M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Vaugrenard, je ne reviendrai pas sur les constatations que vous venez de faire : je vous ai répondu par anticipation excepté sur un point, à savoir l’intervention des États-Unis.
Pour ce qui concerne le Sahel, sujet sur lequel je me concentre aujourd’hui, les relations que nous devons entretenir avec les États-Unis sont de plusieurs natures.
Tout d’abord, il y a le soutien militaire aux opérations conduites par Barkhane. La ministre des armées l’a évoqué ; j’en ai également parlé. Les Américains nous secondent dans les domaines du transport, du ravitaillement en vol et du renseignement par drone.
Cette présence est très importante pour l’opération Barkhane, et je n’ai pas le sentiment qu’elle sera remise en cause. Tel a pu être le cas sous la précédente administration américaine : à plusieurs reprises, on a perçu la tentation de retirer ce soutien, qui est assez modeste pour les États-Unis – il représente 0,0035 % du budget de la défense américaine –, mais qui est essentiel. Les conversations que j’ai pu avoir avec Antony Blinken et les entretiens de la ministre des armées avec son propre homologue nous laissent à penser que ce soutien va se poursuivre.
Ensuite – ce point n’est pas secondaire –, il y a le rôle du Conseil de sécurité. Je pense en particulier aux opérations de la Minusma. Elles supposent une décision du Conseil de sécurité, renouvelée tous les ans. Or nous avons parfois eu des difficultés à obtenir cette validation, le risque d’un veto américain planant sur cet engagement.
Nous allons de nouveau mener ces discussions avec les autorités américaines, puisque la décision de renouvellement doit être prise au mois de juin prochain. Nous devons donc nous préparer pour apporter, au-delà du réengagement de la Minusma, un soutien logistique et financier à la force conjointe en inscrivant cette dernière sous le chapitre VII. Ce faisant, on pourrait assurer dans la durée le financement de cette force, ce qui serait une avancée très significative. Telle est la démarche dans laquelle nous nous inscrivons pour seconder le mécanisme européen de financement.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
M. Gérard Longuet. Sur le fond, avec autorité, avec gravité, mais avec mesure, Christian Cambon et Bruno Retailleau ont exprimé le point de vue du groupe Les Républicains. J’y adhère totalement.
Madame le ministre des armées, à quel niveau de participation européenne estimez-vous que la force Takuba représentera une véritable coopération de pays volontairement et profondément associés à notre effort, afin que la France ne soit pas seule ? Ces participations sont significatives et courageuses, mais elles restent très minoritaires. Elles doivent traduire un signal fort : celui du soutien européen à notre opération Barkhane, laquelle s’étend à toute une région africaine.
Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, je souhaite connaître votre position à l’égard de trois grands pays dans le cadre du Partenariat pour la stabilité et la sécurité au Sahel (P3S). Je pense à la Turquie, présente en Libye – vous l’avez évoqué –, au Soudan, en Somalie ou encore à Djibouti. Voulez-vous l’associer, pour la mettre au défi de prendre ses responsabilités, au-delà du simple discours idéologique ? Je vous pose la même question s’agissant de la Russie, curieusement passionnée par la RCA, et de la Chine, présente partout économiquement, absente politiquement.
Enfin, Joe Biden constitue-t-il, à vos yeux, une espérance, une inquiétude ou un prolongement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Pour ce qui concerne la Turquie, la Chine et la Russie par rapport au Sahel – je me limite à cet espace –, je suis d’abord vigilant, en particulier s’agissant de l’ensemble des réseaux d’information – je ne cite personne. Il est nécessaire de les informer très honnêtement de ce que nous faisons, pour une raison simple : certains d’entre eux siègent au Conseil de sécurité, lequel a validé la Minusma, ainsi que notre propre engagement.
Enfin, nous prenons des précautions sur les projets de développement, qui peuvent parfois aboutir à un déséquilibre financier des pays qui en sont bénéficiaires. Je constate toutefois que, en ce moment, aucun de ces trois États n’est vraiment présent au Sahel en matière d’aide au développement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, il est difficile de répondre de façon arithmétique à votre question. Ce sujet ne se résume pas à un chiffre.
Pour que Takuba fonctionne bien, il faut remplir certaines conditions.
