Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article.
M. Patrick Kanner. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la semaine dernière, Paulette Guinchard-Kunstler nous a quittés à l’âge de 71 ans, en nous adressant un dernier message.
La première fois que l’on croisait Paulette, on était enveloppé par sa gentillesse, sa bonté, sa bienveillance, sa gouaille, son regard franc et rieur que ne venaient pas troubler les longues mèches grises qui lui couvraient la moitié du visage.
Fille de paysan, issue d’une fratrie de huit enfants, elle s’engage dans sa ville professionnelle comme infirmière en psychiatrie auprès d’enfants autistes. Elle s’engage aussi en politique, dès ses 20 ans, d’abord par la voie du syndicalisme agricole catholique, puis au PSU de Michel Rocard et, enfin, au PS de François Mitterrand, auquel elle restera fidèle jusqu’à la fin de sa vie.
Maire, députée, secrétaire d’État, auteure de la grande loi sur l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), Paulette Guinchard-Kunstler était malade depuis près de quinze ans. Elle savait, par son expérience familiale, à quoi la conduirait cette maladie dégénérative incurable. Je m’en étais entretenu avec elle alors que j’étais encore ministre.
À cette femme qui a tant souffert et tant fait pour son pays, qu’avons-nous répondu ? Rien. Va mourir en Suisse. Ici, ton corps ne t’appartient pas !
Ce scandale que constitue la situation d’abandon d’une immense majorité des personnes en fin de vie dans des conditions insupportables nous concerne tous, mes chers collègues. Le temps s’écoule sans faire de bruit.
La décision de Paulette Guinchard-Kunstler doit nous conduire à voter cet article 1er. Nous permettrions ainsi à chacun de vivre avec un sentiment de dignité jusqu’à la fin de ses jours.
Nous parlons d’un droit fondamental de la personne humaine, d’une nouvelle liberté : la liberté de choisir. Mes chers collègues, qui sommes-nous pour vouloir entraver cette liberté ?
« Les grandes peurs périssent d’être reconnues », dit Camus. Et que cette peur-là est grande, je vous le concède ! Commençons par pouvoir décider en conscience des conditions de notre propre fin de vie et méditons cette belle phrase de Marie-Guite Dufay, présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté : « Paulette avait pris sa décision. L’aimer, c’était la respecter. L’aimer, c’était la laisser partir. »
Mes chers collègues, je voterai en conscience l’article 1er de la proposition de loi de Mme de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, sur l’article.
M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi de notre collègue Marie-Pierre de La Gontrie représente la conquête d’un droit fondamental : la possibilité pour chacun d’entre nous de mourir dans la dignité.
Inscrire dans le code de la santé publique le droit à l’aide active à mourir est une mesure d’égalité. En effet, en l’état actuel du droit, de nombreuses personnes sont amenées à partir à l’étranger, quand elles en ont les moyens et la possibilité, pour y terminer leur vie conformément à leurs souhaits. À l’inverse, les personnes qui n’en ont pas les moyens financiers et humains ou celles qui sont dans l’impossibilité de se déplacer doivent faire face aux pires difficultés dans leurs derniers jours.
Sur ce sujet, les inégalités sont considérables et elles sont inacceptables pour notre pays. Dans son étude sur la révision des lois de bioéthique, le Conseil d’État a lui-même signalé des inégalités territoriales très inquiétantes dans l’accès aux soins palliatifs – n’oublions pas, cela a été dit, que vingt-six départements français n’ont pas d’unité de soins palliatifs.
Il convient également de rappeler que la France se classe parmi les pays d’Europe ayant les taux de suicide les plus élevés chez les personnes âgées.
Le « mal vieillir » est une réalité que le législateur doit prendre en compte dans sa globalité. Nous devons permettre le choix égal et encadré entre continuer à vivre, en bénéficiant de soins palliatifs effectifs, et avoir accès au suicide assisté. Les deux ne sont pas opposés et préservent la dignité de chacun.
Mes chers collègues, je vous invite à voter en faveur de cet article 1er pour rendre pleinement effectif le droit à mourir dans la dignité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce stade, j’évoquerai la grande figure de Sénèque, qui porte des valeurs essentielles de notre civilisation.
