M. Pierre Cuypers. Le père n’existe plus !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Vous avez tous appelé, à raison, à faire preuve de respect envers ceux qui nous écoutent, et m’inscrivant dans cette lignée, je rappelle qu’en France une famille sur cinq est monoparentale. Certains enfants qui nous écoutent peut-être ont été élevés sans père. Soyons donc attentifs aux propos que nous tenons.
M. Chasseing a mentionné les études assez nombreuses qui prouvent que grandir dans une famille homoparentale ou monoparentale n’a aucun effet délétère sur la construction ou l’orientation sexuelle de l’enfant. Ces études ne sont pas que militantes, puisqu’on en recense sept cents sur les quarante dernières années.
Enfin, certains d’entre vous s’inquiètent du risque de détournement de la médecine. Je leur rappelle que les techniques d’assistance médicale à la procréation ne soignent pas et ne guérissent pas les couples de l’infertilité, mais agissent comme des techniques de parenté, en particulier en cas de recours à un tiers donneur. Il en est de même lorsque l’indication de l’assistance médicale à la procréation est liée à l’âge de la femme sans autre cause médicale.
Dans ces deux exemples, l’assistance apportée par le médecin est moins médicale que sociale. L’Académie nationale de médecine établit le même constat : « De la chirurgie plastique à la médecine sportive, nombreux sont les actes et les missions qui peuvent être confiés aux médecins sans que la finalité soit de corriger un état pathologique ou de se substituer à une fonction défaillante. »
Mesdames, messieurs les sénateurs, voici les faits : les grossesses résultant de procréations initiées hors du territoire national par des femmes en couple ou célibataires sont suivies en France. Les enfants naissent en France et leur filiation est légalement établie en France.
En réalité, le passage des frontières est réservé aux femmes les plus aisées, ce qui aboutit à une situation d’inégalité. Certaines femmes, dans notre pays, se mettent en danger pour fonder une famille, trouvant des donneurs sur internet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la société française a évolué vers un modèle familial qui ne se résume plus à une configuration unique, issue d’un modèle conjugal unique. Nos concitoyens sont prêts pour cette évolution. Nous avons le devoir d’accueillir ces nouvelles formes familiales et de ne pas les stigmatiser. Il nous revient de garantir la sécurité, y compris sur le plan médical, à ces familles et à ces femmes. Nous devons aussi assurer celle des enfants.
M. Bernard Jomier. Très bien !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Notre devoir est donc d’ouvrir l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées, en France.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement a émis un avis défavorable sur ces amendements de suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Mes chers collègues, je suis un peu surprise, car si le débat en première lecture nous avait permis de faire évoluer nos positions, celui-ci s’illustre davantage par des postures que par des arguments susceptibles de convaincre les uns et les autres.
Je ne dis pas qu’il faut forcément se ranger à l’avis émis par la commission spéciale. Celles et ceux qui me connaissent savent que telle n’est pas ma ligne de conduite.
Cependant, même si j’apprécie beaucoup Mme la rapporteure Muriel Jourda, avec qui les échanges sont toujours passionnants, je m’étonne du temps qu’elle a pris pour expliquer sa position personnelle, en ne donnant qu’après le point de vue de la commission spéciale. J’aimerais qu’elle fasse plutôt l’inverse et qu’elle développe en premier lieu les arguments qui ont porté la commission à voter de telle ou telle façon. Tel est le rôle d’un rapporteur. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER.)
Sur la PMA sans père, j’entends les divergences et chacun doit pouvoir les exposer sereinement. Cependant, que ferez-vous des familles monoparentales dont les pères sont partis, que les enfants ne voient plus ? (Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) Vous pouvez ne pas être d’accord avec moi, mais encore faut-il argumenter !
En fait, que signifie cette histoire de PMA sans père ? Aujourd’hui, la loi ne permet pas aux couples de femmes ou aux femmes seules de recourir à l’assistance médicale à la procréation. Alors, que font une partie de ces femmes, celles qui peuvent se le permettre ? Elles vont à l’étranger !
Cela veut dire que, par votre attitude, mes chers collègues, certainement de manière inconsciente, sûrement tout à fait en accord avec vos convictions, vous contribuez à la marchandisation des corps. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Xavier Iacovelli applaudit.) Si la loi était adoptée en l’état, si l’article 1er était adopté, on reviendrait sur les principes de solidarité et de gratuité du don en France.
Libre à vous de porter ces amendements…
Mme Vivette Lopez. Mais c’est ce qu’on fait !
Mme Laurence Cohen. Personnellement, je vous invite à réfléchir à cette question, tout comme je le fais moi-même. Avez-vous bien pris en compte la problématique de la marchandisation des corps ? Après tout, c’est une évolution que vous refusez dans le cadre de la GPA, et que je refuse tout comme vous, car je suis contre la GPA.
Il faut que vous ayez conscience que l’adoption de cet amendement aura des conséquences. Je vous invite à bien les mesurer ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je ne voterai pas l’article 1er, tout comme je ne l’ai pas voté en première lecture.
Je le fais pour des raisons qui ne résultent que de mon rationalisme. Je considère comme parfaitement légitime dans une construction sociale, comme l’a dit M. Ouzoulias, l’existence de représentations et de relations familiales variées. On peut aboutir à cette variété par le biais de l’adoption ou, d’ailleurs, via les situations d’adoption de fait, qui sont sans doute plus répandues.
En revanche, la bioéthique – si ce terme signifie quelque chose – est l’encadrement par la loi de ce qu’autorise la science. Je fais appel à ceux qui, comme c’est mon cas, souhaitent être guidés par la raison : le moment est-il venu, en tout cas dans notre législation nationale – il existe des législations différentes – de considérer que la procréation humaine peut être réalisée de façon artificielle ? À titre personnel, je pense que ce moment ne viendra pas.
D’un point de vue éthique, il est évident que l’intervention de l’assistance médicale à la procréation en cas d’infertilité, pour un couple par construction destiné à procréer, est substantiellement différente de l’acte par lequel, pour un couple n’étant pas apte à procréer, on artificialise une procréation distincte et nouvelle. S’engager dans cette voie, c’est, je pense, amorcer un processus de diversification des formes de création d’êtres humains sur lequel nous devrions être beaucoup plus prudents. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour explication de vote.
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai été très surprise de vous entendre dire que nous ne voterions jamais telle ou telle disposition. Dans cet hémicycle, personne ne peut prononcer une telle phrase : qui peut savoir ce qui sera voté demain ? La société évolue, et ces évolutions sont l’objet de nos débats.
Permettez-moi un clin d’œil : je suis certaine que Victor Hugo, dont nous montrons le siège aux élèves qui viennent visiter le Sénat, n’aurait jamais pu imaginer que nous discuterions des sujets dont nous débattons aujourd’hui ! De même, ni vous ni moi ne savons ce dont nos successeurs débattront un jour dans cet hémicycle.
M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour explication de vote.
M. Laurent Burgoa. En tant que nouveau sénateur – je n’étais pas encore été élu lors de l’examen du texte en première lecture –, je m’efforce toujours d’écouter, sans a priori, lorsque je siège dans cet hémicycle. Aujourd’hui, je voterai en réaction aux propos de mes collègues.
Je pense à vous, madame Rossignol : je trouve vos propos très provocateurs,…
Mme Laurence Rossignol. Bien sûr !
M. Laurent Burgoa. … très moralistes. Excusez-moi de vous le dire, mais je crois que nous n’avons aucune leçon de morale à recevoir dans cet hémicycle, de qui que ce soit.
Mme Laurence Rossignol. Quelles leçons de morale ?
M. Laurent Burgoa. Je pense aussi à vous, madame Cohen. J’ai pourtant beaucoup de respect pour vous, madame,…
Mme Laurence Rossignol. Pas pour moi ! (Rires.)
M. Laurent Burgoa. … car vos réflexions en commission des affaires sociales vont parfois dans le bon sens. Vous n’avez pas à nous haranguer et à nous dire ce que nous devons voter.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, vos réponses ne m’ont pas convaincu. Je rejoindrai donc ceux qui voteront l’amendement de Mme Chain-Larché. (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Rossignol. Ce sera de ma faute s’il vote l’amendement : sans moi, il ne le voterait pas ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Permettez-moi de m’étonner que certains collègues donnent des leçons de morale en reprochant à d’autres d’en avoir donné. Excusez-moi, mon cher collègue, mais vous venez justement de nous en faire une, et je ne l’apprécie pas plus que les autres.
Je sais que l’article 1er cristallise beaucoup de tensions. Néanmoins, est-il indispensable d’opposer, dans une approche moralisatrice, les désirs individuels à l’amour d’une famille organisée ? Autrement dit, cette opposition entre droit à l’enfant et droits des enfants est-elle vraiment nécessaire ? Sommes-nous réellement obligés de passer par ces valeurs et ces jugements moraux pour défendre nos positions ? Personnellement, je ne le pense pas.
Nous sommes tous en mesure de raisonner et de réfléchir. M. Ouzoulias nous a rappelé un certain nombre d’acquis historiques sur la naissance des familles et sur les organisations sociales. M. le secrétaire d’État, lui, a rappelé un certain nombre d’acquis sociaux, les évolutions dans l’organisation des familles et dans la manière d’élever les enfants. Ces éléments me paraissent très importants pour déterminer nos choix.
L’article 1er est d’une importance majeure, parce qu’y figure la promesse de l’accès à la PMA pour toutes, sans critère matrimonial ni critère d’orientation sexuelle. Ne pensez-vous pas – c’est la réflexion que j’ai eue aujourd’hui, mes chers collègues – qu’il est effectivement possible d’autoriser l’ensemble des femmes à accéder à la PMA ?
Quand j’entends dire que l’on s’apprête à « zapper » le père, je suis un peu mal à l’aise. En votant cet article, je n’ai nullement l’intention de le faire. Lorsque vous évoquez le père, parlez-vous du rôle du père au sein de la famille ou plutôt des places comparées de l’homme et de la femme dans l’évolution de nos sociétés ? En réalité, personne ne veut zapper le père : certains veulent peut-être remettre en cause la position de l’homme par rapport à la femme et celle de la femme par rapport à l’homme. Ce point me paraît important.
Cet article est selon moi la réaffirmation de l’égalité entre les femmes engagées dans des parcours souvent très compliqués, lourds, douloureux, pas toujours fructueux ni toujours issus d’une démarche volontaire. Je pense que notre rôle est de permettre d’accompagner ces femmes dans ces parcours. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. À vous écouter, mes chers collègues, je m’interroge : que s’est-il passé depuis un an ? Quelle nouvelle menace est apparue ? Certains d’entre vous étaient certes favorables au rejet de l’article 1er il y a un an, mais j’entends aujourd’hui un discours beaucoup plus radical. Il est d’ailleurs possible que l’amendement de suppression de l’article soit adopté cet après-midi.
Le débat ne peut pas porter sur l’acceptation des différentes formes de couples : elles existent déjà. Je ne crois pas qu’une quelconque menace pèse sur la famille que vous qualifiez de « traditionnelle », celle qui est composée d’un homme, d’une femme, d’un ou plusieurs enfants. Ce modèle restera le plus courant pour des raisons que les uns et les autres ont rappelées, liées à la biologie et à la reproduction sexuée.
La question est de savoir si, oui ou non, nous devons apporter aux nouvelles formes de familles qui apparaissent – celles qui unissent deux hommes ou deux femmes – l’aide technique dont ils ont besoin pour avoir un enfant, non pas en termes de droit, mais si elles le désirent.
Comment notre société accueille-t-elle ce désir d’enfant ? Comment aide-t-elle ou n’aide-t-elle pas ces familles à avoir un enfant, alors que la technique le permet ?
Je maintiens que cette partie du texte n’a rien à faire dans un projet de loi relatif à la bioéthique, car aucune valeur bioéthique fondamentale n’est entachée par l’ouverture de ce nouveau droit. La situation serait probablement différente si le droit à la GPA était inscrit dans le texte. Je conviens que, dans ce cas, l’interrogation serait absolument légitime et que l’on pourrait en débattre.
Dès lors, quel message souhaitez-vous adresser en refusant a priori l’ouverture d’un tel droit aux nouvelles formes de famille ? Le message est nécessairement politique : il s’est passé ou il se passe actuellement quelque chose qui a à voir non pas avec les évolutions de la société dont nous débattons ici, mais peut-être – je ne sais pas – avec certaines échéances.
Vous devez bien sentir – en tout cas, pour ceux qui étaient présents l’année dernière – que la tonalité du débat n’est plus la même. Nous sommes en droit de nous interroger sur la position que vous défendez avec une vigueur particulièrement troublante. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Mais non !
Mme Frédérique Puissat. On n’est pas obligé de penser comme vous !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Alain Milon, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. Je ne comptais pas intervenir, mais je suis finalement obligé de le faire compte tenu de tout ce qui vient d’être dit.
Tout d’abord, monsieur le secrétaire d’État, je regrette que cet article sur la PMA figure dans un texte relatif à la bioéthique, tout simplement parce que je considère qu’il s’agit plutôt d’un sujet sociétal, alors que l’objet d’un texte sur la bioéthique est de réglementer la recherche et l’éthique médicales – je ne suis à cet égard pas d’accord avec la définition de la bioéthique qui a été donnée tout à l’heure.
La technique médicale étant appliquée depuis très longtemps, il n’y a aucune raison que l’on discute de la PMA destinée aux couples non hétérosexuels dans le cadre du présent projet de loi. Je le regrette profondément.
Ensuite, je ne voterai évidemment pas cet amendement – mes collègues du groupe Les Républicains le savent –, parce que je suis favorable à la PMA.
Permettez-moi de revenir sur l’un des propos de Mme la rapporteure, sur un sujet qui m’intéresse beaucoup : comme certains l’ont dit, on peut voter contre le droit à l’enfant, mais j’estime que l’on n’a pas le droit de voter contre le désir d’enfant d’une femme, quelle que soit cette femme et quelle que soit son orientation sexuelle. Ce point me semble important.
Enfin, je reviendrai sur la notion de famille. Certains de nos collègues ont expliqué qu’un enfant ne pouvait pas vivre sans père ; moi, je dirai plutôt qu’un enfant a besoin d’éducation, d’amour et d’autorité. Or l’amour, l’autorité et l’éducation peuvent être donnés par des couples non hétérosexuels. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez dit tout à l’heure que cet article n’avait rien à voir avec la GPA. Mais enfin, nous ne sommes pas des débutants ! Il ne faut nous prendre pour des lapins de six semaines, comme on dit chez nous ! (Rires.) Chacun sait que les choses se préparent et que l’opinion se travaille.
L’adoption de l’article 1er aujourd’hui pénaliserait les hommes seuls et les couples d’hommes, qui souffriront de ne pas obtenir les mêmes droits que les femmes seules et les couples de femmes.
Personne ne peut sérieusement imaginer que l’on puisse demain résister à la souffrance de ces hommes, qui crieront à l’injustice. (Mme Laurence Cohen proteste.) La société aura tôt fait de faire remonter leurs attentes et le Parlement sera appelé à se prononcer de nouveau – pas ce soir, pas cette semaine, mais dans cinq ans – pour faire aboutir la GPA.
Aussi, on ne peut pas voter l’article 1er sans pour autant préparer la GPA. Les choses ne sont pas dissociables : que l’on ne nous raconte pas d’histoires ! Si cet article est adopté, la GPA passera dans cinq ans. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.) C’est pourquoi je voterai cet amendement de suppression.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Je voterai évidemment l’amendement d’Anne Chain-Larché.
J’avancerai deux arguments que je n’ai pas encore entendus et je ferai une remarque générale qui me semble importante.
Tout d’abord, on voit bien que, pour certains, le souhait d’avoir un enfant est un désir, qui peut confiner à la souffrance. Jusqu’où doit-on aller pour soulager une souffrance ou satisfaire un désir ? C’est une question de liberté : la liberté individuelle peut-elle tout emporter ? La liberté des adultes ne doit-elle pas céder là où débute le droit des enfants ? Telle est la question que nous nous posons.
C’est également une question d’égalité. D’ailleurs, le Comité consultatif national d’éthique, comme d’autres, avait reconnu que l’on risquait de créer une inégalité entre les enfants qui seraient privés de père et ceux qui en auraient un. Je vous livre ce second argument, car je ne l’ai pas encore entendu.
Ma remarque générale s’inscrit un peu dans la suite des propos d’Alain Richard. Plusieurs d’entre vous ont insinué que les positions des uns et des autres seraient dictées par leur foi, au mépris de la laïcité. Je comprends cette argumentation, parce que j’en vois bien la finalité : déclasser les uns et les autres en fonction de leurs convictions et de leur philosophie.
Mais si le critère de la foi ou de l’absence de foi était suffisant, comment expliquez-vous que Sylviane Agacinski, Gérard Biard, l’éditorialiste de Charlie Hebdo, José Bové, Marie-Jo Bonnet, l’auteur de Adieu les rebelles ! et tant d’autres – je pourrais encore citer une dizaine de personnalités venant plutôt de la gauche –, qui n’adhèrent pourtant à aucune église, et qui sont au contraire bien souvent athées, partagent un certain nombre de nos positions ?
C’est tout simplement parce que la critique qu’ils formulent sur les sujets dont nous débattons ici vise un modèle techno-marchand et techno-libéral. Ils voient bien, à l’instar de Jean-Claude Michéa, que le libéralisme économique s’accorde à merveille avec le libéralisme culturel. Ils en arrivent à la même conception et aux mêmes positions que nous. Je le souligne parce que les choses sont beaucoup plus complexes que ce qui a été dit sur un certain nombre de travées.
J’ajoute, monsieur le secrétaire d’État, que je pourrais citer une dizaine de pédopsychiatres pour qui la filiation juridique doit être adossée à une vraisemblance biologique.
Si l’on parvient à des positions identiques, alors que l’on est issu de familles philosophiques ou partisanes différentes, c’est parce que ce texte pose des questions fondamentales. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. J’aimerais répondre en toute bienveillance au sénateur Richard, parce que j’ai trouvé que son argumentation était rationnelle et méritait d’être entendue et disputée, dans le bon sens du terme.
Vous nous dites, mon cher collègue, qu’il existe une différence de fond entre un couple composé d’un homme et d’une femme et un couple de femmes qui recouraient à une procréation médicalement assistée pour avoir un enfant. Vous estimez qu’il y a une différence sur le fond entre cette artificialisation et une conception dite « naturelle ».
Mais je vous assure, mon cher collègue – je pourrais citer des cas –, que deux femmes peuvent parfaitement se débrouiller pour avoir un enfant sans recourir à la médecine. Ces choses-là sont connues ! (Brouhaha sur des travées du groupe Les Républicains.) Il n’y a donc pas nécessairement d’artificialisation du processus dans ce cas.
Quand deux femmes qui ont un désir d’enfant l’obtiennent par les procédés que vous imaginez, et qui sont naturels – même en restant en France –, qui suis-je, moi, parlementaire, pour juger de cet acte, qui est fondamentalement et essentiellement un acte d’amour ? Je me refuse, en conscience, à juger ces femmes ! Ce point est essentiel.
Nous délibérons aujourd’hui du projet amoureux, du projet de vie, du projet de couple de ces femmes : pouvons-nous en conscience, grâce à la médecine, leur éviter d’avoir recours à des procédés qui ne correspondent justement pas à leur projet éthique ? Avec la médecine, nous parvenons à homogénéiser le désir de couple et le désir d’enfant. C’est la question fondamentale qui se pose et c’est ainsi que, personnellement, je l’aborderai. (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Bien évidemment, cette question nous interpelle tous. Nous pouvons avoir des avis différents et même parfois être intimement partagés.
Toutefois, que dire à ces couples de femmes ou à ces femmes seules qui ont un projet familial, alors que nous sommes en mesure d’inscrire dans la loi le droit de recourir à une technique leur permettant de le mettre en œuvre dans la sécurité et de leur garantir une égalité financière ?
Il existe beaucoup d’autres techniques que la PMA ; ces femmes ont aussi la possibilité de se rendre à l’étranger, mais cela coûte cher. Nous pouvons leur proposer une méthode leur assurant une forme d’égalité et de sécurité : cela me semble être une bonne manière de faire.
Je m’interroge aussi sur notre rôle : si le Sénat ne votait pas ces dispositions en seconde lecture, alors qu’il les a adoptées en première lecture, à quoi servirions-nous ? Si vous dites non à l’extension de la PMA, mes chers collègues, vous qui vous interrogez sur ce sujet, vous ne pourrez même plus par la suite l’encadrer comme vous le souhaitez.
Vous savez bien comment tout cela va se terminer si vous votez la suppression de l’article. Si vous avez des doutes, mieux vaut contribuer à la construction de la loi que d’adopter une posture.
M. Hugues Saury. Non, c’est une conviction !
M. Jean-Yves Leconte. Je suis convaincu que vous avez, comme nous tous, des doutes. Nous construisons tous nos opinions.
Restons-en donc au vote qui a été le nôtre en première lecture. Ne privez pas le Sénat de la possibilité d’élaborer cette loi essentielle ! Supprimer l’article 1er ne vous permettra même pas d’avoir des garanties sur ce que sera la loi dans quelques mois. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour explication de vote.
M. Bernard Fialaire. Je ne donnerai pas non plus de leçon de morale, j’apporterai simplement un témoignage.
M. Retailleau l’a rappelé, nous sommes un certain nombre à avoir participé, en tant que conseillers départementaux, à des commissions chargées de délivrer les agréments en vue d’une adoption. En notre âme et conscience, nous avons de nombreuses fois confié un enfant à des femmes seules, et même à des couples de femmes.
Nous ne l’avons pas fait pour satisfaire un désir incommensurable, mais bien parce que l’intérêt de l’enfant était de rejoindre un couple ou d’être élevé par une femme qui le désirait, qui lui apportait la stabilité et l’affection propices à son épanouissement. Je connais de nombreux exemples de ce type.
Je suis moi aussi très rationaliste : pourquoi, alors que la science et la médecine font autant de progrès – je suis aussi médecin –, priver certaines femmes de la possibilité d’avoir un enfant, pour rester fidèle à une manière ancestrale de procréer ?
Il y a plein d’esprits brillants ici, et je ne doute pas que d’autres viendront après nous et que d’autres questions viendront à se poser. Nous n’inscrivons donc pas aujourd’hui dans la loi des dispositions pour les siècles des siècles.
M. Loïc Hervé. Eh oui !
M. Bernard Fialaire. Au contraire, la société évoluera et la GPA sera sûrement réinterrogée. Aujourd’hui, la gestation pour autrui existe déjà d’une certaine façon : lorsqu’une femme enceinte qui ne souhaite pas garder l’enfant mène sa grossesse à terme et accouche sous X, elle fait une GPA. Beaucoup de collègues ici souhaitent d’ailleurs qu’elle n’avorte pas ! De fait, ils les incitent à faire une GPA.
Avant de s’occuper de problèmes que d’autres esprits tout aussi éclairés que les nôtres ne manqueront pas d’aborder, concentrons-nous sur les possibilités techniques dont on dispose actuellement, dans le contexte social évolutif qui est celui d’aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.
Mme Michelle Gréaume. Comme tout le monde, je vais donner mon avis.
Depuis tout à l’heure, on entend parler de la famille idéale : le père, la mère et l’enfant. C’est vrai qu’il existe des familles idéales, mais il y a aussi beaucoup d’enfants naturels ou reconnus par des pères qui n’étaient pas les leurs. On est loin de la généalogie officielle. Vous pouvez vérifier auprès de vos services d’état civil : vous verrez que ce que je raconte est vrai.
Quelle femme refuserait de porter un enfant, si la nature ne lui en donne pas le droit, mais si la médecine le lui permet, sous prétexte que ce ne serait pas naturel ?
Cela étant, je comprends ceux qui ont peur de l’avenir (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains), mais la peur n’évite pas le danger ! Il faut aussi savoir évoluer avec son temps… (Nouvelles protestations.)
Enfin, j’aurais aimé que cette loi s’accompagne de mesures sur l’adoption : c’est un sujet important dont il faudra aussi parler un jour.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.