Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Ventalon, auteure de la question n° 1429, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Mme Anne Ventalon. Le 30 octobre dernier, Bruno Le Maire déclarait : « Le télétravail est la règle ; le reste, c’est l’exception. »
Pour de nombreux habitants de la ruralité, particulièrement en Ardèche, cette exception relève de l’ordinaire. Particuliers, entreprises, collectivités, personnes isolées ou fragiles, tous subissent encore et toujours les déboires d’un réseau filaire obsolète et dysfonctionnel.
En 2021, l’accès à une téléphonie fixe de qualité ne devrait pas être une chance, mais un droit garanti, comme l’eau ou l’électricité. Hélas, l’entretien désastreux du réseau en cuivre empêche de nombreux abonnés de bénéficier du service universel de téléphonie, qui est pourtant dû par l’opérateur historique Orange. Tandis que ce dernier est tenu d’intervenir en quarante-huit heures, les délais pour les réparations se comptent en semaines ; en outre, de simples ouvertures de ligne réclament des mois. Ainsi, la demande de raccordement dans la commune de Limony en Ardèche, qui date de l’an dernier, n’a toujours pas abouti à ce jour. Dernièrement, ce sont les communes ardéchoises d’Aizac, de Saint-Martial et du Cros-de-Géorand qui ont eu à subir cette impéritie : fils au sol, poteaux tombés, réactivité médiocre et délais de traitement des pannes extravagants.
En 2017, l’opérateur Orange a été désigné par le ministre de l’économie pour piloter le contrôle du service au moyen d’indicateurs nationaux, et ce pour une durée de trois ans. En 2018, l’Arcep, constatant qu’Orange ne respectait pas ses obligations, l’a mis en demeure d’apporter les indispensables améliorations concernant plusieurs indicateurs, notamment les délais de raccordement et d’intervention.
Faute d’investissement et d’une quelconque volonté de la part d’un opérateur qui mise sur le déploiement de la fibre et de la 5G, aucune amélioration notable n’a été constatée depuis.
Vous avez vous-même déclaré qu’il y avait urgence et missionné une députée sur ce sujet. Or la convention entre l’État et Orange est arrivée à échéance le 27 novembre 2020. Ma question concerne donc le cahier des charges de la convention qui doit la remplacer. Inscrirez-vous des critères plus lisibles permettant d’apprécier la situation propre à chaque département, pour enfin résorber les problèmes de la téléphonie fixe en milieu rural ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, vous évoquez un problème qui concerne beaucoup de nos concitoyens.
Comme vous l’avez dit, le Gouvernement et les opérateurs ont un objectif extrêmement ambitieux en matière de déploiement de la fibre, qui doit conduire à une forme de service universel et à un accès de tous à la fibre d’ici à la fin de l’année 2025. Dans cette attente, beaucoup de territoires, beaucoup de Françaises et de Français dépendent encore du téléphone fixe et du réseau en cuivre pour communiquer. Ce réseau reste donc absolument indispensable pour eux. Il était régi par un service universel dans le cadre de la convention entre l’État et Orange, qui a légalement pris fin le 4 décembre dernier.
Dans le courant de l’année passée, le projet de loi Ddadue transposant la directive européenne qui encadre les modalités d’application du nouveau service universel aurait dû être voté. Or, compte tenu de la crise de la covid-19, vous n’avez pu voter ce projet de loi qu’à la fin décembre. Nous sommes dans une période de transition en quelque sorte, où le précédent service universel a pris fin et le nouveau service universel n’est pas encore défini.
Les services de l’État, en lien avec les opérateurs et les collectivités territoriales, travaillent extrêmement dur à la définition de ce nouveau cadre, dont il est probable d’ailleurs qu’il doive s’adapter à la réalité quotidienne des territoires. Cela signifie, pour être extrêmement concret, qu’il faudra probablement plusieurs semaines, voire plusieurs mois pour circonscrire ce nouveau cadre. Or il est hors de question de laisser nos concitoyennes et nos concitoyens qui sont aujourd’hui coupés du téléphone ou souffrent de l’insuffisante qualité du réseau cuivre sans solution. C’est pourquoi l’Assemblée nationale a décidé de confier une « mission flash » – d’une durée d’un mois – à la députée Célia de Lavergne, afin qu’elle puisse, en cela appuyée par les services de mon ministère, formuler des propositions au Gouvernement, en lien avec les différents acteurs.
