M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’épidémie est encore là ; elle nous oblige à la plus grande vigilance, tant dans notre vie quotidienne que dans les analyses et les jugements portés, lesquels ne sauraient être définitifs. L’heure n’est pas encore au bilan, même s’il n’est jamais trop tôt ni trop tard pour tenir un débat démocratique.
Voilà un an, le virus était encore très largement un mystère à percer, une menace abstraite, un risque mal défini. Aujourd’hui, c’est un ennemi mieux identifié, qui a sévi partout dans le monde – j’y insiste –, provoquant plus de 80 000 morts dans notre pays. Nous faisons donc face à une épidémie évolutive, que nous suivons chaque jour, heure par heure, sur laquelle les connaissances, elles aussi, évoluent sans cesse, tout comme évoluent les outils qui nous permettent de lutter, avec toujours plus d’efficacité, contre ce virus.
Je salue une nouvelle fois tous ceux qui se mobilisent depuis de longs mois, sans compter leur temps ni leur énergie. Tout notre système de santé a été mis en tension, comme jamais auparavant ; toutes les structures économiques et sociales de notre pays ont été bouleversées ; tous les Français ont dû apprendre à vivre autrement, pour éviter le pire.
Il a été question de première ligne, de deuxième ligne, de troisième ligne. Ce qui est sûr, c’est que nous vivons une épreuve collective majeure, une épreuve inconnue de notre génération – de la mienne, de la vôtre –, une épreuve qui n’épargne personne et qui demande à chacun des efforts et même des sacrifices.
Une crise, c’est une perte de contrôle, c’est un événement qui surgit, qui prend de court, qui nous dépasse d’abord et auquel nous nous adaptons ensuite.
Aujourd’hui, nous avons davantage de solutions pour combattre l’épidémie et nous avons repris sur elle un contrôle relatif. La vaccination est un espoir formidable, un outil aussi puissant qu’inespéré il y a encore quelques semaines. Toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, des variants apparaissent déjà, qui se développent aux quatre coins du monde, qui posent de nouvelles questions, de nouvelles difficultés, de nouveaux défis et qui peuvent mettre à mal notre stratégie. Bien malin qui, ici, serait capable de dire avec certitude quels défis nous posera encore le virus dans les semaines et les mois à venir, n’est-ce pas ?
Churchill avait pour coutume de dire qu’un bon politicien était celui qui était capable de prédire l’avenir et qui pouvait, par la suite, expliquer pourquoi les choses ne s’étaient pas passées comme il l’avait prédit.
M. Olivier Paccaud. Très bon !
M. Olivier Véran, ministre. Eh bien, je pense que les prédictions n’ont jamais été d’une grande aide dans la conduite des politiques publiques en cette matière. Nous devons rester modestes et considérer que des choses nous échappent aujourd’hui, pour lesquelles nous aurons demain des réponses, car, heureusement, nous les aurons.
À ce jour, à l’heure même où nous parlons, nous disposons de temps intermédiaires, mais la ligne d’arrivée n’a pas été franchie. Le travail d’analyse doit impérativement tenir compte de cette donnée. Pour autant, ce travail est indispensable et nous devons préparer ensemble notre système de santé pour demain. On appelle cela « tirer les enseignements » ; c’est notre responsabilité.
Des engagements forts ont déjà été pris, par exemple avec le Ségur de la santé, qui répondait à des revendications anciennes et légitimes formulées par les soignants. Nous avons revalorisé, dans des proportions inédites, les métiers du soin ; nous avons investi comme jamais, pour donner à l’hôpital public les moyens d’affronter tant le quotidien que des épreuves de grande ampleur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis engagé dans la gestion de cette crise sanitaire depuis la première minute de ma prise de fonction. Dans quelques jours, cela fera un an que j’ai été nommé ministre des solidarités et de la santé. Par temps calme, ce ministère n’est pas comme les autres, puisqu’il touche à ce que chacun a de plus précieux : sa santé et celle de ses proches. Dans la tempête, ce ministère cristallise les attentes, les espoirs, les angoisses de tout un pays.
En franchissant les portes du ministère, je savais que ma responsabilité serait immense et, chaque jour, j’ai mesuré ces attentes, ces espoirs et ces angoisses. Je n’ai pas commenté en différé. J’ai agi en temps réel et l’intérêt général a été ma seule boussole. (M. François Patriat applaudit.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Angèle Préville.
Mme Angèle Préville. Monsieur le ministre, si la réponse à l’urgence peut, par essence, être imparfaite, des leçons durables auraient dû être tirées de la crise. Les choix politiques, les égarements stratégiques n’ont pas été assumés ; nous le regrettons.
L’ampleur du choc ressenti par notre pays depuis bientôt un an est inédite. Nous faisons face à un bilan humain sans précédent et à une urgence sanitaire et sociale. Le début de crise a été marqué par un manque d’anticipation, une absence de prise de décision et une accumulation des dénis.
La première défiance est la vôtre, monsieur le ministre, c’est une défiance à l’égard des Français, pointés du doigt comme de mauvais élèves peu respectueux des consignes, accusés d’emblée d’être de potentiels vecteurs de la maladie au comportement insouciant. Ce qui en résulte en retour – principe de réaction –, c’est de la défiance, accentuée par l’incompréhension de vos mesures.
Nous nous inquiétons du fait que les leçons peinent à émerger, car la vulnérabilité de notre société a été mise à nu. Or la gestion de crise a été concentrée entre les mains de l’exécutif, dans une certaine forme d’opacité, par le truchement du conseil de défense. Aujourd’hui, elle accuse le coup de sa verticalité : notre démocratie a été mise à mal.
La stratégie des masques, des tests et des vaccins n’a clairement pas été à la hauteur. Nous avons l’impression persistante d’être toujours en retard.
Ma question porte sur l’expertise et sur le rôle du conseil scientifique mis en place à la hâte. N’aurait-on pas dû avoir d’entrée de jeu une instance autonome, pérenne, multidisciplinaire, indépendante, dotée de moyens importants et capable de faire face aux crises à venir, dépassant le strict champ des pandémies, comme des événements climatiques ou des accidents industriels ? C’est l’une des propositions du rapport de la commission d’enquête.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, on pourrait disserter longtemps pour savoir si une crise s’anticipe. Par définition, si une crise est anticipée, il y a moins de risques qu’elle survienne…
La crise a éclaté en France, dans toute l’Europe, dans le monde entier. On peut donc considérer qu’il y a peut-être un facteur qui échappe aux politiques publiques et aux particularités inhérentes à un pays. Vous en conviendrez, quand une crise éclate – par définition, il était impossible de l’anticiper, surtout si elle est mondiale –, les réactions que l’on doit avoir, les décisions que l’on doit prendre ne peuvent reposer sur l’anticipation de ce que l’on pourra décider dans un mois.
Aussi, j’ai souhaité avoir un comité scientifique ad hoc pour éclairer les décisions de politique publique et répondre à des questions qui surgissaient au jour le jour, heure après heure : et, oui, ce conseil a été mis en place à la hâte. Néanmoins, si l’on ne prend pas des décisions à la hâte quand on gère une crise, madame la sénatrice, alors on ne gère pas une crise.
J’en viens à la question démocratique. Je le dis sans aucune forme de critique : je suis profondément respectueux, j’allais dire presque amoureux du Parlement. J’ai été parlementaire, j’aime le Parlement pour ce qu’il est capable d’apporter. J’aime profondément la démocratie et je suis très attaché au fait que celle-ci survive même dans les périodes de crise.
C’est ainsi que ce débat correspond à ma vingt-quatrième convocation par une chambre parlementaire – Assemblée nationale ou Sénat – depuis onze mois que je suis ministre. J’y réponds bien volontiers et je vous remercie d’ailleurs de cette convocation, qui s’ajoute aux nombreuses séances et examens de textes traitant de la crise sanitaire. Par conséquent, je n’ai pas l’impression que la démocratie a été confisquée ; je pense même avoir passé presque plus de temps au Parlement comme ministre que comme député auparavant… (Sourires.)
Pour autant, je comprends parfaitement les remarques qui peuvent être formulées sur l’enjeu démocratique en période de crise. Là encore, on pourrait disserter longtemps sur ce sujet. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour la réplique.
Mme Angèle Préville. Monsieur le ministre, vous n’avez pas bien compris ma question. Je vous demandais s’il n’aurait pas été intéressant d’avoir, d’emblée, une instance déjà prête à répondre à toutes les crises auxquelles nous allons peut-être être confrontés à l’avenir.
Évidemment, le conseil scientifique a été créé à la hâte, ai-je dit, parce qu’il n’y avait rien auparavant. Parce que nous aurons à l’avenir – espérons que non… – à faire face à d’autres crises importantes – événements climatiques ou accidents industriels –, avoir, d’emblée, comme cela existe dans d’autres pays, notamment anglo-saxons, une instance multidisciplinaire comptant des scientifiques prêts, quasi à la seconde, à répondre,…
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Angèle Préville. … aurait peut-être été intéressant. (Mme Catherine Deroche applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Martine Berthet. Nous l’avons tous constaté dans nos territoires, dès le mois de février 2020, la distribution de masques et d’autres équipements de protection individuelle aux professionnels de santé de ville a cruellement péché. Le même constat a été dressé en ce qui concerne la vaccination et les tests de dépistage, qui n’ont pu se faire de façon massive que grâce à l’intervention des collectivités locales.
Le manque d’anticipation constaté, les difficultés logistiques, l’absence de prise en compte du secteur de ville, ont mis en évidence la nécessité d’une territorialisation de la prise en charge sanitaire de nos concitoyens. Cette territorialisation est attendue de tous – élus et professionnels de santé – dans nos territoires.
Les rapporteurs de la commission d’enquête ont ainsi formulé plusieurs propositions à propos de la gouvernance des ARS, le redéploiement de moyens humains et financiers vers les délégations départementales de ces agences, auxquelles doivent être attribuées des compétences propres, comme du lien avec les élus locaux.
Par ailleurs, la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé a créé les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui ont pour rôle de coordonner les professionnels d’un même territoire souhaitant s’organiser autour d’un problème de santé. Or, malgré un objectif de 1 000 CPTS établis en 2022, très peu de structures de cette nature ont déjà été mises en place.
Si je me réfère à ce qui se passe dans le département dont je suis élue, les ARS ne semblent pas avoir été investies de cette mission. Quant aux quelques CPTS existantes, elles n’auraient pas été sollicitées dans la gestion de la crise et ne le sont toujours pas pour la vaccination anti-covid.
Pourtant, les CPTS pourraient contribuer à une organisation fine du « dernier kilomètre ». Elles pourraient également permettre la déclinaison, à l’échelon local, d’un plan pandémie coordonné avec les élus des collectivités territoriales, sous la responsabilité du délégué départemental de l’ARS, comme cela est suggéré dans le rapport.
Monsieur le ministre, qu’en est-il de la mise en œuvre de cette territorialisation de la santé, notamment au travers des CPTS et des délégations départementales des ARS, attendue de tous ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, la crise aura eu – pardonnez-moi l’expression, dont j’ai presque honte – quelques vertus structurantes pour le système de santé.
Je pense à l’accélération de la télémédecine – on est passé de 10 000 à 1 million de téléconsultations par semaine. Je pense aussi au déploiement très rapide des CPTS dans les territoires ; vous en avez parlé et vous avez raison : partout où elles se trouvent, ces communautés font l’unanimité des soignants, des usagers et des élus, fait suffisamment rare pour être souligné. Je pense encore au déploiement des services d’accès aux soins (SAS) – j’ai sélectionné vingt-deux projets, qui sont en train de se développer pour les soins non programmés. Je pense enfin à l’accroissement de la coopération entre le secteur public et le secteur privé, entre la médecine de ville et la médecine hospitalière, entre le médico-social et le sanitaire, et à l’accélération du déploiement de la médicalisation de la gouvernance dans les Ehpad.
Ainsi, énormément de choses ont changé, ont bougé et les gens se sont plus parlé.
Pour ce qui concerne les ARS, le volet départemental avait commencé à se renforcer, avant que je ne sois ministre, avec des recrutements de délégués départementaux. Le Premier ministre a annoncé vouloir muscler cet échelon départemental, afin qu’il soit encore plus proche des territoires.
Je constate également, avec plaisir, que les liens entre les ordres médicaux, les syndicats médicaux, les représentants du monde hospitalier et les élus locaux se sont renforcés. Par exemple, pour la vaccination, dans tous les départements se trouvent des comités de pilotage départementaux. Je m’entretiens régulièrement avec un certain nombre d’entre eux, j’étais ainsi virtuellement avec celui du Gers hier ou avant-hier matin. Je vois donc que les gens se parlent davantage, qu’ils structurent des projets.
Nous devons nous appuyer sur cette dynamique et je n’aurai de cesse que de simplifier les procédures et de donner davantage d’autonomie aux acteurs dans les territoires.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. La covid-19, qui continue de progresser sur notre territoire, a causé la mort de nombreux Français. J’ai une pensée pour eux et pour leurs proches.
Malgré les difficultés, notre système hospitalier a tenu bon grâce au dévouement de nos soignants, auxquels je veux rendre hommage.
L’ensemble des services de l’État, tout comme les collectivités territoriales, sont mobilisés depuis le début de cette pandémie afin de protéger au mieux nos concitoyens. Face à un virus inconnu et mutant, la tâche est loin d’être simple.
Nos territoires n’ont pas été touchés par la maladie en même temps ni avec la même intensité. Les ARS n’auront donc pas été confrontées aux mêmes réalités.
De nombreux élus locaux ont eu le sentiment que ces agences n’étaient pas suffisamment proches du terrain. De manière plus générale, un sentiment de déconnexion de l’administration a été partagé, notamment par ceux qui ont à appliquer des protocoles sanitaires destinés aux établissements recevant du public, comme les écoles ou les commerces. Ces documents ont fait l’objet de nombreuses modifications et se révèlent parfois trop éloignés des réalités matérielles pour être applicables.
Une association plus étroite des collectivités territoriales aurait pu sans doute lever quelques difficultés.
Aussi, monsieur le ministre, ma question est simple : pensez-vous que rapprocher l’administration du terrain et mieux associer les élus locaux à l’action des services de l’État soit nécessaire et utile ? Comment comptez-vous procéder concrètement pour améliorer la situation ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, nous étions ensemble voilà deux jours à Melun, où nous avons visité le centre de vaccination. Vous y avez vu comme moi un délégué départemental, un directeur général d’ARS, un préfet de département, un maire, un président de conseil départemental – la région Île-de-France ne s’était pas fait représenter – et des parlementaires : tous ceux qui étaient présents travaillent ensemble, se sont mis à structurer ensemble des centres de vaccination et se parlent.
Des divergences existent parfois entre les critiques que l’on peut entendre à l’échelon national, les craintes que cela ne se passe pas bien dans les territoires et la réalité de terrain. Pour rouler ma bosse dans les territoires, je peux vous dire que, partout où je vais, je vois coordination et entente.
Hier, j’ai réuni le cinquième comité d’élus sur la stratégie vaccinale et la prise en charge de l’épidémie, lequel associe Régions de France, l’Assemblée des départements de France (ADF), l’Association des maires de France, France urbaine, l’Union nationale des centres communaux ou intercommunaux d’action sociale (Unccass) et d’autres associations d’élus locaux. Nous avons mis en place les cellules départementales et régionales de pilotage. Les gens travaillent ensemble.
Il est vrai que tout n’est pas homogène : il y a toujours des régions où les choses traînent un peu, un département où la situation est un peu plus compliquée ou des relations entre un directeur et un préfet qui vont être un peu plus complexes qu’ailleurs. Pourtant, partout, je sens l’envie d’arriver à travailler en cohérence et en convergence.
De ce point de vue, je suis plutôt favorable à une décentralisation et à une déconcentration. Dès lors que les gens ont compris qu’il y avait intérêt à agir ensemble et que les conditions leur permettant d’agir ensemble étaient réunies, l’intervention de l’État est satisfaite.
C’est sur cette coopération étroite dans les territoires que nous devons nous appuyer pour mener d’autres politiques de santé, même en dehors de toute crise.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.
Mme Colette Mélot. Monsieur le ministre, je vous remercie encore d’être venu au centre hospitalier de Melun lundi dernier.
J’entends vos propos, mais la situation n’est évidemment pas la même dans tous les territoires. Certains se sont sentis démunis.
Je veux mettre l’accent sur les protocoles sanitaires. Imposés par l’administration, ils n’ont souvent pas été en adéquation avec le terrain, mettant certains élus locaux en difficulté.
C’est sur ce rapprochement entre l’administration et les élus locaux que je voulais insister.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le ministre, je veux d’abord m’excuser de sortir un peu du cadre du présent rapport pour évoquer davantage la question de la gouvernance, qui me semble essentielle.
En prenant quelques instants pour regarder comment nos voisins gèrent la pandémie depuis un an, on constate rapidement qu’aucune démocratie ne fonctionne avec une aussi grande verticalité que la nôtre. Ce qui était acceptable il y a un an est devenu insupportable aujourd’hui.
Je rappelle brièvement que, après être allé au théâtre pour rassurer les Français au début du mois de mars dernier, le Président de la République a décidé, huit jours plus tard, sans aucun cadre légal, de confiner le pays. Nous ne lui tenons pas rigueur d’une décision qui s’imposait et que nous avons d’ailleurs validée a posteriori, mais je mobilise cet exemple pour préciser que notre politique de gestion de crise ne peut plus relever du seul chef de l’État.
L’exemple du confinement avorté, qui, voilà quinze jours, a pris par surprise jusqu’au Premier ministre, est une nouvelle illustration de cette situation délétère.
Ce manque de visibilité est aussi pesant et usant pour nos concitoyens que les mesures de restriction de liberté.
Que faire face à cette crise, qui est, hélas, partie pour durer ? Il me semble que l’Afrique du Sud, pays pourtant très durement touché par le virus, a pris le temps d’élaborer un mode de gouvernance intéressant : en lien avec le Parlement, le gouvernement a mis en place un barème comprenant cinq niveaux d’alerte progressifs, similaire à notre barème Vigipirate. Chaque niveau correspond à un certain nombre de mesures de distanciation et de restriction de la liberté de mouvement et d’activités. Le changement de niveau est activé par le gouvernement sur la base de critères objectifs : circulation du virus, nombre de décès, niveau d’occupation des hôpitaux, avec, bien sûr, une possibilité de territorialisation.
Monsieur le ministre, qu’est-ce qui empêche le Gouvernement de travailler sur un dispositif semblable et, en tout cas, de travailler sur le temps long et sur l’adaptation dont vous avez parlé ? Cela permettrait de donner de la visibilité aux Français et aux Françaises, aux élus locaux et aux entreprises et, surtout, de renforcer l’acceptabilité des mesures et de soulager notre démocratie.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Guillaume Gontard, en gestion de crise, il faut distinguer la préparation de la décision de sa formalisation.
En pratique, la préparation des décisions est collégiale. Y participent les scientifiques, les élus, dans le cadre du comité d’élus, auquel vous avez vous-même participé à plusieurs reprises, avec le Premier ministre – j’y étais également. Après le temps de l’expertise sanitaire vient celui des discussions interministérielles. À la fin, il faut bien qu’une décision soit prise.
Conformément à sa mission régalienne, le chef de l’État engage sa responsabilité et prend les décisions, mais cela ne veut pas dire qu’il décide seul. S’il prend seul la décision formalisée, celle-ci fait suite à des concertations. Je peux d’ailleurs vous dire que je passe beaucoup de temps à y participer ; heureusement, du reste, car ces concertations sont très importantes !
Je comprends la volonté de procès politique, que je vois émerger dans une partie de la gauche depuis quelques semaines, à l’encontre d’un homme qui déciderait tout seul.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Il n’a rien compris…
M. Olivier Véran, ministre. Cela ne traduit absolument pas la réalité ni l’effort de transparence qui est fait tous les jeudis avec les ministres et le directeur général de la santé pour expliquer les choses, communiquer, en toute transparence, sur les graphiques et les données chiffrées, mais aussi s’attacher à ce que les Français saisissent les enjeux. Je crois, d’ailleurs, qu’ils les comprennent.
Vous parlez d’indicateurs, de seuils. Nous en avons créé à plusieurs reprises. Nous avons défini des zonages. On nous a successivement reproché d’avoir défini trop de zones rouges, puis pas assez, d’avoir opté pour une réponse trop uniforme, puis trop territorialisée. Ce n’est pas grave ! La critique fait aussi progresser. Pour l’heure, rien ne nous permet encore de dire quelle sera la situation dans un mois.
Monsieur le sénateur, juste avant que vous me posiez votre question, j’ai regardé, comme je le fais tous les jours à la même heure, la publication des chiffres de l’épidémie du jour par Santé publique France. Quand ce débat sera terminé, je pourrai enfin prendre connaissance du taux de saturation des services de réanimation par région et voir s’il augmente dans un département. Le cas échéant, je regarderai si cette hausse s’explique par la présence d’un variant. J’appellerai alors les autorités locales pour savoir s’il y a un cluster ou s’il s’agit plutôt d’une diffusion départementale. Dans cette dernière hypothèse, nous nous demanderons si cette diffusion peut nécessiter que soient prises des décisions touchant les politiques publiques.
Tel est notre quotidien depuis un an, monsieur le sénateur. La réactivité est absolument indispensable.
Vous avez raison : la transparence et des règles claires sont nécessaires. La Constitution impose que nous assumions des décisions. En revanche, il faut nous laisser cette réactivité.
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Je remercie tout d’abord les rapporteurs de l’excellent travail de la commission d’enquête, qui répond tout à fait à ce que nos concitoyens attendent de notre assemblée.
C’est dans l’esprit des chartes de confiance en matière d’événements sanitaires indésirables qu’il convient de tirer certaines leçons de la pandémie de covid-19. Nous ne demandons pas de prévoir l’imprévisible, car nous ne souhaitons pas une vie sans imprévu. En revanche, il convient que la société soit agile et réactive face à toute situation inattendue et que nous soyons dotés de la capacité de répondre aux crises, surtout lorsque celles-ci touchent l’ensemble de la population.
La résolution d’une crise, ce n’est pas le retour en arrière. Ce n’est pas non plus une révolution : on sait très bien que, après avoir viré à 360 degrés, on se retrouve généralement à la même place… Ce doit être le départ d’une nouvelle organisation, qui tire les conséquences de cette crise : après ne sera plus comme avant.
La santé est un tout. Le bien-être physique, psychique et social des individus nécessite une parfaite harmonie entre le médico-social et le sanitaire. Les doubles tutelles sont un handicap pour cette harmonie. Monsieur le ministre, en tirerez-vous les leçons pour rassembler ces compétences ? Il en est de même des relations entre ARS et préfet. Comptez-vous unifier l’autorité de l’État pour éviter les atermoiements en cas de crise ?
Nous avons également mesuré l’implication des collectivités dans les réponses apportées. Quand viendra la loi 4D pour libérer les énergies et les savoir-faire des territoires ? Son intitulé est passé de 3D à 4D. Il ne faudrait pas que l’on en revienne à 3D : désillusion, déception, désespérance. (M. le président de la commission d’enquête sourit.)
Enfin, trop de communication tue la communication. Il serait tellement plus clair de savoir quelle est la seule autorité scientifique ayant légitimité à s’exprimer, afin que la communication du Gouvernement se fasse dans la clarté et la transparence, comme je vous l’ai déjà demandé pour la stratégie vaccinale.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Je répondrai d’abord à votre dernière question, monsieur le sénateur.
Vous imaginez bien que je n’ai ni la légitimité, ni le pouvoir, ni même l’envie de déterminer quels sont les scientifiques qui sont habilités à s’exprimer. La liberté de la parole est totale. Ceux qui prennent la parole sont des chercheurs dans la plupart des cas. Certains, en responsabilité, ont une expression qui est à la fois mesurée, ordonnée et conforme aux données de la science, d’autres non, mais notre État ne censure pas ses scientifiques et ses médecins.
Je reconnais bien volontiers que ces communications extrêmement fournies, fouillées, détaillées ne sont pas toutes opportunes : elles me pénalisent tout autant que vous, monsieur le sénateur, ou que les citoyens, qui n’y comprennent plus rien lorsqu’ils voient des blouses blanches affirmer d’un jour à l’autre tout et son contraire sur les plateaux de télévision, et ce avec la même conviction.
Sur l’organisation des structures de l’État dans les territoires, la loi est très claire. En cas de crise épidémique ou de crise sanitaire, l’ARS conduit les politiques de santé dans les territoires sous la responsabilité du préfet. Cette organisation a été mise en place par la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), qui a été votée par le Sénat en 2009.
Une sénatrice a déclaré qu’il fallait confier la gestion de crise au ministère de l’intérieur. Le ministère de l’intérieur sait gérer des crises qui sont propres à la sécurité publique. L’armée est à même de gérer un certain nombre de crises qui relèvent aussi des missions régaliennes.
La question de logistique, y compris du secteur privé, relève de la compétence de tout l’État – on me le reproche suffisamment.