Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer le travail mené par notre collègue Esther Benbassa, en lien avec Mme la rapporteure de la commission des affaires économiques, Marie-Christine Chauvin. Elles ont réalisé un travail complet, en consultant les acteurs des filières.
Cette proposition de loi permet d’ouvrir un débat important, en discutant d’options concrètes et pas seulement d’idées abstraites. Je le dis au nom du groupe Les Indépendants – République et Territoires : nous partageons les préoccupations de notre collègue pour valoriser le travail des éleveurs et améliorer le bien-être animal. Pour autant, vous vous en doutez, nous ne souscrivons pas aux mesures proposées.
Avant d’exposer les raisons de notre désaccord sur ce texte, je tiens à saluer les efforts continus de nos agriculteurs pour adapter leurs méthodes de travail aux nouvelles préoccupations et attentes sociétales et environnementales. Toutes ces évolutions vont dans le bon sens.
À cet égard, la France s’inscrit dans une dynamique européenne : partout sur le continent nos agriculteurs s’adaptent, pour mieux prendre en compte les attentes des consommateurs en matière de sécurité alimentaire et de protection de l’environnement et de bien-être animal.
L’agriculture française, il faut le dire et le marteler, est l’une des plus durables au monde. Sur bien des aspects, nous sommes en avance. Nous pouvons en être fiers, mais nous aurions tort de réfléchir dans un cadre franco-français : notre agriculture doit aussi veiller à rester compétitive, en évitant de faire émerger des distorsions de concurrence, notamment entre pays européens.
C’est en conquérant des marchés à l’international et en réalisant des investissements productifs que notre agriculture pourra conserver son excellence, sa robustesse, et contribuer pleinement à la souveraineté et à la sécurité alimentaires de la France.
Faire peser de nouvelles contraintes franco-françaises sur nos agriculteurs altérera irrémédiablement la compétitivité de notre agriculture et laissera encore davantage la place à des produits importés ne respectant pas toujours nos valeurs.
Soyons cohérents : n’importons pas ce que nous ne nous autorisons pas à produire. Il faut donc travailler non seulement au niveau européen, mais aussi au travers d’accords internationaux, pour avancer de façon collective et concertée.
Le Sénat travaille depuis longtemps à soutenir les évolutions de notre agriculture, en lien avec les préoccupations de nos concitoyens, notamment au moment de l’examen de la loi Égalim. Lors du dernier budget, nous étions nombreux à soutenir la modernisation des abattoirs et des élevages dans le cadre du plan de relance. Cela montre que nous pouvons améliorer notre performance économique en intégrant le bien-être animal.
En conclusion, je rappellerai que nous devons aussi nous préoccuper du bien-être des éleveurs, qui aiment leurs animaux. Leur métier est difficile et exigeant ; il leur faut beaucoup de passion pour l’exercer. Qu’ils en soient aujourd’hui remerciés et honorés dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer l’initiative de notre collègue Esther Benbassa : il est des débats nécessaires, qui ne s’arrêteront pas à notre discussion d’aujourd’hui.
Le bien-être animal est devenu un enjeu majeur. Nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à souhaiter consommer de la viande de qualité, issue d’élevages respectueux du bien-être animal.
C’est un enjeu qui va de pair avec la performance environnementale : les systèmes « plein air » sont le plus souvent associés à la polyculture élevage, au sol, aux pâturages des animaux, à l’agriculture biologique et au lien au territoire.
C’est aussi un enjeu pour les agriculteurs, qui vivent au quotidien avec leurs animaux. Nombre d’éleveurs peinent aujourd’hui à trouver un équilibre économique et se retrouvent face à une société qui leur demande des changements coûteux en termes d’investissement et de temps pour réorienter leur pratique.
Toutefois, il y a pire : les éleveurs dits « intégrés », qui n’ont pas le choix. On continue de construire de grandes usines d’élevage. Dans le seul Morbihan, trois dossiers sont pendants : à Langoelan, 120 000 poulets, à Plaudren, 178 000 poulets et à Néant-sur-Yvel, 192 600 poulets. Rappelons que, dans les calculs d’efficacité et de compétitivité, un équivalent temps plein correspond à 80 000 poulets. Comment peut-on accepter cette évolution ?
Alors, il nous faut agir collectivement, pour donner aux éleveurs les moyens de la transition. Pour ce faire, nous devons fixer un cap clair : c’est ce que nous proposons dans cette proposition de loi, avec pour objectif un élevage donnant accès au plein air en 2040 – avec des nuances, évidemment – et la création d’un fonds pour le bien-être animal à destination des éleveurs et des abattoirs, ce qui est absolument nécessaire.
Néanmoins, il nous faut aussi agir plus globalement. En effet, qui serait gagnant si nous substituions aux produits issus d’élevages industriels français des produits issus d’élevages bien plus intensifs, mais situés ailleurs et ne respectant pas nos normes ?
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Joël Labbé. Il est donc capital d’agir à l’échelle européenne : il faut refuser les traités de libre-échange, ou à tout le moins en exclure définitivement les produits alimentaires, et mettre en place des clauses miroirs pour l’ensemble des importations de produits alimentaires.
Il est capital d’agir à l’échelle nationale aussi, en faveur de la relocalisation de l’alimentation, qui est plébiscitée par nos concitoyens. Cela se fera notamment par le développement de l’abattage de proximité et l’abattage à la ferme, par les projets alimentaires territoriaux et par la création de débouchés rémunérateurs, via la restauration collective. Malheureusement, aujourd’hui encore, le plan de relance est loin d’être suffisant dans ce domaine.
Il faut enfin, en parallèle, travailler à l’accessibilité pour toutes et tous de produits qui sont plus respectueux des animaux et de l’environnement, mais aussi plus rémunérateurs pour les éleveurs. Là encore, nous pouvons et nous devons nous donner les moyens d’y parvenir, en rémunérant les externalités positives générées par les élevages respectueux du bien-être animal et de l’environnement et en travaillant sur le droit à l’alimentation pour tous, en particulier sur la proposition de sécurité sociale de l’alimentation.
Il nous faut tout mettre en œuvre en œuvre, aujourd’hui, pour réussir en urgence une transition vers un élevage éthique et respectueux des éleveurs, des animaux et de l’environnement.
On parle beaucoup de fractures dans notre pays ; on en connaît plusieurs. Eh bien, dans le monde agricole aussi, une fracture est en train de se creuser, entre ceux qui souhaitent la poursuite de l’industrialisation de l’agriculture et de l’élevage et ceux qui pratiquent et défendent une agriculture paysanne, génératrice d’emploi, de développement local et de respect du climat, de la biodiversité, des animaux et des êtres humains. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Evrard.
Mme Marie Evrard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons vise selon ses auteurs la mise en place d’un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal. La commission des affaires économiques a examiné son texte le 12 mai et ne l’a pas adopté.
Si nous rejoignons l’esprit et les objectifs de vos propositions, mes chers collègues, nous sommes en désaccord avec la méthode et la temporalité que vous proposez. On le sait, l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions !
Tout d’abord, le choix du titre de votre proposition de loi n’est pas anodin. Il favorise le soupçon à l’égard des agriculteurs, ce qui est regrettable.
En tant qu’agricultrice, je puis vous assurer que la très grande majorité des membres de notre profession placent le bien-être de leurs animaux au cœur de leurs préoccupations.
Les agriculteurs voient naître et grandir leurs animaux ; ils les font souvent passer avant leur bien-être personnel. On ne peut pas se servir de cas isolés de maltraitance animale pour discréditer toute une profession, a fortiori dans le contexte difficile auquel les agriculteurs font face avec courage.
Les trois premiers articles de cette proposition de loi contiennent de multiples nouvelles interdictions et limitations : l’interdiction, au 1er janvier 2026, de la construction ou de l’extension de bâtiments d’élevage si la densité de peuplement n’est pas limitée et que l’accès à un espace de plein air n’est pas permis ; l’interdiction, au 1er janvier 2040, de toute exploitation ne respectant pas ces critères : la limitation à huit heures de la durée de transport des animaux sur le territoire national ; enfin, l’interdiction de l’élimination, sauf en cas d’épizootie, des poussins mâles et des canetons femelles vivants, à partir de 2022.
Ces interdictions et limitations font fi des efforts réalisés et fixés par les différentes filières pour améliorer le bien-être animal. Elles se limitent au cadre national, alors que l’échelle idoine est européenne. Enfin, leurs auteurs ne se préoccupent pas de leurs conséquences néfastes pour les agriculteurs : les contraintes connaîtraient une complexification croissante et de nouvelles distorsions de concurrence seraient induites.
En proposant ces interdictions et limitations, on fait comme si le Gouvernement n’avait pris aucune mesure concrète pour améliorer le bien-être des animaux d’élevage. Au contraire, la mobilisation gouvernementale a permis d’acter, sans légiférer, l’interdiction de la castration à vif des porcelets et de l’élimination à terme des poussins mâles dans la filière pondeuse.
Quant à l’article 4 de cette proposition de loi, qui crée un fonds de soutien pour le bien-être animal, il est déjà satisfait : le plan de relance permet à l’État d’apporter des financements pour accélérer la transition vers un modèle agricole respectueux du bien-être animal.
Ce volet du plan de relance est en cours de déploiement sur le terrain, via le plan de modernisation des abattoirs, comme j’ai pu le constater au début de ce mois lors de ma visite de l’abattoir du groupe Sicarev, à Migennes, dans l’Yonne. Cela se traduira concrètement par la création d’une bergerie avec des mangeoires et des abreuvoirs, la mise en place de quais d’accessibilité, l’extension de l’abattoir pour améliorer le confort des animaux, l’installation d’un système de vidéosurveillance et la mise en place de formations sur le bien-être animal pour les salariés.
Pour toutes ces raisons, en responsabilité, notre groupe ne pourra pas voter en faveur de ce texte. Pour ma part, comme un certain nombre de mes collègues, je m’y opposerai.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment prendre la parole quand, parmi les neuf orateurs qui s’expriment au nom des groupes dans cette discussion, je suis le seul éleveur ?
Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur. Mme Evrard l’est aussi !
M. Laurent Duplomb. Peut-être sommes-nous deux ! Comment parler de ce qui est pour moi une vraie passion, après tout ce qui a été dit ?
Selon moi, il faut en premier lieu éviter la confusion entre bien-être animal et maltraitance animale. Cette dernière est condamnable et condamnée, même si l’on ne pousse peut-être pas toujours suffisamment les recherches pour y parvenir. Cela dit, mélanger les questions de bien-être animal et de maltraitance est une erreur fondamentale.
Mme Françoise Férat. Très bien !
M. Laurent Duplomb. En deuxième lieu, on ne peut pas, à mon sens, se contenter de parler de ce qui se passe aujourd’hui dans l’élevage sans avoir à l’esprit, en miroir, l’histoire de cette activité et, surtout, les évolutions positives conduites toutes ces dernières années pour améliorer le bien-être animal.
Quand je me suis installé, j’étais de ces éleveurs bovins dont les animaux étaient attachés six mois de l’année. Aujourd’hui, ces mêmes bovins sont en totale liberté, dans un système de stabulation libre. La plupart d’entre eux pâturent ; aucun ne reste attaché pendant six mois. Ces animaux sont ventilés à 23 degrés, ils sont brossés.
M. Jacques Le Nay. Avec de la musique ! (Sourires.)
M. Laurent Duplomb. Ils sont élevés, je l’espère, le mieux possible.
Alors, il arrive parfois que l’éleveur que je suis se pose des questions sur le sens de notre société. On nous parle d’éthique d’élevage, mais quelle est l’éthique de cette société ?
Je veux à ce propos vous raconter une petite histoire qui m’a énormément marqué. Pas plus tard que le mois dernier, un animateur d’une station radio s’est intéressé aux urnes funéraires vendues sur Le Bon Coin. Il y trouve une annonce, appelle en direct le numéro de téléphone indiqué et tombe sur l’homme qui vend l’urne en question. Il le fait peu à peu parler, et l’homme lui explique qu’il est divorcé et que sa femme, en partant, a oublié de prendre l’urne funéraire de sa mère ; de colère, il a vidé l’urne de ses cendres, il a passé un coup de Kärcher et il l’a mise sur Le Bon Coin ! (Sourires.)
Mes chers collègues, comment voulez-vous qu’un éleveur qui croit en ce qu’il fait, qui a une éthique et qui est passionné puisse comprendre cette dichotomie de notre société ? Il se dit qu’on va lui demander de faire encore plus, alors qu’il réalise déjà des efforts constants, et qu’on va lui demander d’investir encore plus, alors qu’il ne gagne rien, tandis que le reste de la société se tait sur ce qui se dit à la radio, à une heure de grande écoute : tout le monde peut l’entendre, on peut même le retrouver sur internet !
Comment peut-on avoir deux visions aussi opposées ? D’un côté, on demanderait tout pour la protection de l’animal ; de l’autre, on ne ferait plus rien pour la protection de la fraternité et du sens de l’humain ! Je me pose de vraies questions à ce sujet ; je les partage avec vous, mes chers collègues, parce qu’elles me tiennent à cœur.
Bien sûr, il y a des sujets sur lesquels nous pouvons ouvrir le débat. Joël Labbé a bien dit – je l’en remercie – qu’il y a peut-être des questions à se poser sur l’intégration ou sur la façon dont on pousse certains élevages. Mais on ne peut pas continuer dans l’amalgame. On ne peut pas continuer de stigmatiser les éleveurs comme on le fait. Tout ce que l’on y gagnera, en fin de compte, c’est la disparition de l’élevage dans notre pays ! (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
M. Arnaud Bazin. Très bien !
M. Laurent Duplomb. Or l’élevage, dans notre pays, ce sont les paysages, c’est le maintien de campagnes vivantes.
Le modèle agricole que vous condamnez, mes chers collègues, c’est le modèle d’une France dont l’élevage est réparti sur tout le territoire (Protestations sur les travées du groupe GEST.), c’est le modèle d’une France où l’élevage est resté pour une très large majorité, contrairement à ce qu’il vous arrive d’affirmer, une agriculture familiale. (Mêmes mouvements.) C’est cela qu’il faut continuer de défendre, c’est cela qu’il faut continuer de préserver.
Or ce n’est pas en condamnant cette profession, en la stigmatisant, en la poussant dans ses retranchements, alors qu’elle aurait plutôt besoin de respect et de soutien, que nous y arriverons !
Je vous le dis : nous pouvons être fiers de l’élevage français. Plutôt que de le dénigrer, respectons-le et continuons de le pousser en avant ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Arnaud Bazin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela fait bien longtemps que le Sénat n’a pas eu à débattre en séance publique des questions relatives à l’éthique de l’élevage, de ces sujets concrets relevant de la dimension morale du rapport de notre espèce aux autres espèces.
En fait, nous n’en avons pas débattu depuis l’examen nocturne de quelques articles de la loi Égalim, qui contenaient des dispositions sur les poules pondeuses et une expérimentation de captation vidéo dans les abattoirs. Il en était évoqué une dizaine, sur la base du volontariat ; il y en aurait aujourd’hui quatre tout au plus, ce qui montre d’ailleurs tout l’allant du Gouvernement sur ces questions.
Il faut donc remercier Mme Benbassa et ses collègues d’avoir suscité ce temps de débat. Bien que j’aie entendu votre annonce, monsieur le ministre, le Gouvernement ne me semble guère pressé d’inscrire à l’ordre du jour avec un temps de débat décent la proposition de loi dite « de lutte contre la maltraitance animale », issue de sa propre majorité. À vrai dire, je le comprends, tant ce texte, aux objectifs pourtant fort limités, devra être modifié en profondeur pour être opérationnel.
Quand on ignore l’essentiel des questions que l’on prétend traiter, on cause plus de dommages que l’on apporte d’améliorations. Or telle est bien la devise des professions médicales : « D’abord ne pas nuire »…
Pour essayer d’éclairer notre débat de ce soir, je poserai deux questions. Premièrement, qui est opposé à un élevage respectueux des animaux associé à une rémunération équitable des éleveurs ? Deuxièmement, peut-on traiter une question aussi vaste et multidimensionnelle que l’élevage en deux heures d’examen et quatre articles d’une proposition de loi ?
Pour ce qui est de la première question, je ne m’y attarderai pas : à moins d’être un pervers, la réponse est évidente. C’est d’ailleurs déjà une demande forte de la société, celle d’un élevage respectueux de l’être vivant sensible qu’est un animal.
Il est maintenant convenu de parler de bien-être animal, expression consacrée administrativement et socialement. Il y a dans ce terme de communication une grande hypocrisie qui me gêne, mais c’est un autre débat. Essayons, avec modestie, de respecter les besoins fondamentaux des animaux que nous élevons pour les consommer ou consommer leurs produits ; ce sera déjà bien !
Quant à la seconde question, la réponse me paraît tout aussi évidente. Notre rapporteur a parfaitement retracé tout l’environnement de l’élevage ; en vérité, du fait de ce contexte, on ne peut en rester au « y’a qu’à, faut qu’on » : en l’occurrence, il n’y aurait qu’à interdire et il faudrait subventionner l’adaptation.
Je ne veux citer que quelques-uns de ces éléments de complexité. Le premier est l’environnement européen, qui permettrait d’exporter dans notre périphérie ce qui serait interdit chez nous, par exemple le broyage des poussins et canetons ; c’est ce que j’appellerais l’exportation de la maltraitance. C’est donc une question européenne.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Excellent !
M. Arnaud Bazin. Le second élément qu’il convient de rappeler est économique. Deux risques sont évidents.
Le premier est celui d’une alimentation à deux vitesses : il y aurait, pour schématiser, les produits pour bobos et les produits pour prolos !
Le second risque, c’est la ruine de beaucoup de nos éleveurs, qui n’aurait aucun bénéfice pour les animaux, mais qui emporterait des conséquences économiques, environnementales et sociales lourdes dans nos territoires.
Un troisième élément de complexité est la dissonance cognitive à l’œuvre. Pardonnez-moi ce jargon, mes chers collègues : l’expression signifie simplement que le comportement du consommateur n’est pas celui du citoyen qui répond aux questions des sondeurs.
Quand on demande : « Êtes-vous d’accord pour payer plus cher des produits animaux, même à 15 % de surcoût ? », la réponse est massivement positive, alors que, au-delà de 7 % à 8 % de surcoût, les acheteurs les plus nombreux font déjà défaut ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le quatrième élément de complexité que je veux rappeler est le caractère récent du référentiel dit « de bien-être animal ». Il continue en partie de susciter le débat et doit être une démarche scientifique dont les prescriptions seront appropriées par les éleveurs et déclinées en normes comprises de tous.
Enfin, j’ajouterai à ce très synthétique recensement de la complexité du problème la remise en question des grands accords de commerce international entre l’Europe et ses partenaires, de manière, là aussi, à éviter l’exportation de conditions d’élevage que nous n’accepterions plus chez nous. Sinon, les animaux seront maltraités plus loin de chez nous : « Cachez cet élevage que je ne saurais voir ! » Belle avancée pour les tartuffes…
Cette proposition de loi s’inscrit pourtant au sein d’une question majeure : comment construire un autre rapport à l’alimentation et aux animaux, qui soit éthique et représente un progrès moral de l’espèce humaine, tout en garantissant une alimentation saine et durable ? Cela suppose un énorme travail d’éducation, probablement sur plusieurs générations.
En effet, ne nous leurrons pas : on ne change pas des comportements culturels aussi profondément ancrés que les comportements alimentaires en un claquement de doigts.
Ce texte, monsieur le ministre, doit donc être considéré comme une proposition de loi d’appel, comme il existe des amendements d’appel. C’est à l’exécutif de se saisir réellement du sujet, car c’est lui qui en a les moyens. En effet, relèvent de l’action du Gouvernement l’éducation à l’alimentation, la transformation des filières en direction des protéines végétales, pour une alimentation humaine diversifiée et moins carnée, la protection des éleveurs contre une concurrence déloyale, ainsi que le respect des animaux.
Des signaux forts pour « moins de viande, mieux de viande » sont déjà envoyés, telle la lettre ouverte d’Interbev, l’Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes, démarche qui me paraît intéressante.
Le Gouvernement a aussi les moyens d’assurer la protection immédiate des animaux à l’abattoir, en imposant une surveillance vétérinaire, notamment par des outils vidéo, et par l’étourdissement préalable obligatoire, sans dérogation. Il est enfin en mesure de mettre en œuvre les contrôles appropriés, notamment pour le transport et l’abattage.
Monsieur le ministre, cette proposition de loi est pour vous un appel à l’action : une longue et forte transformation de l’alimentation des Français doit être entamée, qui traduise aussi une étape cruciale du progrès moral de notre société.
L’alimentation, qui fut avec la protection contre les prédateurs la priorité de notre espèce, n’est plus que l’un des aspects de la consommation de masse. Il est temps de lui redonner toute son importance et, pour sa dimension animale, de l’inscrire dans le très nécessaire progrès moral de l’humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal
TITRE Ier
Faire évoluer les modes d’élevage
Article additionnel avant l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par MM. Montaugé et Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai d’un an à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport faisant un état des lieux exhaustif de l’ensemble des démarches engagées en faveur du bien-être animal en France. Il dresse à la fois les actions mises en œuvre dans le monde de l’élevage, mais aussi celles impulsées ou portées par la société civile ou les entreprises. Ce panorama précis permettra aux pouvoirs publics, mais également à l’ensemble des acteurs mobilisés sur cette question, de savoir réellement où la France se situe en matière de bien-être animal et en conséquence, les mesures à mettre en œuvre pour accompagner et accélérer ce mouvement.
La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. J’ai déjà évoqué l’objet de cet amendement dans mon intervention au cours de la discussion générale : je crois qu’il serait vraiment utile que nous disposions d’un état des lieux de ce sujet en France, ainsi peut-être que d’une étude comparée avec d’autres pays, comme Henri Cabanel en exprimait d’ailleurs le souhait.
Ce serait pertinent pour les professionnels concernés, éleveurs et industriels, et au vu des demandes de la société en la matière. En effet, on ne pourra progresser efficacement, en se comprenant collectivement, que si l’on part d’un état des lieux partagé ; j’en suis profondément convaincu et je ne suis pas du tout certain que nous ayons les éléments nécessaires. Chacun a les siens et valorise, évidemment, ce qui l’arrange et correspond le mieux à son raisonnement ; cela peut se comprendre, je n’en fais le reproche à personne.
Il faut donc que nous ayons une représentation commune de ce sujet, pour cheminer ensemble dans le sens souhaité, sans oublier personne sur le bord du chemin, sans sacrifier personne. Les enjeux économiques de développement, mais aussi les enjeux territoriaux sont considérables. En réalité, nous sommes tous d’accord sur ces éléments ; on peut le reconnaître quand on s’écoute mutuellement.
Le rôle du Gouvernement est donc de réunir tout le monde et d’engager une démarche structurée, pour parvenir à des fins collectives qui ne sacrifient personne et qui servent la France et son économie agricole, en particulier l’élevage dans toute sa diversité.
Monsieur le ministre, j’apprécierais donc que vous apportiez quelques éléments de réponse aux questions que je vous ai posées dans la discussion générale. Cela pourrait se révéler utile, notamment pour ce qui concerne cet amendement. D’avance, je vous en remercie !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur. Dans un souci de cohérence, comme la commission a rejeté le texte dans son ensemble, elle a émis un avis défavorable sur cet amendement. Nous ne pouvons adopter un article additionnel pour, ensuite, le rejeter avec l’ensemble du texte ; cela serait vraiment schizophrène !
Je reconnais néanmoins, mon cher collègue, que la philosophie qui préside à votre amendement est stimulante : il est essentiel de mieux communiquer sur les progrès en matière de bien-être animal, dont nous savons qu’ils sont nombreux, progrès réalisés tous les jours par les éleveurs. C’est essentiel pour eux comme pour notre agriculture.
Pour autant, un rapport remis au Parlement constitue-t-il le meilleur vecteur d’une telle communication ? Il faut plutôt que le Gouvernement se mobilise sur le sujet, afin d’établir ce panorama précis et d’en faire une grande communication. Il est inutile d’inscrire ce genre de mesures dans la loi, puisque le Gouvernement peut déjà le faire.
Notre avis défavorable s’explique donc par notre invitation à rejeter ce texte, mais aussi par le fait qu’un rapport remis au Parlement n’est pas le meilleur outil pour atteindre les objectifs fixés.
Un éventuel engagement du Gouvernement à consolider une communication autour des progrès accomplis tous les jours par les éleveurs en matière de bien-être animal serait en revanche bienvenu. Je vous laisse, monsieur le ministre, le soin de répondre à cette demande.