Nous voulons faire en sorte d’apporter une réponse rapide à l’ensemble des Français. Il y a urgence absolue dans ce domaine : il nous faut déployer rapidement la fibre et le réseau mobile, mais nous devons aussi, en attendant que la fibre soit généralisée à l’ensemble du territoire, maintenir une bonne qualité du réseau en cuivre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Ventalon, pour la réplique.
Mme Anne Ventalon. Je resterai attentive à vos décisions et à vos actions. Gardons en tête que nous sommes en état d’urgence, que la téléphonie fixe est un droit, la qualité du service une nécessité et un devoir.
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Roger Karoutchi.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Démission et remplacement d’une juge suppléante à la Cour de justice de la République
M. le président. Mes chers collègues, à la suite de la démission de Mme Corinne Féret, juge suppléante à la Cour de justice de la République, le scrutin pour l’élection d’un nouveau juge suppléant pourrait se tenir jeudi 21 janvier de dix heures trente à onze heures en salle des conférences.
Le délai limite pour le dépôt des candidatures à la présidence serait fixé à demain quinze heures.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
4
Garantie du respect de la propriété immobilière contre le squat
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat, présentée par Mme Dominique Estrosi Sassone et plusieurs de ses collègues (proposition n° 81, texte de la commission n° 262, rapport n° 261).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « il n’y a pas de justice, il faut que les choses changent » ! Ces quelques mots d’Henri Kaloustian, ancien mécanicien de 75 ans, victime avec son épouse Marie-Thérèse du squat de leur maison de Théoule-sur-Mer l’été dernier, disent presque tout du drame que constitue le squat des biens immobiliers dans notre pays. Ce couple de retraités modestes a constaté, désespéré, le saccage de son domicile, fruit de plus de trente ans d’économies, et l’impuissance des pouvoirs publics pris dans des considérations juridiques kafkaïennes.
Oui, madame la ministre, il faut que les choses changent ! En effet, il n’y a pas qu’une affaire locale qui serait montée en épingle, mais de très nombreuses affaires à travers toute la France depuis de trop nombreuses années. Sur ces travées, chacun d’entre nous pourrait citer un exemple vécu.
Il faut que les choses changent, car le squat de domicile et le déni de justice qui l’accompagne sont d’une violence extrême pour les victimes. Vous voyez votre intimité violée, votre droit le plus légitime bafoué, la force l’emporter sur le respect de la loi, votre toit et votre sécurité, acquis à force de travail et d’épargne, réduits à néant.
Face à ce déni de justice, il existe un abus de droit manifeste, celui de se dire « chez soi » et de prétendre à la protection constitutionnelle du domicile et du droit au logement, alors que le plus simple bon sens montre que le squatteur usurpe, par la force ou par la ruse, le bien de sa victime.
Il faut que les choses changent ! C’est bien pour cela que j’ai déposé cette proposition de loi, soutenue par plus d’une centaine de mes collègues, que je remercie vivement, et portée par le groupe Les Républicains. Je veux apporter des réponses concrètes et rapidement applicables, au-delà de celles qui ont déjà été votées dans la loi ASAP (loi d’accélération et de simplification de l’action publique), qui a, hélas, été pour partie censurée par le Conseil constitutionnel.
Loin de surfer sur un événement médiatique, cette proposition de loi et l’engagement de notre groupe politique à la faire aboutir sont le résultat d’un long travail sénatorial, qui fait honneur à notre assemblée. En effet, les squats de domicile sont une question ancienne et complexe, qui doit être traitée de manière équilibrée et juste dans le respect de nos valeurs républicaines. Le logement est un bien de première nécessité.
Il ne faut pas confondre les squatteurs avec ces locataires en difficulté que l’on cherche à accompagner pour prévenir une expulsion forcément dramatique. De même, nous ne devons pas confondre des criminels qui facilitent et organisent des squats de domicile avec les associations légitimes qui défendent les locataires et cherchent à faire progresser le droit au logement dans notre pays.
Nous ne sommes pas non plus dans une opposition caricaturale entre, d’un côté, riches propriétaires et, de l’autre, pauvres locataires. On l’ignore souvent, mais nombre de locataires, y compris en HLM, sont eux aussi victimes de squatteurs.
Mme Sophie Primas. Eh oui !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Il nous faut donc agir. Mais cet équilibre et cette proportionnalité des moyens juridiques ne sont pas faciles à trouver. Le Sénat les a opiniâtrement recherchés depuis maintenant presque quinze ans. Je tiens à le souligner.
C’est sur l’initiative du Sénat et d’un amendement de notre collègue Catherine Procaccia qu’a été introduit l’article 38 de la loi de 2007 sur le droit au logement opposable, qui donne aux préfets la possibilité d’expulser les squatteurs d’un domicile. Malheureusement, cette disposition est restée peu connue et peu utilisée. On a dressé divers obstacles contre sa mise en œuvre, comme l’obtention de preuves ou le pseudo-délai de flagrance de quarante-huit heures qui empêcherait la force publique d’intervenir.
C’est encore sur l’initiative du Sénat et d’une proposition de loi de notre ancienne collègue Natacha Bouchart qu’une amende de 15 000 euros en cas d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui par voies de fait a été introduite dans le code pénal. De plus, avec cette loi, le squat de domicile est devenu un délit continu, ce qui devait normalement empêcher que l’on oppose aux victimes le pseudo-délai de flagrance de quarante-huit heures.
Las, ce ne fut pas suffisant. En 2018, dans le cadre de la loi ÉLAN (loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique), dont j’étais le rapporteur au Sénat, notre assemblée a été obligée de remettre l’ouvrage sur le métier. Nous avons introduit deux modifications dans le code des procédures civiles d’exécution : nous avons supprimé le délai de deux mois pour l’application d’une décision judiciaire d’expulsion, dès lors qu’il y a squat, et supprimé le droit de se prévaloir de la trêve hivernale en cas de squat de domicile.
Malgré ces avancées obtenues par le Sénat, il n’a toujours pas été mis fin aux squats de domicile. Mes chers collègues, vous le savez bien, dans certaines communes, les maires sont obligés de mobiliser la police municipale et leurs concitoyens dans des dispositifs « voisins vigilants » pour éviter les squats.
À la suite de l’affaire de Théoule-sur-Mer, le Gouvernement a simplifié la procédure de l’article 38 dans le cadre de l’examen du projet de loi ASAP. Néanmoins, ce texte n’avait pas vocation à traiter spécifiquement de cette question. C’est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel a censuré l’article qui visait à réprimer plus sévèrement les squatteurs. Plus largement, plusieurs questions relatives au squat, qui n’étaient pas de l’ordre de la pure simplification administrative et juridique, n’ont pas pu être introduites dans la loi lors des débats cet automne. Ma proposition de loi a justement pour objet de pouvoir le faire aujourd’hui.
Comme je l’ai souligné, le sujet est complexe. Il faut trouver le juste équilibre entre, d’un côté, la protection de la propriété privée, ce « droit inviolable et sacré », et, de l’autre, la protection du domicile et le droit au logement, qui sont reconnus depuis près de quarante ans comme des principes à valeur constitutionnelle. Il nous faut aussi trouver les moyens juridiques de protéger les victimes de squat, sans pour autant rendre délictuelles des situations de détresse qui doivent trouver une issue sociale et non judiciaire.
Au regard de cette obligation, les termes de la proposition de loi pouvaient être améliorés. Je veux très sincèrement remercier ici le président de la commission des lois, François-Noël Buffet, le rapporteur Henri Leroy, qui a travaillé avec moi sur cette proposition de loi, et l’ensemble des services de la commission d’avoir cherché, dans un esprit de dialogue et avec toute la rigueur juridique qu’on leur connaît, à atteindre l’objectif qui était le nôtre : protéger les victimes, améliorer l’efficacité des procédures, punir les squatteurs et leurs complices.
Quelles sont donc les avancées concrètes que nous vous proposons d’adopter ?
Nous voulons dissuader plus fermement les squatteurs de domicile. Aujourd’hui, le fait d’occuper par la force le domicile d’autrui est moins sévèrement puni que le fait, pour un occupant légitime, de se faire justice. Cela n’est pas normal ! L’Assemblée nationale et le Sénat étaient parvenus à un accord à ce sujet cet automne. Le Conseil constitutionnel a estimé qu’il s’agissait d’un cavalier législatif dans un projet de loi visant à simplifier le droit. Nous vous proposons aujourd’hui de rétablir ces dispositions dans la loi.
Nous voulons éviter que le squat ne devienne une voie pour faire valoir son droit au logement opposable, une sorte de « coupe-file », car, si les préfets sont désormais fortement incités à procéder à l’expulsion des squatteurs, ils ont toujours l’obligation de les reloger. Or rien ne serait plus injuste que de donner, à notre corps défendant, une prime aux squatteurs au détriment de familles en attente de logement, mais respectueuses de la loi et du bien d’autrui. Nous proposons donc que les juges puissent décider la suspension du droit au logement opposable à titre de peine complémentaire et de manière limitée dans le temps.
Nous voulons dissuader et réprimer ceux qui se rendent complices de squats et, surtout, qui cherchent à les faciliter. De véritables modes d’emploi sont disponibles sur internet. Si vous ne l’avez pas encore fait, je vous invite à taper « Comment squatter un logement ? » sur le moteur de recherche de votre téléphone portable. Vous trouverez immédiatement des notices vous expliquant comment squatter un logement.
On est glacé à l’idée que, rentrant chez soi d’un déplacement, on puisse trouver la serrure changée et de nouveaux occupants à sa place. Nous proposons donc d’introduire une peine contre la propagande et la publicité en faveur du squat.
Mme Sophie Primas. Très bien !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Nous voulons clarifier la loi.
On a beaucoup focalisé sur le domicile. Je rappellerai que, dans le cadre de la loi ÉLAN, le Sénat n’avait pu faire adopter le délit d’occupation d’un logement vacant.
Les débats qui ont eu lieu à l’occasion de loi ASAP à l’Assemblée nationale ont montré qu’il ne fallait pas avoir une vision étroite du domicile, compris comme la résidence principale, mais l’étendre à la résidence secondaire et même permettre à des ayants droit d’agir, par exemple pour le compte d’une personne âgée.
Dans la continuité de la position du Sénat et pour traiter toutes les situations, nous vous proposons de faciliter l’expulsion en cas de squat dans les situations interstitielles entre deux locations ou avant un emménagement.
Nous souhaitons éviter que, lors des procédures d’expulsion, la notion de « voies de fait » ne donne lieu à des interprétations jurisprudentielles dénaturant les objectifs de la loi.
Enfin, nous souhaitons encore accélérer la procédure de l’article 38 exécutée par les préfets en réduisant le délai d’intervention à vingt-quatre heures, tout simplement parce que, dans la plupart des cas, les squatteurs commettent des dégradations et que le seul moyen de limiter ces dégâts est d’agir extrêmement rapidement.
Voilà, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les principales dispositions de la proposition de loi, sur lesquelles le rapporteur Henri Leroy aura l’occasion de revenir.
Je terminerai en citant Portalis, grande figure provençale et célèbre juriste, qui soulignait que « les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison » et qu’on ne pouvait laisser leur contestation indécise « sans forcer chaque citoyen à devenir juge dans sa propre cause, et sans oublier que la justice est la première dette de la souveraineté ».
