Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa, M. Daniel Gremillet.
2. Questions d’actualité au Gouvernement
soutien de l’état aux agriculteurs (I)
M. Daniel Salmon ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Daniel Salmon.
nouvelle carte d’identité numérique
M. Dany Wattebled ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur ; M. Dany Wattebled.
soutien de l’état aux agriculteurs (ii)
M. Gilbert Bouchet ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Gilbert Bouchet.
indemnisation des agriculteurs à la suite de l’épisode de gel
M. Alain Duffourg ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Alain Duffourg.
Mme Michelle Gréaume ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; Mme Michelle Gréaume.
incendie de notre-dame de paris et état d’avancement des travaux de reconstruction
M. Julien Bargeton ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture.
soutien de l’état aux agriculteurs (iii)
M. Denis Bouad ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Denis Bouad.
conséquences du gel pour la viticulture et l’arboriculture
Mme Nathalie Delattre ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
soutien de l’état aux agriculteurs (iv)
Mme Anne Ventalon ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; Mme Anne Ventalon.
situation des services de pédopsychiatrie
M. Jean-Luc Fichet ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; M. Jean-Luc Fichet.
organisation du conseil des ministres pendant la crise sanitaire
M. Philippe Bas ; M. Jean Castex, Premier ministre ; M. Philippe Bas.
M. François Bonneau ; M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie.
situation des français de l’étranger
M. Stéphane Le Rudulier ; M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie ; M. Stéphane Le Rudulier.
mise en œuvre du ségur de la santé
Mme Michelle Meunier ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.
conséquences environnementales de l’accord avec la commission européenne au sujet d’air france
Mme Catherine Procaccia ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; Mme Catherine Procaccia.
paiement des interventions des professionnels de santé dans les centres de vaccination
Mme Jocelyne Guidez ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Jocelyne Guidez.
Suspension et reprise de la séance
3. Organisation des prochaines élections départementales et régionales. – Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement
M. Jean Castex, Premier ministre
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur
M. Jean Castex, Premier ministre
Vote sur la déclaration du Gouvernement
Approbation, par scrutin public n° 113, de la déclaration du Gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
4. Lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique. – Adoption d’une proposition de loi modifiée
Discussion générale :
M. Éric Gold, auteur de la proposition de loi
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
Amendement n° 41 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Amendement n° 3 de M. Michel Canevet. – Devenu sans objet.
Amendement n° 42 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Amendement n° 43 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Amendement n° 44 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Amendement n° 45 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 29 de M. Jérôme Durain. – Devenu sans objet.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 5
Amendement n° 1 de M. François Bonhomme. – Retrait.
Amendement n° 46 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 8 rectifié de M. Philippe Mouiller. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 47 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 48 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Amendement n° 13 de Mme Angèle Préville. – Devenu sans objet.
Amendement n° 5 rectifié de M. Éric Gold. – Devenu sans objet.
Amendement n° 9 rectifié de M. Philippe Mouiller. – Devenu sans objet.
Amendement n° 32 de Mme Martine Filleul. – Devenu sans objet.
Amendement n° 49 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Amendement n° 14 de Mme Angèle Préville. – Devenu sans objet.
Amendement n° 50 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Amendement n° 10 rectifié de M. Philippe Mouiller. – Devenu sans objet.
Article additionnel après l’article 10
Amendement n° 34 de Mme Martine Filleul. – Rejet.
Amendement n° 51 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Amendement n° 2 de M. François Bonhomme. – Devenu sans objet.
Amendement n° 35 de M. Jérôme Durain. – Devenu sans objet.
Amendement n° 16 de Mme Angèle Préville. – Devenu sans objet.
Article additionnel après l’article 11
Amendement n° 4 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 52 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Amendement n° 11 rectifié de M. Philippe Mouiller. – Devenu sans objet.
Article additionnel après l’article 12
Amendement n° 38 de Mme Martine Filleul. – Rejet.
Amendement n° 53 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 6 rectifié de M. Éric Gold. – Devenu sans objet.
Amendement n° 40 de M. Pierre Ouzoulias. – Devenu sans objet.
Amendement n° 17 de Mme Angèle Préville. – Devenu sans objet.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 13
Amendement n° 39 de Mme Martine Filleul. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 54 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Amendement n° 7 rectifié de M. Éric Gold. – Devenu sans objet.
Amendement n° 18 de Mme Angèle Préville. – Devenu sans objet.
Amendement n° 55 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
5. Expropriation de biens en état d’abandon manifeste. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi
M. François Bonhomme, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa,
M. Daniel Gremillet.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun d’entre vous veillera au respect des uns et des autres, ainsi que du temps de parole. Il sera également attentif à l’ensemble des mesures prophylactiques que nous avons adoptées et qui sont très importantes.
soutien de l’état aux agriculteurs (i)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Face à l’épisode de gel d’une ampleur sans précédent qui touche depuis une semaine une large partie de la France, je souhaiterais tout d’abord adresser toute ma solidarité aux paysannes et aux paysans qui ont perdu, en une nuit, les fruits d’une année de travail. Des vignobles du Chablis aux arboriculteurs de la Drôme, en passant par les semis de betteraves de la Seine-et-Marne, c’est la désolation.
Cette catastrophe ne peut être prise comme un phénomène isolé. Elle est bien évidemment liée au dérèglement climatique. Elle fait suite à de nombreux précédents, et ce type d’aléa se reproduira à un rythme difficilement soutenable pour la pérennité du régime actuel d’indemnisation.
Le déclenchement de la procédure de calamité agricole et son déplafonnement étaient bien sûr indispensables, mais ce système n’est plus adapté pour faire face à ces épisodes climatiques extrêmes à répétition : il faut attendre de longs mois pour être indemnisé, ce qui ne permet pas de maintenir à flot des trésoreries déjà exsangues.
Les critères d’éligibilité pour accéder à ce fonds sont drastiques, avec un seuil qui évince un grand nombre de petites exploitations, sans compter toutes celles qui en sont totalement exclues.
Les viticulteurs doivent recourir à des assurances privées, inadaptées et coûteuses. Il faut maintenant engager des mesures structurantes à même de couvrir tous les risques climatiques pour toutes les cultures. L’excellent rapport sénatorial de Nicole Bonnefoy constitue une bonne base de réflexion en ce sens.
Monsieur le ministre, votre prédécesseur Didier Guillaume s’était engagé, voilà plus de deux ans, à remettre à plat le régime de calamité agricole. Les travaux ont-ils avancé depuis lors ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Salmon, l’épisode climatique que nous venons de vivre est absolument exceptionnel et même extraordinaire. En l’espace de quelques jours, nous avons tout d’abord atteint des records de chaleur, puis connu des records de froid, et cela parfois dans les mêmes zones.
Je me trouvais ce matin auprès des équipes de Météo-France. Elles témoignaient du caractère à la fois singulier, exceptionnel et extrêmement violent de cet épisode, qui a touché près de dix régions sur les treize du territoire métropolitain.
Comme je l’ai souligné voilà quelques jours, cet épisode exceptionnel a donné lieu à la plus grande catastrophe agronomique du début du XXIe siècle.
Songez, mesdames, messieurs les sénateurs, que des centaines de milliers d’hectares ont été touchées. Il y a quelques jours, avec le Premier ministre et Olivier Dussopt, j’étais dans la Drôme et en Ardèche, où des champs entiers d’arbres fruitiers – je pense aux beaux abricots et aux belles cerises que produisent ces territoires – ont littéralement brûlé en l’espace de quelques nuits, en dépit de la véritable guerre menée par nos agriculteurs pour combattre les vagues de froid.
Le problème du gel, c’est qu’il est invisible. L’émotion de notre société est certes forte, mais elle l’aurait été encore davantage s’il s’était agi d’un incendie ravageant des centaines de milliers d’hectares.
Or la réalité est là : la détresse de nos agricultrices et de nos agriculteurs est totale. Parfois, c’est le revenu de toute cette saison, notamment pour les arbres fruitiers, qui ne viendra pas ; parfois, en particulier pour les viticulteurs, c’est celui de l’année prochaine.
Nous devons apporter une réponse – je la détaillerai par la suite – à la hauteur de l’événement exceptionnel que nous venons de vivre, au travers des mesures à la fois de court terme et de long terme. Vous avez mille fois raison, monsieur Salmon, le système de l’assurance n’est plus gréé pour faire face à de tels épisodes. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.
M. Daniel Salmon. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.
Cet épisode nous rappelle aussi combien notre modèle agricole hyperspécialisé, trop souvent en monoculture, est très fragile face au changement climatique.
Les politiques publiques doivent soutenir et financer des modèles agricoles plus résilients ; c’est une priorité. Elles doivent accompagner l’adaptation des systèmes de production et la transition des fermes vers des systèmes agroécologiques. La future PAC, la politique agricole commune, et la loi Climat et résilience sont des occasions uniques de répondre à ces enjeux. Il faudra être à la hauteur.
Réagir dans l’instant est intéressant et même essentiel, mais il faut aller plus loin et voir plus loin. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
nouvelle carte d’identité numérique
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Dany Wattebled. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur et concerne nos prochaines cartes nationales d’identité numériques.
L’actualité l’a encore montré, les start-up ont réussi à terrasser les géants de l’industrie pharmaceutique en matière d’innovation contre la covid-19 : alors que Sanofi licencie 400 personnes en recherche et développement, Valvena a quitté le territoire et prospère, aidée par des capitaux anglais. « Où est la France ? » L’histoire va-t-elle malheureusement se répéter ?
Cette carte d’identité numérique, qui se dit « sécuritaire », n’est qu’un miroir aux alouettes et ne tiendra pas sur le long terme. Les techniques retenues sont anciennes et datent en moyenne de dix ans. Or la durée de vie d’une carte d’identité est justement de dix ans : cherchez l’erreur !
Ainsi, l’encre suisse qui a été retenue a plus de trente ans d’ancienneté. On peut l’acheter sur la plateforme de vente en ligne chinoise AliExpress pour 177 euros.
On pourrait aussi s’étonner de voir retenue une photo en noir et blanc, issue d’une entreprise américaine, au lieu d’une photo couleur du leader mondial français du secteur.
De même, en ce qui concerne la reconnaissance physique du document, il est étonnant que n’ait pas été retenu le process français innovant d’une société née de la French Tech, soutenue par la BPI, la Banque publique d’investissement, et qui se classe dans le top mondial en innovation sécuritaire.
Monsieur le ministre, comment l’Imprimerie nationale, garante de cette carte d’identité, peut-elle préférer des technologies étrangères et dépassées à nos technologies françaises innovantes, alors que l’on sait que ces cartes peuvent être contrefaites ?
Pouvez-vous, monsieur le ministre nous rassurer à double titre : premièrement, sur le fait que toutes les garanties sont bien prises en matière de compétitivité technologique et économique ; deuxièmement, au-delà de ce sujet précis, sur la façon de mieux prendre en compte les start-up françaises dans la commande publique. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, nous avons déjà eu l’occasion de discuter de cette question.
La loi définit les critères et donne le monopole à l’Imprimerie nationale, laquelle a refusé la société qui se trouve derrière votre question.
Il ne m’appartient pas d’intervenir dans le choix des sociétés. Tous ceux qui ont géré des collectivités locales connaissent les critères retenus par la loi. (Marques de surprise sur de nombreuses travées. – M. Roger Karoutchi s’esclaffe.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour la réplique.
M. Dany Wattebled. Monsieur le ministre, voyez nos voisins allemands et estoniens, notamment, qui, eux, n’ont pas hésité à retenir la technologie française que j’évoquais pour leur carte d’identité numérique.
Il n’est pas trop tard, puisque nous sommes encore en phase d’expérimentation dans deux départements.
soutien de l’état aux agriculteurs (ii)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Bouchet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gilbert Bouchet. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Les dégâts causés par le gel sur l’ensemble de notre territoire sont d’une ampleur exceptionnelle. Dans mon département de la Drôme, par exemple, on estime que la filière fruitière a d’ores et déjà perdu la quasi-intégralité de ses productions. Les céréales et les vignobles seront fortement affectés dans plusieurs régions.
Aussi, monsieur le ministre, permettez-moi de vous adresser deux cartons : un carton bleu pour votre réactivité – vous êtes venu dans la Drôme dans les quarante-huit heures qui ont suivi l’épisode de gel – et un carton rouge, les aides prévues à la suite de l’épisode de gel de 2020 n’ayant toujours pas été versées.
Nos paysans ne peuvent plus se contenter de belles promesses ; il leur faut aussi des actes, à la vitesse de vos déplacements. Nos agriculteurs sont à genoux, sans aucune trésorerie, alors que les bougies de protection contre le gel, par exemple, coûtent 4 000 euros à l’hectare. Il est difficile de se réapprovisionner, sachant que cet achat est considéré non pas comme un investissement, mais comme une charge de fonctionnement, qui est à ce titre non amortissable.
Vous avez annoncé que l’État allait débloquer des enveloppes exceptionnelles. C’est indispensable, mais c’est insuffisant pour venir en aide à ceux qui ont tout perdu.
Il faut réfléchir à des mesures structurelles et pérennes, afin de prémunir notre agriculture de ces aléas climatiques de plus en plus fréquents, notamment par le biais de la création d’aides à l’adaptation des exploitations au changement climatique, afin de les faire évoluer vers des cultures moins fragiles ou moins précoces. Il faut également entamer un travail de fond sur les processus assurantiels.
Concrètement, sous quel délai les sinistrés pourront-ils bénéficier des aides promises ? Au-delà de ces situations de détresse, quelles mesures envisagez-vous pour garantir l’avenir de ce secteur ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Bouchet, vous évoquez plusieurs points et me délivrez un certain nombre de cartons.
Vous savez à quel point je mesure les attentes de nos agriculteurs. Vous savez aussi que je n’appartiens pas à la catégorie de ceux qui disent et qui ne font pas.
M. Jean-François Husson. On verra !
M. Julien Denormandie, ministre. Vous évoquez à très juste titre les mesures de prévention nécessaires pour adapter nos cultures et lutter contre ces épisodes.
Or, comme vous le savez, nous avons mis en place sous l’autorité du Premier ministre, dès septembre dernier, dans le cadre du plan France Relance, une enveloppe de 100 millions d’euros pour financer, par exemple, des tours antigel et des filets paragrêles.
L’immense difficulté – la Drôme en offre un terrible exemple –, c’est que les dispositifs actuels de lutte – tours antigel, braseros, bougies, aspersion… – n’ont pas suffi : ces dispositifs avaient beau être déployés dans les champs d’abricotiers de la Drôme, les cultures ont tout de même gelé. Cela montre toute l’ampleur du défi.
Je vous rejoins sur un autre point : aujourd’hui, nos dispositifs doivent être rapides. Or force est de constater que des dispositifs comme le régime de calamité agricole prennent neuf mois en moyenne dans notre pays.
À la demande du Premier ministre, nous allons non seulement mettre en place les dispositifs habituels, mais aussi créer un second fonds exceptionnel reposant sur les pertes d’excédent brut d’exploitation. Ces aides seront disponibles dès lors que les revenus prévus n’arriveront pas : pour les abricotiers de la Drôme, par exemple, ce sera dès cet été ; pour les viticulteurs, ce sera un peu plus tard.
Vous dites que les fonds sont insuffisants, mais nous sommes seulement en train de les gréer. Nous en reparlerons dans quelques jours, une fois que nous aurons arrêté leurs montants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Bouchet, pour la réplique.
M. Gilbert Bouchet. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.
Il faut également parler des saisonniers,…
M. Gilbert Bouchet. … ainsi que de ceux qui transforment les fruits et qui vont souffrir de sérieuses difficultés d’approvisionnement.
En tout cas, j’ai pris bonne note de votre réponse, monsieur le ministre. Nous en reparlerons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
indemnisation des agriculteurs à la suite de l’épisode de gel
M. le président. La parole est à M. Alain Duffourg, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Alain Duffourg. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Mes collègues ont déjà évoqué les conséquences dramatiques du gel, notamment sur les arbres fruitiers dans leurs départements. J’évoquerai pour ma part la situation de la viticulture dans le Gers, où 50 % à 100 % des vignobles ont été détruits. Les vignerons vont donc subir des pertes considérables.
Monsieur le ministre, vous avez activé le régime de calamité agricole. Mais pourriez-vous préciser les dispositifs prévus et la date de versement des indemnités aux agriculteurs qui ont souffert de ces dommages ?
Par ailleurs, vous annoncez la mise en place d’un dispositif supplémentaire de solidarité nationale. Quel sera le rôle des banques et des assurances ? Vous avez également la possibilité, dans le cadre de la nouvelle PAC, la politique agricole commune, d’activer d’autres éléments de réponse pour ces viticulteurs.
Pourriez-vous me donner aujourd’hui des réponses précises, afin que je puisse apporter tous les apaisements nécessaires aux viticulteurs qui m’interrogent ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Duffourg, je vous remercie de votre question, qui fait écho à celles qui ont précédé.
La réalité, c’est que nos dispositifs d’aide ne sont pas suffisamment gréés au regard de la situation. La viticulture, par exemple, n’est aujourd’hui pas éligible au dispositif des calamités agricoles. Aussi, que devons-nous faire ?
Nous devons tout d’abord prendre des mesures d’accompagnement social. Des questions de chômage partiel se posent pour certains. À la demande du Premier ministre, j’ai réuni, dès lundi dernier, une cellule de crise interministérielle pour déployer l’ensemble des mesures sociales et financières à notre disposition, notamment au travers du régime des calamités agricoles.
Néanmoins, il faut aller au-delà. Le fonds exceptionnel va ainsi permettre de soutenir la viticulture. Il s’agit d’une question complexe : les viticulteurs subiront une perte de revenus, non pas cette année, mais l’année suivante, alors que les abricotiers, par exemple, subiront des pertes dès cet été. Il faut donc imaginer un dispositif – j’y travaille avec Olivier Dussopt – qui tienne compte de ce décalage dans les pertes de revenus.
Mesures sociales, mesures de gestion de crise, mesures additionnelles avec ce fonds exceptionnel… Vous avez tout à fait raison, monsieur le sénateur, la mobilisation doit être générale.
C’est la raison pour laquelle, lors du comité interministériel que j’évoquais, nous avons mobilisé également les assureurs, pour que les polices déjà souscrites par les viticulteurs – c’est le cas d’environ un viticulteur sur trois – soient activées le plus rapidement possible. Nous avons également sollicité les banques, pour permettre aux jeunes agriculteurs, viticulteurs et arboriculteurs, souvent fortement endettés au moment de leur installation, de bénéficier de facilités de paiement des intérêts et du capital.
Voilà des réponses très précises, monsieur le sénateur. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Alain Duffourg, pour la réplique.
M. Alain Duffourg. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le ministre.
Vous avez aujourd’hui la prudence de ne pas vous engager sur des délais. Quand vous êtes venu dans le Gers, en janvier dernier, pour évoquer la question de la grippe aviaire, vous aviez annoncé aux éleveurs des indemnisations sous une quinzaine de jours. Trois mois après, ils n’ont encore rien touché !
M. Alain Duffourg. Vous avez donc sans doute eu raison d’être plus prudent aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
accord entre suez et veolia
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, Veolia et Suez ont annoncé avoir trouvé un accord.
La bataille pour l’or bleu et les déchets se termine donc par un compromis « de bon sens », selon certains. Cet accord préserverait l’intégrité de Suez sur le plan social et industriel tout en lui permettant de se recentrer sur les activités françaises de l’eau et des déchets.
Le nouveau Suez devrait être détenu par des actionnaires sans doute « majoritairement français », avec les fonds Meridiam, Ardian et l’américain GIP, qui doivent s’engager pour quatre ans à maintenir l’emploi et les acquis sociaux. Bref, tout va bien !
Le Gouvernement se félicite du transfert de la gestion du service public de l’eau et de l’assainissement, de la gestion d’une ressource naturelle fondamentale, au profit d’acteurs qui n’ont ni le savoir-faire ni les capacités financières, avec des engagements de court terme sur l’emploi et les acquis sociaux.
Qu’en sera-t-il dans quatre ans ? Et quel sera l’avenir de la recherche et du développement, filière d’excellence de Suez ?
Vous acceptez une nouvelle désorganisation industrielle et laissez se mettre en place un monopole privé dans un secteur aussi essentiel, sans vous inquiéter des conséquences pour les collectivités locales et les usagers.
Monsieur le ministre, quels engagements fermes seront pris pour assurer la pérennité des emplois et des activités dans le nouveau Suez ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, le Gouvernement se félicite de l’accord intervenu après plusieurs mois d’affrontements entre les groupes Veolia et Suez, un accord qui répond aux attentes exprimées par le chef du Gouvernement dès le début de ce conflit.
Nous voulions, comme l’avait souligné le Premier ministre, un accord qui réponde à une logique industrielle et à une logique de souveraineté et qui soit respectueux à la fois de la concurrence, au bénéfice des collectivités locales, et de l’emploi. L’accord intervenu le 12 avril dernier remplit ces critères ; nous devons désormais veiller à ce qu’il soit parfaitement respecté.
Nous allons assister à la création d’un leader mondial autour de Veolia, avec 37 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans l’eau et les déchets.
Nous allons voir naître un nouveau Suez – pour reprendre votre expression –, dans l’eau et les déchets au niveau français, avec un chiffre d’affaires prévisionnel de 7 milliards d’euros et, comme vous l’avez vous-même souligné, des investisseurs de long terme, majoritairement français, ce qui est gage de sécurité pour l’ensemble de l’entreprise et des emplois.
Le groupe Veolia a réitéré sa volonté de tenir l’intégralité des engagements sociaux qui avaient été pris. Nous veillerons de manière extrêmement attentive à ce que ces engagements soient tenus.
Cet accord consacre aussi un certain nombre de décisions, notamment l’arrêt des procédures en justice, l’arrêt de la cession accélérée des actifs de Suez ou encore la désactivation du projet de fondation néerlandaise.
J’ajoute enfin, et cela répond à l’une de vos interrogations et de vos inquiétudes, me semble-t-il, que le périmètre du nouveau Suez est préservé à l’échelle nationale, ce qui garantit des conditions de concurrence pour les collectivités locales travaillant avec ce groupe, et avec d’autres, en matière de gestion de l’eau et des déchets. Tout le monde attendait et sollicitait le maintien de ces conditions de concurrence.
Cet accord doit désormais être mis en œuvre. Nous serons attentifs, Bruno Le Maire et moi-même, sous l’autorité du Premier ministre, à quatre points : le projet industriel, la compétitivité, la préservation de l’emploi et le respect des règles de concurrence pour les collectivités locales, car c’est l’une des conditions de l’accès à un service rendu au meilleur prix. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour la réplique.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le ministre, ce n’est pas un accord amiable : c’est une trahison !
Une trahison de l’intersyndicale de Suez, tenue totalement à l’écart des négociations ; une trahison de l’État, qui n’a plus prise sur ces entreprises absolument stratégiques. Il y a pourtant urgence à garantir un droit effectif à l’eau, comme nous le proposerons demain dans cet hémicycle.
Il faut aider les collectivités qui veulent rétablir la gestion de l’eau en régie et rendre les premiers litres gratuits.
Enfin, il faut maintenir l’emploi et les filières d’excellence dans notre pays, ce que cette fusion fragilise. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. Fabien Gay. Très bien !
incendie de notre-dame de paris et état d’avancement des travaux de reconstruction
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Julien Bargeton. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la culture.
Tout d’abord, madame la ministre, permettez-moi de vous saluer et de vous dire, au nom de tous, je le pense, l’honneur et le plaisir que nous avons à vous retrouver. (Applaudissements.) Cela nous fait chaud au cœur.
Voilà deux ans, presque jour pour jour, Notre-Dame de Paris brûlait – les cendres sont encore bien présentes –, ce qui déclenchait une émotion mondiale. La souscription annoncée le soir même par le Président de la République a attiré les dons de 300 000 particuliers et de 6 000 entreprises de 140 pays.
Dans le roman de Victor Hugo, l’archidiacre Frollo refuse de prêter de l’argent à son frère cadet, qu’il aime pourtant comme un fils, de peur qu’il l’utilise à mauvais escient. Ce passage fait écho aujourd’hui à l’alerte de la Cour des comptes sur la transparence et la traçabilité des dons.
Je sais la difficulté de la mission de l’établissement public et je sais aussi l’efficacité du dispositif. Madame la ministre, pouvez-vous nous éclairer sur la transparence ?
Ensuite, les fonds qui ont afflué seront-ils suffisants, alors que 165 millions d’euros ont d’ores et déjà été dépensés en deux ans pour sécuriser l’édifice ?
Enfin, l’engagement de rouvrir la cathédrale en avril 2024 pourra-t-il être tenu ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous remercier des très nombreux témoignages de soutien qui me sont parvenus de toutes les travées de cette assemblée. Croyez bien que j’en ai été profondément touchée. (Vifs applaudissements.)
Monsieur le sénateur Bargeton, vous soulignez à juste titre l’émotion considérable qui nous a tous saisis, voilà deux ans, lors de l’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris. Cette émotion a été considérable, en France et dans le monde entier. Elle s’est concrétisée par une souscription publique qui a réuni 830 millions d’euros de dons, une somme totalement inédite.
Je suis bien évidemment garante de la bonne utilisation des fonds et de leur transparence. Dans ce cadre, la Cour des comptes a émis un certain nombre de préconisations que nous avons suivies, et même anticipées, comme la comptabilité analytique, par exemple, qui est absolument indispensable pour assurer cette parfaite transparence.
Il nous reste un point de divergence avec la Cour des comptes : nous estimons en effet que le financement de l’établissement public de Notre-Dame de Paris est absolument indispensable pour la bonne conduite des travaux. Il nous faut évidemment une maîtrise d’ouvrage performante pour tout mener à bien ; je précise que nous avons bien entendu pris en charge le loyer du bâtiment qui héberge cet établissement public.
Un débat est né : certains pensent qu’il y aura trop d’argent et qu’il faut déjà penser à son utilisation ultérieure ; d’autres, au contraire, estiment qu’il n’y en aura pas assez… Pour ma part, je crois que les sommes récoltées nous permettent aujourd’hui d’envisager tranquillement ce chantier.
La sécurisation sera terminée à la fin de l’été. Nous passerons ensuite à la phase de restauration. Le Président de la République et moi-même nous rendrons demain sur le chantier. Je puis vous dire, monsieur le sénateur, que la cathédrale Notre-Dame de Paris sera rouverte en 2024. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains)
soutien de l’état aux agriculteurs (iii)
M. le président. La parole est à M. Denis Bouad, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Denis Bouad. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Alors que la détresse psychologique est toujours très présente dans nos campagnes, les premières nuits d’avril furent dramatiques pour bon nombre de paysans français. Aujourd’hui, la solidarité nationale s’impose. Les réponses qui seront apportées ne devront laisser aucun agriculteur sur le côté.
Face à ce gel généralisé, répondre à l’urgence sur le terrain doit être notre priorité. Pour autant, cela ne doit pas nous empêcher d’apporter des solutions pérennes pour éviter ces catastrophes économiques et humaines.
Du fait du dérèglement climatique, ces aléas – gel, grêle, sécheresse, excès d’eau… – sont de plus en plus fréquents et de plus en plus intenses, alors que seuls 30 % de la ferme France sont assurés.
Monsieur le ministre, le temps est venu de repenser l’assurance récolte sur l’ensemble du territoire, et bien entendu de la rendre accessible à tous nos agriculteurs. Pour cela, il nous faut abaisser la franchise à 20 % et relever le niveau de subvention à 70 %, comme le prévoit le règlement européen Omnibus.
D’autres propositions innovantes pourraient être mises sur la table. Je pense, par exemple, au pool de réassurances pratiqué en Espagne, qui permet de mutualiser les risques.
Dans son allocution du 12 mars 2020, le Président de la République déclarait que déléguer notre alimentation à d’autres était une folie. Oui, protéger notre agriculture, c’est protéger notre souveraineté ! C’est bien là le rôle et la place de l’État.
Je suis persuadé que, comme pour les catastrophes naturelles, les Français sont prêts à faire preuve de solidarité pour défendre notre agriculture et notre souveraineté alimentaire.
En ce sens, monsieur le ministre, êtes-vous prêt à mettre sur la table la question de l’assurance agricole, notamment les sujets centraux que sont l’assurance obligatoire et la réassurance d’État ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, je suis tout à fait prêt à mettre ce sujet sur la table. Pour tout vous dire, cela fait de longs mois que j’y travaille.
Veuillez m’excuser d’évoquer certains aspects techniques, soulevés par votre question. Vous considérez qu’une piste d’amélioration concerne le niveau de la franchise, qui est aujourd’hui fixé à 30 % et qui pourrait être réglementairement fixé à 20 %. Vous évoquez également la part du budget subventionné dans le coût de la police d’assurance : elle est aujourd’hui de 65 % et pourrait passer à 70 %.
Je suis totalement favorable à ces deux dispositions, mais la question n’est pas là. La vraie question est la suivante : qui paye ce surcoût ? S’il est acquitté par la politique agricole commune, cela reviendra à faire payer par le monde agricole une assurance sur des risques qui, en réalité, ne sont pas assurables.
Ayons l’humilité et le courage de dire que ces éléments climatiques ne peuvent être assurés par le monde agricole, qui n’en a pas la capacité.
Ainsi, le coût de l’assurance de votre voiture dépend de votre comportement au cours des cinq dernières années. Quant au coût de l’assurance récolte, il dépend du climat des cinq dernières années. Pourtant, vous n’y êtes pour rien !
La véritable question posée met en jeu des sommes très importantes et relève donc d’un véritable choix démocratique : comment la solidarité nationale doit-elle accompagner nos agriculteurs face à des aléas climatiques dont ils n’ont pas la responsabilité, mais dont ils sont les premières victimes ?
Permettez-moi de rebondir, monsieur le sénateur, sur ce que disait M. Alain Duffourg tout à l’heure. Il affirmait en effet qu’aucune aide n’avait été versée, ce qui est strictement faux. Dans le cas de la grippe aviaire, précisément parce que ce gouvernement a décidé de fournir des acomptes, nous avions déjà versé, au 9 avril dernier, 11,5 millions d’euros. Et 7,5 millions d’euros étaient en cours de versement.
Certes, nous pouvons ne pas être d’accord sur certains points. Mais je trouve scandaleux que l’on véhicule des suspicions, alors que nous agissons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Denis Bouad, pour la réplique.
M. Denis Bouad. Monsieur le ministre, je partage une partie de vos propos. N’oubliez pas toutefois que l’ensemble des agriculteurs français vit tous les jours dans l’angoisse des aléas climatiques.
Aujourd’hui, le risque climatique n’est plus aléatoire : il est certain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
conséquences du gel pour la viticulture et l’arboriculture
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Nathalie Delattre. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
L’hiver est violemment revenu. Braseros, bougies, arrosages préventifs : les efforts mis en œuvre par les agriculteurs n’ont pas suffi. La viticulture, mais aussi l’arboriculture, le maraîchage et les grandes cultures ont été dévastés.
Des parcelles épargnées par les plus virulents épisodes de 2017 et de 1991 ont gelé en totalité. Les dégâts sont immenses, et le risque climatique menace dans les jours à venir.
Une telle situation s’inscrit dans un contexte déjà particulièrement compliqué pour la filière viticole, qui se trouve au cœur de multiples crises structurelles et conjoncturelles.
Se dessine le risque d’une disparition de ce qui fait la France : son patrimoine, ses paysages, mais aussi les fondements de son économie.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, ce sont non pas des mesures de relance, mais un véritable plan de sauvetage de la filière vitivinicole française qu’il vous faut mettre en place.
À court terme, à catastrophe exceptionnelle, aides exceptionnelles, pour recréer de la trésorerie, en plus des exonérations de charges et de taxes.
À moyen terme, il convient de différer de deux ans le remboursement des PGE, les prêts garantis par l’État, avec des mensualités sur vingt ans.
À long terme, il nous faut surtout votre appui concernant le domaine assurantiel. L’an dernier, j’avais présenté une proposition de résolution avec mes collègues Yvon Collin et Henri Cabanel. Vous devez nous aider à finaliser ce travail face à l’Europe et face aux assureurs.
Pour rendre ce dispositif incontournable, il faut baisser le seuil de déclenchement des pertes de rendement, augmenter le taux de subvention et, surtout, revoir la méthode de calcul de la base assurable fixée sur une moyenne olympique par l’Europe.
Voilà plus d’un an, l’Association nationale des élus de la vigne et du vin était sur le point d’organiser un Grenelle de la viticulture, pour établir une stratégie globale de filière en réunion interministérielle. Nous souhaitons le relancer et comptons sur votre soutien, monsieur le ministre. L’urgence est réelle ! Rassurez la filière sur le long terme. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Antoine Lefèvre applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je veux tout d’abord saluer, madame la sénatrice, votre engagement et celui de vos collègues en faveur de ce beau secteur vitivinicole.
Vous l’avez dit, l’année que nous venons de vivre a été en tous points dramatique pour le secteur viticole.
Cela dit, lorsqu’il a fallu mettre en place un certain nombre d’aides dans le cadre de la crise sanitaire, ce gouvernement a répondu présent. Je me souviens que l’un des premiers déplacements du nouveau Premier ministre Jean Castex s’était déroulé précisément auprès de la filière viticole, pour laquelle nous avions annoncé un renforcement des aides.
Par ailleurs, et c’est peut-être la seule lueur d’espoir qu’il nous a été permis de connaître ces derniers mois, grâce à l’action diplomatique qui a été menée, nous avons obtenu un moratoire des fameuses taxes Trump, qui affectaient la filière.
C’est vrai, pour la filière vitivinicole, nous devons mener des actions fortes de court terme, notamment pour ce qui concerne l’aspect social. Ce que vous avez dit au sujet des PGE est très important. Nous sommes en train d’en discuter avec les représentants de la filière.
Je pense également au long terme. Dans notre pays, pas plus de trois viticulteurs sur dix sont assurés. Non pas que les sept autres soient irresponsables, comme on l’entend parfois ! Simplement, les conditions d’accès à l’assurance ne sont plus réalistes.
Vous avez également évoqué plusieurs autres sujets : les franchises, que j’ai déjà abordées tout à l’heure, le montant d’indemnisation et la fameuse moyenne olympique.
Quel est le drame de nos dispositifs ? C’est que l’on fait aujourd’hui la moyenne des cinq dernières années ; ensuite, on soustrait la meilleure et la moins bonne. Ainsi, les montants indemnisés s’étiolent année après année et perdent l’intérêt qu’ils pouvaient avoir. Tout cela doit être revu.
Toutefois, je le répète, le monde agricole n’est pas à même de régler seul le problème. La solidarité nationale doit également jouer. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
soutien de l’état aux agriculteurs (iv)
M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne Ventalon. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Monsieur le ministre, vous avez parfaitement décrit la dimension historique de la catastrophe agricole provoquée par le gel.
En Ardèche, où vous vous êtes rendu avec le Premier ministre, la vigne, les arbres fruitiers et, en particulier, les cerisiers et les abricotiers accusent des pertes allant de 90 % à 100 %.
Vous l’avez déclaré : « À situation exceptionnelle, moyens exceptionnels. » Soit ! Le Gouvernement doit donc organiser la solidarité nationale, en s’écartant du schéma classique que nos agriculteurs ne connaissent que trop et qui se caractérise par son cortège de lenteurs, de tracasseries et d’injustices.
La France, qui, en temps de crise, sait sauvegarder ses banques en quelques jours ou nationaliser ses entreprises stratégiques, peut et doit sauver du désastre ceux qui la nourrissent.
C’est pourquoi je souhaite vous interroger sur le caractère exceptionnel de l’action de l’État concernant l’inclusion de toutes les filières frappées, notamment la viticulture, sur la simplicité des démarches que les exploitants devront effectuer et, surtout, sur la rapidité des indemnisations.
Monsieur le ministre, les trésoreries des exploitations ont été très éprouvées par la sécheresse de 2020, les taxes américaines sur le vin et la crise du covid. Allez-vous, pour la survie de nos filières, engager cette course contre leur mort économique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, oui, oui et oui ! Je ne cesse de le faire, sous l’autorité du Premier ministre, avec Olivier Dussopt, avec qui je me suis rendu en Ardèche ces derniers jours.
Nous le devons à notre monde paysan ; nous le devons à celles et ceux qui nous nourrissent ; nous le devons à tous ceux qui se sont battus avec force contre cette vague de froid. Et non seulement nous le leur devons, mais nous allons le faire !
Je le répète de manière très précise, nous avons d’ores et déjà enclenché tous les dispositifs de crise, que ce soit sur le volet social, sur le volet assurantiel ou sur le régime de calamité agricole. Je ne puis être plus clair : ces dispositifs de crise ne sont pas gréés et opérationnels pour faire face à des phénomènes d’une telle ampleur.
C’est la raison pour laquelle nous mettons en place un fonds exceptionnel, que nous souhaitons le plus simple possible et fondé sur les dispositifs instaurés dans le cadre de la crise de la covid. Chacun peut s’accorder sur ce point, ces dispositifs ont été d’une simplicité, d’un pragmatisme et d’une effectivité que de nombreux pays européens nous envient.
Oui, nous le devons ; oui, nous sommes à la tâche ; oui, nous avons impliqué l’ensemble des parties prenantes, de l’assureur au banquier, en passant par tous les ministères et toutes les filières. Il convient en effet d’apporter les aides au moment où les agriculteurs en ont besoin.
À très court terme, c’est l’aspect social, avec le chômage partiel, mais aussi les intérêts d’emprunt, qui doit être réglé.
Dans la viticulture, la perte de revenus sera effective en 2022. Dans l’arboriculture, la perte est immédiate. Dans la grande culture, qui a connu également des drames, entre 10 % et 20 % de l’assolement pour les betteraves ont brûlé en l’espace de quelques jours. L’enjeu est d’accompagner les agriculteurs, notamment pour les aider à ressemer.
Nous agissons avec beaucoup de détermination, car, je le répète, nous le devons aux agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, pour la réplique.
Mme Anne Ventalon. Je prends acte de vos propos, monsieur le ministre. J’insiste toutefois sur l’importance de la rapidité des aides. En effet, en Ardèche, certains agriculteurs touchés par la grêle en 2019 n’ont toujours pas été indemnisés.
M. Jean-François Husson. Eh oui !
Mme Anne Ventalon. Les emplois agricoles – je pense en particulier aux saisonniers – et les exploitations ne survivront pas à une telle inertie. Monsieur le ministre, il est temps de proclamer l’état d’urgence agricole. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
situation des services de pédopsychiatrie
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Luc Fichet. Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.
De nombreux professionnels nous alertent sur les souffrances psychologiques et psychiques éprouvées par un grand nombre d’enfants et d’adolescents dans notre pays.
Ces jeunes subissent en effet de plein fouet les effets directs et indirects de la crise sanitaire, ceux-ci s’ajoutant parfois à un contexte familial déjà difficile ou qui s’est détérioré à la suite des périodes de confinement.
Face à cette situation préoccupante, nous constatons l’impossibilité actuelle de répondre aux nombreuses situations de détresse, faute des moyens suffisants pour faire face à l’augmentation des demandes : centres médico-psychologiques saturés, pénurie de lits d’hospitalisation à temps complet, manque d’effectifs de pédopsychiatres, la liste des carences s’allonge et inquiète.
L’ensemble de ces insuffisances structurelles entraîne une discontinuité, voire de graves défaillances dans les prises en charge individuelles, laissant les professionnels sociaux et médico-sociaux bien seuls face à des situations qui nécessitent pourtant un accompagnement renforcé et, surtout, pluridisciplinaire.
Madame la ministre, chaque jour, nous voyons de nouvelles formes de souffrances psychiques se développer chez des enfants et adolescents de plus en plus jeunes : violences, addictions, tentatives de suicide…
Le risque de nouveaux passages à l’acte ne cesse de s’amplifier. Quelles mesures concrètes et urgentes le Gouvernement compte-t-il appliquer pour parer à cette détresse grandissante de nos jeunes, en particulier pour les plus fragiles d’entre eux ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’autonomie.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le sénateur Jean-Luc Fichet, la psychiatrie infantile, vous le savez, souffre de difficultés structurelles bien connues depuis de nombreuses années.
Elles ne datent malheureusement ni de cette mandature ni même de la crise sanitaire. (Mme Laurence Rossignol proteste.) Les départs à la retraite des effectifs médicaux spécialisés et l’augmentation sensible de la demande de soins ont suscité des situations de saturation, exacerbées par la crise sanitaire en cours.
C’est un enjeu qui préoccupe pleinement le Gouvernement. Si peu de données consolidées existent, nombre de signes nous alertent : troubles du sommeil, dépressions et tentatives de suicide, que vous évoquiez.
Les pouvoirs publics sont pleinement mobilisés autour de Franck Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, et d’Adrien Taquet, secrétaire d’État, qui sont en contact permanent avec les professionnels médico-sociaux pour développer les mesures adaptées.
Je tiens d’ailleurs à rendre hommage à ces personnels, notamment les éducateurs spécialisés. Nous avons réaffirmé, dans la stratégie nationale de santé, au travers de la feuille de route santé mentale et psychiatrie, toute l’attention portée notamment à la pédopsychiatrie, qu’il s’agisse des enfants ou des adolescents.
Le 14 janvier dernier, le Président de la République s’est entretenu de cette dégradation avec les pédopsychiatres.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous voilà rassurés ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Le constat a été dressé d’une forte pression et d’une hausse moyenne de 40 % des recours aux urgences pour troubles du comportement. Il a conduit à maintenir ouvertes les écoles et les structures de la petite enfance.
Le docteur Angèle Consoli, pédopsychiatre à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, a été nommée au Conseil scientifique pour assurer la prise en compte de l’impact des mesures sur les enfants.
Cette après-midi, le chef de l’État se rendra à Reims, accompagné du ministre Olivier Véran et du secrétaire d’État Adrien Taquet, au service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, pour échanger avec les familles et les professionnels, afin de recueillir leur retour d’expérience.
Ce déplacement permettra également de revenir sur les chantiers en cours pour répondre à l’urgence, mais aussi, de manière structurelle, aux attentes de ce secteur clé.
Mme Laurence Rossignol. Formidable !
M. Bernard Jomier. Quel discours creux !
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique.
M. Jean-Luc Fichet. Malheureusement, madame la ministre, je crains que vous n’ayez pas répondu à ma question. Nous sommes face à un secteur en grande souffrance.
Je sais que le Président de la République visite, cette après-midi, un établissement de pédopsychiatrie. J’espère qu’il prendra conscience de l’urgence à agir, car la souffrance est grande chez nos jeunes, y compris ceux qui rencontrent des difficultés sociales et, parfois, physiques. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Très bien !
organisation du conseil des ministres pendant la crise sanitaire
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Monsieur le Premier ministre, je veux vous interpeller sur le fonctionnement actuel du conseil des ministres.
C’est l’organe constitutionnel de la délibération gouvernementale. Or, en ces temps de crise sanitaire, il est non plus réuni à l’Élysée, mais remplacé par une réunion à distance, ce qui pose trois problèmes.
Il s’agit tout d’abord d’un problème institutionnel, la collégialité de la délibération gouvernementale n’étant pas assurée dans les formes constitutionnelles. Cela crée pour l’avenir un précédent préoccupant.
Il s’agit ensuite de respecter le secret des délibérations, qui sont exposées à des défaillances du cryptage ou à la présence de tiers auprès des ministres réunis à distance.
Il s’agit enfin d’un problème juridique. D’une part, le Conseil constitutionnel, qui n’admet pas sans condition la validité des délibérations à distance, s’est prononcé récemment sur ce point à propos du règlement de l’Assemblée nationale. D’autre part, le Conseil constitutionnel censure depuis 2003 la loi qui n’a pas été délibérée correctement en conseil des ministres avant son examen par le Parlement.
Dans ces conditions, monsieur le Premier ministre, allez-vous demander au Président de la République de rétablir le fonctionnement normal du conseil des ministres ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur Bas, je dois vous avouer que je n’avais pas imaginé, en pleine crise sanitaire, avoir à répondre à ce type de questionnement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Exclamations indignées sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Les institutions, ce n’est pas accessoire !
M. Jean Castex, Premier ministre. Néanmoins, je vais tenter de m’y employer.
Dans le respect ou, plutôt, dans la perspective du respect des normes sanitaires, le nombre de membres du Gouvernement assistant « en présentiel », comme on dit, au conseil des ministres a en effet été limité depuis le début de la crise. Il s’agit de mettre en œuvre une exigence qui s’applique à toutes les réunions dans la sphère administrative, et au-delà.
Mme Laurence Rossignol. La preuve dans cet hémicycle, aujourd’hui ! (Marques d’approbation sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
M. Jean Castex, Premier ministre. Le conseil des ministres, vous le savez, est un organe collégial, dont les modalités d’organisation ne sont pas définies par les textes.
Vous l’avez rappelé, la seule exigence posée par la Constitution vise à assurer que ce conseil est bien en mesure d’exercer les attributions que notre loi fondamentale lui confie, à savoir délibérer sur les projets de loi, conformément à l’article 39, délibérer sur les projets d’ordonnances, conformément à l’article 38, ainsi que sur certains projets de décret, conformément à l’article 13, et, enfin, pourvoir aux plus hauts emplois publics mentionnés à l’article 13.
La notion de délibération renvoie à la possibilité d’un échange de vues et de prises de parole des membres du conseil des ministres.
Pour considérer que le conseil des ministres a été valablement réuni, il convient donc d’examiner non pas s’il a donné lieu à une réunion physique de ses membres, mais si des modalités d’organisation lui ont effectivement permis de délibérer. J’en atteste, c’est bien ce qui se passe.
À cet effet, il est fait recours à un dispositif de visioconférence, porté par un système sécurisé de niveau confidentiel défense, conçu et opéré par l’État, qui permet une parfaite qualité et confidentialité des échanges.
M. Pierre Cuypers. Ce n’est pas possible à 100 % !
M. Jean Castex, Premier ministre. Vous voilà, je l’espère, monsieur le sénateur, rassuré.
Nous connaissons tous ici vos grandes compétences juridiques, que je salue, et votre grande révérence pour la règle de droit. Néanmoins, voilà plus de vingt siècles, mesdames, messieurs les sénateurs, Cicéron attirait notre attention sur les excès de cette révérence : summum jus, summa injuria. (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour la réplique, et en français ! (Sourires.)
M. Philippe Bas. J’apprécie, monsieur le Premier ministre, que vous vous soyez donné la peine de me répondre personnellement.
Toutefois, je voudrais vous dire, avec la plus grande solennité, que l’argument sanitaire ne tient pas.
M. Julien Bargeton. Mais si !
M. Philippe Bas. D’ailleurs, vous ne seriez pas ici pour nous répondre si nous appliquions la même règle que celle que vous prétendez voir s’imposer pour le conseil des ministres. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Pourtant, votre sécurité sanitaire, comme celle des membres du Gouvernement, est assurée aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.
L’Élysée dispose à l’évidence de salles qui ont la dimension nécessaire pour assurer la sécurité sanitaire des ministres. Vous ne devez plus prendre le risque de dégrader, voire de dénaturer, les conditions de délibération et d’adoption des textes et des nominations en conseil des ministres. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
situation en birmanie
M. le président. La parole est à M. François Bonneau, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. François Bonneau. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
« La liberté des autres étend la mienne à l’infini. » En Birmanie, Aung San Suu Kyi est sous le coup de nouvelles poursuites pénales. Depuis le coup d’État qui l’a chassée du pouvoir le 1er février dernier, la situation ne cesse de se dégrader. Plus de 700 civils ont été tués par une junte mortifère et de plus en plus organisée.
Un culte impressionnant de la personnalité se renforce autour du chef, avec des défilés militaires dignes des plus grands régimes autoritaires, ce qui conforte l’armée dans son action et fait croître la répression sanglante des manifestations.
Désormais, les militaires n’hésitent plus à tuer jeunes ou moins jeunes, pacifistes ou militants. Ces hommes et ces femmes qui luttent héroïquement pour leur liberté sont abattus par des snipers, preuve de plus, s’il en fallait, de cette répression criminelle et intolérable.
Ce week-end encore, 82 personnes ont perdu la vie. L’ambassadrice de l’ONU, venue spécialement, n’a pas été autorisée à entrer dans le pays. La communauté internationale peine une nouvelle fois à s’affirmer, en raison des vétos russes et chinois.
Aung San Suu Kyi est détenue dans un lieu tenu secret. Six chefs d’accusation sont retenus contre elle, dont celui de corruption, qui pourrait l’empêcher d’exercer toute fonction politique.
Monsieur le ministre, face à ce silence total et assourdissant, la France, pays des droits de l’homme, ne peut pas rester sans rien dire. La non-reconnaissance de la junte par l’État français n’est plus suffisante. L’Union européenne doit aussi s’imposer et répondre d’une seule voix.
Les vétos de l’ONU ne sont pas des raisons acceptables pour laisser de tels crimes impunis ; nous devons agir.
Quelles sanctions allez-vous prendre pour enrayer la tragédie endurée par les Birmans, désespérément seuls face à leurs tortionnaires ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie. Monsieur le sénateur François Bonneau, permettez-moi tout d’abord d’excuser Jean-Yves Le Drian, qui est actuellement en Inde pour mener un certain nombre de consultations dans l’espace indopacifique.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et vendre des Rafale ?…
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Plus de deux mois après le coup d’État commis par les forces armées, la situation demeure, vous l’avez rappelé, extrêmement critique.
Le décompte macabre est aujourd’hui de 710 personnes tuées, auxquelles s’ajoutent 3 000 personnes arrêtées, dont le Président de la République Win Myint et la conseillère d’État Aung San Suu Kyi.
Face à une telle situation, il s’agit non pas seulement de condamner, mais aussi, comme vous le faites, d’appeler à l’action.
Nous avons d’ores et déjà agi avec nos partenaires européens. Depuis le 22 mars dernier, onze personnes responsables du coup d’État, dont le commandant en chef des forces de sécurité et son adjoint, sont sous le coup de sanctions et de mesures restrictives.
Nous travaillons à de nouvelles mesures de sanctions visant d’autres individus. Nous espérons aboutir dès le 19 avril, lors du prochain conseil des affaires étrangères de l’Union européenne.
Nous avons également suspendu tous les soutiens budgétaires aux programmes gouvernementaux, lesquels sont désormais aux mains des militaires.
Nous ne devons pas non plus nous interdire de considérer, en tant qu’Européens, un certain nombre de préférences commerciales.
En revanche, nous maintenons l’action humanitaire, parce que la société civile ne doit pas être pénalisée, et nous encourageons toutes les démarches réalisées à l’échelon régional, avec l’Asean, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, un sommet de cette organisation devant se réunir dans les prochains jours.
Nous encourageons également les démarches réalisées au niveau des Nations unies, puisque nous avons soutenu fortement la consultation menée la semaine dernière avec des représentants de l’opposition.
Nous agissons donc et prenons des décisions contre ce régime, qui tire contre son peuple de façon inacceptable et qui doit donc être dénoncé et condamné de façon effective. (M. Alain Richard applaudit.)
situation des français de l’étranger
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie.
Le président de la République, le 7 avril dernier, s’est adressé aux 3,5 millions de Français de l’étranger, par le biais d’un courrier, et cela, de manière purement fortuite, au lendemain même des dépôts des listes pour les élections consulaires du mois de mai…
Loin de moi l’idée de ne pas reconnaître au Président de la République le droit d’écrire à ses compatriotes de l’étranger.
Toutefois, il est évident, à la lecture de ce courrier, que le chef de l’État a, hélas, confondu communication institutionnelle et communication politique,…
M. Pierre Cuypers. Comme souvent !
M. Stéphane Le Rudulier. … en utilisant, de surcroît, une base de données exclusivement réservée à des finalités administratives, contrairement à la liste électorale consulaire. C’est moralement condamnable et politiquement déloyal.
Moralement condamnable, car l’utilisation d’un registre à des fins électoralistes constitue une violation par le Président de la République lui-même d’un principe essentiel en démocratie, à savoir l’égalité de traitement entre les candidats.
Politiquement déloyal, parce que cette correspondance, parsemée d’autosatisfaction, s’apparente à un plaidoyer en faveur des candidats La République En Marche pour les futures élections.
Monsieur le secrétaire d’État, comment pouvez-vous justifier l’utilisation de moyens étatiques à des fins de propagande, à un moment électoral clé pour les Français établis hors de France ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Stéphane Le Rudulier, vous me donnez l’occasion de vous faire un aveu : oui, le Président de la République est particulièrement attentif à la situation des Français établis hors de France ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Oui, le Président de la République les considère comme des Français à part entière, et non comme des Français à part tout court.
Mme Laurence Rossignol. Et surtout comme des électeurs !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Permettez-moi de le relever, dans ce courrier, le Président de la République salue l’action de l’ensemble des élus des Français de l’étranger, les élus locaux, mais également les parlementaires qui siègent ici.
D’ailleurs, le Président de la République ne s’est pas contenté d’une lettre. Pardonnez ce jeu de mots, il s’agit de chiffres et de lettres.
Pour ce qui concerne les chiffres, le montant du plan de soutien exceptionnel mis en œuvre, depuis le début de la pandémie, pour accompagner les Français établis hors de France, s’est élevé à 220 millions d’euros.
Il s’agissait de les accompagner d’un point de vue social, avec l’aide de SOS covid, en matière éducative, avec des bourses, et en matière médicale, avec le déploiement de 80 postes d’oxygénothérapie. (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
Mme Hélène Conway-Mouret. Ce n’est pas la question !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Par ailleurs, n’oublions pas les 370 000 Français de passage qui ont été rapatriés. Une très grande solidarité a joué.
C’est une première, le Président de la République s’est adressé directement aux Français de l’étranger. Voilà déjà quelques années – c’était déjà une première ! –, le Président de la République s’était adressé directement à l’Assemblée des Français de l’étranger.
Monsieur le sénateur, je crains que vous ne deviez vous habituer à quelques autres premières. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, pour la réplique.
M. Stéphane Le Rudulier. Votre réponse ne m’a pas convaincu, monsieur le secrétaire d’État.
Le cas échéant, il appartiendra au juge de l’élection, c’est-à-dire au Conseil d’État, de déterminer si vos agissements ont altéré la sincérité du scrutin. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour le groupe Socialiste, Républicain et Citoyen. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Michelle Meunier. « Indispensables », « essentiels », applaudis à vingt heures… Il y a un an, nous ne tarissions pas d’éloges pour saluer l’engagement des professionnels du soin à l’hôpital et dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les Ehpad.
En juillet 2020, les conclusions du Ségur de la santé actaient une revalorisation salariale pour les agents hospitaliers, laissant de côté nombre d’agents exerçant pourtant les mêmes métiers dans les établissements du secteur social et médico-social.
Les oubliés du Ségur ont dû batailler pendant de longs mois pour faire entendre cette injustice et arracher une juste reconnaissance et une revalorisation méritée de leur rémunération. Ils et elles ont eu raison de se mobiliser, notamment les professionnels du soin à domicile, dont nous souhaitons le développement.
Vos annonces intervenues lundi dernier, madame la ministre, laissent à penser que cet oubli serait réparé. S’il faut se satisfaire que votre gouvernement s’engage enfin à ouvrir cette revalorisation au personnel paramédical sans distinction du statut de leur employeur, et si nous saluons l’extension de la revalorisation au personnel éducatif du secteur du handicap, de nombreuses incertitudes demeurent.
Quelle revalorisation prévoyez-vous pour les nouveaux oubliés : les professionnels de l’aide sociale à l’enfance, qui s’acquittent des mêmes tâches éducatives, sanitaires ou sociales, les travailleurs sociaux des foyers d’accueil médicalisés et des instituts médico-éducatifs, pourtant aussi essentiels aux personnes en situation de handicap, les psychologues hospitaliers, les sages-femmes – profession médicale toujours sous-valorisée – et les infirmiers anesthésistes ?
Madame la ministre, envisagez-vous sérieusement de financer ces promesses, alors que vous repoussez encore la discussion parlementaire sur les moyens accordés au grand âge et à l’autonomie ? Allez-vous envoyer la facture aux départements ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’autonomie.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la sénatrice Michelle Meunier, je connais votre connaissance du secteur sanitaire et médico-social, ainsi que votre engagement de longue date dans ce domaine. Vous comprenez donc qu’il est essentiel, avant d’évoquer l’impatience légitime de ces professionnels, qui ne sont pas des oubliés du Ségur, de rappeler le chemin parcouru depuis le mois de juillet dernier.
Vous conviendrez que la marche était haute : nous l’avons franchie, et nous continuons d’avancer. Plus de 9 milliards d’euros sont d’ores et déjà mobilisés, pour permettre la revalorisation de 160 à 185 euros par mois de la rémunération de 1,5 million de professionnels travaillant en établissements ou en Ehpad.
Cette enveloppe permet également de revaloriser l’indemnité de service public exclusif, ainsi que les indemnités de stage des internes, des étudiants de santé et des personnels paramédicaux.
Au total, 500 000 professionnels de santé et paramédicaux sont concernés, pour près de 740 millions d’euros. Ce n’est pas rien, et je crois qu’il ne faudrait pas atténuer la portée de cette mesure.
Les aides-soignants, par exemple, dont le métier, physique et exigeant, était jusqu’alors peu reconnu, bénéficieront, après un an de carrière, d’une revalorisation de leur rémunération, portée de 1 532 euros à 1 760 euros – vous conviendrez que ce n’est pas négligeable.
Cette revalorisation s’échelonnera tout au long de leur carrière. Ainsi, ces professionnels pourront prétendre à une retraite d’un montant de 2 954 euros net, soit près de 3 000 euros, au lieu d’environ 2 300 euros aujourd’hui.
Ces avancées sont essentielles, historiques et méritées. Ces professionnels, dont je suis à l’écoute sur le terrain, le reconnaissent d’ailleurs.
Je comprends que les professionnels médico-sociaux puissent être impatients. Mais les négociations les concernant se poursuivent, et je puis vous assurer, madame la sénatrice, qu’ils ne sont oubliés ni dans notre quotidien, ni dans notre travail de revalorisation en cours.
Les ministres Jacqueline Gourault et Amélie de Montchalin, ainsi que Michel Laforcade dans le cadre de la mission qui lui a été confiée, poursuivent les discussions avec les professionnels concernés.
Si la situation est aussi exacerbée aujourd’hui, vous conviendrez que c’est précisément parce qu’aucune réponse de cette nature ne leur avait été apportée au cours des dix dernières années.
conséquences environnementales de l’accord avec la commission européenne au sujet d’air france
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Procaccia. Madame la secrétaire d’État, plusieurs de mes collègues sont intervenus la semaine dernière sur l’aide publique accordée à Air France. Je souhaite pour ma part aujourd’hui vous interroger sur le choix du repreneur des dix-huit créneaux que la compagnie devra céder à Orly, pour respecter les règles de concurrence.
M. Djebbari a assuré la semaine dernière que le Gouvernement éviterait tout dumping social ou fiscal, mais rien n’a été dit sur les critères environnementaux. Rien n’empêche des compagnies low cost de candidater. La Commission européenne a d’ailleurs indiqué que cette cession devrait se faire « au bénéfice du consommateur ».
Je n’ai rien contre les compagnies low cost, mais certaines d’entre elles n’utilisent qu’un seul type d’avion, souvent ancien, pour minimiser les frais d’entretien. Ces avions sont plus polluants et plus bruyants.
Il ne faudrait pas, d’un côté, imposer à la société Air France d’être plus attentive à l’environnement et la forcer à innover, ce qui est une des conditions de l’aide publique, et, de l’autre, permettre à ses concurrents, low cost ou non, d’opérer à sa place sur notre territoire avec des avions plus polluants.
Plusieurs villes du Val-de-Marne, dont Villeneuve-le-Roi, Villeneuve-Saint-Georges, Ablons ou Orly se plaignent depuis des années des pollutions liées à l’aéroport. Sachez que ni les élus, ni les parlementaires, ni les riverains n’accepteront que la réattribution des créneaux aggrave la situation.
Le ministère des transports siégeant au conseil d’administration de l’Association pour la coordination des horaires, pouvez-vous m’assurer que le Gouvernement veillera à ce que ce choix respecte les critères environnementaux essentiels ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la biodiversité.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Procaccia, le secteur aérien a été durement affecté par la crise sanitaire.
En 2020, une baisse de près de 70 % du trafic a été observée. Alors qu’une reprise n’est malheureusement pas attendue avant quelques années, des chaînes de production ont dû être momentanément arrêtées ou ralenties.
L’État a répondu présent, en accordant des aides absolument sans précédent, notamment une aide de 7 milliards d’euros de prêts garantis et d’avances en compte courant d’actionnaire, en échange de contreparties environnementales et industrielles telles que la réorganisation par Air France de son réseau domestique. Ce point fait l’objet de nombreux échanges à l’Assemblée nationale, dans le cadre de l’examen du projet de loi Climat et résilience, qui sera déposé sur le bureau du Sénat dans quelques jours.
Les échanges menés par le ministre chargé des transports et le ministre de l’économie, des finances et de la relance avec la Commission européenne ont permis d’aboutir à un accord le 6 avril dernier.
Si celui-ci prévoit effectivement la libération par la compagnie aérienne de dix-huit créneaux à l’aéroport de Paris-Orly, nous avons veillé à ce que cela ne fragilise pas Air France et ne compromette pas sa réorganisation, notamment le développement de l’activité de Transavia.
Cet accord prévoit que le bénéficiaire des créneaux qui seront mis à disposition, de façon pérenne, par Air France établisse ses avions et les équipages qui leur sont liés à Orly et respecte pleinement le droit du travail européen et national.
Les autorités françaises se sont d’ailleurs attachées à prévoir un mécanisme de contrôle qui permettra de sanctionner les éventuels manquements à cette dernière condition.
En outre, le choix du repreneur des lignes parmi les compagnies qui manifesteront leur intérêt fera l’objet d’une approbation par la Commission européenne.
Enfin, je vous confirme que, lors de ces négociations avec la Commission, nous avons été très vigilants pour que la solution retenue ne provoque en aucun cas une aggravation des nuisances sonores et environnementales subies par les riverains de l’aéroport et pour que le plafonnement des mouvements et le couvre-feu demeurent inchangés.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour la réplique.
Mme Catherine Procaccia. Madame la secrétaire d’État, vous ne me confirmez pas que l’accord prévoit explicitement que les avions opérés par le repreneur seront moins polluants. Vous indiquez seulement qu’ils ne le seront pas davantage.
Compte tenu de toutes les contraintes que l’on impose aux aéroports et aux compagnies aériennes françaises, je ne comprends pas que l’attribution de nouveaux créneaux ne soit pas l’occasion de faire mieux.
C’est totalement contraire à la politique prétendument environnementale que vous essayez en ce moment d’imposer au secteur aérien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
paiement des interventions des professionnels de santé dans les centres de vaccination
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Guidez. Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Elle porte sur la rémunération des professionnels de santé actuellement engagés dans la campagne de vaccination.
Tout travail mérite salaire. Il aura pourtant fallu trois mois pour que, enfin, le travail du personnel de santé, notamment des retraités intervenant dans les centres de vaccination covid, soit reconnu. Si cette clarification est bienvenue, bien qu’elle soit très tardive, les mesures actées ne sont malheureusement pas encore entrées en vigueur.
Depuis janvier dernier, ces personnels se battent pour obtenir une reconnaissance et la rémunération des heures effectuées dans les centres de vaccination. Certains personnels de santé attendent toujours la rémunération de leurs vacations.
Vos services ont fini par leur apporter une solution : depuis le 1er avril dernier, la rémunération des personnels de santé et des retraités sans activité libérale est assurée par l’assurance maladie.
Toutefois, les infirmiers retraités n’ont pour leur part rien obtenu jusqu’à présent et commencent à se décourager, alors que le nombre de vaccinations augmente considérablement et que nous avons vraiment besoin d’eux.
Les agences régionales de santé, les ARS, et les centres de vaccination continuent de se renvoyer la balle en ce qui concerne leur rémunération.
De nombreuses questions restent donc sans réponse : les cotisations sociales s’appliquent-elles pour les retraités ?
Comment procédez-vous au remboursement des structures qui ont avancé la rémunération de leur personnel ? Quelle plateforme efficace sur le long terme comptez-vous mettre en place ?
Enfin, que comptez-vous faire, madame la ministre, pour accélérer la rémunération des personnels de santé retraités engagés dans la campagne de vaccination covid ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’autonomie.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la sénatrice Jocelyne Guidez, votre question est double. Je tâcherai donc de répondre à chacune des dimensions que vous évoquez.
La mobilisation exceptionnelle des professionnels de santé retraités est à l’image de la solidarité qui s’est développée dans notre pays de manière spontanée.
Je tiens à rendre hommage à ce dévouement et à cette mobilisation, qui se développent dans tout le pays et qui nous permettent de renforcer nos centres de vaccination sur le territoire.
Vous avez raison d’indiquer que tout travail mérite rétribution, fût-ce pour des professionnels retraités. Face à l’urgence, il était nécessaire de mettre en œuvre rapidement les modalités les plus efficaces et les plus adaptées pour verser leurs salaires à ces professionnels.
Sachez que c’est désormais chose faite, puisque leur paiement direct est assuré depuis le 1er avril 2021, y compris pour les vacations passées, c’est-à-dire de manière rétroactive.
Cette rémunération est effectuée par la caisse primaire d’assurance maladie, la CPAM, et, bien qu’ils soient déjà invités à se rapprocher de leur caisse à cette fin, vous pouvez relayer auprès d’eux cette invitation. L’immatriculation et les obligations sociales sont assurées pour leur compte par les Urssaf. Ils n’ont aucune démarche à effectuer.
Cela vaut pour les professionnels retraités que vous avez mentionnés, mais aussi pour les étudiants, les remplaçants intervenant à titre exclusif, ainsi que les professionnels exerçant sur des lieux non conventionnés avec leur centre habituel de rattachement. Nous nous sommes donc assurés qu’une solution était bien apportée dans les meilleurs délais à ces professionnels.
Par ailleurs, s’agissant du nombre de doses disponibles dans certains centres de vaccination, la situation dont vous me faites part a tendance à se réguler.
Le nombre de doses disponibles augmente, notamment dans votre département, l’Essonne, puisque, de 5 000 doses hebdomadaires début janvier, il est passé à près de 21 500 doses cette seule semaine.
Les ARS veillent à ce que la ventilation des doses entre les centres de vaccination soit plus homogène, pour limiter le plus possible le type de situation que vous évoquez. Ces difficultés devraient disparaître progressivement dans les prochaines semaines. (M. Alain Richard applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour la réplique.
Mme Jocelyne Guidez. Nous ne devons pas avoir les mêmes renseignements, madame la ministre, car je puis vous assurer que, à ce jour, dans mon département, les CPAM n’ont pas remboursé les infirmières retraitées.
Quoi qu’il en soit, je tenais à vous faire part du coup de gueule et de la lassitude des personnels de santé retraités, qui non seulement ne sont pas à ce jour rémunérés, mais se déplacent dans des centres de vaccination mobiles éloignés de leur lieu d’habitation, alors que les vaccins ne sont pas au rendez-vous, en tout cas pas chez nous. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 5 mai 2021, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Organisation des prochaines élections départementales et régionales
Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat et d’un vote, en application de l’article 50-1 de la Constitution, relative à l’organisation des prochaines élections départementales et régionales.
Cette séance s’organisera en deux temps.
Après la déclaration du Gouvernement, la parole sera donnée à un orateur de chaque groupe.
Ensuite, nous procéderons au vote par scrutin public sur cette déclaration, en application de l’article 39 de notre règlement.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le 1er avril dernier, je suis venu présenter devant vous la situation sanitaire de notre pays, marquée, vous le savez, par une troisième vague et, surtout, par le développement d’un nouveau variant prédominant, ainsi que les mesures de lutte contre l’épidémie que l’évolution de cette situation sanitaire rendait précisément nécessaires.
Voilà donc plus de dix jours que ces dispositions sont entrées en vigueur sur l’ensemble du territoire. Elles commencent à produire leurs résultats en termes d’incidence, même si c’est de manière hétérogène selon les régions, mais pas encore en termes de pression hospitalière.
Plus que jamais, la communauté des soignants se mobilise pour faire face à cette pression, avec la compétence et le courage qui lui valent plus que jamais notre reconnaissance et notre soutien.
C’est dans ce contexte très particulier que j’ai évoqué devant la Haute Assemblée le calendrier des prochaines élections départementales et régionales, fixées les 13 et 20 juin prochain, ainsi que les questions soulevées par le conseil scientifique dans le rapport qu’il nous a remis, sur le fondement de l’article 3 de la loi du 22 février 2021, relatif aux conditions de leur organisation.
À cette occasion, je vous avais proposé une orientation, une méthode et un rendez-vous.
Vous connaissez l’orientation : vous m’avez entendu l’exprimer à plusieurs reprises, notamment ici même, au Sénat, le 1er avril dernier.
Elle a toujours été constante et repose sur un principe très simple : celui du maintien – c’est la règle –, parce que l’élection est un moment majeur de la démocratie et, de surcroît, les élections en question ont déjà dû être reportées. Seules des considérations sanitaires – c’est l’exception – pourraient nous conduire à déroger à ce principe ou à en aménager l’organisation, comme l’a démontré, du reste, l’expérience difficile des élections municipales de l’année dernière.
Privilégier l’hypothèse du maintien, c’est aussi identifier clairement et lucidement les difficultés que sa mise en œuvre peut soulever.
Ces difficultés tiennent évidemment aux contraintes et aux incertitudes que la situation sanitaire peut faire peser sur notre vie collective dans les prochains mois.
Elles tiennent plus particulièrement aux recommandations très précises que le conseil scientifique a formulées, qu’il s’agisse des conditions de déroulement de la campagne ou des opérations de vote, et, au-delà de la théorie, si j’ose dire, à notre capacité pratique à les mettre en application dans l’ensemble des communes de France.
Elles tiennent enfin au fait que ces élections cumuleront deux scrutins – cela les distingue des municipales de 2020 –, organisés le même jour, ce qui exige de doubler le nombre de bureaux de vote, donc de mobiliser deux fois plus de présidents et d’assesseurs.
Faut-il rappeler, par ailleurs, qu’après l’avis du conseil scientifique, nous avons renforcé, à compter du 4 avril et pour une période de quatre semaines, les mesures dites « de freinage », et que ceci n’est évidemment pas sans effet sur le sujet qui nous réunit aujourd’hui, s’agissant notamment de la précampagne électorale ?
Après l’orientation, je rappellerai la méthode que nous avons suivie.
Comme je l’avais indiqué, nous avons opté pour la plus large consultation. J’ai saisi les présidents des assemblées, les présidentes et présidents des groupes parlementaires, les responsables des partis politiques représentés au Parlement et les responsables des associations d’élus locaux.
Quelque 39 contributions me sont parvenues. Je tiens à remercier leurs auteurs, en particulier vous, monsieur le président du Sénat, car votre contribution était assortie de nombreuses suggestions opérationnelles.
Une assez large majorité de ces contributions – 25, pour être précis – a exprimé une position favorable au maintien des dates prévues, 11 n’ont pas pris position, tandis que 3 étaient favorables au report.
La plupart de ces contributions se sont bornées à énoncer une position de principe, d’autres ont souligné les difficultés qui pouvaient se poser et quelques-unes étaient accompagnées de propositions précises de nature à y remédier.
L’importance du sujet et les conditions précises fixées par le conseil scientifique m’ont par ailleurs convaincu de procéder à une consultation directe des maires. Cette initiative, je l’ai constaté, en a étonné certains. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et CRCE.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, si je vous sais très attachés, comme moi, aux maires de la République, je dois vous dire qu’un tel étonnement m’a étonné (Mêmes mouvements), dans la mesure où le principal effort et la responsabilité de l’organisation de ces scrutins pèseront nécessairement sur les maires.
Je tiens d’ailleurs à les remercier devant vous, dans cette assemblée dont ils sont les grands électeurs, d’avoir parfaitement saisi l’importance de l’enjeu, puisque 69 % d’entre eux ont répondu – c’est un des taux de réponse les plus élevés à ce type de concertation – et cela dans des délais très courts. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie Mercier. N’en jetez plus !
M. Jean Castex, Premier ministre. Comme vous le savez, les maires sont disponibles en permanence. (Mêmes mouvements.)
J’ai donc décidé de cette consultation au vu des contributions que m’ont adressé leurs associations représentatives, afin d’en compléter les aspects organisationnels, et je souhaitais disposer de leurs retours, c’est vrai, avant la tenue des débats dont j’ai souhaité l’organisation au Parlement, sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution, et dont le premier a été programmé hier à l’Assemblée nationale.
J’exprime donc ma gratitude aux maires pour leur réactivité et la qualité de leurs réponses. Celles-ci ne surprendront personne, tant ces élus montrent depuis le début de cette crise leur disponibilité et leur engagement, en tous points exemplaires, au service de notre pays.
Leurs préconisations, leurs très nombreuses contributions, comme les interrogations qu’ils ont soulevées, enrichissent considérablement l’information tant du Gouvernement que du Parlement, notamment dans le cadre du présent débat. Cela n’a rien de surprenant, puisqu’elles émanent de celles et ceux dont c’est précisément la charge et la mission que d’assurer l’organisation matérielle des opérations de vote.
Les élus municipaux intervenant dans le processus électoral comme agents de l’État, ce dernier manquerait de loyauté à leur endroit s’il ne les associait pas à une décision les concernant au premier chef, et, surtout, au vu de leurs légitimes inquiétudes, s’il ne les accompagnait pas au plus près dans l’organisation de ces opérations dans le contexte très particulier que nous connaissons.
Contrairement à ce que certains commentaires ont parfois laissé entendre, cette consultation – je tiens à l’indiquer de manière très solennelle – n’était dirigée contre personne (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et SER.), et certainement pas contre les associations d’élus, pour lesquelles j’ai le plus grand respect. (Mêmes mouvements.)
Je sais d’ailleurs que le Sénat lui-même a pour habitude, et cela me semble bien normal, de consulter directement les élus locaux, deux consultations de ce type étant en cours. C’est une bonne méthode.
Il s’agissait tout simplement, je le répète, de compléter utilement les réponses des associations, en donnant une dimension très concrète et opérationnelle aux questions de principe soulevées à bon droit par les contributions des grandes associations d’élus.
Vous connaissez le résultat de cette consultation : 56 % des maires se sont prononcés en faveur du maintien, 40 % en faveur du report et 4 % n’ont pas souhaité prendre position.
Ces résultats montrent à eux seuls combien le sujet est complexe – plus complexe que ne le sous-entendent certains commentaires –,…
Mme Laurence Rossignol. Nous sommes capables de comprendre, rassurez-vous !
M. Jean Castex, Premier ministre. … et combien cette consultation était nécessaire pour saisir les ressorts et les motivations des inquiétudes qui se sont exprimées.
J’en viens enfin au rendez-vous que je vous avais proposé et qui nous réunit aujourd’hui sous la forme de ce débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution et du vote qui le conclura.
En effet, il faut que, en toute transparence, chacun puisse s’exprimer et s’engager au regard des enjeux qui sont sur la table, puisqu’il s’agit de concilier les deux principes de portée constitutionnelle que sont la liberté du suffrage et la protection sanitaire de nos concitoyens.
Ce débat et ce vote, je vous propose donc de les organiser sur la proposition, confirmant l’orientation dont je vous avais déjà fait part, de maintenir au mois de juin les élections régionales et départementales et d’assortir ce maintien de conditions très précises, tenant à la campagne comme au vote, conditions que je développerai dans un instant.
Cette position est celle qui apparaît au Gouvernement comme prenant le mieux en compte à la fois l’avis du conseil scientifique du 29 mars dernier et le résultat de l’ensemble des consultations que nous avons conduites depuis lors et que je viens de vous rappeler.
S’agissant en premier lieu de la campagne électorale, celle-ci devra donc être adaptée. Comme l’a rappelé le conseil scientifique, c’est elle qui est de nature à entraîner une multiplication des occasions de contacts physiques, donc d’accroître les risques sanitaires. Cette campagne sera donc différente ; du reste, la quasi-totalité des forces politiques consultées en convient.
Ainsi, nous encouragerons l’usage des outils de campagne dématérialisés. Le ministère de l’intérieur mettra en place, comme pour les dernières municipales, un site internet permettant aux électeurs de disposer de l’ensemble des professions de foi des candidats aux deux élections.
Un débat télévisé, également diffusé à la radio, sera organisé entre les candidats aux élections régionales, avant chacun des deux tours de scrutin.
Le Gouvernement, de son côté, lancera une grande campagne de sensibilisation au vote, ainsi qu’une campagne d’information sur les compétences des conseils régionaux et départementaux. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le conseil scientifique recommande, en outre, l’interdiction des meetings physiques et des réunions publiques, à l’intérieur comme à l’extérieur.
Dans la période de restrictions sanitaires que nous connaissons actuellement, une telle règle me paraît justifiée. Je souhaite toutefois qu’elle puisse être réévaluée, dès que l’amélioration de la situation sanitaire nous permettra d’envisager la reprise progressive de certaines activités et l’ouverture de quelques établissements recevant du public.
Dans les prochaines semaines, nous serons amenés à présenter nos différents scénarios sur la sortie des mesures actuellement appliquées. Il est raisonnable de penser que, d’ici au premier tour des élections, la levée de ces restrictions, pour les candidats, se traduira par de nouvelles possibilités de faire campagne. En tout cas, j’en forme le vœu.
Quant aux règles qui encadrent les déplacements au-delà des dix kilomètres autour du domicile, elles constituent évidemment un obstacle à la liberté de déplacement des candidats et des membres de leurs équipes de campagne. Ces règles seront donc aménagées sans délai, afin d’autoriser les déplacements des candidats dans le ressort de la circonscription électorale, ainsi que des militants qui les accompagnent, sur la base d’une attestation du candidat ou, à défaut, de son mandataire financier.
Pour prendre en compte l’allongement de la campagne, nous allons, comme pour les élections municipales de juin 2020, augmenter la durée des prêts accordés par les personnes physiques.
D’autres questions très concrètes se posent sur la distribution des tracts dans les boîtes aux lettres, le collage des affiches et le porte-à-porte, opérations qui appellent des réponses précises s’agissant de l’encadrement strict des conditions lesquelles elles pourront se dérouler. À cet égard, le ministre de l’intérieur publiera une circulaire d’ici à la fin de la semaine.
Concernant le déroulement du scrutin lui-même, il nous appartient de prendre toute disposition utile afin d’assurer la sécurité sanitaire des personnes concourant aux opérations de vote et, plus généralement, de tous les électeurs.
Comme pour le second tour des municipales, en juin dernier, un protocole sanitaire sera défini de façon à garantir le respect des gestes barrières et la sécurité sanitaire dans les bureaux de vote.
Le recours au vote par procuration sera de nouveau facilité : la loi du 22 février 2021 offre à chaque électeur la possibilité de disposer de deux procurations. Le dispositif « maprocuration.gouv.fr », créé par le décret du 11 mars dernier, conformément à vos vœux, mesdames, messieurs les sénateurs, permet d’établir une procuration de façon presque totalement dématérialisée.
Le conseil scientifique recommande également la vaccination ou, à défaut, le dépistage de l’ensemble des membres des bureaux de vote.
De nombreux maires nous l’ont fait savoir : cette préconisation peut paraître difficile à mettre en œuvre, notamment dans les petites communes, où, bien souvent, les membres des bureaux de vote ne sont identifiés que quelques jours, voire quelques heures avant le scrutin.
Je rappelle que, à la mi-juin, environ 30 millions de Français, soit une large partie de nos concitoyens électeurs et électrices, auront bénéficié au moins d’une première injection. Certes, tous n’auront pas eu leur rappel et tous n’auront pas forcément été vaccinés depuis dix jours, délai indiqué pour que le vaccin soit protecteur. Mais plus de la moitié des personnes majeures aura été protégée, et nous espérons faire mieux !
C’est pourquoi le Gouvernement propose de mettre en place un dispositif spécifique : trois semaines avant le premier tour, les communes seront invitées à faire connaître la liste des personnes non vaccinées, membres des bureaux de vote, et des fonctionnaires mobilisés le jour du scrutin, afin qu’une vaccination puisse leur être proposée.
Le conseil scientifique prévoit que, à défaut de vaccin, les membres des bureaux de vote devront réaliser un test. Il pourra s’agir d’un test PCR ou d’un test antigénique réalisé dans les quarante-huit heures précédentes.
Il pourra également être procédé à un autre test juste avant : à cette fin, l’État dotera les communes de lots d’autotests leur permettant de tester, le jour du scrutin, tous les participants aux opérations de vote qui n’auraient pas eu d’autres solutions.
Afin de limiter les concentrations de flux d’électeurs, et comme de nombreuses forces politiques l’ont proposé, les préfets seront invités à étendre les horaires des bureaux de vote de huit heures à vingt heures, dans toutes les communes où, après échange avec les maires, cela semblera pertinent.
Dans les nombreuses communes où deux bureaux de vote, chacun étant dédié aux deux scrutins, sont disposés dans une même salle, des mesures seront prises pour préciser les textes relatifs à la mutualisation des équipements et de certaines fonctions des membres des bureaux de vote.
Afin de limiter le nombre de personnes mobilisées par les opérations de dépouillement, ces dernières pourront avoir lieu soit simultanément, mais dans deux salles distinctes, soit dans une salle suffisamment grande, permettant un respect optimal des règles de sécurité sanitaire.
Les dépouillements pourront aussi se dérouler l’un après l’autre, dans une même salle, avec les mêmes personnes. Nous autoriserons d’ailleurs les membres des bureaux de vote et les assesseurs à participer au dépouillement, si c’était nécessaire. Vous savez tous que les mesures que je viens de décrire ne sont pas autorisées par la législation en vigueur.
De même, comme le recommande le conseil scientifique, nous examinerons la possibilité d’autoriser que ces opérations se déroulent à l’extérieur – nous serons au mois de juin ! –, sous certaines conditions, par exemple dans la cour ou sous le préau des écoles. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SER.)
Les maires des communes de taille modeste ont exprimé de nombreuses inquiétudes – on peut évidemment les comprendre. C’est pourquoi les préfets et les sous-préfets seront chargés de les accompagner de manière individualisée, dans la préparation et l’organisation des scrutins.
L’État ne laissera pas les maires des petites communes livrés à eux-mêmes : dès lors, l’accompagnement préfectoral commencera très prochainement, en vue d’identifier le plus précocement possible les difficultés prévisibles et d’y apporter des solutions adaptées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, plusieurs des mesures que je viens de vous présenter relèvent de la loi. Les dispositions correspondantes seront intégrées à un projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire, qui sera présenté d’ici à la fin du mois d’avril en conseil des ministres.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà le cadre général que je soumets à votre approbation. Sa déclinaison opérationnelle supposera l’adoption d’actes juridiques et matériels nombreux et importants. Certains d’entre eux devront être adoptés dans des délais très rapprochés – c’est un défi !
Nous devrons être en mesure de répondre à de nombreuses conditions, d’adopter de nouvelles dispositions législatives et réglementaires, de déployer des moyens d’information novateurs et inédits, d’accompagner les mairies dans l’organisation matérielle du scrutin.
En outre, et c’est essentiel, nous devrons compter sur le bon avancement de la campagne de vaccination. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Les semaines qui nous séparent du scrutin ne seront pas de trop pour relever ce défi collectif.
C’est pourquoi, pour nous donner le temps utile, nous avons décidé de décaler d’une semaine la date des élections. En effet, une semaine de plus, cela représente deux à trois millions d’électeurs vaccinés supplémentaires. Hier, encore, la France a vacciné plus de 450 000 personnes : ce n’est pas négligeable, et il faut nous en réjouir !
Dans le respect de la loi en vigueur, un décret en conseil des ministres sera pris, dès la semaine prochaine, pour fixer les élections aux 20 et 27 juin prochain, au lieu des 13 et 20 juin.
Je viens cette après-midi solliciter l’approbation de la Haute Assemblée sur la stratégie que je viens de décrire, ainsi que sur ses modalités opératoires. Je viens aussi vous proposer, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous associer au plus près à sa mise en œuvre, d’ici à la tenue des scrutins. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
À cet effet, un comité de suivi permanent, présidé par Jean-Denis Combrexelle, ancien président de la section du contentieux du Conseil d’État, et animé par le ministère de l’intérieur, sera constitué.
Il associera les membres des partis politiques représentés au Parlement, les groupes parlementaires et les associations d’élus. Il examinera, au fil de l’eau, si vous me permettez cette expression, toutes les questions juridiques et organisationnelles de la campagne et du scrutin.
J’ajoute, pour votre complète information, qu’un préfet sera désigné pour piloter les sujets à caractère logistique, afin de soutenir les maires dans l’organisation du scrutin, y compris au regard des enjeux liés au dépistage et à la vaccination.
Le ministre de l’intérieur, dont je veux saluer l’implication à mes côtés, sera chargé, au nom du Gouvernement, de mettre en œuvre l’ensemble des orientations que je viens de vous exposer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous demander d’en débattre, avant de bien vouloir vous déterminer sur leur bien-fondé. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)
M. le président. Nous en venons aux orateurs des groupes politiques.
Dans le débat, la parole est à M. François-Noël Buffet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, il y a un an, notre pays entrait dans une crise sanitaire sans précédent.
Cette crise n’est naturellement pas terminée, nous ne le savons que trop. Elle a provoqué des drames dans les familles ; elle nous a obligés à organiser nos vies au gré des circonstances sanitaires, parfois des contraintes, à tout le moins des difficultés, desquelles nous ne sommes pas encore sortis.
Il y a un an, notre pays était surpris. Nous n’avions aucune connaissance précise de la pandémie. Nous étions dans le doute. Ce doute fut d’ailleurs confirmé par les hésitations autour du port du masque, qui, dans le débat public, créèrent les premières polémiques et un début de discussion.
Au même moment, devaient se tenir les élections municipales. Au mois de mars 2020, nous votions la loi prévoyant leur report et, compte tenu des circonstances, le Gouvernement prit la décision de les décaler jusqu’à la fin du mois de juin 2020.
De son côté, le Conseil constitutionnel déclara qu’un report encore plus lointain, pourtant souhaité par certains, n’était pas envisageable.
Puis vint l’été. Un petit relâchement – il fut grand, en réalité ! – se fit sentir ; quelques espoirs nouveaux jaillirent çà et là… Mais, à l’automne, le reconfinement arriva, avec son lot d’incertitudes. Cette fois, les masques n’étaient plus en cause : c’étaient les tests ! Allions-nous, en effet, pouvoir tester tous les Français pour savoir s’ils étaient contaminés ou non par le virus ? Tel était le doute qui nous traversait. Depuis lors, il n’a cessé de grandir.
Des discussions furent ouvertes sur le plan sanitaire. Mais l’échéance du mois de mars approchait ! Le Gouvernement demanda donc à Jean-Louis Debré de rédiger un rapport sur un éventuel report des élections départementales et régionales.
L’ancien président du Conseil constitutionnel s’exécuta et vint d’ailleurs témoigner devant la commission des lois du Sénat. Il déclara que l’élection pouvait être reportée au mois de juin, éventuellement à l’automne, mais certainement pas plus loin. Élément révélateur, il nous dit également que l’on aimerait – je ne sais où, mais l’on peut l’imaginer – prolonger le report jusqu’après l’élection présidentielle. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Mais oui ! Pourquoi pas ?
M. François-Noël Buffet. Voilà un nouveau doute, venant s’ajouter à celui qui était lié au risque sanitaire.
À la veille des fêtes de Noël, les conditions n’avaient pas beaucoup changé et vous aviez pris à juste titre, monsieur le Premier ministre, des mesures assez fortes.
Néanmoins, on commençait alors à parler du vaccin et, au début du mois de janvier, revenait dans le débat la question des élections. La vaccination n’étant pas encore certaine – elle n’est, en tout cas, pas facile à mettre en place, comme nous le constatons encore en ce moment –, le report des élections était décidé, sur la foi du rapport de M. Debré.
Le Parlement, singulièrement le Sénat, en accepta le principe. Vous recueillîtes, monsieur le Premier ministre, l’avis favorable de toutes les organisations d’élus locaux, et nous décidâmes ensemble, en février dernier, que ces élections auraient lieu en juin. Le choix du Parlement était clair : ce serait au mois de juin, et pas plus tard. L’avis du comité scientifique serait évidemment pris.
Le temps passa, les questions de vaccination se compliquèrent et le doute revint. Il portait, cette fois, sur la qualité de certains vaccins et sur l’arrivée de certains variants. Je ne vous en fais pas grief, monsieur le Premier ministre, ni à personne : vous n’y étiez pour rien.
M. François-Noël Buffet. Néanmoins, le doute était présent. Revint la question du maintien des élections. Le débat s’ouvrit de nouveau : serait-ce à l’automne, ou dans un an ? Tous les bruits circulaient.
Le conseil scientifique se prononça non pas sur la date des élections – elle était acquise pour lui, de par la loi de février –, mais sur les conditions sanitaires de cette élection. Le doute allait-il être levé ? Eh bien non, parce que certaines questions se posaient encore.
En particulier, vous communiquiez, monsieur le Premier ministre, sur l’idée que, au mois de mai, les choses iraient mieux. Le conseil scientifique envisageait lui-même quelque 20 millions de vaccinés à la mi-mai et 30 millions à la mi-juin ; tout cela figure dans son avis et a de quoi rassurer. Il envisageait également, à la une des télévisions, une possible réouverture de certains restaurants et lieux culturels. L’espoir revenait, et les interrogations semblaient levées.
Dans les faits, néanmoins un doute circulait encore. Pour tenter de le dissiper, le Gouvernement décida, vendredi dernier à dix-sept heures, de consulter les maires. Légitime consultation ! Mais qu’espérait-on du résultat ? Que les maires ne soient pas d’accord sur le maintien des élections ou, au contraire, qu’ils en confirment la tenue ? De nouveau, le doute s’instaurait.
Pourquoi cette consultation ? N’y avait-il pas là les germes d’un nouveau report vers une date bien plus lointaine ? Eh bien non, les maires répondirent et libérèrent le Gouvernement, en affirmant massivement qu’ils voulaient ces élections, quand bien même les associations avaient déjà donné un avis positif.
Je vous accorde, monsieur le Premier ministre, que la majorité n’est pas extrêmement large, mais elle est tout de même suffisamment nette pour considérer que ces élections puissent avoir lieu. Et vous avez décidé, à juste raison, de maintenir les élections et de venir devant nous le confirmer.
M. Laurent Duplomb. Il aurait pu faire l’inverse ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François-Noël Buffet. Nous voterons, tout à l’heure, et c’est parfait. Mais ce ne sera pas forcément un nouveau vote d’approbation, puisque nous avons déjà adopté la loi de février 2021, qui prévoit les élections au mois de juin. Ce texte nous engage, et nous n’avons pas changé.
En revanche, vous avez sollicité le Parlement, et nous vous en remercions, sur les conditions dans lesquelles cette élection pourrait se dérouler.
Cette consultation a permis à la commission des lois, que j’ai l’honneur de présider, de débattre la semaine dernière et de formuler un certain nombre de propositions, que nous avons transmises au président du Sénat. Il vous les a lui-même adressées le 8 avril dernier.
Je note avec plaisir que la quasi-totalité de nos propositions figure dans vos engagements d’hier, renouvelés cette après-midi. C’est la preuve que le débat et le travail parlementaires ont été utiles.
Le doute est donc levé. Néanmoins, permettez-moi de le répéter, il est dommage qu’il ait perduré si longtemps. Il est dommage qu’il ait été nourri, à différentes occasions, de rumeurs ou de vérités venues perturber notre confiance dans l’idée que puisse se tenir ce rendez-vous démocratique absolument nécessaire.
C’est d’autant plus vrai que le rendez-vous du mois de juin 2020 s’est déroulé dans des conditions bien moins favorables que celles de juin prochain. Nous avons heureusement progressé collectivement, à la faveur du vaccin, de la connaissance médicale, mais aussi des capacités de protection.
Nous ne pouvions être privés de ce rythme démocratique. La République ne pouvait en être privée. Il est absolument nécessaire et, sur le plan électoral, nous avons besoin, quoi qu’il en coûte – si vous me permettez cette expression –, que les Français se mobilisent de façon importante. Ils l’ont d’ailleurs fait dans le Gard, le week-end dernier, et dans quelques autres départements où, convoqués aux urnes, ils sont allés voter de façon importante.
Gageons que, au mois de juin, cette mobilisation se maintiendra. Parce que le temps nous est désormais compté, elle dépendra de notre capacité à aller vite dans ces mesures de nature majoritairement réglementaire que nous vous avions proposées et que vous avez reprises. Une décision rapide permettra de rassurer les Français et de se mettre en campagne. Nous sommes en effet, aujourd’hui, à deux mois de ces élections.
Vous avez décidé, monsieur le Premier ministre, d’en changer la date, et c’est votre liberté. Les 13 et 20 juin, pour des raisons de mobilisation des uns ou des autres, nous paraissaient plus adaptés pour aller voter. Je ne porte pas de jugement de valeur sur ce décalage d’une semaine. J’espère simplement que cette semaine supplémentaire nous apportera le bénéfice d’une plus grande participation.
Je vous livre deux observations sur les propositions que vous nous avez faites, monsieur le Premier ministre.
D’une part, s’agissant de la mesure de mutualisation des bureaux de vote, qui, en fait, relève du décret du 4 février 2021, donc est à la main des maires, peut-être conviendra-t-il de sensibiliser ces derniers sur ces sujets. Il s’agit de questions importantes, comme celle de la vaccination des membres des bureaux.
D’autre part, la commission des lois du Sénat a proposé que l’État, au travers de son représentant, définisse dans les départements la manière dont ces élections doivent s’organiser et en fixe les conditions sanitaires. Pour permettre la participation à ce rendez-vous électoral, il est nécessaire de rassurer le plus grand nombre d’entre nous.
Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui aura peut-être la vertu, si ce n’est de changer notre conviction en faveur d’un vote au mois de juin, du moins de lever les doutes.
Les conditions que vous nous avez présentées et celles que nous vous proposons en complément, par leur caractère pratique et immédiat, devraient nous permettre, nous l’espérons, de lever tous les doutes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Patrick Kanner et Mme Cécile Cukierman applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà plus d’un an que la France, au rythme des confinements et des déconfinements, vit avec le virus.
Les Français se sont adaptés ; ils ont changé leur mode de vie, leur façon de travailler, leurs déplacements et leurs loisirs. Leurs relations sociales sont contraintes par les restrictions sanitaires et leurs proches n’ont jamais été si loin.
Ces chambardements ont dessiné, pour chacun de nous, un nouveau quotidien dans tous les aspects de nos vies. La vie démocratique, qui n’est jamais qu’un seul de ces aspects, a profondément évolué au gré de la situation sanitaire.
Il est vrai que, en ce moment, la vie démocratique ne ressemble pas à ce qu’elle était avant la pandémie. Néanmoins, bon gré, mal gré, elle suit son cours.
Il faut dire que tout avait commencé sous de sombres auspices, par l’annonce du premier confinement le 14 mars 2020, à la veille des élections municipales. On connaît la suite : maintien du premier tour malgré la sidération et l’inquiétude. Les élus locaux, les assesseurs et les présidents de bureaux de vote ont été fidèles au poste : leur engagement exemplaire a permis la bonne tenue de ce scrutin, si essentiel à la démocratie locale.
Depuis lors, presque toutes les élections ont pu se tenir, malgré des aménagements substantiels. Force est de constater que ces aménagements, s’ils ont profondément changé le visage des élections – notamment pour les municipales, dont le second tour s’est tenu plusieurs mois après le premier –, n’ont finalement pas entamé la légitimité des élus, fort au contraire.
Je pense, bien évidemment, aux dernières élections sénatoriales – j’en suis issue –, qui ont concerné la moitié d’entre nous. Je pense également aux renouvellements des conseils intercommunaux ou encore aux élections professionnelles, qui concourent à la vitalité du dialogue social.
Au Parlement, comme dans tous les conseils communaux, intercommunaux, départementaux ou régionaux, la vie démocratique s’est adaptée.
Qui, au Sénat, pourrait affirmer le contraire ? Comme partout en France, la Haute Assemblée a dû composer avec les contraintes sanitaires, tandis que nos méthodes de travail ont évolué. Nous avons pleinement rempli nos fonctions de parlementaires, même si nous l’avons fait de façon inédite et parfois insolite.
Depuis mars 2020, presque toutes les élections ont donc pu se tenir, exception faite des élections départementales et régionales, pour lesquelles nous avons déjà voté un premier report à cause de la deuxième vague. Il s’agit, aujourd’hui, de savoir s’il faut opter pour un nouveau report face à une nouvelle vague.
Admettons, tout d’abord, qu’il est plus que légitime de se poser la question. Par rapport à cet hiver, la situation a largement évolué. D’une part, la campagne de vaccination, notamment compte tenu de l’accélération récente qu’elle a connue, nous permet d’envisager une période d’accalmie, avec le retour des beaux jours. D’autre part, la propagation des variants, entre autres complications, nous incite à la prudence.
En tout état de cause, deux choses sont à ce stade certaines.
Tout d’abord, personne, ici, ne peut garantir que la situation sera nettement meilleure en juin prochain qu’elle ne l’est aujourd’hui, même si de nombreux indicateurs nous permettent légitimement de l’espérer.
Ensuite, personne, ici, ne peut garantir non plus que la situation sera nettement meilleure en septembre ou en octobre prochain qu’elle ne le sera en juin,…
Mme Vanina Paoli-Gagin. … même si, encore une fois, de nombreux indicateurs nous permettent légitimement de l’espérer.
Nous devons donc nous rendre à l’évidence : au cours des prochains mois, la situation demeurera placée sous le signe de l’incertitude.
Toutefois, plusieurs éléments nous permettent d’envisager plus sereinement la bonne tenue d’un scrutin en juin prochain. J’identifie au moins trois arguments dans ce sens.
Le premier, c’est que nous avons acquis, depuis les élections municipales, une précieuse expérience en matière d’organisation de scrutins par temps d’épidémie. De manière plus générale, nous avons appris à vivre avec le virus. Nous nous sommes équipés pour nous protéger et avons intégré les gestes barrières. En somme, nous avons de quoi aborder plus sereinement la tenue des prochains scrutins.
Le deuxième argument est l’accélération de la campagne vaccinale. Les chiffres récents sont plutôt encourageants ; il nous faut absolument tenir ce rythme au cours des prochaines semaines, malgré les mauvaises nouvelles liées au déploiement du vaccin Johnson & Johnson. L’objectif des 30 millions de premières doses injectées d’ici à la mi-juin nous laisse envisager une participation plus sereine, notamment de la part de nos concitoyens les plus fragiles.
Ces deux premiers arguments ont sans doute emporté la conviction des maires, qui se sont majoritairement exprimés en faveur du maintien du scrutin en juin. Ils compteront, bien sûr, sur le concours de l’État s’agissant des aspects opérationnels de ces prochaines échéances.
Tout ce qui pourra être fait en amont pour garantir aux organisateurs les conditions les plus sûres au plan sanitaire devra être mis en œuvre. Des aménagements de la stratégie vaccinale pourraient d’ailleurs être envisagés, par exemple pour les assesseurs. Notre groupe est ouvert aux discussions sur ce point.
Il est bien sûr très important d’écouter l’avis des maires, qui seront concernés au premier chef, même si la décision échoit in fine à l’État. Nombre d’entre nous auraient préféré que la consultation se déroule dans de meilleures conditions, mais l’essentiel est que le Gouvernement puisse prendre une décision en connaissance de cause.
Le troisième et dernier argument, c’est que nous pouvons apprendre des nombreux autres pays qui ont fait face à des situations à bien des égards comparables et qui sont, malgré tout, parvenus à respecter leur calendrier électoral.
Je pense, bien sûr, aux élections présidentielles aux États-Unis, en novembre dernier. Je pense aussi à nos voisins européens, qui se sont rendus aux urnes et ont trouvé des solutions pour adapter la tenue des scrutins.
La flexibilité et l’innovation ont permis de sécuriser les modalités de vote. Le vote par correspondance a pris une place importante, tout comme le vote par anticipation. Dans certaines régions, notamment en Espagne, des plages horaires spécifiques ont été mises en place. De manière moins classique, certains votes se sont déroulés à l’extérieur, par exemple chez nos voisins des Pays-Bas, ou ont été étalés sur plusieurs jours.
La démocratie, tout comme les citoyens, fait preuve d’adaptation et d’inventivité, pour dépasser les obstacles auxquels elle est confrontée.
Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la démocratie est aussi précieuse qu’exigeante. Si elle n’est pas régulièrement exercée, elle court le risque de s’anémier.
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme Vanina Paoli-Gagin. Ainsi, le maintien des échéances électorales n’a pas à être justifié : il se justifie par la seule nécessité de faire vivre notre démocratie.
Seules les raisons qui pourraient contraindre à un report doivent, à notre sens, être examinées. De telles raisons doivent être particulièrement graves, exceptionnelles et ponctuelles pour qu’un report puisse être justifié. Notre groupe considère que, à ce jour, ces raisons ne sont pas réunies. C’est pourquoi nous voterons en faveur du maintien des élections en juin prochain.
Le décalage d’une semaine, avec un premier tour fixé au 20 juin et un second au 27 juin, nous paraît donner un peu plus de temps aux deux campagnes – vaccinale d’une part, électorale de l’autre – pour déployer leurs effets. Ce report nous paraît donc la meilleure proposition de compromis. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, quand nous vous avons demandé à maintes reprises d’associer davantage la représentation nationale et les élus locaux à la prise de décision dans la gestion de la crise, nous n’imaginions pas les épisodes quelque peu confus des derniers jours.
Nous notons néanmoins une légère amélioration : vous essayez de bien faire – nous le sentons –, et même si ce n’est pas encore cela, l’effort est louable.
Ce quatrième débat sur la base de l’article 50-1 de la Constitution en six mois est de loin le moins inutile de tous ; il est certainement moins inutile que la mascarade de démocratie que nous avons vécue il y a quinze jours.
Cette fois, vous avez pris le temps de consulter les groupes parlementaires et les partis, et nous retrouvons, dans les modalités d’organisation du scrutin que vous venez de nous présenter, quelques-unes des idées que nous avions formulées – c’est une première !
Vous avez également entrepris de consulter tous les maires de France. L’initiative est louable, mais quelque peu cavalière…
En effet, nonobstant les avis des associations représentatives des élus locaux, lesquelles se sont vexées – on les comprend ! –, vous avez interrogé les maires en leur laissant un délai de quarante-huit heures. Ce délai était un peu court pour leur permettre de consulter leur conseil municipal.
Vous pouvez entendre que nombre d’élus locaux aiment s’appuyer sur l’intelligence collective et asseoir leur décision sur les fondations solides de la concertation. Vous le verrez si vous poursuivez dans la voie que vous esquissez aujourd’hui : on y gagne en sérénité et on dort mieux la nuit. Je vous invite d’ailleurs à passer le message au Président de la République.
M. Laurent Duplomb. Il ne dort pas assez ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Gontard. Le caractère quelque peu expéditif de la consultation nous laisse quelque peu perplexes et nous étonne, pour reprendre vos mots.
Nous avons le sentiment, comme trop souvent, que cette consultation est sortie de votre chapeau quelques heures avant son lancement. Pourtant, le rapport du conseil scientifique datait du 29 mars : il y avait matière à laisser une ou deux semaines de battement aux maires.
Au-delà du timing, c’est surtout la question posée aux maires qui interroge : « Les conditions sanitaires préconisées par le conseil scientifique vous semblent-elles réunies pour organiser les deux tours du scrutin en juin ? »
Permettez-moi de me faire le porte-parole de nombreux maires de France et de vous retourner la question, monsieur le Premier ministre : les conditions sanitaires vous semblent-elles réunies ?
Pensez-vous que l’on aura effectivement vacciné la moitié du pays, dont l’intégralité des personnes à risque, d’ici à la mi-juin ?
Pensez-vous que vous serez en mesure de vacciner tous les agents, tous les présidents et tous les assesseurs de bureaux de vote qui en feront la demande ?
Pouvez-vous promettre que l’État prendra à sa charge l’ensemble du surcoût des opérations électorales, lequel ne peut pas incomber à des communes déjà exsangues ?
Pensez-vous être en mesure de mettre en place suffisamment en amont un protocole sanitaire précis et durable, pour permettre aux maires de s’organiser sans changement de dernière minute ?
J’ajoute une dernière question, que les maires se posent moins directement : pensez-vous être en mesure de protéger les candidates et les candidats, comme leurs équipes, ainsi que toutes les personnes qu’ils rencontreront, en favorisant leur accès rapide à la vaccination et en les équipant en autotests ?
Voilà autant de réponses dont les maires, comme les parlementaires, auraient aimé disposer pour se prononcer en disposant de toutes les informations nécessaires.
Un doute me taraude, monsieur le Premier ministre : qu’attendiez-vous de la réponse des maires ? Qu’elle vous offre un prétexte pour repousser les élections ?
M. Laurent Duplomb. Eh oui !
M. Guillaume Gontard. Qu’elle vous permette de vous décharger de la responsabilité de cette décision ?
M. Laurent Duplomb. Aussi !
M. Guillaume Gontard. La réponse des maires de France et la forte participation à cette consultation, aussi expresse qu’un sondage sur Twitch (Sourires.), ne nous surprennent pas.
L’attachement des maires à notre démocratie ne nous surprend pas davantage : comme nous, ils pensent que, malgré les craintes légitimes, la démocratie ne doit pas être confinée.
Aussi, même si nous n’avons pas tous les éléments, même si l’incertitude pèse et continuera de peser sur ce scrutin, nous pensons, comme l’essentiel des forces politiques, que notre démocratie doit vivre avec le virus.
Nombre de nos voisins européens et d’autres pays ont voté ces derniers mois ou le feront ces prochains mois. J’aimerais faire un petit rappel à l’attention du ministre de l’intérieur : il n’y a aucune raison que la France ne soit pas capable d’organiser des élections – ce serait même inquiétant et quelque peu déshonorant !
Sauf cataclysme sanitaire, ces élections doivent se tenir. Nous le pensions hier et nous le pensons aujourd’hui. C’est pourquoi nous voterons en faveur de la proposition que vous formulez aujourd’hui.
C’est d’autant plus facile que la plupart des modalités d’organisation du scrutin que vous proposez nous conviennent : faciliter les procurations, même si les propositions adoptées par le Sénat en la matière étaient plus ambitieuses que les vôtres ; élargir les horaires de vote dans toutes les communes où c’est pertinent ; installer des bureaux en extérieur quand cette organisation est possible ; prévoir une plage horaire privilégiée pour les personnes à risque ; avoir un même scrutateur pour les deux scrutins, comme vous l’avez annoncé ; enfin, créer la possibilité pour les assesseurs et les agents de procéder au dépouillement.
Tout cela est frappé au coin du bon sens. Gravez au plus vite dans le marbre ce protocole qui se dessine, afin de laisser le temps aux maires et aux services de l’État de s’organiser.
J’attire simplement votre attention sur le recrutement des scrutateurs pour le dépouillement. Ce dernier s’annonce complexe : les mêmes précautions de vaccination ou de test seront plus dures à prendre que pour les assesseurs et les agents. C’est bien cette phase du scrutin qui s’annonce la plus délicate.
Si, malgré les défis logistiques et sanitaires, l’organisation du scrutin ne semble pas insurmontable, celle de la campagne électorale pose davantage de difficultés.
La liberté de déplacement des candidats était nécessaire, et vous l’autorisez. Vous proposez une clause de rendez-vous pour les rassemblements en plein air. Très bien ! Toujours est-il que le gros de la campagne sera dématérialisé, et c’est sur ce point qu’il faut concentrer l’effort.
Vous prévoyez des campagnes d’informations gouvernementales, un site internet regroupant toute la propagande de tous les candidats à tous les scrutins, des débats sur les chaînes du service public dans toutes les régions : ces mesures représentent un début de solution, mais il faut aller plus loin.
Nous vous demandons de doubler l’envoi de la propagande électorale : un premier envoi à un mois du scrutin, un autre, classiquement, la semaine précédant le vote. Nous souhaitons aussi doubler à quatre pages la taille des circulaires dites « professions de foi » : ce sera souvent le seul document que recevront les électeurs, faute de distribution de tracts.
Nous vous demandons également d’adresser les instructions nécessaires pour que les panneaux électoraux soient en place dès le début de la campagne officielle, soit le 1er juin, afin d’amplifier les possibilités d’affichage.
Nous vous invitons également à assouplir la production des clips de campagne et à avancer et élargir leur diffusion sur toutes les antennes locales du service public audiovisuel.
Vous envisagez un débat par région sur ces mêmes antennes. C’est un minimum auquel nous vous demandons de veiller. Il n’y a pas de raison en la matière de léser les départements : il est nécessaire d’organiser au moins un débat par département.
Pour cette campagne largement dématérialisée, il faut « mettre le paquet », si j’ose dire, et l’État doit y prendre toute sa part.
Dans le flou de la période, peut-être serait-il également opportun que le Gouvernement précise par une circulaire ce qui relève, dans les moyens d’action et de communication des exécutifs locaux, de l’indispensable lutte contre la pandémie et ce qui participe de l’utilisation de ces moyens à des fins de campagne électorale.
Voilà, monsieur le Premier ministre, pour compléter votre concertation de nouvelles recommandations, que vous ne manquerez pas de faire vôtres. J’y ajouterai l’allongement de la campagne officielle à vingt-six jours, puisque vous avez annoncé que vous alliez déposer un texte de loi.
Afin d’éviter qu’une incertitude similaire pèse sur l’élection présidentielle et les élections législatives, ce qui serait démocratiquement catastrophique, allez-vous enfin vous battre pour lever les brevets des vaccins et favoriser leur diffusion en France comme dans le monde, limiter la multiplication des variants ravageurs, et nous permettre de voir, enfin, le bout du tunnel ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants. (Acclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous remercie de m’accueillir avec tant d’honneurs !
Pour commencer mon propos par une touche d’humour, je veux tout de suite me tourner vers le président François-Noël Buffet : mon cher collègue, pour vous ôter immédiatement d’un doute et éviter tout suspense, je vous indique que le groupe RDPI se prononcera favorablement à la tenue des élections en juin. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Cela mérite néanmoins quelques explications ! La séance d’aujourd’hui a pour but de mettre chacun face à ses responsabilités quant à la tenue des élections et d’éviter de futures confusions si les conditions venaient à changer, ce que nous ne souhaitons pas.
Dans votre déclaration du 1er avril dernier, vous avez affirmé sans ambiguïté, monsieur le Premier ministre, que seules des raisons sanitaires impérieuses seraient de nature à entraîner une modification des dates des scrutins.
Après avoir beaucoup consulté, le Gouvernement s’en tient aujourd’hui à cette position. Le 1er avril, j’exprimais ici le vœu de nous voir sortir des débats binaires et manichéens. Il semble que ce soit difficile…
Le débat est apaisé aujourd’hui, mais il a été rude au cours des dernières semaines. Pourquoi tant de passion, de fausse gravité, de mises en causes et de procès d’intention ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
J’entends parfaitement ceux qui affirment que la démocratie ne peut être confinée, que la date d’une élection se décrète en fonction non pas d’une occasion, mais de la loi et du respect de la Constitution.
Toutefois mes chers collègues, si la Constitution implique le respect de la loi, elle implique aussi d’assurer la protection des Français. Je rappelle que, en 2007, les élections municipales ont été reportées d’un an et, en 2015, les élections régionales de neuf mois : à l’époque, cela n’avait posé aucun problème à personne !
Si l’on considère que la vie démocratique doit respirer, sa respiration sera de type covid, haletante et essoufflée, si la campagne ne peut se dérouler normalement et si les conditions de vote sont trop coercitives.
J’entends souvent évoquer le manque de concertation, l’absence de dialogue, la verticalité. Pourtant, ce nouveau débat sur la base de l’article 50-1 de la Constitution est loin d’être le premier. Jamais le Parlement n’aura été autant consulté ! (Marques d’ironie sur les travées du groupe CRCE.)
Pourquoi dépassionner le débat et analyser lucidement la situation ne serait-il pas possible ?
Repousser les élections de six mois, quand une grande majorité des Français sera vaccinée et qu’une véritable campagne pourra se dérouler, serait, pour les oppositions, une manipulation, une manœuvre sournoise au service d’intérêts douteux ? Non !
Mes chers collègues, la majorité ne redoute pas ces élections, pas plus que vous ne redoutez l’élection présidentielle ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Une consultation lucide, sereine et représentative doit se dérouler sous trois conditions, par ailleurs très bien décrites par l’un de nos collègues franc-comtois de la majorité sénatoriale.
Première condition : le climat dans lequel se déroulent les élections. Pensons-nous vraiment que les élections locales sont aujourd’hui la première préoccupation de nos concitoyens et que le renouvellement des présidents des conseils régionaux et départementaux soit leur priorité ? On peut en douter. Selon moi, ils aspirent davantage à sortir de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques et sociales, ainsi qu’à retrouver leur vie d’avant.
M. Laurent Duplomb. Ils s’interrogent surtout sur la façon dont la crise sanitaire est gérée !
M. François Patriat. Je n’ai pas croisé de nos concitoyens me suppliant à tout prix de pouvoir aller voter. Plus souvent, ils nous reprochent de ne penser qu’aux élections !
Deuxième condition : le déroulement de la campagne. Nous sommes en état d’urgence sanitaire, ce qui explique l’absence de contacts, de réunions, de rendez-vous et de porte-à-porte. Comment peut s’exercer la confrontation des idées et des programmes, ainsi que la rencontre avec les électeurs ? L’élection ne se réduit pas à un jour ou deux de vote en mairie !
Je sais bien que beaucoup se moquent du taux de participation. Pour ma part, je ne me satisfais pas de certains résultats des élections municipales, au cours desquelles des maires de grande ville ont été élus par 14 % des électeurs inscrits… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Et les législatives de 2017 ?…
M. François Patriat. Pensez-vous que tout le monde a accès à une campagne numérique, surtout en milieu rural ? Que tous les candidats aux départementales auront droit à un débat télévisé ? Non ! Certains doutent d’une réelle légitimité des personnes élues si l’expression du pluralisme n’a pu avoir lieu, si l’accès à la notoriété n’a pas été égal.
Troisième condition : l’organisation du scrutin, ainsi que les modalités concrètes permettant de le mettre en place.
Bien sûr, vous avez raison, la France ne peut être le seul pays à ne pas pouvoir voter. Mais le conseil scientifique a indiqué que, si les élections devaient se dérouler, un protocole renforcé serait nécessaire, avec les contraintes que nous connaissons : celles-ci devront être portées à la connaissance de ceux qui seront chargés d’organiser les opérations de vote, c’est-à-dire les maires.
C’est pourquoi je salue la consultation des maires de France, auxquels nous allons demander d’assumer l’organisation des élections. Le taux de réponse, d’ailleurs assez contrasté, auquel elle a donné lieu montre que cette consultation était nécessaire. Certains y ont vu une ultime manœuvre. Je le regrette, car elle a été organisée à la suite des nombreuses craintes exprimées par les territoires.
Sans aucune intervention de ma part, le département dont je suis l’élu a d’ailleurs majoritairement voté pour un report des élections.
M. Laurent Duplomb. Oh !
M. François Patriat. En revanche, je sais que beaucoup de grands élus ont fait pression, par courrier, mail ou téléphone, pour qu’il n’y ait pas de report. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et SER.) Que redoutaient-ils donc ? Les mêmes qui pensaient que trois jours pour répondre à la consultation constituaient un délai trop court ont eu le temps et les moyens d’intervenir lourdement…
Le taux de réponse massif a bien montré que l’unanimité n’était pas celle qui a été avancée par les instances représentatives. La réponse des maires est l’expression de craintes justifiées et d’exigences auxquelles il nous faudra répondre. Leurs propositions, d’ailleurs pertinentes, seront entendues et prises en compte.
J’entends bien tous les arguments pour le maintien des élections, et nous n’y sommes pas insensibles.
Nous croyons à l’engagement pris par le Gouvernement de desserrer l’étreinte à la mi-mai, d’avoir fait vacciner 30 millions de personnes en juin, voire 31 ou 32 millions le 27 juin, et de nous permettre de reprendre la plupart de nos activités.
D’autres pays ont voté dans des conditions variées, avec des taux de participation très différenciés. J’entends que la démocratie doit être respectée. Tous ces arguments sont fondés.
Si nous sommes en mesure de répondre à l’ensemble des interrogations, si un consensus se dessine avec les associations représentatives, les partis et les mouvements, le Gouvernement reprendra les propositions dans la loi qui sera votée. Le scrutin peut être envisagé en juin.
Nous y sommes également favorables, afin de ne pas laisser entendre, comme j’en ai souvent eu l’impression, qu’il existerait deux camps dans notre pays : d’un côté, ceux qui en appellent aux grands principes et qui voudraient que la voix populaire s’exprime ; et, de l’autre, ceux qui redouteraient le suffrage, craindraient le verdict du peuple, seraient imprégnés d’arrière-pensées et se livreraient à des manœuvres politiciennes. Assurément, ce n’est pas le cas !
Notre seul souci est que les Français soient bien protégés, prémunis et informés et qu’ils puissent participer à une compétition large et loyale permettant de désigner des assemblées représentatives.
Aussi, oui, le Gouvernement devra prendre toutes les mesures, certaines déjà évoquées et d’autres à venir. Je pense à la transmission aux maires d’un guide régulièrement mis à jour relatif à l’organisation du scrutin ; à la mise à la disposition des candidats d’un kit de campagne numérique ; ou, le jour du scrutin, à la mise en place de plages horaires préférentielles pour les publics vulnérables, les personnes contaminées ou susceptibles de l’être.
Ces mesures permettront une campagne digne, une véritable égalité de traitement entre les candidats, et une participation importante des électeurs en toute confiance, transparence et sécurité.
Ainsi, à l’heure où les Français retrouveront leurs libertés, permettons-leur d’exercer ce droit fondamental qu’est le droit de vote. Maintenons les élections au mois de juin prochain ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Laurent Duplomb. Quelle mauvaise foi !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, les juristes aiment user de locutions latines pour caractériser telle ou telle règle de droit ou situation atypique, exactement comme celle que notre pays subit depuis maintenant plus d’un an. Aussi serais-je tenté de vous dire à cet instant, monsieur le Premier ministre : non bis in idem, c’est-à-dire « pas deux fois la même chose » !
M. Philippe Bas. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Nous sommes légitimement en droit de nous interroger sur l’intérêt d’utiliser, une fois de plus, l’article 50-1 de la Constitution, que nous avons encore eu l’occasion d’apprécier il y a quelques jours.
Pour tout vous dire, nous autres parlementaires ne savons plus s’il faut considérer que nous sommes là pour entériner symboliquement des décisions déjà prises dans des enceintes plus confidentielles, ou si nous servons d’excipient pour mieux diluer la responsabilité de décisions que l’exécutif ne souhaite pas nécessairement endosser dans sa globalité.
Bien sûr, personne ne niera la difficulté de votre tâche, monsieur le Premier ministre, ni même la complexité de décider sous la pression d’une opinion publique fatiguée et d’élus parfois versatiles, y compris parmi vos plus proches soutiens. Nous en avons bien conscience !
Pour autant, je vais vous répéter exactement ce que je vous disais il y a une semaine à cette tribune : nous n’avons pas la même définition du choix collectif dans une démocratie parlementaire.
Or, au fond, ce dont nous débattons aujourd’hui n’est rien d’autre que la question fondamentale pour notre société de sa continuité démocratique dans des circonstances exceptionnelles. Nous avions déjà abordé cette question l’année dernière à l’occasion du report des élections municipales. Nous aurions gagné à y apporter des réponses non pas circonstanciées, mais pérennes, au lieu de devoir encore revenir sur le sujet à l’occasion de l’examen du projet de loi que vous nous avez annoncé pour le mois de mai.
Dans notre conception d’une République moderne et transparente, nous aurions souhaité que toutes les options relatives au calendrier électoral soient mises d’emblée sur la table, nonobstant toutes les incertitudes liées à l’évolution de la situation pandémique, en particulier lors de nos débats sur la loi du 22 février dernier.
Cela aurait sans doute évité les effets désagréables d’une consultation des maires précipitée en un week-end – quand bien même elle aura eu le mérite d’exister et de donner une voix à ceux qui se retrouveront une nouvelle fois en première ligne, pour organiser le scrutin dans les meilleures conditions possible.
Je tiens d’ailleurs à saluer la grande réactivité des maires de France dans l’Hexagone et en outre-mer, qui ont été près de 24 000 à répondre à cette consultation, quel que fût le sens de leur réponse, en à peine quelques heures. Je n’oublie pas non plus l’implication des associations d’élus, dans toute la diversité de leur expression.
Monsieur le Premier ministre, vous le savez, puisque je vous en ai fait part par courrier la semaine dernière, mon groupe est avant tout viscéralement attaché au respect, en toutes circonstances, des principes fondamentaux de notre vie démocratique, qui doivent régir aussi bien la régularité du déroulement de la campagne électorale que la sincérité du scrutin et l’égalité entre tous les candidats.
Or, vous en conviendrez, il n’existe pas à ce jour de solution idéale à même de garantir un déroulement normal du scrutin, que ce soit juridiquement ou politiquement, dès lors que les conditions sanitaires qui seront celles du mois de juin prochain sont incertaines. Faut-il alors lâcher la proie pour l’ombre ? Nous ne le pensons pas, et je vous confirme que mon groupe se ralliera dans sa majorité à l’idée de maintenir les deux scrutins en juin prochain.
C’est en toute responsabilité que nous nous prononçons, en ayant parfaitement à l’esprit que notre économie est dans un état plus qu’inquiétant, que nos restaurateurs n’en peuvent plus d’attendre, que le monde de la culture est en train de se nécroser et que notre système de santé s’approche trop souvent du point de rupture.
L’urgence d’un retour à une vie normale se fait sentir partout. Nous y incluons évidemment l’urgence de la continuité démocratique, car si l’on peut maintenir les entreprises ouvertes, les bureaux de vote peuvent l’être aussi.
Monsieur le Premier ministre, nous y attachons d’autant plus d’importance que le plus grand risque, nous le savons tous, est celui d’une abstention massive de nos concitoyens.
Cette abstention serait encore plus significative à l’heure où les réseaux sociaux forgent l’opinion, ce qui pourrait conduire à une ochlocratie – le régime dans lequel la foule impose sa volonté –, où le complotisme ne s’est malheureusement jamais aussi bien porté et où l’on assiste à un recul inquiétant du rationalisme chez nos jeunes concitoyens. Cessons de nous lamenter et agissons plutôt pour que l’abstention ne soit pas le premier parti de France, ouvrant la voie à une légitimation des extrémistes !
Dans ces circonstances, comme l’ont relevé de nombreux maires consultés, il convient de s’appuyer sur l’expérience du renouvellement des conseils municipaux l’année dernière.
Nous disposons aujourd’hui d’élus et de personnels municipaux parfaitement formés et réactifs. Je n’imagine pas un électeur se rendre dans un bureau de vote sans utiliser du gel hydroalcoolique ou respecter les distances. Les gestes barrières font désormais partie de notre quotidien.
Nous considérons, par conséquent, que les mesures que vous avez annoncées vont dans une direction satisfaisante, quand bien même elles n’apportent pas de garanties absolues : report d’une semaine du scrutin – il coïncidera avec le départ du Tour de France ! (Sourires.) –, aménagement des bureaux de vote, bien sûr, extension des horaires de vote, double procuration et vaccination des assesseurs, sachant qu’il est déjà difficile d’en trouver habituellement.
Pour autant, je ne veux pas oublier les réticences des quelque 40 % de maires favorables à un report, qui attendent notamment qu’une plus grande partie de la population ait été vaccinée.
Quoi qu’il en soit, il importe par-dessus tout que l’égalité entre tous les candidats soit garantie. À ce sujet, soyons clairs : l’interdiction de toutes les réunions en intérieur comme en extérieur donnera à cette campagne électorale une nature singulière, comme un air de démocratie en quarantaine.
De même, la centralisation des professions de foi sur un site internet soulève encore une fois la question de l’égal accès de nos concitoyens à cette information indispensable pour éclairer leur choix. Nous en reparlerons d’ailleurs tout à l’heure, lors de la discussion de la proposition de loi du RDSE relative à la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique.
Mes chers collègues, j’attire encore votre attention sur les conditions particulières dans lesquelles se dérouleront les scrutins dans les petites communes rurales, en termes aussi bien de moyens que d’application des règles de distanciation.
L’éventuelle organisation du vote en extérieur, qui a pu être évoquée, ne nous paraît pas raisonnable. En effet, un vent malin pourrait disperser les bulletins de vote ! (Sourires.) Il conviendra de réfléchir à des solutions opérationnelles, avec le soutien de l’État.
Monsieur le Premier ministre, c’est avec la conviction profonde que nous devons approfondir sans relâche ce qui nous relie tous, citoyens de ce pays, face aux immenses défis qui s’imposent à nous, que la majorité du RDSE approuvera votre déclaration. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Julien Bargeton applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, la loi du 22 février 2021 porte en son nom le principe du report de mars à juin 2021 des élections des conseils départementaux et régionaux. Aussi, nous pouvons être surpris de l’organisation de ce débat suivi d’un vote au titre de l’article 50-1 de la Constitution.
Le développement économique, l’aménagement du territoire, les collèges, les lycées, les solidarités sociales et territoriales : autant de compétences exercées par les conseils régionaux et les conseils départementaux qui font au quotidien la vie des Françaises et des Français.
Oui, monsieur le Premier ministre, la vie démocratique est exigeante. Elle est de la responsabilité de chacune et de chacun. Personne ne peut se défausser de sa responsabilité quant à sa mise en œuvre. Il appartient donc au Gouvernement et à l’État de tout faire pour que cette vie démocratique puisse avoir lieu. Vous en êtes le garant.
La situation sanitaire, avec la pandémie de la covid-19, est sans précédent depuis plusieurs décennies dans notre pays. Ce sont près de 100 000 personnes qui sont décédées, et autant de familles endeuillées. Mon propos ne traduit aucune minimisation de cette situation sanitaire.
La vaccination se développe dans notre pays, même si elle demeure insuffisante, comme nous l’avons souligné, notamment en raison de l’absence de doses de vaccins disponibles.
Nous sommes donc réunis une nouvelle fois pour débattre de la tenue des élections départementales et régionales.
Personne ne découvre qu’il y aura cette année deux scrutins à organiser le même jour. Nous le savons depuis la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions. De même, la tenue des élections au mois de juin est connue depuis plusieurs semaines.
Soyons clairs, monsieur le Premier ministre, personne ne vous reproche de consulter, de partir des réalités du terrain, pour prendre les meilleures décisions et garantir que, partout sur le territoire de la République, les campagnes électorales et les élections puissent se tenir.
Néanmoins, dès la promulgation de la loi du 22 février dernier, vous pouviez organiser une consultation des maires sur les modalités du report et l’organisation du scrutin, un scrutin qui, je le rappelle, rassemble deux élections le même jour.
Les groupes parlementaires et les formations politiques auraient apprécié d’avoir ce retour du terrain, fruit d’un travail de concertation de plusieurs semaines, avant de vous remettre nos contributions le 8 avril dernier.
De fait, monsieur le Premier ministre, le référendum express du week-end dernier ne peut être assimilé à une consultation. Mais nous nous souviendrons de votre capacité à pouvoir informer et consulter en un temps record l’ensemble des maires de notre pays… Ainsi, les difficultés rencontrées ces derniers mois dans la relation avec les élus locaux, souvent mis devant le fait accompli, ne se reproduiront plus ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
Nous sommes donc rassurés quant à la capacité de votre gouvernement à consulter les élus locaux, par exemple à propos de l’évolution du protocole sanitaire en vigueur dans les écoles qui impose de nombreuses réorganisations dans les communes ; les maires sont demandeurs de toutes ces consultations ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et Les Républicains.)
À l’occasion de ce débat, nous voulons rappeler qu’une élection démocratique se déroule en trois moments importants : la campagne, le vote et le dépouillement. Il convient de sécuriser, d’un point de vue tant sanitaire que démocratique, ces trois temps. Nous avons tous conscience de l’acuité de la question de l’abstention, que la situation sanitaire peut aggraver, même si elle est surtout le fruit d’une crise politique, à laquelle il nous faut, au-delà de la crise sanitaire, répondre.
Tout d’abord, en ce qui concerne la campagne, celle-ci sera singulière – tous les candidats en ont pris acte. Ce temps de rencontre avec nos concitoyennes et concitoyens, de confrontation des idées et d’incarnation des propositions par les candidates et les candidats demeure indispensable. Le numérique ne peut être l’alpha et l’oméga de ce moment ; une campagne électorale est aussi faite, et même surtout, de relations humaines, d’écoute et d’attention. Cette campagne ne doit pas accroître la fracture numérique qui existe dans notre pays ; il n’y a pas, d’un côté, les « supercitoyens » connectés et, de l’autre, les citoyens « has been », éloignés du numérique : tous iront voter !
Le report d’une semaine par rapport à la date initialement prévue signifie une semaine supplémentaire de campagne et nous espérons qu’elle se déroulera dans une situation sanitaire plus sereine que celle d’aujourd’hui.
Quant à votre proposition de l’organisation, à l’échelle régionale, d’un débat télévisé entre tous les candidats, nous serons attentifs à son format, ainsi qu’au jour et à l’horaire de sa diffusion ; peut-être faudra-t-il d’ailleurs en prévoir des rediffusions. Pourquoi ne pas travailler également à des clips de campagne qui pourraient être diffusés au moment des décrochages régionaux ?
Demeure toutefois la question des élections départementales, qui sont tout aussi importantes que les élections régionales.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. C’est vrai !
Mme Cécile Cukierman. Là encore, les médias, dans leur diversité, doivent rendre visibles non seulement les compétences du département, mais encore le débat démocratique au sein de chaque canton.
Ensuite, en ce qui concerne le vote, nous savons d’ores et déjà que les maires ont à cœur que toute la sécurité soit assurée. Il faut donc travailler jusqu’à la tenue du scrutin pour adapter les opérations de vote. Nous ne sommes pas favorables à une modification des habitudes de vote, qui sont des repères pour chacun ; c’est pourquoi nous ne souhaitons pas l’élargissement systématique des horaires, qui doit relever de l’exception.
Enfin, en ce qui concerne le dépouillement, il s’agit, nous le savons, du moment pendant lequel la proximité et le brassage sont les plus importants. Là encore, nous pensons que la puissance publique doit rappeler, à l’échelon national, que tout électeur peut participer aux opérations de dépouillement, car nous avons de plus en plus de difficultés, dans nombre de communes, à trouver des scrutateurs. Il faudra également trouver des lieux suffisamment aérés et spacieux pour permettre la présence de plusieurs tables de dépouillement, afin de garantir la sincérité de celui-ci.
Monsieur le Premier ministre, nous avons toujours défendu le maintien de ces élections ; nous avions acté, en février dernier, leur report au nom de la crise sanitaire, mais nous avions indiqué à l’époque que ce report devait être mis à profit pour garantir que la campagne se déroule dans les conditions les plus satisfaisantes possible et que le scrutin ait bien lieu au mois de juin.
Vous avez attendu le week-end dernier pour demander l’avis des maires. Vous nous annoncez aujourd’hui la mise en place d’un comité pluraliste visant à travailler sur les modalités d’organisation et la préparation d’un nouveau projet de loi pour permettre certaines adaptations, certes indispensables. Que de temps perdu pour arriver à une telle précipitation qui, oui, pourrait laisser penser que votre objectif initial n’était pas de tout mettre en œuvre pour la tenue, en juin prochain, de ces deux scrutins !
Nous prenons acte de vos propositions ; nous vous rappelons votre responsabilité à l’égard de la santé des Françaises et des Français et du maintien de la démocratie locale.
Vous nous demandez aujourd’hui un vote.
Il n’y a, de notre part, aucun soutien à votre politique ou à votre stratégie, alors même que nous vous proposons, depuis le début de la crise, d’associer davantage de personnes à l’élaboration des indispensables réponses à celle-ci.
Néanmoins, parce que nous ne jouons pas avec les scrutins de façon politicienne, parce que nous avons le souci de la démocratie locale, qui ne doit jamais être confinée, nous voterons très majoritairement en faveur du maintien de ces deux scrutins, en vous demandant solennellement, monsieur le Premier ministre, de tout mettre en œuvre pour en assurer la réussite démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Monsieur le Premier ministre, je vous ai écouté attentivement et je vous ai senti soulagé : soulagé que le calendrier adopté par le Parlement en février dernier soit respecté ; soulagé, sans doute, que le résultat de cette consultation des maires ait été conforme à vos attentes ; soulagé, en somme, que les échéances démocratiques soient respectées. Eh bien, figurez-vous que nous le sommes aussi, monsieur le Premier ministre !
Nous ne sommes pas soulagés pour nous-mêmes ; nous le sommes pour la démocratie française.
Voyez-vous, j’ai la faiblesse de penser que la consultation des maires a été organisée avec le secret espoir que l’idée du report serait majoritaire. (Marques d’assentiment sur des travées du groupe Les Républicains.) J’ai également la faiblesse de penser que cette consultation a été organisée pour contourner l’avis de la majorité des corps intermédiaires – partis, associations d’élus, etc. – qui étaient favorables au maintien. (Nouvelles marques d’assentiment) J’ai encore la faiblesse de penser que, au plus haut sommet de l’État, on souhaite, depuis le 13 juin 2020, le report des élections territoriales au-delà des élections présidentielles. Mais, avec cette consultation, « caramba, c’est encore raté ! » (Sourires.)
Oui, nous sommes soulagés pour la santé de la démocratie française. Aujourd’hui, il s’agit non pas d’exprimer un point de vue d’opportunité, mais de prendre nos responsabilités. La grandeur de la politique, c’est d’exprimer des choses fortes et graves, indépendamment des intérêts du moment, des sondages et des aléas.
Sommes-nous toujours capables, en ces temps difficiles, de faire vivre notre démocratie, j’oserais presque dire de la soigner ? Sommes-nous toujours capables de faire vivre une démocratie en bonne santé malgré la crise, la maladie, le confinement, la souffrance et l’exaspération de nos concitoyens ? Monsieur le Premier ministre, je pense que c’est une nécessité ; c’est l’enjeu même de ces futures échéances électorales.
Certes, en mars de l’année dernière, il pouvait être naturel de reporter le second tour des élections municipales, car nous n’avions que peu d’informations sur le virus, mais la chanson n’est plus la même aujourd’hui. Depuis plus d’un an, nous vivons quotidiennement avec le virus, les gestes barrières, les masques et les restrictions de liberté. Oui, notre vie est affectée par le virus, mais elle ne s’arrête pas et elle ne saurait être confinée. Il en va de même pour la démocratie : celle-ci ne peut pas s’arrêter.
Je parlais, en introduction, d’une démocratie en bonne santé ; une démocratie en bonne santé, c’est le meilleur vaccin contre le populisme, contre l’extrémisme, contre les « passions tristes », comme le disait Spinoza. Et je crains qu’il nous faille plusieurs doses de ce vaccin…
Une démocratie en bonne santé, c’est tout d’abord le respect de nos institutions. Il faut que le Gouvernement écoute les parlementaires et les élus locaux. Le recours abusif au conseil de défense, par exemple, n’est pas une preuve de bonne santé démocratique. Vous avez largement écarté le Parlement de la gestion de la crise ; députés et sénateurs ne participent pas ou plus à la décision, on les informe après coup, quand tout est fait.
Quand j’entends le président du groupe Union Centriste, Hervé Marseille, dire, avec son sens de l’humour, que le meilleur outil du parlementaire est son poste de télévision, je souris, mais je m’inquiète aussi…
Nous avons tenté de vous tendre la main, de participer à la décision, mais notre démocratie est malade de ne reposer que sur un homme seul. C’est d’ailleurs le mal endémique de la Ve République, dans sa version « quinquennat ».
Dans une démocratie en bonne santé, le citoyen ne peut pas se limiter à choisir son président, fût-ce Jupiter, une fois tous les cinq ans. Nos institutions, ce sont d’abord nos maires, les fantassins de la République, ceux que vous avez sollicités vendredi dernier en toute hâte pour les exhorter à émettre, en quarante-huit heures, un avis binaire sur le maintien du scrutin. Nos institutions, nos élus locaux, méritent davantage de respect.
Une démocratie en bonne santé, c’est également le respect des corps intermédiaires, des syndicats, mais aussi des associations professionnelles ou d’élus. Quand le Gouvernement sollicite l’avis de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), de l’Assemblée des départements de France (ADF) ou de Régions de France, il faut écouter ces institutions et prendre en considération leur avis, non les enjamber, si leur réponse ne vous convient pas ou si vous n’avez pas confiance.
Oui, les élus de la République sont politiques et font, par nature, de la politique, mais, non, cela ne veut pas dire que leur avis est intéressé ou ne mérite pas d’être entendu, surtout quand il a été sollicité. Je suis moi-même élu départemental et, quand je lis les propos de Dominique Bussereau, président de l’ADF, je vois que c’est quelqu’un qui est capable d’objectivité, apte à dire quand les choses vont dans le bon sens et à saluer les bonnes décisions, mais aussi à alerter, quand une décision pose problème ou est inacceptable.
M. Olivier Henno. Les corps intermédiaires font partie des acteurs majeurs de notre démocratie et leur voix mérite d’être entendue et respectée.
Une démocratie en bonne santé, c’est, enfin, une démocratie qui respecte les libertés fondamentales. Comme le président du Sénat, Gérard Larcher, l’a exprimé avec force dans la presse ces derniers jours, le droit de vote est garanti par notre Constitution – décidément, j’ai de bons auteurs… (Sourires.)
Il serait donc inconcevable qu’une grande démocratie comme la France ne soit pas capable d’organiser des scrutins électoraux. Voyez nos voisins européens, qui continuent de voter ! Voyez nos alliés historiques, de l’autre côté de l’Atlantique, qui organisent une élection présidentielle au plus fort de la pandémie ! Je ne peux pas imaginer que nous ne soyons pas capables d’organiser un scrutin territorial chez nous !
Évidemment, des mesures exceptionnelles sont à prendre, mais rien ne doit pouvoir arrêter le train de la démocratie. Penser que nous pourrions, pendant encore plusieurs mois, arrêter ce train reviendrait à sortir du cadre démocratique.
Monsieur le Premier ministre, je sais que vous êtes, de longue date, favorable au maintien de ces échéances et je vous en remercie. Votre rôle est aussi de veiller au respect des institutions et des principes qui régissent notre République.
Lors d’un voyage personnel au Vietnam, j’avais été étonné par la réponse d’un guide à qui je demandais ce que cela lui faisait de vivre dans un régime militaire. Il m’avait répondu : « C’est simple, nous pouvons tout faire, nous avons tous les droits, toutes les libertés, sauf de critiquer le Gouvernement ! » (Marques d’indignation au banc du Gouvernement.) Si la seule différence entre un régime militaire et une démocratie réside dans la possibilité de critiquer le Gouvernement, c’est que la démocratie est en danger ! La démocratie, c’est beaucoup plus. C’est faire face ensemble, malgré les difficultés.
Dans cette période trouble, la démocratie doit démontrer sa force, sa plus-value, son supplément d’âme. Elle ne peut pas montrer sa supériorité seulement par beau temps. Il doit aussi y avoir une démocratie par gros temps, une démocratie qui démontre qu’elle est le meilleur régime dans une tempête.
Je souhaite terminer mon propos, monsieur le Premier ministre, par les propositions de notre groupe pour permettre la bonne tenue de ce scrutin.
Nous suggérons que le service public audiovisuel soit mis à contribution plus qu’à l’accoutumée – cela a été dit – et que l’implication de la presse quotidienne régionale soit recherchée au-delà de son implication habituelle.
J’y ajouterai quelques préoccupations concrètes, que mes collègues du groupe UC ont entendues le week-end dernier. Les maires souhaitent que l’État leur donne des autotests et que des règles claires, mais non contraignantes, soient fixées pour les assesseurs et le dépouillement – vous en avez parlé dans votre intervention, monsieur le Premier ministre.
Notre groupe votera majoritairement pour la tenue des élections en juin prochain, parce qu’il est lassé de ces débats permanents sur la modification des modes de scrutin, sur d’éventuels redécoupages ou encore sur des variations de calendrier.
Pour améliorer sa santé, notre démocratie a besoin de calme, de stabilité, j’allais dire de sagesse. La grandeur de la démocratie, la légitimité des élus, c’est l’onction du suffrage universel, ce sont ces beaux dimanches de printemps, pendant lesquels les candidats montent sur la balance, ces dimanches au matin desquels les candidats se lèvent en se disant « En avant pour le grand frisson de l’élection ! »
Mes chers collègues, je voulais, au nom du groupe UC, vous faire partager notre amour de la démocratie et les raisons profondes pour lesquelles nous disons majoritairement « oui » à l’organisation des élections départementales et régionales au mois de juin prochain. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, y a-t-il une stratégie gouvernementale en matière d’élection depuis un an ? En général, on préjuge que les décisions politiques reflètent une volonté, mais il existe, en sociologie, un autre modèle explicatif : celui de l’anarchie organisée, dans lequel les décisions sont le produit d’une combinaison aléatoire, et non d’un processus rationnel. Dans cette perspective, il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout…
Votre comportement en matière électorale, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, illustre parfaitement cette maxime, sans que soit exclue une part de malice.
La séquence a en effet été étonnante, quand elle n’était pas incongrue. Si l’on voulait enchaîner les images cinématographiques, on pourrait dire qu’il y a d’abord eu la phase Y a-t-il un pilote dans l’avion ? avec des élections municipales dont les deux tours ont été séparés l’un de l’autre de trois mois. Nous sommes ensuite passés par La Grande Illusion avec l’adoption, en février dernier, de la loi procédant au report sec, sans aménagement, des élections régionales et départementales. Enfin, dernier épisode en date, celui de La Vérité si je mens, avec une séance de poker menteur autour du maintien des élections en juin, tandis que des arrêtés préfectoraux pour le scrutin départemental étaient signés et des mémentos édités. Bref, depuis un an, la question électorale en France relève d’un autre film : L’Histoire sans fin…
Il faut toutefois convenir que, après le rapport de Jean-Louis Debré, vous êtes tombé sur plus joueur que vous, le conseil scientifique réalisant ce magnifique mouvement rugbystique que vous affectionnez tant, monsieur le Premier ministre, – le cadrage-débordement – qui vous a laissé sur place… (Sourires. – Applaudissements sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
J’entends la difficulté des sujets à traiter pendant une période aussi particulière que celle que nous traversons depuis plus d’un an,…
M. Éric Kerrouche. … mais de deux choses l’une : soit les élections constituent un sujet véniel, soit, au contraire, elles sont un sujet substantiel. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a toujours considéré que la seconde position s’imposait et que, pour cette raison, il fallait anticiper, de la même manière qu’il faut anticiper d’autres scrutins.
Comme le Président de la République l’a déclaré le 13 avril 2020 – je parle bien de 2020, non de 2021 –, « cette épidémie ne saurait affaiblir notre démocratie ».
Les démocraties sont des systèmes marqués par le choix populaire. On mesure mal la radicalité, à l’époque, du discours de Gettysburg d’Abraham Lincoln, quand celui-ci déclarait que la démocratie est « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Ce faisant, il posait ce dernier comme unique source et arbitre du pouvoir. Si les citoyens ne sont pas placés en arbitre de toutes les compétitions électorales, alors c’est le système en tant que tel qui est remis en question.
Reporter des élections, c’est suspendre l’essence de la vie démocratique. Or, si la démocratie ne se réduit pas au vote, il n’y a pas de démocratie sans vote. Les élections sont à la fois le tissu qui fait exister notre régime et la fabrique de celui-ci.
Or, pour vous, le sujet électoral est devenu périphérique. Si tout le monde s’entend sur la primauté absolue des questions sanitaires, économiques et sociales dans la période actuelle, cela ne signifie pas pour autant que la vie démocratique doive disparaître en fond de décor, sans quoi, lentement, les libertés s’étiolent et il se construit une servitude qui, à défaut d’être volontaire, est sanitaire…
Savez-vous, monsieur le Premier ministre, que les droits et les libertés publiques ont reculé dans le monde en 2020 ? Savez-vous que, selon le classement de The Economist, notre pays est maintenant classé dans la catégorie des démocraties défaillantes ? Il est donc nécessaire de maintenir ces élections…
Votre gestion électorale est à l’image de votre gestion de crise : erratique. On aurait espéré qu’il n’en soit pas ainsi et que ce que l’on perdait en matière de libertés publiques, on le gagnerait en efficacité ; ce ne fut pas le cas. Je serais injuste, en ne reconnaissant pas la nécessité du soutien à l’activité, sans lequel, il est vrai, notre économie se serait effondrée, mais vous n’avez toujours pas pris la mesure des difficultés sociales, notamment celles des plus jeunes, et notre plan de relance est l’un des plus limités des pays occidentaux. (Protestations au banc du Gouvernement.)
En outre, vous allez répéter les erreurs de 2008 avec des mesures d’austérité : réforme de l’assurance chômage, décisions prises sur les retraites dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, etc.
Du point de vue sanitaire, en revanche, vous êtes, sans cesse, le « gouvernement du train d’après ». On se rappelle l’épisode des masques, qui étaient non obligatoires parce qu’inutiles, y compris au moment du premier tour des municipales ; on se souvient également des tests et de la difficulté à croire aux vaccins ; on se remémore, enfin, les vicissitudes dans la mise en œuvre de la campagne de vaccination, dans un contexte dégradé, parce qu’un homme seul, dans une opacité qui défie l’entendement, a décidé d’une trajectoire sanitaire à contre-courant des pays qui nous entourent.
Vous vous réconfortez sans cesse, en assénant que les oppositions n’auraient pas fait mieux.
M. Éric Kerrouche. C’est se payer de mots : d’une part, vous n’avez pris en compte aucune de nos propositions ; d’autre part, vous êtes au pouvoir !
Plus fondamentalement, votre attitude dit quelque chose de votre rapport au territoire. Je pense réellement que, pour cette majorité, ces élections sont accessoires, sinon encombrantes, un peu comme le sont les corps intermédiaires et le Parlement…
C’est pour cela que le grand feuilleton du report a été lancé : il visait initialement, dans une vaine et triste tentative, à se débarrasser du scrutin, en le repoussant au-delà de 2022 grâce à un second report qui aurait été décidé à l’automne prochain. Face à une impasse constitutionnelle, vous avez choisi, entre juin et octobre, le moindre mal : juin.
La seconde étape consiste à parasiter la mise en route de la campagne, en entretenant l’incertitude. Cela permet de faire diversion, afin de ne pas aborder d’autres sujets plus importants, comme la stratégie vaccinale ou la réouverture de notre pays à la mi-mai, tout en cultivant le procès en déconnexion des politiques qui osent s’attarder sur le scrutin électoral.
M. Laurent Duplomb. Exactement !
M. Éric Kerrouche. À dire vrai, vous êtes enfermé dans une conception présidentialiste absolue de la Ve République : seule l’échéance présidentielle vous obsède, vous ou le Président de la République.
On peut comprendre, de l’extérieur, votre volonté d’enjamber les élections locales. En effet, pour la première fois depuis 1958, ce gouvernement et sa majorité ne procèdent de rien : ils ne procèdent pas d’un parti et encore moins de convictions. Le Gouvernement ne procède que du Président de la République et, comme il lui doit tout, la seule échéance qui compte est celle qui le concerne. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Les élections locales deviennent alors, au mieux, des péripéties aménageables, au pire, des élections de second ordre. C’est sans doute ce qui explique votre désinvolture dans la façon dont vous avez consulté in extremis les maires, le week-end dernier, alors que le casse-tête du calendrier était connu depuis plusieurs semaines. Il faut souligner l’esprit de responsabilité des maires, auxquels vous cherchiez pourtant à faire assumer vos propres turpitudes, comme vous avez tenté de le faire avec le conseil scientifique et les parlementaires.
Loin de moi l’idée de vous reprocher de consulter ceux sans qui la crise sanitaire ne trouverait pas d’issue, mais la façon de faire laisse songeur, qu’il s’agisse de l’utilisation du système de gestion d’alerte locale automatisée (GALA) ou du recours à des « Google Forms » improvisés… Cette consultation tardive, au-delà du manque de transparence, comme, semble-t-il, pour les données sanitaires, était orientée.
Le deuxième point est lié au précédent : sauf exception et alliance, vous n’existez pas dans les territoires, ou si peu. Localement, La République En Marche est un concept ; c’est, en quelque sorte, un parti politique furtif. (Sourires.) On peut dès lors penser qu’empêcher la lisibilité ou la préparation de cette campagne jusqu’au dernier moment pouvait relever de la bévue, mais elle procédait en réalité de la stratégie, parce que vous continuez d’entretenir la confusion.
Mme la ministre Schiappa, la main sur cœur, nous déclarait dans cet hémicycle que, même si les dates des élections n’étaient pas inscrites dans la loi, elles auraient lieu les 13 et 20 juin.
Ce dernier report d’une semaine, comme une dernière boutade après tant de paris ratés, aura potentiellement de vraies conséquences en matière de participation, sous couvert d’un motif sanitaire. Cela constitue pourtant l’essentiel de vos aménagements, avec un comité de suivi. Le reste figure déjà dans la loi ou le règlement, voire est prévu de longue date – je pense notamment à la plateforme Ma Procuration. Vous nous annoncez de nouvelles mesures législatives à la marge – un dernier coup, sans doute, dans votre stratégie de brouillage.
Il n’est pas possible d’adapter tous les secteurs de la vie sociale et d’exiger de nouveaux comportements depuis plus d’un an, tout en assurant, dans le même temps, que de telles adaptations ne seraient pas possibles dans le domaine du droit électoral. Il n’est pas possible de dire aux Français qu’ils peuvent travailler et consommer, mais qu’ils ne peuvent pas voter, ce dernier geste prenant pourtant, en général, moins de temps. Il n’est pas possible de ne pas adapter les campagnes électorales et le vote de manière structurelle, alors que d’autres pays l’ont fait. Vous avez pourtant refusé de le faire.
Avec constance, sur tous les textes ayant trait aux sujets électoraux, nous avons porté une multitude de propositions, comme nous le faisons sur d’autres aspects de la crise. Nous le faisons depuis un an au travers d’amendements, dont, par mansuétude, je tairai le nombre, et de propositions de loi, mais le Gouvernement s’est obstiné, consciencieusement et méthodiquement, à tout repousser. Peut-être le report du scrutin au-delà de 2022 était-il plus important…
L’exemple le plus emblématique est celui de l’annulation, à la dernière minute, des législatives partielles, alors même que, le week-end dernier encore, des élections municipales se tenaient, notamment dans le département dont je suis élu, avec des taux de participation honorables.
Vous avez noyé la réflexion sur le vote par correspondance sous des considérations communautaires. Pourtant, le conseil scientifique le défend. Lorsque, pour la énième fois, j’ai avancé cette proposition, Mme la ministre Schiappa m’a doctement répondu que « ce n’est pas parce que cela se fait ailleurs que c’est forcément bien. » Soit, mais quel contraste tout de même avec les autres démocraties qui, autour de nous, ont su s’adapter avec efficacité et célérité !
Même le vote sur trois jours n’a pas trouvé grâce à vos yeux ni d’ailleurs à ceux de la droite sénatoriale. La mobilisation des médias audiovisuels pour la campagne a été rayée par votre majorité parlementaire avant que vous ne reveniez à de meilleurs sentiments. La campagne d’information que vous évoquez n’est autre qu’une proposition du Sénat qui, elle, au moins, aura été préservée. Nous vous avons même suggéré des bureaux de vote en extérieur, ce que la circulaire du 18 juin 2020 prévoit déjà.
Dans tout cela, la diversion fonctionne, au détriment du fond et du débat démocratique qui s’abîme.
Monsieur le Premier ministre, en ce qui concerne la décision sur le maintien des élections, il n’était pas trop tôt pour savoir s’il était trop tard, pour reprendre une formule de Pierre Dac (Sourires.), mais ce qui est certain, c’est que, s’il n’était pas trop tard, beaucoup de choses auraient dû et auraient pu être préparées plus tôt pour concilier exigences démocratiques et sanitaires.
Monsieur le Premier ministre, vous avez déclaré hier que la clarté, c’est le vote. Alors soit, votons ! L’immense majorité du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera donc, en responsabilité, en faveur d’une élection au mois de juin prochain, tout en regrettant un inexplicable manque d’anticipation. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, les associations d’élus étaient toutes opposées à un nouveau report des élections départementales et régionales. Malgré cela, le Gouvernement a essayé de passer outre, en organisant une pseudo-consultation des maires dans des conditions tout à fait scandaleuses.
Afin d’empêcher un vrai débat sur le sujet, l’opération a été préparée dans le plus grand secret, sans que personne ne soit prévenu. Ensuite, le courriel a été volontairement adressé aux maires, en tout cas dans mon département, le vendredi à 19 heures, c’est-à-dire lorsque toutes les mairies étaient fermées pour le week-end. Pis encore, une réponse était demandée pour le lundi suivant au plus tard, à 11 heures du matin. Comment voulez-vous qu’il y ait un débat pendant le week-end ?
Ainsi, compte tenu de la coupure du week-end, les maires étaient dans l’impossibilité d’avoir une vision contradictoire et de connaître les arrière-pensées de cette consultation faussement démocratique.
En réalité, cette manœuvre est digne d’une république bananière (Exclamations amusées.) ; le Gouvernement espérait que, faute d’information et de débat, les maires se laisseraient faire, se laisseraient abuser. Heureusement, ceux-ci ont bien réagi : ils se sont prononcés, avec une majorité claire, pour le respect de la démocratie, donc pour le maintien de la date des élections, à l’instar de ce qui a été fait dans tous les autres pays européens. Il s’agit d’un désaveu pour les auteurs de cette incroyable manipulation.
Par conséquent, je tiens à remercier et à féliciter les maires, qui ne se sont pas laissé prendre au piège.
M. Jean Louis Masson. Par ailleurs, lors des précédents débats parlementaires, j’avais demandé que, comme par le passé, ce soient les services préfectoraux qui se chargent de l’envoi des professions de foi et des bulletins de vote. Je regrette que la commission des lois du Sénat n’ait pas retenu mes amendements à ce sujet. En effet, compte tenu des délais, l’un des deux opérateurs retenus – la société Adrexo – craint d’avoir des difficultés pour acheminer correctement les professions de foi vers les électeurs. Cela confirmerait qu’il faut absolument revenir à l’ancien système, qui fonctionnait correctement.
En tout état de cause, il y aura probablement de graves dysfonctionnements dans l’envoi des professions de foi en juin prochain et cela m’inquiète. C’est d’autant plus préoccupant que, compte tenu des restrictions liées à l’épidémie de covid, les professions de foi joueront dans la campagne électorale un rôle beaucoup plus important que ce que l’on a connu par le passé.
C’est la raison pour laquelle, tout en étant favorable à la fixation des élections au mois de juin, je m’abstiendrai sur le vote, d’autant que la question n’est pas clairement posée : en effet, on nous pose cette question oralement, j’aurais tout de même bien aimé que l’on vote sur un texte.
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il m’appartient de vous apporter des éléments de réponse en ce qui concerne les modalités d’organisation des élections départementales et régionales. Organiser ces élections constitue un défi pour notre pays.
Pour commencer, je reviens sur ce que certains orateurs ont déclaré, comme M. Masson à l’instant, à savoir que nous serions le seul pays à nous poser la question de reporter ou non des élections. Évidemment, c’est totalement faux : si les élections nationales ont bien pu se tenir dans la plupart des grands pays européens, les élections locales ont quasiment toutes été reportées – c’est par exemple le cas en Italie, où devaient se tenir, aux mêmes dates qu’en France, des élections locales extrêmement importantes.
Je veux aussi souligner que comparaison n’est pas raison, puisque, dans les autres pays, les systèmes de vote diffèrent. Il est souvent possible de voter par anticipation ou par correspondance, ce que le législateur français n’a jamais souhaité mettre en place.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est le Gouvernement qui n’a pas souhaité le vote par correspondance !
M. Gérald Darmanin, ministre. Il est vrai que j’ai déjà fait part des réserves que m’inspire le vote par correspondance – cela a été rappelé.
Souvent, il existe aussi un vote électronique, lequel a été très largement refusé et est même désormais remis en cause par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi).
Par conséquent, on ne peut comparer le vote en France à celui qui existe dans d’autres pays, compte tenu des différences dans les modalités de scrutin, et il est erroné de dire que toutes les démocraties européennes ont maintenu leurs élections.
Je regrette les attaques extrêmement politiques du sénateur Kerrouche.
M. Julien Bargeton. Des attaques politiciennes !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je n’oserais employer ce terme, monsieur le sénateur !
Monsieur Kerrouche, je vous ai entendu avec beaucoup d’intérêt dire qu’il était assez simple pour un maire d’organiser une élection. Il y a sans doute chez vous beaucoup de croyance, mais il y a manifestement peu de pratique – j’ai d’ailleurs constaté que vous n’aviez pas été maire vous-même.
L’ayant été, je peux vous dire que, concrètement, ce n’est pas si simple – c’est d’ailleurs souvent ce que l’on constate, lorsqu’on veut passer du verbe à l’action… Il est même assez difficile d’organiser les bureaux de vote : par exemple, le maire peut réquisitionner les élus municipaux, mais pas les agents publics – il faudrait modifier la législation pour le permettre.
Par ailleurs, le juge électoral apprécie la sincérité du scrutin, pas forcément sa légalité. Or les écarts de voix entre les candidats seront sans doute ténus et les contentieux nombreux, comme les élections municipales nous l’ont démontré : jamais le juge administratif n’a annulé autant d’élections qu’au lendemain des élections municipales de 2020, pour des raisons que nous pouvons tout à fait comprendre.
Je veux aussi rappeler des choses qui peuvent sembler basiques à certains : le président du bureau de vote ne peut pas participer au dépouillement ; le préfet – et non le maire, contrairement à ce que j’ai entendu – fixe, sur proposition du maire, le lieu précis du bureau de vote ; les scrutateurs ne peuvent pas être choisis parmi les fonctionnaires municipaux qui ont tenu le bureau de vote – ce serait évidemment un motif d’insincérité du scrutin.
Monsieur le sénateur, vous le voyez, la différence est grande entre la théorie et la pratique et vos philippiques n’étaient sans doute pas nécessaires.
Vous avez aussi avancé un argument que j’ai déjà entendu plusieurs fois chez les sénateurs socialistes, à savoir que la France, déclassée, serait désormais une « démocratie défaillante ». Sachez que cela résulte en fait de la faible participation aux élections – tel était le critère de ce classement –, et non d’une « défaillance » de l’État de droit.
M. Éric Kerrouche. C’est complètement faux !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je crois que la faible participation aux élections est un sujet qui devrait tous nous préoccuper – je constate d’ailleurs que votre parti a été en responsabilité il n’y a pas si longtemps… À cet égard, je veux souligner la volonté du Gouvernement d’organiser les élections dans des conditions qui permettent une participation importante afin d’accroître la légitimité des élus.
En tout cas, il ne faut pas tout confondre. La démocratie française n’est pas devenue une dictature par l’effet de quelques critiques de votre part !
Un sénateur du groupe Les Républicains. On n’en est pas loin !
M. Gérald Darmanin, ministre. Il faut savoir raison garder, d’autant plus que nous devons désormais nous adapter au vote de l’Assemblée nationale hier et du Sénat aujourd’hui – j’anticipe le fait qu’il sera positif – sur le maintien des élections.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il est temps !
M. Gérald Darmanin, ministre. S’agissant du décalage de l’élection d’une semaine, il requiert simplement un décret du ministre de l’intérieur et du ministre des outre-mer, sous l’autorité de M. le Premier ministre, puisque le législateur a décidé que ces élections auraient lieu en juin. Plusieurs d’entre vous ont demandé pourquoi nous n’avions pas arrêté les dates dans la loi : en fait, aucune date n’a jamais figuré dans un texte de loi pour des élections locales. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
D’ailleurs, nous avons proposé, pour l’élection présidentielle, de hisser au niveau législatif un certain nombre de dispositions qui relevaient jusqu’à présent du domaine réglementaire.
Pour les élections régionales, conformément au souhait exprimé par le législateur – je rappelle que les mandats régionaux et départementaux ont été prolongés –, la déclaration de candidature doit avoir lieu six semaines avant le premier tour, de manière à pouvoir régler un certain nombre de questions qui intéressent tous les candidats – commissions de propagande, affiches officielles… – et à pouvoir ouvrir la campagne officielle. La démocratie pourra ainsi s’exprimer.
Ainsi, de manière automatique à partir du moment où la date des élections est fixée conformément à la déclaration que vient de faire M. le Premier ministre, le dépôt des candidatures aux élections régionales aura lieu du 10 au 17 mai.
Le législateur n’a pas souhaité préciser toutes les modalités liées à ces candidatures dans la loi. C’est donc le décret qui le fera et j’aurai sans doute l’occasion d’en parler lors des réunions qui associeront les parlementaires, les partis politiques et les associations d’élus, avec M. Jean-Denis Combrexelle.
Il faut bien voir que, si la situation liée au covid est difficile pour les maires, elle l’est aussi pour les candidats et pour les services préfectoraux. Sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous devons, pour la première fois depuis 1986, organiser deux élections en même temps au niveau national. (Exclamations.) Pendant longtemps, vous le savez bien, les élections départementales se tenaient en deux temps. C’est la première fois depuis 1986 qu’il y a cette conjonction de deux élections, mais cela avait sans doute été moins compliqué à organiser en 1986, puisqu’il s’agissait alors d’élections législatives et régionales, et non pas de deux élections locales. (Brouhaha.)
Mme Cécile Cukierman. C’était le cas en 2004 !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Je vous confirme, mesdames, messieurs les sénateurs, que, depuis 1986, nous n’avons jamais organisé simultanément deux scrutins sur l’ensemble du territoire national, c’est-à-dire dans toutes les villes et tous les villages de France – je fais exception de certaines situations, comme la métropole lyonnaise ou la Corse. Depuis 1986, cela n’a jamais été organisé… (Nouveau brouhaha.)
M. le président. Chacun consultera ses agendas ! Poursuivez, monsieur le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Or le renouvellement des cantons en deux séries, A et B, permettait le prêt de matériels de vote entre collectivités. De tels prêts seront plus compliqués cette année – je ne l’apprendrai pas aux représentants des collectivités locales que sont les sénateurs.
La mobilisation des femmes et des hommes qui tiennent les bureaux de vote sera également plus compliquée. Pour tenir les 140 000 bureaux qui seront ouverts, c’est-à-dire deux fois 70 000, il faut au minimum 600 000 personnes, sans compter les scrutateurs. Or, selon le conseil scientifique, il faut tester trois fois toutes ces personnes avant le premier tour des élections, ce qui implique d’ailleurs que les maires de France devront désigner bien avant le vote les élus et fonctionnaires qui tiendront les bureaux. Nous devrons aussi proposer à toutes les personnes qui ne le seront pas déjà d’être vaccinées, ce qui représentera une part importante des personnes mobilisées ce jour-là, puisqu’il s’agit d’élus ou de fonctionnaires en activité. Et je ne parle pas des scrutateurs !
Le vaccin ne commençant à protéger que quinze jours au minimum après l’inoculation, nous devrons connaître les noms des présidents, assesseurs et fonctionnaires qui seront mobilisés dans les 140 000 bureaux de vote entre trois semaines et un mois avant les élections des 20 et 27 juin prochains.
Autrement dit, la semaine de décalage n’est pas une facétie du Premier ministre ou du ministre de l’intérieur ; elle est nécessaire pour organiser les choses en amont. Je veux d’ailleurs dire que, parmi les 22 000 maires de France qui ont répondu à la consultation, quelle que soit la réponse qu’ils ont donnée, très nombreux ont été ceux qui ont relayé ces difficultés – c’était particulièrement le cas pour les élus des communes les plus rurales.
Cela dit, nous allons prendre des dispositions réglementaires et vous proposer des mesures législatives pour organiser le mieux possible ces élections. Je ne reviens pas sur ce qu’a dit M. le Premier ministre à ce sujet.
Pour ce qui est des mesures réglementaires, nous allons utiliser l’article R. 40 du code électoral, qui prévoit qu’en cas de force majeure le préfet peut, jusqu’au dernier moment, modifier le lieu du bureau de vote, même si j’imagine que le législateur n’avait pas envisagé l’hypothèse d’un coronavirus…
Je suis d’accord avec vous, madame Cukierman : il est très important de ne pas changer les habitudes des électeurs.
Il s’agira donc de modifier, non pas la localisation des bureaux de vote – ils seront situés dans le même bâtiment, que ce soit une école, une maison de retraite, l’hôtel de ville ou tout autre lieu –, sauf exception et consensus, mais l’endroit où l’on peut voter au sein de ce bâtiment.
Il s’agira aussi de voir si le vote peut se faire en extérieur, en cas de conditions météorologiques favorables.
Ainsi, les électeurs pourraient faire constater leur identité, prendre les bulletins de vote et voter dans des conditions qui limitent les risques de contamination, notamment les risques liés à des files d’attente.
En outre, il pourrait être intéressant d’utiliser des dépendances, si elles sont plus pratiques pour l’organisation du bureau de vote.
C’est évidemment sur proposition des maires que ces possibilités seront mises en œuvre.
Pour ce qui concerne les horaires, leur fixation relève du pouvoir réglementaire et peut varier selon les communes.
La plupart des maires souhaitent que les bureaux ferment à dix-huit heures, tout simplement parce que plus les bureaux ferment tard, plus il est difficile de trouver des volontaires pour les tenir et des scrutateurs pour le dépouillement.
J’attire d’ailleurs votre attention sur le fait que le mieux peut être l’ennemi du bien. L’extension des horaires est un mantra facile à réciter en tribune, mais, dans les faits, le jour des élections, il est difficile de trouver des scrutateurs pour la soirée, d’autant que, si nous proposons que les mêmes scrutateurs puissent dépouiller les deux scrutins dans un objectif de mutualisation et d’efficacité, le dépouillement prendra nécessairement plus de temps et pourrait durer jusque tard dans la nuit ! Dans ces conditions, il faudra savoir se montrer patient avec le ministère de l’intérieur pour obtenir les résultats…
Nous pouvons donc prévoir de décaler l’horaire de fermeture des bureaux de vote après dix-huit heures, mais en aucun cas après vingt heures. Je rappelle que la France n’a voté après vingt heures que pour les avant-dernières élections européennes et pour le référendum européen.
Je demanderai aux préfets, dès la semaine prochaine, de consulter l’association des maires de leur département afin de définir le meilleur horaire possible. Quoi qu’il en soit, s’il ne m’est sans doute pas arrivé aussi souvent qu’à vous de tenir un bureau de vote, je ne pense pas qu’un citoyen qui ne fait pas l’effort d’aller voter avant dix-huit heures le fera davantage entre dix-huit et vingt heures…
Par conséquent, sauf exception, je suis de l’avis de la sénatrice Cukierman : il ne faut pas changer les habitudes électorales, sauf si, je le répète, le préfet ou le sous-préfet trouve un consensus avec les élus de son territoire.
Nous devons également nous assurer de la sincérité du scrutin en ce qui concerne le dépouillement et les scrutateurs. C’est un point très important.
À cet égard, il nous semble nécessaire de proposer que ceux qui tiennent les bureaux de vote puissent dépouiller le scrutin, même si c’est aujourd’hui totalement orthogonal avec notre droit électoral. Il n’est d’ailleurs pas certain que le Conseil constitutionnel suive le législateur et le Gouvernement sur cette idée.
De même, si nous pouvons évidemment organiser les bureaux de vote des élections régionales et départementales au même endroit, le Conseil constitutionnel a clairement interdit que deux urnes soient tenues par le même bureau. Je veux bien me faire comprendre : il est obligatoire d’organiser deux opérations électorales distinctes, ce qui implique qu’il y ait deux présidents de bureaux de vote ainsi que des assesseurs différents, même si les bureaux de vote sont situés au même endroit.
Néanmoins, nous allons essayer de mutualiser au moins les opérations de dépouillement. Nous verrons bien quel avis rendra le Conseil d’État sur les dispositions électorales qui seront inscrites dans le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire, puis quelle sera la décision du Conseil constitutionnel. Nous espérons que cet avis et cette décision permettront d’avancer dans ce sens. Il n’y aurait rien de pire que ce texte soit censuré, voire qu’une question prioritaire de constitutionnalité soit acceptée durant ou juste après les opérations de vote.
J’en viens, mesdames, messieurs les sénateurs, au sujet de la campagne électorale, que M. le Premier ministre a évoqué.
Le couvre-feu va continuer à s’appliquer, certainement jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire tel que voté par le Parlement. À la mi-mai, et c’est bien normal, les gens vont vouloir faire du porte-à-porte, ce qui n’est pas interdit. Ils voudront distribuer des documents dans les boîtes aux lettres ; ce n’est pas interdit non plus. Bien évidemment, après le 24 mai, date qui, comme l’a dit M. le Premier ministre, marquera le début de la campagne électorale officielle, ils voudront également se réunir.
Nous allons donc imaginer des dispositions permettant de délivrer, sur proposition du candidat ou du parti politique, des attestations de déplacement aux militants et aux candidats eux-mêmes. Ces attestations seront évidemment limitées aux activités politiques stricto sensu, même si cela sera très difficile à surveiller. Quoi qu’il en soit, consigne sera donnée à la police et à la gendarmerie pour que la démocratie vive au mieux.
Je veux enfin évoquer le sujet des procurations. La loi permet dorénavant à un électeur de porter deux procurations.
Je veux tout d’abord souligner l’important travail qu’a effectué le ministère de l’intérieur pour numériser la procédure de procuration. Il ne s’agit pas de supprimer la procuration physique, qu’il sera évidemment toujours possible d’établir dans les commissariats et les gendarmeries. L’objectif est de gagner du temps.
Surtout, nouveauté importante, on ne demandera plus de certificat médical à ceux qui seraient empêchés d’aller voter et voudraient faire établir une procuration. Il faudra simplement trouver un mandataire. En cas de déclaration numérique, le mandant se verra attribuer un numéro d’identification ; il devra le présenter à l’officier de police ou de gendarmerie qui, en quelques secondes, constatera son identité et validera la procuration, laquelle sera immédiatement envoyée aux services municipaux.
Avec cette numérisation totale, il n’y aura plus de problème de coupon ou de doute sur l’existence de la procuration, si celle-ci n’est pas parvenue avant le vendredi soir précédant le scrutin. Je remercie d’ailleurs l’Association des maires de France pour le travail que nous avons réalisé ensemble sur cette question.
Par ailleurs, le mandataire recevra notification par courriel ou SMS de la validation de la procuration par l’officier de police ou de gendarmerie.
Le fait que des personnes malades, empêchées ou ayant peur de se rendre au bureau de vote puissent tout de même remplir leur devoir de citoyen, puisque nous ne demandons plus de motiver la demande de procuration par exemple par un voyage professionnel ou des raisons de santé, simplifiera très largement l’activité démocratique liée aux scrutins des 20 et 27 juin.
Pour conclure, je souhaite vous indiquer, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, que je me permettrai de vous interroger, à la suite de ce vote sur la déclaration du Gouvernement en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur les mesures que vous souhaiteriez voir figurer dans le projet de loi à venir ou dans les mesures réglementaires. J’en ferai naturellement de même avec les députés. Je suis évidemment à la disposition de chacun d’entre vous pour essayer de simplifier au mieux les opérations électorales, tout en tenant compte de l’avis du Conseil d’État, qui sera sans doute sourcilleux.
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à m’exprimer une dernière fois devant vous avant de clôturer ce débat.
Je vous remercie très vivement de vos contributions. Certaines ont parfois été quelque peu caricaturales, mais, pour l’essentiel, elles ont été très constructives et je veux vous exprimer la reconnaissance du Gouvernement.
Je veux également profiter de cette ultime intervention devant vous pour clarifier ce qui mérite encore de l’être.
D’abord, je veux vous dire de la façon la plus claire possible que je partage avec vous – je sais que vous n’en doutez pas – un immense respect et un grand attachement pour la démocratie en général et la démocratie locale en particulier.
Comme je l’ai exprimé de façon continue, la position du Gouvernement a toujours été que nous maintiendrions ces élections, sauf si des motifs d’ordre strictement sanitaire ne le permettaient pas. Monsieur le président, ainsi que je l’ai dit hier à l’Assemblée nationale, je respecte complètement celles et ceux qui ont pu émettre un doute à ce sujet – j’y reviendrai dans un instant.
J’entends que l’on me prête des arrière-pensées et que j’aurais espéré que la consultation débouche sur un autre résultat. (Brouhaha.)
Ce que j’ai présenté devant vous, ce sur quoi vous êtes invités à voter, c’est le maintien des élections, assorti de dispositions extrêmement strictes pour qu’elles se déroulent dans les plus grandes conditions de sécurité. Ce n’est pas autre chose !
Je veux également vous dire que je sais l’importance des élections départementales et régionales : contrairement à ce que certains ont pu là aussi soupçonner, ce ne sont pas, à mes yeux, des élections secondaires ! Je veux vous rappeler que j’ai l’immense honneur d’avoir été conseiller régional durant cinq ans et conseiller départemental pour la même durée. Je connais le rôle de ces institutions dans une République décentralisée.
Néanmoins, je vous répète, mesdames, messieurs les sénateurs, que, s’il est vrai que la vaccination progresse, le variant anglais qui est plus contagieux et sans doute plus dangereux progresse aussi depuis la fin de l’année dernière et depuis le vote en février dernier de la loi portant report des élections. Nous devons impérativement prendre en compte cette situation.
Ensuite, je veux revenir sur la question du doute – François-Noël Buffet en a parlé.
Le doute est toujours salutaire. Nous sommes tous des élus de la République et, si nous interrogeons nos concitoyens sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui, nous nous rendrons compte qu’eux aussi ont un doute. Si 40 % des maires ont déclaré vouloir le report des élections, ce n’est pas parce qu’on leur aurait mis la pression pour aller dans ce sens – je ne suis pas animé par cet état d’esprit. Ces 40 % de maires qui se sont prononcés en faveur du report n’ont évidemment pas une position antidémocratique – ils ont simplement un doute !
Mesdames, messieurs les sénateurs, débattre des doutes lors d’une crise sanitaire est, je le redis, salutaire. C’est notre devoir. S’agissant du maintien des élections comme des mesures de freinage et de gestion de la crise, nous cherchons toujours un équilibre, et c’est dans le débat que nous le trouvons.
Je veux aussi vous dire le profond respect qui est celui du Gouvernement et du Premier ministre à l’endroit des maires.
Il me paraît quelque peu paradoxal que l’on me dise, dans cette assemblée, que consulter les maires serait un piège, une manipulation ou une manœuvre. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je le dis haut et fort devant vous : ce n’est pas du tout le cas ! Je revendique cette consultation. Je vous ai expliqué pourquoi je l’avais organisée dans des délais rapprochés.
À en croire certains, j’aurais espéré de toutes mes forces que cette consultation conduisît à un report. Je vous le dis, mesdames et messieurs les sénateurs : c’est inexact. J’attendais de cette consultation que les maires – les premiers concernés par l’organisation d’un scrutin – nous disent ce qu’ils en pensent.
Surtout, je constate avec vous que le rapport du conseil scientifique, que plusieurs d’entre vous ont cité, n’appelle pas à reporter ou à maintenir. Au reste, je ne sais pas si cela nous aurait aidés. En revanche, il fixe des conditions, dont, vous le savez, la mise en œuvre repose sur les épaules des maires. Concevez qu’il soit logique dans ces conditions de recueillir leur avis ! Cela sera d’ailleurs extrêmement utile dans la suite de nos travaux. Ne le regrettons pas ! Il n’y avait pas d’arrière-pensées. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Il y avait une volonté très forte d’éclairer le Gouvernement et la représentation nationale.
De la même façon, mesdames, messieurs les sénateurs, nous respectons la démocratie, les maires et ce que vous avez appelé « les corps intermédiaires », notamment les associations d’élus.
M. Laurent Duplomb. Vous n’en avez rien à faire !
M. Jean Castex, Premier ministre. Vous le savez bien, puisque vous les connaissez, l’État n’a jamais autant contractualisé avec eux que depuis mon entrée en fonction. Mon regard se tourne vers la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.) qui travaille inlassablement, à mes côtés, à écouter les représentants des associations d’élus et à rechercher des solutions avec eux.
Certes, nous traversons une crise sanitaire et, dans la Constitution de la République, il appartient in fine à l’État de prendre les décisions en la matière. Comme je vous l’ai déjà dit, je pense que c’est une bonne Constitution et ce n’est pas parce que nous débattons ou parce que je consulte les maires ou les corps intermédiaires que je ne la mets pas en œuvre ou que je fuis les responsabilités qui sont les miennes. Je ne crois pas vous avoir fourni la preuve du contraire depuis mon entrée en fonctions ! (MM. André Gattolin et François Patriat applaudissent.)
Je le dis clairement devant vous : je respecte les corps intermédiaires.
Pour terminer, et le fait que je sois présent dans cet hémicycle, comme je l’étais déjà voilà quelques jours, le prouve, quelque appréciation que cela puisse susciter de la part de certains d’entre vous, je respecte le Parlement et le Sénat. (Exclamations.) Vous pourrez observer que, depuis que je suis dans les hautes responsabilités qui sont les miennes aujourd’hui, j’y ai toujours veillé, dans le cadre des équilibres constitutionnels et des institutions de la Ve République que je respecte et dont j’ai toujours soutenu les principes, ce que je revendique devant vous.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demande de vous prononcer, de façon évidemment souveraine, non sur ce que vous pensez que j’aurais éventuellement pu souhaiter, mais sur les mesures que M. le ministre de l’intérieur et moi-même vous proposons après avoir consulté les maires. Vous aurez d’ailleurs, dans le cadre que je vous ai suggéré, la possibilité de les améliorer pour faire en sorte que l’abstention soit la plus faible possible. C’est un enjeu national, parce que cette abstention montrera que le doute subsiste, la crise sanitaire étant toujours là. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Pour répondre au représentant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain qui m’interrogeait sur ce point, ce qui m’obsède, c’est la protection de mes concitoyens. C’est uniquement cela, mais c’est essentiel ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
Vote sur la déclaration du Gouvernement
M. le président. À la demande du Gouvernement, le Sénat est appelé à se prononcer par un vote sur la déclaration du Gouvernement relative à l’organisation des prochaines élections départementales et régionales.
Conformément à l’article 39, alinéa 6, de notre règlement, il va donc être procédé à un scrutin public ordinaire dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement ; aucune explication de vote n’est admise.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Plus personne ne demande à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 113 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 327 |
Pour l’adoption | 319 |
Contre | 8 |
Le Sénat a approuvé la déclaration du Gouvernement relative à l’organisation des prochaines élections départementales et régionales. (Exclamations sur plusieurs travées. – M. François Patriat et Mme Denise Saint-Pé applaudissent.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinquante, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique
Adoption d’une proposition de loi modifiée
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, la discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique, présentée par M. Éric Gold et plusieurs de ses collègues (proposition n° 367, résultat des travaux de la commission n° 514, rapport n° 513).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Éric Gold, auteur de la proposition de loi.
M. Éric Gold, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, carte d’identité, permis de conduire, certificat d’immatriculation : pour ces titres, les procédures de délivrance sont désormais dématérialisées. Les usagers ne doivent plus se rendre en préfecture ; ces démarches administratives s’opèrent exclusivement en ligne.
Cette modernisation répond aux attentes de nombreux usagers, qui accueillent favorablement la praticité, la célérité et l’efficacité des services publics. Mais l’évolution n’est pas reçue de la même manière par tous : elle révèle en effet une inégalité face à l’usage des outils numériques, puisque 14 millions de Français ne les maîtrisent pas.
Cet illectronisme touche particulièrement les populations les plus fragiles : les personnes en situation de handicap, les personnes illettrées, les personnes détenues, les personnes sans abri ou encore les étrangers, comme l’a souligné le rapport d’information de notre ancien collègue Raymond Vall – je tiens d’ailleurs à saluer le travail qu’il a réalisé dans le cadre de la mission d’information présidée par Jean-Marie Mizzon.
Outre l’exclusion par la compétence demeure l’exclusion matérielle, qu’elle soit due à une couverture numérique insuffisante ou à un manque d’équipement. En matière de connexion internet, seulement 50 % de la population ultramarine est raccordée et le nombre de maisons de services au public est insuffisant par rapport aux besoins. La fracture numérique existe encore et se superpose à la fracture territoriale, créant des « déserts administratifs ». Les territoires situés en zone blanche sont le plus souvent ceux qui ont subi auparavant la disparation de leurs services publics de proximité et le désengagement de l’État.
L’objectif visant à dématérialiser l’ensemble des 250 démarches administratives les plus utilisées d’ici à 2022 soulève des inquiétudes légitimes au sein de la population et des élus. Le Défenseur des droits avait démontré dans son rapport de 2019 un recul de l’accès aux services publics et donc de l’accès aux droits. Cela n’a rien de surprenant, lorsque l’on sait que, d’après l’Insee, 60 % de la population serait incapable de réaliser des démarches administratives en ligne. Ce phénomène risque de s’accroître si rien n’est fait pour permettre l’inclusion numérique de tous nos concitoyens sans exception.
La modernisation de l’État par la dématérialisation des services publics est une conséquence du principe d’adaptabilité et de mutabilité du service public. Celui-ci implique de réaliser des efforts considérables en matière de formation au numérique à tous les niveaux, par l’école et les entreprises. Ce principe exige une médiation numérique afin de favoriser l’autonomisation de l’usager ou, lorsque cela s’avère nécessaire, son accompagnement.
Les initiatives sont nombreuses, mais elles n’ont pas encore permis d’atteindre les objectifs fixés. Les pass numériques devant servir à financer la formation numérique sont déployés à un rythme trop lent et ont une valeur insuffisante. L’organisation des lieux de formation au numérique souffre d’un manque de lisibilité, si bien que l’on assiste aujourd’hui à un empilement de structures développées de manière non coordonnée.
Le principe d’égalité devant le service public commande de garantir l’accès de tous nos concitoyens à un accueil physique et de préserver la possibilité de ne pas recourir à des démarches dématérialisées lors des échanges avec l’administration. Certaines situations complexes nécessiteront une intervention humaine et un maillage fin des services publics sur l’ensemble du territoire.
Afin d’offrir une solution aux 14 millions de Français qui souffrent d’illectronisme et d’atteindre l’objectif d’une inclusion numérique pour tous, j’ai déposé, avec plusieurs de mes collègues du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, cette proposition de loi qui entend traduire une partie des préconisations de la mission d’information du Sénat.
Parce qu’il est fondamental de disposer d’un état des lieux précis de l’illectronisme pour guider l’action publique, le chapitre Ier de la proposition de loi prévoit deux mesures.
L’article 1er, prolongeant l’initiative conduite par l’Insee, propose de procéder à une évaluation biannuelle des capacités numériques de nos concitoyens à partir d’un référentiel commun.
Afin de détecter en amont les publics fragiles, l’article 2 introduit la réalisation d’un test d’évaluation des compétences numériques lors de la Journée défense et citoyenneté. Les évaluations existent déjà, mais elles ne reposent pas sur un référentiel commun unique permettant de suivre l’évolution de la maîtrise des compétences numériques dans le temps.
Le chapitre II a pour objectif de rendre les services publics 100 % accessibles, reprenant une partie des recommandations du rapport du Défenseur des droits publié en 2019 et intitulé Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics. Je tiens à préciser que nous sommes favorables à cette dématérialisation. Nul ne saurait revendiquer le retour au papier, mais les supports traditionnels doivent venir en complémentarité.
Les maisons France Services peuvent répondre aux attentes de certains de nos concitoyens, mais ne peuvent pas toujours apporter une solution pour des dossiers de fond. Dans cette perspective, l’article 3 précise que tout usager doit bénéficier d’un « droit au guichet » pour la réalisation de toute démarche administrative dans un délai raisonnable, au plus tard dans les deux mois à compter de la date de la saisine. Cet article reprend une proposition du Défenseur des droits.
L’article 4 prévoit une liberté de choix de l’usager des services publics en ce qui concerne les moyens de correspondance et de paiement. En outre, les décisions les plus importantes, celles d’attribution ou de révision des droits comportant des délais et des voies de recours, devront être notifiées sur support papier ou électronique selon le choix de l’usager.
L’article 5 reconnaît un droit à l’erreur lors de la réalisation d’une démarche dématérialisée en cas d’erreur de saisie.
L’article 6 dispose que l’accès aux sites internet des administrations et les téléservices doivent gagner en ergonomie. Cela vise à garantir la parfaite information des usagers et à faciliter l’exercice de leurs droits et de leurs devoirs. Il est donc proposé de créer un référentiel d’ergonomie garantissant notamment la possibilité de rectifier à tout moment les dossiers en cours avant leur dépôt, la délivrance d’un accusé de connexion et la possibilité de contacter le service compétent en cas de difficulté.
Les sites internet doivent également être rendus accessibles aux personnes en situation de handicap : c’est l’objet de l’article 7. Le retard en la matière étant inacceptable, les sanctions sont renforcées en vue d’accélérer la mise en conformité des sites, qui était prévue pour 2012. En outre, le recours à la dérogation pour « charge disproportionnée » sera limité aux petites collectivités locales.
Le chapitre III est consacré au financement de la politique d’inclusion numérique.
L’article 8 instaure un fonds de lutte contre l’exclusion numérique, doté d’au moins 500 millions d’euros par an, ainsi qu’un chèque-équipement, sous condition de formation, à destination des ménages modestes. Les 250 millions d’euros prévus par le Gouvernement pour l’inclusion numérique dans le cadre du plan de relance, bien qu’inédits, sont insuffisants au regard du milliard d’euros recommandé par la mission d’information.
L’article 9 prévoit que ce fonds sera essentiellement alimenté par les recettes de la taxe sur les services numériques dite taxe GAFA, ainsi que par le budget général de l’État. Il permettra le financement du pass numérique et le renforcement de son montant, la formation au numérique sur l’ensemble du territoire, la structuration d’une offre de médiation numérique de qualité, la couverture intégrale du territoire en lieux d’accompagnement numérique des usagers du service public, ainsi que le financement du chèque-équipement nouvellement créé.
Le chapitre IV est relatif à l’accompagnement des usagers exclus de la dématérialisation des services publics.
L’article 10 confie à l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) la charge d’établir une cartographie de l’ensemble des lieux d’accompagnement des usagers et de guider la structuration de l’offre de médiation numérique sous un label unique. Il complète ainsi la stratégie nationale d’orientation de l’action publique annexée à la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, dite loi Essoc.
L’article 11 dispose que les établissements publics de coopération intercommunale désignent un référent « inclusion numérique » chargé d’accompagner et de coordonner les initiatives locales en matière de médiation numérique. Ce référent constituera un point de contact pour le secteur associatif.
Le chapitre V comporte des mesures visant à renforcer la formation des élèves, des enseignants, des salariés et des dirigeants des entreprises.
L’article 12 consacre l’illectronisme, à l’instar de l’illettrisme et de l’innumérisme, comme priorité nationale prise en compte par le service public de l’éducation et les personnes assurant une mission de formation ou d’action sociale.
L’article 13 prévoit la formation continue obligatoire au numérique des enseignants par les Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé), ainsi que celle des enseignants du supérieur.
L’article 14 propose un crédit d’impôt au bénéfice des PME afin de permettre la déduction de 50 % des dépenses de formation au numérique de leurs dirigeants et salariés. Au sein des 120 millions d’euros accordés par le Gouvernement à ces entreprises, nous aimerions connaître la pondération des sommes destinées à la formation au numérique. Nous craignons en effet que la transformation numérique des entreprises et le développement de la vente en ligne n’absorbent l’essentiel de l’enveloppe.
L’article 15 propose une entrée en vigueur de ces dispositions dans les six mois suivant la publication de la loi.
Enfin, l’article 16 constitue le gage de la proposition de loi.
Cette proposition de loi répond à un réel besoin ; le diagnostic est partagé par tous. Aussi, j’espère que notre assemblée fera le choix de l’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. - M. Jean Hingray applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi relative à la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique déposée par notre collègue Éric Gold et inscrite à l’ordre du jour de l’espace réservé du groupe RDSE. Elle fait suite au rapport du 17 septembre 2020 de la mission d’information du Sénat sur la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique et a pour objet d’offrir une traduction législative aux propositions de cette mission.
En premier lieu, je tiens à indiquer que les travaux que j’ai conduits ont très largement corroboré l’actualité et la pertinence du constat opéré par le rapport de la mission d’information : l’ancrage profond du numérique dépasse le simple défi technologique pour poser, aujourd’hui, de profonds problèmes de société.
Comme l’indique le rapport, « 14 millions de Français ne maîtrisent pas le numérique et près d’un Français sur deux n’est pas à l’aise. Si la France est dans la moyenne européenne, la situation n’est pas satisfaisante. Les personnes en situation de handicap, qui représentent une personne en exclusion numérique sur cinq, subissent une double peine. Si les sites en ligne doivent être théoriquement accessibles, seulement 13 % de démarches administratives leur étaient, en avril 2020, réellement accessibles ».
Face à ce constat, ce rapport a formulé une série de quarante-cinq propositions réparties en sept axes afin de lutter contre ce phénomène sous tous ses aspects. Ces axes comportent notamment l’évaluation de l’exclusion numérique, le passage à une logique « 100 % accessible » ou la construction d’une « éducation nationale 2.0 ».
De son côté, le Gouvernement a mis en œuvre plusieurs mesures de soutien financier pour favoriser l’inclusion numérique, notamment à travers le plan de relance instauré pour faire face aux conséquences économiques et financières de la crise sanitaire actuelle. Ainsi, 120 millions d’euros sont consacrés dans ce plan à la numérisation des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE).
Par ailleurs, pour garantir un accès physique des usagers aux administrations, le Gouvernement a également créé un réseau de maisons labellisées « France Services », lesquelles vont progressivement remplacer les maisons de services au public créées en 2015.
Ces structures sont des guichets uniques permettant aux citoyens de réaliser des démarches administratives relevant par exemple du ministère de l’intérieur, de la Caisse nationale des allocations familiales ou de l’assurance maladie. Elles assurent également un accompagnement numérique pour la réalisation des démarches en ligne. Au 1er février 2021, on comptait 1 123 maisons France Services ; l’objectif affiché par le Gouvernement est d’atteindre le nombre de 2 000 d’ici à janvier 2022 afin que chaque Français puisse accéder à l’une d’elles à moins de trente minutes de son domicile.
En outre, le Gouvernement a développé la plateforme Aidants Connect qui facilite l’intervention d’un tiers pour accomplir des démarches en ligne pour le compte d’une personne en difficulté.
Afin de mettre en œuvre les propositions du rapport d’information précité, la présente proposition de loi comporte seize articles répartis en quatre chapitres, que vient de vous présenter son auteur principal. Comme vous le savez, j’ai proposé à la commission des lois de ne pas adopter le texte au stade de la commission et je remercie celle-ci de m’avoir suivi.
Le but de cette démarche était simple, mes chers collègues : il s’agissait d’un « rejet constructif » permettant au groupe RDSE de vous présenter, aujourd’hui, dans son espace réservé, une proposition de loi conforme à ses attentes, sur un sujet qui lui tient à cœur. En effet, à l’issue des travaux que j’ai conduits, je ne pense pas que la commission des lois pouvait adopter un texte sans modifier profondément la proposition de loi dont elle était saisie.
En effet, plusieurs dispositifs ne relèvent pas de la loi ordinaire ou ne justifient pas une inscription dans la loi au regard de l’article 34 de la Constitution. D’autres soulèvent de vraies questions, mais n’offrent pas de véritables garanties. En tant que législateurs, nous sommes les premiers à savoir que les « coups de baguette législative » n’existent pas et qu’il est parfois plus efficace d’y substituer notre pouvoir de contrôle.
Comme je l’avais indiqué au stade de la commission, je vais aujourd’hui vous présenter des amendements dont le but est de sécuriser cette proposition de loi en tant qu’instrument de droit. L’ampleur des suppressions et modifications que je vais vous proposer ne doit pas trahir la volonté de la commission des lois. Certes, ces amendements pointent des faiblesses juridiques, mais ils n’occultent pas l’occasion qui est aujourd’hui donnée de débattre d’un sujet majeur.
Cet examen permettra, d’une part, de faire un point sur les conclusions de la mission d’information qui a rendu ses travaux il y a quelques mois. Il donnera, d’autre part, l’opportunité d’entendre le Gouvernement nous présenter, au fil des débats, l’ensemble des mesures qu’il a mises en œuvre pour lutter contre l’illectronisme, notamment en cette période d’isolement et de crise sanitaire.
Je ne saurais terminer mon propos sans avoir chaleureusement remercié Éric Gold et nos collègues du groupe RDSE, qui nous permettent de débattre au sein de notre assemblée d’un sujet majeur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État. (M. Philippe Folliot applaudit.)
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis d’être parmi vous, en cette fin de journée, pour débattre d’un sujet qui nous tient tous à cœur : l’inclusion numérique.
Nos débats seront l’occasion de rappeler l’action continue et approfondie du Gouvernement en faveur de cette politique. Je tiens également à saluer très sincèrement le travail de fond que les sénateurs ont mené, contribuant directement à donner de la visibilité à une réalité trop souvent oubliée, celle de l’illectronisme.
Nul besoin de rappeler, vous le savez aussi bien que moi, la place croissante que prend le numérique dans nos vies de citoyens, de consommateurs, de travailleurs, de parents, d’étudiants. Cette révolution numérique bouleverse fortement le quotidien des Français. Elle implique autant de risques que d’opportunités, comme bien sûr le télétravail qui constitue aujourd’hui un rempart primordial dans la lutte contre la pandémie.
Ne pas maîtriser le numérique n’est pas une fatalité, à condition d’offrir les moyens de s’y acclimater. Nous connaissons tous dans nos entourages des personnes qui ont appris au gré de leurs motivations personnelles : les grands-parents pour maintenir le lien avec leurs petits-enfants ; les télétravailleurs confrontés aux outils de visioconférence ; les artisans et les commerçants, qui se sont mis rapidement et avec agilité aux outils numériques pour faire connaître et prospérer leur activité. Toutes ces personnes ont souvent appris seules ; certaines ont dû être aidées, accompagnées.
C’est justement le sens de l’action du Gouvernement, qui agit pour rapprocher le numérique du quotidien de tous les Français. Cette ambition se justifie par un constat simple, partagé par le Gouvernement, la mission d’information sénatoriale sur la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique et les auteurs de la présente proposition de loi : l’absence de maîtrise du numérique constitue aujourd’hui un handicap majeur.
Face à ce constat, nous agissons concrètement et résolument depuis 2017, d’abord sur la qualité de la dématérialisation.
Permettre aux Français de réaliser leurs démarches administratives du quotidien en ligne est un engagement constant du Président de la République. La dématérialisation, à elle seule, ne suffit pas. Sous l’impulsion d’Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques, nous avons engagé une refonte des démarches administratives pour les adapter aux usages numériques et nous avons mis en place un système de suivi très précis de la qualité du service public.
Nous avons systématisé le recueil de la satisfaction des usagers. À l’heure actuelle, le taux d’avis positifs est de 74 %. C’est bien, et nous devons faire mieux. Pour cela, nous mobilisons des moyens inédits : 500 millions d’euros du plan de relance sont dédiés à la numérisation des administrations. Cela va servir à atteindre notre objectif.
L’inclusion numérique passe également par les services publics et le déploiement de France Services, comme M. le rapporteur l’a mentionné.
À cette fin, le Gouvernement a fait le choix d’élaborer une véritable politique publique. Celle-ci se fonde sur une stratégie partenariale et collective – vous en rappelez l’importance dès l’article 1er de la proposition de loi –, coconstruite avec les collectivités territoriales, les opérateurs de service public, les acteurs de la médiation numérique et du travail social, ainsi que les entreprises.
Le plan France Relance a accéléré de manière inédite cette dynamique. Aujourd’hui, 250 millions d’euros sont mobilisés pour les maisons France Services. L’objectif – nous venons de l’évoquer – est de mieux accompagner les Français dans leur quotidien. Nos concitoyens ont besoin de plus de professionnels à leur disposition et de lieux d’accès plus nombreux et mieux équipés dans nos territoires. Il faut aussi plus d’outils pour les aidants.
Le 24 mars dernier, avec Cédric O, nous avons lancé un plan de recrutement de 4 000 conseillers numériques France Services. Ces derniers auront pour mission de proposer partout sur le territoire des ateliers d’initiation au numérique. Nous généralisons également Aidants Connect, outil numérique qui sécurise l’intervention des aidants. Désormais, un travailleur social répondra systématiquement présent pour réaliser une démarche administrative à la place d’un usager.
L’inclusion numérique, c’est aussi ce que nous faisons en faveur de la numérisation de nos TPE-PME. C’est, vous le savez, l’une des priorités du plan de relance ; près de 120 millions d’euros y sont consacrés.
Il s’agit d’abord d’encourager les collectivités locales à mettre en place des solutions numériques collectives, comme les plateformes de commerce local, dont nous avons pu mesurer l’importance depuis un an à l’occasion de la pandémie. Il s’agit aussi de s’adresser directement aux TPE qui souhaitent entamer une transformation numérique ; c’est l’objet du chèque numérique de 500 euros proposé à toutes les entreprises de moins de onze salariés.
Enfin, il va de soi que la lutte contre l’illectronisme passe par l’éducation des futures générations. Le ministère de l’éducation nationale a ainsi décidé la généralisation du Pix ; ce service public permet d’évaluer, de développer et de certifier les compétences numériques des élèves de troisième et de terminale.
Je me félicite de l’examen de la présente proposition de loi. C’est l’occasion de mettre en lumière notre action et d’avoir un débat sur une priorité partagée par le Gouvernement. Nous aurons des divergences sur les moyens à mobiliser, mais nous nous rejoindrons – je n’ai absolument aucun doute à cet égard – sur l’ambition qu’il faut défendre en la matière.
Je remercie les auteurs de la proposition de loi d’avoir engagé ce débat. Le sujet est, je le crois, très important, pour aujourd’hui comme pour demain. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, puisque nous parlons d’accès au numérique, je débuterai mon intervention, en regrettant que l’expérience du premier confinement ne nous ait pas permis d’éviter les nombreux dysfonctionnements observés lors de la reprise de l’école à distance mardi dernier.
Si nous avons eu la preuve durant cette période que l’outil numérique pouvait être une alternative aux rencontres en présentiel, nous avons aussi pu constater combien sa maîtrise était importante, que ce soit pour l’État, les collectivités, les administrations, mais surtout nos concitoyens.
Plus précisément, pour 14 millions d’entre eux, l’absence de maîtrise des outils informatiques s’ajoute à un souci d’accès à une connexion et à un équipement de qualité, ce qui les exclut de nombreuses démarches administratives et pénalise les plus jeunes à l’école.
L’absence de maîtrise ou d’accès à une connexion ou à un équipement porte un nom : l’illectronisme. Et je me réjouis que mon groupe ait inscrit ce débat à l’ordre du jour de nos travaux. Le sujet touche aux difficultés que rencontrent de nombreux Français, notamment les ruraux.
J’insiste sur les ruraux, car la fracture numérique vient souvent s’ajouter à la fracture territoriale qui alimente depuis longtemps la défiance et le sentiment qu’il y aurait deux France : d’une part, une France urbaine et périurbaine, proche des centres de décisions, des services publics et des pôles économiques ; d’autre part, une France rurale, éloignée de tout, mais souvent plus conforme à la réalité de notre pays.
Plus que d’égalité, c’est de justice et d’équité dont nous avons besoin pour renouer avec la promesse républicaine. À mon sens, cette proposition de loi y contribue.
Je partage l’opinion du rapporteur sur l’évaluation des capacités numériques des élèves : s’il existe effectivement des dispositifs au collège et au lycée, j’ai des doutes sur le nombre d’heures qui y sont consacrées et sur la réalité d’un enseignement approfondi.
Entre la maîtrise des réseaux sociaux et celle de l’outil informatique pour effectuer des démarches administratives, il n’y a qu’un pas, souvent trop grand pour de nombreux jeunes.
À propos des articles 3 à 7 de la proposition de loi, je me retrouve pleinement dans la volonté, affichée par notre collègue Éric Gold, de passer d’une logique de services publics 100 % dématérialisés à une logique de services publics 100 % accessibles.
À l’accessibilité, j’ajouterai la complémentarité et la subsidiarité.
Sur la complémentarité, j’insiste sur la nécessité de ne pas opposer strictement dématérialisation et papier ni de totalement remplacer une démarche par l’autre. Il est nécessaire de se mettre au niveau de nos concitoyens pour leur garantir l’effectivité de leurs droits. Il faut en ce sens saluer le travail réalisé en commun par l’État, les collectivités et La Poste pour mettre en place des maisons France Services. J’en ai, encore récemment, inauguré deux, à Meyrueis et Florac, et je peux témoigner de la qualité et de la proximité du service que ces structures offrent au public.
Sur la subsidiarité, si les maisons de services au public (MSAP) et les maisons France Services sont essentielles, elles ne résolvent pas tout. Dans cette logique, il faut nous interroger dès que possible sur l’échelon le plus pertinent pour agir et aider nos concitoyens dans leurs démarches.
Il en va de même pour la dématérialisation. Elle ne doit pas se faire à n’importe quel prix et aux dépens de l’accessibilité, comme ce fut le cas au départ pour la carte grise. Elle doit également s’accompagner d’un droit à l’erreur, comme cela est proposé à l’article 5.
Enfin, pour être acceptée, la dématérialisation doit être facilitée, notamment par une meilleure ergonomie des sites des administrations et une plus grande conformité aux normes d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap.
Les dispositions proposées aux articles 6 et 7 nous permettent de faire un pas en ce sens. J’espère que nous trouverons un accord sur ces sujets.
L’ensemble des membres du groupe du RDSE votera cette proposition de loi ; certes, elle ne résoudra pas tout, mais elle vient marquer une étape essentielle dans la lutte contre l’illectronisme. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi qu’au banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous remercions vivement le groupe RDSE d’avoir pris l’initiative de créer une mission d’information sur la fracture numérique sociale et générationnelle et de soumettre à l’examen de notre Haute Assemblée une proposition de loi qui reprend quelques préconisations de cette mission.
Nous partageons totalement le constat global : « La dématérialisation de l’action publique ne doit pas aboutir à la suppression des guichets et à la déshumanisation du service public. »
Alors que le désir de vaccination occupe les esprits de tous nos concitoyens, nous mesurons, en tant qu’élus de terrain, les angoissantes difficultés qu’éprouvent certains d’entre eux pour obtenir un rendez-vous ou des informations sur les sites accessibles uniquement par les réseaux numériques. Nous sommes nombreux dans cette assemblée à leur avoir apporté un soutien essentiel pour leur permettre de profiter d’une aide qui aurait dû leur être fournie directement, sans l’intermédiaire d’un serveur informatique désespérément binaire. Combien de nos concitoyens âgés ne sont toujours pas vaccinés par défaut de connexion ou de maîtrise du numérique ?
M. Christian Bilhac. Bonne question !
M. Pierre Ouzoulias. D’une manière plus générale, nous remarquons, avec les auteurs de ce texte, que plus la dématérialisation des services progresse, plus elle abandonne à ses marges des populations qui se trouvent exclues par manque d’équipement, de compétence ou de réseau performant. Leur éviction de facto de l’accès aux services publics numérisés les oblige souvent à recourir à des intermédiaires, qui leur font payer cette aide. C’est le retour de l’écrivain public qui vend ses compétences informatiques, comme jadis l’écrivain de rue faisait commerce de sa maîtrise de l’écrit et des formes d’interpellation des autorités publiques.
De plus en plus, les collectivités apportent gratuitement ce service à leurs administrés menacés par l’exclusion numérique, y compris dans les territoires urbains, qui ne sont pas épargnés par un tel processus. Tout se passe comme si les administrations nationales reportaient sur les collectivités la charge de l’aide aux populations rejetées par une numérisation exclusive.
Cette proposition de loi a le grand mérite d’alerter l’État sur les difficultés éprouvées par nos concitoyens et de rappeler justement l’importance du droit au guichet, tel que l’avait défini le Défenseur des droits dans son rapport de 2019.
Néanmoins, elle ne peut pas contraindre l’État à mettre un terme à une dérive générale qui, par souci d’économie, remet en question la notion même de service public. Assurer une mission de service public, ce n’est pas délivrer une prestation technique dans l’ignorance volontaire des spécificités sociales ou territoriales des usagers. En déshumanisant de la sorte sa relation aux citoyens, l’État condamne le service public, parce qu’il le met en concurrence avec des services privés, qui n’ont pas les mêmes obligations de résultat.
Une mission de service public se doit au contraire, au nom du pacte républicain, d’apporter une aide, une allocation, des droits adaptés à la situation personnelle de tous les citoyens, afin de n’en oublier aucun et de rendre effectif le contrat social qui nous unit au sein de la Nation.
Nous voterons en faveur de ce texte dans l’espoir qu’il constitue la première étape d’une réflexion plus globale sur le rôle des services publics dans la refondation républicaine des relations entre l’État et les citoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Moga.
M. Jean-Pierre Moga. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, toute proposition de loi comporte des points forts et des points faibles. Celle-ci n’échappe pas à la règle, notamment parce qu’elle aggrave la situation des finances publiques sans prévoir de compensation équivalente. En outre, elle compte de nombreuses dispositions de nature réglementaire, comme l’a rappelé M. le rapporteur.
Elle a cependant le mérite d’exister, et elle est particulièrement bienvenue tant il y a urgence à légiférer sur la fracture numérique qui frappe de plein fouet notre pays.
Elle arrive dans le sillage du rapport du 17 septembre 2020 de la mission d’information du Sénat « Lutte contre l’illectronisme et inclusion numérique », que présidait notre collègue Jean-Marie Mizzon. Le constat dressé y était accablant : 14 millions de Français ne maîtrisent pas le numérique et près d’un Français sur deux n’est pas à l’aise avec cet outil de progrès !
Surtout, alors que la France compte 53 millions d’internautes, les plus âgés, les moins favorisés ou encore nombre de ruraux sont laissés pour compte dans une société toujours plus numérisée.
Sans surprise, cette fracture sociale et générationnelle est aussi, dans une large mesure, territoriale. En effet, 50 % des non-internautes résident dans des communes de moins de 20 000 habitants.
Au mois de mai 2018, la Cour des comptes avait évalué à 34 milliards d’euros le coût du plan France Très haut débit et estimé que l’objectif de raccordement d’ici à 2030 était nettement plus réaliste que la prévision initiale, c’est-à-dire 2022.
Dans ce contexte, la dématérialisation généralisée et à marche forcée des services publics d’ici à 2022 laisse sur le bord de la route trois Français sur cinq, incapables ou presque de réaliser des démarches administratives en ligne.
Pour toutes ces raisons, le passage d’une logique 100 % dématérialisée à une logique 100 % accessible semble, pour l’heure, quelque peu compromis.
Fort de ces chiffres, le rapporteur de la mission, notre ancien collègue du Gers Raymond Vall, avait tenu à bien prendre la mesure de ce phénomène d’envergure, en précisant combien la lutte contre l’illectronisme dépasse largement le simple défaut de maîtrise technologique des outils numériques.
De fait, l’illectronisme, qui peut aussi s’expliquer par un manque de compétences informatiques, provoque immanquablement une rupture d’égalité des citoyens, lorsque ceux-ci sont confrontés à une dématérialisation totale des démarches administratives. Il est aussi parfois facteur d’exclusion sociale. C’est inadmissible, et notre pacte républicain ne peut pas le tolérer !
C’est la raison pour laquelle le rapport demandait que l’inclusion numérique soit proclamée priorité nationale et service d’intérêt économique général. Surtout, il préconisait l’allocation d’un milliard d’euros à ce chantier colossal ; cela représente un budget quatre fois supérieur à celui qui est prévu en loi de finances pour 2021.
Ne nous leurrons pas. L’argent est, ici plus d’ailleurs, le nerf de la guerre. Les propositions qui figurent dans le rapport, si elles sont mises en pratique, comme les actions menées jusqu’ici par le Gouvernement, donneront des résultats uniquement si tout est mis en œuvre au plan financier pour parvenir à un niveau d’inclusion numérique satisfaisant dans les meilleurs délais.
À cet égard, quid des préconisations du rapport, notamment de la proposition de professionnalisation de la médiation numérique ? Il y a pourtant là un vivier d’emplois qui pourraient séduire de jeunes diplômés, mais encore faudrait-il, là aussi, les rémunérer à leur juste valeur. Le SMIC, niveau qui est évoqué, ne peut décemment pas suffire.
Dans ces conditions, puisque tout est une question de financement et de budget, de quels moyens le législateur dispose-t-il pour inciter le Gouvernement à agir au mieux et, surtout, au plus vite ? Et quid de cet ambitieux chantier d’inclusion numérique, décrété grande cause nationale ? Il est très attendu, en particulier dans nos territoires ruraux brusquement confrontés à la dématérialisation massive des services publics.
La commission des lois a arrêté un périmètre indicatif pour cette proposition de loi. Celui-ci comprend la détection et l’étude des personnes en difficulté face au numérique, les échanges et procédures numériques avec l’administration, les compétences numériques de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), la formation au numérique pour les personnels de l’enseignement et les aides en lien avec le numérique.
Tâchons de nous y tenir, car il est un fait parfaitement établi et confirmé par la crise du covid-19 : la société numérique provoque l’exclusion de nombre de nos concitoyens. Cet outil de progrès, auquel nous devons, entre autres, la démocratisation des savoirs, est donc aussi particulièrement inégalitaire.
Cet état de fait n’est pas tolérable ! Il y a un risque croissant d’atteinte au principe d’égalité devant le service public. Nous ne pouvons pas l’accepter. D’ailleurs, l’intitulé de la proposition de loi est plus qu’explicite : il s’agit bien d’une « lutte ».
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, donnons-nous les moyens de venir à bout de ce véritable fléau ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Martine Filleul. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les confinements ont jeté une lumière crue sur la détresse de 14 millions de personnes en situation d’illectronisme. Avec la digitalisation grandissante de notre société, les injustices sont exacerbées, et il y a une véritable rupture d’égalité. Pour beaucoup, travailler, étudier, accéder à ses droits et même se soigner devient un défi insurmontable. Car, outre que l’accès matériel au numérique est coûteux, son utilisation, loin d’être simple et intuitive, suppose d’en maîtriser les codes.
Si dès 1999 Lionel Jospin pointait le risque d’illectronisme, encore aujourd’hui, près d’un Français sur deux n’est pas à l’aise avec le numérique, et près d’un sur cinq en reste totalement exclu. Ce qu’il faut appeler un échec est lié à l’absence de politique publique organisée. Notre conviction est qu’il faut envisager l’inclusion numérique comme un service public à part entière.
Tout d’abord, ce service doit être structuré et organisé. Car, comme dans la lutte contre l’illettrisme, la difficulté de l’illectronisme réside dans la capacité à atteindre ceux qui en ont le plus besoin et qui nécessitent un accompagnement. Or les publics les plus éloignés du numérique ne sont ni repérés ni contactés.
Parallèlement, l’atomisation des initiatives et la multiplication des niveaux décisionnels rendent les actions difficilement visibles pour les bénéficiaires.
C’est pourquoi nous aurions souhaité qu’une telle compétence soit explicitement dévolue au département : compte tenu de sa mission de solidarité territoriale, de lutte contre les exclusions et d’accompagnement social, celui-ci apparaît comme l’échelon pertinent. Dans les faits, de nombreux départements se sont déjà saisis de cette problématique.
Nous proposons ainsi que chaque département élabore un schéma de lutte contre l’illectronisme. Cela permettra de dresser un bilan des actions existantes sur le territoire, de mieux les coordonner et de les développer en fonction des besoins identifiés et en s’appuyant sur les structures existantes. Je pense notamment à La Poste, qui, grâce à son maillage territorial et à ses facteurs, couvre toutes les zones, même les plus reculées. Ainsi, la politique départementale de lutte contre l’illectronisme sera clairement définie, plus efficace et répartie équitablement sur le territoire.
Ensuite, ce service public doit bénéficier d’un investissement à la hauteur de l’enjeu. Nous saluons à ce titre l’article 8, qui vise à instaurer un fonds de lutte contre l’exclusion numérique. De la même manière, l’article 9, qui permet aux ménages modestes de bénéficier d’un chèque-équipement pour l’acquisition de matériel informatique, nous paraît aller dans le bon sens.
Cependant, il ne faut pas l’oublier : plus encore que le matériel, c’est le coût d’une connexion à internet qui est un frein. Il conviendrait de réfléchir à une aide pour le paiement d’un abonnement.
Ces moyens doivent aussi permettre de développer la médiation numérique, encore insuffisante face à la dématérialisation des services publics. Si la liberté donnée à l’usager sur les moyens de correspondance et de paiement ou encore le droit à l’erreur sont bienvenus, c’est la question de la formation qui est primordiale, qu’il s’agisse des enseignants comme des élèves, des chefs d’entreprise comme des salariés. Nous soutenons donc les différentes mesures prévues dans le texte à cet égard.
Afin que la formation puisse être efficiente, une bonne connaissance des besoins est essentielle.
Nous considérons qu’une évaluation régulière des compétences numériques de nos concitoyens est loin d’être superfétatoire. D’ailleurs, alors que la lecture est censée être acquise par tous les élèves, son évaluation lors de la Journée défense et citoyenneté ne permet-elle pas de détecter et d’orienter chaque année des jeunes confrontés à l’illettrisme et passés entre les mailles du filet ?
Enfin, le numérique ne doit pas être un facteur d’isolement pour les personnes en situation de handicap. Seuls 13 % des sites en lignes leur sont accessibles ; le renforcement des mesures pour accélérer la mise en conformité des sites semble nécessaire.
Si la proposition de loi que nous examinons sur l’initiative de notre collègue Éric Gold ne peut pas résoudre l’ensemble des problèmes posés par l’illectronisme, elle comporte des mesures de bon sens pour répondre aux besoins de nombreux usagers. À ce titre, et parce que tout outil supplémentaire est utile pour lutter contre l’exclusion numérique, elle mérite d’être soutenue. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le vent de la révolution numérique est porteur de nombreuses promesses. Qu’il s’agisse du développement de l’accès à la connaissance, du renforcement de l’inclusion sociale ou de l’amélioration de la qualité de vie, voire de l’égalité territoriale, le numérique est à la croisée de tous les bouleversements.
Pourtant, des inégalités flagrantes perdurent. Aujourd’hui, 14 millions de nos concitoyens sont confrontés à des difficultés dans l’utilisation des outils digitaux. Ce n’est pas rien !
Handicap, précarité économique, niveau d’instruction… les causes de l’illectronisme sont multiples. Mais c’est à la problématique des seniors que je consacrerai l’essentiel de mon intervention.
D’après les chiffres de l’Insee, près de la moitié des plus de 75 ans n’ont pas d’accès internet à leur domicile et 67 % d’entre eux sont dépourvus des compétences numériques élémentaires. Il n’est pas acceptable que nos aînés soient exclus de la marche du progrès. Il faut évidemment faire le nécessaire pour y remédier.
Alors que le troisième confinement national et la généralisation de l’école en ligne nous ont fait franchir un nouveau palier dans la dématérialisation des relations avec l’administration, il est plus urgent que jamais de dessiner un cap pour garantir l’égal accès de tous les Français au service public.
C’est la raison pour laquelle je soutiens le principe de la présente proposition de loi. Bien qu’émaillé de nombreuses imperfections juridiques mises en lumière par M. le rapporteur, ce texte a le mérite de proposer des solutions concrètes contre l’ostracisme numérique des populations les plus fragiles.
Selon l’Observatoire des seniors, en 2014, 27 % des plus de 75 ans déclaraient souffrir de solitude. Il est primordial de veiller à ce que la dématérialisation n’accentue pas leur isolement. Et comment, par exemple, remplir sa déclaration d’impôts, lorsque l’on est isolé et que l’on ne dispose pas d’un ordinateur ?
C’est pourquoi je salue la création des maisons France Services et de la plateforme Aidants Connect, qui facilite l’aide administrative de tiers aux personnes vulnérables. Plus largement, je voudrais en profiter pour souligner le travail remarquable accompli bénévolement par les aidants familiaux. Véritables anges gardiens du quotidien, des milliers de Français s’investissent sans compter au service de leurs proches les plus vulnérables.
Je soutenais dans ce texte le principe de la création d’un référent chargé de l’inclusion numérique au sein de chaque établissement public de coopération intercommunale (EPCI), mais M. le rapporteur a mis en avant le fait que ce dispositif devait être retravaillé au plan juridique.
Parler du grand âge, c’est aussi parler du handicap. Les personnes en situation d’invalidité représentent une personne sur cinq en exclusion numérique. Alors que les sites en ligne devraient théoriquement leur être accessibles, seulement 13 % des démarches administratives leur sont véritablement ouvertes sur internet. C’est pourquoi j’ai cosigné les amendements de Philippe Mouiller en faveur de l’inclusion numérique des personnes en situation de handicap.
Alors que nous vivons dans une société toujours plus dématérialisée, aucun citoyen ne devrait être sacrifié sur l’autel de la modernité. Le numérique pour tous est un enjeu d’égalité et même d’humanité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cela a été rappelé, trois Français sur cinq rencontrent beaucoup de difficultés pour réaliser des démarches en ligne, 14 millions de Français sont éloignés du numérique et un Français sur deux déclare ne pas être à l’aise avec ces outils. Si le numérique facilite les choses pour bon nombre de nos concitoyens, il en laisse aussi beaucoup de côté.
Ce constat avait déjà été établi dans le rapport que notre ancien collègue Raymond Vall avait remis au nom de la mission d’information « Lutte contre l’illectronisme et inclusion numérique ».
Les publics les plus touchés par l’illectronisme sont constitués des personnes handicapées, des personnes âgées, des personnes qui maîtrisent mal notre langue et de celles qui souffrent d’illettrisme.
Dans un contexte de dématérialisation des services publics qui permet de réaliser un certain nombre d’économies, la maîtrise du numérique devient de plus en plus la condition sine qua non de l’accès aux droits.
Dans de nombreux territoires, le numérique a remplacé les guichets physiques. Loin d’apparaître comme un progrès, il peut être ressenti comme une entrave et conduire à des renoncements aux droits, ce que nous ne pouvons évidemment pas accepter.
Il existe donc un véritable enjeu : s’adapter à la vie des Français, en prenant en compte leurs usages, qui passent effectivement de plus en plus par le numérique, mais pas de manière exclusive.
La proposition de loi déposée par les membres du groupe RDSE sur l’initiative, en particulier, de notre collègue Éric Gold reprend en partie les propositions du rapport d’information de Raymond Vall. Elle vise à faciliter l’accès de tous les citoyens aux services publics, afin d’inclure plutôt que d’exclure. Cet objectif est louable, et nous le partageons tous au sein de cet hémicycle.
Cette proposition de loi reprend certaines actions déjà mises en œuvre, mais elle présente également quelques insécurités juridiques.
Ainsi, le chapitre Ier, relatif à la détection des publics en difficulté, évoque les besoins en études et évaluations, mais cette question semble en réalité satisfaite ou en cours de satisfaction.
On constate également que certaines mesures ne relèvent pas du champ de la loi. Par exemple, les dispositions du chapitre III, qui traite du financement de la politique d’inclusion numérique, sont du ressort d’une loi de finances.
De même, nous pouvons mentionner l’article 13, qui tend, d’une part, à rendre obligatoire la formation des enseignants des établissements d’enseignement supérieur en matière de numérique et, d’autre part, à prévoir que les Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé) organisent la formation continue des enseignants en matière numérique. En effet, la définition du contenu matériel des enseignements que les Inspé dispensent relève plutôt du domaine réglementaire.
Avant de conclure, je souhaite saluer la qualité des travaux du rapporteur, notre collègue Thani Mohamed Soilihi.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le début de la crise sanitaire, voilà un an, tous les citoyens, sans exception, ont dû s’adapter à un usage du numérique de plus en plus important dans leur vie quotidienne.
Nul ne peut nier la nécessité de faciliter la vie de nos concitoyens sur le plan numérique. Toutefois, dans cette lutte contre l’illectronisme, les actions à mener ne relèvent pas nécessairement du domaine de la loi ordinaire : je pense notamment aux mesures de soutien financier mises en place par le Gouvernement en faveur de l’inclusion numérique des PME, des TPE, des collectivités territoriales ou encore des chambres de commerce et d’industrie.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants réserve son vote, en attendant de voir les modifications qui seront apportées au texte en séance. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, contraventions, impôts, sécurité sociale, puis, avec le confinement, télétravail, école à distance : le numérique s’est emparé avec succès, il faut le dire, de la relation du citoyen avec l’administration et, plus généralement, d’un grand nombre de domaines.
Toutefois, si cette révolution numérique a eu un impact positif dans l’organisation de l’administration, les dysfonctionnements ne sont pas rares. À ce jour, chaque avancée du numérique s’accompagne encore d’un accroissement des disparités et des inégalités des citoyens face à ces outils et à leurs usages. Nous avons tous vécu, je pense, des situations kafkaïennes, où, de réponse automatique en réponse automatique, plus aucun humain n’apparaît, aucun guichet n’est ouvert, aucun numéro de téléphone n’est à disposition pour que l’usager puisse résoudre ses problèmes administratifs.
Ces dysfonctionnements touchent tout le monde, quel que soit le milieu social, économique ou culturel, mais encore plus les personnes détenues, les étrangers et les personnes illettrées. La précarité et l’âge creusent encore cette fracture.
J’ai dit que nous étions tous concernés, mais ce « nous » englobe des situations bien diverses : manque de moyens financiers pour s’équiper ; coût des connexions à internet ; zones blanches ; absence de connaissances ou de formation ; difficultés de compréhension de ces outils.
Tout comme l’illettrisme, c’est un fléau discret pour ceux qui en souffrent souvent de manière honteuse. Les personnes éloignées du numérique peinent en effet à demander de l’aide.
La mission d’information du Sénat de septembre dernier avait pointé que « 14 millions de Français ne maîtrisaient pas le numérique » et que « près d’un Français sur deux n’était pas à l’aise ». Or la maîtrise de ces outils est devenue un paramètre incontournable pour l’accès effectif de l’usager non seulement au service public, mais aussi à l’emploi, voire, de plus en plus, à l’éducation, à la culture ou à l’information.
La présente proposition de loi, que je salue, s’inspire de ce rapport et cherche, au travers de ses seize articles, à améliorer la situation actuelle, en permettant une meilleure prise en compte de ces publics en difficulté.
Il faut savoir que le rapport sénatorial préconisait la mobilisation d’un milliard d’euros pour financer l’inclusion numérique, soit quatre fois plus que le montant alloué par le Gouvernement dans le cadre du plan de relance.
Je regrette que notre commission n’ait pas adopté ce texte, qui prévoit notamment un fondamental droit au guichet, essentiel dans la garantie réelle d’un accès au service public, un droit à l’erreur, notamment pour les aidants qui effectuent les démarches en ligne pour le compte de tiers, ou encore une compétence nouvelle pour l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) afin qu’elle « accompagne la structuration des offres de médiation numérique sous une labellisation unique et établisse une cartographie de l’ensemble des lieux d’accompagnement des usagers du service public ». Enfin, dans son article 8, ce texte vise à créer un fonds de lutte contre l’exclusion numérique, doté d’au moins 500 millions d’euros par an, donc plus ambitieux que la stratégie nationale mise en place par le Gouvernement.
Certes, je reste plus hésitant sur la mesure instituant un chèque numérique. Les exclus du numérique étant souvent des personnes en difficulté financière, d’autres formes d’aides ne leur imposant pas une médiation entre leurs différents besoins me paraissent plus appropriées.
Notre groupe propose ainsi de demander aux grandes entreprises de donner ou de vendre à bas coût leurs anciens équipements électroniques dans un esprit de développement durable fort. Ce serait le moyen de renforcer les filières de redistribution solidaire et de diminuer le volume des déchets numériques, tout en favorisant l’équipement des populations fragiles.
Nous proposons également de permettre aux travailleurs sociaux, en première ligne dans la réduction de cette fracture, comme pour beaucoup d’autres sujets, d’être formés à la médiation numérique.
Nous saluons et nous soutiendrons les démarches de nature à rappeler l’impact environnemental des outils du numérique et à garantir l’information de tous les nouveaux usagers sur cette question.
Ayant à l’esprit l’enjeu social majeur de l’accès au numérique et les quelques avancées concrètes inscrites dans cette proposition de loi, les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires comptaient voter ce texte, sauf que le rapporteur, avec l’accord de la majorité de la commission des lois, souhaite le vider de sa substance, en proposant, par ses amendements, la suppression de onze des seize articles…
Nous voterons contre ce texte, s’il devait être ainsi amputé ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que nous vivons dans une société toujours plus numérisée, que nos démarches administratives tendent vers le 100 % dématérialisé, 14 millions de nos concitoyens éprouvent de grandes difficultés à se saisir des outils informatiques.
L’illectronisme et les fractures numériques qui perdurent dans notre pays touchent un large public : les personnes âgées en premier lieu, mais aussi les personnes les moins diplômées, les ménages les plus modestes et même une partie de notre jeunesse, cette même jeunesse que l’on considère bien souvent comme étant à la pointe de la technologie, faisant fi de la diversité qui la caractérise.
À l’heure où les offres d’emploi se trouvent majoritairement sur internet, où l’accès aux services publics et à l’information est dématérialisé, où le droit de saisine des administrations par voie électronique est devenu la norme, l’illectronisme éloigne nos concitoyens du monde du travail, freine leur émancipation et l’accès à leurs droits.
Tendre vers une société numérisée est une ambition louable, partagée par les gouvernements successifs, mais, pour préserver notre pacte social et rendre le numérique accessible à tous, cette ambition implique des moyens.
Des moyens en matière de formation : je pense notamment aux aidants, aux travailleurs sociaux, aux agents des collectivités territoriales et aux enseignants.
Des moyens pour accompagner nos concitoyens les plus éloignés des outils numériques, afin qu’ils puissent s’en saisir pleinement et gagner en autonomie.
Des moyens, enfin, pour permettre dans chaque territoire d’identifier les types de public en difficulté avec le numérique et de proposer l’offre d’accompagnement adaptée.
C’est pourquoi, depuis 2018, l’État et les collectivités territoriales mettent en œuvre la stratégie nationale pour un numérique inclusif. Le plan de relance renforce cette stratégie ambitieuse : 250 millions d’euros seront ainsi mobilisés pour accélérer l’appropriation des nouveaux usages et services numériques par tous les Français.
La proposition de loi que nous examinons s’inscrit pleinement dans la continuité du rapport d’information sénatorial rendu en septembre dernier ; nous en partageons le constat, ainsi que les objectifs. Ce texte contient des pistes d’amélioration intéressantes que je tiens à saluer.
La reconnaissance à tout usager d’un droit à l’erreur lors de la réalisation d’une démarche administrative dématérialisée en cas d’erreur de saisie constitue une avancée notable, et l’élargissement de ce droit à l’erreur à un tiers agissant dans l’intérêt ou pour le compte de la personne en cause nous semble compléter utilement ce dispositif.
Nous partageons également le constat sur la nécessité pour les sites internet des administrations de gagner en ergonomie. La création du référentiel, prévue à l’article 6, va dans le sens d’une meilleure information des usagers afin de faciliter l’exercice de leurs droits et devoirs.
Il est aujourd’hui urgent d’accélérer la mise en conformité des sites internet pour les rendre accessibles aux personnes en situation de handicap. Le retard pris en la matière compromet notre ambition commune de parvenir à une société inclusive et de favoriser l’autonomie des personnes en situation de handicap. C’est pourquoi il est nécessaire de sanctionner les manquements aux règles relatives à l’accessibilité numérique, et non plus seulement l’absence de mention visible sur la page d’accueil.
Enfin, la crise sanitaire a bouleversé nos modes d’enseignement et mis en lumière la nécessité de mieux former les enseignants aux outils numériques. L’article 13, qui prévoit la formation continue obligatoire des enseignants au numérique répond à cet objectif. Il s’agit de garantir une continuité pédagogique à tous les élèves et de leur offrir les ressources nécessaires pour appréhender les nouveaux outils numériques.
Pour conclure, je tiens à saluer le travail de notre collègue Éric Gold, auteur de la proposition de loi, ainsi que celui de notre rapporteur, Thani Mohamed Soilihi, qui propose utilement de recentrer le texte sur les dispositions constituant un apport et ayant toute leur place dans une loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Chaize. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’inclusion numérique, ce sont des liens et des lieux.
Liens humains d’abord, car c’est l’accompagnement par des médiateurs, des conseillers ou d’autres référents qui prime pour les 17 % de la population qui restent éloignés des usages du numérique et ne peuvent ni se relier au monde et aux administrations, de plus en plus distantes, ni accéder à leurs droits, à l’emploi, mais aussi à la santé, à la culture ou à l’éducation.
Lieux de proximité ensuite, car les « fracturés » du numérique, qui appartiennent à toutes les catégories d’âge, sont souvent des personnes isolées, vivant à l’écart des centres-villes ou en milieu rural.
À ce propos, mes chers collègues, avez-vous déjà essayé de remplir vous-mêmes un quelconque formulaire administratif en ligne à l’aide d’un smartphone, qui plus est en zone blanche ?
Certains ont voulu nous faire croire, peut-être de bonne foi, qu’avec le suréquipement de nos concitoyens en téléphones dits intelligents la fracture numérique était en voie d’être réduite. La période que nous vivons actuellement nous prouve à quel point ils se trompaient.
Parallèlement au déploiement des infrastructures télécoms fixes et mobiles – en même temps, si j’ose dire –, les collectivités ont accompagné les usages. Les élus locaux n’ont eu de cesse de mettre en place des lieux et de rémunérer des animateurs, que ce soient des cybercafés municipaux dans les années 1990, des points d’accès dans les mairies, les médiathèques ou les établissements scolaires ou encore des cyberbus.
Certains de ces lieux et de ces postes d’animateur ont su s’adapter et survivre aux réorientations incessantes des politiques nationales. Nous pouvons donc nous réjouir aujourd’hui, plus de vingt ans après ces pionniers, qu’une stratégie nationale d’inclusion numérique soit de nouveau à l’ordre du jour. Nous ne pouvons que nous féliciter du fait que plusieurs centaines de millions d’euros lui soient enfin consacrées et nous associer à cette grande cause nationale, notamment au travers de cette proposition de loi.
Pour autant, plusieurs points de cette démarche sont perfectibles. Que pouvons-nous améliorer ?
Premièrement, pour mieux détecter les publics en difficulté, il est essentiel de se mettre d’accord sur les données nécessaires pour définir un indice partagé entre État et collectivités, plutôt que d’adopter une classification stigmatisante, comme nous avons pu en entendre parler. Je me permets ici de faire référence au rapport sénatorial sur le devenir de La Poste, qui ouvre aussi certaines perspectives.
Deuxièmement, il convient de passer du 100 % dématérialisé au 100 % accessible. L’ensemble des acteurs, dont les associations de collectivités, n’ont cessé de rappeler qu’il fallait, d’une part, laisser le choix à l’administré de son mode de relation avec l’administration et, d’autre part, offrir un mode d’accès alternatif, au mieux un guichet – les 2 000 maisons France Services annoncées vont dans ce sens – ou, pour le moins, un accès téléphonique avec des conseillers qui répondent.
Troisièmement, le financement de la politique publique d’inclusion numérique devrait s’envisager sur le temps long. Il ne peut se satisfaire de stop and go incessants, voire contradictoires, au gré des changements gouvernementaux.
Quatrièmement, sur l’accompagnement des usagers exclus de la dématérialisation des services publics, le Gouvernement, par l’intermédiaire de l’ANCT, multiplie les actions et les appels à projets : pass numériques, hubs France connectée, Aidants Connect, conseillers numériques France Services, Fabriques de territoires, Territoires d’action pour un numérique inclusif, ABC Pix, etc. Cette abondance de dispositifs permet d’aborder le problème de l’inclusion avec une palette d’outils, mais entraîne un inévitable problème de lisibilité, d’autant que, pour la plupart d’entre eux, le fonctionnement par appels à projets ne conduit bien souvent que les collectivités les mieux dotées en matériel et ressources humaines à pouvoir y répondre dans les délais impartis.
Les associations d’élus locaux, telle l’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (Avicca), appellent constamment de leurs vœux depuis des années une politique publique dite d’inclusion durable. Pourtant, l’horizon de celle-ci semble toujours être avril 2022. L’inclusion numérique, ce ne sont pas que des appels à projets, comme celui proposé par l’ANCT et appelé Nouveaux lieux, nouveaux liens.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Patrick Chaize. Nous demandons une politique publique pérenne de liens humains et techniques et des lieux nombreux et équitablement répartis, comme autant d’appuis essentiels pour la résilience numérique de nos territoires, qu’ils soient ruraux, périphériques ou ultramarins.
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Berthet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Martine Berthet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’illectronisme en France cause une véritable fracture et fragilise notre société ; c’est un constat indéniable. Dans un monde toujours plus connecté, avec une administration toujours plus numérisée qui laisse en marge trois Français sur cinq, avec des confinements successifs, qui ont accéléré le développement du télétravail, de l’école numérique à la maison ou encore de la télémédecine, la réduction de cette fracture doit devenir une de nos priorités nationales.
Il y a quelques mois, la mission d’information du Sénat sur la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique, à laquelle j’ai participé, a permis de faire un état des lieux de la situation actuelle. La proposition de loi de notre collègue Éric Gold et du groupe RDSE, que nous examinons aujourd’hui, reprend une partie des 45 propositions alors formulées.
Bien qu’elle ne règle pas tous les problèmes et présente quelques faiblesses juridiques identifiées par notre rapporteur, elle constitue une première pierre qui est à l’honneur du Sénat. Je partage avec mon groupe les préoccupations de son auteur visant à renforcer les instruments de lutte contre l’illectronisme et à faciliter l’accès aux services publics dématérialisés dans les territoires.
En effet, si des mesures existent déjà, elles montrent leurs limites. Il reste beaucoup à faire pour de nombreux publics et un certain nombre de freins doivent être levés.
Je pense par exemple aux difficultés de déploiement du pass numérique : d’un système de formation gratuit mis en place dans les territoires, il est devenu un système payant avec le principe du chèque ; les lieux ressources ont besoin d’être équipés en douchettes de lecture de code-barres ; la labellisation par #Aptic pose parfois problème. Il résulte de toutes ces difficultés une grande lenteur dans la mise en œuvre de ce dispositif.
À l’article 7 de la proposition de loi, les auteurs de celle-ci se préoccupent des personnes en situation du handicap, qui sont parmi les plus touchées par l’illectronisme. À ce sujet, je salue les amendements de notre collègue Philippe Mouiller, qui viennent compléter ce point.
Des mesures qui me paraissent indispensables pour favoriser l’inclusion numérique des travailleurs sociaux, des élèves et des enseignants sont également proposées.
En tant que corapporteure de la mission d’information instituée par la délégation aux entreprises sur les nouveaux modes de travail et de management, je ne peux que me féliciter de l’article 14 instaurant un crédit d’impôt au bénéfice des petites et moyennes entreprises, afin de favoriser la formation aux outils numériques des dirigeants et de leurs salariés. Nous savons que l’inégalité est grande devant le télétravail, mais aussi que la transformation numérique des entreprises est l’un des enjeux de la relance de leurs activités.
Lutter contre l’illectronisme, ce sont de nombreux paramètres à faire avancer ensemble, car ils ne vont pas les uns sans les autres : haut débit, aide financière à l’accès au numérique et au matériel, meilleure ergonomie des sites et droit à l’erreur ne sont rien, si l’utilisateur n’en a pas la connaissance ou la maîtrise.
Un certain nombre d’éléments nous sont proposés dans cette proposition de loi afin d’avancer vite et mieux sur ce sujet qui constitue un défi économique et social majeur, aujourd’hui plus que jamais, pour aborder dans les meilleures conditions la relance tant attendue de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Roger Karoutchi.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique.
Je vous rappelle que la discussion générale a été close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi relative à la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique
Chapitre Ier
Détecter les publics en difficulté avec le numérique
Article 1er
Une étude biannuelle évalue l’exclusion numérique et l’utilisation faite des compétences numériques par les usagers. À cette fin, un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article et définit un référentiel commun d’évaluation des capacités numériques.
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, sur l’article.
M. Jacques Fernique. J’interviens au nom de Mme Benbassa, qui est retenue.
Nous le savons tous, l’illectronisme est étroitement lié à la fracture numérique. Celle-ci s’observe particulièrement dans l’inégale couverture numérique dont souffrent spécifiquement les territoires ruraux et les outre-mer.
Je prends un exemple concret, la Guyane : ce département ultramarin abrite un centre de recherche spatiale et une base de lancement française et européenne. Nous pourrions imaginer qu’un tel territoire, à partir duquel on est capable de mettre en orbite des fusées, soit à la pointe des nouvelles technologies de télécommunication. Pourtant, la Guyane, mal desservie par les réseaux de téléphonie et internet, pâtit depuis toujours de nombreuses zones blanches. M. Georges Patient, sénateur de la Guyane, évoquait l’année dernière ce problème dans une question écrite au Gouvernement, dans laquelle il indiquait : « en Guyane, [on] constate quotidiennement la qualité médiocre des communications, ainsi que de la connexion internet. » Et il ne s’agit pas là d’un cas isolé.
J’insiste sur ce point, la lutte contre l’illectronisme passe avant tout par une couverture numérique égale sur tout le territoire national. En ce sens, la préconisation du rapport sénatorial visant à établir une cartographie locale de l’exclusion numérique avait toute sa pertinence. Il était également proposé dans ce rapport d’ériger le combat contre l’illectronisme en priorité nationale.
À l’heure du numérique, donner à toutes les Françaises et à tous les Français les moyens de cette transition devrait aller de soi. Je regrette donc profondément que M. le rapporteur ait choisi de manière inexplicable de détricoter un texte qui aurait pu constituer une belle avancée face à un enjeu qui constitue en fait une urgence sociale et sociétale majeure.
M. Guy Benarroche. Bravo !
M. le président. L’amendement n° 41, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Le présent amendement tend à supprimer l’article 1er de la proposition de loi, dont les objectifs sont satisfaits par la pratique et le droit existant.
En effet, l’article 1er vise à instituer une étude biannuelle aux fins d’évaluer l’exclusion numérique et les usages de leurs compétences numériques par les citoyens. Il enjoint le Gouvernement à définir un « référentiel commun d’évaluation des capacités numériques » par décret pris en Conseil d’État.
Or le cadre de référence des compétences numériques constitue déjà le référentiel commun desdites compétences, de sorte qu’il serait surabondant d’en élaborer un second. Par ailleurs, des études relatives à l’exclusion numérique existent déjà, à l’instar de celle réalisée annuellement par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) qui l’appréhende sous l’angle tant de l’équipement que des usages des ménages.
C’est la raison pour laquelle je propose la suppression de cet article.
Mon cher collègue Fernique, je veux vous rassurer et je vous demande de rassurer Mme Benbassa : je suis moi aussi pour l’évaluation, surtout quand il s’agit des outre-mer, mais ce n’est pas en inscrivant dans la loi des dispositions qui existent déjà ou qui relèvent du domaine réglementaire que nous remédierons au problème.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le rapporteur, je suis sur la même ligne que vous.
Vous avez raison de dire que l’intention de l’article est parfaitement louable, mais l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) finance déjà des études en la matière, notamment via le Labo Société numérique, et ce depuis 2017 – je pense notamment au Baromètre du numérique et à Capacity.
Il en est de même pour le référentiel européen : il s’appelle DigComp et il est déjà utilisé dans le cadre de Pix, service public en ligne pour évaluer, développer et certifier ses compétences numériques.
Le Gouvernement est donc favorable à l’amendement.
M. le président. En conséquence, l’article 1er est supprimé, et l’amendement n° 3 n’a plus d’objet.
Article 2
La première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 114-3 du code du service national est complétée par les mots : « et un test d’évaluation des compétences numériques ».
M. le président. L’amendement n° 42, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Pour les raisons que j’ai déjà expliquées en commission et lors de la discussion générale, je propose également de supprimer l’article 2, qui tend à ajouter un test de compétences numériques au programme de la Journée défense et citoyenneté (JDC), afin d’améliorer la détection de l’exclusion numérique.
En effet, ces compétences sont déjà évaluées par l’éducation nationale en fin de collège et au lycée par le groupement d’intérêt public Pix.
En outre, le programme de la JDC a régulièrement été modifié et densifié au détriment de sa cohérence et de sa réceptivité par un public d’âge compris entre 18 ans et 25 ans. Ajouter un test de compétences numériques viendrait alourdir un programme déjà chargé, sauf à supprimer certains éléments, comme ce fut le cas pour la formation aux gestes de premier secours.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. L’avis est favorable, monsieur le président. Je me permets simplement d’ajouter, en complément des arguments avancés par M. le rapporteur, que la généralisation du Pix pour les élèves de troisième et de terminale est effective.
M. le président. En conséquence, l’article 2 est supprimé.
Chapitre II
Passer d’une logique de services publics 100 % dématérialisés à une logique de services publics 100 % accessibles
Article 3
La sous-section 2 de la section 1 du chapitre II du titre Ier du livre Ier du code des relations entre le public et l’administration est complétée par un article L. 112-6-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 112-6-1. – Tout usager du service public est reçu, à sa demande, dans les sites d’accueil physique des administrations afin de réaliser toute démarche administrative dans un délai raisonnable, au plus tard deux mois à compter de la date de la saisine. L’existence d’un téléservice n’emporte aucune obligation de saisine par voie électronique de l’administration. »
M. le président. L’amendement n° 43, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. La commission propose la suppression de cet article. En effet, l’objectif recherché par les auteurs du texte est satisfait, notamment par le déploiement des maisons France Services et la mise en place de la plateforme Aidants Connect, dont nous avons parlé tout à l’heure.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Avis favorable, pour les raisons que M. le rapporteur vient d’exposer.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Cet article 3 vise à laisser la possibilité d’avoir un contact physique pour ceux qui ne peuvent pas avoir accès au numérique. Je ne vois pas en quoi cette disposition est aujourd’hui satisfaite : par exemple, dans les maisons France Services, on peut avoir un contact avec une personne, mais pas directement avec l’administration concernée par la demande. Ce besoin n’est donc pas du tout satisfait. Il en est de même pour le délai de deux mois. Cet article a tout à fait lieu d’être et je ne comprends pas cet amendement de suppression.
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour explication de vote.
Mme Martine Filleul. Le basculement vers le tout-numérique de l’administration s’est traduit par la fermeture physique des services publics dans plusieurs territoires. Cela se révèle encore plus pénalisant pour une partie de nos concitoyens qui ne se trouvent pas en mesure d’utiliser internet. Nous devons être guidés par un seul impératif : l’amélioration du service rendu aux usagers, au moins le temps nécessaire pour que la transformation numérique des personnes publiques soit totalement assimilée. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre cet amendement de suppression.
M. le président. En conséquence, l’article 3 est supprimé.
Article 4
La section 1 du chapitre II du titre Ier du livre Ier du code des relations entre le public et l’administration est complétée par une sous-section 3 ainsi rédigée :
« Sous-section 3
« Choix des modalités d’échange et de paiement
« Art. L. 112-6-2. – L’usager peut refuser à tout moment et par tout moyen le recours au procédé électronique pour la réalisation ou la poursuite de la démarche administrative.
« Toute notification d’attribution, de suppression ou de révision des droits comportant des délais et des voies de recours est communiquée sous support papier ou sous support électronique. L’accord exprès de la personne destinataire de la notification est recueilli préalablement aux échanges dématérialisés.
« Art. L. 112-6-3. – L’existence d’une offre de paiement des services dématérialisée n’emporte aucune obligation de paiement en ligne. Pour les usagers ne disposant pas d’un compte bancaire, l’administration met en place une modalité de paiement alternative. »
M. le président. L’amendement n° 44, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l’article 4, qui permet aux usagers des services publics de choisir les modalités de correspondance avec l’administration, ainsi que les modalités de paiement des services dématérialisés qu’ils souhaitent utiliser.
La commission des lois doute que l’inscription de principes généraux symboliques dans la loi apporte de véritables garanties à l’usager. Là aussi, les avancées en faveur de celui-ci passent d’abord par une succession d’actions concrètes adaptées à chaque procédure.
En outre, la plupart des administrations proposent déjà plusieurs modalités de paiement et de correspondance au choix des usagers. Ainsi, pour déclarer ses revenus à l’administration fiscale, un usager peut utiliser la voie dématérialisée ou indiquer par voie électronique qu’il n’est pas en mesure de le faire et utiliser alors une déclaration sur papier.
Nous sommes tous d’accord : il y a des efforts à faire, mais ce n’est pas par des coups de baguette législative que nous atteindrons notre objectif. Il va falloir user de moyens concrets sur le terrain ; je pense notamment aux maisons France Services, dont la mise en place se poursuit. Le rapport d’information qui est à l’origine de cette proposition de loi montre clairement que les pratiques devront s’adapter pour répondre aux demandes et aux besoins de nos concitoyens. Néanmoins, ce n’est pas en légiférant que nous y parviendrons.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Je suis tout à fait d’accord avec la position de M. le rapporteur : il n’est pas nécessaire de légiférer pour mettre en place ces procédures. Le Gouvernement est donc favorable à cet amendement de suppression de l’article 4.
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour explication de vote.
Mme Martine Filleul. La commission des lois et M. le secrétaire d’État doutent que l’inscription de principes généraux symboliques dans la loi apporte de véritables garanties à l’usager. Pourtant, nos grandes lois sont truffées de principes généraux ! L’égalité des usagers devant le service public est l’un d’entre eux, qu’il convient de décliner à l’échelle nationale comme à l’échelle locale. Il est nécessaire de le rappeler dans la loi et de mettre celle-ci à jour en fonction des évolutions technologiques.
Dès lors, en cohérence avec les arguments que j’ai développés pour nous opposer à la suppression de l’article 3, nous voterons également contre cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. J’irai dans le sens de M. le rapporteur de la commission des lois, mais je reste très attaché au papier, à titre personnel, et je ne suis pas le seul. On a évoqué l’administration fiscale ; j’estime qu’il est important de garder des interlocuteurs de proximité pour l’ensemble de nos services publics. On ne peut pas tout dématérialiser !
Néanmoins, quant à l’objet de cet amendement de suppression, je conviens qu’on ne peut pas tout mettre dans la loi ; l’aspect réglementaire a aussi son importance.
Même si beaucoup de personnes déclarent leurs revenus de façon dématérialisée, il en reste un certain nombre qui, pour différentes raisons, n’en ont pas la possibilité, notamment par absence de connexion internet. Il subsiste des zones d’ombre ! Il y a donc encore des gens – modestement, j’en fais partie – qui font leur déclaration sur papier. Il est important de conserver cette possibilité, par respect pour les usagers, quels qu’ils soient, et dans leur intérêt.
Surtout, il faut garder des interlocuteurs de proximité dans les services publics. La présence humaine est importante.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Marc Laménie. Le tout est de trouver un juste équilibre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Cela dit, j’irai dans le sens de la commission. (M. Philippe Mouiller applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Écoutez, mes chers collègues, je constate que tout le monde est d’accord pour lutter contre l’illectronisme et est favorable à des principes généreux et généraux, mais, quand il s’agit de mettre ceux-ci en application, on supprime article après article et on détricote notre proposition de loi ! On est en train de la tuer à petit feu !
Éric Gold n’a pas pu rester ce soir pour participer à nos débats ; je me fais donc son porte-parole. En tout cas, je ne comprends pas trop pourquoi on agit de la sorte. Un autre texte va-t-il nous arriver par la suite, qui prévoirait des dispositions luttant contre l’illectronisme ?
À ce stade, le mieux est de terminer rapidement l’examen de ce texte, parce que je souhaite que nous ayons le temps d’adopter ce soir le second texte que notre groupe a fait inscrire à l’ordre du jour ! (Sourires et applaudissements.)
M. le président. Mon cher collègue, en tant que représentant du groupe ayant demandé l’inscription de ce texte à l’ordre du jour, vous avez à tout moment de la discussion la possibilité de le retirer. (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Claude Requier. Continuons son examen, mais ne perdons pas de temps !
M. le président. En conséquence, l’article 4 est supprimé.
Article 5
L’article L. 123-1 du code des relations entre l’administration et le public est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après le mot : « situation », sont insérés les mots : « , y compris lors de l’accomplissement d’une démarche administrative dématérialisée, » ;
2° Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Tout site internet public permet à l’utilisateur de procéder à des modifications en raison d’erreurs de saisie, à chaque étape de la démarche administrative. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 45, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Remplacer les mots :
l’administration et le public
par les mots :
le public et l’administration
II. – Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
III. – Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Le premier alinéa est applicable lorsque la méconnaissance ou l’erreur matérielle qu’il vise est commise par un tiers agissant dans l’intérêt ou pour le compte de la personne en cause. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Mes chers collègues, je vous propose, non pas de supprimer l’article 5, mais simplement de l’amender. (Ah ! sur les travées du groupe RDSE.)
Cet article met en place un droit à l’erreur pour les démarches accomplies en ligne. Or nous savons tous qu’un tel droit, plus général, existe d’ores et déjà et est largement reconnu.
Je propose en revanche, par le présent amendement, de prévoir explicitement que le droit à l’erreur s’applique également, lorsque celle-ci est commise par un tiers agissant dans l’intérêt ou pour le compte de la personne en cause.
M. le président. L’amendement n° 29, présenté par M. Durain, Mme M. Filleul, M. Cardon, Mme de La Gontrie, MM. Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
alinéa,
insérer les mots :
les mots : « pour la première fois » sont supprimés et
La parole est à Mme Martine Filleul.
Mme Martine Filleul. Nous souhaitons que le champ de cet article soit élargi. Aujourd’hui, le droit à l’erreur ne s’applique qu’une fois. Or, dans de nombreuses situations, un usager peu à l’aise avec l’outil informatique, mais invité à effectuer ses démarches en ligne, peut en toute bonne foi commettre des erreurs répétées. Il convient donc de prendre en compte cette situation dans une société toujours plus numérisée et hyperconnectée, pour ne pas donner le sentiment que ces personnes en difficulté seraient des usagers de seconde zone.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 29 ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cet amendement tend à supprimer la condition selon laquelle le droit à l’erreur prévu par le code des relations entre le public et l’administration ne s’applique que si l’erreur est commise pour la première fois.
Néanmoins, cette modification ne concerne pas seulement les démarches accomplies sous forme numérique et je ne pense pas qu’il soit opportun d’offrir la clémence de l’administration aux auteurs d’erreurs répétées. Il serait d’ailleurs difficile de prouver que l’erreur a été commise de bonne foi dans de telles circonstances.
Je vous invite donc, ma chère collègue, à retirer votre amendement ; à défaut, l’avis de la commission sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Les amendements nos 45 et 29 portent tous deux sur le droit à l’erreur issu de la loi du 10 août 2018. Ce droit a pour effet que l’administration ne peut pas sanctionner un usager, quand il commet une erreur de bonne foi dans le cadre d’une démarche auprès d’elle. Cela comprend déjà les démarches numériques, comme l’a souligné votre rapporteur ; cet argument me semble très pertinent.
La rédaction proposée par M. le rapporteur pour l’alinéa 4 en ce qui concerne le cas des tiers est certes opportune dans son principe, mais il me semble que la doctrine administrative pourrait régler ce problème sans qu’il soit besoin de passer par la loi. Je le dis d’autant plus volontiers que le Sénat se montre toujours très attaché à la qualité de la loi.
Cet argument m’incite à inviter M. le rapporteur à retirer son amendement ; à défaut, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse du Sénat.
En revanche, comme la rédaction de l’amendement du rapporteur me semble meilleure que celle de l’amendement n° 29, j’émettrai un avis défavorable sur ce dernier.
M. le président. En conséquence, l’amendement n° 29 n’a plus d’objet.
Je mets aux voix l’article 5, modifié.
(L’article 5 est adopté.)
Article additionnel après l’article 5
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par M. Bonhomme, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les collégiens et lycéens peuvent avoir recours à une banque de ressources numériques préalablement validée par l’Éducation nationale leur permettant d’accéder sans frais supplémentaires à des services éducatifs et ressources pédagogiques, en complément du forfait individuel de leur mobile, quel que soit le volume initial de données prévu à la souscription dudit forfait.
La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Comme vous le savez, mes chers collègues, les départements sont très favorables à l’établissement d’une « liste blanche » pédagogique consistant en la mise à disposition des élèves d’un volume de données suffisant, dédié à des services éducatifs, en complément de leurs forfaits individuels de téléphonie mobile. Cela leur permettrait d’accéder sans surcoût à des ressources pédagogiques et aux services de vie scolaire.
Cette liste blanche permettrait de réduire les différences socio-économiques entre élèves et leur garantirait un accès ininterrompu aux ressources pédagogiques nécessaires à la réussite de leur scolarité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Le présent amendement tend à offrir aux collégiens et aux lycéens une banque de ressources numériques, ainsi qu’un accès illimité à internet sur leur téléphone mobile pour en bénéficier. Son objectif est parfaitement louable, comme celui de tous les autres amendements, à l’heure où les contenus en ligne prennent une place significative.
Je pense néanmoins qu’il serait difficile de mettre en place une telle norme sans avoir consulté au préalable les différentes parties prenantes, notamment les professeurs, les opérateurs téléphoniques et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) pour les modalités techniques.
En outre, il n’est pas prévu dans cet amendement d’indemnité pour les opérateurs concernés, ce qui fait encourir à cette disposition le risque d’une censure constitutionnelle.
Pour toutes ces raisons, je vous invite, mon cher collègue, à retirer votre amendement ; à défaut, l’avis de la commission sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Au-delà des arguments exposés par M. le rapporteur, la mise en œuvre d’une telle disposition serait extrêmement lourde. Cela impliquerait que les opérateurs internet revoient leur politique de gestion des forfaits, afin de pouvoir comptabiliser les consommations de données suivant l’usage, alors qu’ils suivent aujourd’hui un seul volume, indifféremment de l’usage. La capacité de détecter que l’abonné est un collégien ou un lycéen, ou encore un adulte prêtant son téléphone à un collégien ou à un lycéen, poserait des problèmes opérationnels complémentaires.
En outre, ce dispositif ouvrirait une brèche dans la protection des données personnelles : des opérateurs de télécommunications seraient chargés de tracer la nature des usages de leurs clients.
C’est pourquoi, comme votre rapporteur, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Loin de moi la volonté d’allonger le débat sur cette proposition de loi, mais il me semble qu’une vraie question est posée au travers de cet amendement. Nous avons tous pu le constater ces dernières années et, plus particulièrement, ces derniers mois.
Monsieur Bonhomme, votre amendement me satisfait : en effet, je fais partie de ceux qui ont proposé au président de ma région que celle-ci prenne en charge la part du forfait téléphonique des lycéens qui permet in fine d’assurer la continuité pédagogique.
J’entends évidemment les arguments de M. le rapporteur et de M. le secrétaire d’État. Nous sommes ici pour faire la loi et nous allons la faire, sans démagogie ni populisme.
Cependant, je reste persuadée que ce débat pose une vraie question : aujourd’hui, pour la plupart de nos jeunes, qu’ils soient collégiens ou lycéens, l’accès au numérique passe de fait par leur terminal téléphonique. Nous avons tous vécu, pendant le premier, le deuxième, puis le troisième confinement, des galères familiales : comment partager le réseau, et selon quels horaires ? La réponse finale est toujours : « Partage ton abonnement, tu auras du réseau ! » N’y voyez pas boutade ou rigolade, mes chers collègues : c’est sincère !
Je ne sais pas ce qu’il est possible d’imposer aux collectivités et aux opérateurs, d’autant que la privatisation des services de télécommunications dans notre pays fait que l’État ne les maîtrise plus, mais je tiens à souligner qu’une vraie question est posée au travers de cet amendement.
J’ai bien compris que l’objectif premier de ce texte est de porter le débat, plutôt que de faire la loi ; c’est pourquoi je me permets, cette unique fois, d’intervenir dans la discussion. Monsieur le secrétaire d’État, une vraie réflexion doit être menée dans nos territoires ruraux sur ce sujet pour déterminer, avec les conseils départementaux et régionaux, comment on peut partager des abonnements de téléphone et assurer ainsi la continuité pédagogique au bénéfice de nos collégiens et de nos lycéens.
M. le président. Monsieur Bonhomme, l’amendement n° 1 est-il maintenu ?
M. François Bonhomme. Au vu des arguments de M. le rapporteur et de M. le secrétaire d’État, je le retire.
Je comprends que la norme doive faire l’objet d’une consultation, mais j’imagine que, s’il fallait consulter les professeurs et la communauté éducative, nous y serions encore après le confinement…
En outre, je ne voudrais pas être la cause de la ruine des opérateurs téléphoniques. (Sourires sur différentes travées. – Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) C’est tout de même un argument recevable ! En tout cas, je suis sûr que cette idée sera reprise par d’autres groupes.
M. le président. L’amendement n° 1 est retiré.
Article 6
I. – Après l’article L. 112-9 du code des relations entre le public et l’administration, il est inséré un article L. 112-9-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 112-9-1. – Un décret en Conseil d’État définit un référentiel d’ergonomie des sites internet publics des administrations dans les conditions définies au présent article.
« La conception des sites internet publics des administrations et des téléprocédures intègre le point de vue des usagers tout au long de leur développement et de leur exploitation.
« Les téléservices prennent en compte l’ensemble des procédures et des cas de figure existants tels que prévus par les lois et les règlements en vigueur permettant à l’usager de bénéficier des droits qui lui sont reconnus. Ils permettent d’effectuer à tout moment des rectifications des dossiers en cours de réalisation avant leur dépôt. Ils délivrent un accusé de connexion nominatif et horodaté à chaque connexion d’un usager.
« À chaque étape de la procédure dématérialisée, l’usager dispose d’un accès lui permettant de contacter directement le service compétent par une modalité de saisine alternative.
« La page d’accueil de tout site internet public des administrations comporte une mention clairement visible précisant s’il est ou non conforme aux règles fixées par le référentiel d’ergonomie. »
II. – Le décret mentionné au premier alinéa du I du présent article est publié dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi.
III. – À compter du 1er janvier 2022, la non-conformité d’un site internet public ou d’un téléservice au référentiel défini au I du présent article fait l’objet d’une sanction administrative dont le montant, qui ne peut excéder 100 000 €, est fixé par le décret en Conseil d’État mentionné au même I en fonction de la taille, des ressources et de la nature de l’organisme concerné. Une nouvelle sanction est prononcée chaque année lorsque le manquement à ces dispositions perdure.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 12 est présenté par Mme Préville.
L’amendement n° 26 est présenté par MM. Dossus et Benarroche, Mmes de Marco et Benbassa, MM. Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 2
Après le mot :
ergonomie
insérer les mots :
et d’écoconception
II. – Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Elle s’appuie sur un référentiel général d’écoconception des services numériques précisé par décret. »
La parole est à Mme Angèle Préville, pour présenter l’amendement n° 12.
Mme Angèle Préville. Lancé en 2019 par la direction interministérielle du numérique, le programme Tech.gouv a pour objectif de permettre à l’État d’accélérer sa transformation numérique. Il doit rendre l’action publique plus proche, plus efficace, plus simple et plus juste pour tous les Français, dans tous les territoires.
La feuille de route « Numérique et environnement » rehausse cette ambition, en proposant une stratégie de maîtrise de l’impact environnemental du numérique et de ses effets. Elle invoque l’exigence d’exemplarité de l’État pour la mise en œuvre d’un numérique responsable à l’échelle du territoire. Dans le cadre du plan de relance, il est prévu de poursuivre et d’amplifier ces actions, qui concernent l’ensemble des administrations.
L’écoconception des services numériques vise à maximiser l’impact positif du numérique sur notre société ; elle doit contribuer à une meilleure maîtrise de l’empreinte environnementale des secteurs numérisés.
C’est pourquoi j’ai déposé cet amendement qui vise à traduire dans la loi, à travers une exigence d’écoconception des services numériques, la nécessaire articulation entre les principes destinés à garantir une égalité d’accès aux services publics et les engagements environnementaux pour un numérique plus durable. La stratégie nationale bas-carbone doit s’appliquer partout et tout le temps ; sinon, nous n’avancerons pas et nous ne parviendrons pas à baisser nos émissions de gaz à effet de serre.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 26.
M. Guy Benarroche. La présente proposition de loi a pour ambition de renforcer l’accès de toutes et de tous au numérique et, notamment, aux sites internet publics, comme l’article 6 le prévoit.
Nous souscrivons pleinement à cet objectif d’inclusivité et nous souhaitons l’enrichir d’une obligation de préservation de l’environnement. Protéger les humains et leur environnement, tel a toujours été le credo des écologistes.
La question est loin d’être anodine. En effet, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), le numérique émet aujourd’hui 4 % des gaz à effet de serre dans le monde. Plus de la moitié de ces émissions sont dues aux infrastructures de réseaux, notamment aux data centers. La maîtrise de ces émissions n’est donc pas un détail ; c’est même une marge de manœuvre significative pour réduire le total de notre empreinte environnementale à l’échelle nationale.
Cette empreinte pose également une question de souveraineté nationale. La Haute Assemblée devrait être sensible à cet argument, au vu de l’attention que la majorité sénatoriale a accordée à cette notion lors de l’examen du projet de loi de lutte contre le séparatisme. En effet, chaque donnée numérique – email, téléchargement, requête web, etc. – parcourt en moyenne 15 000 kilomètres. Ce transit par des serveurs étrangers sur lesquels nous n’avons aucune maîtrise, comme en témoignent les difficultés rencontrées par l’enseignement à distance au début de ce troisième confinement, a un impact fort non seulement sur l’environnement, mais aussi sur notre capacité à maîtriser le trafic de nos données.
Puisque l’article 6 traite des sites internet publics et donc de données potentiellement confidentielles et sensibles relatives aux citoyens, cette maîtrise y est d’autant plus nécessaire. L’impact environnemental n’est pas une lubie des écologistes, puisque le Gouvernement lui-même intègre pleinement cette nécessité de maîtriser cet impact environnemental dans la mise en œuvre d’un numérique responsable à l’échelle du territoire national. En témoigne la feuille de route « Numérique et environnement » de l’État et, plus largement, la stratégie GreenTech pour toutes les administrations.
Mes chers collègues, inclusivité et respect de l’environnement vont de pair. C’est pourquoi, dans cet amendement, nous proposons de soumettre les sites internet publics et l’ensemble des téléservices à un référentiel d’écoconception, en plus du référentiel d’accessibilité prévu dans ce texte ; les modalités de ce référentiel seraient précisées par décret.
Le numérique est un fer de lance de la transition écologique ; c’est bien vers quoi cet amendement tend.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Ces amendements tendent à soumettre les services numériques à un référentiel général d’écoconception. Là encore, je partage l’objectif de leurs auteurs, à savoir réduire l’empreinte environnementale des sites internet et des applications utilisées par les administrations.
Toutefois, l’utilisation du seul terme « écoconception » n’est pas suffisante pour fixer de véritables objectifs en la matière et ne permet pas d’encadrer les mesures du décret d’application qui est sollicité. Une telle disposition risquerait d’ailleurs d’être censurée par le Conseil constitutionnel pour incompétence négative.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à retirer ces amendements ; à défaut, l’avis de la commission sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. La position du Gouvernement est la même que celle de votre rapporteur. Je considère même qu’un retrait se justifie complètement dans la mesure où ces amendements sont satisfaits.
En effet, le Gouvernement est pleinement engagé en faveur de services publics écoresponsables, puisque l’administration se doit d’être exemplaire. Ces engagements font l’objet d’un suivi précis et très régulier par Mme la ministre de la transition écologique. Un axe important de travail est la meilleure écoconception des services numériques.
Enfin, la direction interministérielle du numérique élabore avec ses partenaires un guide d’écoconception des services numériques, qui sera mis à la disposition de tous les porteurs de projets courant 2021. Une phase de retour d’expérience et d’évaluation sera ensuite nécessaire, mais on peut d’ores et déjà considérer ces amendements comme satisfaits ; c’est pourquoi j’en demande le retrait.
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour explication de vote.
M. Patrick Chaize. Je me permettrai de compléter les propos de M. le rapporteur et de M. le secrétaire d’État : ces amendements sont d’autant plus satisfaits que nous avons adopté ici même, au début de janvier dernier, une proposition de loi relative à l’empreinte environnementale du numérique qui prenait en compte ces éléments de façon très concrète et transversale.
Et je suis au plaisir de vous annoncer, mes chers collègues, que ce texte va être inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, qui l’examinera à la fin du mois de mai. L’examen de ce texte, parallèlement à celui du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, devrait répondre à vos demandes.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 12 et 26.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 46, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 2
Remplacer les mots :
sites internet publics des administrations
par les mots :
services de communication au public en ligne des administrations de l’État et de ses établissements publics administratifs
II. - Alinéa 3
1° Remplacer les mots :
sites internet publics des administrations et des téléprocédures
par les mots :
services de communication au public en ligne
2° Après le mot :
téléprocédures
insérer les mots :
de ces administrations et établissements publics
III. - Alinéas 5 et 8
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Mes chers collègues, je vous propose par cet amendement de limiter le champ d’application de l’article 6, afin que le référentiel qu’il prévoit ne s’applique qu’aux administrations de l’État et non aux autres administrations, notamment celles des collectivités territoriales.
À ce titre, l’amendement tend à supprimer les dispositions pénales prévues par cet article, puisque le montant des pénalités aurait été reversé au budget général de l’État. Il y figure également une harmonisation rédactionnelle.
Enfin, je vous y propose la suppression de la référence aux modalités de saisine alternative. Le principe de saisine alternative semble en voie d’être satisfait par le développement des maisons France Services et la généralisation, dans la plupart des procédures, d’une voie de contact téléphonique.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Monsieur le rapporteur, le Gouvernement a comme vous l’ambition de développer la qualité et l’ergonomie des services en ligne.
D’ailleurs, sur les 250 démarches les plus fréquemment accomplies en ligne par les usagers, Mme la ministre de la transformation et de la fonction publiques publie tous les trimestres un observatoire de la qualité des démarches en ligne. Dans cet outil, ces 250 démarches sont évaluées selon plusieurs critères de qualité, parmi lesquels on trouve l’accessibilité aux usagers en situation de handicap.
Le Gouvernement a également multiplié les dispositifs d’appui aux administrations dans l’amélioration de l’ergonomie des démarches : c’est pourquoi nous avons recruté des designers d’intérêt général et des experts en ergonomie. Une enveloppe de 500 millions d’euros est mobilisée dans le cadre du plan de relance pour la numérisation du service public et, en particulier, pour l’amélioration de son accessibilité – c’est quand même considérable !
Dans ce cadre, le Gouvernement estime qu’un référentiel d’ergonomie n’est pas une solution efficace. L’ergonomie passe avant tout par l’écoute des usagers. C’est davantage un enjeu managérial et de compétences internes autour de l’expérience par les utilisateurs qu’une question de règles rassemblées dans un référentiel.
Je suis donc au regret d’émettre un avis défavorable sur l’ensemble de cet article dans son principe ; j’invite donc M. le rapporteur à retirer son amendement qui vise à le préciser.
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. Mouiller et Favreau, Mme Micouleau, MM. Cambon, Charon, Rapin, Calvet, D. Laurent et Bouloux, Mmes Dumont, Bonfanti-Dossat et Boulay-Espéronnier, MM. Sautarel, Pointereau et Babary, Mmes Imbert et Drexler, MM. Laménie, Sol, Burgoa, Chaize et Mandelli, Mmes Chauvin, Deromedi et Berthet, M. Tabarot, Mmes L. Darcos et Raimond-Pavero, M. Bascher, Mme Garriaud-Maylam, M. Cuypers, Mmes Belrhiti et M. Mercier, M. Regnard, Mmes Di Folco et Chain-Larché, MM. Perrin, Rietmann, Savin, Daubresse et Savary, Mmes Demas, Lassarade, Ventalon et Puissat, MM. Houpert et Lefèvre, Mmes Richer et Gruny, MM. Bouchet, Bonhomme, Saury et Le Gleut, Mme Joseph, MM. Milon et B. Fournier, Mmes Schalck et Borchio Fontimp et M. Sido, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
L’accessibilité des sites aux personnes en situation de handicap est une obligation. Leurs besoins sont pris en compte tout au long de la conception et de l’exploitation du site.
La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Alors même que la loi les y oblige, de trop nombreux sites internet publics sont encore inaccessibles à une partie des personnes en situation de handicap, notamment aux personnes présentant une déficience visuelle ou mentale.
Associer des personnes en situation de handicap à la conception des sites, ainsi que dans les phases de tests et tout au long de la vie du site, permettrait d’éviter ces situations de discrimination.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Le présent amendement tend à rendre obligatoire l’accessibilité des sites internet publics aux personnes en situation de handicap. Il semble satisfait par l’article 47 de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. En outre, l’article 7 du présent texte prévoit un renforcement de ce dispositif, que nous vous proposerons d’adopter. Je vous invite donc, mon cher collègue, à retirer cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Je comprends tout à fait votre démarche et votre objectif, monsieur Mouiller, mais celui-ci me semble parfaitement satisfait par la politique que nous menons.
Ainsi, dans le cadre du plan de relance, Mme la ministre de la transformation et de la fonction publiques a annoncé qu’une enveloppe de 32 millions d’euros serait dédiée à l’amélioration de l’accessibilité et de l’ergonomie des démarches, avec des résultats très concrets. Je veux vous donner un exemple : depuis quelques semaines, le site « Place de l’emploi public », qui recense les offres d’emploi de la fonction publique, est entièrement accessible aux personnes en situation de handicap.
C’est pourquoi le Gouvernement vous invite, monsieur le sénateur, à retirer votre amendement.
M. le président. Monsieur Mouiller, l’amendement n° 8 rectifié est-il maintenu ?
M. Philippe Mouiller. Je vais le retirer, mais je tiens à apporter quelques précisions.
La loi fixe déjà des obligations en matière d’accessibilité, mais il est clair qu’elles ne sont pas appliquées ! Et quand elles le sont, ce n’est que partiellement. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez fait référence aux évolutions qui sont proposées, notamment pour le site d’offres d’emploi de la fonction publique : sachez que ce site est aujourd’hui adapté à certains types de handicap, mais pas encore à tous ! Je pense notamment au handicap mental, pour lequel une vraie difficulté se pose.
J’ai déposé cet amendement pour rappeler que la loi doit être appliquée. La difficulté notable en la matière est que ces sites internet et leurs critères d’accessibilité ne sont pas élaborés par des personnes directement concernées par le handicap. C’est pourquoi le rendu ne concerne qu’une partie des typologies du handicap.
Une vraie difficulté se pose et je crois que c’est un message que vous devez entendre, monsieur le secrétaire d’État : j’ai bien compris que l’amendement était satisfait dans le droit, mais il faut réellement appliquer la législation et faire en sorte que la conception de ces sites inclue les personnes concernées.
Cela dit, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 6, modifié.
(L’article 6 est adopté.)
Article 7
L’article 47 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est ainsi modifié :
1° Les deux dernières phrases du II sont supprimées ;
2° Le second alinéa du IV est ainsi rédigé :
« Le défaut de mise en conformité d’un service de communication au public en ligne avec les obligations mentionnées au présent article fait l’objet d’une sanction administrative dont le montant, qui ne peut excéder 100 000 €, est fixé par le décret en Conseil d’État mentionné au V en fonction de la taille, des ressources et de la nature de l’organisme concerné. Une nouvelle sanction est prononcée chaque année lorsque le manquement à ces dispositions perdure. » ;
3° Après le même second alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les obligations mentionnées au présent article s’appliquent dans les communes ou les groupements de communes de moins de 10 000 habitants, les établissements publics qui leur sont exclusivement rattachés, ainsi que pour les opérateurs économiques mentionnés à l’article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, dans la mesure où elles ne créent pas une charge disproportionnée pour l’organisme concerné. La charge disproportionnée est définie par décret en Conseil d’État, après avis du Conseil national consultatif des personnes handicapées mentionné à l’article L. 146-1 du code de l’action sociale et des familles. »
M. le président. L’amendement n° 47, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première phrase :
remplacer le montant :
100 000 €
par le montant :
25 000 €
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Le présent amendement a pour objet de conserver le montant de la sanction prévue actuellement pour défaut d’accessibilité d’un site internet, soit 25 000 euros, que la rédaction actuelle de l’article 7 fait passer à 100 000 euros.
Il ne semble pas opportun d’accroître cette sanction, qui est déjà passée de 5 000 à 25 000 euros en 2018. En outre, un autre renforcement est prévu dans ce même article 7, puisqu’il sanctionne les manquements aux règles relatives à l’accessibilité numérique et non plus seulement l’absence de mention visible sur la page d’accueil précisant si le site internet est conforme ou non à ces règles.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Comme je l’ai précisé à l’article précédent, la politique du Gouvernement en matière d’accessibilité se fixe déjà cet objectif, notamment par le biais du référentiel général d’amélioration de l’accessibilité, qui est applicable à certains services de communication en ligne depuis 2016.
Par principe, je suis donc réservé sur l’ensemble des dispositions prévues à l’article 7. Toutefois, sur cet amendement, qui vise à ramener la sanction à un montant conforme au droit existant, puisque la voix de la raison prime, je m’en remets à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Je comprends la volonté de fixer le montant de la sanction à un niveau raisonnable.
Pour autant, j’aimerais savoir combien de sanctions ont été prononcées à ce jour, alors que le texte est appliqué depuis deux ans. Je devine la réponse : aucune ! Si les bonnes intentions sont manifestes, la volonté de rendre effectives les dispositions votées fait défaut.
Je soutiendrai cet amendement qui vise à rendre raisonnable le montant de la sanction. Toutefois, il faut garder en tête que voter des textes et faire des annonces sur l’accessibilité ne suffit pas : devant l’incapacité du Gouvernement à mettre en application les textes votés, on peut s’interroger sur sa détermination en la matière…
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, je n’ai pas la réponse ici même, mais je m’engage à vous la fournir dans la semaine.
M. le président. Je mets aux voix l’article 7, modifié.
(L’article 7 est adopté.)
Chapitre III
Financement de la politique d’inclusion numérique
Article 8
Le titre VI du livre II du code de l’action sociale et des familles est complété par un chapitre VII ainsi rédigé :
« CHAPITRE VII
« Lutte contre l’exclusion numérique
« Art. L. 267-1. – Le chèque-équipement numérique est un titre spécial de paiement permettant aux ménages dont le revenu fiscal de référence est, compte tenu de la composition du ménage, inférieur à un plafond, d’acquitter tout ou partie du montant des dépenses visant à financer la location ou l’achat d’un terminal numérique dont la remise est conditionnée à la participation à une formation.
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions de remise du titre mentionné au premier alinéa ainsi que les modalités d’application du présent article.
« Art. L. 267-2. – Il est institué un fonds de lutte contre l’exclusion numérique, géré par l’Agence nationale de la cohésion des territoires et alimenté par les gains budgétaires permis par la dématérialisation des services publics et la taxe sur certains services fournis par les grandes entreprises du secteur numérique prévue à l’article 299 du code général des impôts.
« Ce fonds a pour mission de financer la politique de lutte contre l’illectronisme, notamment la formation au numérique sur l’ensemble du territoire favorisant l’autonomisation de l’utilisateur, la structuration d’une offre de médiation numérique de qualité, la couverture intégrale du territoire en lieux d’accompagnement numérique des usagers du service public et le chèque-équipement pour les ménages à bas revenus mentionné à l’article L. 267-1 du présent code.
« Les modalités d’application du présent article sont fixées par un décret en Conseil d’État. »
M. le président. L’amendement n° 48, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cet amendement tend à supprimer l’article 8, qui crée un chèque-équipement numérique afin d’équiper les ménages démunis en terminaux numériques et un fonds de lutte contre l’exclusion numérique, géré par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Le Gouvernement prend d’ores et déjà en compte la problématique de l’exclusion numérique dans le cadre de sa stratégie de dématérialisation des services publics et de son plan de relance à travers lequel il y consacre 250 millions d’euros. Les deux aides prévues à l’article 8 risquent de n’être que des coquilles vides en l’absence de garanties de financement et d’articulation avec les dispositifs existants.
Par ailleurs, la centralisation des crédits relevant de la lutte contre l’exclusion numérique dans un fonds géré uniquement par l’Agence nationale de la cohésion des territoires pourrait nuire aux nombreuses initiatives locales et nationales, qu’il s’agisse d’aides financières ou d’infrastructures qui prennent déjà en compte les spécificités territoriales.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement de suppression.
Dans la mesure où nous prônons des logiques partenariales, nous croyons plus utile de soutenir des initiatives locales, plutôt que d’instaurer un chèque national.
Qui plus est, je suis assez sceptique sur la faisabilité d’un dispositif qui prévoit que le fonds serait alimenté par les bénéfices de la dématérialisation.
Plus largement, les objectifs de cet article me semblent déjà satisfaits en partie par la mobilisation financière en faveur de l’inclusion numérique. Je rappelle que le plan France Relance est doté d’une enveloppe de 250 millions d’euros à cette fin et que plus de 30 millions d’euros ont déjà été mobilisés en 2019 et en 2020. Ce sont là des engagements importants.
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour explication de vote.
Mme Martine Filleul. Nous soutenons la démarche qui vise à lutter spécifiquement contre le non-équipement des personnes en difficulté, car il s’agit bien d’un problème singulier.
Il ne s’agit nullement d’une « coquille vide » ; c’est un cadre qu’il faut alimenter. J’espère d’ailleurs que nous y mettrons les moyens nécessaires lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2022.
Pour notre part, nous veillerons à ce que cette démarche pour équiper les personnes en difficulté aille à son terme.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.
Mme Angèle Préville. Cette pandémie nous a permis de nous apercevoir que les familles en difficulté ne possédaient pas d’équipements numériques. Pendant les périodes de confinement, leurs enfants scolarisés ont dû travailler soit sur un petit téléphone soit sur une tablette récupérée.
Certaines familles pauvres sont dans l’incapacité d’avoir accès à des terminaux compatibles avec le télétravail ou l’éducation à la maison. On constate un véritable manque.
Par conséquent, le chèque-équipement numérique pour acquérir du matériel serait une bonne chose, d’autant que ces situations de pauvreté vont s’accentuer.
M. le président. En conséquence, l’article 8 est supprimé, et les amendements nos 13, 5 rectifié, 9 rectifié et 32 n’ont plus d’objet.
Article 9
I. – Le fonds prévu à l’article 8 de la présente loi est financé par :
1° Le budget général de l’État ;
2° Le produit de la taxe prévue au I de l’article 299 du code général des impôts ;
3° Les produits divers, dons et legs.
II. – Le II de l’annexe à la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance est ainsi modifiée :
1° Le quatrième alinéa est complété par les mots : « et en garantissant la possibilité de bénéficier d’un accueil au guichet » ;
2° Après le 2°, il est inséré un 3° ainsi rédigé :
« 3° De financer la lutte contre l’illectronisme à hauteur de 500 millions d’euros par an d’ici à 2022 et la couverture de l’ensemble du territoire en lieux d’accompagnement des usagers. »
M. le président. L’amendement n° 49, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cet amendement tend à supprimer l’article 9, qui prévoit les modalités de financement du fonds de lutte contre l’exclusion numérique créé à l’article 8. Ces dispositions ne peuvent relever que d’une loi de finances, conformément aux articles 34 de la Constitution et 34 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Tout à fait logiquement, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement, puisque le fonds de lutte contre l’exclusion numérique vient d’être supprimé.
M. le président. En conséquence, l’article 9 est supprimé, et l’amendement no 14 n’a plus d’objet.
Chapitre IV
Accompagnement des usagers exclus de la dématérialisation des services publics
Article 10
Le V de l’article L. 1231-2 du code général des collectivités territoriales est complété par un 3° ainsi rédigé :
« 3° Accompagne la structuration des offres de médiation numérique sous une labellisation unique et établit une cartographie de l’ensemble des lieux d’accompagnement des usagers du service public. »
M. le président. L’amendement n° 50, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Les mesures prévues à l’article 10 ne relèvent pas du domaine de la loi. Elles nécessiteraient simplement que soient complétées les dispositions réglementaires actuellement applicables.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement. J’ajoute que l’ANCT dispose déjà des outils dont la création est proposée à cet article.
M. le président. En conséquence, l’article 10 est supprimé, et l’amendement n° 10 rectifié n’a plus d’objet.
Article additionnel après l’article 10
M. le président. L’amendement n° 34, présenté par Mme M. Filleul, MM. Durain et Cardon, Mme de La Gontrie, MM. Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 10
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de quatre mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport relatif aux bénéfices sociaux et aux conséquences environnementales des services d’accès gratuits à l’internet haut débit proposés par les collectivités territoriales, ainsi qu’à l’opportunité de leur généralisation.
La parole est à Mme Martine Filleul.
Mme Martine Filleul. Pour répondre aux difficultés d’accès à internet haut débit rencontrées par les Français, qu’il s’agisse de problématiques liées à l’extension de la couverture dans les zones blanches ou au coût élevé d’un abonnement, des collectivités ont mis en place des points d’accès wifi gratuit sur leur territoire. Ces dispositifs permettent une connexion à internet au bénéfice de ceux qui, pour des raisons géographiques ou financières, en sont aujourd’hui privés. Ces solutions offrent des opportunités qu’il serait intéressant d’étudier afin d’en connaître la portée.
C’est pourquoi nous demandons que soit remis au Parlement un rapport sur les bénéfices sociaux et les conséquences environnementales des services d’accès gratuit à internet haut débit proposés par les collectivités territoriales, ainsi que sur l’opportunité de leur généralisation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Puisqu’il s’agit d’une demande de rapport, que le Sénat refuse habituellement, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Sans être aussi intransigeant que le Sénat sur les demandes de rapport, je précise que la feuille de route « Numérique et environnement », qui a confié à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la distribution de la presse (Arcep) une mission pour évaluer l’empreinte environnementale des réseaux de télécommunications fixes et mobiles en fonction des usages qu’ils supportent, prévoit déjà un tel un rapport.
Par conséquent, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. Par ailleurs, comment être favorable à un amendement portant sur le même sujet que l’article 10 après avoir été favorable à la suppression de celui-ci ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 34.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 11
Les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre désignent un référent en charge de l’inclusion numérique. À ce titre, le référent accompagne et coordonne les initiatives locales en matière de médiation numérique assurant un maillage fin du territoire.
Chaque année, il présente devant l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre un rapport rendu public sur l’état de la couverture numérique du territoire de l’établissement ainsi que la cartographie locale des lieux de médiation numérique.
Un décret définit les conditions d’application du présent article.
M. le président. L’amendement n° 51, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cet amendement tend à supprimer l’article 11, qui prévoit que soit désigné, au sein de chaque établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, un « référent en charge de l’inclusion numérique ».
Une telle création peut être opportune en fonction des situations locales, mais il n’est pas pertinent d’en faire une obligation juridique pour chaque EPCI. Il convient de laisser les collectivités territoriales et leurs groupements s’adapter à leurs besoins propres.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement de suppression.
Le plan France Relance prévoit déjà la désignation, en lien avec les préfectures, de 4 000 conseillers numériques France Services. Cette mesure commence à se déployer de manière très efficace, souvent sous l’égide des conseils départementaux.
M. le président. En conséquence, l’article 11 est supprimé, et les amendements nos 2, 35 et 16 n’ont plus d’objet.
Article additionnel après l’article 11
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par M. Benarroche, Mme Benbassa, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Après l’article 11
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les établissements publics ou privés préparant à un diplôme de travail social délivrent une formation à la médiation numérique aux professionnels engagés dans la lutte contre les exclusions mentionnés à l’article L. 451-1 du code de l’action sociale et des familles.
Un décret définit les conditions d’application du présent article.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Le rapport sénatorial de la mission d’information sur la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique dont nous avons mainte fois parlé ce soir décrit bien la fracture numérique, qui est à la fois sociale et générationnelle. Dans la mesure où cet amendement tend à en reprendre l’une des propositions, mes collègues sénateurs se feront certainement un plaisir de le voter !
Le rapport d’information a mis en avant le fait que, pour garantir leurs droits sociaux, les exclus du numérique se tournaient de plus en plus vers les travailleurs sociaux qui, pour 75 % d’entre eux, effectuent des démarches administratives dématérialisées à la place des usagers.
Plus la dématérialisation s’accélère, plus la demande d’assistance numérique croît. Or, selon ce même rapport d’information sénatorial, moins de 10 % des intervenants sociaux ont reçu une véritable formation au numérique. Il apparaît donc cohérent avec une politique réelle de lutte contre l’exclusion numérique de prévoir que les instituts régionaux du travail social délivrent une formation obligatoire à la médiation numérique pour permettre aux travailleurs sociaux d’accompagner au mieux les publics, ainsi que pour pouvoir orienter les personnes en difficulté face au numérique vers des offres de formation existantes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cet amendement tend à former les travailleurs sociaux à la médiation numérique afin qu’ils viennent en aide aux personnes en difficulté dont ils ont la charge.
Si je partage l’objectif de l’amendement qui tend à venir en aide aux personnes en difficulté face au numérique, il semble toutefois difficile de mettre en œuvre une telle mesure sans concertation avec les représentants de ce secteur. En effet, une telle formation aurait de fait un impact réel sur leurs missions.
En outre, il conviendrait de définir la frontière entre les travailleurs sociaux et les conseillers numériques que le Gouvernement est en train de mettre en place.
Par conséquent, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Mécaniquement, ayant été favorable à la suppression de l’article 11, je ne puis qu’être défavorable à un amendement portant article additionnel à ce même article.
Sur le fond, puisque la question soulevée est importante, je vous informe que le Gouvernement prévoit bien de former les travailleurs sociaux à la médiation numérique. Le volet inclusion numérique du plan de relance consacre 10 millions d’euros à l’outillage et à la formation des aidants, notamment les travailleurs sociaux. Le premier niveau de cette formation sera commun avec celui de la formation Aidants Connect, de façon à sécuriser le processus dans lequel un tiers entreprend une démarche pour le compte d’un usager.
Par ailleurs, une convention est en cours de préparation entre l’ANCT et l’Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale pour inciter ces centres à former leurs agents. Un budget de 500 000 euros est prévu à cette fin.
M. le président. Monsieur Benarroche, l’amendement n° 4 est-il maintenu ?
M. Guy Benarroche. Comment ne pas maintenir cet amendement, alors que le rapporteur en partage l’objectif et indique qu’il est justifié, quand bien même il émet un avis défavorable ? Quant au ministre, il vient de nous expliquer que ce que nous demandons va arriver !
Dans ces conditions, pourquoi ne pas adopter dès aujourd’hui cette préconisation du rapport d’information ? Mes chers collègues, je vous demande de voter cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 12
À la première phrase et à la dernière phrase de l’article L. 121-2 du code de l’éducation, les mots : « et l’innumérisme » sont remplacés par les mots : « , l’innumérisme et l’illectronisme ».
M. le président. L’amendement n° 52, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l’article 12, qui prévoit la prise en compte, à côté de l’illettrisme et de l’innumérisme, de l’illectronisme parmi les priorités nationales en matière d’éducation.
Cet article est essentiellement symbolique, puisqu’il ne prévoit ni obligation claire ni objectif tangible. La prise en compte de l’illectronisme aurait donc une portée normative limitée. Elle le serait d’autant plus qu’il n’existe pas de définition claire de ce néologisme.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Nous voterons l’amendement de la commission, dont l’adoption entraînera la suppression de l’article 12.
Néanmoins, j’en profite pour alerter le Gouvernement sur l’incapacité de mettre en place, dans les classes adaptées et les instituts médico-éducatifs (IME), des enseignements liés à l’informatique. Nous sommes confrontés à une véritable difficulté en termes d’équipement et de direction des classes. Alors que la loi prévoit des obligations, ces structures sont aujourd’hui incapables de les respecter.
J’ai déposé un amendement sur cette question ; il deviendra sans objet à la suite de l’adoption de l’amendement de la commission. Je souhaite toutefois profiter de cette occasion pour pousser un cri d’alarme à l’adresse du Gouvernement : aujourd’hui, le décalage entre la théorie et la pratique est extrêmement important. Si l’on veut véritablement favoriser l’inclusion des jeunes en situation de handicap, il faut aller jusqu’au bout, ce qui suppose d’aider les IME et les classes adaptées.
M. le président. En conséquence, l’article 12 est supprimé, et l’amendement n° 11 rectifié n’a plus d’objet.
Article additionnel après l’article 12
M. le président. L’amendement n° 38, présenté par Mme M. Filleul, MM. Durain et Cardon, Mme de La Gontrie, MM. Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au 1° du II de l’article L. 6121-2 du code du travail, après le mot : « illettrisme », sont insérés les mots : « et l’illectronisme ».
La parole est à Mme Martine Filleul.
Mme Martine Filleul. La région organise et finance le service public régional de la formation professionnelle. Dans ce cadre, cette collectivité contribue notamment à la lutte contre l’illettrisme sur le territoire de la région, en organisant des actions de prévention et d’acquisition d’un socle de connaissances et de compétences. Cet amendement vise à ajouter la lutte contre l’illectronisme à celle contre l’illettrisme.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cet amendement tend à introduire la lutte contre l’illectronisme dans le champ de la formation professionnelle mis en place par les régions, au même titre que l’illettrisme. Il ne s’agit pas d’un cavalier, mais les travaux que j’ai conduits ne me permettent pas de juger du bien-fondé de cet ajout.
La connaissance des outils numériques de base est devenue une clé indispensable pour accéder au marché de l’emploi. Néanmoins, j’ai quelques doutes sur la prise en compte effective de cette nouvelle problématique dans le champ de la formation professionnelle.
Par conséquent, la commission demande l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Le Gouvernement partage pleinement la nécessité de lutter activement contre l’illectronisme, notamment pour faciliter l’accès de tous les citoyens au service public.
Cependant, la mesure proposée n’a pas fait pas l’objet d’une concertation avec les régions, alors qu’elle a un impact pour elles.
Par ailleurs, sur le fondement de l’article L. 6121-2-1 du code du travail, les régions peuvent « financer des actions d’insertion et de formation professionnelle à destination des jeunes et des adultes rencontrant des difficultés d’apprentissage ou d’insertion, afin de leur permettre de bénéficier, à titre gratuit, d’un parcours individualisé comportant un accompagnement à caractère pédagogique, social ou professionnel ». Elles ont donc d’ores et déjà la faculté – ce n’est pas une obligation – d’intervenir en matière de lutte contre l’illectronisme.
Pour cette raison, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement.
M. le président. Madame Filleul, l’amendement n° 38 est-il maintenu ?
Mme Martine Filleul. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 38.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 13
Le code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Le huitième alinéa de l’article L. 721-2 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ils organisent la formation continue en matière numérique de tous les enseignants permettant une actualisation régulière de leurs capacités numériques. »
2° Le début de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 611-8 est ainsi rédigé : « Les enseignants suivent régulièrement une formation… (le reste sans changement). »
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 53, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cet amendement tend à supprimer le 1° de l’article 13, qui modifie le contenu des enseignements dispensés par les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé), de telles précisions étant de nature réglementaire.
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Gold et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme N. Delattre, M. Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier et Roux, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Après le mot :
rédigée : «
insérer les mots :
et à son empreinte environnementale.
II. – Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
…° Avant le dernier alinéa du même article L. 611-8, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les formations prévues aux deuxième et quatrième alinéas comportent une sensibilisation à l’empreinte environnementale du numérique et aux usages responsables. »
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. le président. L’amendement n° 40, présenté par M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
et de leurs connaissances des logiciels libres, des formats ouverts et des ressources éducatives gratuites
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. J’ai un peu de mal à trouver de la motivation dans ce champ de ruines : il ne reste pas grand-chose de ce texte et je me demande d’ailleurs s’il est encore défendu. Mes collègues du groupe du RDSE pourraient nous le dire. J’ai l’impression que c’est plutôt le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain qui le défend. Je vais tout de même prendre ma part…
Après les travaux de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique dont le président était Franck Montaugé et le rapporteur Gérard Longuet, il nous a été répondu par le Gouvernement que le choix des logiciels se faisait en fonction de l’appétence des fonctionnaires pour des systèmes très professionnels et très coûteux et que c’était pour cette raison que les logiciels libres n’étaient pas très prisés. J’ai eu du mal à admettre que, si le ministère des armées achetait Microsoft, c’est parce que les fonctionnaires le lui demandaient…
Nous comprenons cependant la logique de cette argumentation. C’est pourquoi nous proposons une formation spécifique aux logiciels libres pour tous les fonctionnaires, afin qu’ils orientent de façon intelligente les choix de l’administration, puisque celle-ci semble prendre en compte d’abord et principalement leurs desiderata.
Je m’exprime avec un peu de dérision et je vous prie de m’en excuser, mais je pense sincèrement qu’offrir aux fonctionnaires une formation sur les ressources des logiciels libres est aujourd’hui un élément déterminant pour nous réapproprier notre souveraineté numérique. Cela doit être mis en avant.
M. le président. L’amendement n° 17, présenté par Mme Préville, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La formation délivrée contient une sensibilisation à l’empreinte environnementale du numérique et aux usages responsables.
II. – Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Le deuxième alinéa de l’article L. 611-8 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elle comporte une sensibilisation à l’empreinte environnementale du numérique et aux usages responsables. » ;
La parole est à Mme Angèle Préville.
Mme Angèle Préville. L’usage du numérique s’est révélé crucial pour maintenir la continuité pédagogique pendant les périodes de confinement. Cette crise sanitaire a révélé l’importance de l’accès à des équipements et à une connexion internet tout autant que l’hétérogénéité des compétences numériques des enseignants.
C’est pourquoi le Conseil économique, social et environnemental (CESE) préconise que l’État et les collectivités territoriales engagent des politiques publiques de coconstruction dans le domaine du numérique éducatif, s’appuyant sur des orientations nationales claires, ambitieuses et compatibles avec les objectifs de développement durable.
Cet amendement vise à introduire dans la formation numérique des enseignants et des étudiants du supérieur une sensibilisation à son empreinte environnementale, afin que ces publics soient en capacité d’appréhender les enjeux du numérique à la fois comme un outil et comme un défi pour la transition carbone et la résilience de notre société.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Les amendements nos 6 rectifié et 17 tendent à compléter l’article 13 afin que la formation au numérique délivrée aux étudiants et aux enseignants comprenne une sensibilisation à l’empreinte environnementale du numérique et aux usages responsables. Si le contenu de ces amendements n’est pas purement réglementaire, ils tendent à modifier l’alinéa 2 que nous avons souhaité voir supprimer pour ce motif. Par cohérence, la commission émet un avis défavorable sur ces amendements.
L’amendement n° 40 vise à préciser que les formations visées par l’article 13 portent également sur la connaissance des logiciels libres, des formats ouverts et des ressources éducatives gratuites. C’est le même raisonnement que pour les amendements précédents : il s’agit de compléter un alinéa que la commission souhaite supprimer. Avec la même cohérence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Le Gouvernement estime que la disposition prévue à l’article 13 n’est pas particulièrement nécessaire.
En effet, la formation des enseignants au numérique et par le numérique relève de la mission du service public du numérique éducatif qui a été créé par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013, auquel contribue un opérateur qui est le réseau Canopé.
Par ailleurs, l’organisation de la formation continue des professeurs est de la responsabilité de leur employeur et du recteur dans chaque académie – les Inspé y participent – au service d’une stratégie académique.
Au regard de cette situation et compte tenu du fait que le rapporteur propose une suppression partielle et non pas totale de cet article, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée sur l’amendement n° 53 et, par cohérence, pour les mêmes raisons que la commission, émet un avis défavorable sur les amendements nos 6 rectifié, 40 et 17.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le secrétaire d’État, depuis tout à l’heure, vous nous vantez – après tout, c’est votre rôle ! – à quel point le Gouvernement fait bien les choses : les maisons France Services, le déploiement de tel ou tel dispositif, le plan de relance, la formation des enseignants, etc. Pourtant, je vous le dis très sincèrement, je croyais que nous vivions tous dans le même monde !
Comment ne pas penser que le déploiement de l’outil numérique et sa maîtrise par chacun de nos concitoyens posent aujourd’hui un certain nombre de questions ?
En outre, il peut y avoir de très bons outils, y compris en matière numérique, mais, dès lors qu’ils sont mal utilisés, ils peuvent être très dangereux – nous avons tous de nombreux exemples en tête et je ne les citerai pas pour gagner du temps.
La proposition de loi de nos collègues du groupe du RDSE, que nous examinons dans le cadre de l’espace qui leur est réservé, est l’occasion de débattre de questions législatives sur ce thème. Je rappelle en toute humilité que nous sommes ici pour faire la loi.
Gardons-nous de croire que cette proposition de loi n’aurait pas sa pertinence, parce que tout serait réglé ! En réalité, dans notre société, sur l’accès de tous aux usages numériques et, plus largement, sur la maîtrise de cet outil, rien n’est réglé !
Il me semblait nécessaire de nuancer vos propos, monsieur le secrétaire d’État. À écouter votre très belle démonstration, tout se passerait de manière formidable à l’éducation nationale. Pardonnez-moi, mais nous avons tous vécu la semaine dernière les mêmes événements ! Certains les appelleront des couacs – chacun trouvera la formulation qui lui convient –, en tout cas il s’agissait de réelles difficultés pour accéder aux outils numériques que l’on nous présente comme un monde formidable. En réalité, cela ne fonctionne pas aussi bien que vous le voudriez.
Dans la vraie vie, si les souris, claviers, webcams et autres peuvent dépanner, ils ne remplaceront jamais les relations et interactions humaines qui sont indispensables pour vivre ensemble.
M. François Bonhomme. C’est sûr !
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je tiens tout d’abord à saluer le groupe du RDSE d’avoir déposé cette proposition de loi. Ce texte, même si de nombreux amendements de suppression ont été déposés, a au moins le mérite de soulever des problèmes de société essentiels et de nous permettre d’essayer d’avancer sur ces questions.
Les auteurs des amendements nos 6 rectifié, 40 et 17 l’ont dit, le contexte sanitaire a malheureusement mis en évidence les insuffisances de l’enseignement à distance et les difficultés, notamment financières, qu’il pose pour beaucoup de personnes, en particulier pour les personnes modestes, lesquelles ont du mal à s’organiser avec un ordinateur pour toute la famille.
Même si le numérique évolue très rapidement – trop rapidement peut-être –, il faut rappeler que dans certains secteurs, en particulier en milieu rural, mais pas seulement, il est très difficile d’avoir accès à un réseau fiable de téléphonie mobile, voire de téléphonie fixe. Nos collègues évoquent souvent ici, lors des séances de questions d’actualité au Gouvernement ou de questions orales, les problèmes que les gens rencontrent à cet égard dans leurs territoires respectifs. On le voit, beaucoup de travail reste à faire.
En tout état de cause, je soutiendrai la position du rapporteur.
M. le président. En conséquence, les amendements nos 6 rectifié, 40 et 17 n’ont plus d’objet.
Je mets aux voix l’article 13, modifié.
(L’article 13 est adopté.)
Article additionnel après l’article 13
M. le président. L’amendement n° 39, présenté par Mme M. Filleul, MM. Durain et Cardon, Mme de La Gontrie, MM. Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 13
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la deuxième phrase du neuvième alinéa de l’article L. 721-2 du code de l’éducation, après le mot « haineux, », sont insérés les mots : « à l’inclusion numérique et à la lutte contre l’illectronisme, ».
La parole est à Mme Martine Filleul.
Mme Martine Filleul. Comme mes collègues, c’est sans grande conviction que je vous soumets cet amendement… Il vise à faire bénéficier les professeurs et les personnels d’éducation d’une formation initiale afin de les sensibiliser aux enjeux en matière d’inclusion numérique et de lutte contre l’illectronisme.
Ces personnels jouent un rôle central dans la détection de l’illettrisme ; ils sont aussi les premiers à pouvoir déceler d’éventuels signes d’illectronisme. À ce titre, ils doivent être conscients des enjeux qui y sont associés et pour cela y être sensibilisés lors de leur formation initiale dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé).
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Le présent amendement vise à compléter la liste des missions plus ou moins générales des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation.
Alors que le code de l’éducation prévoit déjà que ces instituts assurent des missions aussi variées que la sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la préservation de l’environnement, à la lutte contre la diffusion de contenus haineux, à la scolarisation des enfants à haut potentiel, ainsi que des formations à la prévention et à la résolution non violente des conflits, cet amendement vise à ajouter à cette liste la sensibilisation à l’inclusion numérique et à la lutte contre l’illectronisme.
Je comprends bien l’intérêt des auteurs de l’amendement pour ce sujet, mais je doute que l’ajout d’un item à cette longue liste puisse avoir un effet certain. J’émets donc un avis de sagesse.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Pour les raisons que j’ai expliquées précédemment, j’estime que cet amendement est parfaitement satisfait. J’en demande donc le retrait ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 13.
Article 14
I. – La section II du chapitre IV du titre Ier de la première partie du livre Ier du code général des impôts est complétée par un L ainsi rédigé :
« L : Crédit d’impôt à la formation aux outils numériques au bénéfice des petites et moyennes entreprises
« Art. 244 quater Y. – I. – Les petites et moyennes entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu selon un régime réel peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt égal à 50 % des dépenses engagées destinées à la formation aux outils numériques des leurs dirigeants et de leurs salariés.
« II. – Les petites et moyennes entreprises mentionnées au premier alinéa du I du présent article répondent à la définition de l’annexe I au règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aide compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité.
« III. – Un décret précise les modalités d’application du présent article. »
II. – Le I ne s’applique qu’aux sommes venant en déduction de l’impôt dû.
III. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. L’amendement n° 54, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cet amendement tend à supprimer l’article 14, qui permet aux petites et moyennes entreprises de déduire de leurs impôts 50 % des dépenses de formation au numérique de leurs dirigeants et salariés.
Le Gouvernement a déjà pris des mesures en faveur de l’inclusion numérique des PME dans le cadre du plan de relance à hauteur de 150 millions d’euros. Au total, six dispositifs de sensibilisation, de formation et d’accompagnement seront mis en œuvre à court terme afin d’encourager la formation numérique dans les PME. Ces dispositifs auront des effets pérennes.
En outre, l’aide prévue dans cet amendement ne semble pas adaptée aux spécificités des PME. En effet, il s’agit d’une aide financière indirecte, ce qui suppose que les entreprises doivent disposer d’une trésorerie suffisante pour investir 100 % du coût de la formation l’année n, alors qu’elles n’en tireront des bénéfices que l’année n+1. Ce prérequis est inadapté à la situation des PME, a fortiori dans le contexte de la crise sanitaire, dont les effets financiers seront vraisemblablement durables.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Je partage la position du rapporteur. Vous comprendrez en outre que l’ancien rapporteur général du budget de l’Assemblée nationale que je suis préfère les aides directes aux crédits d’impôt ! (Sourires.)
M. le président. En conséquence, l’article 14 est supprimé, et les amendements nos 7 rectifié et 18 n’ont plus d’objet.
Article 15
La présente loi entre en vigueur dans les six mois à compter de sa publication.
M. le président. L’amendement n° 55, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Le présent amendement vise à supprimer l’article 15, qui prévoit que ce texte entre en vigueur « dans les six mois à compter de sa publication ». Cette disposition n’est pas opérationnelle, puisqu’elle ne détermine pas le jour d’entrée en vigueur des dispositions du texte.
Par ailleurs, cet article serait contradictoire avec l’article 9, qui modifie la stratégie nationale d’orientation de l’action publique annexée à la loi pour un État au service d’une société de confiance (Essoc), qui sera caduque dans huit mois.
En conséquence, la commission des lois considère que les dispositions de l’article 15 ne sont pas adaptées et qu’il reviendra au Sénat et à l’Assemblée nationale d’affiner ces dispositions transitoires au cours de la navette parlementaire, en fonction des dispositions adoptées in fine.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l’article 15 est supprimé.
Article 16
La perte de recettes résultant pour l’État de la présente loi est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’était avec intérêt que j’avais pris connaissance de cette proposition de loi. Je pensais qu’elle permettrait de s’attaquer réellement à un problème, sans totalement le résoudre, certes, et qu’elle contenait à tout le moins des pistes intéressantes.
Notre groupe a travaillé pour améliorer cette proposition de loi, comme l’ont d’ailleurs fait un certain nombre de nos collègues des groupes socialiste, communiste ou même Les Républicains, et nous avons déposé des amendements. Mais au final, ce texte a quasiment disparu ! Je ne vois donc pas très bien quel sens il pourrait y avoir à le voter. Tous les amendements qui n’étaient pas des amendements de suppression ont été rejetés, à une exception près.
Par ailleurs, certains de nos amendements ont été déclarés irrecevables au motif qu’ils n’entraient pas dans le périmètre de la proposition de loi. Je pense en particulier à notre amendement tendant à prévoir la possibilité pour les entreprises de plus de 5 000 salariés de vendre à bas prix ou de donner leurs équipements informatiques plutôt que de les jeter, afin de réduire la fracture numérique. Je m’interroge sur les raisons ayant justifié cette irrecevabilité, que je ne comprends toujours pas.
En fait, je suis très sceptique et très dubitatif sur la façon dont cette proposition de loi a été appréhendée par notre commission. Je le regrette d’autant plus que ce texte reprenait une partie des propositions d’un rapport d’information du Sénat qui semblait avoir fait consensus.
Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne votera pas le moignon de proposition de loi qui subsiste et qui est soumis à notre vote.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je regrette le détricotage total de cette proposition de loi. Certaines des mesures qu’elle prévoyait n’étaient pas plus d’ordre réglementaire que certaines autres qui ont été adoptées dans cette enceinte. De même, cela n’aurait pas été la première fois que le Sénat aurait créé un fonds : il en a créé un en juin dernier au bénéfice des Français de l’étranger.
Supprimer le « droit au guichet » et le choix des modalités des saisines de l’administration, alors que nos concitoyens ne cessent de rencontrer des obstacles pour effectuer leurs démarches et accéder à leurs droits, est incompréhensible. Les maisons France Services sont insuffisantes ; elles ne pourront pas absorber l’ensemble des sollicitations, dont le nombre va croître.
Malgré l’affaiblissement des propositions au fil du débat, nous n’avons pas retiré le texte de l’ordre du jour pour deux raisons : le renforcement des sanctions en cas de non-conformité des sites internet au référentiel général d’amélioration de l’accessibilité pour les personnes en situation de handicap et la mise en place d’un référentiel d’ergonomie des sites publics.
Merci en tout cas à tous ceux qui ont participé à ce débat !
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je rappelle tout d’abord que notre groupe reste fondamentalement attaché à l’initiative parlementaire et à la possibilité pour chaque groupe politique constitué au Parlement d’inscrire à notre ordre du jour des propositions législatives, quel que soit le sort qui leur est ensuite réservé.
Indépendamment du résultat final, cette possibilité qui donne aussi un sens à la démocratie est l’occasion pour le Parlement de débattre de sujets de société qui, sans ces initiatives parlementaires, ne seraient jamais abordés, ni au Sénat ni à l’Assemblée nationale.
Je dois dire que la proposition de loi qui nous est soumise a connu ce soir une évolution particulière. Finalement, j’aurais du mal à dire ce qu’il reste du texte initial.
Je reste toutefois convaincue, comme l’a dit Pierre Ouzoulias lors de la discussion générale, que le problème que soulève le groupe du RDSE concerne l’ensemble de nos territoires : des territoires très urbains parfois – je pense aux quartiers populaires – comme des territoires très ruraux ou de montagne – nous le savons bien, monsieur le secrétaire d’État, vous qui avez été président du comité de massif des Alpes et moi qui ai œuvré au sein du comité de massif du Massif central.
En réalité, en l’absence d’un véritable service public du numérique, chacun fait aujourd’hui comme il peut ! Nous-mêmes, nous utilisons les moyens dont nous disposons pour répondre aux aspirations des habitants qui ont besoin de moyens et de formations pour accéder au numérique et entrer ainsi dans cette nouvelle ère qu’est le XXIe siècle.
Le groupe CRCE votera le peu qu’il reste de cette proposition de loi, même ainsi réécrite, convaincu qu’il en restera toujours quelque chose. La volonté du Sénat de s’attaquer à l’illectronisme permettra au débat de se poursuivre demain, peut-être sous une autre forme ou à l’occasion d’autres textes, ici ou à l’Assemblée nationale. Nous voulons en tout cas en garder une trace.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.
Mme Angèle Préville. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec beaucoup de tristesse que je m’exprime à l’issue de l’examen de cette proposition de loi. L’illectronisme est un véritable sujet. Je rappelle tout de même que des millions de personnes dans notre pays sont concernées et laissées de côté. Or leurs difficultés ne sont pas reconnues ce soir. Je trouve cela triste.
Alors que nous avons tous œuvré ce soir pour améliorer le texte et faire en sorte qu’il puisse vivre, j’espère réellement que nous parviendrons à l’avenir à définir l’illectronisme, car c’est une réalité, et à mettre en place des mécanismes pour lutter contre ce fléau.
Nous voterons ce qu’il reste du texte !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements ironiques sur plusieurs travées.)
5
Expropriation de biens en état d’abandon manifeste
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, la discussion de la proposition de loi visant à moderniser et faciliter la procédure d’expropriation de biens en état d’abandon manifeste, présentée par MM. Jacques Mézard, Jean-Claude Requier et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 263 [2018-2019], texte de la commission n° 516, rapport n° 515).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens d’abord à saluer l’action de Jacques Mézard, premier signataire de la proposition de loi, en faveur de l’aménagement du territoire, en particulier des villes moyennes, considérées comme des points d’équilibre stratégiques après une période de métropolisation effrénée. Tel est le sens du programme Action cœur de ville, qui vise à revitaliser les centres des 222 villes moyennes sélectionnées. D’autres programmes sont venus ultérieurement compléter cette démarche.
Nos territoires recèlent un potentiel de développement indéniable. Le départ de nombre de nos concitoyens des métropoles vers des villes à taille humaine, à la suite de la crise sanitaire et du recours accru au télétravail, démontre que ces villes n’ont jamais cessé d’attirer en raison du cadre et de la qualité de vie qu’elles offrent.
Pour accompagner ce rééquilibrage de l’espace, les collectivités locales doivent s’adapter en créant de l’habitat et en favorisant l’implantation d’activités économiques et de services publics là où ils tendaient à disparaître. En somme, ce rééquilibrage se traduira par l’éveil des communes dont les centres-bourgs sont peut-être dégradés ou qui comprennent des bâtiments et des terrains en mauvais état, pouvant ressembler par endroits à de véritables dépotoirs.
L’objectif de la présente proposition de loi est d’accompagner la redynamisation de ces collectivités par la mobilisation des biens immobiliers et des terrains existants, mal optimisés du fait du désintérêt de certains propriétaires, qui, pour des raisons diverses, parfois légitimes, les ont délaissés.
L’acquisition du foncier par les collectivités locales a également pour vertu d’être compatible avec la lutte contre l’artificialisation des terres en promouvant une gestion rationnelle du foncier. Celui-ci se faisant rare et cher, nous avons considéré utile de faciliter cette acquisition, en modifiant la procédure d’expropriation des biens en état d’abandon manifeste prévue aux articles L. 2243-1 et suivants du code général des collectivités territoriales.
Créée par la loi du 2 août 1989 portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et d’agglomérations nouvelles, la procédure simplifiée d’expropriation pour état d’abandon manifeste, plus allégée et moins coûteuse qu’une procédure d’expropriation de droit commun, permet notamment de s’exonérer du recours à une enquête publique.
Cette procédure a connu plusieurs évolutions récentes.
La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) a permis aux établissements publics de coopération intercommunale ou aux conseils départementaux de se substituer à la commune sur demande du maire ou en cas d’inaction de la commune dans un délai de six mois à compter de la déclaration d’état d’abandon manifeste.
La loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ÉLAN) a permis d’engager cette procédure sur les parties d’un immeuble situé dans le périmètre d’une opération de revitalisation de territoire, lorsque des travaux ont condamné l’accès à cette partie.
Cette procédure concerne les immeubles ou parties d’immeuble, les voies privées grevées d’une servitude de passage public, les terrains et installations, sans occupant à titre habituel et non entretenus, situés dans le périmètre d’agglomération de la commune. La commune n’aura pas à établir l’existence d’un risque pour la sécurité publique. Elle sera uniquement tenue d’indiquer la nature des désordres affectant le bien. D’après la jurisprudence, le fait qu’un terrain en friche serve d’entrepôt ne constitue pas une motivation suffisante.
Si cette procédure est simplifiée, elle n’en demeure pas moins entourée de formalités et d’étapes telles que : la recherche active des propriétaires, des titulaires de droits réels et des autres intéressés ; une large information du propriétaire et du public dans des délais suffisants ; l’établissement d’un procès-verbal provisoire et d’un procès-verbal définitif ; la constitution d’un dossier d’expropriation simplifié contenant une évaluation sommaire des coûts, une identification précise du bien et le plan parcellaire des terrains et des bâtiments ; la validation du projet par le préfet ; la transmission du dossier au juge de l’expropriation.
Cette procédure est également entourée de garde-fous : elle ne peut s’appliquer qu’aux biens situés dans le périmètre d’une agglomération et au profit de certaines personnes et d’organismes publics et elle doit avoir pour seule finalité soit une opération liée à l’habitat, soit une opération d’intérêt collectif relevant de la restauration, de l’aménagement ou de la rénovation.
La présente proposition de loi vise à apporter des modifications à la marge, en permettant d’exproprier des biens situés en dehors du périmètre d’agglomération, le droit actuel pouvant en effet entraver l’expropriation de corps de fermes situés en bordure des voies publiques. Elle prévoit également d’étendre les finalités de son utilisation en vue de constituer des réserves foncières. Enfin, elle permet à la commune de désigner l’EPCI comme destinataire du bien plus en amont de la procédure.
Mes chers collègues, l’objectif premier de cette procédure n’est pas tant l’expropriation que la cessation de l’état d’abandon manifeste du bien. Il est avant tout de mettre fin à des situations de blocage qui s’enlisent. Les propriétaires sont tout d’abord invités à sortir de l’inertie. Ils disposent de trois mois à compter de l’établissement du procès-verbal provisoire pour réagir. Ils peuvent s’engager à réaliser des travaux dans un délai fixé par une convention conclue avec la commune.
L’atteinte au droit de propriété est donc limitée et proportionnée grâce à une procédure qui n’est pas dénuée de risques juridiques, si elle n’est pas scrupuleusement respectée.
Le droit de propriété est garanti pour la bonne raison qu’il ne peut y avoir d’expropriation que pour cause d’utilité publique. Comme dans le droit commun, le projet ne pourra être déclaré d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, éventuellement, les inconvénients d’ordre social ou l’atteinte à d’autres intérêts ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’il présente. Le juge continuera pour sa part d’appliquer la théorie du bilan, en mettant en balance les coûts et les avantages de l’opération, comme il a coutume de le faire depuis l’arrêt du Conseil d’État Ville nouvelle-Est du 28 mai 1971.
Prenant en compte les spécificités locales, nous avons estimé que la priorisation sur les opérations liées au logement, prévue dans le texte initial, ne devait pas être imposée de manière uniforme. C’est la raison pour laquelle nous avons suggéré au rapporteur de préserver l’application de la procédure simplifiée d’expropriation à l’ensemble des opérations d’intérêt collectif qui en bénéficient actuellement.
Cette priorisation ne pouvait avoir de sens dans les communes qui ne connaissent pas de difficultés en matière de logement, celles qui sont en situation de déprime démographique et pour lesquelles la création d’équipements collectifs ou la valorisation économique des biens, reconnue par la jurisprudence, aurait davantage d’intérêt. Je remercie donc le rapporteur d’avoir modifié le texte en ce sens.
Nous regrettons cependant que l’amendement que j’avais déposé visant à rétablir la possibilité pour le département d’acquérir le bien sur demande du maire, ou en substitution, ait été déclaré irrecevable en application de l’article 40 de la Constitution. Il tendait également à ouvrir la voie à la désignation du département comme acquéreur dès le stade du procès-verbal définitif, sur proposition de la commune.
Telles sont donc les grandes lignes de la proposition de loi, attendue par les élus locaux qui s’engagent dans une politique volontariste d’aménagement de leur territoire afin de recréer des bassins de vie. Le groupe du RDSE vous invite à soutenir cette démarche afin de compléter les outils juridiques dont disposent les maires pour concrétiser leurs projets d’intérêt local. Le rôle du Sénat, vous le savez, est d’écouter et de servir les maires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Bonhomme, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à moderniser et faciliter la procédure d’expropriation de biens en état d’abandon manifeste, déposée par notre ancien collègue Jacques Mézard – je le salue –, aujourd’hui membre du Conseil constitutionnel, et inscrite à l’ordre du jour de l’espace réservé au groupe du RDSE.
Cette proposition de loi prévoit des modifications ciblées de la procédure de déclaration de parcelle en état d’abandon manifeste prévue par le code général des collectivités territoriales.
Comme vous le savez, il s’agit de l’une des procédures exorbitantes permettant aux communes d’accéder à la propriété en dehors de toute cession à titre onéreux, au même titre que les dons et legs ou l’acquisition des biens sans maître.
La procédure de reconnaissance d’état d’abandon manifeste est originale, puisque le transfert de propriété au bénéfice de la commune n’est pas sa seule finalité. Dans un premier temps, ce transfert est un moyen de pression sur le propriétaire, qui est invité à mettre fin à l’abandon manifeste de son fonds une fois que celui-ci est constaté par le maire. Ce transfert de propriété n’intervient que dans un second temps, si le propriétaire ne s’exécute pas. En ce sens, il peut s’agir pour le maire d’une alternative intéressante aux mesures de police administrative spéciale en matière d’habitat insalubre ou d’immeuble menaçant ruine, s’il souhaite in fine que la commune s’approprie le bien.
Je remercie donc le groupe du RDSE d’avoir déposé ce texte, car cette procédure répond véritablement à une problématique souvent rencontrée par les maires, qui doivent se substituer aux propriétaires défaillants pour effectuer des travaux sans pour autant parvenir à obtenir un quelconque remboursement de leur part.
Elle peut donc être perçue comme une alternative aux astreintes administratives prévues par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique afin d’inciter le propriétaire à mettre lui-même en œuvre les travaux imposés par des mesures de police administrative spéciale.
Comme je l’ai indiqué, l’article unique de la proposition de loi déposée par le groupe du RDSE introduisait des modifications ciblées dans la procédure de déclaration d’état d’abandon manifeste.
La première tendait à supprimer la condition selon laquelle la parcelle concernée doit se situer à l’intérieur du périmètre d’agglomération de la commune. La procédure pourrait donc concerner des biens sur l’ensemble de son territoire.
La deuxième visait à permettre à la commune de prévoir, dès le stade du procès-verbal définitif, que l’expropriation se fasse au profit d’un EPCI, sans attendre le stade de la constitution du dossier.
Enfin, la dernière tendait à ouvrir les catégories de projets pouvant donner lieu à déclaration d’état d’abandon manifeste par le conseil municipal, mais à restreindre ensuite ceux de ces projets qui pourraient donner lieu à expropriation simplifiée.
Seuls les projets en lien avec l’habitat auraient alors pu ouvrir droit à expropriation simplifiée avec, le cas échéant, la possibilité de constituer une réserve foncière en ce sens.
La commission des lois a largement souscrit à la volonté des auteurs de la proposition de loi de simplifier cette procédure pour en améliorer l’efficacité. Ce souhait est d’ailleurs partagé par le Gouvernement, puisque l’article 18 de l’avant-projet de loi dit 4D contient précisément des mesures allant en ce sens.
La commission des lois s’est également montrée très favorable à la suppression de l’exigence relative au périmètre d’agglomération de la commune, car cela facilitera évidemment l’accès des communes au foncier de leur territoire. Cette suppression contribue aussi à reconnaître que l’abandon de parcelles peut être préjudiciable, lorsque ces dernières sont isolées, notamment lorsqu’elles se situent à l’entrée de certaines villes ou de certains villages, car elles en donnent alors une image très négative.
En outre, la suppression de ce critère pourrait permettre aux communes ou aux EPCI d’utiliser cette procédure pour créer à l’extérieur des centres-bourgs des locaux techniques en lien avec les compétences qu’ils exercent. Je pense qu’il s’agit d’une véritable opportunité qu’il nous faut saisir.
Enfin, la commission a été très favorable à ce que la commune puisse faire bénéficier l’EPCI de l’immeuble exproprié dès le début de la procédure, sans remettre en cause la possibilité qui lui est laissée de reprendre une procédure engagée par une commune, mais non conduite à son terme.
En revanche, en accord avec le groupe du RDSE, la commission des lois n’a pas été favorable à la modification technique qui tendait à ouvrir les catégories de projets pouvant donner lieu à déclaration d’état d’abandon manifeste, mais à restreindre ensuite ceux de ces projets qui auraient pu donner lieu à expropriation simplifiée.
La modification proposée dans la proposition de loi initiale n’allait pas dans le sens présenté dans l’exposé des motifs, puisqu’elle limitait les cas permettant une expropriation simplifiée aux seuls projets en lien avec l’habitat.
La jurisprudence nous a montré qu’en l’état actuel du droit un conseil municipal peut déclarer une parcelle en état d’abandon manifeste pour construire, par exemple, un chantier naval, en passant par une expropriation simplifiée, puisqu’il s’agit d’un projet d’intérêt collectif.
Avec la proposition de loi initiale, ce projet aurait toujours pu donner lieu à une déclaration d’état d’abandon manifeste, mais il aurait fallu passer par une expropriation classique, s’agissant d’un projet sans lien avec l’habitat. La procédure de déclaration d’état d’abandon manifeste aurait donc perdu tout son sens pour ce type de projet.
Aussi, la commission des lois a adopté un amendement visant à revenir sur cette seule modification de la procédure, tout en permettant la mise en œuvre de la procédure pour la création de réserves foncières, comme le prévoyait la proposition de loi initiale.
Le seul amendement que je vous présenterai aujourd’hui est de nature technique et rédactionnelle.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, je vous invite à adopter ce texte, qui apporte des solutions efficaces et pragmatiques pour la gestion du foncier de nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, avec cette proposition de loi, vous nous donnez l’occasion de débattre d’un sujet qui est au cœur des préoccupations de tous les territoires, particulièrement les territoires ruraux.
Nous sommes, toutes et tous, particulièrement attachés à dynamiser et développer nos territoires – pour avoir été maire pendant vingt-sept ans, je peux en témoigner.
Les élus locaux ne ménagent pas leurs efforts pour que leurs villes et leurs centres-bourgs soient attractifs. La qualité du cadre de vie est un facteur essentiel de succès et d’attractivité. Cet engagement est, au fond, l’une des premières marques d’attachement à notre patrimoine et à ses habitants.
Or chacun d’entre nous a en tête, dans son cœur de ville et de village, un bien abandonné – souvent plusieurs, d’ailleurs – qui se dégrade. Ce sont des verrues – il n’y a pas d’autres mots –, qui peuvent parfois mettre en péril tous nos efforts pour rénover un centre-ville. Je tiens à préciser que ces phénomènes ne se situent pas que dans les centralités.
L’entretien de ces biens et, le cas échéant, leur récupération pour conduire les opérations de réaménagement constituent souvent un facteur clé d’une stratégie de redynamisation des centres-villes et des centres-bourgs. Le dispositif relatif aux biens en état d’abandon manifeste du code de l’urbanisme le permet, bien souvent avec succès.
Pour autant, le nombre important de biens qui semblent abandonnés doit nous interpeller sur ce dispositif pour l’améliorer. Il s’agit d’un sujet d’actualité, alors que l’Assemblée nationale examine en ce moment même le titre IV du projet de loi dit climat et résilience, dédié à l’artificialisation des sols.
En effet, nous devons freiner l’étalement urbain, dont nous mesurons chaque jour les conséquences non seulement écologiques, avec la disparition des terres, lesquelles stockent tout de même 10 % de nos gaz à effet de serre, et la perte de biodiversité, mais aussi économiques et sociales du fait de l’éloignement de l’habitat des lieux d’activités et de services et de l’autosolisme contraint, de plus en plus coûteux pour beaucoup de nos concitoyens, généralement les plus modestes. Ce phénomène n’est pas pour rien dans la dévitalisation de nos centres-villes et centres-bourgs.
Nous ne pouvons y parvenir qu’en modifiant durablement la manière dont nous aménageons le territoire, ce qui nécessite d’intervenir sur deux sujets essentiels. Recycler les zones déjà urbanisées doit devenir plus facile que de faire de l’étalement urbain. C’est l’un des objets de cette proposition de loi qui vise à faciliter la récupération des biens en état d’abandon manifeste. Il nous faut aussi rendre nos zones urbaines désirables, agréables à vivre. C’est indispensable, car habiter en périphérie des villes – à proximité, mais pas trop près quand même –, est une préférence partagée par la majorité des Français. Nous ne réussirons qu’en donnant des perspectives positives sur nos zones urbaines et rurales. C’est aussi l’objet de ce texte, qui tend à traiter la question des verrues qui défigurent nos villes et nos villages.
Le Gouvernement est mobilisé depuis quatre ans dans l’objectif de revitaliser nos territoires, nos petites villes et nos villes moyennes. Il s’agissait d’ailleurs de l’un des principaux engagements de Jacques Mézard, qui avait donné le coup d’envoi avec Action cœur de ville : 222 villes, 5 milliards d’euros et de nombreux outils pour redynamiser et rénover en profondeur nos centres-villes. Les résultats sont là : plus de 2 milliards d’euros déjà engagés et près de 50 000 logements rénovés. Que Jacques Mézard soit l’auteur de cette proposition de loi n’aura donc surpris personne !
Nous poursuivons cet effort avec Jacqueline Gourault et, grâce à l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), à travers le programme Petites villes de demain que nous avons lancé en octobre dernier à Barentin, près de 1 624 centralités vont être accompagnées, dont près de la moitié compte moins de 3 500 habitants.
En parallèle, nous accompagnons la redynamisation économique grâce au programme Territoires d’industrie et aux sites clés en main pour faciliter la réinstallation d’entreprises sur des friches urbaines.
Nous accompagnons également la transition numérique grâce au plan France Très haut débit, qui permettra de couvrir l’ensemble du territoire dès l’année prochaine.
Enfin, nous remettons des services publics, grâce à France Services. Il nous faut en effet mobiliser tous les leviers pour que la redynamisation des territoires, qui profite en ce moment d’une dynamique favorable du fait de la crise sanitaire, soit véritablement une tendance de long terme.
Le projet de loi dit 4D, qui sera présenté ici même au mois de juillet prochain, entend poursuivre cet effort. Nous allons notamment favoriser l’accès au dispositif clé pour l’attractivité des territoires : l’opération de revitalisation des territoires (ORT).
Nous avons également prévu de traiter la question des biens abandonnés en réformant la procédure des biens sans maître : ces derniers pourront être récupérés sous dix ans et non plus trente, comme le prévoit le droit actuel.
Nous entendons aussi moderniser les procédures liées aux biens en état d’abandon manifeste. Le texte issu des travaux de la commission est d’ailleurs très proche de celui que nous envisageons. À ce titre, j’y suis favorable : cette procédure doit pouvoir être mobilisée pour constituer des réserves foncières – c’est un préalable pour conduire les opérations de réaménagement de nos centres-villes et centres-bourgs. Elle doit aussi pouvoir s’appliquer sur l’ensemble de la commune – si de nombreux biens sont en centre-ville, il en existe aussi en périphérie. Tous les biens « récupérables » doivent pouvoir faire l’objet de cette procédure, où qu’ils se trouvent : leur recyclage ou leur rénovation permettra d’éviter autant de constructions sur nos terres agricoles.
Toutefois, certains points nécessitent encore des clarifications, notamment pour mettre en œuvre le droit de préemption urbain. C’est d’ailleurs le sens de l’amendement technique que vous avez déposé, monsieur le rapporteur, et auquel je suis favorable. Le Gouvernement soutiendra, sans réserve, l’adoption du texte ainsi complété. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. André Guiol applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la mobilisation du foncier constitue un enjeu majeur pour les maires, en particulier dans le tissu rural, afin de favoriser le développement de leur commune et l’implantation d’activités économiques et de services publics, mais aussi de répondre à la demande croissante de logements.
L’objectif de cette proposition de loi est d’accompagner et de soutenir la revitalisation des communes face au problème croissant de la sous-optimisation des biens immobiliers et des terrains abandonnés par leurs propriétaires.
La procédure d’expropriation des biens en état d’abandon manifeste, exposée au sein du code général des collectivités territoriales, permet à la commune, à l’intercommunalité ou au conseil départemental de se saisir, sous réserve de l’inaction du propriétaire trois mois après sa mise en demeure, des biens qui ne sont manifestement plus entretenus. Cette procédure simplifiée peut être réalisée sans enquête publique.
Cette proposition de loi vise à corriger des dysfonctionnements dans la mise en œuvre de cette procédure, tout en ne portant qu’une atteinte limitée au droit de la propriété, reconnu comme principe à valeur constitutionnelle, et ce dans le respect du cadre juridique existant grâce aux diverses garanties procédurales prévues et au contrôle du juge en bout de chaîne. Je rappelle d’ailleurs que l’objectif premier n’est pas l’expropriation des biens, mais la cessation de l’état d’abandon manifeste.
La suppression de la limite du périmètre permettra, par exemple, de prévenir d’éventuels contentieux sur les biens et parcelles situés hors de l’agglomération. Aujourd’hui, la délimitation n’est pas toujours évidente. Elle permettra également d’améliorer l’esthétique des paysages, dont les maires se font les garants. L’actuelle limitation ne se justifie pas : un bien abandonné reste un bien gênant, où qu’il se trouve. Cette situation reste préjudiciable, notamment lorsque les parcelles se situent à l’entrée des communes.
Au-delà de la valorisation du territoire, la proposition de loi concourt également à aider les maires soumis à l’objectif de zéro artificialisation des sols dans le cadre de la transition écologique que notre société doit opérer.
De même, elle participe à un effort de simplification partagé par le Gouvernement et va dans le sens de l’article 18 de l’avant-projet de loi dit 4D qui devrait, je l’espère, être examiné prochainement (Sourires.) par le Parlement.
Enfin, je profite de cette tribune pour évoquer la procédure d’acquisition d’un bien sans maître qui reste excessivement longue et qu’il serait également pertinent de dépoussiérer.
En effet, lorsqu’il est connu, le décès du propriétaire sans héritier doit être constaté depuis plus de trente ans. Si le propriétaire n’est pas connu, il demeure possible de récupérer le bien, lorsque les taxes foncières n’ont pas été acquittées depuis plus de trente ans. Cette question mériterait un débat à part entière…
Cette proposition de loi de Jacques Mézard et Jean-Claude Requier, qui me semble faire l’objet d’un soutien unanime, est très attendue par les élus locaux qui s’engagent dans une action volontariste de redynamisation de leurs territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC. – M. Laurent Burgoa applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme lors de l’examen du texte précédent, je souhaite souligner l’importance de l’initiative parlementaire. Il n’y a pas, d’un côté, de « grands » textes gouvernementaux et, de l’autre, de « petits » textes parlementaires.
Cette proposition de loi est l’occasion d’évoquer la réalité vécue par les élus locaux et les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Elle fait écho à un autre texte que nous avons adopté voilà quelques années, sur l’initiative du même groupe politique – la proposition de loi modernisant le régime des sections de commune –, source de réelles avancées.
La question des biens en état d’abandon – immeubles, parties d’immeubles, voies privées grevées d’une servitude de passage public, terrains… – est un vrai sujet, notamment dans les zones rurales. Au quotidien, ces biens posent problème dans la maîtrise de l’aménagement communal. Nous tenons à saluer le travail du rapporteur qui a soutenu l’élargissement du périmètre au-delà de celui dit d’agglomération de la commune.
Nous avons tous en tête des exemples de bâtiments abandonnés ou menaçant ruine qui posent de réels problèmes, souvent en centres-bourgs, mais aussi en dehors de la zone d’agglomération.
Avec cette proposition de loi, les communes pourront se réapproprier la maîtrise de ces biens et donc, plus largement, l’aménagement de leur territoire afin d’apporter de meilleures réponses aux besoins des habitants.
Vous connaissez notre sensibilité : nous sommes vigilants à ce que des bâtiments d’habitation déclassés restent destinés au logement. Nous pensons toutefois que certaines évolutions peuvent être bienvenues, si elles répondent à l’intérêt général.
La nature peut évidemment prêter au romantisme, mais un élu local n’apprécie jamais de devoir gérer au quotidien ce genre de situation d’abandon. Mieux vaut un bien au service de l’intérêt général, comme un local technique, plutôt qu’un bien ou un terrain plus entretenu ou délabré.
Eu égard au travail de la commission des lois, le groupe CRCE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. François Bonhomme, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à saluer le texte qui nous rassemble ce soir. Il s’agit d’une initiative parlementaire bienvenue de nos collègues du groupe du RDSE, qui vient concrètement soutenir nos maires dans leurs opérations d’aménagement en simplifiant un outil pertinent pour obtenir le foncier nécessaire à la réalisation de leurs opérations d’aménagement.
Loin de se résoudre à laisser nos villes, mais surtout nos villages, en décrépitude, les auteurs de cette proposition de loi accompagnent un mouvement de fond, initié par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) de 2000 et la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) de 2014, visant à permettre un renouvellement de la ville sur elle-même.
Nous savons que l’urbanisme et l’aménagement sont les deux versants de la vitalité d’un territoire. C’est justement par cet urbanisme et par cet aménagement que nous pourrons optimiser l’occupation d’un territoire et renforcer son dynamisme, particulièrement au centre des agglomérations, dans le strict respect du droit de propriété.
Dès lors, nous soutenons cette proposition de loi qui permet notamment de simplifier la mise en œuvre de la procédure de déclaration de parcelle en état d’abandon manifeste. En supprimant la condition selon laquelle le fonds concerné doit se situer à l’intérieur du périmètre d’agglomération de la commune, ce texte prend en compte la réalité de la diversité de nos communes – parcelles isolées ou pour lesquelles cette procédure était impossible à l’entrée de certains villages.
De plus, je partage la position de la commission des lois, qui ne souhaite pas restreindre l’accès à la procédure d’expropriation simplifiée afin de donner plus d’ampleur à cette procédure bienvenue et de permettre au plus grand nombre d’élus locaux de se l’approprier.
Cette initiative parlementaire de qualité anticipe, à elle seule, deux discussions que nous aurons dans les prochains mois dans cet hémicycle : celle qui sera relative au projet de loi dit 4D, puisque l’article 18 de son avant-projet rejoint le premier thème de l’article unique de la présente proposition de loi en élargissant la procédure d’acquisition des biens en état d’abandon manifeste ; et celle qui sera relative au projet de loi dit Climat et résilience, dont le chapitre 3 du titre IV vise à lutter contre l’artificialisation des sols en favorisant le recyclage des fonciers déjà artificialisés ou en densifiant le tissu déjà urbanisé.
Alors que l’artificialisation des sols a augmenté de 70 % quand la population croissait de 20 %, la présente proposition de loi est un point de départ bienvenu de ce débat.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Moga. Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste votera ce texte.
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons entend moderniser et faciliter la procédure d’expropriation de biens en état d’abandon manifeste. Nous sommes très nombreux à partager cet objectif.
En effet, il y a là un vrai enjeu pour de nombreuses communes, en particulier dans nos territoires ruraux et périurbains. Aussi, je tiens à saluer l’initiative du groupe du RDSE, qui nous donne l’occasion d’en débattre et de légiférer ce soir.
Cette proposition de loi vise à lutter contre les situations d’abandon de biens immobiliers auxquelles nos élus locaux sont confrontés dans leur commune. Nous avons toutes et tous, dans nos circonscriptions, des exemples pour illustrer cette réalité : friches, hangars, bâtisses à l’abandon… Autant de verrues disgracieuses qui nuisent à nos paysages.
Face à cette triste réalité, nos collègues maires rencontrent de grandes difficultés, les outils juridiques existants s’avérant souvent insuffisants. Cette proposition de loi vise donc à compléter et à parfaire notre arsenal juridique.
À côté des outils permettant de lutter contre l’habitat insalubre et les immeubles en ruine ou en situation de péril, il s’agit de doter nos élus locaux d’un nouveau levier pour contraindre un propriétaire à remédier à l’état d’abandon de son immeuble ou, à défaut, de procéder à l’expropriation en simplifiant la procédure.
Aujourd’hui, la dépossession au profit des communes est doublement limitée. La première restriction est géographique : les biens dont une commune peut demander l’expropriation doivent se situer dans le périmètre dit d’agglomération. La seconde concerne l’objet des situations pouvant légitimer une expropriation. Ces restrictions entravent, hélas !, l’action des élus locaux. C’est à ce besoin de liberté, de souplesse et d’efficacité dans l’action locale que veut contribuer cette proposition de loi.
Dans un premier temps, les auteurs de ce texte se sont attaqués à la restriction géographique des procédures simplifiées d’expropriation. Cette limitation avait été votée dans la loi de 1989, comme cela a été rappelé, afin que ce dispositif ne puisse être employé pour des terrains laissés provisoirement en friche dans des zones agricoles.
Cette restriction se justifiait juridiquement dans la mesure où ces parcelles auraient pu faire l’objet d’une procédure d’expropriation. Dans les faits, ce risque est extrêmement limité. Cette méfiance, voire cette défiance, à l’égard des maires ne se justifie objectivement pas. Les auteurs de ce texte proposent donc de supprimer cette restriction géographique pour les biens se trouvant en dehors du périmètre d’agglomération de la commune.
Une telle modification du droit devrait permettre aux maires de se saisir de biens susceptibles de générer des difficultés, à l’image de certains corps de ferme situés en bordure des voies publiques.
Faire sauter ce verrou géographique est souhaitable, il est donc bienvenu. Cette première disposition relève du bon sens et recueille le soutien du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Dans un second temps, les rédacteurs de cette proposition de loi ont souhaité élargir la liste des destinations des biens faisant l’objet d’expropriation en raison de leur état d’abandon manifeste.
Le droit positif prévoit que l’expropriation doit avoir pour objet soit la construction ou la réhabilitation à des fins d’habitat soit un intérêt collectif relevant d’une opération de restructuration, de rénovation ou d’aménagement. L’inscription de ces motifs dans la loi restreint les possibilités des élus locaux d’user de la procédure simplifiée d’expropriation pour des projets tournés vers la valorisation économique de leur territoire. Il est évident que l’état actuel du droit n’est pas satisfaisant.
Afin de remédier à ce problème, ce texte proposait initialement de supprimer purement et simplement toute mention dans la loi des objectifs pouvant motiver une expropriation. Ce choix rédactionnel nous avait interpellés en ce qu’il fragilisait juridiquement le texte.
En effet, si aucun motif n’était inscrit dans la loi, l’expropriation aurait pu devenir générale et s’appliquer dans n’importe quelle situation. Elle n’aurait donc plus été réservée aux cas justifiés par l’intérêt général. Or c’est bien ce dernier qui légitime actuellement le recours à l’expropriation, laquelle porte directement atteinte au droit « sacré » de propriété, constitutionnellement garanti.
L’absence de mention expresse de la destination du bien faisant l’objet d’une déclaration d’abandon manifeste aurait donc pu fragiliser le texte. Dans sa grande sagesse, la commission des lois a adopté une rédaction alternative, proposant de compléter la liste des motifs justifiant la constitution d’une déclaration d’abandon manifeste. Notre groupe salue cette initiative qui apporte des garanties juridiques plus solides.
La proposition de loi prévoit ensuite qu’une expropriation qui se fait traditionnellement au bénéfice de la commune puisse également se faire au profit d’une intercommunalité. Cette évolution nous semble bienvenue, puisque l’intercommunalité dispose de moyens administratifs, juridiques et financiers plus importants qu’une commune. Il semble donc plus aisé d’enclencher une telle procédure à cette échelle.
Vous l’aurez compris, nous partageons la philosophie générale du texte proposé par nos collègues du groupe du RDSE. Les contributions et corrections apportées par la commission des lois ont été de nature à améliorer sensiblement cette proposition de loi. Je salue le rapporteur pour son travail. Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sont favorables à l’adoption de ce texte. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, un grand nombre d’élus fait face à une abondance de textes qui rendent parfois difficilement compréhensibles les normes en vigueur et obligent à une vigilance extrême.
Aussi, nous nous félicitons de l’initiative de nos collègues du groupe du RDSE qui vise à faciliter et moderniser la procédure d’expropriation de biens en état d’abandon manifeste.
Cette procédure permet aujourd’hui à la commune, à la communauté de communes ou au conseil départemental de se saisir de biens qui ne sont manifestement plus entretenus. Cette procédure simplifiée peut être réalisée sans enquête publique.
Ainsi, les expropriations peuvent-elles être réalisées en vue soit de construire des logements sociaux soit de réaliser tout projet d’intérêt collectif relevant d’une opération de restauration, de rénovation ou d’aménagement.
Cette procédure a été créée pour aider les communes dans leurs efforts de rénovation et de réhabilitation du patrimoine local. Elle permet de traiter, dans le périmètre des agglomérations, les immeubles bâtis ou non bâtis à l’abandon ou en ruine et de favoriser leur réaménagement.
Cette proposition de loi concourt à remédier à des dysfonctionnements dans la mise en œuvre de cette procédure, en apportant des corrections et des simplifications.
Ce texte propose ainsi d’ouvrir la procédure aux parcelles situées à l’extérieur du périmètre d’agglomération. Cette avancée facilitera l’accès des communes à l’ensemble du foncier de leur territoire.
Cette proposition de loi tend à supprimer la limitation des finalités d’utilisation des biens saisis par les collectivités – essentiellement liés à l’habitat aujourd’hui – afin d’offrir davantage de possibilités et de souplesse aux communes.
Elle distingue deux régimes pour la mise en œuvre de la procédure : d’une part, une procédure simplifiée, sans enquête publique préalable, pour les expropriations concernant les biens à l’état d’abandon impliqués dans des opérations en matière d’habitat ou la constitution de réserves foncières en vue de telles opérations ; d’autre part, une procédure de droit commun, régie par le code de l’expropriation, pour cause d’utilité publique comme la création d’espaces publics, la valorisation d’activités économiques ou la construction d’équipements collectifs.
À cet égard, nous approuvons la position de la commission qui a jugé utile de revenir sur la disposition technique qui tendrait à ouvrir les catégories de projets éligibles aux déclarations d’état d’abandon manifeste, mais à restreindre ensuite ceux qui pourraient donner lieu à une expropriation simplifiée.
Comme l’a souligné le rapporteur, une telle démarche ferait perdre sa pertinence à cette proposition de loi et les avancées qu’elle permettrait. Par ailleurs, nous sommes d’accord avec la commission qui souhaite ouvrir cette procédure à la constitution de réserves foncières.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, toujours attentifs aux problématiques relatives aux communes, qui constituent le cœur de notre démocratie, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce texte qui fera œuvre utile. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Antoine Lefèvre applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme cela a été dit, la procédure d’expropriation des biens en état d’abandon manifeste, prévue au sein du code général des collectivités territoriales, permet à la commune, à l’intercommunalité ou au conseil départemental de se saisir, sous réserve de l’inaction du propriétaire trois mois après mise en demeure, des biens qui ne sont manifestement plus entretenus.
La proposition de loi que nous étudions aujourd’hui cherche à étendre cette possibilité au périmètre global de la commune et à la simplifier, notamment au profit des EPCI.
Dans son article unique, le texte prévoit d’élargir la procédure d’expropriation des biens aux parcelles situées à l’extérieur du périmètre d’agglomération, ce qui nous semble positif pour nos communes. À l’instar du texte précédent, également présenté par nos collègues du groupe du RDSE, nous pensons qu’il s’agit ici de répondre à un problème concret qu’il faut s’efforcer de résoudre.
Toutefois, nous devons lancer une alerte.
Le droit limite les finalités d’utilisation des biens saisis par les collectivités soit aux opérations de reconstruction ou de réhabilitation aux fins d’habitat, soit à toute opération d’intérêt collectif relevant de la restauration, de l’aménagement ou de la rénovation.
Or la proposition de loi supprime cette limitation, notamment afin de faciliter les projets engagés pour la valorisation économique des territoires, en l’assortissant d’une procédure de droit commun régie par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique dans tous ses cas de figure, comme la création d’espaces publics, la valorisation d’activités économiques ou la construction d’équipements collectifs.
Alors que l’Assemblée nationale débat d’une grande loi dite climat et résilience – elle est tout du moins annoncée comme telle –, cette réécriture de la loi ne permettrait-elle pas de faciliter l’expropriation de terrains en friche qui pourraient avoir une destination agricole ?
La procédure actuelle prend tout son sens au niveau de l’habitat. Mais demain, ne pourrions-nous pas craindre qu’une municipalité décide de procéder à l’expropriation d’une friche agricole au pourtour de son agglomération, peut-être pour y construire légitimement des logements, mais peut-être aussi pour y implanter des entrepôts ?
L’arrêt de l’artificialisation des sols, voire la désartificialisation, est un levier majeur de la lutte contre le réchauffement climatique. Il peut apparaître mal venu de multiplier les opportunités de faire reculer les zones agricoles.
Mes chers collègues, permettez-moi une réflexion. Vous défendez habituellement si ardemment, dans cet hémicycle, le droit de propriété, que nous devrions rester tout aussi prudents dans cette possibilité d’y déroger. Et ce d’autant plus que l’acte du procès-verbal d’abandon provisoire est réputé notifié par la publicité locale en mairie et dans les journaux, si la personne en cause ou son adresse n’est pas connue.
Je note que ce droit de propriété semble paraître beaucoup plus important à certains, lorsqu’il les incite à s’opposer à la réquisition de biens vides non occupés pour pourvoir à la pénurie de logements que lorsqu’il s’agit de la valorisation d’activités économiques. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le droit français conçoit l’expropriation comme une atteinte exceptionnelle au droit de propriété, mais il semblerait que l’appréciation de l’atteinte exceptionnelle varie selon les situations et les bénéficiaires…
Le droit de ne rien faire de son bien ne saurait être toléré, quand une collectivité peut y voir une opportunité de développement, mais resterait-il sacro-saint, quand il s’agit de biens construits, finis et entretenus qui pourraient participer à l’hébergement des mal-logés ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est un vrai problème !
Une autre alerte attise ma prudence. Les possibles dérives, déjà constatées, d’utilisation de la procédure comme un simple levier de développement foncier.
La prudence nous impose de voir si un changement de destination à plus ou moins long terme de ces terrains expropriés ne contreviendrait pas à l’esprit de la loi.
C’est pourquoi, malgré une compréhension des attentes raisonnables des collectivités sur le sujet, en raison de ces réserves sérieuses face à des risques réels, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne votera pas ce texte. (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jacques Fernique applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous partageons sans doute tous ici l’idée que la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui est bienvenue. Elle nous permet d’amorcer un débat sur une procédure qui constitue un levier important pour la valorisation de nos territoires.
Je salue à ce titre le groupe du RDSE pour l’inscription de ce texte dans son espace réservé, et plus particulièrement son auteur, Jacques Mézard, qui a siégé, pendant plus de dix années, au sein de cet hémicycle.
Il s’agit donc, cela a été dit, de faciliter la procédure d’expropriation des biens déclarés en état d’abandon manifeste. Cette procédure présente un intérêt non négligeable : elle permet aux communes, dans des modalités simplifiées, d’accéder à la propriété et de répondre aux nécessités de leur territoire en matière d’habitat ou d’aménagement.
Elle permet dans le même temps de faire cesser des situations dommageables, et parfois ubuesques, dans lesquelles des biens se trouvent vides et dépourvus de tout entretien, sans perspective d’une quelconque évolution de cet état de fait.
En souhaitant faciliter l’expropriation des biens en état d’abandon manifeste, la proposition de loi s’inscrit dans la continuité d’autres textes. Je pense notamment à la loi ALUR de 2014 et à la loi ÉLAN, adoptée en 2018, qui a rendu automatique le constat d’abandon, dans le périmètre d’une opération de revitalisation, des parties d’immeubles dont l’accès a été condamné par des travaux.
Les modifications apportées en commission à l’initiative de M. le rapporteur vont dans le même sens et nous semblent tout à fait pertinentes.
La rédaction initiale de la proposition de loi comportait en effet une limite : elle introduisait en effet un régime hybride d’expropriation pour les biens en état d’abandon manifeste, présentant le risque d’être in fine plus restrictif et en tout cas source d’incertitudes dans ses effets.
En maintenant l’architecture prévue par le code général des collectivités territoriales, la présente proposition de loi s’inscrit en pleine cohérence avec les évolutions successives de la loi.
La loi du 23 juin 2011 a en effet créé une procédure spécifique aux biens en état d’abandon manifeste, alors que la législation antérieure leur appliquait le droit commun de l’expropriation pour cause d’utilité publique, plus contraignant et finalement mal adapté aux situations visées.
Nous approuvons également les trois apports de la proposition de loi conservés par la commission, qu’il s’agisse de l’extension de la procédure de déclaration en état d’abandon manifeste au-delà du périmètre d’agglomération de la commune, de l’extension de la procédure simplifiée d’expropriation à la finalité de la constitution d’une réserve foncière et de l’ajout des EPCI comme bénéficiaires potentiels de l’expropriation, dès la phase de déclaration d’état d’abandon manifeste. Cette dernière clarification s’inscrit dans la continuité du droit de suite donné par la loi ALUR aux EPCI.
Les deux premières dispositions citées nous paraissent en outre de nature à favoriser les opérations de réaménagement, cela a été dit. Elles sont d’ailleurs inscrites dans l’article 18 de l’avant-projet de loi dite 4D.
Les différents textes cités montrent bien que les gouvernements et législateurs successifs se sont intéressés à cette procédure originale, en ce qu’elle permet l’expropriation simplifiée par la collectivité de biens abandonnés, mais qu’elle donne également au maire les moyens, en amont, de contraindre le propriétaire à reprendre en main un bien dégradé et source de nuisances pour sa commune.
Cette procédure répond concrètement à une problématique souvent rencontrée par les maires, qui doivent se substituer aux propriétaires défaillants pour effectuer des travaux, sans toujours parvenir à un remboursement.
Le groupe RDPI approuve à son tour cette proposition de loi dans l’équilibre qui résulte de son examen en commission. Ce texte ouvre utilement un débat qui devrait se poursuivre lors de l’examen attendu du projet de loi 4D.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2017, Jacques Mézard, alors ministre de la cohésion des territoires et du logement, répondant à une question orale au Sénat au sujet des procédures d’état d’abandon manifeste et de biens sans maître reconnaissait qu’elles étaient de plus en plus difficiles à mettre en œuvre et peu utilisées, posant ainsi la question de leur opérationnalité.
Cette proposition de loi apporte une évolution positive à la procédure d’expropriation des biens en état d’abandon manifeste. Tout d’abord, je tiens à saluer le travail de simplification accompli par M. le rapporteur François Bonhomme, qui a permis l’adoption de cette proposition de loi à l’unanimité de la commission des lois.
Quelle commune ne compte pas, dans l’une de nos régions, de maison vacante ou de terre abandonnée ? Cette situation plus que fréquente suscite désarroi et défaitisme : la propriété privée est sacrée et on ne peut y attenter ! Pour autant, des moyens existent, qui, sans remettre en cause les fondements du droit de propriété, ouvrent des possibilités pour les communes de remettre en vie un patrimoine en déshérence.
Ce mode d’acquisition foncière singulier permet aux maires de faire cesser l’état d’abandon de la parcelle au lieu de multiplier les arrêtés de péril et les dépenses d’entretien jamais recouvrées ; il permet aussi de limiter les risques de squats. Autant de situations qui constituent quelques fois des obstacles à la mise en œuvre d’une politique d’urbanisme ou peuvent contribuer à la dégradation d’un centre-bourg ancien.
Cette proposition de loi constitue donc une avancée par l’élargissement du périmètre d’intervention à tout le territoire de la commune, au-delà de l’agglomération, et lui donne un caractère véritablement opérationnel.
Cette simplification est également bienvenue dans le cadre de la crise du logement que nous traversons, avec une baisse alarmante de la construction neuve et l’effondrement du nombre de logements sociaux agréés.
Si la procédure d’abandon manifeste ne permettra pas de massifier la construction ni de relancer le secteur, il ne faut pas négliger son utilité, puisqu’il est possible, pour une commune, de revendre le bien objet de la procédure à un bailleur social ou à un particulier.
L’ajout par la commission des lois de l’objectif de « création de réserves foncières » permettant la réalisation des projets d’aménagement ou d’urbanisme est très encourageant pour les opérations d’urbanisme ou les opérations de revitalisation du territoire, qui nécessitent parfois beaucoup de foncier.
La question de la lutte contre l’artificialisation des sols fera débat dans le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Aussi, étendre la procédure d’expropriation des biens en état d’abandon manifeste permettra la réappropriation des espaces urbanisés.
Enfin, nous aurons très vite l’occasion de rediscuter de la procédure d’expropriation de biens en état d’abandon manifeste, puisque l’avant-projet de loi dit 4D inclut un article directement inspiré de cette proposition de loi.
À l’horizon de ce projet de loi, qui sera présenté en conseil des ministres le 12 mai, un dernier frein pourrait encore être levé par le Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, tant pour l’état d’abandon manifeste que pour les biens sans maître. Il s’agit de l’identification des héritiers, qui prend du temps et a un coût important pour les communes, tout particulièrement dans les territoires ruraux.
Le groupe Les Républicains votera bien évidemment cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – M. Jean-Pierre Moga applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub.
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe du RDSE nous offre de traiter ce soir un véritable sujet communal, un sujet concret, un sujet d’élus, un sujet de petit bourg rural ou de grosse agglomération urbaine.
Il s’agit surtout d’un sujet casse-tête, pour lequel il nous faut des outils réellement opérationnels et efficaces. Nous avons tous, mes chers collègues, rencontré ce type de dossier, celui de la ruine, moche, parfois dangereuse, qui bloque d’autres projets et amène les voisins à venir râler tous les mois dans le bureau du maire.
Commence alors un cycle infernal. Il faut se transformer en Sherlock Holmes pour retrouver la piste d’éventuels propriétaires, partis, décédés, divorcés ou expatriés, des fantômes introuvables et désirés, tellement désirés parce qu’ils ont la clé. Parfois, on les trouve, et ils ne font rien, ils ne veulent pas, ils ne peuvent pas : indifférence, procédure en cours, et c’est parti pour des années de casse-tête et de désespoir.
L’édifice est une verrue, on finit par ne voir que lui. Depuis peu, alors que les sujets de consommation d’espace prennent de l’ampleur, l’emprise occupée pour rien devient encore plus insupportable.
Alors qu’il faut réussir à maintenir le dynamisme démographique sans faire d’étalement urbain, pouvoir « recycler » les biens en état d’abandon manifeste est un vrai enjeu. Mais c’est encore un parcours de l’élu combattant.
Pour abréger le suspens, je dirai que le groupe Union Centriste votera pour ce nouvel outil qu’est la proposition de loi que nous examinons ce soir. Elle intègre à juste titre le fait que les biens en état d’abandon manifeste peuvent se situer en tout point du territoire. Elle lève également les difficultés qui pourraient surgir des partages de compétences entre communes et EPCI.
Mais je profite de cette prise de parole pour évoquer les lacunes de la boîte à outils des élus.
Si la DETR, la dotation d’équipement des territoires ruraux, peut désormais être utilisée pour la démolition de bâtiments abandonnés, il faudrait que les services et les élus aient largement connaissance de cette possibilité. Pourquoi ne pas la rendre également mobilisable pour les travaux urgents que les municipalités doivent parfois engager en lieu et place des propriétaires défaillants ? Dans tous les cas, pour engager les démarches, les maires ou présidents d’EPCI devraient pouvoir bénéficier d’aides financières pour faire face aux divers frais liés aux expertises, aux constats d’abandon, à la publicité et aux autres procédures forcément coûteuses.
La finalité de ce texte n’est pas de faciliter l’expropriation, mais de permettre d’envoyer un message musclé aux propriétaires inscrits aux abonnés absents. La finalité est bien de faire disparaître les biens abandonnés ! Pour ce faire, il faut, vous aurez compris mon message, des lois et des aides financières.
Si le groupe du RDSE fait aujourd’hui une gymnastique admirable entre droit de la propriété privée et article 40 de la Constitution, les élus ont vraiment besoin, monsieur le secrétaire d’État, de beaucoup plus. L’économie circulaire de l’habitat doit se mettre en place, avec votre aide. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui démontre la volonté du Sénat de simplifier la vie des collectivités territoriales.
Nous, sénateurs, sommes en effet régulièrement interpellés par les maires de nos départements sur les difficultés qu’ils rencontrent concernant des immeubles ou des terrains délaissés. À la suite de mes visites dans les communes de Moselle, je peux attester qu’il s’agit d’un sujet récurrent.
Il est tout naturel que notre assemblée se soit saisie de cette proposition de loi visant à moderniser et faciliter la procédure d’expropriation de biens en état d’abandon manifeste.
La négligence des propriétaires, leur éloignement géographique ou les problèmes successoraux font que ces biens non entretenus se dégradent peu à peu.
Face à l’inaction de ces propriétaires, les municipalités se trouvent empêchées d’aménager l’espace pour y accueillir de nouveaux habitants, implanter des services ou valoriser économiquement le territoire. Ce phénomène prend une forme encore plus aiguë dans les communes rurales, où le droit de la mise en péril s’applique difficilement.
La procédure de la déclaration de parcelle en état d’abandon manifeste permet à la commune de déclarer en « état d’abandon manifeste » une série de biens, dans le but d’amener le propriétaire à faire cesser cet état. Engagée par le maire, la procédure permet de déterminer les parcelles, de notifier au propriétaire le procès-verbal établissant l’état d’abandon manifeste et de lui imposer un délai de trois mois pour se manifester.
À l’issue de ce délai, sans réponse ni action de sa part, un procès-verbal permet d’établir l’état d’abandon définitif. Selon une procédure simplifiée, une expropriation peut être engagée, à condition qu’elle ait pour but la construction de logements ou tout objet d’intérêt collectif.
La commission des lois et son rapporteur, M. François Bonhomme, ont été favorables à l’esprit général du texte, mais ont souhaité l’améliorer et le conforter.
Notre commission a conservé deux points positifs : la levée du « périmètre d’agglomération de la commune », qui permettra au maire d’agir sur l’ensemble du territoire, et la possibilité dont disposera l’EPCI de devenir bénéficiaire de l’expropriation.
En revanche, afin de clarifier le texte et de le rendre plus cohérent, il n’a pas été jugé utile de retenir les dispositions ayant pour conséquence de ne réserver la procédure d’expropriation simplifiée qu’aux opérations liées à l’habitat. Cela semblait en contradiction avec les objectifs mêmes de la proposition de loi.
Le rapporteur a judicieusement élargi la liste des projets permettant la déclaration d’état d’abandon. Il a cependant veillé à ne pas faire bouger les lignes de façon excessive entre la procédure normale, relevant du code de l’expropriation, et la procédure dérogatoire. Il était également important de garantir le respect du droit de propriété, en conservant cette liste au stade de la procédure normale.
Je voudrais rendre hommage à l’excellent travail réalisé par le rapporteur de la commission des Lois, M. François Bonhomme.
Nous souhaitons que les maires puissent agir plus librement pour aménager l’espace et y accueillir des habitants, des services et des activités économiques, à l’heure où la ruralité connaît une nouvelle attractivité.
À cette fin, la proposition de loi, améliorée par les travaux de la commission, constitue un bon véhicule législatif. Elle est aussi un prélude à nos travaux sur le projet de loi 4D, qui sera examiné par le Parlement dans les prochaines semaines. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. » Tels sont les termes du dix-septième et dernier article de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Pour la première fois, la notion de nécessité publique faisait son apparition dans un texte, qui est désormais de valeur constitutionnelle. Plus de 230 ans plus tard, c’est ce même impératif de nécessité publique qui conduit le législateur à faire évoluer le droit sur le sujet et à renforcer les prérogatives des collectivités en matière d’urbanisme.
Les dernières décennies ont été ponctuées d’évolutions majeures et rapides en matière de logement en France, chacune d’entre elles se proposant d’être une réponse aux nouveaux enjeux de transition écologique et de modernisation des territoires : les lois ALUR, puis ÉLAN, la création de l’ANCT, l’Agence nationale de la cohésion des territoires, interlocutrice privilégiée de l’ANAH, l’Agence nationale de l’habitat, et de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine.
L’urbanisme est la pièce maîtresse de cette proposition de loi qui souhaite renforcer les capacités des maires en la matière. Ce sont bien eux qui détiennent la connaissance la plus fine des besoins de leur collectivité en termes de construction et de développement urbain.
Les biens immobiliers laissés à l’abandon, nombreux dans la ruralité comme en ville, sont créateurs d’un certain lot de retombées particulièrement délétères pour les communes. Ces fameux « biens sans maître » immobilisent des parcelles parfois précieuses, là où l’évolution rapide des valeurs foncières recommanderait une valorisation sans délai du terrain.
Qu’ils soient localisés à l’entrée ou dans les centres des bourgs, ces biens nuisent à l’attractivité et à l’image globale de la commune. Ils favorisent le développement des squats et des nuisances diverses qui en découlent – insalubrité, vétusté –, sans compter les risques sécuritaires, qui font encore peser sur les épaules des maires une responsabilité périlleuse – danger d’effondrement, non-entretien des installations électriques ou de gaz, etc.
À l’heure de la cohésion des territoires et de leur valorisation économique, il s’agit d’une mesure de bon sens que d’enrichir l’arsenal des maires, afin de remédier à ce phénomène. L’élargissement de la compétence d’expropriation à l’ensemble du territoire de la commune, et non plus à son seul périmètre d’agglomération, est une première pierre dans l’édifice de la continuité urbaine des territoires, à plus forte raison à l’heure des fusions de communes et de la montée en compétence des intercommunalités.
Assurer le développement du tissu construit entre plusieurs centres-bourgs, le long des axes routiers, sera une façon de se prémunir contre le maintien d’îlots mal connectés et mal urbanisés et d’assurer une plus grande connexion entre les territoires.
L’amendement déposé par M. le rapporteur visant à prévoir le critère de constitution de réserves foncières est un remède judicieux pour pallier la crise du logement et les tensions dans la détermination de nouvelles parcelles constructibles.
Enfin, l’inclusion des EPCI dans les bénéficiaires des terrains expropriés est un levier de choix pour soutenir leur montée en compétence.
Force est donc de constater la grande plus-value de ces propositions portées par M. Jean-Claude Requier et appuyées par notre collègue rapporteur François Bonhomme. Le groupe Les Républicains votera donc ce texte, dont il salue la vision d’avenir pour l’urbanisme dans nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à moderniser et faciliter la procédure d’expropriation de biens en état d’abandon manifeste
Article unique
Le chapitre III du titre IV du livre II de la deuxième partie du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Le second alinéa de l’article L. 2243-1 est supprimé ;
2° La seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 2243-3 est ainsi modifiée :
a) Après le mot : « commune, », sont insérés les mots : « d’un établissement public de coopération intercommunale, » ;
b) Sont ajoutés les mots : « , soit de la création de réserves foncières permettant la réalisation de telles opérations » ;
3° L’article L. 2243-4 est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
b) Au troisième alinéa, après le mot : « habitat », sont insérés les mots : « dont est membre la commune » ;
c) Au 3°, les mots : « collectivité publique ou l’organisme » sont remplacés par les mots : « commune, l’établissement public de coopération intercommunale, l’organisme ou le concessionnaire mentionné au premier alinéa de l’article L. 2243-3 » ;
d) (Supprimé)
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, sur l’article.
M. Patrick Chaize. Monsieur le président, je serai bref, mais je tiens à faire part de ma déception. L’amendement que j’avais déposé et qui avait pour objet d’étendre les dispositions de la proposition de loi aux parcelles boisées a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. Nous pourrions pourtant nous retrouver, me semble-t-il, sur une mesure visant à faire bénéficier les parcelles boisées de la simplification introduite par la proposition de loi.
Je le rappelle, les parcelles boisées non exploitées, c’est-à-dire en état d’abandon, sont dangereuses pour nos concitoyens et elles peuvent gêner l’exploitation et la gestion des forêts, notamment des forêts communales.
Monsieur le secrétaire d’État, j’attire votre attention sur ce point. Si j’ai bien compris, cette disposition sera inscrite dans le projet de loi 4D. Il conviendra alors de prendre en compte ce sujet et d’y apporter une réponse.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, je veux saluer l’initiative de nos collègues du groupe du RDSE, ainsi que les orateurs qui se sont exprimés et le travail mené par M. le rapporteur.
Je le rappelle, de nombreuses communes sont concernées par le problème soulevé par ce texte, Antoine Lefèvre l’a dit. Une bâtisse à l’abandon est vite squattée et dégradée ; elle se transforme, comme l’ont dit certains orateurs, en une véritable verrue.
Il existe des vides juridiques et les problèmes de succession sont très compliqués, notamment dans le cadre des indivisions. Ainsi, le partenariat avec les notaires et les services de l’État est indispensable.
Mme Sollogoub l’a dit, des problèmes de financement se posent également. La DETR comme la DSIL, la dotation de soutien à l’investissement local, devraient pouvoir aider les collectivités en la matière.
L’adoption de ce texte permettra d’aménager les cœurs des villes et des villages. La question relève donc vraiment de l’aménagement du territoire. Il s’agit d’aider l’investissement de nos collectivités locales, de manière à avoir des communes accueillantes.
Je soutiens bien entendu ce texte, qui va dans le bon sens.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, sur l’article.
M. Daniel Gremillet. Je me réjouis de l’adoption de ce texte et je constate qu’il est très équilibré par rapport au droit de la propriété.
Il nous permettra d’aborder un autre aspect, celui de la fiscalité. Aujourd’hui, lorsque vous rénovez un bâti à l’abandon, la partie habitable est traitée différemment, d’un point de vue fiscal, des autres parties – je pense notamment aux anciens corps de ferme. Une telle situation engendre d’importants problèmes en termes de moyens qui peuvent être consacrés à la rénovation.
Je me réjouis donc de l’adoption de ce texte. Il est essentiel pour l’ensemble de notre territoire et nous permettra de traiter d’autres aspects, encore orphelins à l’heure actuelle. C’est pourquoi je remercie à mon tour le groupe du RDSE.
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par M. Bonhomme, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
a) Le mot : « organisme » est remplacé par les mots : « établissement public de coopération intercommunale ou d’un organisme » ;
II. – Alinéa 9
1° Après les mots :
3°, les mots : «
insérer le mot :
la
2° Remplacer les mots :
commune, l’établissement public de coopération intercommunale, l’organisme ou le concessionnaire mentionné au premier alinéa de l’article L. 2243-3
par les mots :
le bénéficiaire
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Bonhomme, rapporteur. Le présent amendement vise à apporter des précisions rédactionnelles.
D’une part, il tend à préciser que la déclaration d’état d’abandon manifeste ne peut être prononcée que pour les établissements publics de coopération intercommunale « y ayant vocation », c’est-à-dire ceux qui détiennent une compétence habitat ou aménagement correspondant aux opérations justifiant l’expropriation.
D’autre part, il tend à ce que les règles fixant la forme des arrêtés pris par le préfet pour déclarer l’utilité publique de l’immeuble en cause prennent en considération toutes les catégories de bénéficiaires au profit desquels l’expropriation peut être poursuivie.
M. le président. Le sous-amendement n° 5, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 4, alinéa 3
Remplacer les mots :
d’un organisme
par les mots :
de tout autre organisme
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Le présent sous-amendement est d’ordre rédactionnel.
Je précise tout de suite que le Gouvernement est favorable à la précision introduite par l’amendement présenté par la commission, sans laquelle les départements, par exemple, seraient exclus de l’attribution, ce qui ne serait pas bienvenu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur le sous-amendement n° 5 ?
M. François Bonhomme, rapporteur. La commission n’a pas pu se prononcer sur ce sous-amendement. Toutefois, à titre personnel, j’y suis favorable.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4, modifié.
(L’amendement est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
6
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 15 avril 2021 :
De dix heures trente à treize heures et de quatorze heures trente à seize heures :
(Ordre du jour réservé au groupe INDEP)
Proposition de loi visant à orienter l’épargne des Français vers des fonds souverains régionaux, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de ses collègues (texte n° 385, 2020-2021) ;
Proposition de loi d’expérimentation visant à favoriser le retour à l’emploi des bénéficiaires du revenu de solidarité active, RSA, présentée par M. Claude Malhuret et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 518, 2020-2021).
De seize heures à vingt heures :
(Ordre du jour réservé au groupe CRCE)
Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du CETA, présentée par de M. Fabien Gay et plusieurs de ses collègues (texte n° 249 rectifié, 2020-2021) ;
Proposition de loi visant à garantir effectivement le droit à l’eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d’eau potable et l’accès pour tous à l’eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité, présentée par Mme Marie-Claude Varaillas, M. Gérard Lahellec et plusieurs de leurs collègues (texte n° 375, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 15 avril 2021, à zéro heure quinze.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER