M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, en remplacement de Mme Évelyne Perrot, rapporteure de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
M. Jean-François Longeot, en remplacement de Mme Évelyne Perrot, rapporteure. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je vous prie de bien vouloir excuser la rapporteure, Mme Évelyne Perrot, qui ne peut être présente et qui m’a chargé de m’exprimer en son nom. Je tiens à la remercier de l’important travail qu’elle a effectué sur cette proposition de loi, et je lui souhaite un prompt rétablissement.
Le texte que nous examinons aujourd’hui a rallié quatre-vingts signataires. Cet engouement est, bien entendu, un témoignage de la sympathie que nous portons à notre collègue Jean-Pierre Moga, premier signataire. Il est aussi, et surtout, un révélateur de l’empreinte assez profonde qu’ont laissée dans nos mémoires individuelles et collectives les voitures de collection.
La commission a unanimement tenu à envoyer un message positif, non seulement aux 250 000 collectionneurs de voitures d’époque, mais aussi à des millions de sympathisants, aux territoires et aux élus qui organisent 6 000 à 7 000 manifestations par an, ainsi qu’à toute la filière « voitures de collection » qui représente, en 2020, grâce à son dynamisme, 24 000 emplois et 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Le phénomène est encore plus profond. Avec beaucoup d’à-propos, un de nos collègues en commission a cité les travaux de Roland Barthes, qui dans les années 1960 plaçait la voiture dans la catégorie des mythologies françaises : « Je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique. » Tout au long de ses travaux, la commission a été sensible à cette dimension qui semble appartenir au passé, mais dont nous témoignons qu’elle continue d’imprégner le présent et sans doute l’avenir.
L’enjeu de cette proposition de loi qui vise à garantir la circulation des véhicules de collection tient à la préservation d’un double patrimoine, industriel et culturel.
Un patrimoine industriel, tout d’abord : alors que nous souhaitons relocaliser l’industrie dans les territoires, il est essentiel de rappeler la place centrale des objets haut de gamme dans notre économie, avec parmi eux les véhicules d’époque. Le design et l’excellence de fabrication sont autant de marqueurs de notre industrie automobile, dont les véhicules de collection sont en quelque sorte les porte-drapeaux.
Un patrimoine culturel, ensuite : les véhicules de collection procurent indéniablement des moments de convivialité dont notre pays a tant besoin aujourd’hui. Le passage de ces véhicules suscite l’enthousiasme et aussi l’apaisement dans les grandes agglomérations où la circulation est trop souvent crispée par des tensions entre les voitures, les deux roues, les trottinettes et les piétons. La passion intergénérationnelle suscitée par ces véhicules n’est d’ailleurs pas nécessairement liée à la richesse économique ni réservée aux très hauts salaires. Nous écartons le soupçon d’élitisme en rappelant la réalité : un véhicule de collection n’est pas nécessairement un véhicule très onéreux, comme l’a rappelé l’auteur de la proposition de loi.
Au cours de ses travaux, la commission a étudié la question des émissions des véhicules de collection. Les véhicules immatriculés comme tels représentent une très faible proportion du parc roulant, oscillant entre 0,5 % et 1 %. Chaque voiture parcourt un petit nombre de kilomètres, soit environ mille par an. La proportion de motorisations diesel est, pour l’heure, très faible, ce qui évite la production de microparticules, mais la consommation d’essence des véhicules de collection est souvent plus élevée que la moyenne et s’accompagne donc de plus fortes émissions de CO2, tout particulièrement en cas de mauvais réglage, avec une très grande hétérogénéité en fonction de l’âge du véhicule.
Néanmoins, tout élargissement du périmètre des véhicules d’époque aurait pour conséquence d’augmenter l’impact carbone de la circulation de ces véhicules.
Alertée de l’existence d’une possible entrave à la circulation des véhicules de collection, la rapporteure a entendu plusieurs acteurs concernés par la mise en place des zones à faibles émissions. Ces travaux sont rassurants : toutes les collectivités impliquées ont prévu des dérogations pour les véhicules de collection.