Tout d’abord, il faut qu’il y ait des forces maliennes disponibles, car ce sont elles que nous accompagnons au combat. Cela renvoie à la réponse que j’ai déjà faite : pour que ces forces soient disponibles en nombre croissant et de façon permanente, il faut s’assurer que les forces armées se restructurent, pour disposer de ces effectifs sur le terrain.
Ensuite, il faut des moyens. Les contingents qui viennent des forces spéciales européennes doivent être accompagnés d’équipements significatifs ; j’ai évoqué le contingent suédois, qui arrive avec des hélicoptères, ou le contingent italien, qui apporte des moyens d’évacuation sanitaire. C’est indispensable pour l’autonomie de la force Takuba.
Enfin, il faut que cette force puisse entraîner d’autres partenaires. Or nous constatons une dynamique de la force Takuba, qui rassemble aujourd’hui cinq États principaux. Quatre autres partenaires potentiels se présentent : le Danemark, le Portugal, la Belgique et les Pays-Bas.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre !
Mme Florence Parly, ministre. D’autres États européens, pas nécessairement membres de l’Union européenne, ont exprimé encore très récemment leur volonté d’y participer.
Le succès viendra en marchant, si je puis dire. C’est ce que nous constaterons dans les prochains mois, car la force Takuba sera opérationnelle cet été.
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Nous avons assisté en 2020 à de grands bouleversements. La pandémie a causé de nombreux morts, elle a aussi entraîné de graves conséquences économiques : la France a vu son PIB reculer de 8 % l’année dernière. Les conséquences de la crise continueront de se faire sentir dans les prochaines années.
Parallèlement, la situation internationale connaît toujours un climat de tension dans lequel les menaces se multiplient et changent de formes. Plusieurs États se sont montrés agressifs à l’égard de l’Europe et de la France, et nous avons aussi constaté le développement d’organisations non étatiques hostiles.
Le monde de demain ne sera pas moins dangereux que celui d’hier. Face à cela, de nombreux pays, dont la France, ont choisi d’augmenter significativement leur budget militaire. Boris Johnson a également annoncé que son pays allait investir 2,2 % de son PIB dans sa défense pour les quatre années à venir.
Le Parlement a soutenu l’adoption de la loi de programmation militaire portée par le Gouvernement afin de redonner à nos militaires les moyens d’assurer la sécurité de la France dans de bonnes conditions. Cette loi doit cependant faire l’objet d’actualisations, dont une doit être mise en œuvre avant la fin de l’année 2021, comme le précise son article 7.
L’opération Barkhane nécessite un budget de plusieurs centaines de millions d’euros qu’il faudra maintenir, malgré la dégradation de la situation économique de la France. La France ne peut cependant pas assumer seule la défense de l’Europe hors de nos frontières. Les pays membres de l’Union européenne semblent encore bien loin d’avoir pris conscience de la nécessité de parvenir à une autonomie stratégique commune, même si certains d’entre eux participent à l’effort. L’unanimité sur le sujet paraît inatteignable.
Sur Barkhane comme sur les autres aspects de la défense commune, plus encore à l’heure du départ des Britanniques, comment le Gouvernement et le Président de la République comptent-ils faire progresser la défense de l’Europe à l’avenir ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, lorsque nous avons engagé les travaux de préparation de la loi de programmation militaire, il y a bientôt trois ans, nous avons mené une analyse des menaces auxquelles nous étions confrontés. Celles-ci n’ont pas faibli. J’aurai l’occasion, si le président de votre commission m’y invite, de venir présenter devant vous les travaux d’actualisation que nous avons conduits récemment et qui viennent d’être publiés.
La réponse à ces menaces est, bien sûr, la préparation de nos armées, sous-tendue par cette loi de programmation militaire, mais aussi la construction de partenariats. À la veille de la présidence française de l’Union européenne, il est certain que nous devons continuer à encourager les Européens à prendre conscience de leur environnement, du fait que celui-ci n’est pas nécessairement pacifique et qu’il existe des menaces auxquelles il faut pouvoir répondre.
Dans le contexte où nous nous trouvons, subsistent certains points d’interrogation : le ministre de l’Europe et des affaires étrangères a mentionné l’avènement d’une nouvelle administration américaine et l’influence que cela peut avoir sur la manière dont nos partenaires européens vont répondre à ce besoin d’une Europe de la défense plus structurée et plus puissante.
