Mme la présidente. Vous avez été convaincant, monsieur Bourgi ! (Rires.)
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur le ministre, je suppose que vous acceptez de lever le gage sur l’amendement n° 446 rectifié bis ?
Mme la présidente. Il s’agit donc de l’amendement n° 446 rectifié ter.
Je le mets aux voix.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 24 quater, modifié.
(L’article 24 quater est adopté.)
Article additionnel après l’article 24 quater
Mme la présidente. L’amendement n° 72 rectifié, présenté par MM. Temal, Todeschini, Stanzione, Vaugrenard et Bourgi, Mme Bonnefoy, M. P. Joly, Mme Van Heghe, MM. Tissot, Devinaz, Antiste et Kerrouche et Mme Carlotti, est ainsi libellé :
Après l’article 24 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Toute modification de la carte scolaire à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi doit intégrer un critère de mixité sociale reposant sur le revenu médian des foyers fiscaux auxquels sont rattachés les élèves de l’établissement ainsi que les données établies et transmises tel que mentionné à l’article 24 quater de la présente loi.
La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Cet amendement est défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. Il s’agit de l’intégration de la mixité sociale dans toute modification de la carte scolaire.
Cet amendement ne prend pas en compte les réalités territoriales et tous les élus présents sur ces travées savent combien il est difficile de modifier une carte scolaire. L’un des critères principaux pour l’élaboration de la carte scolaire est la proximité géographique. Faire une carte qui tiendrait principalement compte de la mixité sociale conduirait à des aberrations sur les territoires, notamment en termes de déplacement pour les enfants.
Par conséquent, l’avis de la commission est défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet, pour explication de vote.
Mme Nadège Havet. Notre collègue Temal l’a rappelé en citant, dans l’objet de son amendement, les travaux du Centre national d’étude des systèmes scolaires (Cnesco), « aucune politique, aucune pratique pédagogique ne résiste aux effets délétères de la concentration extrême des difficultés scolaires et sociales dans des établissements ghettos ». Rachid Temal a également évoqué un « séparatisme social », constat sur lequel je suis d’accord.
Un rapport de 2012 de Mme Françoise Cartron, ancienne sénatrice de la Gironde, avait déjà établi ces constats et avançait un certain nombre de propositions sur les problématiques de carte scolaire et de ségrégation.
Pour une meilleure régulation, certaines expérimentations sur des territoires élargis ont d’ailleurs, depuis, été développées. En 2019, lors des discussions sur la loi pour une école de la confiance, mon groupe avait également fait des propositions, notamment sur le volet formation. Mon cher collègue, j’approuve une nouvelle fois la proposition que vous faites, à savoir que toute modification de la carte scolaire, à compter de l’entrée en vigueur du texte, doit intégrer un critère de mixité sociale.
Il pourrait, d’ailleurs, s’agir d’une politique à trois niveaux. Tout d’abord, permettre une meilleure sectorisation lorsque cela est possible ; ensuite, compenser financièrement le défaut de mixité sociale sur la base d’un indice d’entropie partagé par toutes les parties prenantes ; enfin, dépasser « un confinement social territorial » par des politiques de mise en réseau. Le volontarisme à l’œuvre en faveur du mentorat doit y participer.
Je voterai donc en faveur de cet amendement. Ne faisons pas de ces politiques des totems idéologiques, mais avançons, comme nous le faisons en ce moment, avec des constats communs, une ambition collective et des outils partagés.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 72 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 24 quinquies (nouveau)
L’article L. 141-6 du code de l’éducation est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les activités cultuelles sont interdites dans les lieux d’enseignement. »
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques.
L’amendement n° 322 est présenté par M. Dossus, Mme Benbassa, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 560 est présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Bacchi, Mme Brulin, M. Ouzoulias, Mme Apourceau-Poly, M. Bocquet, Mme Cohen, M. Gay, Mme Gréaume, MM. Lahellec, P. Laurent et Savoldelli et Mme Varaillas.
L’amendement n° 579 rectifié est présenté par M. Cuypers, Mmes Chain-Larché et Thomas, MM. Cardoux, Regnard, D. Laurent et Boré, Mme V. Boyer, MM. Mandelli et Reichardt, Mmes de Cidrac et Gruny, MM. Brisson, Longuet et Lefèvre, Mme Lassarade, MM. de Legge, Bas, Houpert et de Nicolaÿ, Mme Boulay-Espéronnier, M. Bonne, Mme Pluchet, MM. Belin, Laménie et B. Fournier, Mme Lopez et MM. Charon et Mouiller.
L’amendement n° 673 est présenté par le Gouvernement.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Daniel Salmon, pour présenter l’amendement n° 322.
M. Daniel Salmon. L’article L. 141-6 du code de l’éducation prévoit déjà que « le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, religieuse ou idéologique ». On peut difficilement être plus clair !
Pourtant, la commission, à l’article 24 quinquies du présent projet de loi, croit utile de préciser que les activités cultuelles sont interdites dans les lieux d’enseignement. Pourquoi apporter une telle précision ? Si l’article L. 141-6 du code de l’éducation est suffisamment clair, celui-ci est d’ores et déjà renforcé par le règlement intérieur des universités qui interdit les manifestations religieuses. Laissons aux universités l’autonomie dans leur organisation. Cet article est restrictif et inutile, c’est pourquoi nous proposons sa suppression.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour présenter l’amendement n° 560.
M. Pierre Ouzoulias. Cet article 24 quinquies résulte de l’adoption d’un amendement par la commission, mais le rapporteur pour avis le modifie complètement par un amendement dont nous discuterons tout à l’heure.
Sur le fond, mes chers collègues, nous ne pensons pas que la laïcité doive nécessairement conduire à écarter de l’espace public toute forme d’expression religieuse – nous aurons cette discussion ce soir et certainement demain. Il me semble que c’est là une vision de la laïcité qui n’est ni acceptable ni conforme à l’esprit de la loi de 1905. C’est un sénateur athée qui vous le dit, nous ne défendrons pas cette vision de la laïcité.
Dans un campus universitaire, je pense qu’il est absolument nécessaire que les étudiants puissent échanger des idées philosophiques, politiques et religieuses. Cela fait partie de leur cursus général et de la façon de se situer dans la société. Permettez-moi d’évoquer à ce titre un souvenir : quand j’étais étudiant à Nanterre, c’est sur le campus, à l’entrée de la cantine, que j’ai acheté ma première traduction œcuménique de la Bible. J’ai encore ce volume et je trouvais tout à fait normal que, devant la cantine, des étudiants m’offrent ce choix.
Je pense donc très sincèrement qu’il nous faut être extrêmement attentifs et réserver, au sein de l’espace public, une place à l’expression religieuse, quelle qu’elle soit. Cela contribue en effet à notre démocratie.
Monsieur le rapporteur pour avis, vous nous proposez un amendement qui change la rédaction de l’article, en essayant de concentrer cette activité sur les aumôneries. Je vous expliquerai tout à l’heure pourquoi je pense que ce n’est pas une bonne solution.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Cuypers, pour présenter l’amendement n° 579 rectifié.
M. Pierre Cuypers. Cet article paraît très clairement en contradiction avec un autre principe énoncé à l’article L. 141-2 du code de l’éducation selon lequel « l’État prend toutes dispositions utiles pour assurer aux élèves de l’enseignement public la liberté des cultes et de l’instruction religieuse », que ce soit dans les établissements du second degré public ou dans les établissements publics d’enseignement supérieur, sans distinction.
Or ce dispositif est de nature à remettre en cause la légitimité des aumôneries pourtant prévues par l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 qui garantit la liberté de conscience et la liberté de culte. En conséquence, le code de l’éducation prévoit la création des aumôneries dans les collèges et lycées publics comme déclinaison du principe formulé à l’article L. 141-2. Pour le culte catholique, ces aumôneries sont nombreuses.
On notera d’ailleurs que nombre de ces collèges et lycées incluant, par ailleurs, souvent des classes préparatoires de l’enseignement supérieur disposent d’une chapelle, lieu de culte par excellence, souvent classée ou inscrite à l’inventaire des monuments historiques. Il en va de même s’agissant des universités, où elles sont souvent plus anciennes.
Par ailleurs, d’un point de vue terminologique, la rédaction est très imprécise, puisqu’elle crée la notion d’« activité cultuelle ». Que recouvre cette notion par rapport à l’« exercice public d’un culte » ou à celle d’« actes en lien avec l’exercice d’un culte » ? De même, la notion de « lieux d’enseignement » est très incertaine. Je demande donc la suppression de cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 673.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Cet amendement tend à supprimer l’article 24 quinquies visant à interdire les activités cultuelles dans les lieux d’enseignement. Cet article introduit en commission est en effet insuffisamment précis et source d’ambiguïté, comme le montre le grand nombre d’amendements de suppression ou de précision déposés. Ces imprécisions portent autant sur la nature des activités interdites, alors même que, aujourd’hui, la présence d’aumôneries n’est pas proscrite, que sur le périmètre de l’interdiction qui concerne, en l’état du projet de loi, les « lieux d’enseignement ».
En outre, en l’état du droit existant, il n’apparaît pas utile de légiférer sur ce point, dès lors que les responsables des établissements publics d’enseignement supérieur disposent déjà des prérogatives leur permettant de réglementer l’exercice et la pratique d’activités cultuelles dans leur établissement et de concilier ainsi la liberté d’information et d’expression des étudiants avec le respect de l’ordre public et du bon fonctionnement du service public.
Premièrement, comme cela a été dit par plusieurs d’entre vous, y compris par le sénateur Ouzoulias, adopter une position contraire serait aller à l’encontre de la loi de 1905. Or nous nous sommes tous interdit de toucher à l’équilibre de la loi de 1905.
Deuxièmement, il est important d’éviter le prosélytisme, tant dans l’enseignement secondaire que dans l’enseignement supérieur. Les enjeux d’ordre public étant traités par le droit existant, je propose donc de supprimer cet article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. J’ai entendu un certain nombre de reproches faits à la rédaction de cet article. Il se trouve que l’exercice législatif consiste, tout d’abord, en un passage en commission, puis en un passage en séance et même, s’il subsiste des éléments à corriger, en un passage en commission mixte paritaire.
Tout d’abord, je ne trouve pas anormales ces observations sur un amendement adopté en commission et nécessitant d’être précisé – ce que je ferai via un amendement que je vous présenterai tout à l’heure. Je veux bien qu’on s’offusque de cela et d’insuffisances, toutefois, monsieur Salmon, il ne me semble pas que cet article soit inutile.
Il vise en effet à refuser l’inacceptable. Lors de mes auditions, il m’a été donné de constater que des pratiques absolument inacceptables étaient observées non seulement dans les salles de cours ou dans les amphithéâtres, mais aussi dans les couloirs.
Nous prenons donc en compte les observations – c’est l’objectif des auditions – et formulons un amendement. Bien que celui-ci ait été adopté en commission, je vous proposerai, compte tenu des remarques, de le préciser. Il vise ainsi à étendre le champ des seules activités cultuelles à l’exercice du culte et à l’élargir à toute l’enceinte des universités – celles-ci sont publiques, faut-il le rappeler ?
Ensuite, s’agissant des règlements intérieurs des universités, il me semble qu’ils ont une meilleure assise s’ils s’appuient sur le droit. Notre rôle, aujourd’hui, étant de faire le droit, il me semble que si nous inscrivons ce principe dans la loi, les universités auront davantage de force pour écrire leur règlement intérieur et pour aller dans le sens de la loi. Cela me semble être la moindre des choses.
S’agissant des aumôneries – je réponds à la fois à Pierre Cuypers et à Pierre Ouzoulias –, le sujet a également fait l’objet de remarques et d’échanges après le passage du texte en commission. Nous avons souhaité préciser que, évidemment, nous n’excluions pas la pratique des cultes au sein des aumôneries – encore heureux ! –, y compris dans les universités publiques, seules visées par cet amendement.
Concernant le prosélytisme, vous dites, monsieur le ministre, qu’il s’agit principalement – ou uniquement, je ne sais plus – de viser le prosélytisme. Je ne suis pas d’accord. Nous devons refuser la pratique des prières dans les couloirs des universités. Le prosélytisme est une chose. L’exercice du culte dans un lieu inapproprié ne me semble pas acceptable dans notre République. C’est le sens de la précision de l’amendement que nous examinerons tout à l’heure.
Contrairement à l’instruction en famille sur laquelle nous n’avons pas d’éléments probants, il s’agit d’un phénomène constant, plusieurs fois recensé. Nous disposons d’éléments factuels de pratiques du culte dans des endroits inappropriés. Il me semble que ce texte vise à faire reculer le séparatisme partout où c’est possible, en tout cas à envisager les voies et moyens de le faire. En l’occurrence, nous nous donnons les moyens. Je ne sais pas si cela sera suffisant, sans doute pas totalement. Mais si nous n’acceptons pas de faire un pas en ce sens, nous manquons à notre devoir s’agissant de ce texte.
Par conséquent, la commission a émis un avis défavorable sur ces quatre amendements nos 322, 560, 579 rectifié et 673. Nous discuterons, tout à l’heure, des amendements modifiant la rédaction de l’article 24 quinquies.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. J’ai, moi aussi, assisté aux auditions, au cours desquelles on nous a en effet rapporté le cas d’une prière organisée dans une salle d’une université parisienne en 2015. Depuis, la Conférence des présidents d’université nous a indiqué qu’elle n’avait eu pas connaissance d’événement comparable.
Je veux le dire très précisément : les universités ne sont pas des institutions comme les autres. Il faut faire extrêmement attention. En 1215, l’université de Paris a obtenu grâce à Robert de Courson la première charte fondant le principe des franchises universitaires. Ce principe, qui s’applique depuis lors, reconnaît à l’université en tant que corps le droit de se défendre en justice, de rédiger elle-même ses nouveaux statuts et d’en imposer le respect par serment à ses membres.
En 1229, une grève de deux ans a été organisée à la suite d’une répression violente d’étudiants. Par comparaison, ce que nous tentons d’accomplir paraît relativement modeste… Après deux ans de grève, le pape Grégoire IX, lui-même ancien étudiant à Paris, a édicté la bulle pontificale Parens scientiarum du 13 avril 1231, qui garantit ces franchises.
Le principe de ces franchises universitaires, fondé par Robert de Courson pour la Sorbonne, à quelques pas de cet hémicycle, a été respecté jusqu’à aujourd’hui. C’est donc une œuvre pluriséculaire que vous êtes en train de défaire, mes chers collègues.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, si ces amendements de suppression sont votés, il me semble que les amendements suivants, notamment celui de M. Brisson qui tend à circonscrire un peu plus précisément les activités interdites dans les salles de classe, deviendront sans objet. Est-ce bien exact ?
Mme la présidente. Vous avez tout à fait raison, madame Vérien.
La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Comme Pierre Ouzoulias, dont j’apprécie davantage les références historiques que celles qu’il a pu développer précédemment – mais c’est sûrement la référence au pape (Sourires.) –, nous sommes très nombreux à être attachés aux franchises universitaires. Ce sujet a donné lieu à de nombreux débats et à de nombreuses rencontres.
Pour autant, nous devons tenir compte des réalités, que le rapporteur pour avis a évoquées. La rédaction proposée par la commission n’était pas satisfaisante – le rapporteur pour avis l’a d’ailleurs largement reconnu. J’avais proposé une autre rédaction, mais celle que propose Stéphane Piednoir à titre personnel me paraît établir un cadre qui ne remet en cause ni les franchises universitaires et leur histoire ni la possibilité d’afficher pleinement ses convictions religieuses à l’université – contrairement au lycée.
Nous aurons ce débat dans quelques instants, lorsque Stéphane Piednoir présentera son amendement. Toutefois, j’invite d’ores et déjà mes collègues à suivre sa proposition, qui permettra de doter les présidents d’université d’une base juridique beaucoup plus solide.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Cuypers, pour explication de vote.
M. Pierre Cuypers. Je suis très embêté. En effet, si nous supprimons l’article 24 quinquies, nous maintenons la rédaction actuelle du code de l’éducation, qui est bien établie, mais nous ne remédions pas à l’ambiguïté qui a été pointée. L’autre solution, proposée par Stéphane Piednoir, permet de préciser la rédaction sur un sujet particulier, mais elle ne lève pas l’ambiguïté sur le reste.
Je veux bien me rapprocher de Stéphane Piednoir, mais cela me gêne beaucoup car nous ne réglerons pas le problème. Je retire toutefois l’amendement n° 579 rectifié, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 579 rectifié est retiré.
La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.
M. Loïc Hervé. À peu de chose près, je pourrais reprendre à mon compte les propos qu’a tenus Pierre Cuypers en défense de son amendement. Ayant moi-même été étudiant durant cinq années dans une université publique française et dans une université allemande, j’estime qu’il faut préserver la plus grande liberté des étudiants à bénéficier d’une formation de leur esprit, y compris par des enseignements issus, non pas seulement des matières académiques, mais aussi de sensibilités de l’ordre de la spiritualité. De tels enseignements participent de la construction du jeune adulte qui suit des études supérieures à l’université.
Je m’opposerai donc à toute mesure visant à contenir dans des salles ou dans des espaces précis cette dimension de la discussion. Celle-ci n’est d’ailleurs pas seulement une question de culte : Pierre Ouzoulias nous a dit qu’une traduction œcuménique de la Bible (TOB) lui avait été remise devant un restaurant universitaire, c’est-à-dire dans un espace public, un espace de discussion qui appartient – pardon de le rappeler – aux étudiants et aux enseignants. Ce sont eux qui forment la communauté qui vit ce moment de formation si important dans une existence. Nous-mêmes, mes chers collègues, avons pu en faire l’expérience.
Telles sont les raisons pour lesquelles je voterai ces amendements de suppression.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je suis bien sûr favorable à la suppression de cet article, mais je suis très étonnée par ce débat. J’ai enseigné pendant des années à l’École pratique des hautes études, au sein de la section « Sciences religieuses » de la Sorbonne, et je ne trouvais pas les mots pour indiquer aux étudiants auxquels j’enseignais l’histoire des religions qu’ils ne pouvaient pas se livrer à des activités cultuelles dans les lieux d’enseignement.
En dix-sept ans d’enseignement, je n’ai jamais vu quelqu’un prier dans les couloirs de l’École pratique des hautes études. Je crois que l’on se fait beaucoup d’idées à partir d’épiphénomènes. (M. le rapporteur pour avis le conteste.) La suppression de cet article permettrait de revenir à la loi de 1905 en acceptant la liberté des cultes et la spiritualité qui nous manquent tant.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. Permettez-moi d’apporter une précision, même si nous débordons du cadre de la discussion puisque nous anticipons sur les amendements suivants.
Ce n’est pas un cas en quelques années, monsieur Ouzoulias ; ce sont quarante atteintes à la laïcité par an qui sont constatées dans les universités publiques françaises. (M. Loïc Hervé s’exclame.) Comprenez qu’il s’agit de prières.
Nos propres expériences datent des années 1980 ou avant. N’oublions pas que les choses ont quelque peu évolué depuis : les pratiques ne sont plus celles que nous connaissions. De plus, l’espace que vous citiez tout à l’heure peut être préservé.
La rédaction que je propose ne vise plus les activités cultuelles. Les choses sont claires.
M. Loïc Hervé. Quarante cas, et on contraint tout le monde !
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. Vous pouvez faire semblant de ne pas le comprendre, monsieur Hervé, mais les choses sont claires : sont interdites les seules prières dans des lieux inappropriés. C’est cela que nous voulons interdire, point barre.
Par ailleurs, l’enseignement théologique sera préservé dans les universités publiques d’Alsace-Moselle.
M. Loïc Hervé. Hors sujet !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 322, 560 et 673.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 12 rectifié bis, présenté par MM. Brisson, Mouiller et Courtial, Mme V. Boyer, MM. Savin, Genet, Favreau, Chevrollier, Belin, Bouchet et Laménie, Mmes Chauvin, Dumas et L. Darcos, MM. de Legge, Babary, Saury et Le Gleut, Mmes Malet et Drexler, M. Bonne, Mme Puissat, MM. Cuypers et Cardoux, Mmes M. Mercier, Gosselin, Lavarde et Belrhiti, MM. Burgoa, Mandelli, Regnard, Gremillet, Charon et C. Vial, Mmes Micouleau, Berthet et Di Folco et MM. Rapin et Pellevat, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L. 141-6 du code de l’éducation est complété par une phrase ainsi rédigée : « Tout exercice ou manifestation d’un culte est interdit dans les salles de cours ou tout autres lieux strictement destinés à l’enseignement. »
La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Je me rallie à l’amendement de Stéphane Piednoir et retire donc mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 12 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 630 rectifié, présenté par M. Piednoir, Mme Schalck et MM. Reichardt et Kern, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après l’article L. 141-6 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 141-… ainsi rédigé :
« Art. L. 141-…. – À l’exception des locaux mis à disposition des aumôneries, l’exercice du culte est interdit dans les enceintes et locaux affectés à titre principal à un établissement public d’enseignement supérieur. La mise à disposition des locaux pour une aumônerie fait l’objet d’un contrat entre la ou les associations qui la gèrent et le chef d’établissement ou le président d’université. Les dispositions particulières régissant l’enseignement supérieur en vigueur dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle à la date de publication de la présente loi, y demeurent applicables. »
La parole est à M. Stéphane Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. Cet amendement, que je présente donc en mon nom et dont j’ai déjà longuement évoqué les contours, vise à préciser la rédaction de l’article 24 quinquies à la suite des observations qui m’ont été faites. La rédaction proposée permettra d’enrichir cet article, en précisant que c’est bien l’exercice du culte qui ne pourra se dérouler qu’au sein des aumôneries, lesquelles, dans certaines universités, existent depuis fort longtemps.
Par ailleurs, cet amendement tend à prendre en compte la spécificité des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Certains de mes collègues avaient déposé un amendement visant spécifiquement ces départements. J’ai donc intégré la prise en compte de leur particularité dans la rédaction que je propose.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Comme cela a été rappelé, la commission a souhaité que la rédaction initiale soit revue afin d’apporter quelques éclaircissements. Cela a été fait, puisque désormais la rédaction vise exclusivement l’exercice du culte. Elle précise également les modalités selon lesquelles les aumôneries peuvent disposer de locaux au sein des établissements d’enseignement supérieur et les dispositions particulières s’appliquant aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
La commission estime que les précisions ainsi apportées sont de nature à lever les doutes qui ont été exprimés par certains.
Avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Le Gouvernement a présenté un amendement tendant à supprimer cet article en raison de son manque de précision et des ambiguïtés qu’il est susceptible d’engendrer, notamment – nos débats ont commencé à le montrer – quant à son périmètre d’application.
En outre, comme je l’ai indiqué précédemment, une lecture extensive le rendrait difficilement conciliable avec certaines dispositions de la loi du 9 décembre 1905, notamment celles de l’article 2.
Par l’amendement n° 630 rectifié, M. le sénateur Piednoir tente de lever une partie des ambiguïtés, mais il ne règle pas l’ensemble des difficultés. Celles-ci, bien réelles, sont d’ailleurs signalées par les auteurs d’autres amendements qui tendent comme celui-ci à préciser le nouvel article 24 quinquies. La rédaction proposée reste source d’ambiguïtés, notamment du fait de l’emploi des mots « à titre principal ».
La suppression de cet article est d’autant plus nécessaire qu’il ne paraît pas utile. En effet, le droit existant permet déjà aux responsables d’établissement public d’enseignement supérieur de réglementer l’exercice et la pratique d’activités cultuelles dans leur établissement.
Le droit actuel permet donc de régler les problèmes que vous avez évoqués, monsieur le sénateur Piednoir ; il suffit que les présidents d’université le décident, mais ils disposent déjà, grâce à d’autres dispositions législatives, de toute la latitude que vous entendez leur donner. Votre proposition n’apporte de ce point de vue aucune valeur ajoutée, mais elle risque de mettre en danger les procédures habituelles et sera inopérante pour favoriser les démarches qui ne nécessitent que le courage d’appliquer le droit existant. Celui-ci permet déjà de concilier la liberté d’information et d’expression des étudiants avec le respect de l’ordre public et du bon fonctionnement du service public.
Enfin, la rédaction proposée précise que le droit local d’Alsace-Moselle n’est pas remis en cause. Or le droit applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ne pouvant être abrogé que de manière explicite, une telle précision est superfétatoire.
Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.