Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la chronologie de la navette parlementaire est bouleversée par le télescopage des articles 24 de cette proposition de loi pour une sécurité globale et 18 du projet de loi confortant le respect des principes de la République, que nous sommes en train d’examiner depuis quelques jours. Ces deux articles ont sensiblement le même objet, à savoir protéger les forces de l’ordre des captations malveillantes d’images, mais ils sont présentés simultanément dans deux véhicules législatifs. On se souvient aussi de la volonté du Gouvernement de créer une commission à sa mesure pour une nouvelle écriture de l’article 24… Ce grand n’importe quoi, alors que les Français attendent de la clarté, met en lumière le mépris de l’exécutif pour la démocratie représentative.
Un texte de sécurité globale doit garantir une sécurité démocratique avant tout, sans quoi on bascule dans un régime aux pouvoirs démesurés. Le rôle de l’État est de garantir aux citoyens et aux collectivités la liberté et la sécurité ! La réalité montre que l’insécurité se généralise, tout autant que le recul de nos libertés.
Perdue, La République En Marche se met à courir et se prend les pieds dans les marches. Nous avons ici la preuve, au mieux, de la mauvaise communication, au pire, du désaccord entre le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice. Chacun porte sa mesure dans son coin, et les Français, qui attendent une conjonction des réponses policières et pénales, en sont les premières victimes. S’agit-il d’une lutte d’ego, d’un combat de coqs, d’une divergence nette de ligne ou d’une stratégie qui mettrait en scène le duo du méchant et du gentil pour satisfaire tout le monde ?
Que l’on examine la loi dans de telles conditions est déjà insupportable ; mais passe encore… Le pire est que ce cafouillage affiché met à mal la crédibilité de l’État, alors que celui-ci a tant besoin de retrouver sa légitimité et son autorité. Et dire que, du locataire de Beauvau à celui de la Chancellerie, ce sont les mêmes qui ne manquent jamais une occasion de faire la leçon sur le prétendu manque de sérieux et de cohérence des parlementaires, avec un dédain affiché pour les communes ! À ce stade, je préférerais pourtant donner la boussole et les manettes à nos communes plutôt qu’au Gouvernement, car elles aussi attendent que l’on apporte des solutions ciblées aux problèmes de sécurités locales.
Ce grand n’importe quoi devrait entraîner le rejet des conclusions de la commission mixte paritaire en attendant que le Gouvernement accorde ses violons. Les sénateurs, représentant des élus de la réalité des terroirs et des territoires, étaient en droit d’obtenir un peu plus de respect.
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Dany Wattebled. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous réjouissons que la commission mixte paritaire soit parvenue à un accord sur ce texte très attendu. L’adoption d’un nouveau texte visant à assurer une sécurité globale tout en préservant les libertés était malheureusement nécessaire, car nous assistons depuis de nombreuses années à une nette dégradation du climat sécuritaire dans notre pays.
Les actes de violence se multiplient, notamment contre nos policiers, nos gendarmes et nos pompiers. Il est donc indispensable de mieux protéger les fonctionnaires qui participent à une opération de police contre tous ceux qui se permettent de dévoiler leur identité.
Grâce à la sagesse du Sénat, la nouvelle rédaction de l’article 24 y parvient. Si cet article avait fait l’objet de nombreuses controverses, sa nouvelle rédaction clôt les polémiques en remplissant l’objectif de protection sans pour autant porter atteinte à la liberté de la presse.
Je tiens aussi à le rappeler, les forces de l’ordre ne sont pas les seules concernées. Les élus sont eux aussi trop souvent visés par des violences inadmissibles. La vocation de nos forces de l’ordre est de protéger les Français, celle des pompiers ou des médecins de leur porter secours et celle des élus de les servir.
Quel triste retournement du devoir : protéger ceux qui nous protègent ! Car, au-delà des victimes directes, ces attaques portent aussi atteinte à l’ensemble de la République et à la cohésion de notre société. Il est grand temps que cela cesse. Ces dispositions s’accordent d’ailleurs avec la promesse qu’avait formulée le Premier ministre lorsqu’il avait assuré solennellement devant le Sénat et le pays qu’il n’y avait pas et qu’il n’y aurait pas de zone de non-droit sans contrôle d’identité.
Nos concitoyens attendent légitimement un renforcement de la sécurité. Les dispositions figurant dans ce texte permettront de donner davantage de moyens aux forces de l’ordre dans l’accomplissement de leur mission. Ainsi, la vidéoprotection sera étendue, afin de permettre à cette technologie de déployer tous ses effets. Comme toujours, le Sénat a prêté une attention particulière à la protection des libertés publiques. Nombre de ses ajouts ont été conservés dans le texte final.
M. Loïc Hervé, rapporteur. C’est vrai !
M. Dany Wattebled. À cet égard, nous nous félicitons que le décret déterminant les modalités de la vidéoprotection dans notre pays soit dorénavant pris après avis de la CNIL. Cette nouvelle garantie renforcera encore la protection des libertés de nos concitoyens.
À côté du secteur public, le secteur privé constitue un important pilier du continuum de sécurité. La proposition de loi que nous examinons renforce le contrôle de la sous-traitance. Elle contribuera à améliorer la qualité des prestations et la légitimité des sociétés qui les exécutent.
Ce texte prévoit également une expérimentation visant à confier des prérogatives de police judiciaire à certaines polices municipales. Même si j’aurais souhaité que le seuil pour y participer soit plus fortement abaissé, je suis déjà heureux qu’il ait été ramené de vingt agents à quinze agents.
Je voudrais redire ici avec force à quel point il est essentiel de s’assurer que les petites communes ne sont pas pénalisées. Le législateur doit veiller à ce que la sécurité soit uniforme sur l’ensemble du territoire. Cela implique de tenir compte du fait que les petites communes n’ont pas les moyens de recruter des agents de police municipale.
En définitive, c’est donc à l’État qu’il revient en premier lieu d’assurer la sécurité de nos concitoyens.
Les dispositions de ce texte concourent à améliorer la sécurité des Français. Le groupe Les Indépendants votera donc en faveur de son adoption, tout en rappelant que la question des moyens financiers consacrés à nos forces de l’ordre reste fondamentale pour parvenir à nos fins. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Loïc Hervé, rapporteur. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, entre états d’urgence sanitaire et sécurité globale, la succession de textes liberticides et sécuritaires dans notre pays depuis plus d’un an devient alarmante.
Il n’y avait nul doute sur le fait que cette commission mixte paritaire fût conclusive. Sans surprise, sur ces sujets, le Gouvernement, sa majorité LaREM et la droite sénatoriale sont à l’unisson, réunis en ordre de marche ou dans les starting-blocks de la course à l’extrême.
Ce texte s’appelle désormais « proposition de loi pour une sécurité globale préservant les libertés ». Mais je me pose la même question que ma collègue Laurence Harribey : de quelles libertés s’agit-il ?
La proposition de loi prône la surveillance de masse, de la légalisation et de l’extension de l’usage des drones au plus grand déploiement des caméras-piétons, sans préciser, pour ce dernier outil, l’importance du contrôle de l’action de l’agent dans le cadre de ses fonctions. Il aurait évidemment été judicieux d’inscrire dans la loi que cette technologie a pour objet principal le renforcement de l’action de la justice et l’aboutissement des plaintes des victimes de violences commises par certains agents.
Ce texte s’attaque à la liberté d’expression, en limitant la dénonciation des actes répréhensibles des forces de l’ordre, par son article 24. Pourtant, la Cour européenne des droits de l’homme le souligne : l’ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression doit répondre à un besoin social impérieux. Or, comme le relève l’avis de la Défenseure des droits, l’infraction initialement prévue n’était pas nécessaire à la protection des policiers et gendarmes. Malgré sa réécriture, la critique faite à cet article ne semble pas pour autant obsolète.
La proposition de loi porte également une atteinte disproportionnée à la liberté d’informer. Le nouveau délit de provocation à l’identification, une notion floue, ouvre la voie à des interprétations divergentes et arbitraires pouvant nuire au travail des journalistes. Ce sont ces images, diffusées dans la presse, qui ont permis de rendre publique, par exemple, l’affaire Benalla, n’en déplaise au Gouvernement.
Ce texte bride le droit de manifester, parce qu’il crée un climat anxiogène autour des manifestations publiques. Il légalise les drones, mais reste silencieux quant aux LBD et grenades de désencerclement, que nous savons pourtant être la cause de nombreuses blessures et mutilations.
Alors, « préservant les libertés », dites-vous ? Voilà une appellation assez antinomique, si je puis me permettre !
Enfin, nous sommes pour la création d’une police municipale à Paris. Nous nous associons à la vision que la mairie de Paris a de sa future police municipale : une police de proximité formée aux questions sociétales et à l’image de ceux qu’elle protège.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Alors, votez ce texte !
Mme Esther Benbassa. Mais nous sommes contre le dangereux rapprochement qu’opère ce texte des prérogatives et statuts de la police et de la gendarmerie nationales, de la police municipale et de la sécurité privée.
Force est de constater que ce texte ne s’appuie sur aucune vision réellement novatrice et complète de la sécurité en France. Il n’a, hélas ! de global que le nom. Pour ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Loïc Hervé, rapporteur. C’est dommage !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, compte tenu de l’inspiration de cette proposition de loi et de l’attitude des forces politiques au sein de notre assemblée comme de l’Assemblée nationale, l’accord était, je le crois, prévisible dès le début ; en tout cas, on pouvait le souhaiter. Il s’est réalisé, et je crois qu’il faut s’en réjouir. À cet égard, il est tout à fait naturel de souligner le rôle joué par nos deux rapporteurs, dont le travail a été très intense et très méthodique, et de saluer M. le président de la commission des lois, auquel je tiens à rendre hommage.
Mme la présidente. Cher collègue, pourriez-vous remettre votre masque sur le nez ?
M. Alain Richard. Au temps pour moi, madame la présidente.
Je voudrais, sans revenir sur les principales dispositions, me livrer à deux observations politiques à propos du texte.
La première a trait au chemin parcouru dans le rapprochement et dans la meilleure coopération entre les différentes forces de sécurité.
Il n’est qu’à se rappeler comment étaient perçues les polices municipales voilà encore vingt ou vingt-cinq ans, y compris par la police nationale et la gendarmerie. Aujourd’hui, notamment grâce au savoir-faire développé par les conventions de coordination et à l’acquisition de réflexes professionnels partagés entre police, gendarmerie et police municipale, de nombreux progrès ont été accomplis.
Au fond, la reconnaissance de la capacité des polices municipales à devenir les contributeurs d’une sécurité plus active, notamment en relevant des infractions de proximité, est le résultat d’une longue évolution dans laquelle chacun a mis du sien. Les collectivités locales ont en particulier veillé à la montée en compétences et en savoir-faire de leurs polices municipales.
Ensuite, j’évoquerai un vieux souvenir personnel – en ce temps lointain, j’étais membre de la commission des lois à l’Assemblée nationale –, celui du premier texte sur les sociétés de sécurité privée que nous avons adopté en 1983. Je peux vous dire que l’on partait de loin !
La prévention, dans la société française, contre ces sociétés et la très grande méfiance qui les entourait ont demandé un certain effort à la majorité de l’époque – je peux en témoigner – pour la réglementer. Or cela a contribué dans la durée à faire nettement progresser du point de vue méthodologique ces sociétés et leurs salariés. Aujourd’hui, elles ont toute leur place dans le code de la sécurité intérieure, avec évidemment un système de contrôle et de protection de la sécurité à l’extérieur, et elles rendent de larges services.
La seconde observation concerne la place prise par les images et leur transmission dans les outils de la sécurité au quotidien, mais aussi dans les enquêtes judiciaires.
Là encore, cela a d’abord suscité une très grande méfiance. Souvenons-nous, lorsque des communes, de plus en plus nombreuses année après année, adoptaient une délibération permettant de mettre en place un système de vidéosurveillance dans l’espace public, avec un contrôle organisé, elles se heurtaient à des préjugés et à des critiques extérieures très intenses. Désormais, cette pratique s’est fortement généralisée, et, si je m’en tiens à une analyse un peu symptomatique, les cas dans lesquels apparaissent des critiques ou des observations négatives sur l’utilisation de ces outils de vidéoprotection, comme l’on dit aujourd’hui, sont extrêmement rares. Dans de nombreuses communes, la commission déontologique se réunit annuellement pour faire le point, mais les critiques ou les conflits surviennent de façon tout à fait épisodique.
À mon sens, les deux assemblées ont accompli collectivement un bon travail. C’est pourquoi je considère que ceux de mes collègues qui manifestent encore une critique nous rendent service en soumettant ce texte au Conseil constitutionnel. En effet, ainsi sera garantie la sécurité juridique de l’ensemble des solutions retenues. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen d’une proposition de loi controversée, sur l’élaboration de laquelle le bicamérisme a fait son œuvre ; il faut le relever.
Cette proposition de loi apporte des outils de régulation bienvenus, notamment dans des secteurs très sensibles qui pourraient prochainement fortement recruter, comme la sécurité privée ou, domaine en plein essor, les drones. C’est une étape. Il est vrai que nous aurions souhaité aller plus loin dans la régulation des sociétés privées en matière de contrôle de la sous-traitance ou de la qualité des formations proposées.
Sur les caméras aéroportées, le texte prévoit également, grâce à l’apport du Sénat, de fixer des cadres d’usages, comme de réaffirmer la prohibition de techniques telles que la captation des sons, la reconnaissance faciale, les interconnexions automatisées de données. Il nous appartiendra de suivre très régulièrement la pertinence de ces dispositions et de les réadapter en conséquence au regard des pratiques qui évoluent plus vite que le droit. Je compte ici prendre rendez-vous avec mes collègues du Sénat au moment de la discussion du budget, pour qu’ils permettent à la CNIL d’assurer pleinement la montée en régime et la diversification de ses missions. Il appartient en effet à la puissance publique de pouvoir organiser les contrôles adéquats.
Je réaffirme ici notre attachement viscéral à ce que le cadre de travail de nos forces de l’ordre et forces de sécurité prenne appui sur nos libertés fondamentales : usage proportionné et délimité strictement aux missions et aux temps de ces missions, respect des libertés individuelles et de la presse. C’est notre fil rouge. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle une majorité du groupe du RDSE continue de s’opposer à la détention possible d’armes par des forces de l’ordre hors service au sein d’établissements recevant du public.
J’en viens à une interrogation majeure relative aux dispositions liées aux expérimentations de mise en commun entre les communes de policiers municipaux.
Quelques dispositions de notre groupe ont été adoptées comme la nécessité d’un débat au sein de chaque commune expérimentant les polices intercommunales, la publication des frais de formation engendrés par cette réforme ou l’élargissement des pouvoirs de verbalisation des gardes aux espaces naturels non boisés.
Dans l’ensemble, ces expérimentations appellent quelques réflexions.
Non, la police intercommunale nouvellement créée ne saurait être une troisième force de sécurité ! Nul ne comprendrait que cette réforme soit un prétexte au désengagement de l’État.
Ce texte suscite une autre interrogation, et non la moindre : nous craignons que ces dispositions puissent ouvrir la voie à une sécurité à deux vitesses, avec, d’un côté, de super polices intercommunales et, de l’autre, rien, ce qui aurait pour conséquence des iniquités au sein même des intercommunalités de sécurité.
L’aménagement du territoire que nous défendons exige une intervention publique constante qui vient corriger des déséquilibres, inscrit la force publique dans tous les territoires, y compris ruraux, de France périphérique et d’outre-mer.
Si l’expérimentation est un outil formidable, elle touche en l’occurrence à la sécurité des biens et des personnes et elle durera cinq ans. Ce n’est pas rien ! Après cinq ans, il sera très difficile de revenir en arrière. Aussi, nous demandons une évaluation rigoureuse, y compris à l’échelon local.
Je m’interroge enfin sur la complexité et la lisibilité pour le citoyen des dispositifs prévus. Je souhaite vivement que, animés par des revendications de concurrence territoriale plutôt que par un esprit de coopération, nous n’inventions pas des outils de technocratie territoriale, qui, au total, desserviraient nos concitoyens.
De grands pouvoirs impliquent effectivement de grandes responsabilités ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Alain Richard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « La France – berceau des droits humains tels que promulgués en 1789 – serait-elle en train de rejoindre le camp des pays où la démocratie est fragilisée par le pouvoir lui-même ? » C’est en ces termes que s’interrogent des intellectuels du monde entier dans un appel envoyé la semaine dernière à Emmanuel Macron, pour que celui-ci renonce à ce texte.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Ils ne l’ont pas lu !
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. En effet !
Mme Éliane Assassi. On y trouve, ne vous en déplaise, des personnalités comme Angela Davis, Noam Chomsky, Jean Ziegler et pas moins de trois prix Nobel de la paix.
Avec eux, nous nous inquiétons du « recul de la démocratie » dans le monde et en France, en pleine pandémie, à l’heure où les populations souffrent d’un recul global des droits humains et des libertés.
Je vous le dis solennellement : aujourd’hui, en posant un point final aux débats parlementaires autour de ce texte, nous actons un recul sans précédent de nos libertés publiques. L’État affirme son autorité et la remise en cause de celle-ci ne sera que très peu tolérée…
Des mobilisations importantes ont permis une réécriture du si problématique article 24. Mais quelle réécriture ?
Ne soyons pas dupes. Si la question de l’« usage malveillant de l’image », qui posait de sérieuses difficultés dans la démonstration de l’intentionnalité, a été résolue, la formulation finale de l’article visant une « provocation à l’identification » qui a pour objectif « manifeste » de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique des policiers ou des gendarmes ne pose pas moins question. Comment prouver ou non ce but manifeste quand une image est diffusée pour dénoncer un comportement de violence policière, par exemple ?
En outre, bien d’autres mesures qui seront aujourd’hui définitivement adoptées mériteraient que ce texte soit purement et simplement retiré.
En commission mixte paritaire, les arbitrages se sont révélés anecdotiques, puisque la philosophie globale de ce texte était partagée d’emblée par la majorité gouvernementale à l’Assemblée nationale et par la majorité de droite au Sénat. Toutes deux sont parvenues à leur objectif d’instaurer un « continuum de sécurité » allant des policiers nationaux aux policiers municipaux, en passant par les gardes champêtres et les agents de sécurité privée.
Quelques contraintes sont instaurées pour encadrer les entreprises de sécurité privée, en échange de quoi les agents de sécurité privée se voient accorder de nouveaux pouvoirs : ils pourront être autorisés par le préfet à effectuer des missions de surveillance de la voie publique dans le cadre de la lutte antiterroriste. Qui plus est, ils n’auront plus besoin d’habilitation pour procéder à des palpations de sécurité dans le cadre de certaines manifestations. Comment octroyer de tels pouvoirs à des entreprises qui, par définition, n’ont qu’un but marchand ?
De nouveaux pouvoirs sont également transférés aux polices locales, sous la tutelle des maires, lesquelles se substituent de plus en plus à la police nationale sans en avoir ni les moyens ni les formations requises.
Nous l’avons signalé à plusieurs reprises lors de l’examen du texte : à ce maillage fin du territoire en matière d’agents de sécurité se couple une extension démesurée de l’usage des nouvelles technologies. Certes, la commission des lois du Sénat s’est efforcée d’encadrer les dispositifs proposés, notamment en matière d’usage des drones, mais cela est largement insuffisant.
Nous entrons désormais dans une nouvelle ère en matière de surveillance des populations, ce que nous ne pouvions soupçonner voilà encore quelques années. Aujourd’hui, il s’agit uniquement de « capter des images », nous explique-t-on. Qu’en sera-t-il demain ? Si les garanties sont aussi faibles et éphémères que celles qui ont été apportées à la loi SILT de 2017, alors le pire est à craindre, et cela n’a rien d’alarmiste que de le dire. Gageons que les Sages du Conseil constitutionnel, qui seront saisis, vous feront, eux, entendre raison.
Pour l’heure, mes chers collègues, prenons la mesure de ce qu’implique notre vote aujourd’hui pour notre pays, pour la sauvegarde de nos libertés et droits fondamentaux, et opposons-nous à ces conclusions. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi sur laquelle nous sommes conduits à nous prononcer a suscité, rappelons-le, d’importants remous dans le débat public et donné lieu à de nombreuses manifestations sur la voie publique en dépit même des contraintes particulières tenant à la crise sanitaire. Aussi, c’est avec un certain soulagement que nous nous apprêtons à voter en faveur du texte de compromis sur lequel se sont accordés députés et sénateurs, le 29 mars dernier.
Que de chemin parcouru avant d’aboutir à cet accord ! Rappelons-nous : dès le mois de décembre 2020, peu après l’adoption du texte en première lecture par l’Assemblée nationale, le Sénat, pris en la personne de nos deux chers rapporteurs, a fait part de sa vive détermination à améliorer l’article litigieux, le « fameux » article 24. Notre groupe s’est en outre vigoureusement opposé à la désignation d’une commission nommée spécialement pour réécrire cet article, rappelant que, dans le cadre de la navette parlementaire, le Sénat était seul saisi de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale. Il s’agissait là de l’expression du respect de nos institutions et de notre loi fondamentale.
Cette opposition fut féconde, puisque la version sénatoriale de l’article 24, élaborée sur l’initiative de la commission des lois, a fait l’objet d’un consensus entre les deux assemblées en commission mixte paritaire. D’importantes garanties y ont été apportées. L’ultime version a totalement abandonné toute référence à loi de 1881 sur la liberté de la presse, tout en maintenant l’objectif initial par la création d’un nouveau délit de provocation à l’identification des policiers, et ce dans un but manifeste de porter atteinte à leur intégrité physique ou psychique. Ce délit sera dorénavant inscrit dans le code pénal.
Il s’agit d’une réécriture plus sûre d’un point de vue juridique. Cette nouvelle rédaction ne porte pas atteinte à la liberté de la presse et lève toute ambiguïté sur une prétendue pénalisation d’intention.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Exactement !
M. Stéphane Le Rudulier. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
Outre le volet de cet article très controversé, de nombreuses modifications sénatoriales ont été conservées dans le texte que nous examinons. Sans revenir à cette proposition de loi dans le détail, plusieurs points méritent, selon nous, d’être soulignés et mis en exergue.
Ainsi, contrairement au texte initial, qui rendait l’expérimentation éligible aux seules communes qui emploient au moins vingt agents de police municipale, le Sénat a ouvert cette possibilité aux communes qui disposent d’au moins quinze agents. De plus, dans un souci de cohérence, le Sénat a souhaité que cette expérimentation soit prévue non pas pour une durée de trois ans, mais pour une durée de cinq ans, afin d’en calquer la durée sur celle du mandat municipal en cours pour en mesurer pleinement tant l’intérêt que les effets.
Notre volonté de mieux protéger ceux qui nous protègent nous a conduits à renforcer les peines encourues en cas de violences commises en raison de leurs fonctions sur les personnes dépositaires de l’autorité publique. Ces peines seront également applicables en cas de violences commises sur leurs proches.
Par ailleurs, face à la multiplication des intrusions dans les exploitations agricoles, régulièrement visitées, cambriolées ou dégradées, le Sénat a élargi les prérogatives des policiers municipaux et des gardes champêtres en les autorisant à constater le délit d’intrusion illégale dans une exploitation agricole.
De nombreuses garanties ont également été apportées par le Sénat aux technologies de vidéosurveillance et de captations d’images, garanties particulièrement nécessaires au regard des risques qu’elles présentent en termes de libertés individuelles comme de libertés publiques.
Si nous devions émettre un regret, c’est la disparition des dispositions adoptées par le Sénat, sur proposition de Dominique Estrosi Sassone, qui entendaient clarifier les pouvoirs des policiers municipaux en cas de délit flagrant commis dans les parties communes des immeubles à usage d’habitation. Elles auraient sans doute permis de renforcer la jouissance paisible des propriétaires et locataires. Malgré cela, nous nous réjouissons que les dispositifs souhaités et votés par la majorité sénatoriale en faveur de la sécurité, pour lesquels nous avons pris soin qu’ils ne s’accompagnent pas d’un désengagement de l’État, aient largement retenu l’attention de la majorité à l’Assemblée nationale.
Mes chers collègues, je tiens à remercier chaleureusement le président de la commission des lois, cher François-Noël Buffet, et nos deux excellents rapporteurs, Marc-Philippe Daubresse et Loïc Hervé, qui, malgré les zones de turbulences rencontrées par ce texte, n’ont commis aucune erreur de navigation. Pour ceux qui auraient encore des doutes sur le bien-fondé et l’utilité du bicamérisme, l’enrichissement par le Sénat de ce texte apporte une réponse sans ambiguïté.