Le mécanisme des ZFE a été pensé comme un outil donnant la main aux territoires, et il prévoit trois types distincts de dérogations à ces restrictions de circulation. Celles-ci s’exercent au niveau national, local et individuel et sont toutes appliquées par voie réglementaire. L’intelligence territoriale fonctionne ! Je souligne d’ailleurs que ces dérogations sont mises en place par des élus de tous les bords politiques.
Le ministère des transports a également confirmé que des discussions étaient en cours avec la Fédération française des véhicules d’époque pour inscrire les véhicules de collection parmi les dérogations nationales, au même titre que les véhicules de police ou de pompiers.
Dès lors, la question qui nous est posée est de savoir si, au-delà du signal que nous envoyons, il nous faut voter une loi sur la libre circulation des voitures de collection. Notre commission n’a pas souhaité se prononcer en ce sens pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, dans les ZFE déjà mises en place, on n’identifie pas d’entrave à la liberté de circulation des voitures de collection.
Ensuite, si par le passé, le Parlement a parfois légiféré dans le domaine réglementaire, nous sommes devenus plus exigeants. Je rappelle aussi que le Conseil d’État protège de façon systématique le domaine législatif et sanctionne les décrets qui s’aventurent dans le domaine de la loi. En l’occurrence, la loi renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de préciser les catégories de véhicules dont la circulation dans une ZFE ne peut être interdite.
En fin de compte, si le législateur adoptait cette proposition de loi, il en résulterait une vraie dissymétrie avec, d’une part, une loi spécifique pour les voitures de collection et, d’autre part, un décret qui accorde des dérogations nationales pour tous les autres véhicules, voitures de police, de pompiers, etc.
Je conclurai en rappelant deux éléments. Tout d’abord, la Fédération française des véhicules d’époque (FFVE) est venue au Sénat pour recommander de suivre le modèle allemand qui facilite la circulation de 595 000 véhicules de collection à travers les 85 zones écologiques allemandes. Or la transposition de cet exemple allemand passe nécessairement par la voie du décret. Il suffirait d’ajouter trois mots dans la partie réglementaire du code général des collectivités territoriales, très précisément à l’article R. 2213-1-0-1 qui « interdit d’interdire » l’accès à certains véhicules dans les zones à circulation restreinte.
Ensuite et surtout, j’insiste sur le fait que le Sénat, grand conseil et protecteur des territoires, reste plus que jamais attentif à la nécessité de différencier les solutions locales ; or c’est très exactement la philosophie qui a présidé à la conception des zones à faibles émissions comme des outils à la disposition des collectivités territoriales.
Jusqu’à maintenant, l’intelligence territoriale a fonctionné à plein régime en accordant aux voitures de collection la souplesse que nous préconisons.
Rappelons qu’il ne s’agit pas là de la seule compétence de restriction de circulation dont sont dotés les maires, qui disposent d’autres pouvoirs portant sur la liberté de circulation.
Notre commission a donc conclu l’examen de ce texte en adressant un message très positif pour la préservation d’un phénomène culturel, social et industriel. Toutefois, dans un souci de cohérence juridique avec nos travaux législatifs passés et à venir sur les ZFE, nous n’avons pas adopté le dispositif prévu dans cette proposition de loi, car il pourrait nous engager dans une mécanique juridique complexe.
Surtout, faisons confiance à l’intelligence territoriale et évitons de susciter un raidissement de la part de ceux qui craignent qu’on ouvre la « boîte de Pandore » des dérogations législatives. Plusieurs des amendements déposés sur ce texte confirment ces craintes, en élargissant considérablement la dérogation prévue qui concernerait alors presque un million de véhicules.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Mesdames, messieurs les sénateurs, qui parmi nous n’a pas déjà tourné la tête, émerveillé par le ballet des 2 CV, des DS, des Delage, des véhicules militaires ou des engins de secours qui, régulièrement, défilent sur les quais de Seine ou qui sont exposées sur les places des villages ?
Les véhicules de collection sont une part de notre patrimoine, une tradition populaire, une trace de la place centrale qu’ont eue la France dans le développement de l’automobile et l’industrie automobile dans le développement de la France.
Comme vous, le Gouvernement souhaite les préserver. Comme vous, le Gouvernement souhaite qu’ils puissent continuer de circuler. Nous sommes d’accord sur l’objectif ; il nous reste à nous accorder sur les modalités.
Premièrement, votre texte pose le principe d’une dérogation nationale pour la circulation des véhicules de collection dans les zones à faibles émissions.
Créées par la loi d’orientation des mobilités et renforcées par le projet de loi Climat et résilience, ces zones sont nécessaires pour améliorer la qualité de l’air dans les centres urbains les plus denses. C’est une question de santé publique.
Vous craignez que leur mise en place dans plusieurs agglomérations françaises n’ait pour conséquence de limiter la circulation des véhicules de collection. Or ces derniers ne sont pas laissés sur le bord de la route : les ZFE mises en place ou en cours de l’être prévoient toutes, sans exception, des dérogations locales pour les véhicules de collection. Aucun problème n’a pour l’instant été décelé.
Il revient aux collectivités de mettre en place les règles de restriction de circulation. Il paraît donc logique qu’il leur revienne aussi de définir les dérogations.
Actuellement, la seule dérogation nationale concerne les véhicules d’intervention, comme les camions de pompiers, les ambulances et les véhicules de police. Pour ces véhicules, nous ne pourrions en effet envisager qu’un délai pour la mise en place des dérogations empêche leur circulation, même temporairement.
Je tiens par ailleurs à préciser que, dans le projet de loi Climat et résilience, nous prévoyons de simplifier encore le dispositif.
Le pouvoir de mise en place des ZFE sera transféré au niveau du président de la métropole. Ainsi, pour toute dérogation, d’un arrêté pris au niveau de chaque mairie – soit presque une centaine au sein de la métropole du Grand Paris, par exemple –, nous passerons à un seul arrêté pour l’ensemble de la métropole.
Deuxièmement, votre texte vise à créer une « vignette » collection. Là encore, nous approuvons l’idée de mieux protéger les véhicules de collection, mais nous divergeons sur les modalités de mise en œuvre.
Pour mieux les protéger, il faut d’abord mieux définir ce qu’est un véhicule de collection. Or le texte ne répond pas à cette question, puisqu’il renvoie au pouvoir réglementaire le soin de préciser les critères. S’il était adopté, nous en resterions ainsi au même point qu’aujourd’hui.
Les critères actuels permettant d’obtenir la qualification de « véhicule de collection » ne sont pas assez restrictifs. Les normes européennes indiquent que tout véhicule de plus de 30 ans n’ayant pas été modifié peut y prétendre, en adressant une demande de « certificat collection » à la Fédération française des véhicules d’époque. Cela englobe les premières Renault Espace et bientôt les Renault Twingo. L’appellation de « véhicule de collection » a-t-elle vocation à s’appliquer à ces modèles ? La question se pose.
Le Gouvernement s’est attelé à définir des critères plus précis. Nous avons engagé un travail avec la Fédération française des véhicules d’époque en ce sens. Étant donné que ces véhicules sont plus anciens, ils sont aussi plus émetteurs au kilomètre parcouru, comme certains d’entre vous l’ont dit. Si nous voulons leur accorder une dérogation de circulation, il est nécessaire de réfléchir à des critères qui permettraient de confirmer qu’ils roulent peu, et qu’ils sont donc peu émetteurs dans les faits. C’est précisément ce à quoi nous travaillons.
Nous réfléchissons par exemple à restreindre l’âge des véhicules, pour n’accorder une dérogation qu’aux plus anciens, dont le caractère de collection semble pertinent ; à ne pas autoriser les trajets du quotidien pour ces véhicules, par exemple ceux entre le domicile et le lieu de travail ; à exclure de la dérogation certains types de véhicules plus polluants, comme les véhicules diesels ou les véhicules utilitaires ; à définir un kilométrage maximal annuel ; ou encore, à mettre en place un contrôle technique adapté pour assurer la sécurité de ces véhicules.
Ces travaux embryonnaires doivent être poursuivis, et je suis très ouvert aux contributions du Parlement.
Enfin et surtout, nous avons un troisième point de divergence, car tous les aspects de cette proposition de loi sont de nature réglementaire, tant la qualification des véhicules de collection que le niveau de dérogation aux ZFE. Il n’est donc pas nécessaire d’inscrire ces points dans la loi. Un décret en Conseil d’État suffira lorsque nous aurons trouvé un point de convergence sur les modalités d’application.
Pour toutes ces raisons, et dans la lignée de l’avis que Mme la rapporteure a donné en commission, le Gouvernement ne soutient pas cette proposition de loi. Nous restons en revanche à disposition pour poursuivre le travail de qualification de ces véhicules avec la Fédération française des véhicules d’époque, et en lien étroit avec les parlementaires qui le souhaiteraient.
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les amoureux de belles jantes et de carrosseries brillantes voient les voitures anciennes de collection comme des joyaux à préserver. Comment ne pas partager cette ambition, rappelée par Charles Trenet lorsqu’il chantait l’automobile dans Route nationale 7, ou dans un autre titre que je ne vous chanterai pas ?
Outre leur dimension patrimoniale incontestable, nous voyons dans ces joyaux automobiles la célébration de la liberté et des congés payés. Nous leur associons aussi une vertu émancipatrice, formulée à sa manière par le général de Gaulle lorsqu’il évoquait l’aspiration des femmes à vouloir conduire une « auto » et qu’il concluait : « C’est le mouvement ! »
À côté des automobiles, il y a aussi la belle collection des tracteurs et ce culte que je voue, en particulier, au volant d’inertie du monocylindre horizontal de la Société Française de Vierzon, construit en 1954…
M. Gérard Longuet. Le célèbre Vierzon !
M. Gérard Lahellec. Tout cela fait partie de notre patrimoine et nous partageons le même souhait de pouvoir le préserver, l’entretenir et le faire connaître.
Cependant, il y a le texte et le contexte ! Cette proposition de loi intervient en effet à un moment où il faut répondre à l’urgence sociale. Elle aurait pour étrange effet que des voitures non indispensables pourraient rouler, tandis que ce ne serait pas le cas d’autres véhicules indispensables pour que leurs propriétaires issus des catégories populaires puissent aller au travail tous les jours.
Ce texte paraît aussi en décalage avec un certain nombre d’enjeux environnementaux. Il aurait dû mieux trouver sa place dans les débats en cours ou à venir.
Enfin, il y aurait à redire sur le nombre de véhicules concernés. En effet, les dispositions prévues dans le texte portent seulement sur 215 000 véhicules. Qu’en sera-t-il des 685 000 autres dont il conviendrait de tenir compte ?
Par conséquent, il nous semble que, sur le fond, la proposition de loi reste très partielle et mériterait d’être consolidée. Ce sont là autant de raisons qui nous conduisent, sans malice, je vous l’assure, à nous abstenir.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à n’en pas douter, si nous devions associer un siècle à un objet technologique, il n’y aurait rien de mieux pour caractériser le XXe siècle que l’automobile, invention qui bouleversera la société, outil d’émancipation des individus qui favorisera la libération des mobilités.
Il est intéressant de remarquer que le premier déplacement privé de plus de cent kilomètres en Allemagne a été effectué par Bertha Benz en 1888 : celle-ci utilisa l’invention de son mari pour aller, sans la permission des autorités, rendre visite à sa mère.
L’automobile modifiera considérablement l’organisation du travail. Le taylorisme et le fordisme vont ainsi introduire le travail à la chaîne, l’hyperspécialisation des tâches, puis les flux tendus, le lean manufacturing et autres concepts poussant vers toujours plus de performance opérationnelle et d’optimisation des coûts.
L’automobile est aussi l’une des caractéristiques de la puissance industrielle des États, qui sont souvent identifiés par les marques qu’ils produisent. C’est une industrie qui entraîne dans son sillage celle du pétrole qui marque, lui aussi, son siècle.
Enfin, l’automobile a la capacité de façonner les imaginaires avec des compétitions en tout genre, des épopées et des sagas, mais aussi des représentations et un statut social.
Roland Barthes ne s’y est pas trompé puisque, en 1957, dans son livre Mythologies consacré aux mythes de la vie quotidienne française, il a consacré un article à la nouvelle DS. Hasard du calendrier parlementaire, y figure aussi un article sur ce nouveau matériau qu’est alors le plastique, symbole d’une forme de modernité qui, quelques décennies plus tard, aura colonisé notre planète.
Le XXe siècle s’est refermé sur le constat amer que notre modèle de développement touchait à ses limites. L’épuisement des ressources, le réchauffement climatique, la pollution de l’eau et de l’air nous poussent à nous interroger et à agir. C’est aussi dans ce contexte, celui d’un changement de paradigme, que nous devons analyser cette proposition de loi.
Comme les différents orateurs l’ont souligné, nous devons avancer dans trois directions déterminantes si nous voulons envoyer un bon signal avec cette proposition de loi.
La première, c’est la cohérence et la lisibilité au regard du changement climatique. Certes, les véhicules de collection représentent une faible part des émissions de particules, mais, alors que les zones à faibles émissions mobilité (ZFEM) ont été créées pour protéger les populations contre la pollution issue du trafic routier, la qualité de l’air représente un enjeu majeur de santé publique.
D’après l’étude réalisée par Santé publique France, la pollution de l’air serait responsable de 48 000 décès prématurés par an en France. Le trafic routier est responsable de 57 % des émissions d’oxyde d’azote. Devons-nous ouvrir la voie législative à un contournement généralisé du dispositif, alors que d’autres solutions existent si l’on veut permettre à ces véhicules patrimoniaux de continuer à circuler ?
À l’heure où les débats se concentrent sur le projet de loi Climat et résilience et la traduction législative des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, ne risquons-nous pas d’envoyer un message qui sera probablement mal perçu et susceptible d’être dénigré, et de déconsidérer notre institution ?
La deuxième direction dans laquelle je vous propose d’avancer, c’est le domaine de la loi. Des dérogations générales à l’application du dispositif ZFE sont possibles. L’article R. 2213-1-0-1 du code général des collectivités territoriales dispose que l’accès à la zone de circulation restreinte ne peut être interdit aux véhicules d’intérêt général, aux véhicules du ministère de la défense, aux véhicules portant une carte de stationnement pour personnes handicapées, etc.
Devons-nous compléter par voie législative cette liste de dérogations générales qui, elles, sont du domaine réglementaire ? Nos débats ont souvent illustré cette impérieuse nécessité de cantonner chacun dans son domaine respectif. Lors des débats de contrôle, combien de fois avons-nous dénoncé l’absence de publication des décrets d’application ?
À cet égard, monsieur le ministre, je vous rappelle que nous sommes en attente de la parution de nombreux décrets en application de la loi 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités. En effet, plusieurs textes réglementaires d’importance manquent encore à l’appel, comme le décret découlant de l’article 28 sur les services numériques multimodaux, ou MaaS – Mobility as a Service –, le décret précisant l’obligation de créer des stationnements pour les vélos dans les gares, ceux qui concernent les services de mise en relation de covoiturage, les plateformes, ou la portabilité de certains droits dans le cadre de l’ouverture à la concurrence.
Enfin, la troisième direction dans laquelle il conviendrait d’avancer est celle de la libre administration des collectivités locales.
L’article R. 2213-1-0-1 du code général des collectivités territoriales, déjà mentionné, prévoit la possibilité que des dérogations individuelles puissent être accordées par le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, lorsque celui-ci dispose du pouvoir de police de la circulation.
Les collectivités peuvent donc prendre des arrêtés pour établir la liste des dérogations à la zone à faibles émissions mobilité pour les véhicules utilitaires légers et les poids lourds. Les véhicules de collection sont compris dans ces dérogations. C’est notamment le cas pour Grenoble-Alpes Métropole.
N’oublions pas que le Sénat est l’assemblée des collectivités locales et que nous devons faire confiance au dialogue, à la compréhension mutuelle et à l’intelligence territoriale pour trouver les solutions adaptées permettant à ces véhicules de continuer à circuler.
Sans sous-estimer la valeur patrimoniale des véhicules de collection, le poids économique représenté par ce secteur, le potentiel d’animation locale que représentent les manifestations et les rallyes, mais au vu des éléments développés, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je défendrai à titre personnel, avec le soutien d’une très large majorité du groupe Les Républicains, la proposition de loi présentée par notre collègue Jean-Pierre Moga.
Nous observons une très grande solidarité de l’ensemble de nos collègues sénateurs à propos du patrimoine que constitue, pour notre pays, la passion des 250 000 collectionneurs qui rassemblent des centaines de milliers de véhicules et animent chaque année des milliers d’événements sur l’ensemble du territoire français, dont certains sont certes extrêmement prestigieux, mais dont l’immense majorité traduit une mobilisation populaire, un véritable engouement pour ce qu’a été l’histoire de cette technique dans notre pays.
En réalité, ce qui importe avec ces véhicules, c’est de les voir fonctionner et, donc, de les faire circuler. Rien n’est plus triste pour ceux qui sont passionnés par ces voitures que les musées où celles-ci restent inertes. C’est un bonheur de visiter le musée de Mulhouse, mais la véritable passion pour ce produit de l’intelligence humaine, du savoir-faire, de l’habileté industrielle et technologique, issu de la main-d’œuvre que constituent les carrossiers, les selliers et les soudeurs qui ont travaillé pour construire ces véhicules, s’exprime quand on les voit vivre.
À l’issue de ce débat, nous devrons offrir un cadre législatif à cette passion pour que le passé, notre histoire automobile si riche d’enseignements – je pourrais y revenir –, ait un avenir. Si les propriétaires de ces véhicules n’ont pas la certitude de pouvoir rouler, c’est toute une filière qui sera remise en cause.
À partir du moment où l’on ne trouvera plus d’artisans, d’ouvriers et de professionnels s’engageant, inquiets de leur avenir, à perpétuer ce savoir-faire, c’est peu à peu tout ce patrimoine qui s’étiolera et disparaîtra.
À écouter les interventions des uns et des autres, il me semble que personne ne rejette cette idée. Personne sur ces travées n’y est franchement opposé, mais réfléchissons ensemble : qu’apporte la proposition de loi ? Elle crée une base législative, qui n’apparaît pas nécessaire de prime abord, mais qui l’est profondément.
En effet, les comportements sociaux ne sont plus les mêmes. En ma qualité d’ancien ministre de l’industrie, il m’arrive souvent de dire que, si le principe de précaution avait été opposé aux frères Farman, à Louis Blériot ou à Louis Bréguet, jamais aucun avion n’aurait volé dans notre pays et jamais ces personnages n’auraient marqué l’histoire aéronautique. Il y a donc toujours eu, à chaque époque, une évolution des comportements et des attentes.
Jean-Pierre Moga a soulevé la question très précise des ZFE. Sur le plan juridique, monsieur le ministre, je suis assez d’accord avec la commission : c’est l’affaire des collectivités locales. De plus, à un moment où l’on demande des efforts à nos compatriotes, notamment de renoncer aux facilités qui étaient les leurs, peut-on créer une sorte d’exception ?
Il y a même beaucoup plus grave. De ZFE en principe de sécurité, en confort, en comportements restrictifs, nous pourrions demain rencontrer des gens qui, à juste titre, se diront que ces véhicules n’ont simplement aucun intérêt, puisque nous n’aurons même plus la joie limitée, exceptionnelle, parfaitement marginale dans les statistiques, notamment celles de la circulation et des accidents, de voir ces véhicules rouler, non pas parce qu’on ne les aime pas – tous les intervenants qui se sont exprimés ici sont très favorables à ces témoignages du passé –, mais parce que, règlement après règlement, nous allons interdire de fait leur utilisation, sauf dans des conditions très exceptionnelles, en vertu d’autorisations préalables et sans doute de plans de circulation avalisés par des ingénieurs compétents, tous regroupés dans des comités d’approbation…
Il faut en rester à un principe de liberté. Monsieur le ministre, c’est très bien que cette liberté soit encadrée et que le pouvoir réglementaire fixe des limites – après tout, il est là pour cela, comme le code de la route nous le rappelle…
M. le président. Vous avez dépassé votre temps de parole, mon cher collègue !
M. Gérard Longuet. Il faut consacrer ce principe de liberté et accepter ensuite des adaptations réglementaires. Si ce principe de liberté n’est pas posé, notre passé n’aura pas d’avenir. Nous n’aurons pas d’avenir du tout, car nous nous priverons de ce formidable héritage. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)