sa surface mondiale et des marges financières qu’elle dégage dans d’autres secteurs pour offrir des frais de livraison proches de zéro, allant, de fait, à l’encontre du principe de concurrence loyale, car il est évident que nos libraires ne peuvent suivre.
À ce coût économique s’ajoutent également un coût social et un coût environnemental. Nous savons pertinemment que le système de livraison d’Amazon repose sur un approvisionnement continu des dépôts, assuré par une rotation permanente de routiers.
Par ailleurs, notre chambre est aussi celle des territoires, et en tant que membres de la représentation nationale, nous devons veiller à ce que nos décisions ne participent pas à creuser les inégalités. Certains estiment que l’article 1er serait de nature à isoler nos territoires ruraux et à créer une inflation du prix du livre ; qu’en est-il ?
Pour ce qui est des territoires, selon des données tirées du panel Kantar sur le marché du livre neuf imprimé pour 2019, nous constatons que les clients établis dans des communes de moins de 2 000 habitants n’ont réalisé que 12 % de leurs achats en valeur sur Amazon. En revanche, 20 % des sommes dépensées par nos concitoyens ruraux l’ont été en librairie, et autant dans les espaces culturels Leclerc.
En outre, si 23 % des sommes dépensées sur Amazon proviennent de clients établis en zone rurale, cette proportion est toutefois moindre que celle attribuable aux clients urbains des différentes agglomérations de notre pays. Il est ainsi faux d’affirmer que les espaces ruraux seraient pénalisés par l’adoption de cet article 1er.
Concernant le risque d’inflation du prix du livre, là aussi, il convient de garder raison. En effet, depuis les années 2000, on observe une baisse quasi ininterrompue du prix relatif du livre. Il faut aussi, en la matière, mettre en exergue le rôle stabilisateur joué par la loi Lang, qui constitue un amortisseur.
Le vote de l’article 1er sera un acte fort en faveur de l’équité, de la préservation de l’environnement, de la défense de la diversité culturelle et littéraire, et surtout du soutien aux librairies indépendantes qui maillent l’ensemble de nos territoires. Le Sénat s’honorera à voter cet article.
L’autre grande mesure de soutien à nos libraires proposée ici trouve son fondement dans l’article 2 : il ouvre aux collectivités la faculté d’accorder une subvention aux librairies indépendantes dans la limite de 30 % de leur chiffre d’affaires.
Ce dispositif est calqué sur celui qui fut créé en 1993 par notre collègue Jean-Pierre Sueur et qui visait, de la même façon, à subventionner partiellement les cinémas indépendants afin de maintenir un maillage cinématographique du territoire au niveau local.
Le deuxième axe de cette proposition de loi a pour objet d’assurer un meilleur équilibre dans la relation contractuelle qui unit artistes-auteurs et éditeurs, cette relation s’établissant encore trop souvent au détriment des premiers.
Le rapport Racine, intitulé « L’auteur et l’acte de création », avait d’ailleurs parfaitement identifié ces problèmes : « La relation qui lie l’artiste-auteur aux acteurs de l’aval (éditeurs, diffuseurs, producteurs) apparaît profondément déséquilibrée, ce qui conduit, le concernant, à mettre en cause dans de nombreux cas l’idée même de liberté contractuelle. »
Pensant qu’une publication de son œuvre est toujours souhaitable, y compris à des conditions déraisonnables pour lui, l’auteur estime parfois qu’il n’a pas d’autre choix que d’accepter les termes du contrat. Le rapport précité insiste sur la nécessité, pour pallier cet écueil, d’une « transparence systématique et régulière de la part des cessionnaires de leurs droits envers les auteurs ».
Ainsi, en vue d’une telle transparence, l’article 3 de la proposition de loi propose la reddition systématique et complète des comptes en cas de cessation d’activité par l’éditeur. Cette mesure permettra en effet à l’auteur de mieux appréhender les dynamiques économiques entourant la vente de ses livres et, dans une certaine mesure, de se projeter financièrement dans l’avenir, mais il ne s’agit que d’un premier pas qu’il nous faudra sans doute amplifier, en tout cas compléter.
Le troisième axe est celui de l’adaptation de notre droit en matière de collecte des œuvres numériques sur internet.
Comme explicité dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, le développement du numérique est allé de pair avec une multiplication des œuvres numériques ; or une part de plus en plus importante de ces œuvres se révèle difficile à collecter dans le cadre du dépôt légal numérique, celles-ci étant publiées dans des espaces privés.
L’article 5 a donc pour objet de doter les responsables de ces opérations de collecte de moyens juridiques adaptés qui leur permettront de continuer à remplir correctement leur mission. Là encore, nous sommes tout à fait favorables à l’objectif recherché, à savoir sauvegarder pour les générations futures un exemplaire de chaque élément de la production éditoriale française, qu’il soit de nature écrite, graphique, sonore, cinématographique ou audiovisuelle – nous y sommes d’autant plus favorables, bien sûr, que ladite production élargit nos imaginaires.
Je pourrais égrener beaucoup d’autres mesures très substantielles de cette proposition de loi mais, pour conclure, j’aimerais insister sur le rôle essentiel qu’a eu le livre pendant les périodes de confinement. Le livre s’est rappelé à notre bon souvenir en tant qu’objet à part entière dans et pour notre imaginaire, capable de nous transporter dans d’innombrables lieux, dans de multiples univers, capable aussi de nous faire vivre et ressentir toute la palette des émotions, capable de nous instruire, de nous faire penser et de nous élever. Sa défense n’est plus à faire ; mais de cette loi, il avait besoin.
Vous l’aurez compris, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera sans réserve et avec enthousiasme cette proposition de loi. Nous ne pouvons que saluer le travail législatif précis et de très grande qualité de notre collègue Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et Les Républicains. – Mme Monique de Marco applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux en premier lieu remercier Laure Darcos, auteure de cette proposition de loi, et Céline Boulay-Espéronnier, notre rapporteure, pour cette belle initiative de défense du livre et des librairies. Ces dernières sont des lieux essentiels du développement de l’offre culturelle. Elles sont 3 300 à mailler les territoires de nos villes, grandes ou petites, lieux de découverte, pour tout public, de la littérature et de la culture.
Cependant, elles sont aussi des commerces qui rencontrent de grandes difficultés financières et sont parfois contraints de disparaître. En effet, les libraires bénéficient d’une faible marge sur la vente des livres et doivent prendre en charge le loyer et les charges salariales de leurs employés, comme c’est le cas pour toute activité commerciale.
Ces professionnels doivent en outre faire face à une concurrence très sévère de la part des plateformes, principalement d’Amazon, qui achemine gratuitement ou presque les documents achetés au domicile de leurs clients. Le coût réel du port est bien évidemment plus élevé, de 4 à 6 euros pour un colis de 500 grammes ; mais ces chaînes de distribution, ayant conclu un accord avec La Poste et participant à l’acheminement, profitent d’un tarif préférentiel.
Les plateformes du e-commerce préfèrent être déficitaires sur les frais d’expédition et traitent le livre comme un produit d’appel pour proposer à la vente d’autres articles aux marges beaucoup plus lucratives.
Bien que le 10 août 1981, la loi Lang ait imposé le tarif unique, et bien qu’en 2014 la Fnac se soit vue interdire le rabais de 5 % sur la vente à distance de livres, les libraires subissent toujours une concurrence déloyale des chaînes de distribution : ne pouvant prendre en charge les frais de port, ils les facturent, ce qui augmente le prix du produit pour le consommateur.
Dans cette proposition de loi visant à améliorer l’économie du livre, il est proposé de fixer par arrêté un tarif identique, fondé sur le poids, pour tout acheminement de livre, quel que soit l’expéditeur. À quinze jours de l’étude du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique, n’est-il pas important que le consommateur prenne conscience de l’émission de CO2 causée par le transport d’une marchandise sur des centaines de kilomètres, et participe financièrement ?
D’aucuns rétorqueraient que le e-commerce permet aux habitants de territoires dépourvus de librairies de se procurer des livres. Or auditions et enquêtes montrent que le choix des plateformes, loin de répondre à une absence commerciale locale, est davantage le fait d’utilisateurs urbains socialement plutôt aisés.
