Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La réforme en cours de l’éducation prioritaire ».
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Situation et devenir de l’économie sociale et solidaire
Débat organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, sur le thème : « Situation et devenir de l’économie sociale et solidaire. »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que l’auteur du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’économie sociale et solidaire, ou ESS, regroupe l’ensemble des structures économiques dont le statut, l’organisation, le fonctionnement et l’activité sont fondés sur les principes de la solidarité, de l’équité et de l’utilité sociale. Leur objectif est de favoriser la création d’emplois dans une perspective d’insertion ou de réinsertion, ainsi que d’une plus grande cohésion sociale.
Principalement constituées en associations, en mutuelles, en coopératives ou en fondations, les entreprises de l’ESS adoptent des dispositifs de gestion et de décision participatifs et démocratiques, avec un encadrement strict de l’utilisation des résultats financiers – pas de profit personnel, réinvestissement des bénéfices.
Comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nombre de nos concitoyens participent ou ont affaire à des entreprises de l’ESS sans s’en douter. Ce déficit de notoriété, auprès des citoyens comme des décideurs politiques, est bien l’un des soucis majeurs de ce qui peut être considéré comme un modèle économique alternatif et différent.
De plus, si certaines des entreprises de l’ESS répondent à ces principes originels, d’autres, au fil du temps, ont eu tendance s’en éloigner ou, a minima, à moins les brandir en étendard.
Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas d’une sorte de reproche, car toutes les entreprises de l’ESS partagent toujours ces principes, mais ces derniers ne sont souvent ni rappelés ni connus des nouvelles générations et de nombre de décideurs, la perte de reconnaissance amenant ainsi à une perte de connaissance.
Aussi, au travers de ce débat, souhaité par le groupe GEST, nous souhaitons mieux faire connaître ce que porte et représente l’ESS, alerter sur la fragilisation de ses structures pendant la crise sanitaire et sur sa place dans les plans de relance économique, et, enfin, formuler des propositions lui permettant de peser de tout son poids dans la perspective de la transition écologique, sociale et solidaire qui nous apparaît impérative.
Les différents acteurs de l’ESS se sont donc structurés peu à peu pour défendre et promouvoir ses valeurs et encourager son financement par la mise en place de partenariats, tant publics que privés.
En France, parmi les organisations les plus représentatives, on peut citer le Conseil national des chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, le CNCress, le Mouvement associatif, Coop FR, qui est le mouvement des coopératives, le Mouvement des entrepreneurs sociaux, ou Mouves, la Fédération nationale de la mutualité française, et j’en passe.
Le poids économique est de plus en plus significatif : 2,4 millions de salariés, dont 68 % de femmes ; 22 millions de bénévoles ; 222 000 structures labellisées ESS ; 10,5 % de l’emploi total ; 14 % des emplois privés ; 10 % du PIB ; 35 millions d’adhérents à une mutuelle de santé. Dans les territoires fragiles, elle représente 22 000 établissements et 161 000 salariés en milieu rural, ainsi que 10 000 établissements et 104 000 salariés dans les quartiers de la politique de la ville.
Le modèle le plus connu, celui de la coopérative, est une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement.
La coopérative est un des uniques modèles économiques qui permette réellement de concilier performance économique, respect de l’humain, gouvernante démocratique, création d’emplois durables et innovation.
Il faut noter le cas unique de Railcoop, une entreprise ferroviaire, et les expériences de coopératives créées par les travailleurs après une faillite ou un conflit social, comme Scop-Ti, producteur de thés à Gémenos, symbole de la pérennité des coopératives se substituant à des entreprises capitalistes classiques qui se mettent en faillite.
En 2018, quelque 22 600 entreprises coopératives en France emploient 1,3 million de salariés. La loi du 31 juillet 2014 relative à l’ESS, complétée en septembre 2016, est destinée à fixer et consolider les règles et la gouvernance de l’économie sociale et solidaire, ainsi que ses modes de financement. Elle ouvre notamment l’ESS aux structures à statut commercial, optant pour ses principes et intégrant des objectifs d’utilité sociale.
La loi prévoit en outre un dispositif d’agrément réactualisé dit « ESUS ». Elle marque la reconnaissance législative « d’un mode d’entreprendre différent ». Elle permet notamment de définir clairement une organisation nationale et régionale de l’ESS. Il apparaît essentiel de ne pas toucher à ce socle légal.
La crise sanitaire a vu, comme pour l’ensemble des acteurs économiques, les activités et les emplois de l’ESS fortement touchés, notamment dans les secteurs des services d’action sociale, de l’éducation et des services à la personne.
Le secrétariat d’État a mobilisé un fonds d’urgence de 30 millions d’euros pour les structures du secteur de moins de 10 salariés. Pour autant, plus globalement, d’après vos propres chiffres, madame la secrétaire d’État, l’ESS ne pèse que 1,3 milliard d’euros sur les 100 milliards d’euros du plan de relance, alors qu’elle représente un emploi sur dix et mobilise 22 millions de bénévoles.
J’en viens aux pistes pour le devenir de l’économie sociale et solidaire, que je tenais à mettre en avant.
La loi de 2014 apporte une reconnaissance des acteurs représentant l’ESS aux échelons régional, avec les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, les Cress, et national, avec ESS France. Elle a surtout fixé un certain nombre de dispositions essentielles à l’organisation de ces acteurs, et au développement, à l’identification et à la structuration territoriale du secteur.
Les financements de l’État, en contrepartie de ses missions, oscillent, selon la taille des Cress, entre 60 000 euros et 130 000 euros, soit à peine deux à quatre équivalents temps plein, ce qui ne leur permet pas de remplir correctement les missions légales qui leur sont confiées. Sans entrer plus dans le détail, il conviendrait de donner des moyens qu’elles n’ont pas actuellement aux chambres consulaires que sont les Cress, au même titre qu’aux chambres de commerce.
Toujours sur les financements publics, les crédits déconcentrés reçus de l’État sont relativement inchangés depuis 2014. Cette part est assez faible, et, surtout, il en résulte que les actions et projets au-delà du socle de missions communes varient fortement d’un territoire à l’autre.
Les Cress ont dû développer des relations avec les conseils régionaux. Cela représente l’avantage d’une meilleure adaptation territoriale, mais a pour conséquence de rendre difficile une consolidation à l’échelle nationale de leurs données, notamment dans l’analyse et la qualification des besoins des entreprises de l’ESS.
Nous jugeons indispensable un renforcement des crédits déconcentrés, pour assurer le financement de ce socle et ouvrir de nouvelles actions d’accueil, d’information et d’orientation permettant de consolider la qualification de la chaîne de l’accompagnement à l’échelle nationale.
Il est également nécessaire d’établir un état des lieux périodique du financement de l’ESS, qui en décrirait les caractéristiques et tendances, estimerait les besoins de financement futurs par famille et secteur, et, enfin, suggérerait les adaptations. Cet état des lieux requiert la mise à disposition par l’administration de données en open data.
Par ailleurs, il importe de garantir l’accessibilité aux dispositifs ouverts aux entreprises commerciales pour toutes les entreprises de l’ESS.
Il devient aussi urgent de rappeler aux décideurs publics que de nombreuses entreprises de ce secteur ne bénéficient pas forcément de l’agrément ESUS. Aussi, une vigilance particulière dans l’application des politiques publiques et la mise à disposition des fonds dédiés devrait s’exercer afin de s’assurer que ces entreprises parviennent réellement à bénéficier des aides ciblées.
Le mouvement associatif, acteur important de l’ESS, a souligné un fort taux de non-recours aux dispositifs de soutien mis en place, en raison non seulement de l’inadaptation de certains dispositifs, mais également de difficultés d’accès à l’information et du manque d’ingénierie pour la recherche et l’obtention de ces financements.
Pour y remédier, nous pourrions proposer le développement d’une cotisation foncière des entreprises, une CFE, propre aux entreprises de l’ESS gérée par les Cress. Par ailleurs, il pourrait être prévu dans les appels à projets une aide ou un financement permettant l’accessibilité dudit appel à projets à l’ensemble de ces structures.
Il apparaît aussi indispensable de restructurer les fonds propres des petites entreprises de l’ESS, en permettant aux associations dont l’activité dépend d’une tarification publique ou de subventions pour délégation d’action la mise en réserve d’une partie de leur résultat d’exploitation.
Au-delà, mieux financer l’innovation sociale doit être au cœur de notre réflexion. Nous pourrions par exemple envisager de favoriser la reprise d’entreprise, notamment dans le cas de départ à la retraite de l’employeur. Là encore, cela nécessiterait plus de moyens pour les Cress.
Enfin, pourquoi ne pas explorer de nouvelles pistes au travers d’un partenariat avec l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisi et confisqués, organisme qui gère les biens immobiliers confisqués par l’État dans le cadre d’une procédure pénale ?
Il s’agirait de mettre ces derniers à disposition d’associations reconnues d’intérêt général ou d’entreprises solidaires d’utilité sociale agréées à des fins de réutilisation sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Cathy Apourceau-Poly et Marie-Noëlle Lienemann, ainsi que M. Joël Bigot, applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le sénateur Benarroche, je souhaite tout d’abord remercier très sincèrement le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires de l’organisation de ce débat, ce soir, sur la situation et le devenir de notre économie sociale et solidaire.
Cela faisait plusieurs années que ce débat ne pouvait se tenir, et pour cause : il manquait un portage gouvernemental et une ou un ministre chargé de l’économie sociale et solidaire. Ce manque est comblé !
Il était légitime, je crois, de faire revenir l’économie sociale et solidaire à sa vocation première – vous avez mentionné 2014 et la loi pour l’ESS –, c’est-à-dire à l’économie, ce qui implique la tutelle de Bercy.
C’était d’autant plus important que la représentation de l’ESS au Gouvernement a quasiment coïncidé avec le début d’une crise sanitaire, qui s’est très vite muée en une crise économique, laquelle met encore à rude épreuve les structures de l’économie sociale et solidaire, comme le reste des entreprises conventionnelles.
En effet, cette crise inédite prive nombre de ces structures d’activité et les force à puiser dans leur trésorerie. Or nous savons bien que le modèle même de l’économie sociale et solidaire, qui repose sur un caractère lucratif limité, conduit à une fragilité structurelle des fonds propres de ces structures.
S’y ajoute un accès limité aux financements bancaires et publics. L’exemple symptomatique est bien sûr celui des petites associations employeuses, qui, d’un côté, subissent la réticence des banques, et, de l’autre, ne connaissent pas forcément les dispositifs d’aides de l’État ou estiment même parfois, voire trop souvent, qu’ils ne leur sont pas destinés.
C’est le premier chantier auquel j’ai souhaité m’atteler en arrivant l’été dernier à Bercy. Pour reprendre l’expression de M. le sénateur Benarroche, ce manque de connaissance, parfois même des acteurs publics, ce manque de reconnaissance, aussi, des acteurs de l’économie sociale et solidaire, m’ont conduit à répondre d’abord et avant tout à l’urgence, en luttant contre le non-recours.
Depuis juillet dernier, nous avons successivement mis en place un guide pour expliquer à l’ensemble des acteurs de l’ESS comment bénéficier des aides d’urgence, mis à jour l’ensemble des informations pour recenser tous les appels à projets du plan de relance qui concernent l’ESS, et fait en sorte, en septembre dernier, que le numéro vert permettant aux entreprises conventionnelles d’obtenir des réponses, que ce soit sur le fonds de solidarité, le prêt garanti par l’État, ou PGE, ou bien des exonérations fiscales et sociales, puisse aussi répondre aux questionnements de nos entrepreneurs sociaux et aux acteurs engagés dans l’ESS.
J’imagine le sourire goguenard que peut susciter l’évocation même d’un numéro vert, mais je connais aussi très bien la détresse de l’employeur qui ne trouve pas de réponses à ses questions.
J’ai donc non seulement souhaité que les services de l’État disposent des réponses susceptibles d’être posées par les acteurs de l’ESS, mais aussi très directement missionné mon cabinet, pour garantir aux acteurs des réponses à leurs questions, si tant est qu’ils ne les aient pas trouvées par les autres moyens mentionnés. Et je puis vous assurer que c’est le cas très souvent.
Depuis le début de la crise, je me mobilise, avec Bruno Le Maire, pour rappeler que les structures de l’ESS sont très simplement des acteurs économiques à part entière, et que, de ce fait, tout aussi simplement, elles sont légitimes à être éligibles à toutes les mesures de droit commun. C’est le cas aujourd’hui.
Je ne le sais que trop bien, les spécificités de l’ESS la rendent plus fragile, et les mesures de droit commun peuvent se révéler soit mal calibrées, soit insuffisantes, voire, je le répète, trop souvent méconnues par les structures mêmes de l’économie sociale et solidaire. C’est ce fameux non-recours contre lequel je me bats.
C’est pourquoi j’ai souhaité demander, lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, une hausse substantielle, de l’ordre de 30 %, des moyens alloués au dispositif local d’accompagnement, le fameux DLA, qui permet, dans nos territoires, de soutenir le recours des associations à des prestataires externes pour se développer et mieux répondre aux appels à projets.
C’est pourquoi, enfin, j’ai fait voter en collectif budgétaire, et vous l’avez mentionné, monsieur Benarroche, le fonds UrgencESS, doté de 30 millions d’euros, à destination des petites structures employeuses de l’ESS. Avec ce fonds, nous souhaitons toucher tous les acteurs, surtout ceux qui n’ont pas coutume de demander des aides publiques ou à qui elles ont été refusées.
Aussi, j’ai fait en sorte qu’il soit le plus simple d’accès possible. Il a été confié à un acteur que vous connaissez bien, et qui connaît bien les territoires, à savoir France Active. Il a un fonctionnement très simple : un guichet unique sur urgence-ess.fr ; un diagnostic simple individualisé, qui permet d’identifier les aides de droit commun auxquelles la structure peut prétendre ; une subvention allant de 5 000 à 8 000 euros en fonction des besoins, ainsi qu’un accompagnement renforcé par le DLA pour les structures éligibles.
Depuis le 22 janvier dernier, mesdames, messieurs les sénateurs, nous recevons chaque jour environ 300 demandes venant d’associations, de coopératives, d’entreprises sociales ou de structures d’insertion.
Ces chiffres reçus aujourd’hui témoignent d’un fort intérêt ces derniers jours : à la fin du mois de février, 7 373 structures avaient fait une demande sur le portail ; 4 534 dossiers sont en cours d’instruction, et, aujourd’hui, ce sont 1 600 dossiers qui sont déjà en cours de traitement pour cette aide d’une première tranche de 10 millions d’euros. Ce mouvement s’est enclenché en moins d’un mois.
Il est important de préciser que, pour les deux tiers, il s’agit d’acteurs qui n’étaient jusqu’à présent pas identifiés par France Active. Il y a ainsi des acteurs qui sollicitent des aides pour la première fois.
Il y a deux manières de considérer cette réalité : c’est à la fois un sujet d’inquiétude, car cela montre la grande fragilité de notre tissu économique social et solidaire, mais c’est aussi un motif relatif de satisfaction, parce que cela veut dire que ce combat contre le non-recours que nous menons commence tout juste à porter ses fruits.
Quoi qu’il en soit, j’entends poursuivre le travail pour que le « quoi qu’il en coûte » s’applique à l’économie sociale et solidaire.
À mon sens, la question n’est pas tant, pour le moment du moins, d’injecter de nouveaux millions ou même des milliards d’euros, que de faire en sorte que l’écosystème de l’économie sociale et solidaire utilise bien la somme de 1,3 milliard d’euros déjà disponible dans le plan de relance.
Comme vous l’avez rappelé, monsieur Benarroche, j’ai obtenu qu’une telle somme soit fléchée directement vers l’ESS, mais il faut aussi prendre en compte les 3,9 milliards d’euros de crédits destinés à des secteurs où l’ESS est particulièrement représentée, comme l’économie circulaire, les ressourceries, les recycleries, le secteur médico-social ou le soutien à l’emploi des personnes en situation de handicap.
Je crois profondément que l’ESS a un avenir, non pas juste pour elle-même, mais pour toute notre économie. Ce n’est pas le débat de ce soir, certes, mais force est de constater que les pratiques de notre économie sociale et solidaire sont en train d’essaimer dans notre économie. Nous le voyons sur la gouvernance, qui se démocratise, sur la limitation des profits, sur la prise en compte de l’impact écologique et social des activités économiques.
C’est cette influence que je souhaite aider l’ESS à valoriser. C’est d’ailleurs, et j’en terminerai sur ce point, la philosophie des contrats à impact que j’ai relancés au début de mon mandat. Il s’agit d’une nouvelle source de financement pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire. Aussi, je veux partager avec vous ce constat d’une véritable appétence pour ces contrats à impact, pour faire passer des projets à l’échelle de nos territoires.
Sur le premier que nous avons lancé, et qui concerne l’économie circulaire, nous avons reçu vingt-huit candidatures qui sollicitaient 72 millions d’euros. C’est pourquoi je suis en mesure de vous annoncer ce soir que j’ai décidé, avec l’Ademe, de tripler le montant des aides prévu dans ce premier contrat à impact, pour le porter à 30 millions d’euros.
Je conclurai sur cette note d’optimisme pour le devenir de l’économie sociale et solidaire. Certes, nous devons encore tout faire pour aider l’ESS à passer la crise. Toutefois, je partage avec vous, sincèrement, la conviction que l’économie sociale et solidaire nous aidera à nous dépasser par la suite.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Madame la secrétaire d’État, l’économie sociale et solidaire et l’économie circulaire sont fondées sur des valeurs qui se rejoignent et, souvent, se recoupent. La première vise un objectif d’utilité sociale, la seconde a pour objet d’optimiser l’utilisation des ressources naturelles afin de mieux les préserver. Qui peut prétendre que ces buts n’ont pas d’utilité sociale ?
La consommation durable se situe à l’intersection de ces modèles économiques. C’est sur ce point que je souhaiterais attirer votre attention, et plus particulièrement sur le reconditionnement des produits d’occasion.
Dans le cadre des débats autour de la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, le Gouvernement a avancé la possibilité d’assujettir les produits d’occasion reconditionnés à la redevance « copie privée ».
Cette taxe a été créée en 1985 pour compenser un manque à gagner des ayants droit sur les produits copiés. Si elle était appliquée, le secteur français de l’économie circulaire pourrait connaître une perte estimée à plus de 150 millions d’euros de chiffre d’affaires. S’il semble légitime de protéger la culture, cela ne doit évidemment pas mettre en péril l’emploi local ou les modes de consommation responsable.
En effet, l’économie circulaire a permis la création en France de plus de 5 000 emplois, notamment dans des entreprises du secteur marchand et des organisations solidaires intégrant des personnes en formation, en insertion, en situation de handicap.
En outre, le reconditionnement, c’est permettre de prolonger la durée de vie d’un produit et, partant, éviter d’utiliser davantage de matières premières afin de produire de nouveaux biens.
Enfin, reconditionner, c’est rendre accessible au plus grand nombre les nouvelles technologies de l’information et de la communication, puisque plus de 70 % des Français achètent régulièrement des produits d’occasion.
Madame la secrétaire d’État, au regard de ces implications, à la fois économiques et environnementales, la redevance pour copie privée sur les produits d’occasion reconditionnés est-elle vraiment pertinente ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Je vous remercie, monsieur le sénateur Gold, de souligner l’importance de la filière du reconditionnement. C’est en effet pour moi l’exemple même de ce que nous voulons faire en matière de croissance verte, c’est-à-dire une croissance fondée non seulement sur la baisse de notre empreinte carbone, mais aussi sur un emploi de proximité.
Le Parlement examinera bientôt, vous le savez, le projet de loi « climat et résilience », dont plusieurs dispositions vont précisément venir encourager les acteurs de cette croissance verte, que ce soit dans l’alimentation, le bâtiment ou, bien sûr, la réparation, avec l’obligation de mise à disposition de pièces détachées.
Dans ces conditions, je ne puis que vous confirmer le plein soutien du Gouvernement à ce secteur du reconditionnement. Quelques start-up françaises s’y affirment de plus en plus, et il faut, je crois, s’en féliciter, parce que cela montre que l’économie circulaire est un vrai marché pourvoyeur d’emplois.
Cependant, je tiens tout de même à rappeler que le reconditionnement permet de faire travailler bon nombre d’entreprises de l’ESS, notamment des entreprises d’insertion, qui sont d’ailleurs souvent sollicitées par ces nouvelles plateformes.
L’enjeu est de taille, comme vous l’avez rappelé. L’électronique reconditionnée pourrait créer dans les années à venir plus de 20 000 emplois, sachant que, pour chaque téléphone reconditionné, c’est l’équivalent de 30 kilogrammes de CO2 évités.
À l’heure actuelle, je crois que le débat est essentiellement juridique. Il s’agit en réalité de savoir si un portable reconditionné est mis sur le marché ou remis sur le marché, ce qui est le premier déterminant de la redevance « copie privée ».
C’est la question qu’il faudra trancher et sur laquelle les réflexions, à cette heure, sont encore en cours. Mon cabinet suit évidemment cela de très près. J’ai aussi, bien évidemment, mon opinion personnelle, mais vous comprendrez aisément, au risque de finir par une pirouette, qu’en tant que secrétaire d’État à l’économie sociale et solidaire je me devrai d’être solidaire de la position qu’adoptera finalement le Gouvernement sur cette question, dont je maintiens qu’elle est essentielle.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mes chers collègues, à notre tour, nous remercions nos amis écologistes d’avoir mis ce sujet à l’ordre du jour.
L’économie sociale et solidaire est touchée par la crise, comme bien d’autres secteurs. Mais, d’une certaine façon, elle constitue une voie de sortie de cette crise. C’est dans cet esprit, je le crois, que nous pouvons tous nous mobiliser.
Si notre économie a besoin de ce pilier de l’économie de marché qu’est l’entreprise privée, ainsi que des entreprises publiques ou d’une intervention publique forte, elle a également besoin de ce tiers secteur qu’est l’économie sociale et solidaire.
J’ai bien entendu, madame la secrétaire d’État, votre argumentaire consistant à dire que les crédits destinés à l’ESS ne se résument pas à ceux qui figurent dans le plan de relance.
Dans le peu de temps qui m’est consacré, je voudrais insister sur le système des coopératives, qui peut représenter un levier intéressant pour la réindustrialisation de notre pays que nous souhaitons.
Par exemple, les médicaments que l’on n’arrive plus à produire, parce que leur rentabilité est faible, pourraient être fabriqués, comme aux États-Unis paradoxalement, par les réseaux de coopératives, sous la forme de sociétés coopératives d’intérêt collectif, les SCIC, avec l’intervention des collectivités publiques et, pourquoi pas, dans certains cas, de certains hôpitaux.
Des secteurs de production coopératifs seraient ainsi constitués, qui dégageraient des profits uniquement pour faire vivre l’outil productif. Nous pourrions créer un vrai réseau de reconquête des médicaments, dont une partie des principes actifs aujourd’hui ne sont plus suffisamment « rentables » pour les grandes entreprises multinationales.
On peut aussi penser que va se poser un énorme problème de reprise d’entreprises, un certain nombre de dirigeants choisissant d’accélérer leur départ à la suite du choc que nous sommes en train de vivre. Madame la secrétaire d’État, je vous rappelle que la loi de 2014 avait créé de nouveaux outils permettant un portage lissé, parce que la rentabilité n’est pas tout de suite au rendez-vous après une reprise. Il était également question d’informer au bon moment les salariés, pour qu’ils puissent préparer le projet de reprise.
Pour résumer mon propos, il nous apparaît important de faire des SCIC des acteurs de la réindustrialisation et d’accélérer et améliorer les reprises après consultation des salariés à travers des sociétés coopératives et participatives, des SCOP. Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement est-il prêt à s’engager sur ces deux sujets ?