Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Rachid Temal, rapporteur. Cet amendement vise à exclure les C2D de la comptabilisation de l’aide publique au développement française. S’il est exact que ces contrats transforment des prêts en dons, ils n’ont souvent pas une efficacité moindre que les autres projets de développement. Il est donc logique qu’ils soient comptabilisés comme de l’APD. Par ailleurs, s’agissant du rapport prêts-dons, la commission a justement adopté une disposition visant à augmenter la proportion des dons dans l’APD.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.
Pierre Laurent ayant été très technique et très précis, je le serai également. Les C2D ont été lancés lors du G7 de Cologne en 1999 pour annuler, au titre de l’aide publique au développement, la totalité des dettes contractées par les pays pauvres très endettés, les PPTE.
La France, comme d’autres pays européens, utilise cet instrument au service de sa stratégie de développement, en mettant en œuvre ces conversions de dettes par la voie d’accords conclus dans le cadre du Club de Paris. Depuis 2001, elle a signé 39 C2D avec 18 États différents.
Les C2D ayant le même coût budgétaire qu’une subvention, les exclure de la comptabilisation de l’APD aurait pour effet de sous-estimer significativement l’effort budgétaire réel de la France en matière d’APD. Au demeurant, cette pratique est conforme au dispositif de l’OCDE régissant l’APD.
J’entends beaucoup de propos injustes sur les C2D. Quand je me rends dans un pays qui a bénéficié d’un C2D, je demande toujours à voir ce qui a été fait. Lors de mon dernier déplacement à Kinshasa, par exemple, j’ai pu constater que le contrat signé avec la République démocratique du Congo (RDC) avait permis à un demi-million de personnes d’accéder à l’eau potable.
Cela s’appelle du développement, ou je ne m’y connais pas… Et c’est la France qui en est à l’origine.
Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Nous sommes en désaccord avec l’analyse du ministre, j’ai essayé de m’en expliquer. Nous continuerons à défendre notre position.
Nous avons également déposé un amendement pour veiller à ce que le rapport annuel contienne une évaluation précise des C2D.
Prenons rendez-vous, monsieur le ministre. Sur l’impact réel des C2D, nous verrons, après une évaluation sérieuse, qui a raison. À nos yeux, ces contrats engendrent un effet de gonflement artificiel qui pose problème et nous souhaitons en faire la démonstration.
Mme le président. Je suis saisie de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 345, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 10, deuxième à dernière phrases
Rédiger ainsi ces phrases :
La composante bilatérale de l’aide publique au développement française devra atteindre, en moyenne, 70 % du total sur la période 2022-2025. Les dons devront représenter au moins 75 % du montant de l’aide publique au développement française hors allègement de dette, mesurée en équivalent-don, en moyenne sur la période 2022-2025. En 2025, au moins 25 % de l’aide pays programmable (APP) et de l’aide humanitaire de la France devra bénéficier à ces pays prioritaires.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Le Sénat a souhaité cibler certains sujets pour s’assurer que les objectifs sont atteints. Nous partageons la méthode, mais il nous paraît important de fixer des cibles à la fois atteignables et compatibles avec les autres objectifs de notre politique de développement, en particulier l’investissement dans les biens publics mondiaux.
C’est pourquoi, sur les trois sujets qui font l’objet d’un ciblage, il convient de procéder à quelques ajustements pour adapter vos objectifs aux réalités concrètes.
Vous souhaitez tout d’abord que la composante bilatérale de l’APD, passée de 55 % en 2018 à 61 % en 2019 et 65 % en 2020, atteigne 70 %. Nous conservons cette cible tout en la lissant sur la période 2022-2025. Nous devons nous autoriser, à certains moments, à avoir davantage d’aide multilatérale en raison de certains événements – je pense notamment au sommet de Glasgow sur le climat ou au Forum Génération Égalité, qui se tiendra à Paris. Le projet de loi fixe toujours l’objectif de 70 %, mais en autorisant un lissage sur la période.
La part des dons dans l’APD, qui est passée de 77 % en 2017 à 81 % en 2019, s’établit à 72 % en 2020, compte tenu de l’impact des décaissements de l’initiative « Santé en commun », mise en œuvre par l’Agence française de développement. En volume, l’APD en dons est passée de 7,8 milliards d’euros en 2017 à près de 9 milliards d’euros en 2020.
La cible de 75 % de dons inscrite dans le texte par la commission est difficilement atteignable, en raison des contraintes dues aux allègements de dette, qui font baisser la part des dons dans l’APD totale. C’est la raison pour laquelle nous proposons, tout en retenant la cible de 75 %, d’exclure les traitements de dettes du périmètre de calcul et de lisser la cible sur la période 2022-2025. Il s’agit de l’adapter pour une meilleure mise en œuvre.
Vous souhaitez enfin cibler à 30 % l’aide pays programmable (APP) à destination des 19 pays prioritaires. Nous préférons 25 % à l’horizon 2025, ce qui est déjà ambitieux, mais atteignable.
Dans cet amendement, le Gouvernement a donc repris vos propositions de ciblage quasiment au pourcentage près.
Mme le président. L’amendement n° 188, présenté par MM. Gontard et Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Dossus, Fernique et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Alinéa 10, troisième phrase
Remplacer les mots :
et sur toute la période 2022-2025
par les mots :
et au moins 85 % à compter de 2025
La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Cet amendement vise à renforcer les dons au sein de l’aide publique au développement française.
C’est une mesure indispensable dans le cadre de notre volonté de renforcer la priorisation géographique de l’APD, étant donné que cet instrument a vocation à toucher les pays les plus vulnérables et à financer les secteurs prioritaires comme l’éducation, la santé ou l’adaptation au changement climatique.
Certains pays comme le Danemark ou l’Australie ont une APD exclusivement constituée de dons. La France, quant à elle, fait partie des plus gros prêteurs, dépassée seulement par le Japon et la Corée du Sud.
Selon l’OCDE, en 2018, près de 50 % de l’APD brute bilatérale française était versée sous forme de prêts, contre 16 % en moyenne pour l’ensemble des pays du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE.
Les recommandations du CAD sont critiques envers cette répartition très inégalitaire.
En effet, privilégier les prêts revient non seulement à favoriser comme partenaires de l’APD des pays à revenus intermédiaires, qui ont moins besoin de notre aide, mais également à accentuer la dette de nos pays partenaires.
Cette répartition de notre APD n’est pas tenable si nous souhaitons réellement atteindre les objectifs que nous nous fixons avec ce texte. Par conséquent, la réduction des prêts dans l’aide française doit être une priorité afin de lutter contre les inégalités mondiales.
En complément de l’objectif de 65 %, ajouté en commission, et dans une perspective réaliste, nous proposons donc d’inscrire l’objectif de 85 % de dons en flux bruts à l’horizon 2025, ce qui nous ferait rejoindre la moyenne des pays du CAD de l’OCDE.
Mme le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 119 est présenté par Mme Gréaume, M. P. Laurent et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 213 est présenté par Mme Carlotti, MM. Temal, Kanner, Todeschini et Roger, Mmes Conway-Mouret et G. Jourda, MM. M. Vallet, Vallini, Vaugrenard, Antiste, Cozic et P. Joly, Mmes Lepage et Monier, MM. Stanzione, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 10, troisième phrase
Remplacer le taux :
65 %
par le taux :
85 %
La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour présenter l’amendement n° 119.
Mme Michelle Gréaume. Ce projet de loi tend à renforcer les dons au détriment des prêts, ce qui est une réelle avancée. Le choix stratégique opéré jusqu’à présent pose deux problèmes : d’une part, il éloigne de l’aide publique au développement les pays qui en ont le plus besoin, d’autre part, il aggrave l’endettement de ces pays, ce qui grève leur capacité d’investissements dans les infrastructures.
Dans l’un de ses derniers rapports, la Banque mondiale a alerté sur le niveau d’endettement extrêmement élevé des pays pauvres. Celui-ci a par ailleurs augmenté de 5,3 % en 2018, soit 7 810 milliards de dollars.
Dans les 76 pays les plus pauvres du globe, la dette a ainsi doublé en dix ans, avec certains cas extrêmes comme l’Éthiopie, qui connaît une augmentation de 885 %, ou la Zambie, pour qui cette hausse atteint 521 %.
Pour ne prendre qu’un exemple, le Maroc a une dette de près de 3 milliards d’euros envers la France.
Cet endettement alimente une course au surendettement, puisque cela freine les pays emprunteurs dans leur recherche d’investissements nationaux massifs et de développement des services publics locaux.
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti, pour présenter l’amendement n° 213.
Mme Marie-Arlette Carlotti. La France fait partie des plus gros prêteurs et nous souhaitons à notre tour rééquilibrer l’aide au développement en faveur des dons, à hauteur de 85 %.
J’insiste sur le fait que ce rééquilibrage permettra aussi de mieux cibler les pays les plus pauvres, qui sont prioritaires selon la France.
Mme le président. L’amendement n° 117, présenté par Mme Gréaume, M. P. Laurent et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 10, dernière phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
En 2025, au moins 50 % de l’aide publique au développement (APD) de la France sera consacrée aux pays les moins avancés.
La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Il est essentiel que l’aide publique au développement française soit rééquilibrée, à l’issue de l’examen de ce projet de loi.
En l’état, le texte apporte déjà de réelles améliorations en fixant une priorité pour les pays les moins avancés (PMA) et en fléchant 30 % de l’aide publique au développement vers les pays prioritaires définis par la France, tous inscrits sur la liste des PMA selon l’OCDE. Il s’agit là d’une première avancée.
Il me semble toutefois que nous aurions intérêt à élargir la cible pour ne pas exclure les 28 pays les moins avancés qui ne font pas partie de la liste française.
Par ailleurs, le retard pris par la France à l’égard des pays les moins avancés exige un réinvestissement massif, qui implique de faire le lien avec le débat sur la balance prêts-dons.
En effet, si un seul pays de la liste établie par l’OCDE fait aujourd’hui partie des dix premiers récipiendaires de l’APD française, c’est en grande partie parce que la France a choisi de s’orienter vers les prêts, ce qui exige une solvabilité dont ne disposent pas ces pays. Le résultat de ce choix stratégique, c’est un recul de l’APD aux pays les moins avancés estimé à 26 % depuis 2015.
Ce constat, qui n’est pas uniquement français, va jusqu’à inquiéter le Fonds monétaire international (FMI), qui estime qu’il faudrait un réinvestissement massif à hauteur de 500 milliards de dollars annuels d’ici à 2030 pour atteindre la cible de l’agenda de l’ONU.
C’est d’autant plus important que, trop souvent, on réduit l’aide publique au développement aux PMA à des annulations de dettes. Bien évidemment, ces mesures peuvent être essentielles pour donner des marges de manœuvre : elles répondent souvent à une situation devenue intenable.
Ainsi, la Mauritanie dépense six fois plus dans le remboursement de sa dette que dans ses budgets sanitaires. Reste que ces États ont aussi besoin de liquidités. Il serait inquiétant de répéter les mêmes erreurs qu’après la crise de 2008, où l’on avait aggravé les inégalités mondiales au lieu de les réduire.
Mme le président. L’amendement n° 214, présenté par Mme Carlotti, MM. Temal, Kanner, Todeschini et Roger, Mmes Conway-Mouret et G. Jourda, MM. M. Vallet, Vallini, Vaugrenard, Antiste, Cozic et P. Joly, Mmes Lepage et Monier, MM. Stanzione, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 10, dernière phrase
Après l’année :
2025,
insérer les mots :
la moitié de l’aide publique totale sera consacrée aux pays les moins avancés et
La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.
M. Jean-Marc Todeschini. Cet amendement vise à renforcer la concentration des moyens de la composante bilatérale de l’aide au développement française en direction des pays les moins avancés et de conforter ainsi la stratégie française.
Le ciblage géographique de l’aide française souffre encore d’une forte dispersion et ne priorise pas les pays les moins avancés, qui concentrent pourtant les poches d’extrême pauvreté dans le monde.
Ce projet de loi met l’accent sur les pays africains les moins avancés dans son exposé des motifs, mais il stagne sur les objectifs de ciblage, inchangés depuis la loi du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale. Il ne concrétise donc pas cette priorisation.
Monsieur le ministre, cet amendement est important pour renforcer et conforter la cohérence de la stratégie annoncée sur le terrain. La situation actuelle des pays les moins avancés nécessite cet effort, qui viendrait par ailleurs soutenir les engagements de la France, notamment au Sahel.
Ce serait l’occasion de faire reculer la misère dans cette région et, par là même, de faire reculer le terrorisme qui se nourrit de cette situation. Marie-Arlette Carlotti l’a souligné : nous connaissons les racines du mal et les raisons qui poussent les populations dans les bras des terroristes. C’est la colère des peuples, qui s’élèvent contre la mal-gouvernance et la corruption.
Hélas, cette colère se reporte aujourd’hui contre nos forces armées. Aux côtés de notre force Barkhane, l’autre volet de la lutte contre le terrorisme, c’est bien une politique de développement volontariste au Sahel.
Mme le président. L’amendement n° 186, présenté par MM. Gontard et Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Dossus, Fernique et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Alinéa 10, dernière phrase
Remplacer le taux :
30 %
par le taux :
40 %
La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Cet amendement vise à augmenter l’effort consacré aux pays prioritaires de l’aide publique française, en le fixant à 40 %.
Ce chiffre doit nous permettre de traduire l’effort auquel nous nous engageons de concentrer l’aide bilatérale et les dons aux pays les moins avancés, en particulier les pays prioritaires. L’éradication de la pauvreté dans toutes ses dimensions, dont nous faisons notre priorité, n’est pas un objectif crédible s’il n’est pas accompagné d’un ciblage effectif vers les pays et les populations qui en ont le plus besoin.
Or notre aide française ne priorise toujours pas les pays les moins avancés, qui concentrent pourtant les poches d’extrême pauvreté dans le monde. Les 19 pays qui ont été identifiés comme prioritaires par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid), et qui sont tous des PMA, ne font pas partie des dix principaux récipiendaires de l’APD française.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : là où les pays du Comité d’aide au développement de l’OCDE consacrent en moyenne 24 % en aide bilatérale aux PMA, la France ne consacre à ces derniers que 15 %, et seulement 13 % de son aide pays programmable. Par ailleurs, l’APD qui leur est destinée a reculé de 26 % depuis 2015.
L’objectif fixé par la commission de consacrer 30 % de notre aide pays programmable aux pays prioritaires est louable, mais il n’est pas à la hauteur des ambitions de ce texte. Cela représenterait moins de 2 milliards d’euros distribués entre 19 pays. Cette somme fait pâle figure, alors que le FMI déclarait que 500 milliards de dollars supplémentaires devraient être alloués chaque année aux pays prioritaires afin de respecter les engagements de l’Agenda 2030.
L’adoption de cet amendement, qui vise à porter cette part à 40 %, traduirait mieux notre volonté de renforcer le ciblage géographique de l’aide et de prendre ainsi les mesures nécessaires à l’éradication de la pauvreté sous toutes ses formes.
Vous l’imaginez, mes chers collègues, nous souhaiterions un objectif encore plus ambitieux, mais, dans l’esprit de compromis qui préside à nos débats, nous vous proposons de rehausser ce volume dans des proportions raisonnables, qui restent en phase avec les annonces de M. le ministre.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Rachid Temal, rapporteur. La commission n’a pas pu examiner l’amendement n° 345, qui nous a été communiqué par le Gouvernement en début d’après-midi. Si l’on peut entendre l’idée d’un lissage de l’aide publique dans le temps, il s’agit néanmoins de prévoir une évolution notable des assiettes et des périmètres, notamment une baisse de l’APP. À ce stade, j’émettrai donc un avis défavorable sur cet amendement, qui ne me semble pas correspondre à l’esprit du texte adopté par la commission.
J’en viens aux autres amendements. Jusqu’où faut-il aller ? C’est bien cette question qui se pose.
L’amendement n° 188 tend à proposer un objectif de 85 % de dons en flux bruts, contre 65 % dans le texte. Ce dernier niveau me semble déjà suffisamment ambitieux en termes de projection. En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement, comme sur les amendements identiques nos 119 et 213, pour les mêmes raisons : l’objectif de 85 % nous semble inatteignable dans les délais prévus.
Les auteurs des amendements nos 117, 214 et 186 font montre d’une ambition supplémentaire, à destination des PMA cette fois. Le texte de la commission, qui fixe un objectif de 30 %, contre 15 % aujourd’hui, est déjà ambitieux par rapport au texte initial, et il y aura matière à faire après 2022. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur ces amendements.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote sur l’amendement n° 188.
M. Guillaume Gontard. Bien sûr, monsieur le rapporteur, 85 %, c’est plus que 65 %, mais il est bien précisé que nous avons jusqu’en 2025 pour atteindre cet objectif. La trajectoire annuelle de progrès dans laquelle nous comptons nous inscrire jusqu’à cette date rejoint selon moi la logique de la commission et ne me paraît pas totalement inatteignable, à condition, bien entendu, de le vouloir.
Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 119 et 213.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme le président. L’amendement n° 121, présenté par Mme Gréaume, M. P. Laurent et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Par ailleurs, au moins 50 % de l’aide publique au développement (APD) française sera dédiée aux services sociaux de base.
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Une nouvelle fois, nous tenons à préciser comment l’aide publique au développement de la France devrait s’organiser et être fléchée, la situation d’extrême urgence que nous connaissons rendant encore plus nécessaire sa concentration sur les services sociaux de base.
Avant même la crise sanitaire, des instances onusiennes alertaient sur la stagnation des progrès réalisés ces dernières décennies en matière d’accès à certains services essentiels.
La situation de l’éducation était ainsi préoccupante, pour ne prendre que cet exemple. L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, l’Unesco, par le biais de son institut de statistiques, l’ISU, estime que six jeunes sur dix environ iront jusqu’au bout de l’enseignement secondaire.
L’Unesco relève un autre élément : l’arrêt soudain de la croissance de l’aide à l’éducation aux pays à faibles revenus après la crise financière. Une nouvelle fois, les pays occidentaux ont fait le choix de sacrifier les populations fragilisées.
Se pose dès lors la question de la crédibilité du discours de la France en matière d’aide publique au développement. En effet, si Paris consacre près de 1 milliard d’euros d’aide bilatérale à l’éducation, en plus de ses contributions aux instances multilatérales, il alloue moins de 2 % de cette somme à l’éducation de base. En parallèle, la France n’a consacré que 2,3 millions de dollars au Fonds d’urgence Education Cannot Wait, devant permettre le maintien en éducation de 9 millions d’enfants touchés par la crise sanitaire.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Rachid Temal, rapporteur. De nombreux amendements portent sur des demandes sectorielles. Si celles-ci sont bien évidemment louables, nous devons aussi nous interroger sur un éventuel excès de fléchage et de rigidification. Par ailleurs, si nous additionnons toutes les propositions, nous risquons d’être confrontés à un problème d’enveloppe globale.
C’est pourquoi, ma chère collègue, même si, sur le principe, elle partage votre position, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Pour ma part, je suis très favorable au ciblage souhaité par le Sénat. C’est un apport utile et pertinent au débat.
Je regrette l’absence d’accord sur le contenu de ce ciblage, mais je reconnais le caractère relativement tardif de nos propositions. Vous comprendrez toutefois que je les ai avancées lorsque j’étais en mesure de le faire. Je vous laisse deviner les différentes étapes qui ont précédé…
J’espère que nous pourrons in fine nous entendre et que la navette parlementaire le permettra. Je pense qu’il faut conserver le ciblage.
En revanche, je ne crois pas qu’il faille aller au-delà des trois objectifs de ciblage majeurs qui figurent dans le projet de loi. On risque sinon de ne plus rien pouvoir faire…
Je ne dis pas que les nouvelles cibles que vous proposez ne sont pas justifiées dans leur principe, mais, dès lors qu’elles sont exprimées en pourcentage, on ne s’en sort plus !
Il faut adapter les exigences en fonction des priorités des pays dans lesquels nous intervenons, à condition de rester fidèles aux trois ciblages principaux.
Mme le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.
Mme Michelle Gréaume. J’entends vos explications, monsieur le ministre, mais l’amendement n° 121 vise un fléchage vers les services sociaux de base, qui englobent notamment la santé et l’éducation. Un tel fléchage ne me semble pas impossible à mettre en œuvre !
M. Rachid Temal, rapporteur. C’est le pourcentage qui pose problème !
Mme le président. L’amendement n° 144, présenté par Mme Gréaume, M. P. Laurent et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Par ailleurs, au moins 10 % de l’aide publique au développement (APD) française sera dédiée au soutien au renforcement des systèmes fiscaux des pays en voie de développement.
La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Il s’agit en l’occurrence de flécher une part de l’aide publique au développement vers le soutien au renforcement des systèmes fiscaux.
Les recettes fiscales sont primordiales pour construire les conditions d’un développement durable des États et leur permettre de réduire la pauvreté, d’assurer des services publics et de renforcer leurs capacités.
Si les recettes fiscales représentent en moyenne 34 % du PIB dans les pays de l’OCDE, elles sont deux fois moins importantes dans les pays en développement.
Au-delà du volume de recettes fiscales récoltées se pose la question de la nature de la ponction fiscale, qui, pour être efficace, gagne à être guidée par des critères de justice sociale n’aggravant pas la situation des populations les plus pauvres et les plus laborieuses, en mettant à contribution les profits du capital local et du capital étranger.
Se pose enfin la question de la redistribution des recettes, pour promouvoir une croissance efficace répondant aux objectifs.
L’organisation économique internationale en vigueur, qui se traduit par les actuels traités de libre-échange, est un obstacle à cet objectif, puisqu’elle alimente une course au moins-disant fiscal particulièrement avancée dans les pays en développement, à travers des législations qui distribuent à tout-va des cadeaux fiscaux, notamment aux multinationales.
Ce sont ainsi 854 milliards de dollars qui ont été détournés des seuls pays africains de manière licite et illicite de 1970 à 2010, selon les estimations du FMI. De son côté, l’organisme Global Financial Integrity évaluait en 2013 la perte de recettes à 1 800 milliards de dollars.
C’est donc une question essentielle et c’est pourquoi il nous semble utile de flécher l’APD vers des dépenses structurellement utiles au développement durable de ces pays.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Rachid Temal, rapporteur. On ne peut que partager le propos de Pierre Laurent.
Reste, encore une fois, qu’il est difficile de rigidifier à l’excès les critères de répartition. Il a été question des services sociaux de base, c’est maintenant la fiscalité ; il y aura aussi des propositions sur l’écologie… Tout cela risque de poser problème.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.