L’affichage du prix du livre doit aussi préciser très clairement s’il s’agit de livres neufs ou de livres d’occasion. Parfois, sur les sites ou applications pour smartphones, le peu de clarté des tarifs incite à penser que le livre est neuf et vendu à un prix préférentiel, alors qu’il s’agit en réalité d’un volume d’occasion.
Pour corriger toute initiative des distributeurs qui ne serait pas conforme à la loi, notre rapporteure proposera, à l’article 1er, de supprimer la procédure de contrôle inemployée par le ministère de la culture pour s’en remettre à l’efficacité des organisations professionnelles et du médiateur du livre.
Ce dispositif légal de rééquilibrage de la concurrence pourrait être complété par la mutualisation et la modernisation des réseaux de librairies indépendantes. Le plan de relance de 12 millions d’euros pourrait venir au soutien financier de cette restructuration.
Sur le plan local, l’article 2 prévoit d’instaurer un dispositif fiscal permettant aux communes et communautés de communes d’attribuer des subventions aux librairies indépendantes, labellisées ou non, pour permettre le maintien d’une offre culturelle de proximité et de qualité dans nos territoires.
Le monde du livre se caractérise par la diversité de ses acteurs, la fragilité de la filière et l’interdépendance de ses maillons : auteurs, éditeurs, libraires indépendants ou en réseau.
Si la crise sanitaire a accéléré la fragilisation des libraires, elle a mis également en lumière la difficulté des auteurs. Le conseil permanent des écrivains réclamait la mise en place d’un outil de suivi des ventes en sortie de caisse, destiné à apporter aux auteurs une information régulière et précise quant aux ventes de leurs ouvrages. Les auteurs seront associés à la mise en place de ce dispositif dit « Booktracking », malheureusement retardé à cause de la crise sanitaire. L’article 3 de la proposition de loi conforte cette demande en prévoyant un suivi de l’état des comptes et du stock de l’éditeur lorsque la cessation d’activité est prononcée.
Quant à l’article 5, il réforme la partie du code du patrimoine qui concerne le dépôt légal. Celui-ci, fondé en 1537, fait entrer dans les collections nationales un exemplaire de toute production éditoriale française, écrite, graphique, sonore, cinématographique, audiovisuelle, sous sa forme visuelle ou numérique. Mais certaines collections automatisées de sites web sont inaccessibles, car payantes ou protégées. Ce texte propose de créer des moyens techniques et juridiques permettant de rendre obligatoire le dépôt de tout document, en vue d’en assurer la conservation et la consultation tout en garantissant la protection des données.
Cette proposition de loi sécurise donc plusieurs aspects de la filière du livre : les droits d’auteur, la profession de libraire face aux géants de la distribution, le dépôt légal de tout document.
Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. Pendant la crise sans précédent que nous venons de traverser, les échanges, conseils, démarches se faisaient par écran interposé ; nous avons tous souffert, à divers degrés, de l’isolement et du manque de contact avec nos semblables. Ne faut-il pas légiférer pour supprimer la concurrence déloyale subie par ces lieux de rencontres que sont les librairies, qui méritent d’être préservées, et pour favoriser nos libraires en contrepartie des conseils qu’ils prodiguent et du professionnalisme dont ils font preuve ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Yves Bouloux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Yves Bouloux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qu’il nous est donné d’examiner aujourd’hui tend à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs.
Le premier confinement a généré une baisse globale de chiffre d’affaires de 90 % pour le secteur de la librairie indépendante. Le taux de rentabilité moyen de ce type de librairie tournant autour de 1 %, les conséquences de cette baisse ont été extrêmement difficiles.
Mais, plus qu’à sauver nos petites librairies, cette proposition de loi vise à protéger notre diversité culturelle. En effet, en 2020, avec la fermeture des librairies, il s’est vendu trois fois moins de références différentes d’ouvrages qu’en 2019.
Les algorithmes des plateformes en ligne et les avis des lecteurs uniformisent nos lectures. Préserver la vente en librairie, c’est préserver la diversité culturelle.
Sur 20 000 points de vente de livres, on compte environ 4 000 librairies indépendantes, qui réalisent encore 40 % du total des ventes. Déjà fortement concurrencées par les grandes surfaces culturelles, ces librairies indépendantes le sont aussi aujourd’hui par la vente en ligne.
D’année en année, les ventes en librairie baissent quand, à l’inverse, celles qui sont effectuées en ligne ne cessent d’augmenter. La vente en ligne représentera bientôt une vente sur cinq. Elle est dominée par les grandes plateformes, Amazon et la Fnac réalisant 80 % des ventes effectuées sous ce mode.
En 1981, la loi Lang a uniformisé le prix du livre. La différence avec internet se fait sur la livraison, qui est rapide et quasi gratuite. Pour rétablir une concurrence équilibrée avec les plateformes, il est proposé à l’article 1er de fixer un tarif plancher de frais d’envoi des livres. La commission des affaires économiques a proposé la suppression de cette disposition, alertant sur les risques d’effets de bord.
Cette hausse de prix va-t-elle conduire les acheteurs à se rendre en librairie ? Va-t-elle permettre aux librairies indépendantes d’accéder au marché de la vente en ligne ? Ou bien va-t-elle simplement permettre aux grandes plateformes de récupérer une partie de leurs frais de livraison ?
Si des inconnues existent, nous n’avons aujourd’hui aucune autre proposition. L’efficacité du dispositif dépendra du tarif minimal fixé et de la capacité des libraires à se fédérer et à communiquer. Ils ont déjà commencé à s’organiser. Le site internet des librairies indépendantes référence pas moins de 20 millions de livres.
L’émergence de l’achat militant et le plan de relance sont engageants.
La proposition de loi tend également à prévoir de réformer le régime des soldes de livres, le contrat d’édition et le dépôt légal numérique. Elle vise à obliger la distinction entre la vente de livres neufs et d’occasion, et améliore la saisine du médiateur du livre. Ces dispositions, qui vont dans le bon sens, font consensus.
Le texte vise enfin à autoriser les collectivités à accorder une subvention aux librairies indépendantes, dans la limite de 30 % de leur chiffre d’affaires. Pendant le confinement, les collectivités n’ont pu aider que les seules librairies qu’elles logeaient, en suspendant leurs loyers.
Dans nos territoires ruraux, les librairies indépendantes doivent avoir leur place à côté des espaces culturels des grandes surfaces.
La proposition de loi que nous examinons est une avancée pour la cause du livre, nous nous en réjouissons. Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout a été dit ou presque. Pour ne pas me borner à reprendre, en les condensant, les propos de mes prédécesseurs, je commencerai par un in memoriam. Nous débattons en effet de la préservation des librairies indépendantes, lesquelles ont, je le crois, marqué nos vies.
Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, ce sont elles qui nous ont amenés à la lecture et aux livres. Julien Bargeton en a ainsi cité autant comme autant, et nous connaissons tous son goût pour le livre.
Mais qui a fait référence la librairie Gibert Jeune, qui se trouve à deux pas d’ici et qui est fermée depuis deux mois et demi, alors que nous sommes nombreux à y avoir acheté des livres d’occasion ? J’y ai parfois pris des livres de taupin, mais aussi l’Anthologie de la poésie française de Georges Pompidou…
Pourquoi cette librairie du Quartier latin, où nous allions étudiants acheter des ouvrages d’occasion, a-t-elle fermé ses portes, madame la ministre ? Tout simplement parce que les étudiants, aujourd’hui, n’achètent plus de livres dans les librairies indépendantes ! Les jeunes, ceux vers lesquels nos efforts devraient également tendre, vont maintenant sur internet.
Déjà, à la fin du XXe siècle, on commandait sur Amazon les livres que l’on ne pouvait pas trouver en France, qu’ils soient écrits en anglais ou dans d’autres langues, espagnol ou russe, si l’on aimait la littérature. Peut-être avons-nous, là encore, raté le tournant de l’internet ?
Je ne crois pas qu’il faille aujourd’hui opposer ce qu’il reste des librairies indépendantes à Amazon – n’ayons pas peur de nommer le mal. Rappelons-nous que nous avions eu la même tentation à propos des hypermarchés ou du groupe Fnac, qui faisaient également peser de lourdes menaces sur les librairies indépendantes. Pourtant, nous sommes parvenus à un équilibre en faveur de la lecture.
