Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cher collègue, je comprends ce que vous voulez dire au travers de cet amendement, mais celui-ci me semble pratiquement satisfait. En effet, tous les actes du conseil municipal sont déjà contrôlés par les préfets, qui peuvent casser les délibérations.
M. Pierre Ouzoulias. Non !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Si ! Il s’agit du rôle du préfet. Je ne suis pas certaine que désigner leurs priorités aux préfets soit notre rôle ; le préfet sait ce qu’il a à faire.
Par ailleurs, il est assez étonnant que vous n’appliquiez votre proposition qu’au bloc communal, ce qui revient à dire que le problème ne se poserait pas au niveau des départements et des régions.
Pour ces différentes raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la rapporteure, je trouve votre position incohérente. Tout à l’heure, nous parlions du référent laïcité, donc de quelqu’un qui n’a pas un rôle statutaire, et vous exigiez d’inscrire dans la loi qu’il réalise des signalements.
En l’occurrence, il s’agit des préfets, dont je remarque qu’aucun en France n’a déféré devant la juridiction administrative les actes illégaux des communes s’agissant des cultes. Et vous me dites que l’on pourrait passer outre et qu’il s’agit de la liberté du préfet.
Je ne comprends donc pas la cohérence de votre propos. Je crois que si l’on tient vraiment à ce que les principes de la République soient défendus, il faut donner une mission spécifique aux préfets pour le contrôle des actes des collectivités.
J’ai réussi à trouver une place pour cette décision dans le code général des collectivités territoriales et j’aurais souhaité le faire également pour le département et la région, mais n’y suis pas arrivé. Si vous me proposez des sous-amendements en ce sens, j’en serai extrêmement ravi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 565 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 2 bis
(Non modifié)
La sous-section 3 de la section 3 du chapitre II du titre II du livre Ier de la deuxième partie du code général des collectivités territoriales est complétée par un article L. 2122-34-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 2122-34-2. – Lorsqu’il exerce par délégation des attributions dont le maire est chargé au nom de l’État ou comme officier d’état civil, en application de l’article L. 2122-18, tout membre du conseil municipal est tenu à l’obligation de neutralité ainsi qu’au respect du principe de laïcité. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 25 rectifié ter, présenté par M. Marie, Mme de La Gontrie, M. Sueur, Mme Harribey, M. Leconte, Mme S. Robert, M. Magner, Mme Lepage, M. Féraud, Mmes Meunier et Monier, MM. Assouline, Lozach, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, MM. Cozic, Fichet, Gillé et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly, Lurel, Mérillou, Raynal, Redon-Sarrazy, Temal, Tissot, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Au début
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. - Le 1 de l’article L. 1111-1-1 du code général des collectivités territoriales est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il est tenu au respect du principe de laïcité. À ce titre, il s’abstient de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses. »
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Nous proposons, par cet amendement, de compléter la charte de l’élu local qui figure dans le code général des collectivités territoriales, pour y inscrire noir sur blanc le principe de laïcité et l’interdiction pour tout élu local, à ce titre, de manifester ses opinions religieuses dans l’exercice de ses fonctions.
L’Assemblée nationale a utilement précisé les choses concernant les conseillers municipaux exerçant par délégation des fonctions d’officier d’état civil, mais il y a lieu d’aller plus loin et de prévoir que tout élu local doit être soumis au respect du principe de laïcité lorsqu’il agit dans l’exercice de ses fonctions.
Qu’il siège dans un conseil d’école ou qu’il s’exprime lors d’une remise de prix d’une compétition sportive, l’élu y représente la collectivité. À ce titre, il ne peut manifester ses opinions religieuses et le principe de laïcité doit s’appliquer, quel que soit son mandat – municipal, départemental ou régional –, son rang ou sa délégation.
Je précise, pour éviter toute mauvaise interprétation, que serait seul mentionné dans la Charte de l’élu local le principe de laïcité. Il n’y a pas lieu d’appliquer aux élus locaux l’obligation de neutralité, qui leur interdirait d’exprimer leurs opinions politiques, lesquelles doivent bien évidemment être préservées.
Mme la présidente. L’amendement n° 289 rectifié, présenté par MM. Paccaud, Allizard, Anglars, Babary, Bacci, Bascher et Bazin, Mmes Bellurot, Belrhiti et Berthet, M. E. Blanc, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonne et Bonnus, Mme Borchio Fontimp, MM. Boré et Bouchet, Mme Boulay-Espéronnier, MM. Bouloux et J.M. Boyer, Mme V. Boyer, MM. Burgoa, Cadec, Calvet, Cambon et Cardoux, Mme Chain-Larché, MM. Chaize et Charon, Mme Chauvin, MM. Chevrollier, Courtial, Cuypers, Dallier et Darnaud, Mme de Cidrac, MM. de Legge et de Nicolaÿ, Mmes Demas, Deroche, Deromedi, Deseyne, Dumas et Dumont, M. Duplomb, Mme Estrosi Sassone, M. Favreau, Mme Garnier, M. Genet, Mmes F. Gerbaud, Gosselin et Goy-Chavent, M. Grand, Mme Gruny, MM. Guené, Gueret, Houpert et Hugonet, Mme Imbert, MM. Karoutchi, Klinger et Laménie, Mme Lassarade, MM. D. Laurent, Le Gleut, Le Rudulier, Lefèvre et H. Leroy, Mme Lherbier, M. Meurant, Mme Micouleau, M. Milon, Mmes Muller-Bronn et Noël, MM. Panunzi, Paul, Pemezec et Piednoir, Mme Pluchet, M. Pointereau, Mme Puissat, MM. Rojouan, Saury, Sautarel, Savary et Savin, Mme Schalck, MM. Sido, Sol et Somon, Mmes Thomas et Ventalon, M. Vogel, Mme Bourrat, MM. Daubresse et Husson, Mme Primas et MM. Segouin et Bonhomme, est ainsi libellé :
Au début
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le 6 de l’article L. 1111-1-1 du code général des collectivités territoriales est complété par une phrase ainsi rédigée : « Durant les réunions de l’organe délibérant, il s’abstient de porter des signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. »
La parole est à M. Olivier Paccaud.
M. Olivier Paccaud. Cet amendement est un amendement de cohérence et de bon sens républicain.
Très concrètement, il a pour objet l’obligation de neutralité des élus lors des réunions des conseils municipaux et des commissions permanentes du département ou de la région.
Ainsi, il vise à étendre les dispositions de l’article 2 bis, afin d’inscrire dans la charte de l’élu local la nécessité, pour l’élu local, de ne pas porter de signes et de tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse durant les réunions des organes délibérants des collectivités.
Pourquoi s’agit-il d’un amendement de cohérence ? Parce que la réglementation de nos assemblées nationales, qu’il s’agisse du Palais-Bourbon ou du Sénat, prévoit déjà une telle neutralité.
Ainsi, aux termes de l’article 9 de l’instruction générale du bureau de l’Assemblée nationale, « la tenue vestimentaire adoptée par les députés dans l’hémicycle doit rester neutre et s’apparente à une tenue de ville. Elle ne saurait être le prétexte à la manifestation de l’expression d’une quelconque opinion : est ainsi notamment prohibé le port de tout signe religieux ostensible, d’un uniforme, de logos ou messages commerciaux ou de slogans de nature politique. »
L’article 91 bis du règlement du Sénat précise quant à lui que les sénateurs « exercent leur mandat dans le respect du principe de laïcité et avec assiduité, dignité, probité et intégrité. »
J’y ajoute une phrase intéressante, relevée dans un courrier que nous avait adressé le président Larcher concernant le public, qui ne doit porter ni signes religieux ostentatoires ni couvre-chef : « Cette exigence républicaine héritée de l’histoire parlementaire contribue à assurer la sérénité requise lors des délibérations du Sénat. »
Mes chers collègues, demander, dans notre République laïque, un minimum de neutralité vestimentaire lors des réunions des organes délibérants des collectivités ne me semble pas liberticide. Lorsque Marianne s’exprime, on peut demander aux dieux de rester discrets. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Ces deux amendements ont fait l’objet de longues discussions au sein de la commission des lois.
L’amendement n° 25 rectifié ter tend à compléter la charte de l’élu local, dans un souci de neutralité au sens très large. Cette disposition pose des difficultés juridiques majeures, notamment sur le plan constitutionnel.
En effet, où placer la limite de l’engagement personnel d’un élu ? Quand est-il dans son institution ? Quand est-il en dehors ? Définir globalement le cadre des fonctions de l’élu dans sa vie municipale, départementale ou régionale semble quelque peu compliqué.
Par conséquent, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
De manière plus restrictive, l’amendement de M. Paccaud vise le respect de la neutralité uniquement lors des réunions des instances délibérantes – conseils municipaux, départementaux et régionaux en particulier. Ce dispositif est lui aussi susceptible de poser des difficultés d’application.
La commission des lois, pour les mêmes raisons, a émis un avis défavorable. Je tiens cependant à préciser que, à titre personnel, je suis favorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je partage pleinement l’avis de Mme la rapporteure.
En effet, le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 25 rectifié ter et s’en remet à la sagesse du Sénat sur l’amendement n° 289 rectifié. Toutefois, à titre tout à fait personnel, je suis favorable à ce dernier. (Marques de surprise sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.
M. Philippe Bonnecarrère. L’expression politique publique des élus doit être préservée.
L’amendement très général de M. Marie tend à imposer une neutralité aux élus dans l’ensemble de leur vie publique. Bien entendu, les conséquences de son adoption seraient considérables. Nous souhaitons pouvoir continuer à fêter la Saint-Michel des parachutistes, la Sainte-Geneviève des gendarmes ou la Sainte-Barbe des sapeurs-pompiers !
On nous dit de l’amendement de M. Paccaud qu’il est plus restrictif, puisqu’il concerne les réunions des organes délibérants.
Or, lorsqu’une collectivité locale délibère, elle le fait sous la présidence du responsable ou de la responsable de l’exécutif. Il existe une police de la séance : le maire, le président du conseil départemental ou le président du conseil régional dispose de tous les moyens lui permettant d’assurer le maintien de l’ordre public durant la réunion.
Je ne vois donc pas en général ce qui serait de nature à porter atteinte à la liberté d’expression des élus ni à la liberté spirituelle qui existe dans ce pays. De grâce, ne touchons pas à des éléments qui restent encore très importants dans l’expression de notre vie publique et qui n’ont pas posé de difficulté à ce jour ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.
M. Loïc Hervé. J’essaie d’appréhender les amendements qui nous sont proposés sur ce texte à la lumière de deux critères qui fondent la légitimité du Sénat : la défense des droits des collectivités locales et celle de leur libre administration ; la question des libertés publiques, à laquelle vous savez que je suis très attaché.
Cher Didier Marie, pardonnez-moi, mais, en tendant à interdire de manifester des opinions religieuses, votre amendement vise à prôner une forme de police d’expression de la pensée, voire une police de la pensée.
Je ne voudrais pas que, dans ses discours, un maire soit empêché de citer Saint Augustin, qui, pour certains d’entre nous, et pour moi en particulier, constitue une référence philosophique, alors qu’il pourrait citer une référence plus littéraire, comme Saint-Exupéry. Je pense qu’il est très important que nous laissions la plus grande liberté d’expression possible.
Monsieur Marie, monsieur Paccaud, pouvez-vous nous parler des situations concrètes qui vous ont amenés à déposer ces amendements ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Strasbourg et Grenoble !
M. Loïc Hervé. À quels cas avez-vous été confrontés, en tant que sénateurs, dans vos départements ?
Avez-vous vu un maire, un élu local ou un élu d’opposition tenir des propos ou porter une tenue qui, manifestement, allaient à l’encontre des grands principes que nous trouvons au faîte de nos grands textes, comme d’ailleurs dans les différents règlements intérieurs de nos assemblées parlementaires et des collectivités locales ?
Monsieur Paccaud, observez les tenues de nos grands anciens ! (M. Loïc Hervé désigne les statues de la salle des séances. – Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure, s’exclame.) Compte tenu de la tradition politique de la France, je ne suis pas certain qu’il soit nécessaire d’aller jusqu’à ce que vous proposez.
D’ailleurs, pour reprendre la situation évoquée par M. le ministre de l’intérieur hier soir, en 1905, rien n’a été prévu par Aristide Briand sur l’accoutrement dans lequel un élu peut siéger au conseil municipal.
Je considère donc que ces deux amendements sont extrêmement dangereux et je ne les voterai pas.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, je ne comprends plus du tout le débat et j’estime qu’il y a une forme de tartufferie.
Avec mon précédent amendement, je souhaitais simplement que le préfet porte une attention particulière aux actes des collectivités qui ne respectent pas les principes de la République. Vous l’avez refusé.
Là, vous acceptez un amendement relatif à la tenue vestimentaire. Par exemple, un maire adjoint de Lyon chargé des cultes, ce qui est, à mon avis, contraire à la loi, devrait s’habiller en civil pour rencontrer, dans le cadre de sa délégation, un homme d’Église, quel qu’il soit.
On perd de vue l’essentiel – le principe républicain de laïcité – pour s’attacher à un détail vestimentaire. Je ne comprends pas où est la logique.
En bons républicains – je répète que les vrais séparatistes siègent sur nos travées –, nous aurions préféré que la loi de 1905 soit appliquée dans toute sa rigueur et que le préfet défère systématiquement devant les tribunaux administratifs les actes des collectivités qui ne sont pas conformes à l’esprit de la République.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. J’aimerais qu’il n’y ait pas de confusion.
Il ne s’agit pas, avec notre amendement, de décréter que tous les élus doivent faire preuve de neutralité. On leur demande de respecter les principes de laïcité, ce qui signifie que, dans l’exercice de leurs fonctions, ils n’ont pas à faire valoir leurs convictions religieuses. Cela ne les empêchera pas, cher Loïc Hervé, de citer tel philosophe, tel écrivain ou telle référence.
Quant à la question des vêtements, nous en revenons au débat que nous avons eu hier.
Mme Esther Benbassa. Le débat textile !
M. Didier Marie. C’est effectivement ainsi que l’a appelé M. le ministre de l’intérieur, ma chère collègue.
Si l’habit ne fait pas le moine, des moines peuvent être élus dans nos conseils municipaux. (Sourires.) Pour autant, ils peuvent tout à fait respecter le principe de laïcité en ne faisant pas valoir leurs convictions religieuses dans l’enceinte municipale ou lorsqu’ils exercent leur fonction de conseiller municipal en représentation de la collectivité. Tel est l’objet de notre amendement.
Notre but n’est pas de viser les vêtements. En revanche, nous considérons que l’élu n’a pas à faire valoir ses convictions religieuses dans le cadre de l’exercice d’une mission de service public.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Nous avons souhaité prendre un certain nombre de mesures assez sévères, concernant les accompagnatrices scolaires, le port du burkini dans certaines circonstances ou encore les listes communautaristes aux élections, que nous voulons interdire.
Néanmoins, je trouve que ces deux amendements vont trop loin, parce que la pensée et l’expression des élus doivent rester libres. Je ne vois pas à quel titre on pourrait, dans une démocratie, interdire à des élus d’exprimer des convictions syndicales, politiques et pourquoi pas religieuses.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Philippe Bas. Sur quoi se fonderait une hiérarchie dans l’expression de ces différents types de convictions ?
Même au plus fort de la crise entre l’Église et l’État en 1905, personne n’a jamais eu l’idée d’en arriver à des mesures aussi restrictives pour la liberté d’expression des élus.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n’est pas la même histoire !
M. Philippe Bas. Il y a des moines élus à Solesmes, par exemple ; tous les électeurs le savent.
Si ces amendements étaient votés, le musulman ou le prêtre élu au conseil municipal pourrait s’habiller librement partout ailleurs qu’au conseil municipal.
Faudrait-il qu’un prêtre élu au conseil municipal retire très vite son aube et son col romain avant les réunions, parce que ce serait une agression contre la République que de continuer à les porter ? (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.) Je crois que l’on en arriverait là à une situation qui pourrait, à certains égards, prendre un tour grotesque.
Par ailleurs, qui va sanctionner la violation de ces obligations ? Aucun des deux amendements ne tend à le préciser. Il s’agit donc, de surcroît, d’un coup d’épée dans l’eau.
Halte à la surenchère ! Soyons raisonnables. Respectons notre tradition républicaine, qui implique que la laïcité ne porte pas atteinte à la liberté d’expression. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la ministre, je suis étonnée de votre prise de position, M. le ministre Gérald Darmanin ayant été assez clair sur ces enjeux hier.
M. Loïc Hervé. Il a même été très clair !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il a très clairement indiqué qu’un maire représentant l’État et exerçant une mission de service public par délégation de l’État était tenu à une totale neutralité.
M. André Reichardt. Tout à fait !
M. Loïc Hervé. Bien sûr !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mais il a précisé que ce maire était, pour tout le reste de ses activités, un citoyen élu et libre.
Bien évidemment, aucun d’entre nous ne souhaite voir un élu verser dans la provocation, mais rien ne peut l’empêcher de porter une tenue religieuse ou un crucifix, par exemple.
Je me rappelle avoir vu le chanoine Kir, maire de Dijon, porter la soutane. Je ne vous entendais pas hurler, chers collègues !
M. Loïc Hervé. Et l’abbé Pierre, qui a été député !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’ignore si l’abbé Pierre siégeait en soutane, mais tel était bien le cas du chanoine Kir.
Je suis donc d’accord avec Philippe Bas : arrêtons la surenchère. Si la neutralité de l’État doit être garantie radicalement, nous devons permettre la liberté d’expression des élus. Les citoyens savent pertinemment qui ils élisent dans les organes délibérants.
Au reste, c’est le maire qui décide quel adjoint va le représenter, par exemple pour remettre des médailles à l’issue d’un tournoi de football. Je suis convaincue que 99,9 % des maires n’enverraient pas un élu susceptible de nuire à l’ordre public et de ne pas respecter nos principes républicains !
Laissons la liberté prévaloir. Si des scandales éclatent, ils peuvent être condamnés à d’autres titres.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.
M. Olivier Paccaud. Je vois que nos amendements suscitent un peu d’effervescence. J’ignore s’ils en méritent autant…
J’insiste sur la nécessité d’être cohérents. Je ne vois pas pourquoi les députés et les sénateurs sont soumis à un devoir de neutralité vestimentaire et pourquoi nos collègues siégeant dans les organes délibérants locaux ne le sont pas. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
Peut-être souhaitez-vous, chers collègues, que nous puissions arborer ici des tenues militantes ou exprimant une croyance ? Alors que nous examinons l’article 2 bis, la notion de sérénité me semble importante. Qu’on le veuille ou non, une tenue peut influencer l’attitude ou le vote de certains.
Dans sa démonstration, brillante comme à l’accoutumée, notre collègue Philippe Bas a commencé par évoquer les listes communautaristes. Si la loi n’empêche pas le port de tenues communautaires, le jour où ces listes auront des élus, vous aurez gagné ! La liberté sera totale, et ces élus pourront exprimer leurs croyances par leur tenue.
Nous devons être cohérents jusqu’au bout. Il ne s’agit pas d’empêcher toute expression. On a rappelé que l’abbé Pierre avait siégé sur les bancs de l’Assemblée nationale après-guerre. Il n’a jamais été question de bafouer une quelconque liberté d’expression. Toutefois, on peut tout à fait exprimer ses idées, quelles qu’elles soient, sans porter de vêtement militant. (M. Cédric Vial applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Certes, les deux amendements sont quelque peu différents, mais leurs dispositions vont dans le même sens. Et tels qu’ils sont rédigés, leur interprétation et leurs conséquences posent problème.
Je répète – c’est une évidence – que les élus ne sont pas des fonctionnaires et qu’ils sont choisis au terme d’un processus démocratique, au cours duquel ils ont exprimé leurs convictions. Comme Philippe Bas l’a rappelé, ces dernières peuvent être de tout ordre – syndicales, politiques, religieuses –, sans qu’il y ait entre elles de hiérarchie.
Si nous commençons à vouloir réduire l’expression de l’une de ces convictions, qu’adviendra-t-il ensuite ? On peut s’en inquiéter.
En effet, si nous sommes amenés aujourd’hui à interdire aux élus d’exprimer leurs convictions religieuses, quoi que l’on pense de celles-ci et quels que soient les combats que l’on puisse mener à leur encontre, pourquoi ne leur reprocherait-on pas, demain, sur le plan juridique et non plus seulement démocratique, d’avoir soutenu tel ou tel représentant de salariés, accompagné de telle ou telle organisation syndicale ?
Pourquoi ne leur reprocherait-on pas de participer à un meeting politique sur tel ou tel fait de société ? Pourquoi ne leur reprocherait-on pas de manifester pour ou contre, par exemple, l’évolution des droits du mariage au travers d’un projet de loi, situation que nous avons pu connaître par le passé ? (M. Loïc Hervé approuve.)
In fine, on en arrive à une situation où les élus ne sont plus l’incarnation des choix politiques et de la démocratie. C’est en cela que les dispositions de ces deux amendements posent problème. Nous nous y opposerons. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Tout d’abord, madame la ministre, je suis quelque peu surpris par votre position, fût-elle personnelle, M. le ministre de l’intérieur m’ayant donné lors des débats d’hier soir de nombreuses leçons sur ce qu’était notre laïcité et sur en quoi celle-ci devait être respectueuse des expressions et des croyances de chacune et de chacun.
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
M. Max Brisson. J’ai défendu hier avec conviction un amendement relatif à ce que j’ai appelé « l’école hors les murs », parce qu’il s’agissait de l’école publique, laquelle est laïque depuis 1881, c’est-à-dire bien avant la loi de 1905.
En revanche, les dispositions de ces deux amendements m’inspirent une réelle réticence.
Je signale que j’ai travaillé, à titre personnel, sur les travaux du Parlement au début du XXe siècle et après la loi de 1905. Or, dans cet hémicycle, de nombreux prêtres ont siégé en soutane, bien après la loi de 1905.
M. Pierre Ouzoulias. Bien sûr !
M. Max Brisson. On a cité le chanoine Kir, qui fut député sous la Ve République.
Au-delà de la question des tenues, ces amendements, surtout celui de M. Marie, semblent tendre à limiter la liberté d’expression des élus, qui est essentielle dans une démocratie.
Une première restriction en amènera d’autres. Mes chers collègues, cette potentielle accumulation de restrictions m’inquiète, parce que la démocratie doit permettre aux élus d’exprimer librement leurs convictions, y compris religieuses s’ils en ont et s’ils estiment qu’elles ont leur place dans le débat public.
Le débat public ne peut être limité dans le cadre de la loi qu’en cas d’appel à la haine ou d’incitation à la discrimination raciale. Sinon, nous ne sommes plus dans une démocratie.
En tant qu’élu membre d’un conseil municipal, je veux pouvoir continuer à assister au culte le jour du 11 novembre, où l’on célèbre la mémoire de nos morts. Je veux pouvoir assister à la messe de la Sainte-Geneviève ou à la cérémonie de la Sainte-Barbe.
Je veux pouvoir me rendre dans une synagogue, dans une mosquée ou dans une église, parce que j’y représente la République. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Olivier Paccaud. C’est un scandale ! Ce n’est pas ce que j’ai dit !
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Pour ma part, je suis très inquiète par ce souhait de neutralisation de l’espace public. Il semble que l’on veuille aller vers une aseptisation de la société. Bientôt, on nous empêchera de penser, de croire, d’avoir une opinion politique. (Marques d’approbation sur des travées du groupe UC.)
Où allons-nous ? Dans quelle société veut-on vivre ? Dans une société virtuelle, déjà « neutre » ?
Quelle société nous préparez-vous au prétexte de combattre le terrorisme ? Soyons sérieux, pour une fois : avoir des opinions, adhérer à une philosophie, croire, ce n’est absolument pas abstrait.