Pendant les quelques mois qui nous restent avant le début de la présidence française, nous entendons continuer à promouvoir les notions d’autonomie stratégique et de souveraineté européenne, car l’expérience récente nous a appris que, même si notre partenaire américain se réengageait dans un cadre multilatéral, il était important que nous apportions, en tant qu’Européens, la démonstration de notre engagement pour défendre notre sécurité et celle de nos concitoyens.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Comme je l’évoquais précédemment, la sortie de crise au Sahel doit être accompagnée d’un volet substantiel d’aide au développement. Un rééquilibrage des moyens financiers en faveur de l’aide publique au développement est indispensable. Nous l’avons déjà constaté, entre 800 millions et 1 milliard d’euros sont dépensés chaque année pour l’opération militaire Barkhane ; à titre de comparaison, seuls 400 millions d’euros d’aide au développement ont été dépensés entre 2013 et 2017 pour le Mali.
De surcroît, nous nous interrogeons sur les modalités de mise en œuvre des projets. Quel est réellement l’impact de cette aide sur les populations auxquelles elle est destinée ? Les efforts faits pour améliorer la traçabilité des flux financiers, notamment dans le cadre de l’Alliance Sahel, initiée avec l’Allemagne, aboutissent-ils à de réels changements ?
Enfin, si les projets de développement restent ponctuels et peu suivis et servent en premier lieu à assurer aux forces armées françaises le soutien des populations, leur mise en œuvre ne sera qu’un paravent de la situation socio-économique très dégradée dans la région. Nous soutenons que la mise en œuvre de véritables programmes de développement au plus près des intérêts des populations est une priorité pour la sortie de crise.
Ce point est fondamental. Plus que le djihad, c’est la situation économique et sociale qui fournit le terreau permettant aux organisations terroristes de perdurer, voire de se renforcer. J’ai notamment à l’esprit le pastoralisme, absolument essentiel pour l’économie sahélienne, qui est aujourd’hui menacé par l’avancée du désert et la raréfaction de l’eau, mais également les coopératives, souvent organisées par les femmes, qu’il faut soutenir.
Vous l’avez compris, seul un effort considérable et ciblé de soutien aux populations locales permettra de créer les conditions nécessaires à la diminution des tensions communautaires. Monsieur le ministre, que prévoit la France en la matière ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je crois avoir déjà largement répondu à votre question.
Tout d’abord, je voudrais combattre des propos erronés : la mobilisation financière de l’Alliance Sahel atteint 20 milliards d’euros, dont 3 milliards d’euros ont déjà été dépensés. Ce n’est sans doute pas suffisant, mais cela ne correspond pas aux chiffres que vous indiquiez.
Par ailleurs, nous veillons à ce que les engagements pris soient mis en œuvre en relation étroite avec des acteurs locaux. À vous écouter, on a le sentiment que nous ne faisons rien, mais je vous ai donné des chiffres, y compris concernant la France, qui ne sont pas négligeables. Nous en reparlerons au moment du débat sur la loi de programmation.
Je vais prendre un exemple qui me parle beaucoup : Konna, au Mali, est une bourgade qui a été la première victime des attaques des djihadistes et sur le territoire de laquelle se sont produits les premiers combats. Une opération y a été initiée par l’AFD, avec le soutien de la Banque mondiale, de l’Union européenne et de l’Allemagne – il s’agit donc de participations croisées. Elle a abouti à la dépollution et à la réhabilitation du port – la ville se trouve au bord du fleuve –, à un ensemble de formation professionnelle de 3 500 jeunes, à la restauration de salles de classe et de cliniques, à l’extension du réseau routier, de l’éclairage public et du réseau d’électricité. Les acteurs locaux ont participé à la définition des priorités. Je ne sais pas comment appeler cela, sinon du développement !
De la même manière, j’ai évoqué la relance de la grande muraille verte, un enjeu mobilisateur considérable. Le Président de la République en a pris l’initiative, mais c’est un sujet africain, porté par les Africains, mais enterré depuis longtemps, et qui permet maintenant, à mon sens, une vraie mobilisation pour le développement.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.