Quoi qu’il en soit, le vrai problème est de trouver un lectorat supplémentaire. Il s’agit d’un appel pressant, madame la ministre. En effet, même si Jean-Michel Blanquer y est également attentif, c’est là que le bât blesse.
À quoi bon vouloir préserver des librairies s’il s’agit de les transformer en musées ? Non ! Les librairies doivent demeurer des lieux vivants, drainant à elles de nouveaux lecteurs. Or, hélas, aujourd’hui, c’est toujours un peu la même population que l’on trouve dans les librairies indépendantes…
Je remercie donc Laure Darcos de nous permettre d’aborder cette question et d’avancer un certain nombre de propositions. Le débat, évidemment, portera surtout sur l’article 1er, la suite du texte ne posant pas problème. Céline Boulay-Espéronnier est parvenue, avec Laure Darcos et vos services, madame la ministre, à un texte équilibré. Mais tout cela ne suffira pas à résoudre les difficultés entre les différents acteurs.
Il existe bien une solution, mais elle relève de l’article 40 de la Constitution.
M. le président. Il y a peu de chance… (Sourires.)
M. Jérôme Bascher. Elle consiste, de la même manière qu’il existe des accords entre la presse et La Poste, à prévoir des accords entre les librairies et La Poste, comme Patrick Chaize l’a proposé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Ce sera donc pour plus tard… (Rires.)
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs
Article 1er
I. – La loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre est ainsi modifiée :
1° La dernière phrase du quatrième alinéa de l’article 1er est remplacée par trois phrases ainsi rédigées : « Le service de livraison du livre ne peut pas être offert par le détaillant à titre gratuit. Il doit être facturé dans le respect d’un montant minimum de tarification fixé par arrêté des ministres chargés de la culture et de l’économie sur proposition de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse. Cet arrêté tient compte des tarifs offerts par les opérateurs postaux sur le marché de la vente au détail de livres et de l’impératif de maintien sur le territoire d’un réseau dense de détaillants. » ;
2° Le même article 1er est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes vendant simultanément des livres neufs et des livres d’occasion ainsi que celles qui mettent à la disposition de tiers des infrastructures leur permettant de vendre ces deux types de produits s’assurent que le prix de vente des livres est communiqué en distinguant à tout moment et quel que soit le mode de consultation l’offre de livres neufs et l’offre de livres d’occasion. L’affichage du prix des livres ne doit pas laisser penser au public qu’un livre neuf peut être vendu à un prix différent de celui qui a été fixé par l’éditeur ou l’importateur. Un décret fixe les conditions d’application du présent alinéa. » ;
3° L’article 5 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le premier alinéa ne s’applique pas aux éditeurs dans leurs activités de détaillants lorsqu’ils vendent les livres qu’ils éditent. » ;
4° Aux première et seconde phrases de l’article 8-1, au dernier alinéa de l’article 8-3 et à la première phrase de l’article 8-7, les mots : « la culture » sont remplacés par les mots : « l’économie ».
II (nouveau). – Les obligations des détaillants prévues au 1° du I entrent en vigueur six mois après la publication de l’arrêté mentionné au même 1°.
III (nouveau). – Les obligations prévues au 2° du I entrent en vigueur six mois après la publication du décret mentionné au même 2°.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Je remercie de nouveau les sénatrices et les sénateurs pour ce débat, et tout spécialement Laure Darcos pour la qualité de son texte.
Effectivement, si nous avons su garder le plus grand réseau de librairies d’Europe, c’est bien parce que l’action de l’État a été constante lors des décennies précédentes. Comme dans d’autres secteurs culturels, il nous faudra passer d’une politique de l’offre à une politique de la demande sur les librairies et le fait de fréquenter les livres. La politique du pass Culture constitue l’une des réponses à la question posée, à savoir la conquête de nouveaux lecteurs.
Il existe finalement, ce débat le montre, un très large consensus, excepté peut-être en ce qui concerne l’article 1er. Je souhaite donc répondre très précisément à certaines interrogations, comme m’y a invitée Mme la rapporteure pour avis Martine Berthet.
Première question : cette mesure va-t-elle renchérir le prix du livre ?
Ce ne sera pas le cas. Il s’agit d’imposer aux acteurs qui expédient des livres de facturer au client un minimum réglementaire en contrepartie de la livraison. L’idée est de donner une valeur à ce service, qui n’est pas anodin. Or, aujourd’hui, il n’y a qu’un acteur qui pratique la quasi-gratuité systématique pour cette prestation. Par conséquent, la mesure ne va pas renchérir le prix du livre, elle contraindra simplement cet acteur à faire payer le service de livraison, comme le font tous ses concurrents.
Deuxième argument utilisé lors de ces échanges : cette mesure va pénaliser les Français vivant dans des zones éloignées de toute librairie.
On estime aujourd’hui qu’il existe 3 300 librairies en France. Mais il y a plusieurs dizaines de milliers de points de vente du livre, que cela soit à titre principal ou non. Beaucoup de Français achètent leurs livres dans des maisons de la presse, dans des grandes surfaces culturelles ou encore aux rayons livres des grandes surfaces alimentaires.
Les panels de consommateurs le montrent, nos concitoyens qui sont dans cette situation géographique préfèrent acheter très largement leurs livres dans les grandes surfaces. Ils ne dépendent pas de la vente en ligne. L’achat de livres en ligne est une pratique qui s’est surtout développée chez les habitants des grandes villes, en particulier chez ceux qui appartiennent à des catégories socioprofessionnelles favorisées.
Troisième argument qui est utilisé : cette mesure serait inefficace puisqu’elle ne changera rien pour les petites librairies qui ne pratiquent pas la vente à distance.
La régulation de la loi Lang n’a pas pour objectif de soutenir les petites librairies, mais elle vise à préserver la plus grande diversité possible dans tous les canaux de vente au détail. La vente en ligne est donc un canal au sein duquel il est primordial de préserver la plus grande diversité.
Or, dans ce domaine, on observe qu’un acteur gagne très rapidement des parts de marché. Cette croissance n’est pas due à des performances logistiques : ses délais de livraison standard sont les mêmes que ceux de tous ses concurrents. Elle n’est pas non plus due à la richesse de son assortiment : tous les détaillants en ligne peuvent proposer à la vente l’intégralité du catalogue disponible. Elle est donc principalement due à une violente concurrence sur les tarifs de livraison. Cette concurrence est telle qu’aujourd’hui cet opérateur dominant propose systématiquement la quasi-gratuité pour cette prestation alors qu’aucun autre opérateur ne le fait.
Nous sommes exactement dans la même situation que celle que connaissaient les commerçants de livres il y a quarante ans, avant que ne soit votée la loi relative au prix du livre. Une concentration est à l’œuvre et la diversité est en danger. Il faut donc interdire cette concurrence par les prix.
Tous les autres détaillants bénéficieront de cette mesure. D’abord, ceux qui se sont engagés dans la vente en ligne et qui souffrent aujourd’hui grandement d’une concurrence tarifaire sur laquelle ils ne peuvent s’aligner. Ensuite, ceux qui ne sont pas encore sur ce canal et qui voudraient s’y implanter. La situation actuelle dissuade bon nombre de libraires de s’engager sur ce terrain parce que le jeu leur paraît perdu d’avance.
À cet égard, je suis très étonnée d’entendre l’argument selon lequel cette régulation pourrait constituer une barrière pour les nouveaux entrants qui voudraient conquérir le marché avec des tarifs très bas. Aucun nouvel entrant n’aura les capacités financières de concurrencer durablement l’entreprise actuellement dominante en proposant une offre déficitaire. Cet argument me semble théorique.
Cette régulation pourrait aussi bénéficier aux boutiques. La tarification, même si elle n’est pas très élevée, pourra inciter les lecteurs à aller retirer leur commande en magasin, voire à la passer chez le détaillant le plus proche. Ces déplacements sont propices aux achats d’impulsion et donc à la diversité de la création.
Quatrième argument entendu : cette mesure réduirait les pratiques de lecture et nuirait au marché du livre.
L’érosion de ces pratiques a des causes beaucoup plus profondes et complexes à traiter que la question du prix du livre.
Le livre est un bien culturel très accessible dans notre pays, et il l’est de plus en plus. Entre 2000 et 2020, l’indice général des prix (IGP) a progressé de 33 % alors que l’indice du prix des livres n’augmentait que de 22 %.
Le livre est donc devenu, en valeur relative, de moins en moins cher. Durant la même période, les pratiques de lecture ont continué de s’éroder, comme le montrent les statistiques sur les pratiques culturelles produites par mon ministère.
Cette évolution est due à la fois à des tendances de fond de la société française et aussi, plus récemment, à la démultiplication des écrans dans notre vie quotidienne. La question des frais de livraison à domicile des livres dont nous débattons aujourd’hui est dérisoire devant de telles forces qui sont à l’œuvre.
J’entends l’argument selon lequel cette mesure améliorera la marge du principal opérateur au détriment des lecteurs. On ne peut pas le nier, lorsqu’on interdit à un opérateur économique d’user de pratiques tarifaires jugées exagérément basses, on préserve sa rentabilité malgré lui. Mais, c’est une chose bien connue, cet opérateur a comme stratégie de sacrifier sa rentabilité pour conquérir le marché par des politiques de prix agressives. Il compense ses pertes en offrant d’autres services, ce qui revient à faire du livre un produit d’appel. La régulation dont nous parlons aujourd’hui contrarie directement cette stratégie.
Quant à savoir si cette tarification minimale est véritablement une pénalité infligée aux lecteurs, cela se discute. Cette gratuité artificielle de la livraison à domicile, en permettant la concentration, porte directement atteinte à la diversité de la création éditoriale.
Pour que le lecteur d’aujourd’hui puisse continuer demain à bénéficier d’une offre de livres stimulante et renouvelée, il faut à tout prix préserver la diversité des acteurs de la vente au détail.
Par ailleurs, la quasi-gratuité permet également le développement de pratiques de consommation totalement délétères pour l’environnement. Comme la livraison est quasi gratuite, quel que soit le poids du colis ou sa valeur, on peut tout à fait, par confort, fragmenter ses commandes à mesure que l’idée nous prend d’acheter tel ou tel livre : il s’ensuit ensuite une démultiplication des emballages et des livraisons, avec toutes les conséquences néfastes que cela engendre.
Enfin, vous me demandez à juste titre quelles sont les intentions du Gouvernement pour fixer le tarif minimum. Si vous votez cette régulation, l’arrêté sera pris conjointement avec mon collègue ministre de l’économie. À ce stade, je me contenterai de partager avec vous certaines réflexions.
Il s’agit à la fois de permettre à un nombre significatif de libraires d’exercer une activité de vente à distance dans des conditions qui ne soient pas déficitaires, mais aussi de ne pas créer de rentes de situation ou de pertes pour le marché du livre par un tarif trop élevé.
La marge commerciale tirée par les détaillants de la vente de livres est relativement homogène, elle est proportionnelle au nombre de livres vendus, et donc au poids du colis. Si l’objectif est que l’opération ne soit pas déficitaire, alors il faut que la marge du détaillant puisse absorber la différence entre le tarif minimum que nous allons fixer et le coût réel que le détaillant devra supporter auprès de son prestataire d’expédition.
Par exemple, si je me fais livrer de nombreux livres dans le même paquet, la marge qu’en tire mon libraire lui permet de m’offrir la livraison à domicile sans que cette opération soit déficitaire pour lui. Nous n’aurons donc aucun intérêt à fixer des tarifs minimaux élevés pour les commandes importantes. C’est pour les colis plus léger que le Gouvernement devra interdire la gratuité, mais en plaçant toujours le tarif minimum à un niveau modéré afin d’empêcher les situations de rente ou d’éviter que des clients renoncent à l’achat.
C’est ce travail de précision que nous attendrons de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). C’est en se basant sur son avis que le Gouvernement pourra arrêter la grille tarifaire.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je pense avoir répondu complètement à votre légitime questionnement. (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je félicite également Laure Darcos pour son engagement en faveur de ce produit essentiel qu’est le livre.
La commission des affaires économiques a émis des réserves, car nous ne pensons pas que l’instauration d’un prix plancher changera le comportement des lecteurs, d’autant que ceux-ci sont en règle générale aisés. Par conséquent, les inciter à faire leurs achats dans les librairies ne sera pas chose évidente.
De la même manière, nous ne pensons pas que l’enrichissement immédiat d’Amazon ou d’autres plateformes fera du bien aux librairies : l’argent collecté servira à améliorer et à développer de nouveaux services, qui viendront faire concurrence aux librairies.
Comme Julien Bargeton et Catherine Morin-Desailly, je pense que c’est d’abord le dynamisme et la particularité des librairies, la qualité des libraires et l’engagement des collectivités locales qui viendront sauver les librairies. C’est aussi probablement une réforme fiscale européenne d’ampleur, qui apportera une réelle égalité entre le commerce physique et le commerce numérique.
Nous avons respecté la position de la commission de la culture, monsieur Bargeton. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas redéposé notre amendement. Dès lors, j’aurai quelques questions rapides à poser à Mme la ministre.
Madame la ministre, comment allez-vous respecter la promesse du Président de la République ? Il faut, selon lui, maintenir un prix unique pour tous les livres, qu’il s’agisse du livre acheté en librairie ou du livre reçu à la maison. Demain, ce prix ne sera pas le même puisque le livre faisant l’objet d’une livraison sera facturé 2 ou 3 euros de plus, en fonction du prix plancher que vous allez déterminer.
Par ailleurs, vous nous dites vouloir établir davantage d’équité entre les librairies qui veulent livrer à domicile pour ne pas être en concurrence déloyale avec Amazon ou avec la Fnac.
Aujourd’hui, un libraire fait payer la livraison entre 5 et 7 euros, Amazon ne facture rien. Demain, Amazon la facturera peut-être 2 ou 3 euros, contre 5 ou 7 euros pour un libraire. Il n’y aura donc toujours pas d’équité entre ces deux modes de livraison et l’objectif ne sera pas atteint. Comment réglerez-vous cette difficulté, sinon en compensant l’écart – ce serait un comble – entre le coût de la livraison et le prix plancher ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par Mme L. Darcos, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
ne peut pas
par les mots :
ne peut en aucun cas, que ce soit directement ou indirectement,
La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. La rédaction proposée permet de sécuriser le dispositif prévu à l’article 1er et de s’assurer qu’aucune stratégie de contournement ne puisse être mise en œuvre, que ce soit au moyen de programmes de fidélité permettant la livraison gratuite de livres aux adhérents ou par l’incitation à commander des paniers qui ne seraient pas exclusivement composés de livres.
Il convient, à cet égard, d’éviter que ne se reproduisent les contournements observés après l’adoption de la loi du 8 juillet 2014 encadrant les conditions de vente à distance des livres.
Pour mémoire, cette loi a posé l’interdiction, pour le détaillant, de pratiquer un prix de vente au public différent de celui fixé par l’éditeur ou l’importateur, lorsque le livre est expédié à l’acheteur et n’est pas retiré dans un commerce de vente au détail de livres. Elle l’a toutefois autorisé à pratiquer une décote à hauteur de 5 % de ce prix sur le tarif du service de livraison qu’il établit, sans pouvoir offrir ce service à titre gratuit.
Or un puissant acteur économique, leader de la vente en ligne, n’a pas hésité, immédiatement après l’entrée en vigueur de la loi du 8 juillet 2014, à facturer ce service un centime d’euro, au point de provoquer une distorsion de concurrence contraire à l’esprit de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, en vertu de laquelle les frais de port doivent être considérés comme indissolublement liés au prix du livre dont ils ne constituent qu’un accessoire.
Cet amendement concourt par voie de conséquence à la préservation de la diversité de la création proposée par les libraires et les grandes surfaces culturelles, au maintien de l’accès de tous les citoyens à la culture et au soutien à l’économie locale des centres-villes et centres-bourgs.
À l’inverse de ce qu’a affirmé ma collègue Sophie Primas, les libraires ne paieront plus 7 ou 10 euros : c’est le consommateur qui paiera 2 ou 2,50 euros ; pour lui, cette mesure sera beaucoup plus positive. Le prix plancher sera valable autant pour celui qui ne payait rien que pour celui qui payait trop.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. Cet amendement prévoit de renforcer l’interdiction de la gratuité des frais de port pour les livres.
En raison des stratégies de contournement qui ont été mises en place par les grandes plateformes en ligne après la loi de 2014, cette précision semble nécessaire pour éviter que cette gratuité ne soit réintroduite indirectement, par exemple via des cartes de fidélité ou des avantages spécifiques.
La commission a donc émis un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je soutiendrai l’amendement de notre collègue Laure Darcos.
Je souhaite aussi réagir aux propos de Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Je partage son souhait qu’il y ait enfin une fiscalité applicable aux géants du numérique, mais on en parle depuis plus de dix ans : c’est donc laborieux !
Or ce n’est pas la fiscalité seule qui permettra de résoudre les problèmes de concurrence déloyale des plateformes. Il faut aussi que Bruxelles applique les règlements instaurant des règles de concurrence loyale, et j’espère que le Digital Markets Act (DMA) sera une solution. Aujourd’hui, il faut sept ans de procédure à la Commission pour établir qu’il y a eu concurrence déloyale et abus de position dominante de la part de ces plateformes. Sans parler de la stratégie de captation des données, qui est liée au modèle économique desdites plateformes.
Ce modèle économique est donc assez pervers et toxique. Il y aura toujours des stratégies de contournement des mesures que nous prendrons, quelles qu’elles soient.
Tout cela va donc malheureusement bien au-delà des simples questions de fiscalité, d’où notre extrême vigilance à essayer d’établir, pas à pas, une législation moins asymétrique et plus favorable à notre économie, ainsi qu’au modèle auquel nous sommes attachés.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je répéterai ici, de façon un peu solennelle, ce que j’ai dit en commission de façon sans doute trop véhémente. Je vous prie de m’en excuser, madame Berthet, mais vous savez que nous avons, à la commission de la culture, à cœur de défendre un certain nombre d’exceptions !
Amazon – je le cite puisque personne ne le fait –…
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Si, je l’ai fait !
M. Pierre Ouzoulias. … suit une stratégie de vente à perte. (Mmes Sophie Primas et Martine Berthet le contestent.)
Nous parlons d’un marché dans lequel existe un prix unique du livre : la seule solution dont dispose Amazon pour s’attaquer à ce prix unique est de ne pas facturer la livraison, ou de la facturer à un niveau ridiculement bas. Cette pratique, celle de la revente à perte, est punie par la loi ! Quant à nous, ici, nous défendons une loi que cette entreprise, via un modèle extrêmement sophistiqué, a réussi à détourner.
Je suis tout à fait de l’avis de Laure Darcos : avec Amazon, nous sommes dans la dialectique du glaive et du bouclier.
Vous avez très judicieusement trouvé une solution pour éviter cette vente à perte, ma chère collègue. Mais, n’en doutons pas, Amazon trouvera d’autres subtilités pour continuer à attaquer le prix unique du livre, ce qui est pour elle un objectif économique et politique majeur.
Ce que nous défendons aujourd’hui, mes chers collègues, c’est le prix unique du livre. Or ces grandes entreprises supra-étatiques veulent, quant à elles, fixer elles-mêmes les prix du marché en toute liberté, en dehors de toute régulation par les États. Tel est l’enjeu économique, et il importe d’en avoir conscience.
Regardons ce qui passe de l’autre côté de l’Atlantique où la demande d’une loi anti-monopole est forte. C’est à mon sens l’une des solutions : il faudra, à un moment donné, s’attaquer au monopole des Gafam !
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par Mme L. Darcos, est ainsi libellé :
Alinéa 2, dernière phrase
Remplacer les mots :
tarifs offerts par les opérateurs postaux
par les mots :
tarifs proposés par les prestataires de services postaux
La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. La rédaction proposée permet de se rapprocher de la terminologie usitée dans le code des postes et des communications électroniques (CPCE).
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. Il s’agit d’un amendement rédactionnel formulé à la suite d’un avis du Conseil d’État.
L’avis est favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par Mme L. Darcos, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 7
Rédiger ainsi cet alinéa :
4° Les articles 8-1 à 8-7 sont abrogés.
II. – Après l’alinéa 7
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – L’article 7-1 de la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique est abrogé.
La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Cet amendement a été déposé un peu tardivement. Je vous prie de bien vouloir m’en excuser, mais j’ai dû procéder à quelques vérifications.
Les articles 8-1 à 8-7 de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, introduits par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, prévoient une procédure d’assermentation d’agents relevant du ministère chargé de la culture afin de leur accorder des pouvoirs d’enquête et de constatation des infractions aux lois relatives au prix du livre.
Alors qu’il était initialement envisagé dans la proposition de loi de revenir sur la compétence de contrôle de l’application de la législation encadrant le prix du livre par les agents du ministère chargé de la culture, et de la transférer aux agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), cet amendement vise à supprimer le dispositif introduit par la loi du 17 mars 2014, compte tenu de l’absence de mise en œuvre de cette compétence depuis son institution.
Alors qu’aucune infraction n’a été à ce jour formalisée par ce biais, il est en effet proposé de ne pas maintenir cette compétence auprès d’agents dont les fonctions consistent initialement à soutenir et accompagner la politique du livre dans les territoires, et non à opérer des actions de contrôle et de police auprès des acteurs de ce secteur.
En outre, la DGCCRF, qui détient d’ores et déjà une compétence de droit commun s’agissant de l’information du consommateur sur les prix, n’exerce pas dans la pratique cette compétence pour ce qui concerne la vente de livres, dont le cadre juridique particulier supposerait une lourde démarche d’appropriation de la part des agents de cette direction.
Enfin, la suppression du dispositif de contrôle des lois relatives au prix du livre par des agents assermentés peut aujourd’hui être envisagée sereinement, tandis que l’institution du médiateur du livre prouve, depuis 2014, son utilité et sa pleine efficacité pour veiller à la bonne application de ces lois.
Je défendrai tout à l’heure un amendement visant à compléter ce dispositif et à ouvrir à d’autres personnes la possibilité de vérifier le prix du livre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. Cet amendement vise à supprimer le contrôle administratif du respect effectif de la loi sur le prix unique du livre. Il doit se lire de manière complémentaire avec l’amendement n° 8, déposé par Mme Darcos à l’article 4 du présent texte, qui vise à redéfinir le rôle du médiateur du livre et les modalités de contrôle de cette loi.
L’article 1er tend à transférer à la DGCCRF le contrôle sur la loi du prix unique du livre, actuellement exercé par les services du ministère de la culture.
Au nom de l’efficacité, j’avais approuvé cette simplification en tant que rapporteure, sachant qu’aucune infraction n’a jamais été constatée par ce biais. Or il n’est pas certain que la DGCCRF fasse mieux sur un secteur très spécifique. Le mécanisme proposé par la combinaison des amendements nos 7 rectifié et 8 consiste à faciliter, en cas de problème, la saisine du juge judiciaire par les organisations professionnelles.
La commission est donc favorable à cette mesure de simplification administrative.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. L’exercice de ce contrôle par le médiateur du livre faisant l’unanimité, l’avis est favorable.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Je me tourne de nouveau vers Mme la ministre pour lui demander quel sera le mécanisme de facturation des frais d’expédition. Un prix plancher sera-t-il appliqué à tous ? Ou le prix plancher sera-t-il un prix plafond, les libraires payant alors le même tarif qu’Amazon ? Dans ce dernier cas, qui payera la différence entre le coût réel de livraison et le coût d’affranchissement ?
J’aimerais obtenir cette précision, car je ne comprends pas le mécanisme.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Comme je l’ai indiqué dans mon propos plus complet sur l’article 1er, madame la présidente, cette question va donner lieu à un travail qui sera effectué avec l’Arcep, afin de trouver le mécanisme le plus efficace pour garantir que les règles de la concurrence entre ventes sur plateforme et ventes en librairie indépendante soient bien respectées.
Ce travail collaboratif va débuter : si vous souhaitez y participer, vous êtes la bienvenue.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par M. Bacchi, Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 1er de la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique est ainsi rédigé :
« Art. 1er – La présente loi s’applique au livre numérique lorsqu’il est une œuvre de l’esprit créée par un ou plusieurs auteurs et qu’il est à la fois commercialisé sous sa forme numérique et fixé sur support physique ou qu’il est, par son contenu et sa composition, susceptible d’être fixé sur support physique, à l’exception des éléments accessoires propres à l’édition numérique. »
La parole est à M. Jérémy Bacchi.
M. Jérémy Bacchi. Si la loi de 2011 a permis de clarifier la place du livre numérique au regard de la loi Lang, il y a encore, semble-t-il, des trous dans la raquette. C’est notamment le cas du livre audio numérique, qui se trouve dans une position bancale. Si un rescrit fiscal de septembre 2009 a reconnu le livre audio physique comme un livre, entrant donc dans le champ de la TVA réduite, ce n’est pas le cas pour le livre audio tout numérique.
L’ancien chef du département de l’économie du livre au ministère de la culture, Guillaume Husson, déclarait : « Nous ne disposons pas de base juridique pour ce qui concerne le livre audio numérique, mais à la lecture de la loi de 2011 et de son décret, rien ne semble s’opposer à ce qu’il soit également assimilé à un livre […] ». Rien n’empêche donc, mais rien n’oblige non plus.
C’est notamment grâce à ce flou que la filiale de Hachette, Audiolib, a pu proposer des livres gratuits pour tout téléchargement de l’application Audible, appartenant à Amazon. Cette promotion, qui aurait dû être identique pour tous les sites et applications de livres audio numériques, a été exclusivement appliquée à Audible. On peut ainsi trouver un livre gratuit chez Audible, en vente à 21,60 euros chez ses concurrents.
Il est vrai qu’actuellement la majorité des éditeurs jouent le jeu du prix unique, mais – je le redis – rien ne les y oblige. On se retrouvera alors fatalement avec des cas comme celui que je viens de citer.
Ce type de démarches pourrait d’ailleurs se multiplier quand on voit la place toujours plus importante prise, d’une part, par les livres numériques et, d’autre part, par Amazon, qui, avec Audible mais aussi Kindle, tente de plus en plus d’imposer sa loi.
La petite modification législative que je propose permettrait de sécuriser davantage les libraires en mettant au même niveau les livres audio physiques, soumis au prix unique, et leurs homologues numériques, qui y échappent.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. Je comprends l’objet de cet amendement, mais le livre audio, produit mixte par excellence, n’est pas couvert par la loi sur le prix unique, qui concerne les livres imprimés et les livres numériques.
D’ailleurs, il n’est pas certain qu’il faille inclure le livre audio dans cette loi.
Tout d’abord, les coûts de production peuvent être très différents d’un livre à l’autre, voire d’une version à l’autre – c’est le cas, par exemple, pour un classique. Il s’agit en réalité d’un marché encore naissant qui doit trouver son modèle économique.
Ensuite, la rédaction de l’amendement est peu satisfaisante, car elle ne précise pas suffisamment l’objet recherché. De fait, il me semble qu’elle est trop large : bien au-delà du livre audio, elle pourrait conduire à appliquer la loi à d’autres types de supports, comme les œuvres cinématographiques tirées de romans.
Par ailleurs, l’amendement ne prévoit pas de renvoi au décret, qui est pourtant essentiel.
Enfin, je crois que toute modification de la loi devrait faire l’objet, comme cela a été le cas pour les autres dispositions du texte, d’une large concertation avec les professionnels du secteur.
Pour toutes ces raisons, l’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Je suis pleinement d’accord avec les arguments de la rapporteure. Si j’en ai bien compris les contours et la philosophie, l’amendement va largement au-delà de l’objectif affiché.
Comme vous l’avez relevé, madame la rapporteure, avec cet amendement tel qu’il est rédigé, rien n’empêcherait d’inclure les adaptations cinématographiques diffusées sous forme numérique dans la loi de 2011.
De plus, la mesure qui figure dans l’amendement nécessite une concertation avec les professionnels, qui sont pour l’instant très divisés. Le moins qu’on puisse dire est que cette disposition ne fait pas consensus au sein de la profession. Il convient donc de s’interroger sur son opportunité.
Cette proposition de loi présente un énorme avantage : elle fait consensus dans toute la filière du livre. Il faut, me semble-t-il, conserver la philosophie qui sous-tend le texte défendu par Laure Darcos. Même s’il est en développement, le marché du livre audio est encore émergent : il a besoin de se stabiliser. Cet amendement a un champ d’application trop large, et il est prématuré.
J’émets donc un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Bacchi, l’amendement n° 6 est-il maintenu ?
M. Jérémy Bacchi. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 6 est retiré.
Article 2
I. – Le chapitre Ier du titre V du livre II de la deuxième partie du code général des collectivités territoriales est complété par un article L. 2251-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 2251-5. – Les communes ainsi que leurs groupements, la collectivité de Saint-Barthélemy et la collectivité de Saint-Martin, peuvent, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, attribuer des subventions à des établissements existants ayant pour objet la vente au détail de livres neufs.
« Pour bénéficier de la subvention prévue au premier alinéa, un établissement doit, au cours de la période de référence mentionnée à l’article 1467 A du code général des impôts ou, pour la collectivité de Saint-Barthélemy, la collectivité de Saint-Martin et les communes de Saint-Pierre-et-Miquelon, l’année qui précède celle du versement de la subvention, relever d’une entreprise qui satisfait aux conditions suivantes :
« 1° L’entreprise doit être une petite et moyenne entreprise au sens de l’annexe I au règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité ou, pour la collectivité de Saint-Barthélemy et les communes de Saint-Pierre-et-Miquelon, occuper moins de 250 personnes et avoir un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 50 millions d’euros ou dont le total du bilan annuel n’excède pas 43 millions d’euros ;
« 2° Le capital de l’entreprise est détenu de manière continue à hauteur de 50 % au moins :
« a) Par des personnes physiques ;
« b) Ou par une société répondant aux conditions du 1° et du 3° du présent article et dont le capital est détenu à hauteur de 50 % au moins par des personnes physiques ;
« 3° L’entreprise n’est pas liée à une autre entreprise par un contrat prévu par l’article L. 330-3 du code de commerce.
« Ces subventions sont attribuées conformément aux stipulations d’une convention conclue entre l’établissement et la collectivité, la commune ou le groupement de communes.
« Le bénéfice de cette subvention est subordonné au respect de l’article 53 du règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité. »
II (nouveau). – Le I entre en vigueur le 1er janvier de l’année suivant celle de la promulgation de la présente loi.
M. le président. L’amendement n° 5, présenté par M. Dossus, Mme de Marco, M. Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
ainsi que leurs groupements
par les mots :
, leurs groupements ainsi que la métropole de Lyon
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Cet amendement de précision est relatif à la possibilité donnée aux communes et à leurs groupements d’accorder des aides économiques aux librairies indépendantes. Je n’ai pas réussi à savoir si l’article s’appliquait à la métropole de Lyon, qui – on le sait – est devenue une collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution : elle exerce, à la fois, les compétences du département et de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) de son territoire, mais elle n’est pas juridiquement un groupement de communes, qui est le terme utilisé dans la proposition de loi.
C’est la raison pour laquelle j’aimerais savoir s’il faut, ou non, ajouter la métropole de Lyon dans le texte, sachant qu’il existe 70 librairies labellisées indépendantes sur son territoire. Si cette collectivité ne pouvait pas bénéficier des possibilités, prévues dans la proposition de loi, d’apporter des aides économiques aux librairies, cela pourrait poser problème.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. Le présent amendement vise à prévoir explicitement la possibilité pour la métropole de Lyon de verser une subvention aux librairies.
Il souligne utilement le statut spécifique de la métropole de Lyon, issu de la loi du 27 janvier 2014. Je rappelle cependant que l’article L. 3611-4 du code général des collectivités territoriales prévoit que, pour l’exercice de ses compétences, la métropole de Lyon dispose des mêmes droits et est soumise aux mêmes obligations que les EPCI à fiscalité propre.
