Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le choix de l’Union européenne d’engager un plan de relance est apparu à chacune et à chacun comme une décision majeure permettant, dans un moment difficile, de retrouver confiance dans la construction européenne. Les conditions dans lesquelles ce plan a été ratifié, qui ont été particulièrement laborieuses, notamment les discussions relatives à la conditionnalité des aides au regard des droits de l’homme, ont laissé beaucoup d’entre nous perplexes. Cela étant, je salue la ratification désormais définitive du plan de relance par l’ensemble des pays européens, puisque l’Autriche et la Pologne l’ont approuvé le 27 mai dernier – vous y avez fait référence, monsieur le secrétaire d’État.
Plusieurs questions vous ont déjà été posées au sujet du plan de relance européen. Pour ma part, je voudrais évoquer deux points.
Le premier a trait non pas tant aux 40 milliards d’euros qui seront versés à notre pays ou à la première tranche de 5 milliards d’euros qu’il recevra – nous avons bien compris tout cela – qu’à la manière dont ces fonds seront déployés au sein de notre pays. J’aimerais en effet comprendre, sur un plan plus pratique, comment cela va se passer.
On nous a parlé d’une règle tendant à éviter – ce que l’on peut concevoir – toute superposition des programmes de financement. Or, demain, notre pays sera amené à gérer des crédits européens, qui proviendront de l’enveloppe allouée au plan national dit « pour la reprise et la résilience » – pour employer des termes techniques –, mais aussi les fonds de la politique de cohésion 2021-2027, voire les reliquats des fonds de cohésion de la période 2014-2020.
Le Sénat et les élus locaux ont une assez mauvaise expérience de la mise à disposition des fonds européens, en particulier les crédits versés au titre des fonds de cohésion ou des politiques régionales. J’avoue que nous ne souhaiterions pas rencontrer les mêmes difficultés s’agissant de la répartition des crédits du plan de relance.
En d’autres termes, comment ces fonds seront-ils gérés ? Dans quelle mesure notre pays et l’Europe seront-ils capables d’assouplir les dispositifs existants ? Nous avions longuement interrogé votre prédécesseur, Mme de Montchalin, à ce sujet. Si celle-ci se voulait être très moteur sur le sujet à l’époque, elle a depuis été appelée à d’autres responsabilités, et je ne suis pas tout à fait certain que l’on nous ait répondu sur la meilleure manière de simplifier les circuits de financement ou de répartition des crédits du plan de relance.
Le second point concerne les modalités de remboursement de ces nouveaux financements.
Je ne vais pas répéter les arguments excellemment développés par les précédents orateurs au sujet du plan de relance et des annonces faites à propos d’une fiscalité minimale mondiale – nous n’en sommes actuellement qu’au stade du projet, même s’il est vrai que l’évolution est significative. Je voudrais simplement m’assurer que ces nouvelles ressources ou que cette fiscalité potentielle ne nous seront pas proposées deux fois
Je m’explique : une fois les crédits du plan de relance consommés, il faudra bien sûr les rembourser. On nous a indiqué que le remboursement des aides devrait provenir de recettes nouvelles de l’Union européenne, au premier titre desquelles figure la taxe sur le numérique, la fameuse taxe Gafam. Or, désormais, on nous raconte que la solution consiste à mettre en œuvre un taux minimal mondial d’impôt sur les sociétés, qui est présenté comme un supplément potentiel de recettes pour les différents pays. Monsieur le secrétaire d’État, vous m’avez compris : soit les ressources tirées de l’instauration de cet impôt minimum nous permettront de contribuer au remboursement des mesures de relance au niveau européen, soit elles seront affectées au budget national. Ces ressources budgétaires ne pourront pas servir deux fois, c’est-à-dire à la fois au niveau national et au niveau européen. (Sourires.)
Je voudrais également aborder la question du pass sanitaire européen, que vous avez, comme plusieurs des précédents intervenants, abordée dans votre propos introductif. Il convient bien sûr de le distinguer totalement du pass sanitaire franco-français, qui doit disparaître le 30 septembre prochain. Je pense que le Parlement serait passablement irrité si ce pass était prolongé au-delà de cette date, car cela contribuerait à entretenir la confusion entre les deux dispositifs, européen et national.
Nous avons bien compris le code couleur – vert, orange et rouge – qui déterminera la manière dont la France accueillera les personnes arrivant des pays correspondant à ces différentes catégories. Mais, en sens inverse, quid de l’accueil des Français dans les pays concernés ? Comment se négocieront les mesures de réciprocité avec ces États ? Seront-elles négociées directement par notre pays ou par l’Union européenne, qui, par exemple, pourrait traiter directement avec des pays comme les États-Unis ou la Chine ?
Au-delà des plaisirs liés au tourisme, les familles, les particuliers et les entreprises se déplacent aujourd’hui partout dans le monde. Ce sujet revêt donc une importance pratique.
Comme plusieurs orateurs, j’aimerais évoquer le cas de la Biélorussie.
Je veux insister sur la notion de sanction. Dans votre propos liminaire, monsieur le secrétaire d’État, vous avez souligné que le Conseil européen avait réagi rapidement et fortement en prenant des sanctions. J’avoue ne pas partager totalement votre approche : l’annonce de la fermeture de l’espace aérien européen aux avions biélorusses me paraît constituer une sanction peu dissuasive. Quant au fait de sanctionner tel ou tel dirigeant biélorusse, c’est bien entendu purement symbolique. Les seules sanctions efficaces sont économiques et s’appliqueraient aux entreprises biélorusses.
Il y a aussi derrière cette crise une question de confiance entre nous et les pays baltes. En outre, les événements récents posent un énorme problème en termes de souveraineté et de droits de l’homme.
Tout le monde connaît la situation dramatique en Biélorussie dans ce domaine, mais tout de même ! Détourner un avion européen – il s’agit, je vous le rappelle, d’un avion irlandais effectuant un vol d’Athènes à Vilnius – est une atteinte extrêmement grave à la souveraineté de l’Union européenne. La réponse qui a été faite me paraît très insuffisante à ce jour : je serais très heureux de connaître votre sentiment à ce sujet.
Je veux dire un mot, pour terminer, sur les migrations. Je ne suis pas sûr que vous ayez quelque chose à nous annoncer à propos de l’évolution du pacte migratoire. En revanche, mes collègues ont évoqué à plusieurs reprises la question de Frontex.
Il est très difficile pour nous de comprendre exactement ce qu’il en est de cette agence : Frontex est-il un formidable outil en cours de construction, qui pourra compter sur 10 000 gardes-frontières d’ici à 2027 ? Frontex est-il au contraire une agence destinée à masquer une forme d’incapacité à traiter les questions migratoires ?
Les critiques adressées explicitement à Frontex aujourd’hui – il n’est qu’à voir le rapport de la Cour des comptes européenne – sont-elles ou non justifiées ? Doit-on y voir une tentative de déstabilisation de l’agence au moment où celle-ci a adopté une position plus ferme dans le conflit opposant la Turquie et la Grèce ? En bref, quelle analyse le gouvernement français fait-il de l’évolution de Frontex et quelles sont les perspectives qui seront les vôtres à cet égard ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je m’attarderai plus longuement sur le premier point de mon intervention, la lutte contre la covid-19 et la libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne, que sur les suivants. En effet, avec deux de mes collègues, René-Paul Savary et Véronique Guillotin, nous avons rédigé un rapport au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, qui montre tout l’intérêt des outils numériques pour tenter de tempérer les effets d’une crise comme celle que nous vivons.
À l’occasion du Conseil européen, monsieur le secrétaire d’État, vous allez très certainement discuter du passeport sanitaire, à ne pas confondre avec le pass sanitaire qui sera nécessaire en France pour accéder à certains lieux. Certes, moins « high-tech » que les algorithmes de contact tracing, mais sans doute beaucoup plus importants pour la sortie de crise, ces deux dispositifs numériques reprennent tout simplement le principe ancien du carnet de vaccination au format papier, en y ajoutant d’autres critères comme les tests et la preuve d’infection, et en garantissant un haut niveau de sécurité et de fiabilité. Il s’agit nécessairement d’instruments clés en vue de la réouverture des frontières.
Le 17 mars 2021, la Commission européenne a présenté son projet de « certificat vert numérique », dont l’objectif est de faciliter la libre circulation, en toute sécurité, à l’intérieur des frontières de l’Union européenne. Le projet présenté par la Commission européenne a été adopté par le Parlement européen le 29 avril. Deux jours plus tôt, la France, qui y était initialement opposée, devenait le premier État membre à présenter par anticipation un dispositif correspondant partiellement – je précise bien : « partiellement » ; j’y reviendrai. Si les négociations ne sont pas tout à fait terminées à ce jour, le certificat vert devrait en principe permettre aux Européens de voyager au sein de l’Union européenne à compter du 1er juillet 2021.
On a constaté des évolutions sensibles au sein des États membres. À l’instar de la France, l’Allemagne ou les Pays-Bas avaient eux aussi exprimé de fortes réserves sur un tel dispositif, en insistant notamment sur les risques que celui-ci ferait peser en termes de droits et de libertés. À l’inverse, les pays très dépendants du tourisme, comme la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, ont très tôt appelé à la mise en place d’une solution de ce type au niveau européen. Ils l’ont parfois même déjà adoptée à l’échelon national. La Grèce a par exemple signé un accord bilatéral avec Israël en ce sens.
Le certificat vert européen a vocation à être intégré dans les différentes applications nationales : d’un point de vue technique, on ne développe donc pas d’application européenne. En revanche, le projet prévoit la mise en place d’un portail européen pour assurer la compatibilité des pass nationaux entre eux, afin que les autorités d’un État membre puissent vérifier l’authenticité du document présenté par le ressortissant d’un autre État.
Le développement de cette infrastructure a été confié à deux entreprises allemandes, qui étaient déjà à l’origine de l’application allemande Corona–Warn–App – l’équivalent de notre application TousAntiCovid –, ainsi que du portail permettant l’interopérabilité de toutes les applications de contact tracing, à l’exception de la nôtre, TousAntiCovid.
Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais revenir sur ce point et vous demander si la France est prête à adopter une solution technologique que je qualifierais d’« européenne ». En effet, le choix français d’un protocole souverain – pour les plus initiés, il s’agit du protocole Robert – interdit toute interopérabilité avec les applications d’un autre pays. Ainsi, toutes les applications européennes sont compatibles entre elles, sauf la nôtre : une personne voyageant dans un autre pays européen que le sien n’aura pas à télécharger de nouvelle application, sauf si elle vient en France ! Elle devra alors télécharger l’application TousAntiCovid. Pendant la crise, permettez-moi de remarquer que cette spécificité française n’a pas aidé à l’identification des chaînes de contamination.
Que les infrastructures informatiques des différents systèmes de santé ne soient pas compatibles entre elles, c’est un fait contre lequel on ne peut pas grand-chose à court terme. En revanche, il me semble que les smartphones sont les mêmes partout au sein de l’Union européenne : refuser d’en tirer profit est un choix difficilement justifiable.
Par ailleurs, la Commission européenne indique que le certificat vert constitue une mesure temporaire, qui sera suspendue dès que l’OMS aura déclaré la fin de l’urgence sanitaire internationale. Je me demande pourquoi, puisqu’il a été mis en place sur le plan technique, on ne maintient pas a minima ce système en état de veille : il serait ainsi prêt à être réactivé facilement en cas de nouvelle menace épidémique.
La flexibilité et la fiabilité du dispositif en font un candidat naturel pour remplacer les multiples dispositifs existants, tels que le carnet de vaccination ou encore le certificat jaune mis en place sous l’égide de l’OMS pour la fièvre jaune. Il serait ainsi possible d’attester très facilement du respect des milliers de critères sanitaires fixés par tous les pays du monde et d’intégrer l’ensemble aux systèmes d’information des compagnies aériennes et des gestionnaires d’infrastructures, ce qui contribuerait ainsi à fluidifier le parcours des voyageurs.
La politique européenne en la matière dépend également des mesures de réciprocité appliquées par certains pays. Or il est probable que d’autres pays feront le choix de se doter d’un dispositif pérenne, à commencer par la Chine, qui l’a annoncé très tôt, ou les pays dont la situation sanitaire le requiert.
Bien entendu, si le passeport sanitaire devait à terme devenir aussi nécessaire pour voyager qu’un titre d’identité, il faudrait alors répondre à de nombreuses questions, notamment celles qui concernent la protection des droits et des libertés des voyageurs.
Voilà, monsieur le secrétaire d’État, des réflexions qui pourraient être menées avec nos partenaires européens.
Je passerai plus rapidement sur le sujet de la relance économique, car un certain nombre de points ont déjà été soulevés. Je voudrais simplement formuler deux remarques à propos du financement du plan Next Generation EU.
S’agissant de la future recette tirée du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre de l’Union européenne, j’ai rappelé en commission des finances, lors de la présentation de mon rapport pour avis sur le projet de loi Climat et résilience, que près de 44 % des quotas sont aujourd’hui attribués gratuitement au secteur aérien. Il faudrait que nous et nos partenaires européens conduisions une réflexion d’ensemble. La délivrance de ces quotas à titre gratuit pourrait en effet permettre d’atteindre l’objectif que nous nous fixons avec l’article 35 du projet de loi Climat, à savoir de faire en sorte que les entreprises du transport aérien s’acquittent d’un prix du carbone suffisant en privilégiant un dispositif européen.
Ma seconde remarque porte sur la révision à la baisse de certains budgets pour financer la relance, tout particulièrement le secteur clé de la recherche. Le programme Horizon Europe, dont le montant initial devait atteindre 150 milliards d’euros en 2017, s’élève aujourd’hui à 95 milliards d’euros après plusieurs rabotages successifs. Certains observateurs soulignent le décalage entre les plans de relance européen et états-unien. L’Europe donne parfois l’impression d’avoir du retard, notamment dans certains domaines stratégiques comme celui des semi-conducteurs, dans lequel les États-Unis investissent 50 milliards d’euros.
Le Président de la République, Emmanuel Macron, et le président du Conseil italien, Mario Draghi, ont tous deux appelé au lancement d’un plan d’investissement à la suite du plan de relance, afin de permettre à l’Europe d’atteindre ses objectifs, notamment celui de la neutralité carbone en 2050. Le ministre de l’économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire, a tenu des propos analogues devant la commission des finances, citant pêle-mêle plusieurs secteurs dans lesquels la France et l’Europe devraient investir.
Je partage cette vision, et j’ai eu l’occasion de le dire la semaine dernière à l’occasion du débat sur le pacte Vert européen. Seule l’innovation permettra de réduire nos émissions de gaz à effet de serre.
Pour conclure, je souhaite évoquer un dernier sujet en tant que président du groupe interparlementaire d’amitié France-Liban. Je voudrais savoir si le prochain Conseil européen sera l’occasion d’aborder la situation du Liban. En effet, la France a décidé, pour l’instant seule, de mettre en place des sanctions vis-à-vis des personnalités politiques responsables du blocage politique actuel. Ce sujet a été évoqué à plusieurs reprises, notamment au sein du groupe Maghreb-Machrek du Conseil puis lors du conseil Affaires étrangères du 10 mai dernier. Pouvez-vous nous indiquer si ce thème sera à l’ordre du jour de la réunion ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je parlerai bien sûr de la politique agricole commune, un sujet qui peut sembler hors sujet par rapport aux interventions précédentes, sauf qu’à y regarder d’un peu plus près cette politique pourrait conditionner d’éventuelles migrations, qui pourraient venir perturber des territoires comme les nôtres, et qu’elle présente un intérêt en termes de souveraineté alimentaire, en particulier dans le contexte lié à l’épidémie de la covid-19.
Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais vous rappeler quelques éléments historiques.
Il y a un peu moins de quatre ans, en juillet 2017, le Président de la République, dans un discours resté célèbre, le discours de la Sorbonne, avait fait quelques remarques spécifiques sur la politique agricole commune. Ces formules ne sont pas restées sans résultat.
Le Président de la République avait tout d’abord insisté sur la nécessité d’ouvrir de nouvelles perspectives budgétaires au niveau européen pour conduire d’autres politiques. Par définition, l’Europe écoute, et, puisque le premier budget de l’Union est celui de la politique agricole commune, il paraissait évident qu’il faudrait peut-être l’abaisser pour faire autre chose.
Le résultat est là : la diminution du budget de la PAC est réelle puisque, je vous le rappelle, celui-ci diminuera d’environ 9 % en euros constants entre la période 2014-2020 et la période 2021-2027. Alors, certes, en exprimant les montants en euros courants, on parvient toujours à se rassurer, mais la réalité, pour les exploitations, c’est une baisse des aides et une augmentation des charges en euros constants. Il faut aussi noter que cette baisse de 9 % viendra s’ajouter à la diminution de 9 % des crédits que ce budget a déjà subie entre la période 2007-2013 et la période 2014-2020, ce qui représente au total un recul de plus de 18 % du montant des aides versées au titre de la PAC en quelque treize ou quatorze ans.
Le Président de la République avait également mis l’accent sur la « subsidiarité », un nouveau mot qui avait d’ailleurs eu encore plus de retentissement : grâce à la subsidiarité, la politique agricole commune, qui présentait l’avantage d’être commune, le deviendrait de moins en moins. Malheureusement, comme je crois vous l’avoir déjà dit, monsieur le secrétaire d’État, la réalité est là.
Pour la France, comme le ministre de l’agriculture l’a annoncé dans son plan stratégique, le transfert des crédits du premier vers le second pilier de la PAC va être limité à 7,53 %. Cette décision me convient et me semble une bonne chose. En revanche, comme je l’avais également prédit, les véritables intentions pouvaient se dissimuler derrière la subsidiarité. Par exemple, la Pologne a décidé de transférer 25 % des crédits du second vers le premier pilier de la PAC, incitant ainsi ses agriculteurs à mettre en œuvre moins de mesures environnementales pour dégager davantage de marges de compétitivité, concurrencer nos marchés et exporter leurs produits vers la France, et ce alors même que, dans la bouche de tous les politiques français, on n’entend parler que de souveraineté alimentaire.
Comme je l’indiquais précédemment, nous pouvons en revanche nous féliciter de l’annonce du ministre de l’agriculture concernant le transfert de budget d’un pilier vers l’autre.
Nous pouvons aussi nous féliciter du maintien du budget de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) dans le cadre de la politique agricole commune : 1,1 milliard d’euros. Là encore cependant, il fallait compter avec les conséquences de la nouvelle politique agricole commune. La Commission s’est en effet bien gardée de maintenir le niveau de sa participation à 75 %, puisqu’elle l’a réduite à hauteur de 65 %, demandant à l’État français, qui a donc apporté sa contribution, de rajouter 108 millions d’euros.
Monsieur le secrétaire d’État, il reste malgré tout des points de vigilance extrêmement importants. Le chaos qui a régné lors des dernières discussions ayant eu lieu il y a quelques jours montre que tous les pays n’ont pas la même position.
Je soutiens la position du ministre de l’agriculture : je suis favorable à un niveau de convergence progressive des aides de 85 %. Nous ne pouvons pas atteindre l’objectif de 100 % aussi rapidement que ce qui est prévu.
Je maintiens aussi qu’il faut accompagner cette convergence d’un mécanisme de limitation des pertes fixé à 30 % : les exploitations ne peuvent pas accepter une différence aussi importante en si peu de temps.
Comme l’ont dit mes prédécesseurs, le trilogue doit se mettre d’accord au sujet des écorégimes : nous ne pouvons pas accepter une approche progressive, partant de 22 % pour s’élever en définitive à 30 %. Il faut un choix clair et des aides disponibles dès le début. Arrêtons de laisser penser aux agriculteurs qu’à un moment donné ils peuvent être accommodés à une sauce et que, cinq ans après, ils le seront à une autre. La meilleure solution serait que l’écorégime s’applique à 25 % du premier pilier.
Il faut prévoir davantage de souplesse au niveau de la gestion des aides européennes. Il n’est pas acceptable que l’on nous oblige à les rembourser, tout cela parce que des règles nationales trop contraignantes nous empêchent de les utiliser. Ce serait en effet une double peine.
Il faut ouvrir la voie à une certaine forme de fongibilité des budgets, de sorte que les fonds auxquels on n’aurait pas eu recours dans le cadre des écorégimes puissent être réemployés dans le cadre d’autres dispositifs : je pense en particulier aux droits au paiement unique. Sinon, cela se traduira, encore une fois, par un appauvrissement de la France au profit de ses voisins européens.
Je voudrais aborder un autre sujet extrêmement important, celui du « couplage » des aides. Si, pendant des années, nous nous sommes posé la question de savoir si l’Europe devait découpler ou coupler les aides, il semble aujourd’hui important que ce couplage soit respecté, et ce de façon extrêmement claire. Il faut appliquer la règle des 13+2 : les aides couplées peuvent être attribuées dans la limite de 13 % de l’enveloppe des aides directes, avec la possibilité d’octroyer 2 % supplémentaires pour la production de protéines.
Nous ne pouvons pas accepter de subir le diktat de l’Europe et de nous voir imposer un couplage différent de celui-là : il aurait des conséquences néfastes sur l’élevage, en particulier sur l’élevage allaitant.
Il faut également inciter à la reconnaissance des mélanges graminées-protéines, qui font la force de notre agriculture de montagne et de notre agriculture en général concernant la culture de l’herbe.
Nous ne pouvons pas accepter non plus que la reconnaissance de l’ICHN ne se traduise que par 40 % de l’ensemble des aides versées au titre du second pilier. Il faut que ce pourcentage atteigne 60 %. L’ICHN participe à la promotion des élevages extensifs et de ce qui fait la beauté de la France.
Comme le temps m’est compté, je ne pourrai pas vous parler de la BCAE 8 et de la BCAE 9. Je conclurai donc en disant que la PAC doit apporter une certaine stabilité aux agriculteurs. Aussi, la PAC doit-elle rester en cohérence avec les objectifs du pacte Vert européen, mais elle ne peut pas sans cesse s’aligner sur des objectifs qui changent au gré du temps et des demandes des ONG.
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Laurent Duplomb. Un quart des crédits du premier pilier seront « verdis » grâce à la sanctuarisation des mesures issues du verdissement déjà engagé. On ne peut pas continuer…
Mme la présidente. C’est fini, mon cher collègue !
M. Laurent Duplomb. … à courir après quelque chose que l’on ne peut pas attraper ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Arnaud Bazin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les Balkans occidentaux ne devraient pas figurer à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, sinon dans les points divers. Pourtant, la question des relations avec les Balkans occidentaux mériterait un véritable débat entre les chefs d’État ou de gouvernement.
Marqués par des conflits meurtriers au cours de l’histoire, situés au carrefour des civilisations et des religions, les Balkans occidentaux constituent une région stratégique au cœur de l’Europe. Cette région soulève des enjeux majeurs en matière économique, de sécurité ou de migrations. N’oublions pas qu’elle a été la principale porte d’entrée vers l’Europe lors de la crise migratoire en 2015.
Vingt ans après la fin des conflits de l’ex-Yougoslavie et du Kosovo, cette région connaît encore de fortes tensions. L’idée de modifier le tracé des frontières ne fait que les raviver. Comme le disait Churchill, cet espace produit « plus d’histoire qu’il n’en peut consommer ».
Depuis quelques années, on constate un affaiblissement de la place et de l’influence de l’Union européenne au profit de puissances comme la Russie, la Chine ou la Turquie, qui considèrent cette zone comme une porte d’entrée vers le marché européen.
Face à ces puissances, l’Union européenne manque de stratégie et ne parle pas d’une seule voix. Ainsi, malgré un accord de principe, l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord et l’Albanie restent bloquées par le veto de la Bulgarie en raison d’un différend bilatéral portant sur la langue macédonienne.
Si les négociations d’adhésion ont été ouvertes avec la Serbie et le Monténégro, la Commission européenne a relevé dans son dernier rapport un manque de progrès, voire des reculs, sur le respect de l’État de droit, la liberté de la presse ou l’indépendance de la justice.
En Bosnie-Herzégovine, le système institutionnel né des accords de Dayton est paralysé, le Kosovo reste divisé et n’est pas reconnu par cinq des vingt-sept États de l’Union européenne.
Ces pays, déjà fragiles, ont été touchés de plein fouet par la pandémie, qui a provoqué une grave récession économique. La corruption y est endémique et ouvre la voie à tous les trafics.
Sans illusions sur son avenir – c’est le plus grave –, la jeunesse ne rêve que de s’exiler en Europe, et la région subit une grave crise démographique.
Si la perspective de l’adhésion à terme de ces pays, lorsque tous les critères seront remplis, doit demeurer un levier, la stratégie de l’Union européenne à l’égard des Balkans ne peut se résumer à l’élargissement. Face à la Russie, à la Chine ou à la Turquie, celle-ci doit pouvoir faire entendre sa voix pour défendre les valeurs de la démocratie, mais également nos intérêts économiques ou énergétiques.
Je voudrais donc vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, au nom du groupe Les Républicains, mais aussi au nom du groupe d’amitié France-Balkans occidentaux du Sénat, présidé par notre collègue Marta de Cidrac, sur la stratégie de l’Union européenne et de la France vis-à-vis des Balkans occidentaux : quelle est la position de la France sur l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord et l’Albanie et sur la question d’une modification du tracé des frontières ? Quelles sont les initiatives que vous comptez prendre, notamment sous la présidence française, pour renforcer l’influence de la France dans cette région ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)