PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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Évolution de la situation sanitaire et mesures nécessaires pour y répondre
Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat et d’un vote, relative à l’évolution de la situation sanitaire et aux mesures nécessaires pour y répondre, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
Cette séance s’organisera en deux temps.
Après la déclaration du Gouvernement, la parole sera donnée à un orateur de chaque groupe.
Ensuite, nous procéderons au vote par scrutin public sur cette déclaration, en application de l’article 39 de notre règlement.
La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République s’est exprimé hier pour présenter à la Nation les nouvelles mesures de lutte contre l’épidémie de covid-19 qu’il convient désormais de mettre en place. Une fois encore, vous le savez, la France doit affronter les assauts de cette crise sanitaire, une crise sanitaire qui dure depuis très longtemps, avec un virus qui mute et évolue de manière inquiétante.
Alors, une fois encore, nous devons faire face. Nous devons prendre en toute connaissance de cause les décisions que la situation impose. La gravité de cette troisième vague – d’une certaine façon, c’est une nouvelle épidémie –, l’impact de ces décisions sur nos concitoyens qui font face courageusement, et depuis des mois, à cette pandémie mondiale, tout cela exigeait que les représentants de la Nation puissent en débattre et s’exprimer par un vote solennel dans le cadre fixé par l’article 50-1 de la Constitution.
Je suis venu vous dire cet après-midi que ces mesures nouvelles nous apparaissent maintenant indispensables pour protéger la vie et la santé de beaucoup de nos concitoyens, particulièrement les plus fragiles. Elles sont indispensables…
M. Albéric de Montgolfier. Sauf pour les Anglais !
M. Jean Castex, Premier ministre. … pour permettre à notre pays de franchir ce que nous espérons toutes et tous être une dernière étape, dans la perspective du déploiement massif de la vaccination et donc d’un retour à une vie normale.
La troisième vague déferle et frappe durement. L’épidémie s’emballe depuis la mi-mars : en deux semaines, le nombre de cas a augmenté de 55 % pour s’élever aujourd’hui à environ 38 000 par jour. L’épidémie progresse vite et partout.
Cette forte accélération est, chacun le sait, le résultat de la progression du variant apparu en fin d’année dernière en Grande-Bretagne. Nous savions qu’il était plus contagieux. De récents travaux scientifiques prouvent qu’il est aussi plus dangereux. Comme je le constate à chacune de mes visites dans des établissements de santé, le virus frappe des patients plus jeunes et, en plus grande proportion, des patients sans facteur de risque lié à des comorbidités.
Bien évidemment, ce phénomène n’est pas propre à la France : depuis une quinzaine de jours, le nombre de cas quotidiens a triplé en Allemagne et il a augmenté de 70 % en Belgique et de 40 % aux Pays-Bas.
Cette virulence accrue de l’épidémie est particulièrement préoccupante, car elle survient à un moment où notre système de santé est déjà mis à lourde contribution, et ce depuis longtemps. Avec plus de 5 000 malades de la covid-19 hospitalisés en réanimation, c’est certes moins que le pic de la première vague, mais celui de la deuxième vague est désormais dépassé.
Face à ce nouveau virus, nous avons rapidement réagi, en prenant ces derniers mois et semaines plusieurs mesures fortes : maintien depuis fin octobre de la fermeture de nombre d’activités et établissements recevant du public, couvre-feu national depuis la mi-décembre, mesures renforcées dans près de 20 départements couvrant près d’un tiers de la population, et ce depuis le 20 mars dernier.
Nous l’avons fait en tenant le plus grand compte des différences de situation territoriale – ces différences étaient particulièrement perceptibles en début de vague épidémique. Si j’insiste ici, devant la Haute Assemblée, sur la territorialisation des mesures que nous avons prises, c’est parce que je sais à quel point les membres du Sénat étaient, tout comme moi, attachés à une adaptation de notre politique sanitaire aux réalités du terrain.
La stratégie de réponse territorialisée que nous avons utilisée depuis le mois de janvier jusqu’à aujourd’hui était la bonne, car l’épidémie frappait alors nos territoires de manière très hétérogène ; il n’y avait pas de raison d’appliquer un durcissement des mesures dans les territoires où le virus circulait très peu.
Mais, aujourd’hui, le variant britannique poursuit son accélération dans de telles conditions que nous devons nous aussi accélérer, c’est-à-dire prendre des mesures renforcées, de façon à briser la spirale épidémique enclenchée depuis quelques semaines.
Et ce variant accélère malheureusement sur l’ensemble du territoire métropolitain. Depuis une dizaine de jours, sur 96 départements, 92 connaissent une accélération de la circulation virale avec des rythmes parfois spectaculaires : l’augmentation est supérieure à 20 % sur une semaine dans la moitié des départements et de plus de 40 % dans une vingtaine d’entre eux – c’est par exemple le cas du département des Pyrénées-Orientales, où le taux d’incidence a progressé de 73 % en sept jours.
C’est la raison pour laquelle nous avons décidé, sous l’autorité du Président de la République, d’étendre à l’ensemble du territoire métropolitain les mesures qui s’appliquaient déjà dans les 19 départements les plus touchés par l’épidémie. Ces nouvelles mesures entreront en vigueur samedi soir à 19 heures pour être pleinement applicables le dimanche 4 avril, et ce jusqu’au 3 mai, soit pour une durée de quatre semaines.
Face à la situation actuelle, il nous faut agir fortement à l’échelle nationale, selon les mêmes règles et les mêmes calendriers pour tous. En prenant une mesure nationale, nous souhaitons aussi préserver l’offre hospitalière des régions moins durement touchées, qui pourraient fournir des capacités de repli pour les régions davantage en tension.
Il nous faut cependant faire une exception pour les collectivités et départements d’outre-mer, dont la situation sanitaire n’est évidemment pas comparable à celle de la métropole, ni même du reste d’un territoire à l’autre, compte tenu de leur éloignement géographique. Ces territoires continueront donc à observer des règles spécifiques et adaptées aux évolutions épidémiques propres à chacun d’entre eux.
Comme l’a indiqué hier le Président de la République, les règles qui s’appliqueront à compter de samedi soir au territoire métropolitain seront identiques à celles qui ont été mises en place depuis le 20 mars dernier dans les 19 départements soumis à des mesures renforcées.
Le couvre-feu sera maintenu à 19 heures. L’ouverture et la fermeture des commerces obéiront aux mêmes critères et conditions. Le télétravail sera systématisé quatre jours par semaine au minimum pour tous les emplois publics et privés, quand cela est possible. Les motifs de sortie et de déplacement seront encadrés selon les mêmes termes : il restera possible de se déplacer, de se promener, de faire du sport, sans limitation de durée et dans un rayon de dix kilomètres autour de chez soi.
En revanche, les rassemblements ou regroupements de plus de six personnes resteront interdits.
Enfin, une attestation précisant le motif du déplacement sera exigée au-delà des dix kilomètres et, après la fin du prochain week-end prolongé de Pâques, les déplacements interrégionaux seront restreints à quelques motifs impérieux – ces motifs incluront évidemment les déplacements professionnels, mais aussi ceux liés à un motif familial, comme accompagner ou aller chercher un enfant chez un parent, un grand-parent ou un proche.
Nous sommes en effet un gouvernement pragmatique (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) et une certaine souplesse est toujours nécessaire pour permettre aux règles d’être mieux appropriées.
J’observe du reste que l’immense majorité de nos concitoyens respecte spontanément les règles en vigueur, faisant preuve en cela d’un sens des responsabilités et d’un civisme qui les honorent.
Mais je constate aussi avec vous qu’une minorité d’entre eux s’y refuse et je veux condamner devant vous sans réserve l’inconscience et l’irresponsabilité de certains qui se croient sans doute invincibles ou peut-être même immortels (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), alors que les ravages de la maladie nous démontrent chaque jour que personne n’est à l’abri du virus. Ces gestes inconséquents, qu’il s’agisse des rassemblements festifs, du non-respect du couvre-feu ou du refus du port du masque, doivent être prévenus et sanctionnés.
C’est la raison pour laquelle j’ai demandé au ministre de l’intérieur d’accroître le nombre de policiers et de gendarmes affectés à cette tâche. (Ah ! sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Philippe Pemezec. Au lieu de s’occuper des voyous !
M. Jean Castex, Premier ministre. Nous veillerons notamment à ce que l’interdiction des rassemblements de plus de six personnes sur la voie publique soit strictement respectée.
La consommation d’alcool dans l’espace public sera interdite.
M. Richard Yung. Très bien !
M. Jean Castex, Premier ministre. Sur arrêté préfectoral et en lien étroit avec les maires, l’accès à certains sites propices à des rassemblements en extérieur, comme des quais, des berges ou des places, pourra être interdit en fonction des circonstances locales.
Il sera enfin demandé aux parquets de continuer à poursuivre systématiquement les auteurs de récidives portant sur l’organisation d’événements clandestins susceptibles de mettre en danger la vie d’autrui.
Pour autant, ces comportements ne doivent pas masquer, je l’ai dit et je le répète, la résilience et la haute conscience citoyenne de l’immense majorité des Français, partout sur le territoire, qui sans doute protestent, s’agacent des mesures et des freins mis à leur quotidien et s’interrogent, parfois à raison, mais qui se montrent respectueux des règles, c’est-à-dire finalement respectueux des autres.
Autre décision forte que la situation nous contraint de prendre : fermer les établissements scolaires et les crèches et arrêter les activités périscolaires et extrascolaires.
Tout a été fait, mesdames, messieurs les sénateurs, pour repousser au maximum cette décision. Je sais qu’il existait dans notre pays, comme dans cette assemblée, un très large consensus en faveur du maintien de l’accueil de tous les enfants dans les établissements scolaires.
La France est du reste, vous le savez, le pays d’Europe qui a le moins fermé ses écoles. Rappelons en effet que les écoles sont restées fermées moins de 10 semaines en France depuis le début de la pandémie contre 24 en Allemagne, 26 au Royaume-Uni et 32 en Italie. Je crois que nous pouvons être fiers d’avoir maintenu cette exigence républicaine.
M. François Patriat. Très bien !
M. Jean Castex, Premier ministre. C’est la raison pour laquelle nous avons toujours considéré que, si nous devions – je ne m’en suis jamais caché devant vous – utiliser ce levier, il nous faudrait le faire en ultime recours et dans des conditions qui en réduisent le plus possible l’impact. Nous y sommes !
Les écoles, les collèges et les lycées ne sont pas épargnés par l’épidémie, et notamment par ce variant anglais. Depuis deux semaines, le taux d’incidence augmente plus vite chez les enfants et les adolescents que dans la population générale, ce qui a pour conséquence, dans le strict respect de nos propres normes sanitaires, de provoquer des fermetures de classes et d’écoles de plus en plus nombreuses. Nous devions donc reprendre l’initiative, en décidant que les établissements scolaires seront fermés pendant trois semaines, en optimisant, comme beaucoup l’avaient suggéré, la période des vacances de printemps, de sorte que les conséquences sur les enfants soient les moins pénalisantes possible.
Concrètement, la semaine prochaine, où il n’y aura que quatre jours d’école, en raison du lundi de Pâques, tous les établissements scolaires assureront leurs enseignements à distance.
Mme Catherine Procaccia. Et les maternelles ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Au cours des deux semaines suivantes, du 12 avril au 25 avril, tous les élèves de toutes les zones académiques seront en vacances dites de printemps, ce qui implique une modification du calendrier des vacances scolaires.
Je mesure tout à fait l’impact de ces décisions sur la vie de nombreuses familles, mais aussi dans l’organisation des entreprises. Cependant, c’est le moyen d’atteindre notre objectif de ralentir la contamination en milieu scolaire, avec l’impact le plus limité possible sur l’année scolaire de nos enfants.
Comme lors du premier confinement, un dispositif d’accueil des enfants des personnels prioritaires sera organisé dès la semaine prochaine, en lien avec l’éducation nationale et les collectivités locales.
Les salariés qui seront conduits à garder leur enfant à domicile, faute d’autre solution, bénéficieront du dispositif d’activité partielle qui s’appliquait déjà lors du premier confinement. Il leur suffira de se signaler auprès de leur employeur, qui mettra en œuvre la procédure de déclaration auprès des services compétents de l’État.
Pour les élèves de l’enseignement supérieur, les règles en vigueur, qui prévoient un enseignement essentiellement en distanciel, seront maintenues, mais sans remettre en cause la possibilité donnée récemment aux étudiants de revenir une journée par semaine en présentiel, dans des conditions strictes.
Je consulterai demain l’ensemble des associations d’élus locaux afin d’évoquer avec elles les modalités concrètes de mise en œuvre de l’ensemble de ces mesures, s’agissant notamment de la continuité des services publics et, en particulier, de l’accueil des enfants des personnels prioritaires.
Bien évidemment, les dispositifs de soutien et d’accompagnement économique et social, dont le Sénat a bien voulu reconnaître l’intensité, tout en préconisant des améliorations, seront prolongés autant de temps que nécessaire.
D’ores et déjà, certaines mesures ont été complétées, notamment en faveur des commerces fermés depuis février dans les grands centres commerciaux ou de ceux qui ont accumulé des stocks importants du fait des périodes de fermeture.
Je pense également aux entreprises de plus grande taille affectées par de longs mois de crise. C’est le sens de l’aide exceptionnelle pour la prise en charge des coûts fixes, qui a été mise en place depuis hier, 31 mars.
Les mesures que je vous présente cet après-midi sont difficiles, mais elles sont indispensables. Surtout, elles sont éclairées par la perspective de la campagne de vaccination, qui progresse et s’amplifie tous les jours, nous donnant une vraie raison de penser que nous avançons sur la voie d’une sortie de crise. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Plus de 8 millions de nos concitoyens sont désormais vaccinés, dont près de 2,8 millions avec deux doses. L’objectif de mon gouvernement reste le même : 10 millions de vaccinés à la mi-avril, 20 millions à la mi-mai et 30 millions à la mi-juin, en veillant bien sûr à ce que la Commission européenne fasse respecter les obligations des industriels quant au calendrier de livraison des doses. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE et Les Républicains.)
M. Hussein Bourgi. L’espoir fait vivre !
M. Jean Castex, Premier ministre. Nous serons donc au rendez-vous des objectifs que j’avais énoncés devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, le 17 décembre dernier, lors du débat organisé dans ce même hémicycle sur la stratégie vaccinale : j’avais alors annoncé la vaccination de 15 millions de personnes d’ici à la fin du premier semestre. Nous y serons très largement.
La mobilisation est totale pour que nous puissions vacciner sans relâche et le rythme ne cesse de s’accélérer, comme vous pouvez le constater avec les chiffres au quotidien. Depuis déjà trois semaines, notre rythme quotidien est plus élevé que celui de nos voisins allemands, italiens ou espagnols.
M. Albéric de Montgolfier. Tout va bien !
M. Jean Castex, Premier ministre. Surtout, nous sommes clairement les mieux positionnés pour la vaccination des personnes les plus vulnérables face à la maladie. (Protestations sur toutes les travées, sauf celles des groupes RDPI et INDEP.) Eh oui !
Je veux saluer toutes les personnes impliquées dans les centres de vaccination mis en place par les mairies, les établissements hospitaliers ou encore des professionnels de ville. Nous en comptons plus de 1 700 aujourd’hui, et d’autres encore doivent ouvrir dans les prochaines semaines.
Je salue également la mobilisation des professionnels de ville : plus de 50 000 médecins et 20 000 officines de pharmacie se sont engagés dans la vaccination. En un mois, ils ont administré près de 1,7 million de doses aux patients éligibles. À compter de la semaine prochaine, 25 000 premiers infirmiers vont se lancer, à leur tour, dans la vaccination. Toujours la semaine prochaine, près de 1,4 million de doses supplémentaires seront utilisables sur le terrain, suivies de 3 millions de doses supplémentaires en avril et 3,6 millions en mai. Par ailleurs, vous le savez, le mois d’avril verra l’arrivée d’un nouveau vaccin, celui de Johnson & Johnson, qui a la particularité de ne nécessiter qu’une seule dose.
M. Rachid Temal. Et Sanofi ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Il sera alors possible, dans les prochaines semaines, comme le chef de l’État l’a annoncé hier, d’ouvrir la vaccination à de nouvelles tranches d’âge : le 15 avril pour les personnes âgées de 60 ans à 69 ans ; le 15 mai pour les personnes âgées de 50 ans à 59 ans ; le 15 juin pour tous les autres.
Nous travaillons également, en lien avec tous les secteurs professionnels concernés, à la réouverture prochaine des lieux et activités aujourd’hui fermés. Cette réouverture interviendra lorsque les conditions sanitaires seront réunies. Le moment venu, le Gouvernement présentera cette stratégie devant le Parlement. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Il nous faut aussi nous prononcer, mesdames, messieurs les sénateurs, sur les conditions d’organisation des élections régionales et départementales (Ah ! sur les travées des groupes CRCE, GEST, SER, UC et Les Républicains.), prévues les 13 juin et 20 juin prochain. Ces élections ont déjà été reportées une première fois en raison de la covid-19.
M. Rachid Temal. Encore un pari perdu !
M. Jean Castex, Premier ministre. Comme je l’ai déjà indiqué, et comme je le redis cet après-midi devant la Haute Assemblée, seules des raisons sanitaires impérieuses, de nature à compromettre l’organisation de la campagne ou du scrutin, pourraient justifier un nouveau report.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vraiment ?
M. Jean Castex, Premier ministre. En application de la loi du 22 février 2021, le conseil scientifique a rendu sur ce sujet un avis lundi dernier.
J’observe avec vous que cet avis, particulièrement balancé (Exclamations amusées.), ne préconise pas explicitement un report des élections. C’est donc clairement le scénario de leur maintien que nous privilégions à ce stade. (Ah ! sur les travées du groupe SER.) J’ajoute que les décisions dont nous débattons cet après-midi, y compris celles relatives à l’accélération de la vaccination, devraient avoir pour effet d’améliorer la situation sanitaire à l’échéance du mois de juin.
M. François Bonhomme. Cela fait beaucoup de conditionnels !
M. Jean-Pierre Sueur. Tout est dans cet adverbe !
M. Jean Castex, Premier ministre. … le conseil scientifique formule des recommandations précises quant aux conditions de l’organisation et de la tenue de ces élections,…
M. Hussein Bourgi. Sur la plage !
M. Jean Castex, Premier ministre. … tandis que les mesures nouvelles qui entreront en vigueur ce week-end, et pour quatre semaines, pourraient avoir un effet sur le déroulement de la campagne.
Nous avons donc le devoir de nous assurer que l’ensemble des conditions édictées par le conseil scientifique pourront être effectivement satisfaites et que leur mise en œuvre très concrète ne viendra pas altérer l’expression libre et sécurisée du vote de nos concitoyens.
À cet effet, je vais engager sans délai une consultation des partis politiques représentés au Parlement (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.), parce qu’ils concourent à l’expression du suffrage, et des associations d’élus locaux, notamment les maires, chargés de l’organisation matérielle des opérations de vote. Un débat fondé sur l’article 50-1 de la Constitution sera ensuite organisé au Parlement, sur l’ensemble de ces éléments. Tel est le sens, monsieur le président Larcher, du rapport que je vous remettrai tout à l’heure, conformément à la loi du 22 février dernier, et dont nous nous sommes déjà entretenus.
Mesdames, messieurs les sénateurs, des semaines particulièrement difficiles sont encore devant nous.
Plus que jamais, les personnels soignants, dont le dévouement et la bravoure sont admirables depuis quatorze mois, méritent notre soutien et la reconnaissance de la Nation tout entière.
M. François Bonhomme. Oui !
M. Jean Castex, Premier ministre. Je me rends très régulièrement dans les établissements de santé pour leur manifester ce soutien. Je sais, car ils me le disent, ce qu’ils endurent. Je sais combien ils se battent, malgré la fatigue, malgré la lassitude, pour sauver des vies. Notre système hospitalier va tenir le choc, et il va le tenir grâce à eux. Nous les y aiderons en continuant de mobiliser tous les leviers possibles : en déplafonnant les heures supplémentaires dans les établissements de santé ; en mobilisant tous les renforts possibles, en particulier les professionnels de ville, les retraités, les étudiants en santé, les 26 000 professionnels inscrits à la réserve sanitaire civile, mais également la réserve militaire ; en organisant la collaboration entre le public et le privé, qui n’a jamais été aussi fluide, j’y insiste ; en organisant des évacuations sanitaires depuis les régions les plus touchées.
L’activation de l’ensemble de ces leviers doit nous permettre d’armer jusqu’à 10 200 lits de réanimation et d’accueillir tous les malades qui en auront besoin.
Face à cette crise sans précédent et à la part d’incertitude que comporte cette épidémie, mon gouvernement a agi avec cohérence et pragmatisme.
M. Pierre Cuypers. Ça nous avait échappé !
M. Jean Castex, Premier ministre. Gérer une crise sanitaire, c’est conjuguer plusieurs critères dans le seul intérêt du bien commun. Il y a évidemment, d’abord et en premier lieu, les critères épidémiologiques et sanitaires, et donc les avis des scientifiques et des médecins.
Il me faut le dire et le répéter ici devant le Sénat et la Nation tout entière : il n’y a pas d’opposition entre le pouvoir politique et le pouvoir médical. Nous tenons le plus grand compte des avis, des analyses, des modèles et des prévisions des experts, conseils scientifiques et médicaux. Mais, et c’est bien là le rôle du Gouvernement, nous avons également le devoir – je dis bien : le devoir – d’intégrer dans nos prises de décision d’autres considérations, qui relèvent de la dimension sociale, scolaire, psychologique, économique de notre pays et de notre société. Ces critères se modélisent sûrement moins bien et leur impact est sûrement moins immédiat, mais leurs effets sont, un an après le début de la pandémie, beaucoup mieux connus.
C’est dans la combinaison difficile, très difficile, de l’ensemble de ces critères que doit être recherché l’équilibre des décisions qu’il nous appartient de prendre. C’est aussi cet équilibre qui conditionne la temporalité de ces décisions.
Néanmoins, en fin de compte, et le moment dans lequel nous nous trouvons l’illustre parfaitement, la mère des priorités, le premier des critères qui finira toujours par s’imposer, c’est la protection sanitaire de nos concitoyens.
Comme toujours, c’est dans l’unité et le recours aux valeurs de solidarité et de responsabilité que nous trouverons les ressources pour faire face à ce choc grave, inédit et complexe. C’est la caractéristique profonde de cette crise : elle fait appel au sens des responsabilités de tous et de chacun. C’est cette responsabilité que je viens partager avec vous cet après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. Nous en venons aux orateurs des groupes politiques.
Dans le débat, la parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Parlement est de nouveau saisi au titre de l’article 50-1 de la Constitution pour débattre des nouvelles mesures sanitaires annoncées hier soir par M. le Président de la République.
Ces mesures, que vous relayez cet après-midi, monsieur le Premier ministre, pourraient être très largement commentées – je ne vais pas me lancer dans cet exercice. Elles étaient indispensables en raison de l’évolution de la pandémie. Nous partageons l’idée qu’il ne fallait pas revenir à un confinement dur, du type de celui que nous avons connu en mars 2020.
Il nous paraît évident qu’un tel confinement ne serait plus accepté de la même manière par nos concitoyens. La peur et la sidération ont laissé place à l’inquiétude, la lassitude, et même parfois à une certaine colère.
Cependant, l’évolution des indicateurs sanitaires imposait de nouvelles mesures. Je suis persuadé, ou du moins je veux le croire, que celles qui ont été proposées hier ont été mûrement pesées et réfléchies, à l’aune des indicateurs dont vous disposez.
Vous venez de le dire à l’instant, vous avez opéré une synthèse entre la raison sanitaire et la prise en compte nécessaire des intérêts économiques, psychologiques et sociaux du pays. Pour autant, ces mesures suscitent des interrogations que nous souhaiterions voir levées.
D’abord, le passage d’une capacité de 7 000 lits à 10 000 lits en réanimation nous a valablement surpris. Alors que nous en parlons depuis des mois, comment cela est-il devenu réalisable ? On parlait d’« argent magique » ; aujourd’hui, nous avons des « lits magiques ». D’où sortent ces lits et pourquoi n’a-t-il pas été possible de les mobiliser avant ?
Encore plus problématique est la question du personnel qui permettra de les faire fonctionner. Le Président de la République a bien précisé que tout le potentiel de la réserve sanitaire serait mobilisé, mais cela permettra-t-il de rendre effective l’utilisation de ces nouveaux lits ?
J’en viens à la stratégie vaccinale.
Jusqu’ici, outre les seniors, seuls les soignants étaient prioritaires pour se faire vacciner. À notre sens, l’ouverture de cette priorité à de nouvelles catégories, à savoir les enseignants, les policiers ou les pompiers, si elle positive, risque de brouiller la lisibilité de la stratégie et, surtout, de donner lieu à des demandes reconventionnelles. Par exemple, pourquoi les enseignants et pas les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem), qui sont pourtant eux aussi au contact des enfants au quotidien dans nos communes ? De même, pourquoi pas les chauffeurs de bus ou les caissières de supermarché, dont on a tant parlé voilà quelques mois ? N’y a-t-il pas là un risque de revendications tous azimuts et d’incompréhension de la part d’un certain nombre de professions exposées ?
Toujours au sujet des vaccins, mais cette fois en amont, au niveau de la production et de la fourniture des doses, les annonces présidentielles sont très volontaristes et optimistes.
Vous avez dit que nous allions accélérer les achats. On ne peut qu’être d’accord, mais tout un chacun sait bien que les doses manquent. Aujourd’hui encore, on constate qu’AstraZeneca a livré 30 millions de doses au lieu des 120 millions de doses promises. Comment allons-nous accélérer les achats ?
De même, le Président de la République affirme que « nous allons devenir le premier continent au monde en termes de production de vaccins ». On ne peut que s’en réjouir, mais comment cela va-t-il se passer ? Où seront les usines de production des vaccins ? Comment cela va-t-il être organisé ?
Parmi les annonces d’hier, la fermeture des écoles est sans nul doute la plus forte. Vous avez annoncé des consultations avec les associations d’élus. C’est une bonne chose, car beaucoup s’inquiètent, notamment en ce qui concerne les activités périscolaires. Fermer les écoles suppose que les familles s’organisent, de même que les écoles et les collectivités.
Le chef de l’État n’a pas parlé des autotests, alors qu’ils sont très utilisés en Grande-Bretagne et en Allemagne. Pourquoi faisons-nous l’impasse en France ? Pourquoi avons-nous été moins réactifs que nos voisins européens pour nous en équiper ?
Autre grand absent du discours présidentiel, le pass sanitaire. C’est pourtant un sujet majeur, aux niveaux tant communautaire que national. Toutes les restrictions sanitaires seront-elles levées une fois que les publics à risque auront été vaccinés ?
Enfin, on peut se demander s’il n’aurait pas été possible de conserver au moins un peu de différenciation locale, s’il n’aurait pas été envisageable de jouer la carte de la déconcentration et de plus inciter les praticiens hospitaliers à innover.
Vous l’aurez compris, monsieur le Premier ministre, il s’agit là d’interrogations.
Elles ne remettent pas en cause l’idée que nous nous faisons de votre action. Il ne s’agit pas d’exprimer une forme de défiance ni de mettre en doute la bonne foi du Gouvernement, pas plus que de contester l’idée que vous défendez la protection sanitaire des Français tout en ménageant autant que possible les autres intérêts de la Nation.
Vous avez parlé des aides économiques. Chacun ici peut constater que le Gouvernement, l’État, a fait beaucoup ces derniers mois pour aider les entreprises, les commerçants.
Cependant, nous ne voterons pas cet après-midi, monsieur le Premier ministre, car, une fois de plus, nous débattons de mesures déjà prises. Notre groupe ne prendra pas part à un vote qui nous semble relever davantage de l’exercice de style platonique et cosmétique.
Nous, les parlementaires, avons compris que notre principal outil de travail était le poste de télévision. (Très bien ! et applaudissements sur toutes les travées, sauf celles des groupes RDPI et INDEP.)
Au-delà de cette ironie, le présent débat révèle un problème institutionnel, monsieur le Premier ministre. C’est de cela que nous voulons vous parler aujourd’hui.
Les mesures sanitaires vont dans le bon sens, mais on prend des mesures qui touchent aux libertés publiques. Vous avez dit ce matin que votre action se faisait naturellement dans un cadre constitutionnel, mais surtout à travers des mesures administratives et réglementaires. C’est vrai, mais quand on touche à la liberté d’aller et de venir, à la liberté du commerce, quand on empêche les déplacements d’un département à un autre, d’une région à une autre, c’est certainement nécessaire, et nous approuvons ces mesures, mais il s’agit de l’exercice de libertés publiques, qui va au-delà de l’exercice du pouvoir réglementaire et administratif normal. Aussi, il ne serait pas anormal que le Parlement puisse apprécier la proportionnalité des mesures ainsi prises. (Bravo ! et applaudissements sur toutes les travées, sauf celles des groupes RDPI et INDEP.)
Il n’y a rien d’offensant, monsieur le Premier ministre, ni pour le Président de la République ni pour votre gouvernement, à ce que les parlementaires puissent émettre a priori une opinion ou formuler des recommandations.
Il n’est pas normal à nos yeux qu’un homme seul,…