C’est cette dette de justice, de sagesse et de raison à l’égard des victimes de squat que je vous propose de voter aujourd’hui à travers cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Alain Marc applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Leroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis particulièrement satisfait de rapporter devant vous la proposition de loi de notre collègue Dominique Estrosi Sassone, cosignée par plus d’une centaine de sénateurs. Les affaires récentes de Théoule-sur-Mer ou du Petit Cambodge nous appellent en effet à mieux protéger la propriété, « droit inviolable et sacré » selon la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, inscrite dans le préambule de notre Constitution, contre les squatteurs.
Certes, il existe déjà des dispositifs spécifiques pour lutter contre les squatteurs : le délit de violation de domicile de l’article 226-4 du code pénal ou la procédure rapide d’évacuation forcée, créée sur l’initiative du Sénat et, plus précisément, de notre collègue Catherine Procaccia dans la loi DALO du 5 mars 2007 lorsqu’il y a violation du domicile au sens de l’article 226-4 du code pénal. Mais les affaires évoquées démontrent qu’ils ne sont ni suffisamment dissuasifs à l’égard des squatteurs ni suffisamment connus des propriétaires, voire des préfectures, des forces de police et de gendarmerie et même des parquets.
À ce propos, j’ai été très surpris d’entendre lors de mes auditions que, dans l’affaire de Théoule-sur-Mer, le procureur de la République se serait opposé à une intervention des gendarmes, en invoquant le dépassement d’un délai de flagrance de quarante-huit heures, pourtant non prévu par les textes, puisqu’il s’agit d’un délit continu. La sous-préfecture, quant à elle, paraissait peu au fait de la question et ignorait que la procédure d’évacuation forcée pouvait s’appliquer à une résidence secondaire. C’est finalement parce qu’elle a constaté des faits de violences conjugales au sein du couple de squatteurs que la gendarmerie est intervenue et que les propriétaires ont pu réintégrer leur bien, propriété et domicile.
Ce dysfonctionnement est incompréhensible pour nos concitoyens. Une loi existe, mais elle est mal connue et, donc, mal appliquée. Les ministères interpellés nous annoncent une circulaire prochaine pour y remédier : elle est indispensable, et j’espère, madame la ministre, que nous n’aurons pas à attendre beaucoup plus longtemps.
Pour autant, la proposition de loi de notre collègue Dominique Estrosi Sassone n’est pas la énième réaction législative à un fait divers. Il s’agit d’un travail de fond pour compléter de manière utile la législation en vigueur. La commission des lois en a gardé les principaux apports, tout en la recentrant sur le cas des véritables squatteurs, c’est-à-dire ceux qui pénètrent dans les lieux contre la volonté du propriétaire, par manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, et qui savent donc, sans ambiguïté, ne pas être chez eux, selon les termes consacrés de la jurisprudence.
Les auditions que j’ai menées auprès des ministères concernés, mais aussi de l’Union nationale des propriétaires immobiliers et de la Fondation Abbé-Pierre m’ont convaincu de la nécessité de distinguer la situation des locataires défaillants ou des occupants à titre gratuit qui se maintiennent dans les lieux contre la volonté du propriétaire de celle des squatteurs.
Il y a tout d’abord une question d’opportunité : ces personnes sont entrées dans les lieux de manière licite et elles peuvent être simplement confrontées à un accident de la vie. Pénaliser le locataire défaillant reviendrait en définitive à réintroduire l’emprisonnement pour dettes. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait rien à améliorer pour agir contre les locataires de mauvaise foi qui font du « tourisme locatif », mais c’est un autre sujet. D’ailleurs, avec la commission des lois, nous avons défini, en début d’examen de cette proposition de loi, son périmètre pour l’application de l’article 45 de la Constitution.
Il s’agit également de préserver l’équilibre entre le droit constitutionnel de propriété, garanti par les articles II et XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et le droit au logement, qui a été reconnu comme un objectif de valeur constitutionnelle.
Dans cet esprit, la commission a précisé le nouveau délit d’occupation frauduleuse d’un immeuble, en exigeant une introduction dans les lieux à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte. Elle a également introduit une gradation des peines pour punir plus sévèrement le squat d’un domicile que celui de locaux non utilisés à cette fin.