Sénèque disait : « Il y a deux dangers à éviter : se suicider quand il ne le faut pas et ne pas se suicider quand il le faut ». Et il a dit à ses esclaves, quelque temps avant de se suicider lui-même : « Ce serait un aussi mauvais exemple d’empêcher leur maître de mourir que de le tuer » (« Alioqui tam mali exempli esse occidere dominum, quam prohibere »).
Aujourd’hui, le débat est le même. Depuis deux mille ans, notre humanité remue ces questions au plus profond d’elle-même parce qu’elles donnent sens à notre vie.
Vous me permettrez d’évoquer ce que mon grand-père m’a enseigné et l’image de ces résistants qui, sous la torture, ont préféré se suicider, se défenestrer, pour échapper au sort indigne qui leur était réservé. Jusqu’à la fin de sa vie, mon grand-père a lui aussi souhaité pouvoir disposer de sa vie et de sa mort.
Je tente de conduire mon existence selon mes convictions humanistes. Je veux décider de ma mort et je vous demande de m’en donner le droit au nom de mon humanité, au nom de l’humanité que chacun d’entre nous porte en lui. En choisissant ma mort, je veux transmettre aux générations futures l’exigence de la condition humaine, parce que, ma certitude, c’est que c’est la mort qui donne du sens à la vie. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – M. Xavier Iacovelli applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, sur l’article.
Mme Élisabeth Doineau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie Pierre Ouzoulias pour les derniers mots de son propos, ainsi que toutes celles et tous ceux qui se sont exprimés.
Je suis favorable à cette proposition de loi. Cela n’a pas toujours été le cas ; c’est le résultat d’un cheminement personnel, aboutissement de lectures et d’expériences vécues.
Cette question renvoie à l’intime. J’ai été confrontée à des situations difficiles, en particulier à celle d’une amie, atteinte de la maladie de Charcot, et qui, elle aussi, est allée en Suisse.
Ce cheminement a été long, il a aussi été nourri par des échanges avec mon époux, mon fils et des amis. Il s’est appuyé sur une question simple : que ferais-je moi-même à la fin de ma vie si j’étais dans une telle situation, dans le même état de souffrance, ou si je faisais face aux mêmes difficultés pour accéder à des soins palliatifs ou bénéficier des dispositions de la loi Claeys-Leonetti ? Je demanderais le bénéfice de cette dépénalisation. Et j’ai partagé cette décision avec mon entourage.
Pour autant, ai-je le droit d’imposer cette décision à tous ? Ma décision personnelle doit-elle orienter mon choix en tant que législateur ?
En fait, mon choix est partagé par d’autres et je ne l’impose en aucune manière, si bien qu’aujourd’hui, avec force et sans aucune hésitation, je suis favorable à titre personnel à l’article 1er de cette proposition de loi. Nous ne pouvons plus procrastiner, renvoyer la décision de rapport en rapport, de discussion en discussion. Ce n’est plus possible.
Je vous remercie, monsieur le ministre, pour les annonces que vous avez faites tout à l’heure et je serai très vigilante sur les montants qui seront attribués aux soins palliatifs.
Je remercie aussi très sincèrement tous les professionnels de santé qui accompagnent les personnes en fin de vie. J’ai eu à vivre une telle expérience et je peux vous dire que ces professionnels font preuve d’un humanisme extraordinaire. Pour autant, cet accompagnement n’est pas possible dans toutes les situations.
C’est pour ces raisons que je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – M. Xavier Iacovelli et Mme Guylène Pantel applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, sur l’article.
M. Rachid Temal. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie d’abord Marie-Pierre de La Gontrie d’avoir déposé cette proposition de loi. C’est un texte important et le Sénat a, d’une certaine façon, rendez-vous avec son histoire : devons-nous aller vers plus de progrès ou attendre une nouvelle fois un énième rapport ?
Ce texte propose finalement une nouvelle liberté, ce qui doit tous, me semble-t-il, nous rassembler. Cette liberté n’est ni une contrainte ni une obligation ; elle sera à la disposition de celles et ceux qui souhaiteront choisir la manière de finir leur vie afin qu’elle soit digne.
Si je vote ce texte, c’est aussi au nom des valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité.
La liberté de pouvoir choisir sa fin de vie doit être offerte à tous nos concitoyens ; c’est une question d’égalité. De ce point de vue, je salue les annonces du ministre, d’autant que le précédent plan national de développement des soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie a pris fin en 2018…
En tout cas, il ne faut pas opposer la loi Claeys-Leonetti, la sédation, les soins palliatifs et l’aide active à mourir. Toutes ces dispositions sont complémentaires : certains choisiront, dans un premier temps, telle ou telle option avant, le cas échéant, d’en choisir une autre. Cela n’aura rien de grave ! C’est simplement l’expression de la liberté.
Autre principe, la fraternité : comment accepter, cela a été dit, que les gens meurent si mal en France ?
Jean-François Rapin a parlé de sa situation personnelle en tant que médecin, ce qui me conduit à aborder un sujet que je ne pensais pas nécessairement évoquer. Il est évidemment important d’entendre les médecins, mais il faut aussi écouter les patients. Depuis maintenant quinze ans, je vis avec une maladie qui, à terme, je le sais, pourrait me conduire à vivre la situation dont nous parlons ce matin. Je considère qu’il n’est pas acceptable qu’on m’oblige, à ce moment-là, à partir à l’étranger et à mourir ainsi loin de mes proches.
Tel est l’objet de ce texte finalement : permettre à tous les Français qui le souhaitent de mourir dans des conditions dignes et auprès de leurs proches. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – MM. Xavier Iacovelli, Alain Richard et Mme Guylène Pantel applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Bonne, sur l’article.
M. Bernard Bonne. Comme une partie du groupe Les Républicains, je voterai contre cet article 1er.
D’abord, je retiens l’engagement du ministre d’engager une réflexion et de débattre rapidement d’un texte, projet ou proposition de loi, permettant de combler certains manques de la loi Leonetti-Claeys afin que celle-ci puisse être réellement appliquée. Nous devons faire en sorte que, partout sur le territoire, chacun puisse mourir dans de bonnes conditions, le plus dignement possible. Aujourd’hui, les choses sont trop différentes selon les départements.
Ensuite, je suis très gêné par l’alinéa 5 de cet article, qui traite de l’euthanasie, c’est-à-dire du fait de mettre fin intentionnellement à la vie d’une personne à sa demande expresse.
Je comprends que des personnes, par exemple lorsqu’elles sont atteintes de la maladie de Charcot, qui est un cas particulier, puissent se poser cette question. Nous devrons discuter de ces situations un peu plus tard. Mais que dire à une personne accidentée, devenue par exemple tétraplégique, lorsqu’elle demande qu’on l’euthanasie ? Doit-on accepter ou essayer de la soulager et de trouver une solution ?
M. Rachid Temal. On doit l’écouter !
M. Bernard Bonne. Un nombre considérable de personnes dans cette situation ont continué de vivre, en trouvant d’autres espérances.
Que dire, de même, aux personnes qui sont handicapées ou dans un état de mal-être extrême et qui demandent qu’on les suicide ou qu’on les aide à mourir ?
Nous devons encore réfléchir à ces questions. On ne peut pas décider de cette manière et aussi rapidement d’ouvrir la possibilité d’euthanasier quelqu’un. Comme le disait Patrick Kanner, il existe une grande différence entre laisser partir et faire partir ! (M. Philippe Mouiller applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, sur l’article.
M. Henri Cabanel. À mon tour, je m’associe aux remerciements à l’endroit de notre collègue Marie-Pierre de La Gontrie, qui a été très explicite lors de son intervention.
Certes, ce sujet est particulièrement difficile et chacune et chacun d’entre nous a sa propre idée. Heureusement, nous avons avancé, notamment grâce à la loi de 2016 ; mais est-ce suffisant ?
Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir annoncé le lancement d’un plan national de développement des soins palliatifs, qui permettra d’appliquer la loi à cet égard. Nous devons avancer sur ce sujet et vous êtes dans votre rôle.
Vous avez aussi parlé des directives anticipées. Vous avez raison, très peu de Français en ont rédigé, mais vous savez comme moi que très peu connaissent cette loi et les nouveaux droits qu’elle leur confère. Il est nécessaire de mieux communiquer sur ce sujet.
Si la loi de 2016 n’est pas suffisante aujourd’hui, c’est parce que trop de malades doivent attendre d’être extrêmement diminués physiquement et mentalement pour avoir droit à des soins palliatifs.
Personnellement, comme une majorité du groupe du RDSE, je suis favorable à cette proposition de loi.
Enfin, je tiens à mon tour à rendre hommage à Mme Guinchard-Kunstler. Je rappelle qu’elle était opposée au droit à mourir, avant de changer d’avis à un certain stade de sa maladie. Son geste doit alimenter notre réflexion : pourquoi a-t-elle changé d’avis ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin, sur l’article.
M. Jacques Grosperrin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je connaissais bien Paulette Guinchard-Kunstler également – je lui ai succédé à l’Assemblée nationale. Elle a choisi de mettre un terme à son insupportable maladie et de recourir au suicide assisté, qu’elle a rendu public pour faire évoluer la législation. Son engagement humain et social était reconnu et elle était respectée. Tous ses proches ont été bouleversés et j’ai une pensée pour eux, parce qu’il n’a pas été simple de l’accompagner.
Que nous apprend ce geste ?
D’un point de vue individuel, une telle décision est éminemment personnelle et relève de l’intime.
D’un point de vue collectif, le Sénat ne peut pas légiférer dans la précipitation – ce serait contre-productif. En effet, la loi Claeys-Leonetti repose sur un équilibre consensuel : elle évite l’acharnement thérapeutique, mais elle est très différente d’une loi qui autoriserait l’euthanasie.
Lorsque la maladie est violente, certains décident de quitter la vie. J’entends que les dispositions de cette loi ne sont peut-être pas tout à fait adaptées à tous les cas, mais aucun dispositif légal ne peut être adapté à des situations singulières. Si l’on applique strictement le droit, on laisse des gens dans une grande souffrance. Certains malades n’entrent pas dans le cadre de la loi. Il faut donc la faire évoluer pour prendre en compte ces situations exceptionnelles.
Pour autant, j’ai parlé au téléphone avec Régis Aubry, qui a suivi Paulette Guinchard-Kunstler : tout ne peut pas être dit, notamment sur les raisons, très personnelles, qui l’ont conduite à prendre sa décision, mais Régis Aubry est effrayé de voir ce qui se passe en Belgique en matière d’euthanasie. Il est effrayé parce que la médecine génère parfois ce genre de fin de vie. « Est-ce que je dois faire, m’a-t-il demandé, ce que je sais faire ? »
Ouvrir vite et fort l’euthanasie serait très dangereux pour les personnes âgées : certaines pourraient se suicider trop rapidement. Il nous faut plutôt mettre en place un véritable accompagnement du vieillissement, favoriser la recherche sur la fin de vie, créer des instituts des vulnérabilités, etc.
En tout cas, il ne faut pas mélanger l’éthique et la morale. Les juristes, les parlementaires, les médecins, les familles doivent discuter ensemble. Nous avons besoin d’équipes pluridisciplinaires pour qualifier les situations exceptionnelles, mais souvenons-nous que la vraie vie est faite de situations exceptionnelles ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, sur l’article. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Olivier Jacquin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon département est voisin du Luxembourg et de la Belgique, et la question dont nous débattons a une tonalité particulière, puisqu’un certain nombre de nos compatriotes fuient notre pays pour y finir leur vie.
La semaine dernière, j’ai organisé un webinaire avec l’antenne locale de l’ADMD et Marie-Pierre de La Gontrie. Un médecin belge, installé à Bruxelles, qui y participait, Yves de Locht, m’a demandé de vous délivrer un très court message : « J’espère que le Parlement français prendra ses responsabilités et nous soulagera, nous, en Belgique, car j’aimerais que vous voyiez l’état déplorable dans lequel arrivent certains de vos compatriotes qui font des centaines de kilomètres pour être libérés. Ce n’est pas normal ! »
Le docteur de Locht vous remercie ; je vous remercie. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, sur l’article.
M. Didier Marie. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour, je remercie Marie-Pierre de La Gontrie de son initiative et, par la même occasion, je salue les associations et les bénévoles qui plaident sans relâche en faveur de l’évolution de la législation vers une aide à mourir.
Depuis 2016, la législation reconnaît un droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès. C’est le fruit d’un compromis que, à titre personnel, je juge insatisfaisant, car cette sédation est difficilement accessible. En outre, lorsqu’elle est appliquée, elle dure souvent trop longtemps, malheureusement.
Dans notre pays, qui inscrit la liberté au fronton de ses mairies, nous devons en octroyer une nouvelle, celle de mourir dans la dignité, à ceux qui la réclament.
Regardons la réalité en face : les uns et les autres, nous connaissons des situations intolérables, auxquelles la loi Leonetti-Claeys ne permet pas de répondre. Nous connaissons tous des parents, des amis qui, au bout de la souffrance, refusant la dégradation physique, la dégénérescence intellectuelle, ne peuvent pas choisir leur fin, ce qui ajoute une seconde condamnation à celle de la maladie : vivre l’épreuve de leur propre déchéance.
Annoncer sa volonté d’en finir, en disant sa douleur, n’est pas un choix facile ; il faut du courage. On le fait pour soi-même et pour ceux qu’on aime. En retour, aimer cette personne, c’est la comprendre et l’accompagner.
Voter ce texte, c’est faire le choix de la liberté – celle de mourir dignement –, de l’égalité pour tous – pas seulement pour ceux qui peuvent se rendre à l’étranger – et de la fraternité – accepter une telle décision, c’est une preuve d’amour à l’égard de celui qui l’a prise. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Jacquemet, sur l’article.
Mme Annick Jacquemet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon l’article IV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».
La liberté, c’est celle de vivre, mais c’est aussi celle de mourir, notamment lorsque le corps ou la tête ne vont plus bien ou lorsque plus rien ne va…
Je sais bien qu’il existe un certain nombre de lois, nous les avons évoquées : la loi Leonetti de 2005, la loi Claeys-Leonetti de 2016.
Pour autant, les fins de vie auxquelles nous assistons sont parfois inhumaines. Voir nos proches se dégrader et vivre dans des corps qui ne répondent plus, qui souffrent et qui sont des plaies, ne pouvoir communiquer qu’avec les yeux, en étant impuissant, sans rien pouvoir faire pour les aider, c’est inhumain.
Je remercie nos collègues de présenter un texte qui propose une solution complémentaire à ce qui existe déjà.
Les débats sur ces sujets sont évidemment difficiles, mais j’espère sincèrement que notre assemblée s’offrira la possibilité d’échanger et que chacun pourra faire part de ses convictions et de ses expériences personnelles.
La dernière preuve d’amour qu’on puisse donner à quelqu’un qu’on aime, c’est de l’accompagner jusqu’au bout, c’est de respecter sa volonté et sa décision, même s’il est difficile d’accepter cette séparation. On peut parfois se demander s’il n’est pas un peu égoïste de refuser de voir partir les gens qu’on aime, car ils nous laissent face à un vide. C’est pourquoi j’espère que cette discussion aura bien lieu.
Monsieur le ministre, j’ai entendu vos propositions ; il est vrai que l’accompagnement de la fin de la vie et les soins palliatifs ne sont pas encore suffisamment développés dans notre pays. On parle beaucoup d’hospitalisation à domicile, mais, dans ce cas, les familles sont souvent seules face à leur malade alité toute la journée. (Applaudissements sur des travées du groupe UC, ainsi que sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mes chers collègues, nous avons de façon récurrente des débats sur la fin de vie et je suis très surprise que la France soit encore bien en retard dans ce domaine, compte tenu des attentes de bon nombre de nos concitoyens. Nous devons pourtant apporter des réponses humaines à des situations qui ne le sont pas.
Pendant des années, on nous a expliqué que la seule solution responsable et respectueuse de la vie et de l’éthique était la poursuite du développement des soins palliatifs et qu’il n’y avait pas besoin d’autre chose.
Puis, chemin faisant et les autres pays évoluant, les difficultés, les souffrances et les malheurs qui accompagnent certaines fins de vie ont conduit le législateur à voter la loi Claeys-Leonetti.
Cette loi constitue certes une avancée, mais elle n’est pas encore la réponse à la grande question que se posent nos concitoyens sur le droit de mourir dans la dignité. Cette question nous conduit aussi, finalement, à nous interroger sur nos principes fondamentaux : où commence et où finit la liberté de l’individu ?
Comme vient de le dire notre collègue, dans notre République, la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ou n’est pas contraire à l’intérêt général.
Quand quelqu’un fait le choix personnel de mettre fin à sa vie, en particulier quand il y a lieu de penser que sa maladie ne lui permettra de survivre, il ne lèse personne, que ce soit la société ou une personne physique ou morale. Permettre le libre choix est donc un principe de droit. C’est ce que prévoit cette proposition de loi et je félicite Mme de La Gontrie et le groupe socialiste d’avoir inscrit ce sujet important à l’ordre du jour de nos travaux.
Ensuite, il est important de faire vivre un autre principe, celui de fraternité, qui est fondé sur la dignité humaine. Quand une personne n’accepte pas l’idée de se voir décliner ou de donner à voir sa déchéance, elle doit avoir le droit fondamental de mettre fin à sa vie.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à voter cet article et cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – M. Xavier Iacovelli applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Mourir dans la dignité, c’est vivre collectivement dans la dignité et avoir l’assurance que, jusqu’au dernier souffle, la dignité que l’on a essayé de construire tout au long de sa vie sera respectée.
Je n’en dirai pas plus sur le fond parce que cette cause a été bien plaidée dans cet hémicycle, avec beaucoup d’humanité, nos collègues ayant, et c’est rare, parfois mêlé leur réflexion et leur expérience personnelle pour poser un acte politique et législatif. À cet égard, je remercie Marie-Pierre de La Gontrie, auteure de cette proposition de loi, de son argumentation.
Comme elle, j’en appelle à la responsabilité. Le Sénat est souvent perçu, à tort sur certaines questions, comme une vieille chambre, arrimée au passé. Or, au cours de son histoire, il a souvent fait preuve de courage et a été en pointe sur des sujets de société ou de mœurs, car il était moins soumis à la pression de l’opinion, qui pouvait souvent être hostile, au-delà de la raison, à certaines libertés ou à certains droits fondamentaux.
Aujourd’hui, nous pouvons renouer avec ce passé ou, à tout le moins, nous inscrire dans cette tradition de liberté du Sénat. Ce que nous demandons, c’est que le débat puisse avoir lieu de manière positive, avant que l’Assemblée nationale ne se saisisse à son tour de cette question. Pour cela, il ne doit pas être interrompu.
Si je le dis, c’est parce que je constate, connaissant bien notre hémicycle, que, finalement, ce sont les absents qui vont aujourd’hui décider pour les présents. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Ce débat ne sert à rien pour le vote final puisque la majorité n’étant pas dans l’hémicycle, nous ne pouvons pas échanger avec elle ou tenter de la convaincre.
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !
M. David Assouline. Pour conclure, j’en appelle à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, sur l’article.
M. Jean-François Longeot. À titre personnel, je voterai l’article 1er au nom de la liberté mentionnée dans notre devise : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Au nom de la liberté, nous devons avoir ce débat.
J’ai bien compris les arguments de ceux qui disent que nous disposons déjà d’outils. Néanmoins, je pense que nous ne pouvons pas sans cesse repousser le débat sur ce sujet compliqué, difficile, il est vrai. Ce débat de société questionne l’humain et nous touche personnellement, mais en notre qualité de parlementaires, nous devons être capables de prendre des décisions et de les assumer, même si elles sont très difficiles.
On a beaucoup parlé de Paulette Guinchard-Kunstler, qui était députée de la circonscription où se trouve la commune dont j’ai été maire. Il est vrai qu’elle n’était pas favorable au suicide assisté, auquel elle a finalement eu recours. C’est une leçon que nous devons méditer.
Aujourd’hui, je peux comprendre que certains veuillent repousser ce débat ou soient contre le suicide assisté, car ils ne sont pas personnellement confrontés à cette difficulté. En tant que parlementaires, il nous faudra prendre une décision à un moment donné. La liberté, c’est de choisir comment vivre, mais aussi de pouvoir mourir dans la dignité. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI, SER et GEST.)