Dès lors, il me semble que la précision apportée par l’amendement est superfétatoire, mais il est essentiel que Mme la ministre puisse confirmer ma lecture des textes. Aussi, je sollicite l’avis du Gouvernement sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. L’argumentation de la rapporteure est parfaitement pertinente ! Le texte est très clair et répond complètement à la crainte soulevée par M. Dossus. L’amendement est inutile.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Monsieur Dossus, l’amendement n° 5 est-il maintenu ?
M. Thomas Dossus. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 5 est retiré.
Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
I. – Le code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :
1° L’article L. 132-15 est ainsi modifié :
a) Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la cessation d’activité de l’entreprise d’édition est prononcée, soit conséquemment à une décision judiciaire de liquidation, soit du fait d’une cessation d’activité volontaire, un état des comptes à date de la cessation est produit et adressé à chaque auteur sous contrat avec l’entreprise. Cet état des comptes doit faire apparaître le nombre d’exemplaires des ouvrages vendus depuis la dernière reddition des comptes établie, le montant des droits dus à son auteur au titre de ces ventes, ainsi que le nombre d’exemplaires disponibles dans le stock de l’éditeur. L’éditeur en cas de cession volontaire ou le liquidateur en cas de décision judiciaire de liquidation fournit à l’auteur les informations qu’il a recueillies auprès des distributeurs et des détaillants sur le nombre d’exemplaires restant disponibles. » ;
b) Le quatrième alinéa est ainsi modifié :
– le mot : « trois » est remplacé par le mot : « six » ;
– après le mot : « prononcée, », la fin est ainsi rédigée : « le contrat est résilié de plein droit. » ;
2° Après l’article L. 132-17-1, il est inséré un article L. 132-17-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 132-17-1-1. – Dans le cas d’une édition d’un livre sous forme imprimée, les parties peuvent convenir d’une provision pour retours d’exemplaires invendus. Le contrat d’édition détermine alors le taux et l’assiette de la provision ou, à défaut, le principe de calcul du montant de la provision à venir. » ;
3° L’article L. 132-17-3 est ainsi modifié :
a) Le 1° du I est complété par les mots : « et, si le contrat d’édition prévoit une provision pour retours d’exemplaires invendus, le montant de la provision constituée et ses modalités de calcul » ;
b) Avant le dernier alinéa du même I, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les droits issus de l’exploitation de plusieurs livres d’un même auteur régis par des contrats d’édition distincts ne peuvent pas être compensés entre eux sauf convention contraire distincte des contrats d’édition, et conclue dans les conditions prévues par l’accord rendu obligatoire mentionné à l’article L. 132-17-8. » ;
4° Le II de l’article L. 132-17-8 est ainsi modifié :
a) Le 4° est complété par les mots : « et les dérogations contractuelles relatives à la compensation des droits issus de l’exploitation de plusieurs livres » ;
b) Il est ajouté un 10° ainsi rédigé :
« 10° De l’article L. 132-17-1-1 relatives aux conditions de constitution des provisions pour retours d’exemplaires invendus. » ;
5° La section 1 du chapitre II du titre III du livre Ier de la première partie est complétée par une sous-section 3 ainsi rédigée :
« Sous-section 3
« Dispositions particulières applicables à l’édition d’une œuvre musicale
« Art. L. 132-17-9. – Les accords relatifs aux obligations respectives des auteurs et des éditeurs de musique, à la sanction de leur non-respect et traitant des usages professionnels, conclus entre les organisations professionnelles représentatives des auteurs et les organisations professionnelles représentatives des éditeurs de musique, peuvent être étendus à l’ensemble des intéressés par arrêté du ministre chargé de la culture. »
II. – Lorsqu’ils prévoient une provision pour retours d’exemplaires invendus, les contrats d’édition d’un livre conclus avant l’entrée en vigueur de la présente loi sont mis en conformité avec l’article L. 132-17-1-1 du code de la propriété intellectuelle, au plus tard trois ans après l’entrée en vigueur de l’arrêté du ministre chargé de la culture mentionné au I de l’article L. 132-17-8 du même code ou, en l’absence de cet arrêté, du décret en Conseil d’État mentionné au III du même article L. 132-17-8.
III. – Le 1° du I de l’article L. 132-17-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de la présente loi, est applicable à compter de l’exercice débutant après la mise en conformité du contrat d’édition aux dispositions de l’article L. 132-17-1-1 du code de la propriété intellectuelle.
IV. – Le septième alinéa du I de l’article L. 132-17-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de la présente loi, est applicable à compter de l’entrée en vigueur de l’arrêté du ministre chargé de la culture mentionné au I de l’article L. 132-17-8 du même code ou, en l’absence de cet arrêté, du décret en Conseil d’État mentionné au III du même article L. 132-17-8.
V (nouveau). – Le quatrième alinéa de l’article L. 132-15 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction résultant de la présente loi, entre en vigueur six mois après la promulgation de la présente loi.
VI (nouveau). – Le 1° de l’article L. 811-1-1 du code de la propriété intellectuelle est complété par les mots : « les articles L. 132-15, L. 132-17-1-1, L. 132-17-3, L. 132-17-8 à L. 132-17-9 sont applicables dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs ». – (Adopté.)
Article 4
À la première phrase du premier alinéa du II de l’article 144 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, après le mot : « recourent », sont insérés les mots : « , par un auteur ou toute organisation de défense des auteurs ».
M. le président. L’amendement n° 8, présenté par Mme L. Darcos, est ainsi libellé :
Au début
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – L’avant-dernier alinéa du I de l’article 144 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les personnes et les organisations mentionnées au premier alinéa du II sont dispensées de l’obligation d’y recourir pour l’introduction d’une action en référé ou en cas d’indisponibilité du médiateur du livre. »
La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Alors qu’il était, à juste titre, prévu dans la proposition de loi de revenir sur la compétence de contrôle de l’application de la législation, il convient maintenant de veiller à la possibilité effective pour les parties concernées de saisir le juge des référés afin de faire cesser rapidement toute infraction.
Il s’agit de prévoir une exception à la compétence préjuridictionnelle obligatoire du médiateur du livre sur les litiges relatifs à l’application des lois relatives au prix du livre, prévue par l’article 144 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, en permettant aux personnes et aux organisations qui ont la capacité de saisir le médiateur du livre d’introduire une action en référé sans avoir à opérer une saisine préalable du médiateur.
Afin de ne pas remettre en cause, au-delà de cette stricte mesure, le cadre juridique dans lequel opère le médiateur du livre, qui a su prouver son utilité et son efficacité, cette exception doit être réservée aux cas urgents nécessitant une intervention rapide qui n’est pas compatible avec la temporalité propre au dispositif de conciliation.
Cet amendement tend ainsi à définir les motifs susceptibles de légitimer l’absence de saisine du médiateur, à savoir un recours en référé lié à une urgence ou l’indisponibilité du médiateur, notamment si le poste est vacant. Ce dernier cas couvrirait tous les recours au juge, que ce soit pour une action en référé ou au fond.
L’ajout de ce nouveau paragraphe nécessite de scinder l’article 4 en deux parties. J’ajoute que le médiateur du livre est tout à fait favorable à cette disposition : son équipe est très peu nombreuse, et cette mesure aurait un double effet sur sa compétence préjuridictionnelle.
M. le président. Le sous-amendement n° 9, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 8, alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige
La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre. J’approuve complètement l’amendement de Mme Darcos : il répond à une attente forte des acteurs de la commercialisation du livre, qui souhaitent pouvoir faire cesser de manière urgente des opérations manifestement contraires aux dispositions encadrant le prix du livre.
Cette possibilité d’agir devant le juge des référés est tout à fait complémentaire de l’action du médiateur du livre, mais la rédaction de l’amendement, chère Laure Darcos, mérite d’être précisée. C’est le sens de mon sous-amendement visant à encadrer plus strictement les cas de recours en référé en précisant le motif tenant à l’indisponibilité du médiateur du livre.
Sous réserve de l’adoption de ce sous-amendement, j’émets un avis favorable à l’amendement n° 8.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. Le sous-amendement n° 9 précise le cadre dans lequel le recours au médiateur n’est pas nécessaire. Cette proposition est de nature à mieux encadrer les relations entre les professionnels, le médiateur et la justice.
L’avis est donc favorable.
Quant à l’amendement n° 8, il dispense les organisations professionnelles de l’obligation de recours amiable devant le médiateur du livre pour assurer le respect de la loi sur le prix unique. Cette médiation constitue en effet un frein à l’efficacité dans le cas où l’urgence commande précisément d’agir rapidement en référé. Dès lors, le contrôle du respect de la loi sur le prix unique serait transféré aux professionnels du secteur et à la juridiction. Cela m’apparaît comme un gage d’efficacité.
L’avis est là aussi favorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.
(L’article 4 est adopté.)
Article 5
I. – Le titre III du livre Ier du code du patrimoine est ainsi modifié :
1° et 2° (Supprimés)
3° Le premier alinéa de l’article L. 132-1 est complété par les mots : « , ou en son acheminement par voie électronique » ;
4° et 5° (Supprimés)
6° Les a, c, d, e, g et h de l’article L. 132-2 sont complétés par les mots : « , y compris sous forme numérique » ;
7° (Supprimé)
8° Les deux premiers alinéas de l’article L. 132-2-1 sont ainsi rédigés :
« Les organismes dépositaires mentionnés à l’article L. 132-3 procèdent, conformément aux objectifs définis à l’article L. 131-1, auprès des personnes mentionnées au i de l’article L. 132-2, à la collecte des signes, signaux, écrits, images, sons ou messages de toute nature mis à la disposition du public ou de catégories de public lorsqu’ils leur sont librement accessibles. Ils peuvent procéder eux-mêmes à cette collecte selon des procédures automatisées dont ils informent les personnes mentionnées au même i ou en déterminer les modalités en accord avec ces personnes.
« Les personnes mentionnées audit i transmettent par voie électronique aux organismes dépositaires, dans les conditions définies à l’article L. 132-7, et lorsqu’ils ne sont pas librement accessibles à ceux-ci, les signes, signaux, écrits, images, sons ou messages de toute nature mis à la disposition du public ou de catégories de public qu’elles éditent ou produisent. » ;
8° bis (nouveau) Après l’article L. 132-2-1, il est inséré un article L. 132-2-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 132-2-2. – Les personnes mentionnées aux a, c, d, e, g et h de l’article L. 132-2 déposent les documents numériques selon les modalités fixées aux deux premiers alinéas de l’article L. 132-2-1. » ;
9° À l’article L. 132-5, après le mot : « vidéogrammes », sont insérés les mots : « , l’éditeur de presse ou l’agence de presse » ;
10° Le chapitre II est complété par un article L. 132-7 ainsi rédigé :
« Art. L. 132-7. – Les personnes mentionnées aux a, c, d, e, g, h et i de l’article L. 132-2 recourant au dépôt légal par voie électronique selon les modalités fixées au deuxième alinéa de l’article L. 132-2-1 procèdent dans un format dépourvu de mesure technique de protection pour permettre, dans des conditions de sécurisation garantissant leur non-dissémination, la reproduction des documents par les organismes dépositaires à des fins de conservation et de consultation pérennes.
« Les organismes dépositaires concluent avec les organisations professionnelles des déposants des accords déterminant les modalités de sécurisation de transmission et de conservation des documents déposés sous ce format.
« Les accords peuvent être rendus obligatoires à l’ensemble des personnes mentionnées au premier alinéa du présent article par arrêté du ministre chargé de la culture.
« À défaut d’accord dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de la loi n° … du … visant à améliorer 1’économie du livre et à renforcer 1’équité entre ses acteurs, ces modalités sont fixées par arrêté du ministre chargé de la culture. »
II (nouveau). – Le livre VII du code du patrimoine est ainsi modifié :
1° Le II de l’article L. 740-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, la référence : « L. 132-1 à » est remplacée par les références : « L. 132-3, L. 132-4 et » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les articles L. 132-1 à L. 132-2-2, L. 132-5 et L. 132-7 sont applicables en Nouvelle-Calédonie dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs. » ;
2° L’article L. 760-1 est ainsi modifié :
a) La référence : « L. 132-1 à » est remplacée par les références : « L. 132-3, L. 132-4 et » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les articles L. 132-1 à L. 132-2-2, L. 132-5 et L. 132-7 sont applicables dans les îles Wallis-et-Futuna dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs. » ;
3° L’article L. 770-1 est ainsi modifié :
a) La référence : « L. 132-1 à » est remplacée par les références : « L. 132-3, L. 132-4 et » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les articles L. 132-1 à L. 132-2-2, L. 132-5 et L. 132-7 sont applicables dans les Terres australes et antarctiques françaises dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs. » – (Adopté.)
Article 6
I. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Le Gouvernement souscrit complètement aux objectifs et aux avancées du texte proposé par Mme Darcos. Je propose donc de lever le gage prévu à l’article 6.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. Avis très favorable sur cet amendement qui marque l’accord du Gouvernement sur ce texte.
M. le président. Il faudra un jour m’expliquer la différence entre le « très favorable », le « moyennement favorable » et le « favorable tout court »… (Sourires.)
Je mets aux voix l’amendement n° 4.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par Mme L. Darcos, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi visant à conforter l’économie du livre et à renforcer l’équité et la confiance entre ses acteurs
La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Au moment où j’ai déposé cette proposition de loi, juste avant les fêtes de Noël, j’ai oublié un terme important : la confiance entre les acteurs concernés.
Je vous propose donc de rédiger ainsi l’intitulé du texte : « proposition de loi visant à conforter l’économie du livre et à renforcer l’équité et la confiance entre ses acteurs ».
Le faible nombre d’amendements déposés sur mon texte montre que les acteurs du secteur me font confiance et se font confiance entre eux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. Vouloir introduire dans le titre la notion de confiance entre les acteurs, qui a parfois fait défaut, est un objectif évidemment louable.
Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme la rapporteure.
Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. Je voudrais remercier Mme la ministre, ainsi que ses services, la direction de la séance et, cher Roger Karoutchi, la présidence.
Je remercie également mes collègues, mon groupe et la commission de m’avoir confié ce rapport. Ce fut un plaisir de le mener à bien. Je félicite Laure Darcos pour ce beau succès : le vote, dans cet hémicycle, de sa proposition de loi.
M. le président. Merci, chère Céline ! (Sourires.)
La parole est à l’auteure de la proposition de loi, ma chère Laure Darcos. (Nouveaux sourires.)
Mme Laure Darcos, auteure de la proposition de loi. Je veux vous faire part de mon émotion, car ce texte me tient particulièrement à cœur. Je remercie encore une fois les deux rapporteures. Chère Céline, je suis ravie que mon texte ait fait l’objet de votre premier rapport.
Je remercie l’administrateur des services de la commission qui n’a jamais manqué d’humour même dans les moments tendus, le président Laurent Lafon, qui m’a fait confiance, et mon président de groupe qui, dès le départ, m’avait promis d’inscrire ce texte à l’ordre du jour. Le Sénat peut se glorifier d’avoir pu parler du livre en ces temps où l’on débat davantage de sécurité et de sujets régaliens – il ne faut pas l’oublier.
Madame la ministre, merci infiniment pour votre soutien et pour celui de votre équipe de la direction du livre et de votre cabinet.
Mes chers collègues, je serai vraiment une sénatrice comblée ce soir si vous votez ma proposition de loi.
M. le président. J’ai rarement présidé une séance aussi sereine et unanime. Madame la ministre, vous pouvez revenir quand vous voulez ! (Sourires.)
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Il y a tout de même eu quelques piques…
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi, dont le Sénat a rédigé ainsi l’intitulé : « proposition de loi visant à conforter l’économie du livre et à renforcer l’équité et la confiance entre ses acteurs ».
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 9 juin 2021 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures trente à vingt heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
Proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique, présentée par Mme Sylvie Robert (procédure accélérée ; texte de la commission n° 653, 2020-2021) ;
Proposition de loi relative à la protection sociale globale, présentée par M. Rachid Temal et plusieurs de ses collègues (texte n° 430, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER