compte rendu intégral
Présidence de Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa,
M. Jacques Grosperrin.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 3 juin 2021 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Renvoi pour avis multiple
Mme la présidente. Mes chers collègues, le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement a été envoyé pour son examen à la commission des lois.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et la commission de la culture ont demandé qu’il leur soit renvoyé pour avis.
La conférence des présidents est compétente, en vertu de l’article 17 de notre règlement, pour autoriser le renvoi pour avis quand plus d’une commission le demande. Dans la mesure où celle-ci ne se réunira pas avant le 16 juin prochain, je propose au Sénat d’autoriser le renvoi pour avis à ces deux commissions.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
3
Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 24 et 25 juin 2021
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 24 et 25 juin 2021.
Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur général, je suis ravi de venir de nouveau devant le Sénat pour évoquer les principaux enjeux du Conseil européen à venir, qui se tiendra les 24 et 25 juin prochain. Auparavant, si vous le permettez, parce que les deux sommets sont étroitement liés, je vais revenir sur les débats qui ont animé le sommet précédent des 24 et 25 mai. Ce Conseil européen extraordinaire s’est articulé autour de trois sujets principaux : la gestion de la pandémie de la covid, la lutte contre le changement climatique et plusieurs dossiers internationaux, parmi lesquels l’un était d’actualité immédiate, celui de la Biélorussie ; les autres concernaient la Russie, le Mali et le Brexit.
Concernant la question sanitaire, alors que la courbe épidémiologique tendait à s’inverser partout en Europe, les dirigeants européens ont exprimé une grande vigilance face à l’apparition de nouveaux variants. Ce risque appelle des efforts maintenus de séquençage, de protection et une accélération de la cartographie européenne de ces variants de manière à suivre ensemble la situation dans les pays tiers.
Cela étant, les évolutions constatées en matière de vaccination ont été une source de soulagement et de satisfaction. À la fin du mois de mai, 300 millions de doses de vaccins avaient été livrées dans l’Union européenne et près de 250 millions de doses avaient été administrées. Ces chiffres ont augmenté depuis : aujourd’hui, en moyenne, près de 50 % de la population adulte européenne a reçu au moins une première dose de vaccin. Comme vous le savez, ce chiffre dépasse les 52 % en France. La vaccination pour les jeunes de 12 à 15 ans démarrera dans quelques jours dans notre pays, l’Agence européenne des médicaments ayant approuvé l’utilisation du vaccin Pfizer-BioNTech pour cette tranche d’âge.
L’heure est donc à la levée progressive des restrictions, grâce notamment à des mesures de coordination européenne. Le certificat numérique, parfois appelé pass sanitaire européen, devrait être adopté définitivement dès demain par le Parlement européen. Étant reconnu partout en Europe à compter du 1er juillet, il contribuera à faciliter les déplacements au cours de la saison touristique qui s’ouvre devant nous. Cependant, nous devrons rester prudents. C’est pourquoi la réouverture progressive obéira à une double approche : elle sera ciblée sur les pays dans lesquels la situation sanitaire s’est significativement améliorée, que l’on qualifie parfois de « verts » dans la terminologie française et européenne, tout en reconnaissant la preuve de vaccination ; dans le même temps, de la manière la plus coordonnée possible, elle sera très stricte dans des pays dits « rouges », dans lesquels la circulation des variants que j’évoquais se maintient, voire s’accélère.
L’heure est aussi à la solidarité internationale. J’y insiste, parce que des reproches ont parfois été nourris à l’égard de l’action européenne en matière de vaccination. Or, en la matière, nos valeurs et nos engagements internationaux sont en jeu, ainsi que notre sécurité sanitaire de long terme. Un objectif a été fixé à l’occasion de ce sommet européen : donner au moins 100 millions de doses de vaccin d’ici à la fin de l’année aux pays qui en ont le plus besoin. La France et l’Allemagne se sont engagées à livrer au moins 30 millions de doses.
Durant le sommet européen de la fin du mois de mai, l’enjeu climatique a également été évoqué ; il a donné lieu à un débat d’orientation générale. Compte tenu de l’ampleur et de la difficulté des efforts pour atteindre l’objectif de 55 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, la Commission proposera des mesures législatives le 14 juillet prochain. Celles-ci feront l’objet de débats plus détaillés et conclusifs, probablement à l’occasion du sommet européen du mois d’octobre.
Je veux dire un mot d’un dossier international évoqué en raison de l’actualité : le cas biélorusse. Le lendemain du détournement aussi spectaculaire que terrifiant de l’avion européen de la compagnie Ryanair, qui circulait entre des capitales européennes avec des passagers européens en majorité, des sanctions et des interdictions de survol ont été prises de manière unanime et rapide par l’Union européenne.
Je ne sais pas s’il faut les ranger dans la catégorie des dossiers internationaux, mais je veux dire un mot du Brexit et de nos relations avec le Royaume-Uni, puisque le Sénat, singulièrement sa commission des affaires européennes, suit ce dossier de très près. À la demande de la France, le sujet a été évoqué par les chefs d’État ou de gouvernement. La préoccupation est forte concernant la mise en œuvre incomplète, pour le dire pudiquement, de l’accord par la partie britannique, ainsi que la nécessité absolue de sa mise en œuvre complète, rapide et intégrale. Cela vaut pour la question de la pêche, qui préoccupe nos concitoyens, mais aussi, parce que la paix est en jeu, pour la question du protocole nord-irlandais, qui concerne toute l’Europe.
Une partie de ces débats se prolongera durant le Conseil européen ordinaire des 24 et 25 juin prochain. Cette réunion abordera, dans un peu plus de quinze jours, les suites de la gestion de la crise sanitaire, ainsi que la relance économique, la situation migratoire et deux sujets internationaux voisins et hautement sensibles : le dossier de la Turquie et la question russe.
Sur la covid-19, je ne reviendrai pas sur les éléments que j’ai indiqués il y a un instant. Il est temps toutefois de réfléchir aux conséquences que l’Europe doit tirer de cette crise et de sa gestion, que nous avons essayé de coordonner au mieux.
Nous sommes parvenus récemment à un certain nombre d’avancées – la cartographie des variants, la définition de critères pour classer les pays en fonction de leurs risques, le certificat sanitaire –, mais la coordination a été tardive et insuffisante. Vous le savez, la compétence sanitaire européenne était inexistante au début de la crise. Nous devons forger cette Europe de la santé de manière pragmatique. Il nous faudra avancer sur au moins deux sujets, qui seront abordés par le Président de la République au cours de ce sommet européen.
Tout d’abord, il convient de créer une agence sanitaire européenne chargée de financer l’innovation et la recherche médicale. Des initiatives européennes ont d’ores et déjà eu lieu, mais nous devons les amplifier. L’un des grands avantages dont ont bénéficié certains de nos partenaires, notamment les États-Unis, dans la réponse vaccinale à la crise a été leur capacité d’innovation et de réaction rapide, le reste ayant sans doute été moins bien géré, en comparaison.
Nous ne disposons pas d’une telle agence au niveau européen, en tout cas pas de manière collective et avec des moyens suffisants. Le projet existe, il s’appelle HERA, inspiré de l’agence fédérale américaine Barda. Cependant, les financements consacrés à la préfiguration de cette agence sont encore très limités, comme nous l’avions évoqué dans cet hémicycle. Il serait utile, à mon sens, et dans l’intérêt collectif, que la France pousse en faveur d’une ambition plus grande sur cette question du financement de l’innovation et d’une agence sanitaire européenne. C’est ce que nous ferons.
Ensuite, il importe de renforcer nos capacités à suivre l’épidémie. Nous n’avons pas de cartographie commune – nous l’avons construite tout récemment, et elle est encore objectivement balbutiante – permettant de comparer nos données. Cette Europe de la santé doit aussi être une Europe de l’harmonisation des données et de la comparaison fiable, pour travailler et agir ensemble sur les mesures de restriction aux frontières et de protection que nous avons dû mettre en place pendant la crise. La coordination a été nécessairement incomplète en raison de ces manques.
Nous aborderons la question de la relance économique, évidemment liée à la crise de la covid. Nous en avons souvent discuté : nous avons franchi une étape très importante avec la ratification par les vingt-sept États membres avant la fin du mois de mai, il y a donc quelques jours, de la décision sur les ressources propres, que votre assemblée avait approuvée au début du mois de février. J’aurais aimé que ce succès soit plus précoce, mais il est tout de même intervenu plus tôt que prévu.
Le délai a été long : dix mois au total se sont écoulés entre l’accord politique et la ratification définitive. C’est normal, c’est le temps démocratique européen, impliquant le Parlement européen et l’ensemble des assemblées des États membres. Cependant, cela a été plus rapide que les fois précédentes, alors même qu’il n’y avait alors pas de plan de relance à financer, mais un budget ordinaire sur sept ans.
La décision « ressources propres » est en vigueur. Elle a permis à la Commission européenne de lancer, dès le 1er juin, le processus d’émission d’une dette commune pour financer le plan de relance ; cette première émission aura lieu au cours du mois de juin et deux autres se produiront au cours du mois de juillet. Cela permettra de lever plusieurs milliards d’euros avant le début de l’été.
Pour la France, les sommes en jeu dans la première tranche concernent le préfinancement de notre enveloppe nationale de plus de 40 milliards d’euros, soit environ 5 milliards d’euros de premier versement que nous attendons au mois de juillet.
Un autre sujet très différent sera aussi discuté lors de ce sommet européen : la question migratoire. Nous le savons, nous n’avons pas seulement été confrontés, ces dernières années, à des crises migratoires ; nous faisons face à un phénomène migratoire durable, dont les résurgences récentes, parfois ponctuelles, traduisent un mouvement plus profond et nous rappellent que ce sujet européen n’est pas résolu. Nous l’avons constaté de manière très spécifique à Ceuta ; nous le voyons, de manière peut-être plus significative, avec les arrivées qui ont repris ces dernières semaines sur les côtes italiennes, à Lampedusa en particulier.
Nous avons besoin d’avancer rapidement sur le pacte sur la migration et l’asile européen. La proposition que la Commission européenne a refondue et formulée à la fin du mois de septembre dernier semble correspondre à un bon équilibre, mais le consensus politique pour l’adopter n’est pas encore atteint.
La France et l’Italie, en particulier, travaillent de concert pour que nous puissions ouvrir ce débat de nouveau, s’agissant notamment de la relation avec les pays tiers, condition de la protection de nos frontières, de la régulation des arrivées, des reconduites effectives et de la solidarité européenne. L’objectif que j’appelle de mes vœux est que nous puissions avancer avant la présidence française sur ce dossier migratoire dans ses différentes composantes de responsabilité, de solidarité et de protection des frontières.
C’est sur ce dernier volet que nous avons le mieux progressé, par la montée en puissance de notre agence Frontex, dirigée par l’un de nos compatriotes, par la mise en place de certaines opérations qui n’ont pas toujours pour but direct la protection de nos frontières, mais qui y contribuent, comme l’opération Irini.
En revanche, nous n’avons pas encore avancé sur les règles de responsabilité du contrôle aux frontières et sur la solidarité européenne. L’une ne peut aller sans l’autre, puisque nous ne pouvons légitimement pas demander un effort supplémentaire à des pays comme l’Italie, la Grèce ou l’Espagne, pays de première entrée, si nous ne sommes pas capables de leur garantir une solidarité minimale. Celle-ci ne se fera pas au détriment de la France, puisque nous prenons notre part, mais elle doit associer un plus grand nombre de pays européens. Or certains sont aujourd’hui encore réticents à cet équilibre et à cette solidarité européenne.
Nous évoquerons de nouveau la question turque – laquelle n’est pas dépourvue de lien avec ce qui précède – à la demande de la France. À la suite de nos demandes au Conseil européen du mois de décembre, des sanctions ont été préparées, des mesures de fermeté élaborées, de manière consensuelle, et un dialogue s’est réengagé avec la Turquie. Les quelques signaux positifs en matière de retrait des bateaux en Méditerranée orientale ne suffisent pas aujourd’hui, à notre sens, à témoigner d’une volonté d’apaisement et de désescalade de la Turquie en Méditerranée.
Nous aurons cette discussion au Conseil européen, elle est difficile ; la France a fait bouger les lignes par les signaux de fermeté qu’elle a envoyés tout au long de l’année 2020. Nous sommes toujours prêts à entretenir un dialogue constructif avec la Turquie, mais c’est à la Turquie de donner clairement un signal de désescalade en Méditerranée orientale, en Libye, par ses comportements dans certaines crises en Asie centrale, pour que nous continuions à nous engager dans ce dialogue. Ce n’est pas encore le cas. Je signale à cet égard que des comportements internes, comme le retrait de la convention d’Istanbul, ne confortent pas notre idée d’un dialogue politique apaisé et constructif.
Nous aborderons de nouveau ce sujet lors de ce sommet européen, durant lequel nous défendrons le maintien d’une ligne de fermeté européenne sans laquelle le dialogue est vain : si l’Europe apparaît faible, il ne se réengagera sur aucune base crédible.
Nous aborderons aussi le dossier russe, qui, nous le savons, ne s’est pas amélioré ces dernières semaines. Nous sommes confrontés à un pouvoir russe frappé par un très net complexe obsidional. Il convient de rediscuter de notre approche stratégique, sans casser l’unité européenne et sans naïveté aucune.
Le Président de la République l’a exprimé lors d’une rapide discussion au cours du sommet européen du mois de mai, notre approche est souvent à la fois trop faible et insuffisamment engagée. Le dialogue politique est limité au niveau européen ; nos mesures de fermeté, celles que nous avons prises en matière de sanctions et que nous devons maintenir, car il n’y a aucune justification à les lever, n’ont pas produit d’effet de pression suffisant, il faut le constater.
La fin de la redéfinition de notre stratégie n’interviendra sans doute pas dès ce sommet européen, mais nous mènerons une discussion profonde, informelle, pour trouver l’équilibre entre le dialogue et les mesures de fermeté, notamment les sanctions. Faut-il les revoir ou les durcir tout en engageant un dialogue politique plus ferme, mais aussi plus constant ? C’est une option, qui correspond à la stratégie bilatérale que la France défend depuis plus de deux ans. Nous aurons cette discussion au niveau européen.
Comme ce sommet européen se tient dans un peu plus de deux semaines et que notre débat intervient plus tôt que d’habitude, je ne peux pas exclure que d’autres sujets s’invitent, en fonction de l’actualité, au menu des discussions internationales en particulier. Si tel devait être le cas, je serais ravi de prolonger nos échanges devant la commission des affaires européennes.
En l’état, voilà ce que je pouvais vous dire quant à la préparation de ce sommet européen du mois de juin, à moins de six mois de la présidence française de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des formes armées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comment aborder ce débat sans évoquer d’abord, une fois de plus, les difficiles suites du Brexit ? Le Royaume-Uni persiste à vouloir remettre en cause ses propres engagements. C’est ainsi qu’il prolonge jusqu’en octobre la dispense provisoire de contrôle sanitaire des produits agroalimentaires passant de la Grande-Bretagne à l’Irlande du Nord. La Commission européenne a lancé, le 15 mars, une procédure d’infraction contre le Royaume-Uni, qui a répondu le 14 mai. La Cour de justice de l’Union européenne pourrait être saisie.
La Commission poursuit le dialogue, mais Londres fait dépendre l’issue de ce dossier du déroulement de la marche des Unionistes, le 12 juillet. David Frost, le ministre britannique du Brexit, estime, quant à lui, qu’il est « difficile de voir comment, dans sa forme actuelle, [le protocole irlandais] peut être soutenable longtemps ».
Pendant ce temps, nos pêcheurs souffrent toujours ; les conditions d’obtention des licences pour les îles Anglo-Normandes sont modifiées sans préavis ; les négociations sur les volumes capturables par espèces patinent.
Alors, faut-il menacer de recourir aux mesures de compensation que comporte l’accord sur le Brexit ? Le climat général est déjà bien dégradé, et la situation des expatriés européens inquiète à son tour. Cette dérive britannique est-elle donc irrésistible ?
Au reste, nos voisins ne semblent pas avoir l’intention de s’impliquer dans la politique de sécurité et de défense de l’Union européenne. Ils sont sortis d’Althea, ils n’entrent pas dans la coopération structurée permanente et leur dernière revue stratégique a pour seul point de mire l’OTAN, dont, justement, le sommet du 14 juin prochain marquera le point d’orgue du réinvestissement américain, avec la venue du Président Biden à Bruxelles.
Dans ce contexte, comment faire pour que ne se brise pas l’élan en faveur de la sécurité et de la défense européennes qu’incarne la boussole stratégique ?
Le problème de la Turquie illustre la complexité de la situation actuelle. Les alliés de l’OTAN se refusent à sanctionner son comportement. Il n’existe pas de code de bonne conduite entre alliés, malgré une proposition en ce sens du groupe de réflexion.
L’Union européenne est donc la seule structure de sécurité collective susceptible de faire preuve de fermeté face à la Turquie. Ne nous précipitons pas, à la faveur d’une rhétorique devenue un peu moins inamicale, pour nous engager sans condition dans un agenda positif. La Turquie ne reconnaît toujours pas le droit de la mer. Les dénégations de son ministre des affaires étrangères à l’occasion de sa venue à Paris ne peuvent masquer la réalité d’un nationalisme expansionniste. La Turquie répète qu’elle veut rejoindre l’Union, mais elle malmène les libertés et les droits de la personne.
Le Conseil européen traitera également de la Russie. L’Union européenne a bien réagi en sanctionnant les responsables russes impliqués dans l’affaire Navalny. Toutefois, tout en refusant la politique russe du fait accompli, l’option du dialogue avec ce voisin incontournable nous semble devoir rester sur la table.
Dans la perspective de ne pas pousser plus encore la Russie dans les bras de la Chine, les États-Unis eux-mêmes ne s’opposent plus à l’achèvement du gazoduc Nordstream 2. C’est donc une ligne de crête, très étroite, qu’il s’agira de suivre, peut-être en coordination avec les alliés, entre la nécessaire réaction aux violations du droit international, la sanction des provocations et la poursuite d’étroites relations diplomatiques.
Concernant le détournement d’un avion civil par la Biélorussie, il faut souligner la gravité de cet acte. Les sanctions annoncées vont dans le bon sens, mais le Conseil n’en devra pas moins exiger la libération de ces deux prisonniers.
On le voit, l’Union européenne gagne en crédibilité en tant qu’acteur géostratégique. Ses réactions tendent à être plus fermes et plus rapides, mais cette crédibilité se mesure aussi aux effets de ses déclarations, de ses décisions et de ses condamnations. Or cela est un peu décevant, car l’Union est encore loin de revendiquer un statut de puissance. Pour y parvenir, le premier axe qui s’offre à elle est de placer sa puissance économique au service de ses intérêts stratégiques. À ce titre, la récente intervention de Thierry Breton, laissant entendre que des vaccins pourraient être fournis à la Biélorussie contre un retour à des relations plus coopératives, en est un bon exemple.
La politique internationale de l’Union ne sera toutefois jamais véritablement opérante sans traduction concrète au travers de sa politique de défense et de sécurité commune. Sur ce point, comment faire, monsieur le secrétaire d’État, pour que nos partenaires s’investissent dans le projet de boussole stratégique ?
Notre commission souhaite savoir quelles seront les positions du Gouvernement sur ces différents dossiers lors du prochain Conseil. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. André Gattolin, Franck Menonville et Jean-Claude Requier applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que notre pays, comme l’ensemble des États membres de l’Union européenne, retrouve un peu d’oxygène en ouvrant progressivement ses lieux publics et ses frontières, la relance économique européenne constituera un sujet majeur à l’ordre du jour du Conseil européen des 24 et 25 juin prochain. Les prévisions de croissance présentées le mois dernier par la Commission européenne permettent d’espérer voir enfin le bout du tunnel : la croissance au sein de l’Union s’élèverait à 4,2 % en 2021 et à 4,4 % en 2022, même si elle reste largement conditionnée par l’amélioration durable des conditions sanitaires.
Dans cette perspective, le rendez-vous des vingt-sept États membres permettra de faire le point sur la mise en œuvre de la facilité pour la reprise et la résilience, qui constitue la pièce maîtresse du plan de relance européen. Le suivi du déploiement de celui-ci fait d’ailleurs l’objet d’une attention particulière de notre commission, avec notre collègue Jean-Marie Mizzon, qui conduit des auditions sur le sujet.
La première étape incontournable de cette mise en œuvre était la ratification de la décision « ressources propres » par l’ensemble des États membres, selon leurs règles constitutionnelles propres. Après bien des craintes résultant de blocages, notamment en Hongrie, en Autriche et aux Pays-Bas, cette première étape a été franchie, et la décision « ressources propres » est entrée en vigueur le 1er juin.
Le délai de ratification nécessaire pour une mise en œuvre à temps de la relance européenne a été respecté. Cela n’avait rien d’évident, comme nous l’avions souligné lors du dernier débat préalable à la réunion du Conseil européen. Désormais, les premiers préfinancements au titre de la facilité pour la reprise et la résilience pourront être versés aux États membres qui ont transmis leur programme national correspondant, soit presque un an après que l’ensemble des États membres a trouvé un accord, en juillet dernier, sur les contours de ce plan de relance européen.
Monsieur le secrétaire d’État, lors du dernier débat préalable à la réunion du Conseil européen, je vous avais interrogé sur le dimensionnement de ce plan de relance, alors que la crise sanitaire durait depuis plus longtemps qu’initialement anticipé. Sur ce point, le commissaire européen à l’économie, Paolo Gentiloni, a reconnu dans la presse que ce plan pourrait ne pas être suffisant et qu’il faudrait revoir les règles budgétaires européennes avant d’aller plus loin. Estimez-vous également que ce plan de relance doive être complété ? Dans l’affirmative, quel calendrier la France pousse-t-elle pour la révision du cadre budgétaire européen, alors que l’année 2023 est désormais évoquée pour aboutir à des conclusions ? Si l’on considère qu’un renforcement du plan de relance européen est nécessaire, alors cet horizon apparaît bien tardif.
En outre, les progrès accomplis dans la mise en œuvre du plan de relance européen n’épuisent pas la question de son remboursement, sur laquelle nous avions mis en garde le Gouvernement lors de l’examen du projet de loi autorisant la ratification de la décision « ressources propres ». En effet, à défaut de nouvelles ressources propres, ce remboursement reposera uniquement sur les contributions nationales, soit une hausse de 2,5 milliards d’euros par an pour la France, à compter de 2028.
À cet égard, le prochain Conseil européen se tiendra peu de temps avant la présentation par la Commission européenne de ses propositions de nouvelles ressources propres, au nombre de trois : une redevance numérique, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, le système d’échange des quotas d’émission carbone.
S’agissant de la redevance numérique, la proposition européenne va intervenir alors que les ministres des finances du G7 ont tout juste trouvé un accord sur la réforme de la fiscalité internationale des entreprises, y compris sur la taxation des activités numériques. Comment la proposition de la Commission européenne s’articulera-t-elle avec cet accord ? Estimez-vous que la dynamique impulsée par le G7 puisse être réellement suivie par les vingt-sept États membres, compte tenu des réticences de longue date de certains d’entre eux ?
Sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, il nous faudra être particulièrement attentifs aux effets potentiels de ce dispositif sur nos propres entreprises importatrices de certaines matières premières. De même, pour la ressource fondée sur le système d’échange des quotas d’émission carbone, un équilibre délicat doit être trouvé dans la définition des secteurs visés, afin de satisfaire un objectif de rendement budgétaire et une incitation écologique sans peser excessivement sur nos entreprises et emplois européens.
Monsieur le secrétaire d’État, quels secteurs d’activités la France souhaite-t-elle voir intégrés dans le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)