M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, l’examen de la présente proposition de loi nous amène à évoquer un sujet sur lequel nous avons travaillé il n’y a pas si longtemps, avec la loi Carle de 2018, qui clarifie les compétences entre communes et EPCI et renforce les sanctions prévues en cas d’occupations illicites.
Nous entendons les problèmes que peuvent rencontrer des élus locaux dans l’organisation de l’accueil des gens du voyage, notamment face aux stationnements illégaux. Nous devons entendre également les représentants des personnes accueillies, qui décrivent parfois des aires d’accueil en béton, manquant de points d’eau et se trouvant dans des lieux insalubres.
L’esprit de la loi Besson défend un équilibre entre le devoir d’accueil et le droit de lutter contre les occupations illicites. Nous souhaitons le maintien de cet équilibre, qui implique plusieurs responsabilités : celle de l’État, celle des élus locaux et celle des personnes accueillies.
La commission des lois a allégé le texte initial, qui allait contre des principes constitutionnels et conventionnels tels que l’égalité et la liberté de circulation, la protection des données personnelles, la liberté de choix du domicile ou encore l’égalité devant l’exercice des droits civiques. Mais ce qu’il en reste ne nous convient pas plus, car le même esprit en structure ses lignes.
Le dispositif de réservation préalable que vous proposez ne résoudra pas les problèmes qui demeurent. Au contraire, il nous semble propice à une mise en concurrence et à une exclusion de personnes, qui, au nom du droit au logement, ont le droit à un accueil. Pour nous, de tels dispositifs incitatifs sont finalement punitifs.
Nous nous opposons également à la comptabilisation des emplacements d’accueil comme des logements sociaux. Cette mesure, déjà proposée, dénature les engagements en termes de logements sociaux. Ces obligations ne sont pas fongibles avec celles d’accueil des gens du voyage ; ce sont deux obligations que doivent distinctement respecter les collectivités.
Les autres mesures, qui allègent, d’une part, les sanctions envers les collectivités qui ne respectent pas leurs engagements en faveur des gens du voyage, et alourdissent, d’autre part, les sanctions pour occupations illicites, ne vont pas dans le bon sens selon nous.
L’efficacité du renforcement des sanctions n’est nullement prouvée, d’autant que celles qui existent déjà peinent à être appliquées. Par ailleurs, amoindrir la force des obligations des collectivités semble au contraire réduire l’efficacité des dispositifs prévus.
Il n’y a pas de problème public national dans l’accueil des gens du voyage, mais des cas particuliers, ponctuels, qui requièrent des solutions. (M. Jérôme Bascher s’exclame.) Globalement, on constate que les choses se passent bien lorsque les responsabilités partagées sont respectées. Nous refusons de tomber dans la stigmatisation et la peur injustifiée, qui nourrissent l’imputation de problèmes à des personnes qui n’en sont pas forcément responsables.
La mise à disposition de structures viables et agréables participe de la lutte contre les occupations illicites et au bon fonctionnement des relations entre élus et personnes accueillies. Il est donc contre-productif de réduire les exigences des normes imposées aux collectivités. Rappelons qu’à la fin de 2018, seuls vingt-quatre départements sur cent avaient complètement satisfait à leurs obligations. Si chaque collectivité peut faire cet effort ou développe la coopération et la solidarité territoriale, les réalités vécues dans certains endroits s’amélioreront.
Nous nous retrouvons tous sur le vrai problème lié à la non-application des dispositifs législatifs existants en raison du manque d’implication des ministères concernés, du manque de réactivité des préfets et de la faiblesse des aides financières, pointée dès 2012 par la Cour des comptes. Lorsque les obligations des collectivités sont respectées, les élus doivent pouvoir obtenir rapidement l’appui de l’État et le concours de la force publique en cas d’occupations illicites.
Madame la ministre, nous mettons aujourd’hui le Gouvernement devant ses responsabilités. Si nous estimons que les réflexions autour de l’adaptation des espaces d’accueil au regard des dynamiques de sédentarisation doivent être menées en concertation avec les élus et les associations représentatives des gens du voyage, il n’est pas nécessaire de légiférer de nouveau et de créer de nouvelles instances ad hoc. Veillons plutôt à ce que les outils existants soient appliqués par les services déconcentrés, les élus et les personnes accueillies, puis évalués. En l’état, plus de répression pénale ne mènera à rien. C’est pourquoi notre groupe votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, l’accueil des gens du voyage est-il satisfaisant en France ? Le simple énoncé de cette question induit la réponse : non, évidemment non !
Il suffit de sortir d’une campagne sénatoriale – c’est mon cas – ou d’être simplement sénateur au contact des élus locaux pour savoir que ce constat est unanimement partagé.
Bien que la loi Besson ait tenté il y a vingt ans d’organiser les choses, on voit bien qu’il est nécessaire d’y revenir régulièrement. C’est le rôle du Parlement de le faire.
Mes chers collègues, disons-le avec force ici : les efforts des élus locaux sont considérables sur le terrain, les chiffres et l’examen objectif de la situation le prouvent.
Dans leur très grande majorité, ils sont de bonne volonté. Et le pire défaut de la loi Besson est d’avoir fait des élus des délinquants supposés, légitimant les stationnements illégaux par le non-respect, souvent partiel, voire marginal, du schéma départemental dans sa mouture la plus récente. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. Très bien !
M. Loïc Hervé. Il existe un vrai risque de course à l’échalote, les obligations allant croissant de schéma en schéma et aucune intendance publique ne pouvant décemment suivre, notamment sur un plan financier ou foncier.
Au-delà de l’inversion de la culpabilité, disons-le, que l’on soit préfet, juge, policier, gendarme, élu local ou parlementaire, les stationnements illégaux révèlent notre impuissance collective, et tout cela est aggravé par une impunité généralisée. Cette impuissance et cette impunité, nos concitoyens ne la comprennent pas, ne la supportent plus.
Alors oui, assurément, je rends grâce aux auteurs de cette proposition de loi de nous permettre de revenir sur cette question, plus de deux ans après l’adoption de quelques dispositions issues de deux propositions de loi, l’une de notre regretté collègue Jean-Claude Carle, l’autre que j’avais rédigée avec des collègues de mon groupe.
Mais, à ce stade, et avant de développer quelques arguments sur ce texte et nos amendements, je me permets de vous dire, madame la ministre, qu’il serait temps de mettre en application la mesure la plus importante, à savoir les amendes forfaitaires délictuelles.
Votre collègue ministre de l’intérieur m’a indiqué que leur mise en œuvre serait effective en octobre 2021, soit trois ans après le vote de la loi, alors qu’aucun texte d’application n’est nécessaire !
Franchement, on peut écrire des lois au nom du peuple souverain, réussir même l’exploit que ces mesures survivent à la navette parlementaire. Mais ces lois ne sont rien si l’exécutif ne les met pas en œuvre ! Il y va de la crédibilité même de la démocratie et du pouvoir législatif.
Malgré ce contexte, le groupe Union Centriste accueille le texte et le débat qui s’ensuit avec intérêt, et s’est voulu constructif, en proposant des amendements en commission comme en séance. Nous voulons relever la qualité du travail effectué par la rapporteure Jacqueline Eustache-Brinio, qui a enrichi le texte après avoir conduit de très nombreuses auditions avec humanisme et un sens aigu du dialogue et de l’ouverture.
Oui, l’idée d’un schéma à la main du préfet de région est bonne. Oui, la mise en demeure administrative doit être réformée et son délai de validité allongé.
Madame la ministre, cet après-midi, il faudrait que tout le Gouvernement ou presque soit à vos côtés pour discuter des mesures contenues dans le texte initial comme dans les amendements déposés, qui touchent au droit pénal, aux prérogatives des collectivités locales comme à celles des préfets…
Je commencerai par ce qui touche de plus près votre ministère, à savoir la proposition de décompter les places des aires d’accueil au titre de l’article 55 de la loi SRU. C’est une proposition frappée au coin du bon sens, maintes fois évoquée et votée ici, et qui mériterait, je le dis tout simplement, d’être enfin soutenue par le Gouvernement. Le message envoyé aux élus serait fort, pragmatique, concret. De surcroît – énorme avantage dans la période actuelle –, il ne coûterait rien.
En matière de renforcement de l’arsenal pénal, nous proposerons de réintroduire dans ce texte les dispositions communes des propositions de loi Carle et Hervé, qui furent votées au Sénat, mais rejetées à l’Assemblée nationale.
Je voudrais maintenant aborder trois sujets, mes chers collègues.
Le premier est la prise en compte du taux d’occupation des aires d’accueil existantes avant d’envisager la construction de nouvelles aires dans le schéma départemental. Cet amendement de notre collègue Françoise Gatel permettra d’être plus efficients dans la disposition géographique des aires.
Le deuxième est la nécessité de mieux connaître le coût d’ensemble de la politique publique consistant à accueillir et à proposer la sédentarisation aux gens du voyage. On évalue à 400 000 le nombre de personnes appartenant à la communauté des gens du voyage. Parmi elles, les deux tiers seraient nomades.
Il serait intéressant pour le Parlement de connaître, en investissement comme en fonctionnement, le coût de cette politique publique.
Le troisième sujet n’est pas le moindre, il n’est pas non plus le plus simple à aborder : je veux évoquer la scolarisation des enfants du voyage.
Dans quelques semaines, le Sénat va examiner le texte confortant le respect des principes de la République et va s’engager dans la lutte contre toutes les formes de communautarisme. La question scolaire sera au centre des débats.
Parmi les gens du voyage dans notre pays, des milliers d’enfants sont mal scolarisés, voire pas scolarisés. D’expérience, il apparaît que la seule vérification faite par les services de l’éducation nationale se limite au fait de savoir si ces élèves sont inscrits dans un établissement scolaire en début d’année ou au Centre national d’enseignement à distance (CNED). Mais, dans les faits, beaucoup trop d’entre eux ne vont pas à l’école et ne suivent pas les cours à distance.
À l’adolescence, beaucoup d’enfants du voyage, notamment les filles, quittent le collège. Je pense que nous sommes tous complices de cette situation. Nous fermons les yeux sur la réalité et il y a un travail considérable à mener. Il existait autrefois des classes mobiles et des instituteurs détachés qui allaient au plus près des familles. Cela n’existe plus. Les enfants du voyage doivent pouvoir être libres de choisir leur vie lorsqu’ils atteignent l’âge adulte. C’est un enjeu considérable pour notre école, l’école de la République.
Mes chers collègues, les sujets que nous abordons cet après-midi sont concrets et difficiles.
Les aborder avec franchise nous expose à l’accusation de stigmatiser une population – le débat en témoigne. Ne pas les aborder, c’est ignorer la réalité du terrain et faire fi de notre travail.
Je conclurai en vous disant que, pour nous, sénateurs du groupe Union Centriste, le principal objectif est de faire véritablement respecter l’État de droit. C’est pourquoi nous voterons ce texte, car il réaffirme des préoccupations que nous partageons et apporte des améliorations concrètes au droit. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le confinement a été une épreuve pour tous, mais il a été particulièrement compliqué pour les personnes itinérantes. Il leur était impossible de bouger, alors que cela fait partie de leur identité, leurs activités économiques étaient atteintes – je pense en particulier aux fêtes foraines, aux marchés, aux cirques –, et elles n’étaient pas toujours éligibles aux aides de l’État.
Les difficultés sanitaires et de scolarisation de ces populations ont été démultipliées en fonction de leurs conditions de vie et de leur accès ou non à internet.
Compte tenu de cette situation, les interventions des restaurants du cœur et des banques alimentaires se sont multipliées sur les aires d’accueil pour répondre à ces situations de détresse.
Quelques évacuations ont eu lieu également, dans des conditions qui se sont parfois révélées dramatiques pour la santé de ces personnes.
Les communes ont souvent dû faire des efforts, en diminuant ou en supprimant le forfait d’usage des branchements dans les aires d’accueil.
Rappelons aussi que les règles en matière de circulation, d’identité et de vote de ces personnes dérogeaient au droit commun jusqu’en 2017. On a commencé à sortir de ce régime en 2012, et la loi de 1969, qui établissait ces discriminations – en particulier le carnet de circulation –, n’a été totalement abrogée que par la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté.
Mes chers collègues, les voyageurs de nationalité française sont entre 300 000 et 500 000. La loi Besson fixe des objectifs aux communes, transférés ensuite aux EPCI, pour que ces personnes puissent s’établir de manière temporaire et circuler.
En 2016, 76 % des EPCI remplissaient leurs obligations, 79 % en 2019. Il reste donc encore plus de 20 % des EPCI qui ne respectent pas les règles. C’est pire au niveau des départements : 50 % des aires de grand passage ne sont pas réalisées, et seuls vingt-quatre départements – ils étaient dix-neuf en 2016 – remplissaient leurs objectifs en matière de schéma départemental d’accueil.
Cela pose des problèmes, en particulier lors des grands déplacements d’été ou des regroupements religieux de plusieurs milliers de caravanes.
Comment voulez-vous que le système fonctionne s’il existe un tel décalage entre les besoins des gens du voyage, leur nombre, et les places prévues ? C’est un vrai sujet, et l’on doit constater que la loi relative à l’accueil des gens du voyage n’est pas respectée aujourd’hui, alors que cela devrait être notre priorité.
Au cours des dernières années, des procédures simplifiées d’évacuation des occupations illicites ont été prévues pour les EPCI qui respectent leurs obligations, mais, compte tenu du nombre de schémas non respectés, les préfets ne peuvent pas toujours trouver une alternative lorsqu’ils constatent des occupations illicites. Celles-ci peuvent donc durer faute de solution, parce que 25 % des départements seulement remplissent leurs obligations.
Se pose aussi la question de la sédentarisation progressive des gens du voyage, accélérée cette année avec le confinement. Il faut trouver des solutions pour permettre l’usage de terrains dont ils sont parfois propriétaires, mais qui ne sont pas destinés à un usage d’habitation. Rien n’est proposé sur ce sujet dans ce texte, alors que c’est aujourd’hui la priorité de ces populations en matière d’évolution de leur mode de vie.
Madame la ministre, je dois comme d’autres dénoncer la nonchalance, voire la désinvolture du Gouvernement sur ces sujets. Il a fallu attendre trois ans pour que les dispositions réglementaires relatives à la procédure de consignation mise en place par la loi Égalité et citoyenneté soient prises ! Cette procédure permet pourtant, de façon plus douce que le pouvoir de substitution du préfet, d’obliger les EPCI à remplir leurs obligations. Trois ans d’attente également entre le vote de la loi Carle – non pas que nous la soutenions – et sa mise en œuvre !
M. Loïc Hervé. Eh oui !
M. Jean-Yves Leconte. Mes chers collègues, dès lors qu’une loi est votée, bonne ou mauvaise, le Gouvernement doit l’appliquer. Sinon, à quoi bon continuer de légiférer ? Nous déplorons en la matière les dysfonctionnements de l’administration, madame la ministre. (M. Loïc Hervé approuve.)
Malgré ces remarques, je veux aussi saluer une partie du travail de notre rapporteure.
M. Loïc Hervé. Ah !
M. Jean-Yves Leconte. L’article 3, qui était probablement inadéquat compte tenu du fonctionnement des commissions départementales de la coopération intercommunale (CDCI), a été supprimé, de même que l’article 6, qui prévoyait que les gens du voyage ne puissent pas être plus de 3 % sur les listes électorales des communes. En République, les citoyens sont égaux ! Voilà une proposition étonnante de la part d’un groupe politique qui prétend vouloir lutter contre les communautarismes.
M. Jérôme Bascher. C’est un vrai sujet.
M. Jean-Yves Leconte. En revanche, nous pensons, comme Mme la ministre, que les articles 1er et 2 entravent trop la liberté d’aller et de venir pour être acceptables. Introduire la région dans les procédures de gestion et de planification pourrait être utile, mais il faudrait déjà réfléchir à la manière de mieux accompagner les départements qui rencontrent des difficultés. Ils n’arrivent pas en effet à mettre en œuvre cette coopération entre les EPCI qui leur permettrait de mieux remplir leurs obligations. Face à cette difficulté réelle d’occupation illicite des terrains, il me semble que la priorité est de faire en sorte que le Gouvernement et les collectivités appliquent la loi.
M. Loïc Hervé. Et les collectivités, en effet !
M. Jean-Yves Leconte. Il faut favoriser partout les espaces de médiation, plutôt que de stigmatiser des populations en prévoyant des amendes ou des saisies, dont on sait parfaitement qu’elles ne seront pas mises en œuvre.
Pour que la loi soit appliquée, mes chers collègues, encore faut-il qu’elle soit applicable ! C’est parfois la difficulté à laquelle le Gouvernement est confronté avec la procédure d’amende forfaitaire lorsqu’il constate l’absence de solutions.
En tout état de cause, mes chers collègues, nous ne pouvons souscrire aujourd’hui à une démarche qui refuse d’admettre le caractère inachevé de la politique d’accueil et qui veut tout asseoir sur la répression et les amendes. Je rappelle que 85 % des départements ne remplissent pas leurs objectifs en matière de schémas d’accueil.
M. Loïc Hervé. Parfois, on n’en est pas loin !
M. Jean-Yves Leconte. Tant que l’on n’assure pas l’accueil et la mobilité des gens du voyage, il est difficile de concentrer toute notre politique sur les sanctions – il n’y a souvent pas de solution en cas d’occupation illicite, et les préfets le savent parfaitement. Pour sortir de cette quadrature du cercle, il faut que les collectivités respectent leurs obligations, et il faut les aider à les respecter.
Nous pourrions ainsi réfléchir à des solutions pour mieux accompagner les départements. L’Ille-et-Vilaine ou certains départements auvergnats ont mis en œuvre des dispositifs innovants pour pouvoir répondre aux besoins. Il faut accompagner les départements vertueux.
M. le président. Il faut surtout conclure… (Sourires.)
M. Jean-Yves Leconte. Il nous manque peut-être des outils, mais le tout-répressif n’est pas la solution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, les années et les textes législatifs se suivent, mais la gestion des gens du voyage reste une problématique récurrente pour les élus, notamment ceux de Haute-Savoie – je l’ai vécu en tant que maire.
Malgré les nouveaux outils que nous avons mis à leur disposition en 2018, les communes sont encore le plus souvent impuissantes face aux installations illicites.
Pas un mois ne passe sans que je sois sollicité par des élus de ma circonscription à ce sujet. Je ne peux qu’attester de leur désespoir, provoqué par leur absence de moyens pour faire respecter la loi, alors même qu’ils se conforment aux obligations mises à leur charge par le schéma départemental d’accueil des gens du voyage, mais également de leur désarroi face à certaines décisions de justice aberrantes.
Nous avons réussi à faire un premier pas en 2018 pour aider les élus, mais les mesures que nous avons alors adoptées ne suffisent pas, force est de le constater. Les collectivités territoriales n’ont toujours pas en main les outils nécessaires pour lutter contre le fléau – je pèse mes mots – des installations illicites. Nous ne pouvons pas continuer à laisser agir en toute impunité ces individus faisant fi de la loi, qui menacent, intimident et invectivent les élus, qui s’installent sans aucune notification préalable ou en méconnaissance des dates de réservation, qui dégradent des terrains communaux ou privés en ne respectant pas les règles les plus élémentaires d’hygiène, et qui laissent de surplus le soin aux collectivités de nettoyer derrière eux.
Les frais engagés pour la remise en état des terrains s’élèvent souvent à plusieurs milliers d’euros, payés par les impôts des contribuables, et pèsent considérablement sur les budgets des collectivités, qui ne peuvent pas les déployer pour des projets qui bénéficieraient pourtant à l’ensemble de leur population.
Comment est-il possible de laisser impunis ces agissements absolument contraires au vivre ensemble, au seul motif qu’ils sont commis par une communauté spécifique ? La loi n’est-elle pas la même pour tout le monde ? Le fait d’appartenir à une minorité empêche-t-il d’être responsable de ses actes et d’en assumer les conséquences, fussent-elles pénales ? La réponse est non, et je soutiens fermement qu’il est absolument indispensable que nous arrêtions de nous cacher derrière les particularités de cette communauté pour renoncer à prendre les mesures nécessaires.
La situation est tout simplement insoutenable, et il est de notre devoir d’y remédier, pour le bien des élus et du reste de la population, qui n’a pas à supporter le poids de ces agissements.
En 2018, lorsque notre proposition de loi a été examinée à l’Assemblée nationale, une grande partie du texte voté au Sénat a été détricotée. Nous étions nombreux à l’avoir déploré. On nous avait dit que cela suffirait. Mais, aujourd’hui, deux ans plus tard, nous devons de nouveau examiner une nouvelle proposition de loi, qui reprend en grande partie les dispositions qui avaient été supprimées à l’Assemblée nationale.
En effet, le texte que nous examinons reprend plusieurs des dispositions qui avaient été adoptées au Sénat : prise en compte des terrains dans la comptabilisation des logements sociaux, suppression de la consignation de fonds, saisie des véhicules d’habitation et déplacement forcé de ces derniers vers un autre terrain en cas d’installation illicite… Quelle perte de temps !
La majorité, arguant du risque de stigmatisation des gens du voyage, n’avait à l’époque pas eu le courage d’ouvrir les yeux sur l’étendue des lacunes de notre législation. J’espère de tout cœur, madame la ministre, qu’il en ira autrement cette fois, afin d’éviter un nouveau débat sur cette problématique dans deux ans.
Je l’avais dit à l’époque, je le répète aujourd’hui : les dispositions que nous proposons ne cherchent absolument pas à stigmatiser les gens du voyage, qui respectent la loi dans leur grande majorité, mais à donner aux élus les moyens nécessaires pour se défendre face à la minorité qui persiste à s’enfoncer dans l’illégalité.
Tout comme Loïc Hervé, je tenais à attirer votre attention sur l’absence de mise en œuvre réglementaire de certains dispositifs que nous avions adoptés, notamment l’amende forfaitaire. Il est tout bonnement aberrant qu’un dispositif voté ne soit pas appliqué, et je ne peux qu’inviter le Gouvernement à rectifier cette lacune le plus rapidement possible.
Je le souligne encore une fois, ce texte comble un vide législatif important. Il apporte des réponses concrètes aux problèmes rencontrés par les élus locaux, et sera encore enrichi par notre débat d’aujourd’hui. Il serait malhonnête d’avancer que les dispositifs actuels sont suffisants.
Ce texte est donc une véritable nécessité pour renforcer les outils dont disposent les collectivités. Tous les acteurs concernés par ce sujet espèrent un vote au Sénat et une lecture rapide à l’Assemblée nationale, en vue d’une application dans les meilleurs délais.
Madame la ministre, vous avez exprimé votre opposition à cette proposition de loi au début de votre intervention. Mais alors, faites-nous des propositions ! Nous sommes prêts à travailler avec vous. Nous reconnaissons tous l’existence d’un problème, et nous ne pouvons pas nous résoudre à laisser les choses en l’état. Les élus n’en peuvent plus, ils appellent à l’aide ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les gens du voyage ne sont pas des citoyens de seconde zone. Comme tous les Français, ils ont des devoirs et aussi des droits, qui doivent être respectés, de même que leur mode de vie itinérant.
Mais, vingt ans après la loi Besson, force est de constater que la situation, malgré des évolutions positives, n’est pas pleinement satisfaisante, ni pour les collectivités ni pour les gens du voyage.
La question de leur accueil fait partie de ces sujets sensibles qui entraînent des débats passionnés et virent trop souvent au dialogue de sourds. Sur le terrain, les tensions se multiplient et conduisent dans certaines circonstances à des violences, dans des zones qui en étaient jusque-là préservées.
D’un côté, les gens du voyage s’estiment victimes d’un certain ostracisme, de préjugés, voire d’une mauvaise application de la loi rendant leurs conditions de vie difficiles ; de l’autre, les collectivités ont le sentiment, justifié, de remplir leurs obligations légales et les élus locaux sont confrontés à un véritable désarroi quand ils sont menacés, y compris dans leur intégrité physique, par des occupants de terrains publics ou privés irascibles.
Ces situations, en particulier lorsqu’elles aboutissent à des occupations illégales, des violences ou des dégradations, sont vécues localement comme l’illustration de l’impuissance de l’État et des autorités publiques. De fait, elles contribuent au blues des élus locaux et, surtout, à l’exaspération des habitants.
Dans le Calvados, de nombreux séjours se déroulent sans problème, mais, comme dans d’autres départements, nous ne sommes pas épargnés par ce phénomène de relations conflictuelles, notamment au moment des grands passages et rassemblements qui amènent des flux massifs et incontrôlés de caravanes et de véhicules dans des territoires tranquilles. C’est souvent le cas sur la côte et dans les communes du rétro-littoral comme Pont-l’Évêque.
Dans un passé récent, en tant que maire et président d’EPCI, j’ai moi-même, comme beaucoup d’entre nous, fait l’expérience d’une aire d’accueil plusieurs fois dégradée et de branchements sauvages sur les réseaux par des personnes peu soucieuses de respecter les règles.
Récemment, à Lisieux, des carcasses de voitures, des débris de verre, des détritus ont été abandonnés par des gens du voyage lors de leur départ et les sanitaires ont été dégradés.
C’est dans ce contexte général qu’intervient la présente proposition de loi. Le Sénat a déjà été à l’origine d’évolutions législatives sur ce sujet difficile, auquel nous avons tous été confrontés. On peut d’ailleurs regretter que certains dispositifs n’aient pas été retenus lors de précédentes navettes parlementaires.
Malgré les dernières évolutions du droit, comme l’a relevé la commission des lois, des difficultés persistent tant en matière d’accueil que de lutte contre les occupations illicites. Le texte de la proposition de loi tel qu’il est issu des travaux de la commission apparaît ainsi équilibré, pragmatique et, surtout, opérationnel. C’est bien ce qui est attendu par les collectivités territoriales : un cadre clair, une meilleure anticipation, des règles plus strictes pour faire cesser les occupations illicites, y compris par la contrainte, telle la saisie des véhicules illégalement stationnés.
La comptabilisation des aires d’accueil de gens du voyage au sein des quotas de logements sociaux, déjà votée à deux reprises par le Sénat, constitue à mon sens une mesure qui tient compte du coût et des efforts consentis par les collectivités. La suppression de la procédure de consignation de fonds pour les communes et EPCI me semble aussi constituer un signal fort.
Je forme le vœu que les dispositions les plus emblématiques de ce texte ne soient pas supprimées pour des motifs purement politiques au cours de la suite du processus législatif. Ce serait particulièrement mal vécu par les élus locaux. Continuons à leur redonner confiance pour gérer leur territoire et faisons en sorte que force reste toujours à la loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)