M. Guillaume Gontard. J’ai avancé des chiffres concernant la France – nous en reparlerons lors de l’examen de la loi de programmation – ; je n’ai pas dit que rien n’était fait, mais que nous arrivions à un moment où il fallait rééquilibrer l’effort.
Vous avez cité des exemples, mais d’autres débouchés existent, notamment l’opération grande muraille verte, lancée au Sahel en 2007 et qui patine, faute de moyens suffisants. Ce projet ambitieux vise à stopper la progression du Sahara en plantant des forêts à sa lisière. Plus qu’une ligne Maginot d’arbres, dont l’efficacité serait sujette à débat, il s’agit d’un projet ambitieux d’agroforesterie,…
M. le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Guillaume Gontard. … à même de répondre à la situation désastreuse que vivent les éleveurs de la région, qui sont des piliers de l’économie locale.
M. le président. La parole est à M. François Bonneau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. François Bonneau. En janvier 2013, le lancement de l’opération Serval au Mali a permis de stopper l’offensive djihadiste qui menaçait Bamako. Depuis huit ans, l’armée française opère sur un territoire en proie à des trafics qui s’intensifient en raison de la porosité des frontières. Nos soldats, auxquels nous témoignons un soutien indéfectible, opèrent sous la menace constante d’embuscades ou d’engins explosifs improvisés.
La France s’inscrit, avec les pays membres du G5 Sahel, dans une coalition de régimes politiques et militaires avec pour objectif de lutter contre les groupes armés terroristes. Consciente que l’avenir de cette région passe par l’implication des pays de la zone, la France développe au maximum les différents aspects de la coopération interétatiques. Toutefois, la montée en puissance des forces armées nationales est contrastée, selon les derniers rapports de la Minusma et d’Acled, qui rappellent que, en comptant les groupes d’autodéfense, celles-ci sont responsables de plus de 70 % des décès au Mali. Face à la multiplication des protagonistes, l’enjeu, pour les gouvernements de la région, est d’encadrer ces milices, parfois proches des États.
Enfin, la position française est d’autant plus compliquée que la population malienne commence à se retourner contre notre présence. Le 3 janvier 2021, nos forces ont été accusées de bavure à côté de Bounti. Cette même accusation a été relayée sur les réseaux pro-russes et pro-turcs.
À l’heure où 50 % des Français sont encore favorables à l’opération Barkhane et face à la potentielle dégradation de l’image de la France malgré les efforts consentis, avant tout sur le plan humain, mais aussi financièrement, il est urgent d’établir un agenda politique. Ainsi, quelles vont être les mesures prises pour créer les conditions de la stabilité dans cette région et les indispensables évolutions politiques, tout particulièrement au Mali ? L’Union européenne envisage-t-elle une stratégie plus intensive d’aide au développement, pour faire reculer la pauvreté et le ressentiment, ferments du recrutement des mouvements islamistes ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vous avez quasiment repris l’ensemble des sujets qui ont été évoqués au cours de ce débat. Il m’est difficile de sélectionner tel ou tel aspect.
Je connais bien la région. Je m’y suis rendu très souvent, auprès de nos forces, mais aussi des autorités politiques, de la société civile et des acteurs du développement. Je reste convaincu que ces pays et leurs populations souhaitent la présence de la France. La manifestation du 3 janvier dernier, à laquelle vous faisiez allusion, n’a pas rencontré le succès que ses promoteurs avaient annoncé la veille. Cela montre bien que nous sommes respectés, mais aussi que nos initiatives suscitent des attentes de paix. Y répondre nécessite un engagement sans faille des autorités des pays du G5 Sahel. Elles doivent être au rendez-vous, mais également à l’initiative de l’accélération du processus politique.
Un point sur lequel on ne s’appesantit pas assez souvent est la reprise de la discussion autour des accords d’Alger. Des accords ont été signés et pris en compte par l’ensemble des acteurs. Servons-nous de cela pour avancer ; sinon, nous recommencerons sans arrêt des discussions à n’en plus finir. Des textes sont validés et respectés par les différents acteurs internationaux, mettons-les en œuvre ; là est l’urgence politique.
Pour cela, il faut que l’ensemble des acteurs politiques du territoire – pour répondre à la fin de votre question – se mobilisent pour leur mise en œuvre. Les Algériens viennent de le faire : j’ai annoncé que le comité de suivi allait se tenir à Kidal, à l’initiative de l’Algérie. Les chefs d’État et les classes politiques africaines doivent suivre pour que les accords d’Alger deviennent une réalité.
M. le président. La parole est à M. Mickaël Vallet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Mickaël Vallet. Rapidement, dès les premières années de son déploiement, l’opération Barkhane a mobilisé sur place plus de 3 000 soldats, puis près de 4 500 à compter de 2018. À la suite du sommet de Pau, 600 soldats supplémentaires ont rejoint leurs camarades de combat.
Cette mission est légitime et utile, disons-le sans nuance. Soyons clairs, toutefois : la France n’est pas soutenue aujourd’hui à la hauteur du profit que tire le reste de l’Europe de cette opération.
Certes, les 13 000 Casques bleus de la Minusma sont à l’œuvre, la mission de formation de l’Union européenne aide à la reconstruction de l’armée malienne et les pays de la région ont formé utilement la coalition du G5 Sahel. Certes, la force Takuba permet l’implication sur le terrain d’armées nationales européennes qui ne sont d’ailleurs pas forcément les plus dotées, notamment celles de l’Estonie, de la République tchèque et de la Suède. Pourtant, les morts et les blessés, eux, sont, dans leur très écrasante majorité, des Africains du Sahel et des Français. Je le dis sans oublier qu’il y a eu des morts américains, mais aussi néerlandais, suisses et asiatiques dans le cadre de la mission onusienne. Nous saluons leur mémoire. Ces tristes contributions sont cependant sans commune mesure avec nos pertes et celles des Sahéliens. Je crains que les renforts italiens et grecs annoncés récemment, s’ils sont très bienvenus, ne suffisent pas à rééquilibrer le fardeau.
Ma question est double.
Premièrement, comment pouvons-nous nous contenter encore, s’agissant de Takuba, du simple soutien politique de grands pays européens, qui masque surtout l’absence d’apport en soldats, en matériel ou en financement ? Je pense notamment à l’Allemagne, même si vous avez précisé, madame la ministre, son apport dans le volet onusien.
Deuxièmement, je souhaite obtenir un ordre de grandeur – à défaut d’une réponse arithmétique, que vous ne pouvez nous apporter, comme vous l’avez indiqué au sénateur Longuet – de l’apport minimal en soldats et en matériel à Takuba que vous estimerez acceptable pour considérer que le soutien des autres nations est à la hauteur de l’enjeu. Pour le dire autrement, exigerez-vous de nos partenaires européens un doublement, un décuplement ou une augmentation à la marge de leur aide actuelle ?
M. Gilbert Roger. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, permettez-moi de revenir sur le début de réponse que j’esquissais à la question du sénateur Longuet. À mon sens, il n’y a pas de seuil arithmétique, mais deux conditions et une dynamique.
La première condition est qu’il y ait suffisamment de forces maliennes, dans ce cas particulier, pour combattre. Nous ne sommes pas là pour combattre à leur place : nous nous trouvons dans un partenariat de combat, j’y insiste. Cela peut paraître évident, mais lorsque des soldats ont combattu, parfois pendant sept mois sans discontinuer, cette question n’est pas totalement triviale.
La seconde condition est que les Européens viennent avec des moyens, car Takuba doit être autonome. L’objectif est qu’elle ait acquis sa pleine capacité opérationnelle à l’été. Nous pouvons d’ores et déjà nous appuyer sur trois contributions, par ordre croissant : celle de l’Estonie, plus petite en volume que celle de la République tchèque, elle-même plus petite que celle de la Suède, beaucoup plus significative.
La dynamique est celle que nous saurons construire sur la base de ces premiers engagements. Il s’agit d’un travail collectif que nous devrons réussir avec nos partenaires sahéliens et européens. Dès lors, je suis confiante dans notre capacité à faire grandir la force Takuba et à atteindre ce seuil, que, encore une fois, je ne sais pas définir arithmétiquement.
M. le président. La parole est à M. Hugues Saury. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hugues Saury. Nous en conviendrons tous, la France n’a pas vocation à demeurer indéfiniment au Sahel. Cependant, il est vrai aussi que, si nous partions demain, les pays du G5 Sahel rencontreraient d’immenses difficultés à assurer par eux-mêmes l’intégrité de leurs territoires et la sécurité de leurs populations. Les groupuscules proches d’Al-Qaïda et de Daech auraient alors les mains libres. Sur le long terme, c’est la sécurité de nos concitoyens sur le sol français qui serait menacée par des attentats perpétrés depuis ce nouvel épicentre de l’islamisme radical. Que nous manque-t-il, alors, pour assurer le succès définitif de l’opération Barkhane, qui permettrait le retrait de nos troupes ?
Pour faire face à la menace terroriste, nos alliés africains ne peuvent faire l’économie des défis institutionnels, économiques, éducatifs et sanitaires qui s’imposent à eux. Nos victoires militaires doivent aller de pair avec le déploiement de services publics stables, l’avènement d’une économie plus saine, la formation de forces armées et de sécurité performantes, le développement d’entreprises et d’écoles.
Cette vision est au cœur de l’approche « 3D », pour diplomatie, défense et développement. Aujourd’hui, force est de constater que le troisième « D », celui du développement, fait défaut. J’ai bien entendu vos propos, monsieur le ministre, mais les chiffres publiés par l’OCDE sont éloquents : les pays du Sahel sont fléchés comme prioritaires pour l’APD française, pourtant, aucun d’eux ne fait partie des douze premiers bénéficiaires de nos aides. D’autre part, comment expliquer que les cinq pays sahéliens ne perçoivent que 4,5 % du montant des aides françaises, alors que le Maroc en dispose à lui seul de 5 % ?
Nous avons consacré d’importants moyens au volet militaire et peu, en proportion, à celui du développement. Il est nécessaire de mener une véritable stratégie d’aide aux pays du Sahel, corollaire essentiel à l’action de nos armées. Ces interventions pourraient, en outre, mobiliser plus efficacement nos partenaires européens, qui peinent parfois à nous apporter leur soutien sur le plan militaire.
En clair, madame la ministre, monsieur le ministre, ne pensez-vous pas qu’en complément des actions militaires, le temps est venu de mettre en œuvre un Barkhane du développement ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. J’ai indiqué précédemment que le rendez-vous de N’Djamena devait être un sursaut diplomatique, un sursaut politique, un sursaut du développement. J’entends bien que cela se déroule ainsi et dans le cadre de l’Alliance Sahel, sur laquelle je vais revenir.
J’entends ce que vous me dites, mais je suis en désaccord avec vos constats concernant les pourcentages. Vous avez pris en compte l’ensemble des aides, alors que, en ce qui concerne le Sahel, on ne parle que de dons. Je suis donc prêt à la comparaison, s’agissant des pays qui aujourd’hui reçoivent le plus de dons.
Pourquoi ne s’agit-il que de dons ? Parce que la capacité d’emprunt de ces pays est tarie. On ne peut donc les aider qu’ainsi. Les dons passent directement par nos propres outils, l’AFD, le centre de crise, ou différents outils qui sont à la disposition de nos ambassadeurs, mais aussi par les instruments multilatéraux, s’agissant de financements que nous diligentons par le biais d’organismes, en particulier européens. Je voulais faire cette mise au point en réponse à vos propos.
Nous devons toutefois faire en sorte que l’effort engagé pour le développement soit maintenu, vigilant, exigeant et qu’il se déroule dans le cadre de l’Alliance Sahel. L’insuffisance identifiée dans l’action de cette dernière, dont les aides s’élèvent à 20 milliards d’euros, tient au fait que les organismes qui prêtent ou qui font des dons travaillent chacun de leur côté, sans parler aux autres.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Bien sûr !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Nous rencontrons donc un problème de cohérence.
La vraie bataille que nous devons maintenant mener est celle de la territorialisation de l’ensemble des acteurs pour permettre le développement. À défaut, il n’y aura pas de développement, mais un challenge entre tel ou tel organisme et tel autre. C’est le sujet d’aujourd’hui, qui requiert une forte volonté politique, parce qu’il concerne beaucoup d’organismes : la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l’Union européenne et les différents fonds qui y émargent, l’USAID américaine.