Mme Sophie Primas. Certes, mais quand ?
M. Stéphane Piednoir. À quel prix ?
M. Daniel Salmon. Mes chers collègues, c’est un choix non pas seulement d’énergie, mais de société. Ce choix doit résulter d’une délibération démocratique spécifique, par le Parlement ou – pourquoi pas ? – par un référendum.
Le funeste projet Hercule, négocié dans une opacité totale, est profondément antidémocratique. Il illustre tout ce qu’il ne faut pas faire en la matière. Le nucléaire et la démocratie n’ont décidément jamais fait bon ménage. (Murmures accentués sur les travées du groupe Les Républicains.)
Pendant ce temps, Photowatt, le seul producteur européen de panneaux photovoltaïques, se meurt.
La position des sénateurs et sénatrices écologistes est claire. Les économies d’énergie couplées à une rapide montée en puissance des énergies renouvelables (EnR), une production tout à la fois décentralisée et en réseau : voilà la vraie transition énergétique que nous défendons.
Vous l’aurez compris, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre cette proposition de résolution, qui est à l’opposé de ses préconisations.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la politique publique énergétique de notre pays est marquée du sceau de l’indécision ». C’est ce que l’on peut lire dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution qui nous rassemble aujourd’hui.
C’est un angle bien réducteur, convenons-en. Chers collègues du groupe Les Républicains, de quelle indécision parlez-vous ? Considérez-vous que la France, en choisissant de combiner développement des énergies renouvelables (EnR) et ambition nucléaire, tergiverse ? Bien au contraire ! Pour conforter notre souveraineté énergétique, il est simplement nécessaire de ne pas dépendre d’une seule source. Il y a le nucléaire, bien sûr, et nous allons y revenir, mais aussi les énergies renouvelables, comme l’éolien, à terre ou sur mer, le solaire, l’hydraulique, la biomasse, la géothermie, entre autres sources.
Le code de l’énergie, auquel vous faites référence, vise l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. De telles ambitions sont compatibles avec notre politique énergétique. En effet, ce qui lie toutes ces énergies produites en France, c’est qu’elles sont décarbonées. Nous allons entendre beaucoup de réserves de part et d’autre de cet hémicycle, mais les faits sont là : avec une empreinte carbone de 6,9 tonnes par habitant, nous sommes résolument bien placés dans l’Union européenne.
L’énergie nucléaire contribue à ce bon classement, car elle ne rejette pas, ou très peu, de dioxyde de carbone. Elle produit en moyenne 35 grammes d’équivalent CO2 par kilowattheure, contre 1 200 grammes pour les centrales à charbon, charbon qui ne produit que 0,2 % de notre électricité, contre 29 % en Allemagne. Il est à noter la fermeture, en 2022, des quatre dernières centrales à charbon françaises.
En même temps, nous devons amplifier notre production d’énergies renouvelables. Le projet de loi Énergie-Climat vise un niveau de 33 % de consommation d’énergie d’origine renouvelable en 2030. C’est un objectif atteignable. La part des énergies renouvelables dans la consommation finale a beaucoup progressé ces dernières années. Les EnR ont ainsi participé, à hauteur de 26,9 %, à la couverture de la consommation de notre électricité l’année dernière. Il s’agit d’une progression de près de quatre points par rapport à 2019, mais c’est un chiffre à manier avec prudence au vu de la mise à l’arrêt d’une partie de nos entreprises pour cause de covid.
Cependant, nous sommes capables d’atteindre de bons résultats. Le Gouvernement maintient ce cap et va injecter 30 milliards d’euros pour la transition écologique via le plan de relance, 2 milliards d’euros étant dédiés à la filière de l’hydrogène vert, un soutien qui pourrait atteindre 7 milliards d’euros d’ici à 2030, ce qui ferait de la France un pays moteur en la matière.
Parlons également de l’éolien en mer, qui tarde à se développer au large de nos côtes. D’ici à 2026, 7 parcs éoliens devraient être construits. Ainsi, plus de 350 éoliennes devraient turbiner dans les eaux françaises.
Je souhaite aussi parler du nucléaire. C’est d’ailleurs la principale inquiétude qu’exprime cette proposition de résolution, dont les auteurs estiment « nécessaire de préserver l’atout industriel et technologique que représente cette filière ». Sur ce point, nous sommes d’accord ; nous le sommes d’autant plus qu’à notre connaissance le Gouvernement partage pleinement ce point de vue. Le Président de la République l’a rappelé le 8 décembre dernier au Creusot : « Notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire. »
Nous assumons cette position, que nous ne sommes pas les seuls à avoir en Europe, puisque d’autres pays, comme la Finlande ou les Pays-Bas, se sont engagés dans cette voie en étudiant la réalisation de nouveaux réacteurs nucléaires.
À ce sujet, alors que l’EPR de Flamanville accumule, il est vrai, les déconvenues, un travail d’étude sur la construction de nouveaux réacteurs est en cours pour garantir, en particulier, un niveau de sûreté maximal. En règle générale, nous devons poursuivre nos efforts en matière de gestion des déchets et maintenir notre vigilance sur la capacité de résistance des piscines d’entreposage des combustibles nucléaires usés.
Le nucléaire, ce sont aussi, comme le précise cette proposition de résolution, 2 600 entreprises réparties dans les territoires et employant plus de 220 000 salariés. C’est véritablement une ressource économique puissante et un réseau territorial de sous-traitants sans précédent.
Le nucléaire, c’est aussi un potentiel d’avenir. Le plan de relance y injectera d’ailleurs 500 millions d’euros, dont 100 millions d’euros dès cette année pour moderniser et transformer ce secteur stratégique.
Je viens d’un département, la Drôme, où l’énergie nucléaire occupe une place importante, tant dans l’économie locale que dans la production française, avec notamment la centrale du Tricastin, Cruas-Meysse étant juste de l’autre côté du Rhône. Ces deux centrales représentent 12 % de la production française. Je mesure donc l’intérêt de cette production. Nous le mesurons d’autant plus que, avec les élus de nos territoires – 175 signataires parmi nos parlementaires, conseillers régionaux, départementaux, maires et présidents d’EPCI de toutes les sensibilités politiques –, nous avons fait connaître au président d’EDF, Jean-Bernard Lévy, notre soutien total pour accueillir l’EPR 2 sur le site du Tricastin, et ce, bien sûr, avec des investissements importants pour répondre aux exigences de sécurité les plus élevées.
Nous savons aussi qu’il faut diversifier la production, en portant en parallèle une attention toute particulière aux projets de SMR, petits réacteurs nucléaires français. Ces petites unités sont plus faciles à installer et moins complexes à brancher aux réseaux électriques.
Avec ces projets, la France vise l’export, mais nous ne devons pas tarder, car nous ne sommes pas seuls sur ce nouveau marché : la Chine, la Russie et les États-Unis sont déjà dans la course.
Enfin, l’urgence climatique nous impose d’agir sur notre consommation d’énergie finale.
L’exposé des motifs précise que la baisse observée entre 2012 et 2019 est insuffisante. Pour autant, plutôt que de nous focaliser sur le verre à moitié vide, agissons ! C’est ce que fait cette majorité. En témoignent le succès retentissant de MaPrimeRénov’ – 780 000 demandes ont été déposées à ce jour – de même que les objectifs fixés par la RE 2020. Avec elle, la France se dotera de l’une des réglementations environnementales du bâtiment neuf les plus ambitieuses en Europe, aux côtés des Pays-Bas ou de la Suède.
Pour conclure, si nous partageons avec les auteurs de cette résolution notre soutien au nucléaire et à sa modernisation, nous pensons que ce n’est pas le seul vecteur énergétique à suivre. Nous devons faire confiance à notre savoir-faire, notre capacité d’adaptation, notre recherche, nos start-up pour enrichir notre mix énergétique, et nous y arriverons.
Pour ces raisons, rejetant le déclinisme qui irrigue l’ensemble de cette proposition de résolution, le groupe RDPI votera contre.
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nombreux sont les États, les collectivités territoriales et les entreprises qui se sont engagés sur l’objectif de neutralité carbone en 2050, un défi sans précédent. La Commission européenne propose quant à elle de porter à 55 % l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, soit en moins de dix ans.
L’analyse des motifs de la proposition de résolution est pertinente. Elle suppose un basculement important des énergies fossiles vers l’électricité, essentiellement d’origine décarbonée en France, et ce grâce au nucléaire. La stratégie nationale bas-carbone repose sur une augmentation de la part de l’électricité de 25 % à 50 % des besoins énergétiques finaux d’ici à 2050.
Les risques de la réduction de la part du nucléaire au sein de notre mix électrique, en ce qui concerne tant la sécurité d’approvisionnement que la stabilité du système électrique, ne peuvent pas être minimisés. La prolongation de la durée de vie des 32 réacteurs de 900 mégawatts de quarante à cinquante ans, décidée en février par l’Autorité de sûreté nucléaire, constitue une bonne nouvelle, mais cela ne suffira pas face à la faible disponibilité du parc nucléaire et à la demande croissante en électricité à venir.
Dans ces circonstances, l’abandon progressif du recours au gaz pour le chauffage des logements par la nouvelle réglementation thermique RT 2020 est prématuré. De même, au nom du respect de l’environnement et de la lutte contre la pollution, la puissance publique demande aux Français de remplacer le chauffage au charbon et au fioul par des pompes à chaleur électriques et les incite à remplacer leurs véhicules fonctionnant au diesel par des véhicules électriques ou hybrides ; mais, à terme, l’ensemble de ces décisions aura pour conséquence une augmentation exponentielle de la consommation électrique dans notre pays.
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. Christian Bilhac. Malgré le report de la construction de 6 nouveaux EPR, le soutien apporté à la filière nucléaire par le Président de la République lors du discours du Creusot, en décembre dernier, est sans équivoque : « Notre avenir écologique et énergétique passe par le nucléaire. » Nos collègues s’insurgent contre le rapport commandé par le Gouvernement à RTE et à l’Agence internationale de l’énergie afin d’étudier la faisabilité technique d’un mix électrique avec un très haut niveau d’intégration d’énergies renouvelables. Huit scénarios principaux sont à l’étude, avec une pondération du nucléaire située entre 0 % et 50 % à l’horizon 2050.
Nous considérons que cet exercice de prospective est utile, car il permettra d’anticiper les obstacles techniques, financiers, environnementaux ou sociaux à venir pour notre pays. Il nous apparaît indispensable pour orienter les acteurs du secteur de l’énergie et leurs investissements. Ne pas le faire serait irresponsable.
S’il est vrai qu’il faut veiller à ne pas tomber en situation de pénurie énergétique et qu’il est nécessaire de décarboner notre mix énergétique, d’autres variables, loin d’être négligeables, sont absentes de l’équation établie par la proposition de résolution : la montée en puissance des énergies renouvelables, les économies d’énergie et le développement du stockage de l’énergie.
Il faut donner un coup d’accélérateur aux énergies renouvelables, devenues désormais compétitives. Paradoxalement, les recours contre les parcs éoliens ou photovoltaïques se multiplient partout. Voilà quelques semaines, dans mon département de l’Hérault, une décision de justice a été rendue à la suite de l’action d’une association dite environnementale contre un parc éolien. Ce dernier a été condamné à la destruction. L’émergence des éoliennes en mer se trouve également embourbée en raison d’une multitude de recours.
Mme Sophie Primas. Des recours des écologistes ! (M. Guillaume Gontard acquiesce.)
M. Christian Bilhac. Il nous semble aussi que les gisements d’économies d’énergie ont été peu exploités. La consommation énergétique primaire tarde à s’infléchir en raison de l’inertie de la performance énergétique des bâtiments. Notre parc de logements est énergivore ; les travaux sont peu efficaces ; les rénovations globales restant rares, de même que les contrôles a posteriori.
Le stockage de l’énergie doit aussi évoluer. Je pense à l’hydrogène vert, comme je l’ai souligné le 18 novembre dernier, lors du débat mis à l’ordre du jour du Sénat à la demande du groupe RDSE sur le thème : « La France peut-elle devenir un champion de l’énergie hydrogène ? »
Pour l’avenir, il convient, à mon sens, de conserver notre parc nucléaire tant que d’autres solutions ne nous permettront pas de répondre aux besoins du pays en toute indépendance énergétique. Dans le même temps, il faut développer les énergies renouvelables et rénover notre parc de logements, avec une volonté forte et des financements importants de la part de l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution sur la mise en cohérence de la politique énergétique du Gouvernement avec ses ambitions environnementales est essentiellement axée sur la place de la production électrique d’origine nucléaire dans notre mix énergétique.
Je souhaite l’aborder sans a priori dogmatiques, loin des positions « anti-énergies renouvelables » ou « anti-nucléaire », qui ne permettent pas, selon nous, un débat serein, et empêchent de saisir les véritables enjeux auxquels nous sommes confrontés aux échelles nationale et mondiale : l’urgence d’une révolution environnementale globale ; l’exigence de sortir 12 millions de nos concitoyens de la précarité énergétique ; la sécurisation et la garantie pour les décennies futures de notre souveraineté énergétique.
La question est celle de la neutralité carbone à l’horizon 2050. Pour l’atteindre, comment bâtir une meilleure complémentarité entre les différentes énergies ?
L’évolution de notre système électrique impliquera la construction de nouveaux moyens de production, le développement de nouvelles filières industrielles et de nouvelles infrastructures de réseau. Cela suppose non seulement de planifier et mobiliser des moyens financiers qui s’inscrivent sur le temps long, mais aussi de continuer à investir dans la recherche et le développement.
C’est pourquoi il est impératif de sortir des confrontations entre positions tranchées pour que les choix technologiques ne soient plus l’apanage de l’exécutif, en particulier du Président de la République, mais qu’ils résultent bien d’un choix citoyen éclairé.
Le nucléaire est aujourd’hui un atout incontestable.
M. Pierre Louault. Nous sommes d’accord !
M. Fabien Gay. Il s’agit de l’énergie la plus décarbonée, qui permet une maîtrise des coûts (Bravo ! sur des travées du groupe Les Républicains.), même si les importations d’uranium ne sont pas prises en compte dans la facture énergétique française. C’est surtout une énergie pilotable, contrairement aux énergies renouvelables aujourd’hui,…
M. Bruno Sido. Oui !
M. Fabien Gay. … et donc un atout pour éviter le blackout. Le fait de renoncer aux centrales à charbon va renforcer cette dépendance au tout-nucléaire.
Toutefois, nous ne pouvons occulter l’impact majeur des accidents de Tchernobyl et Fukushima sur l’acceptation par nombre de nos concitoyens de notre dépendance à ce mode de production.
Or cette maîtrise du risque majeur par la qualité des constructions et de l’exploitation des centrales, le maintien d’un haut niveau de compétences et de surveillance dans la sûreté des ouvrages, ainsi que la gestion rigoureuse des déchets nucléaires ne peuvent, à notre sens, s’envisager que dans le cadre du service public, du secteur public.
M. Bruno Sido. D’accord !
M. Fabien Gay. C’est justement la faiblesse de la proposition de résolution dont nous débattons aujourd’hui de ne mentionner à aucun moment le service public.
Rien non plus sur la notion de « biens publics » garantis à tous et devant donc être placés hors du champ de la concurrence. Pour nous, cela devrait être le cas des centrales nucléaires ou encore des barrages hydroélectriques.
Certes, les auteurs de la proposition de résolution rappellent la nécessité de « garantir le pouvoir d’achat de nos concitoyens en maîtrisant le coût de l’électricité pour les entreprises, et notamment les industriels ».
Pourtant, rien n’est dit sur l’échec de la libéralisation de l’électricité ni sur l’Arenh, qui oblige EDF à vendre une partie de sa production nucléaire à ses concurrents.
M. Bruno Sido. Exact !
M. Fabien Gay. Or, mes chers collègues, je suis désolé de vous le dire, mais ce bilan est le vôtre. Il a provoqué des augmentations de tarifs pour les usagers.
Pire, l’Autorité de la concurrence nous rappelle que 40 % des augmentations des tarifs réglementés « ont pour but de permettre aux concurrents d’EDF de proposer des prix égaux ou inférieurs à ces tarifs ». C’est donc aux ménages de supporter la note en payant le prix de l’Europe libérale au profit des actionnaires des opérateurs alternatifs.
Pourtant, ces tarifs réglementés sont la garantie pour chacun d’avoir accès à l’énergie et l’un des atouts pour la compétitivité de nos entreprises.
Enfin, vous nous dites qu’il ne faut pas « fragiliser davantage l’opérateur historique de production d’électricité et ses salariés ». En ce cas, pourquoi ne pas demander clairement au Gouvernement de renoncer au projet Hercule, hérité du dogme dépassé des bienfaits de la concurrence libre et non faussée ? Nous savons tous ici qu’il ne vise qu’à créer de la concurrence là où il ne peut y en avoir.
Vous le savez, si ce projet est adopté, alors, la filière nucléaire, qui sera 100 % nationalisée dans « EDF Bleu » sera lourdement handicapée en raison de la séparation avec les autres activités, qui seront ainsi privatisées. On fera peser la dette sur cette structure EDF Bleu, alors que le nucléaire a besoin dans les années à venir des plus grands investissements pour sécuriser et démanteler les centrales qui devront l’être, mais aussi pour se développer.
Pour nous, la complémentarité entre énergies doit se faire dans un groupe qui reste intégré et dispose d’un monopole public.
Pour conclure, je dirai que l’intérêt général, l’environnement et l’accès à l’énergie pour tous passent nécessairement au second plan dans la recherche du profit. La mise en cohérence de la politique énergétique avec les ambitions écologiques de la France ne peut se faire que dans un cadre public.
C’est pour toutes ces raisons que le groupe CRCE s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé. (Mme Anne-Catherine Loisier applaudit.)
Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe Les Républicains d’avoir déposé cette proposition de résolution.
Je crois déterminant pour les parlementaires de discuter de la politique énergétique du Gouvernement, car le court terme de la crise sanitaire ne doit pas faire oublier le défi sur le long terme du dérèglement climatique.
Si l’exécutif en a conscience, comme en témoigne le projet de loi Climat et résilience, comment expliquer le nombre dérisoire de dispositions dans ce texte se rapportant à l’énergie ?
La question n’est abordée quasiment que sous le prisme de la rénovation énergétique. Certes, l’enjeu est important, mais cela ne suffira pas pour atteindre les objectifs affichés dans le cadre de la loi Énergie-climat.
La réduction massive de nos émissions de gaz à effet de serre doit passer par la production d’une énergie décarbonée. Or, sur ce sujet, le projet de loi fait montre d’une frilosité que je déplore.
En parallèle, une étude de RTE est venue affirmer la faisabilité d’un scénario « 100 % énergies renouvelables » d’ici à 2050. Si je doute que le projet soit techniquement et administrativement réalisable, il ne me paraît pas non plus souhaitable.
En effet, les EnR, telles que le photovoltaïque ou l’éolien, sont par nature intermittentes, non pilotables, et l’électricité qu’elles produisent n’est pas stockable en l’état actuel de la technologie. Ces limites ont pris un caractère très concret quand RTE a demandé en janvier à nos concitoyens de réduire leur consommation électrique pour éviter des coupures localisées sur le réseau. Tous ont ainsi pu constater les difficultés des éoliennes à prendre le relais du parc nucléaire quand le vent vient à manquer. De plus, de nombreux projets d’EnR sont contestés par les citoyens et les associations environnementales.
Alors, effectivement, d’autres énergies renouvelables ont des atouts à faire valoir, avec des emplois non délocalisables et une exploitation valorisant nos territoires, surtout ruraux.
Je pense, par exemple, au biogaz issu de la méthanisation agricole, qui peut aisément être injecté dans les réseaux de gaz naturel et s’y substituer. Cependant, le Gouvernement semble réticent à lui témoigner sa confiance : la RE 2020 qu’il souhaite faire appliquer conduirait, dans les faits, à écarter son usage pour chauffer les bâtiments neufs.
Quant aux barrages hydroélectriques, leur sort est toujours suspendu aux résultats des discussions avec la Commission européenne, ce qui bloque des investissements pourtant nécessaires pour moderniser les infrastructures.
Enfin, le développement de l’hydrogène paraît prometteur, mais la filière doit encore se structurer pour être à la fois rentable et écologique, ce qui va prendre du temps.
Dans ces conditions, je pense, comme le Président de la République, que le nucléaire doit faire partie de la solution, car c’est une énergie décarbonée.
Malheureusement, le sort de la filière semble aujourd’hui lié au dangereux projet Hercule. C’est pourquoi je souhaite que le Gouvernement clarifie sa position en la matière dès que possible pour redonner des perspectives à celle-ci.
En parallèle, l’industrie nucléaire doit encore convaincre les Français à la fois sur sa sécurité et sur son coût. Il lui reste beaucoup à prouver, alors que la mise en service de l’EPR de Flamanville risque d’être de nouveau retardée et que les centrales existantes doivent être aménagées pour que leur fonctionnement soit prolongé.
Le nucléaire doit évidemment faire partie de notre politique énergétique si nous voulons être à la hauteur de nos ambitions écologiques. Il ne doit pas pour autant en constituer l’unique horizon.
Le groupe Union Centriste votera majoritairement ce texte. Quant à moi, je m’abstiendrai eu égard aux arguments que je viens de développer devant vous. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot (Applaudissements sur les travées du groupe SER.).
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour, je remercie les auteurs de cette proposition de résolution, qui nous permet aujourd’hui de débattre des enjeux très importants que représente notre avenir énergétique.
Ce texte invite le Gouvernement « à étudier la possibilité d’une mise en cohérence de sa politique énergétique avec ses ambitions écologiques ».
Ce titre est encourageant, car il met sur un pied d’égalité la politique énergétique, la cohérence et les ambitions écologiques. Sur ce point, nous pourrions être en accord avec les auteurs de la proposition de résolution, tant les enjeux environnementaux sont intimement liés à l’avenir de notre bouquet énergétique. Toutefois, son contenu nous invite à davantage de mesure.
L’impossibilité de contrôler notre consommation énergétique, exprimée par ses auteurs, est un premier point important de divergence. Il n’est pas irréaliste d’imaginer une consommation énergétique plus sobre et respectueuse de notre environnement et de nos ressources. Seule une réelle volonté politique permettra d’atteindre cet objectif.
Le deuxième point de divergence est le tout-nucléaire prôné par les auteurs de la proposition de résolution.
Pour l’avenir de la politique énergétique de notre pays, nous ne devons pas nous laisser enfermer dans une opposition stérile entre les pro-nucléaires et les anti-nucléaires. Les réalités structurelles, techniques et matérielles du secteur de l’énergie doivent nous conduire à trouver un juste milieu.
Non, nous ne pourrons pas nous passer de l’électricité d’origine nucléaire du jour au lendemain.
Oui, les énergies renouvelables occupent une place croissante dans notre bouquet énergétique, grâce à des innovations régulières et une mobilisation de plus en plus importante.
Face à ces enjeux, le Gouvernement fait preuve d’une impréparation et d’une inaction inquiétantes.
En début d’année, le débat sur le risque de blackout énergétique nous avait permis d’exprimer nos opinions respectives sur la stratégie énergétique de notre pays. Nous avions notamment souligné les retards pris pour l’entretien des centrales nucléaires.
Alors que nous sortons juste de l’hiver 2021, l’utilisation à vingt-deux reprises de la centrale à charbon de Saint-Avold et l’importation d’électricité d’origine allemande, produite à 40 % par des ressources fossiles, sonnent comme des échecs pour la décarbonation de notre énergie.
Afin de mettre en cohérence la politique énergétique de notre pays avec les ambitions environnementales fixées par les accords de Paris, seule une véritable planification de la transition écologique permettra de programmer sur le long terme la décarbonation de nos modes de production et la transformation de nos modes de consommation.
Notre politique énergétique doit s’inscrire dans une vision où seraient réellement planifiés la rénovation thermique des bâtiments, le développement des mobilités propres et un plan d’investissement pour la reconversion industrielle, avec des mesures d’accompagnement social pour les secteurs impactés.
Le rééquilibrage de notre bouquet énergétique, engagé lors de la mandature précédente par la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, s’inscrit aussi dans cette programmation. La réduction progressive de la part du nucléaire au profit des énergies renouvelables doit se poursuivre à l’échéance de 2035.
La construction de l’EPR de Flamanville sonne elle aussi comme un véritable échec avec ses multiples retards et ses surcoûts. Elle révèle la défaillance de l’État actionnaire, qui préfère optimiser ses participations financières au détriment du pilotage sur le long terme de l’outil industriel.
En matière d’énergies renouvelables, les estimations réalisées par RTE sont encourageantes : les EnR ont participé à près de 30 % de la consommation d’électricité en France métropolitaine en 2020. L’éolien est même devenu la troisième source de production d’électricité.
Ce contexte implique pour le Gouvernement et la représentation nationale de disposer d’une vraie capacité à mettre en œuvre une politique énergétique maîtrisée et souveraine.
Pourtant, en se désengageant progressivement de certains grands groupes du secteur de l’énergie, que ce soit en achevant la privatisation totale de l’entreprise Engie ou en permettant le démantèlement du groupe EDF, le Gouvernement se prive de la possibilité de s’appuyer sur eux pour agir, alors qu’ils sont indispensables à la réussite de la transition énergétique. Ce faisant, il nie totalement l’importance de l’État stratège.
L’esprit libéral de ce gouvernement va malheureusement à l’encontre des enjeux et des nécessités de notre époque. La question d’un véritable service public de l’énergie mérite d’être posée et ne doit pas être balayée d’un revers de main. Sur un secteur aussi stratégique, les décisions que nous prenons aujourd’hui se répercuteront sur les générations de demain.
Ainsi, mes chers collègues, pour souligner combien les enjeux relatifs aux changements climatiques supposent d’agir simultanément sur nos modes de production et de consommation de masse, énormément consommateurs d’énergie, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’abstiendra, bien qu’étant en désaccord avec le contenu et les arguments avancés dans la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)