M. le président. Pardonnez-moi, madame la ministre, mais il vous faut vous acheminer vers la conclusion…
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Cela doit aller de pair, enfin, avec un capitalisme français qui prend des risques. C’est le sens du fonds « French Tech Souveraineté » ou des fonds « Tibi », que nous orientons vers ces pépites industrielles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nos territoires, que vous connaissez bien et que je sillonne quotidiennement, recèlent des atouts exceptionnels. Il nous appartient maintenant de bâtir une industrie puissante et une France en positif. C’est ce qu’attendent nos compatriotes !
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Marie Evrard.
Mme Marie Evrard. Madame la ministre, depuis le début de la pandémie de covid-19, la souveraineté économique est revenue au cœur des débats. Pourtant, à l’origine, la souveraineté est un concept plus politique, juridique et militaire qu’économique. Jean Bodin la définissait comme « le pouvoir de commander et de contraindre sans être commandé ni contraint ». C’est une gageure au niveau économique.
Loin de la volonté de tout faire soi-même et du mercantilisme, le Gouvernement a fait le choix d’une politique de souveraineté économique à la fois responsable et réaliste, avec ce qu’Emmanuel Combe et Sarah Guillou appellent dans une récente étude, d’une part, la « relocalisation des activités jugées stratégiques » et, d’autre part, une « politique industrielle de rattrapage technologique ».
La stratégie pour le développement d’un hydrogène décarboné est un exemple concret de cette politique industrielle de rattrapage technologique. Lancée en septembre 2020, elle permet déjà à notre pays de se placer parmi les pays les plus en pointe dans cette technologie.
Avec le soutien de France Relance – plan qui, rappelons-le, contient une enveloppe de 100 milliards d’euros –, les industriels et les territoires ont répondu à l’appel.
Le 5 mars dernier, l’écosystème territorial hydrogène de l’Auxerrois, dans l’Yonne, a ainsi été présenté. Il s’appuie sur la création d’une station de production et de distribution multimodale d’hydrogène vert, issu exclusivement de sources renouvelables.
La multiplication des hubs hydrogène dans nos territoires nous permettra de relever le défi de la souveraineté énergétique et industrielle, tout en décarbonant notre économie. Pouvez-vous, madame la ministre, nous apporter des précisions sur l’état d’avancement de la stratégie pour le développement de l’hydrogène décarboné ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Je vous remercie, madame la sénatrice Evrard, de m’interroger sur l’hydrogène : c’est une des technologies sur lesquelles nous souhaitons très fortement investir, afin d’accélérer la production industrielle française.
On parle d’hydrogène vert. Je dirais, pour ma part, qu’il s’agit d’un hydrogène bas-carbone, puisqu’il peut s’appuyer sur les énergies renouvelables ou sur le nucléaire, ce dernier étant une énergie bas-carbone.
Nous allons consacrer, au total, 7 milliards d’euros à un plan hydrogène couvrant plusieurs années, dont 2 milliards d’euros seront spécifiquement consommés en 2021 et 2022 afin de donner une impulsion à nos entreprises industrielles.
L’enjeu est de créer les briques technologiques industrielles sur lesquelles on puisse s’appuyer pour, ensuite, déployer une véritable stratégie hydrogène dans deux directions : le développement des mobilités vertes, à travers les véhicules à hydrogène, et la décarbonation de nos processus industriels. C’est très exactement, pour ne prendre que cet exemple, ce qui est en jeu dans la décarbonation des aciéries.
En janvier, nous avons mis en place un Conseil national de l’hydrogène, qui a dessiné une feuille de route particulièrement précise, et nous avons d’ores et déjà lancé deux appels à projets. Le premier, « Briques technologiques et démonstrateurs hydrogène », est doté de 350 millions d’euros et vise à accompagner des projets portés, sur le territoire, par nos industriels ayant la capacité d’innover. Le second, « Écosystèmes territoriaux hydrogène », est national, doté de 325 millions d’euros, et accompagnera des consortiums réunissant des collectivités et des industriels fournisseurs de solutions pour favoriser au maximum des économies d’échelle, avec des projets ancrés sur les territoires.
Par ailleurs, nous finalisons le lancement d’un IPCEI (Important Project of Common European Interest – projet important d’intérêt européen commun), d’un montant de 1,6 milliard d’euros, pour la construction d’une feuille de route stratégique européenne, qui concernera un certain nombre d’entreprises industrielles et nous permettra de gagner nos positions sur cette nouvelle technologie.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Madame la ministre, permettez-moi de vous soumettre une question au nom de ma collègue Guylène Pantel, qui est empêchée.
Le récent refus du rachat des Chantiers de l’Atlantique par Fincantieri ainsi que le refus du rachat du groupe Carrefour par un actionnaire canadien, s’ils sont bienvenus, ont montré une volonté de la part du Gouvernement de réaffirmer la souveraineté économique de la France.
La crise de la covid-19 et les confinements qu’elle a engendrés ont encouragé de nombreux Français à revoir leur mode de consommation pour s’orienter vers des circuits plus courts et les acteurs locaux. Les scènes de rayons vides, la pénurie de masques au début de la pandémie ou encore les délais de vaccination, s’ils ne sont pas complètement imputables à notre stratégie économique, interrogent sur notre capacité à avoir un appareil productif performant pour répondre à la demande nationale.
Ils interrogent d’autant plus qu’en parallèle la France est le pays européen ayant connu la plus forte désindustrialisation au cours des vingt dernières années, avec comme conséquences des délocalisations, de nombreuses suppressions d’emplois, l’automatisation et l’externalisation. Un seul objectif visé : réduire les coûts de production.
Je parlais de concurrence mondiale, mais celle-ci est également européenne.
Vous connaissez, madame la ministre, l’attachement de mon groupe à la construction européenne. Si la concurrence intraeuropéenne, qui est un fait établi, n’est pas près de s’arrêter au vu des différents coûts de production dans les États membres, seule l’Union européenne peut nous permettre de faire face aux géants que sont les États-Unis et la Chine.
Aussi je vous poserai cette question : quelles solutions mettez-vous en œuvre pour rendre possible la réindustrialisation et la souveraineté économique et alimentaire dans cette économie libérale mondialisée et dans une Europe concurrentielle ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Comme je l’ai évoqué dans mon propos introductif, il s’agit pour nous de renforcer la compétitivité du « site » France, en travaillant sur la compétitivité-coût, en réduisant les impôts de production, en encourageant l’innovation, et donc le développement de solutions mieux adaptées pour nos clients, en modernisant notre économie à travers l’investissement dans les chaînes de production de l’industrie du futur.
Au niveau européen, par ailleurs, on trouve tous les IPCEI – santé, cloud souverain, hydrogène, microprocesseurs, batteries électriques – que nous avons lancés ou que nous souhaitons lancer dans les prochains mois. Nous allons investir massivement sur de nouvelles technologies et de nouveaux sites industriels, de manière à renforcer notre compétitivité face à des pays situés en dehors de l’Union européenne.
Au sein de cette dernière, enfin, un travail est mené autour d’une plus grande convergence sociale et fiscale, afin de jouer avec les mêmes règles du jeu. Notre mot d’ordre, c’est la concurrence loyale. Si nous voulons que la transition écologique se mette en place, si nous voulons améliorer notre compétitivité sociale, il faut tirer les autres pays vers le haut. Là est l’enjeu !
C’est d’ailleurs le même enjeu qui se noue au niveau du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Ce dispositif doit permettre de taxer des importations ayant un contenu carbone beaucoup plus important que nos produits, afin de favoriser une concurrence loyale et permettre aux entreprises de jouer avec des forces égales.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. La France doit défendre ses intérêts, ses entreprises, ses emplois, et savoir affronter ce qu’il faut bien appeler une guerre économique, au niveau tant mondial qu’européen.
Pour notre part, nous plaidons pour la coopération. Mais ne soyons ni les naïfs de la mondialisation libérale ni les Bisounours d’une Europe qui, non seulement se protège mal, mais organise en son sein une concurrence effrénée avec des dumpings sociaux et fiscaux. La France est particulièrement touchée.
Il faudra bien changer ce cadre, mais, en attendant, il faut agir vite ! Si nous voulons inverser la spirale de désindustrialisation, de délocalisation, de détérioration grave de notre balance commerciale, en particulier avec nos partenaires européens, il faut mettre en œuvre une politique d’intelligence économique.
Je concentrerai mon propos sur ce point, parce qu’il y a beaucoup à faire dans de nombreux domaines.
La plupart des grands pays développés ont des programmes d’intelligence économique, ainsi que des outils particuliers voués à cette fonction. Je pense, en particulier, aux États-Unis et à l’Allemagne. Si nous avions eu des structures réellement opérationnelles, avec une mobilisation de tous les acteurs territoriaux et sociaux, avec une culture partagée de l’intelligence économique, nous aurions certainement pu anticiper et éviter la vente d’une partie de notre fleuron national Alstom à General Electric et le démantèlement de Technip, qui passe sous pavillon américain. Je prends ces deux exemples, mais de nombreuses PME et PMI font tous les jours l’objet d’opérations de prédation de la part d’entreprises étrangères.
L’intelligence économique est donc un outil permettant de mobiliser les forces vives du pays – l’État, les territoires, etc. – pour, d’une part, anticiper et déployer une stratégie de veille sur les risques menaçant les entreprises, grandes ou petites, et, d’autre part, créer des outils en vue de réagir à temps, très rapidement. À nouveau, les États-Unis ou l’Allemagne font cela très bien, par exemple en modifiant la fiscalité ou la législation pour s’adapter à la stratégie des prédateurs.
Il faut donc une stratégie d’intelligence économique. Nous avons déposé un projet de loi très complet en la matière, considérant que la France doit se doter de tels outils. Madame la ministre, le Gouvernement est-il prêt à présenter une loi pour une nouvelle stratégie d’intelligence économique en France ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Madame la sénatrice Lienemann, comme vous le savez, un Service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse) a été créé en 2016 par la réunion de différentes entités tournées vers l’intelligence économique. Ce service, rattaché au ministère de l’économie, des finances et de la relance, dispose de correspondants territoriaux dans les régions. De même, le Président de la République a fait de l’économie une priorité des services de renseignement en la repositionnant dans la politique de renseignement globale de la France.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela ne marche pas !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. S’agissant de la lutte contre les prédations, nous avons, avec la loi Pacte puis par la loi d’urgence sanitaire, renforcé la réglementation applicable aux investissements étrangers en France de manière à permettre un filtrage de ces investissements, l’objectif étant d’interdire toute prédation sur des PME et des ETI qui possèderaient des savoir-faire ou des technologies uniques.
En outre, grâce à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), nous avons renforcé nos outils de lutte contre les cyberattaques, qui sont une autre façon de déstabiliser des entreprises par l’acquisition d’informations économiques ou par la déstructuration des systèmes d’information.
Bien sûr, il est possible d’aller plus loin. C’est pourquoi nous avons porté ces propositions au niveau européen. Je rappelle que le règlement de filtrage des investissements étrangers a été largement soutenu par la France, qui a été avant-gardiste dans ce domaine. Nous sommes prêts à poursuivre notre travail dans cette direction, en ayant cependant le souci de ne pas utiliser ce règlement comme un moyen de protection visant à empêcher toute circulation de l’innovation et tout investissement productif. Il faut trouver un juste équilibre.
En tout état de cause, on ne peut pas dire, me semble-t-il, que le gouvernement français ait fait preuve de naïveté ces dernières années. Il a clairement investi dans l’intelligence économique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga.
M. Jean-Pierre Moga. La crise sanitaire a souligné un phénomène de fond : celui d’une perte relative de souveraineté, au fil des décennies, en raison de l’abandon ou de l’externalisation par les pays occidentalisés de certaines productions.
Mais, plus inquiétant encore pour notre souveraineté économique, nous n’avons pas les moyens de nos ambitions en matière de recherche. En effet, notre recherche scientifique est fondamentale pour notre souveraineté, car elle garantit notre capacité à innover.
Notre indépendance passe par l’innovation, notamment dans la production pharmaceutique, comme j’ai souvent eu l’occasion de le rappeler dans cet hémicycle en alertant sur nos vulnérabilités s’agissant des produits et équipements médicaux.
La bataille économique se joue aujourd’hui sur le terrain scientifique et technologique. Une course s’est engagée et notre recherche nationale est notre meilleur atout pour favoriser les gains de productivité et la compétitivité.
Toutefois, comme je l’évoquais, à l’automne dernier, dans mon rapport pour avis sur ce texte, la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 a été une occasion partiellement manquée, ne donnant pas suffisamment à notre pays les moyens de rehausser son effort de recherche.
Dès lors, madame la ministre, quel bilan faites-vous de cette loi ? Que proposez-vous afin que la recherche publique débouche sur la diffusion de connaissances nouvelles, notamment en lien avec la recherche privée, alors que la dernière loi de finances, certes en application de directives européennes, supprimait le doublement de l’assiette du crédit d’impôt recherche ? Quel rôle la recherche doit-elle jouer dans la bataille économique actuelle ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Moga, la recherche est clairement un élément de compétitivité hors coût sur lequel nous devons augmenter les investissements.
Le bilan que je tire de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche est plus favorable puisqu’est prévue une augmentation de 25 milliards d’euros des moyens destinés à la recherche sur les dix prochaines années.
Cette augmentation, inédite, a deux objets : donner plus de moyens à la recherche, mais aussi revaloriser le statut des chercheurs.
Comme vous l’avez mentionné dans votre propos introductif, cette revalorisation est absolument essentielle si nous voulons que les chercheurs restent en France, qu’ils continuent à mener des recherches et qu’ils puissent alterner aussi aisément que possible recherche fondamentale et recherche appliquée dans le domaine industriel. Je pense en particulier aux dispositions de la loi Pacte tendant à une meilleure circulation de la recherche et à celles qui permettent une meilleure protection de la propriété intellectuelle. Sur ces points, le Parlement a vraiment fait œuvre utile.
Au-delà de cette question de la recherche fondamentale, le programme d’investissements d’avenir (PIA) permettra de mobiliser 20 milliards d’euros au cours des cinq prochaines années. Surtout, nous nous employons à activer immédiatement 11 milliards d’euros sur des projets précis relevant d’une quinzaine de technologies clés. Cette feuille de route stratégique sous-tend des appels à projets ou des appels à manifestation d’intérêt en direction des entreprises de nos territoires, tant des TPE, des PME, des ETI que de grands groupes. L’objectif est très précis : définir les moyens budgétaires à mobiliser pour que ces entreprises puissent déployer dans les cinq ans ces travaux de recherche.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Moga. Madame la ministre, j’entends ce que vous dites et je ne minimise pas vos efforts. Cependant, vous le savez, nous partons de très bas. Au cours de ces dernières années, le nombre de doctorants est passé de 20 000 à 16 000, tandis que les salaires de nos chercheurs sont inférieurs de 30 % à la moyenne de ceux de nos pays voisins.
Effectivement, vous faites des efforts, comme l’atteste la loi de programmation, mais, par le plan de relance, vous devez faire en sorte que notre recherche soit à la hauteur de nos ambitions.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. En 2021, dans un monde où la France dépend en réalité de ses partenaires et de nombre de fournisseurs étrangers pour des ressources hautement stratégiques – je pense notamment aux terres rares, si nécessaires aux industries qui font la compétitivité et donc les emplois d’aujourd’hui, et plus encore de demain –, quels sont selon vous les critères, les déterminants de la notion de souveraineté économique nationale ?
Comment prenez-vous en compte la dimension européenne incontournable de ce concept ? On ne connaît bien, notamment pour y travailler, que ce que l’on mesure. Faute de quoi, on se paie de mots et on n’avance pas collectivement dans le bon sens, qui doit être celui d’un « confortement » de notre souveraineté économique nationale.
Prenons un exemple, celui de la souveraineté numérique, sur laquelle le Sénat a travaillé et fait des propositions de progrès voilà deux ans au travers du rapport de Gérard Longuet, rendu au nom de la commission d’enquête que je présidais.
Le numérique innerve tous les domaines de la vie de la Nation. Sa gouvernance, si elle est plutôt claire et rassurante pour la défense nationale, l’est beaucoup moins pour les acteurs économiques, les entreprises, grandes, moyennes et petites, dans notre territoire. Notre rapport l’a souligné et nous avons proposé que le Parlement discute, sur l’initiative du Gouvernement, une loi d’orientation et de suivi de la souveraineté numérique nationale.
Cette loi d’orientation serait au numérique ce que la loi de programmation militaire est à la défense nationale.
Madame la ministre, qu’en pensez-vous et y êtes-vous favorable ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Montaugé, vous avez raison de le souligner : clairement, le numérique est un élément de notre souveraineté. Aujourd’hui, nous pouvons dresser plusieurs constats.
Premièrement, la France et l’Europe sont absentes, ou bien leurs entreprises sont d’une taille bien moins importante que les grandes plateformes numériques, qui disposent d’un accès privilégié, au niveau mondial, aux données des consommateurs.
Deuxièmement, compte tenu du niveau de valorisation de ces entreprises, nous ne faisons pas jeu égal avec elles en termes d’investissements et de capacité à investir, ces entreprises ayant développé une maîtrise des algorithmes et de l’intelligence artificielle. Je vise là les plateformes numériques non seulement américaines, mais également chinoises.
Dans cet esprit, les commissaires Thierry Breton et Margrethe Vestager travaillent à un plan tendant à accélérer le développement du numérique, notamment le cloud souverain, afin que nous ne perdions pas le deuxième temps de cette bataille, celle des données non pas individuelles, mais industrielles. En la matière, nous avons un projet IPCEI qui a vocation à définir des solutions et des briques technologiques indépendantes européennes.
Au-delà, il est prévu d’investir 1 milliard d’euros dans le cyber au travers du PIA 4, dont 720 millions d’euros de fonds publics. Nous avons d’ores et déjà fixé la feuille de route et lancé les appels à manifestation d’intérêt. Le Campus Cyber, qui verra le jour en septembre prochain, permettra de réunir toutes les forces en présence.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Madame la ministre, vous ne m’avez pas répondu sur les critères et les déterminants de la souveraineté économique nationale. Nous ferons donc sans…
Intuitivement, comme hélas ! beaucoup de Français, je pense, au regard de l’évolution tendancielle de notre industrie en particulier, que le niveau de souveraineté économique de la France est orienté depuis des décennies à la baisse. La débâcle sanitaire nous a renvoyé à la figure L’Étrange défaite de Marc Bloch, chronique du désastre de 1940 en France. Elle aussi aura, je le crains, des conséquences morales durables sur les Français.
Nos compatriotes sont capables de comprendre, pour peu qu’on leur donne des éléments de représentation de la situation, sur quoi l’accent doit porter, en quoi ils sont concernés, en commençant par les plus jeunes ou les chercheurs que nous ne sommes pas capables – à moins que nous ne le voulions pas – de garder en France. La responsabilité des gouvernements est aussi là !
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. La pandémie a révélé la fragilité des chaînes d’approvisionnement mondiales de certaines industries stratégiques. Elle a confirmé la dépendance excessive de la France et, plus largement, de l’Europe à l’égard des producteurs asiatiques et chinois en particulier.
La souveraineté économique de notre pays exige une stratégie industrielle et technologique à long terme.
La France dispose d’atouts pour relever ce défi. Certes, elle peut et elle doit s’appuyer sur ces filières d’excellence. Les dynamiques d’innovation des entreprises françaises sont les premiers supports de cette ambition.
Notre pays doit aussi mobiliser les leviers européens pour renforcer sa souveraineté économique et industrielle.
L’an dernier, j’ai été interpellé par une entreprise de taille moyenne, qui avait le projet d’implanter une usine de production d’hydrogène par électrolyse d’eau. Elle ambitionnait d’intégrer un projet IPCEI, véhicule précieux qui autorise des synergies européennes dans un cadre assoupli en matière d’aides d’État. Seul un soutien public pouvait permettre de développer cette initiative qui devait conduire à la création d’emplois locaux.
La France doit appuyer la création de ces outils européens et faciliter leur mise à disposition pour faire émerger des leaders industriels dans des filières innovantes comme celles de la production d’hydrogène ou des semi-conducteurs.
Les acteurs industriels sont prêts à s’en saisir et les collectivités souhaitent s’y associer pour le développement économique de leurs territoires.
La France doit aussi s’atteler à obtenir un soutien financier de l’Europe, bien sûr, pour ces filières d’importance stratégique.
La négociation en cours de la taxonomie verte est à cet égard décisive. Il s’agit de définir le périmètre des investissements nécessaires à l’accompagnement de la transition climatique. Si la filière nucléaire en était exclue, c’est tout l’avenir de cette filière d’excellence française qui se trouverait compromis. C’est un enjeu essentiel d’autonomie stratégique.
Madame la ministre, comment le Gouvernement entend-il faire de notre appartenance à l’Union européenne un levier pour la compétitivité de notre industrie, pour l’emploi et la vitalité de nos territoires et, finalement, pour la souveraineté économique de la France ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Rapin, l’enjeu est en effet de déployer une politique industrielle européenne ambitieuse. Ce sera d’ailleurs l’objet de la prochaine communication du commissaire Breton lors du Conseil « Compétitivité », auquel j’assisterai aux côtés des vingt-six autres ministres européens de l’industrie. L’objectif est double.
Premièrement, il faut réinvestir massivement le secteur industriel avec des projets d’innovation. Un projet IPCEI autour de l’hydrogène devrait voir le jour dans les prochaines semaines. Mais nous devons l’accompagner d’autres projets. C’est pourquoi nous portons des projets en matière de santé, de cloud souverain, d’intelligence artificielle, de nanoélectronique ou de microprocesseurs, qui ont vocation à être mis en œuvre dans les prochains mois et les prochaines années.
Deuxièmement, nous devons adopter des mesures défensives, de réciprocité, en veillant à ce que la concurrence soit réellement loyale. Cela passe par un passage en revue de tous les instruments européens en matière de politique commerciale, de politique de la concurrence, de politique de la commande publique.
Ainsi, en matière de politique de la concurrence, nous devons retravailler les règles pour tenir compte de la spécificité des modèles des plateformes numériques, en considérant, au regard des rapprochements qui s’opèrent entre les grands groupes industriels, que le marché est non pas uniquement européen, mais mondial. Partant, dès lors qu’une entreprise exerce une activité en Europe tout en percevant des subventions de son pays d’origine, nous devons considérer que c’est là une situation de concurrence déloyale.
Dans le même ordre d’idées, nous devons demander la transparence sur les subventions et sur les politiques d’aides des autres pays, qui permettent à certaines entreprises de faire du dumping.
Je pourrais poursuivre ainsi chapitre par chapitre, mais, me semble-t-il, mon propos est assez clair. Nous allons pousser dans ce sens avec le commissaire Thierry Breton.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Face à la crise et au regain des tensions internationales, la question de la souveraineté économique est aujourd’hui fondamentale.
Tout en saluant la pertinence et la nécessité d’un tel débat, je souhaite rappeler que cette souveraineté peut bien être envisagée au niveau national mais également, et surtout, au niveau européen.
Comme dans les autres domaines, la France doit assurer sa souveraineté en matière économique. Travailler avec nos partenaires européens nous permettra de développer des solutions efficaces et pérennes.
Notre dépendance dans le domaine industriel a été mise en lumière au plus fort de cette crise sanitaire. Au cours des dernières années, nous avons laissé beaucoup de filières s’affaiblir, quitter notre territoire. La France est donc l’un des pays les plus touchés par la désindustrialisation en Europe.
Ces délocalisations se sont traduites par une dépendance accrue de notre pays dans plusieurs domaines. Nous sommes nombreux à souhaiter qu’il retrouve le contrôle de ses capacités de production. Notre industrie doit cependant faire face à une concurrence déloyale, notamment en matière écologique. À cet égard, la filière sidérurgique me semble emblématique : la part de l’acier européen n’a cessé de reculer dans la production mondiale, rendant l’Europe de plus en plus dépendante en la matière.
Les concurrents de notre industrie ne sont pas tous astreints aux mêmes obligations de réduction de gaz à effet de serre.
En mars dernier, le Parlement européen a voté le principe d’une taxe carbone aux frontières pesant sur les importations. Cette taxe doit permettre de concilier la poursuite des objectifs de préservation de l’environnement et de localisation de la production européenne. Pensez-vous, madame la ministre, que ce mécanisme renforcera efficacement la compétitivité de notre tissu industriel et de nos entreprises ? Pourra-t-il être adopté et généralisé au niveau de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ?