Mme le président. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. J’adhère totalement à l’objectif de Mme de La Provôté, qui souhaite que des rendez-vous réguliers aient lieu avec les enfants instruits en famille sous forme d’évaluations et de contrôles de connaissances.

Je formulerai néanmoins deux objections concernant l’amendement n° 380 rectifié tel qu’il est rédigé.

D’une part, c’est le rôle des inspecteurs de l’éducation nationale, dans le cadre des contrôles pédagogiques annuels qui sont réalisés dans chaque famille, que de s’assurer du niveau acquis par les enfants. La mesure proposée imposerait aux familles qui ont choisi l’instruction en famille de suivre le rythme des programmes de CP et de CE1. Or – nous en avons souvent parlé –, l’une des motivations de l’instruction en famille est justement l’adaptation au rythme des enfants. Ce dont il est question ici, c’est d’évaluations en CP et en CE1, soit très tôt, tout de même, dans la progression d’un élève.

Les parents qui instruisent leurs enfants en famille ont toujours la possibilité de leur faire participer à ces évaluations ; vous proposez quant à vous une obligation. Le passage, là encore, d’une possibilité à une obligation nous pose problème.

D’autre part, l’extension proposée ne s’applique pas à tout le monde : les enfants scolarisés dans les écoles hors contrat ne seraient pas soumis à cette obligation d’évaluation en CP et en CE1.

Pour ces différentes raisons, la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 380 rectifié.

Pour ce qui est de l’amendement n° 381 rectifié, je suis obligé de faire preuve de la rigueur que l’on impose à tous les rapporteurs concernant les demandes de rapport et d’émettre également un avis défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent, pour explication de vote.

Mme Sylvie Goy-Chavent. On se pose beaucoup de questions sur le contrôle du niveau des enfants scolarisés à la maison. Rendre obligatoire leur participation à ces évaluations est tout de même l’un des meilleurs moyens de savoir si, in fine, ces enfants ont le niveau ou ne l’ont pas.

J’entends bien les arguments de M. le rapporteur pour avis, mais, à ce compte, on se prive d’un moyen évident d’évaluer le niveau des enfants. S’ils sont instruits à la maison, c’est tout de même aussi pour acquérir un certain niveau. Ne pas le reconnaître, c’est un aveu de faiblesse : on baisse les bras, ma foi, quant au niveau de ces enfants – je trouve cela dommage !

Mme le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour explication de vote.

M. Jacques-Bernard Magner. Toutes les précautions qui sont prises, au fil des articles et des amendements, au sujet de l’instruction en famille montrent que, en définitive, vous ne faites pas beaucoup confiance à ces familles. Au départ, il était question d’une simple déclaration, puis d’une autorisation facile à obtenir. Avec tous ces amendements, on finit par encadrer très sévèrement ce qui se passe dans les familles, jusqu’à leur demander de faire passer à leurs enfants les évaluations de CP et de CE1.

Si les résultats de ces évaluations sont mauvais, que fera-t-on ? La suite logique serait d’obliger les enfants concernés à revenir à l’école, ces résultats signifiant que l’enseignement qui leur a été donné n’était pas adapté.

On est en train de faire la démonstration, là encore, qu’un régime d’autorisation, comme celui de l’article 21 tel que nous proposions de le rétablir, aurait certainement été plus clair et mieux encadré que ce régime dont on laisse penser qu’il est un régime de liberté, mais qui est en réalité assorti de moult dispositions parfois complexes à mettre en œuvre – vous l’avez dit vous-même.

Nous voterons l’amendement n° 380 rectifié, qui nous paraît bien exprimer le hiatus inhérent à ce débat.

Mme le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, pour explication de vote.

Mme Sonia de La Provôté. J’entends bien ce qui m’a été opposé, mais, à moins que je n’aie pas bien compris comment fonctionnent l’école publique et l’école privée, l’argument du rythme des enfants est valable quel que soit le mode de scolarisation. Ledit rythme n’est donc pas un sujet.

Si ces évaluations mettent en évidence une difficulté particulière, je trouve cela plutôt positif pour celui qui assure l’enseignement de l’enfant à domicile, qui peut ainsi recevoir des conseils et adapter ses enseignements, comme c’est le cas, du reste, à l’école : on adapte l’enseignement, on accompagne plus particulièrement l’enfant en fonction de ses besoins. L’information ainsi donnée, justement, me semble très légitime eu égard aux principes éducatifs qui sont ceux de l’école de la République.

La question du rythme des enfants me paraît, de ce point de vue, superfétatoire. Il faut que l’on puisse savoir où en sont les enfants et comment l’enseignement doit être adapté, y compris si ce sont les parents qui le dispensent. Il faut que ceux-ci sachent comment ils doivent adapter le projet pédagogique qu’ils ont prévu de mettre en œuvre de telle sorte que l’enfant n’ait pas de déficit ou de carence en matière d’éducation s’agissant des acquis essentiels pour la suite de sa vie.

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. J’ai réellement des difficultés avec ces deux amendements de Sonia de La Provôté.

Je commencerai par dire à Jacques-Bernard Magner que la question se poserait de la même manière avec un régime d’autorisation. Je ne vois pas le rapport entre la question du régime d’autorisation et celle des évaluations.

En revanche, en CP, si les parents ont fait le choix d’un rythme particulier, ce qui compte, à terme, c’est l’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Les parents choisissent parfois de sortir du système scolaire – de l’école publique ou de l’école privée sous contrat –, où les acquisitions doivent être faites à telle date, à tel rythme. La motivation première des parents qui choisissent l’école privée hors contrat ou l’instruction en famille est souvent de choisir un autre rythme.

Les évaluations à l’instant t que l’on trouve dans le système finalement très bonapartiste de l’école publique et de l’école privée sous contrat – Napoléon voulait pouvoir dire, tirant sa montre de sa poche, que l’on apprenait la même chose à la même heure dans tous les lycées – sont conçues en fonction des programmes et des rythmes de progression inhérents à ces modalités d’instruction.

Ce système vaut pour l’école privée et pour l’école privée sous contrat, mais certainement pas pour l’instruction à domicile. Si nous adoptions ces amendements, nous priverions complètement de sens, pour le coup, l’instruction à domicile.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 380 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 381 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 21 bis H - Amendement  n° 381 rectifié
Dossier législatif : projet de loi confortant le respect des principes de la République
Article additionnel après l'article 21 bis - Amendement n° 373 rectifié

Article 21 bis

(Non modifié)

Après l’article L. 131-6 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 131-6-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 131-6-1. – Afin notamment de renforcer le suivi de l’obligation d’instruction par le maire et l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation et de s’assurer ainsi qu’aucun enfant n’est privé de son droit à l’instruction, chaque enfant soumis à l’obligation d’instruction prévue à l’article L. 131-1 se voit attribuer un identifiant national. »

Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, sur l’article.

Mme Nathalie Delattre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, l’identification, le contrôle, le suivi et la connaissance des enfants instruits à domicile sont clairement insuffisants. Retirés de l’école sans être déclarés comme étant instruits à domicile, absents des registres ou mal instruits, ces enfants se retrouvent parfois dans des situations à risque. C’est un fait : de trop nombreux enfants échappent encore au contrôle des services de l’État et des services sociaux.

C’est pourquoi j’avais déposé, en 2019, une proposition de loi visant à renforcer l’identification, le contrôle et le suivi de l’instruction à domicile. L’article 3 de ce texte visait à améliorer le suivi et l’identification à l’échelon national des enfants non scolarisés en leur attribuant à tous un numéro d’identification national élève, le fameux « INE », dès l’âge de l’instruction obligatoire.

À l’époque, cette proposition de loi, déposée également sous forme d’amendement au projet de loi pour une école de la confiance, n’avait pas suscité l’engouement que nous constatons aujourd’hui ; elle était néanmoins annonciatrice des débats que nous avons en ce moment même. Il nous aura fallu attendre deux ans et l’examen de ce projet de loi pour que ce sujet soit enfin mis au cœur des débats. Nous avons perdu du temps dans la mise en place de ce dispositif ; c’est regrettable.

C’est malgré tout avec satisfaction que j’ai pris connaissance de l’adoption de cette mesure lors des débats à l’Assemblée nationale. Ce dispositif devrait remplir rapidement son office d’outil académique harmonisé de suivi de tous les élèves à l’échelon national, y compris de ceux qui sont scolarisés à domicile.

Cette mesure est simple à mettre en place ; il suffit maintenant de vouloir la mettre en application, et je ne doute pas de votre détermination en la matière, monsieur le ministre.

Mme le président. L’amendement n° 106 rectifié, présenté par M. Magner, Mmes S. Robert et de La Gontrie, MM. Kanner, Antiste et Assouline, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Monier, M. Stanzione, Mme Van Heghe, M. Féraud, Mme Harribey, M. Marie, Mme Meunier, MM. Sueur, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, MM. Gillé et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly, Lurel, Mérillou, Redon-Sarrazy, Temal, Tissot, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Supprimer le mot :

notamment

La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. L’article 21 bis a été introduit lors des débats à l’Assemblée nationale ; il vient compléter le code de l’éducation d’un nouvel article prévoyant que chaque enfant soumis à l’obligation d’instruction se voit doté d’un identifiant national. Cet identifiant concernera donc tous les enfants à partir de trois ans, âge du début de l’instruction obligatoire. Cet article octroie ainsi une base légale à l’actuel INE, créé par arrêté en 2012.

Néanmoins, la rédaction du début de l’article nous pose problème. Un identifiant sera attribué à chaque enfant afin « notamment de renforcer le suivi de l’obligation d’instruction par le maire et l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation et de s’assurer ainsi qu’aucun enfant n’est privé de son droit à l’instruction ». Autrement dit, rien n’indique que cet identifiant ne sera pas utilisé à d’autres fins que celles qui consistent, premièrement, à vérifier qu’aucun enfant n’est privé de son droit à l’instruction et, deuxièmement, à renforcer le suivi des enfants concernés par les autorités publiques compétentes. Le « notamment » permet d’envisager d’autres utilisations, et rien dans cet article ou ailleurs ne limite ou n’encadre ces potentielles autres utilisations de l’identifiant national.

Il nous semble dangereux de laisser ouverte la possibilité d’utiliser cet identifiant pour d’autres finalités non précisées par le législateur et potentiellement constitutives d’une atteinte à la protection des données personnelles.

Nous demandons par conséquent la suppression de cet adverbe.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. L’identifiant national élève, l’INE, tel qu’il existe actuellement a pour objet de faciliter la gestion du système éducatif et de permettre un suivi statistique des élèves. La suppression du terme « notamment », objet d’un débat législatif assez récurrent, limiterait l’utilisation de l’INE au seul suivi de l’obligation scolaire.

Or nous voulons conférer à l’INE un deuxième objectif que la suppression de l’adverbe « notamment » ne permettrait plus de viser : l’INE ne pourrait plus être utilisé pour les raisons statistiques ou de gestion qui motivent son usage actuel.

Madame Robert, vous évoquez la protection des données ; elle est garantie par la CNIL,…

M. Loïc Hervé. Encore heureux !

M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. … la Commission nationale de l’informatique et des libertés – je sais que vous y serez sensible. Toute modification réglementaire de l’utilisation de l’INE sera soumise au contrôle de la CNIL – et je sais que vous serez particulièrement vigilante sur ce point.

Avis défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. J’irai dans le même sens que M. le rapporteur pour avis. C’est l’occasion pour moi de signaler que, voilà maintenant un an et demi, nous avons créé une commission de déontologie pour les données de l’éducation nationale, ce qui ne nous empêche pas, bien sûr, de soumettre ensuite tout ce que nous devons soumettre à la CNIL.

L’enjeu de l’usage et de la protection des données dans l’éducation est – je vous l’accorde bien volontiers – un sujet très sérieux et très important. Nous partageons aisément, donc, la préoccupation qui est la vôtre.

Je considère toutefois que, en la matière, nous offrons toutes les garanties nécessaires, concernant non seulement le suivi de l’obligation d’instruction, mais aussi celui de la scolarité de l’enfant ou de l’adolescent. Il ne faut pas restreindre les possibilités d’usage de l’INE dans l’intérêt de l’enfant – c’est ce qui justifie l’avis défavorable émis par le Gouvernement sur cet amendement.

En même temps, vous avez raison : il faut construire un bouclier – je considère que c’est chose faite. Cela vaut pour ce sujet comme pour d’autres. C’est pourquoi je profite de cette intervention pour signaler l’existence de ce comité d’éthique qui fut d’abord présidé par Claudie Haigneré, première femme française astronaute, et qui l’est actuellement par Mme Nathalie Sonnac.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 106 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 216 rectifié bis est présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Cabanel et Bilhac, Mme M. Carrère, MM. Fialaire, Gold, Guérini et Guiol, Mme Pantel et MM. Requier et Roux.

L’amendement n° 375 rectifié bis est présenté par Mme Billon, M. Lafon, Mme Morin-Desailly, MM. J.M. Arnaud, Duffourg et Hingray, Mme Doineau, MM. Moga, Détraigne, Delcros, Chauvet et Levi, Mme Tetuanui, M. Kern, Mme Férat, MM. Laugier, Le Nay et de Belenet, Mme Saint-Pé et M. Longeot.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Cet identifiant national est inscrit au répertoire national d’identification des personnes physiques, dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour présenter l’amendement n° 216 rectifié bis.

Mme Nathalie Delattre. La mise en place par nos collègues députés d’un identifiant national pour tous les enfants soumis à l’obligation d’instruction, y compris ceux qui sont instruits en famille, est une très louable avancée. L’INE permettra à l’évidence de mieux recenser et par conséquent de mieux contrôler les enfants qui seraient inconnus des services de l’éducation nationale, dits « hors radar ». Notons qu’il s’agissait là également d’une préconisation de la commission d’enquête sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit plusieurs dispositifs pour renforcer les contrôles de l’instruction des enfants. Je relève en particulier la pertinence des cellules de protection du droit à l’instruction qui, réunissant plusieurs services et pouvoirs publics, permettront un meilleur partage des informations.

Dans cet esprit, nous proposons, par cet amendement, de faire inscrire au répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP) l’identifiant national élève prévu à l’article 21 bis du projet de loi. Le croisement des fichiers est un bon levier pour le repérage des enfants désengagés du système scolaire.

Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour présenter l’amendement n° 375 rectifié bis.

Mme Annick Billon. Cet amendement vise à renforcer la nécessaire identification des enfants déscolarisés et dont les pouvoirs publics ne parviennent pas à garantir le droit constitutionnel d’égal accès à l’instruction.

Les enfants déscolarisés sont difficilement identifiables et ne peuvent aisément se voir attribuer un INE. Repérer puis suivre ces enfants qui ne bénéficient pas de la moindre forme d’instruction est pourtant fondamental : la création des cellules de protection du droit à l’instruction, prévue à l’article 21 bis H grâce au vote en commission d’un amendement du rapporteur pour avis Stéphane Piednoir, constitue d’ailleurs l’un des apports majeurs du Sénat à ce projet de loi.

Le présent amendement tend à autoriser le croisement du répertoire des INE avec le répertoire national d’identification des personnes physiques afin de faciliter l’identification des enfants déscolarisés.

En effet, sachant que ce dernier répertoire recense l’ensemble des enfants de plus de trois ans présents sur le territoire national au moyen de leur numéro d’inscription au répertoire (NIR), le croisement du RNIPP et des INE permettrait d’identifier automatiquement les enfants déscolarisés en repérant les enfants de plus de trois ans sans INE.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. L’inscription de l’identifiant national élève, l’INE, au répertoire national d’identification des personnes physiques, le RNIPP, me semble particulièrement efficace pour repérer les enfants hors radar, c’est-à-dire ceux qui ne sont ni scolarisés, quel que soit l’établissement, ni déclarés en instruction en famille. Leur nombre est estimé à 100 000 dans notre pays, selon un chiffre en circulation.

La CNIL s’est toutefois montrée assez réservée sur cette proposition.

M. Loïc Hervé. Elle peut l’être !

M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. C’est son rôle, en effet. J’émets donc moi aussi quelques réserves.

À titre personnel, néanmoins, je suis favorable à cette mesure, qui irait dans le sens d’une meilleure détection des enfants hors radar. La commission s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Défavorable.

Mme le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.

M. Loïc Hervé. Pourquoi une telle mesure, qui est parfois considérée comme relevant du bon sens, soulève-t-elle pourtant une inquiétude dans ce pays ?

Le NIR, autrement dit le « numéro de sécu », celui qui sert le plus largement, pourrait servir de numéro fiscal ou de numéro pour l’éducation nationale. Mais, dans notre pays, compte tenu de notre histoire, on évite les croisements de fichiers systématiques et on évite d’attribuer à chacun, de la naissance à la mort, un numéro qui le suit dans l’intégralité de sa vie et de ses choix.

Mettons qu’un tel outil soit créé ; le jour où il tombera entre les mains d’un régime totalitaire, nous serons bien forcés de constater que nous aurons tout simplement constitué le grand fichier national de ses rêves. Si un tel interdit est posé, si une démocratie fait en sorte de ne pas croiser les fichiers ou, le cas échéant, de contrôler les croisements autorisés, ainsi en matière fiscale, c’est parce que – je vous l’assure, mes chers collègues – l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Ce numéro global, général, universel, pose des difficultés qui ont trait aux libertés publiques – pardon de le rappeler ici. Et la CNIL n’a fait que rappeler cette position-là.

Si notre pays, voilà plus de quarante ans, a créé la Commission nationale de l’informatique et des libertés, c’est précisément sur cette question du numéro universel. À chaque fois que cette idée revient dans les débats parlementaires, comptez sur des personnes comme moi pour rappeler la nécessité de ne jamais y faire droit. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.

Mme Sylvie Robert. Si je suis intervenue précédemment à propos du « notamment », c’est que la question de la précision des finalités est absolument essentielle. Mais se pose aussi, en l’espèce, une question de principe, et je sais gré au président de notre commission d’avoir saisi la CNIL sur le sujet de l’INE.

La CNIL a répondu, de façon circonstanciée, sur ces dispositions et en particulier sur cette question du NIR, auquel sont liées un certain nombre de données personnelles très délicates. On sait très bien aussi que le décret « cadre NIR » ne permet pas l’utilisation du NIR aux fins de réaliser le suivi de l’obligation d’instruction. La CNIL a tout de même dit clairement – notre rapporteur vient de le préciser – qu’en vertu de la doctrine de cantonnement qui est la sienne chaque sphère d’activité doit être dotée d’un identifiant sectoriel.

J’entends parler de croisements de fichiers, avec les fichiers fiscaux par exemple. À cet égard, je rejoins mon collègue Loïc Hervé : il faut que nous soyons extrêmement vigilants. La CNIL donne des avis, bien sûr, mais ils ne sont pas contraignants. On finit par se dire : après tout, s’agissant d’un certain nombre de dispositions, ce n’est pas grave de croiser les fichiers.

Cet amendement – c’est ainsi que je l’entends – est la démonstration qu’on peut trouver légitime de passer outre à un avis « réservé » de la CNIL. Il faut que nous soyons vraiment très prudents, et ce que disait notre collègue Loïc Hervé – on en mesure la portée, lorsqu’on siège à la CNIL, sur un certain nombre de dossiers – doit nous faire réfléchir.

Faisons donc réellement attention, mes chers collègues, aux croisements de fichiers, notamment en matière de données d’éducation, car ce sont des données personnelles extrêmement délicates. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Je veux absolument aller dans le sens de Loïc Hervé et de Sylvie Robert. Dans cet hémicycle, à plusieurs reprises, nous sommes parvenus à un consensus fort, refusant que notre République française ne devienne une vassale ou une colonie des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).

Comment procèdent les Gafam ? Ces groupes collectent la totalité de nos données pour les placer dans un fichier géant ; ainsi chaque individu a-t-il un numéro qui permet aux Gafam de savoir exactement ce qu’il fait et de connaître la totalité de ses activités. C’est cela, leur projet totalitaire ; c’est cela dont nous ne voulons pas !

Et nous irions aujourd’hui donner à l’État les moyens mêmes que nous refusons aux Gafam ? Non – un peu de logique ! Ce qui est en jeu, c’est notre démocratie, c’est notre République. Gardons-nous de jouer avec les chiffres alors que l’État souhaite contrôler la totalité de l’activité par le numérique. (M. Pierre Laurent et Mme Émilienne Poumirol applaudissent.)

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 216 rectifié bis et 375 rectifié bis.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. L’amendement n° 475 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Cabanel et Bilhac, Mme M. Carrère, M. Guérini, Mme Pantel et MM. Roux, Requier, Gold et Guiol, est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

« Dans le même objectif, le recensement effectué par le maire conformément à l’article L. 131-6 est communiqué à l’autorité compétente de l’État en matière d’éducation qui, par croisement avec les fichiers de l’identifiant national, s’assure qu’il n’existe pas d’enfant sans solution éducative.

« Si un enfant sans solution est repéré, l’autorité met en demeure les personnes responsables de lui trouver une solution éducative, dans les quinze jours suivant la notification du manquement, et de faire aussitôt connaître au maire, qui en informe l’autorité compétente de l’État en matière d’éducation, la solution qu’elles auront choisie. »

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Nous avons des outils à disposition qui ne demandent qu’à être exploités. Je pense, par exemple, au recensement effectué par le maire sur sa commune. Chaque année, nos élus locaux dressent la liste de tous les enfants résidant dans leur commune et soumis à l’obligation scolaire. Je pense aussi à l’identifiant national élève, le numéro INE. Ce projet de loi permet enfin sa généralisation à tous les enfants, qu’ils soient en instruction à domicile ou en établissement privé hors contrat. Pourquoi ne pas mettre à profit ces outils pour identifier les enfants en âge scolaire qui échappent au suivi de l’État ?

Je pense notamment aux enfants inscrits dans un établissement privé hors contrat qui ferme parce qu’il ne satisfait pas aux obligations d’ordre public ou de droit à l’instruction. Qu’advient-il des élèves ? Les familles font bien entendu l’objet d’une injonction de rescolarisation, mais aucun suivi n’est réellement en place.

Lors de l’audition menée par Mme Delattre auprès d’inspecteurs de son département, ces derniers ont regretté de n’avoir parfois aucune idée de ce que deviennent certains enfants. Or l’instruction est un droit qui fait partie de notre pacte républicain.

Cet amendement vise donc à garantir le principe consistant à ne laisser aucun enfant sans solution scolaire. Ce dispositif prévoit pour cela, d’une part, le croisement des fichiers découlant du recensement effectué par le maire et de l’identifiant national et, d’autre part, la recherche rapide d’une solution éducative.