La commission a précisé la définition de la nouvelle infraction consistant à faire la propagande ou la publicité de l’occupation frauduleuse d’immeuble pour ne cibler que la diffusion de méthodes visant à faciliter ou à inciter à la commission de ce délit. Il s’agit de préserver la liberté d’expression des associations luttant contre le mal-logement, tout en permettant la poursuite de ceux qui incitent au squat en publiant sur internet de véritables modes d’emploi.
Par cohérence, à l’article 3, la commission a exclu de la procédure administrative d’évacuation forcée les locataires ou occupants entrés dans les lieux avec l’accord du propriétaire et qui se maintiendraient contre sa volonté, après résiliation du contrat de bail ou le retrait de l’autorisation. Elle a en revanche élargi l’application de cette procédure dérogatoire aux « locaux à usage d’habitation ». Le Sénat avait déjà voté cette mesure dans le cadre de la loi ÉLAN, sur l’initiative de notre collègue Marc-Philippe Daubresse, alors rapporteur pour avis.
L’article 3 de la proposition améliore ainsi de manière substantielle la rédaction adoptée en décembre dernier dans le cadre de la loi ASAP. Il permet d’apporter une solution lorsque le logement illicitement occupé n’est pas encore le domicile effectif de quelqu’un, par exemple lorsque les squatteurs occupent un logement laissé vacant entre deux locations ou un logement nouvellement acheté.
Enfin, à l’article 4, nous avons maintenu l’exigence d’une entrée dans les lieux par voies de fait pour priver un occupant du bénéfice du délai de deux mois et de la trêve hivernale dans le cadre d’une procédure d’expulsion, tout en précisant la notion de « voies de fait » pour éviter certaines jurisprudences divergentes, généralement peu favorables aux propriétaires.
Mes chers collègues, je vous invite à voter le texte de la commission, qui est efficace et équilibré. Mme la ministre nous dira probablement qu’il est trop tôt pour revenir sur un sujet qui vient de faire l’objet de dispositions dans le cadre de la loi ASAP du 7 décembre 2020… Mais l’auteur de la proposition de loi nous a expliqué de façon remarquable comment on n’avait pas pu aller au bout de ces dispositions.
Pour ma part, je considère qu’il n’est jamais trop tôt pour apporter des solutions à des problèmes qui existent et persistent depuis des années. Il suffit d’aller sur le terrain pour le constater – aller sur le terrain, c’est voir ; rester à son bureau, c’est philosopher ! Et ces problèmes perturbent gravement la vie de certains de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Alain Marc applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur – cher Henri Leroy –, madame l’auteure de la proposition de loi – chère Dominique Estrosi Sassone –, mesdames, messieurs les sénateurs, les affaires récentes de squat de domicile, à Théoule-sur-Mer ou Saint-Honoré-les-Bains, que j’ai suivies avec beaucoup d’attention, nous ont montré que les dispositifs d’évacuation de domicile squatté n’étaient pas toujours assez clairs, pas toujours assez bien connus par les personnes chargées de les mettre en œuvre. Forts de ce constat, le Gouvernement et les parlementaires ont choisi d’enrichir la loi dite « ASAP », d’accélération et de simplification de l’action publique, adoptée à l’automne dernier, avec un article dédié à cette question.
Les dispositions prises dans le cadre de cette loi ont permis de clarifier le champ d’application, d’encadrer les délais des procédures de lutte contre les squats de domicile, ainsi que de renforcer la procédure d’extrême urgence, placée sous la responsabilité des préfets, car il n’est pas acceptable de se trouver privé de son domicile. Ces dispositions ont été validées par le Conseil constitutionnel et sont d’application directe, à l’exception de l’aggravation des sanctions, sur laquelle je reviendrai dans quelques instants.
Il est maintenant essentiel de mieux faire connaître ces procédures spécifiques aux préfets, aux procureurs de la République, aux forces de l’ordre, afin qu’elles puissent être appliquées correctement et immédiatement. La circulaire prévue pour cela, que j’avais annoncée voilà quelque temps, est en cours de signature avec le ministre de l’intérieur et le garde des sceaux. Elle sortira dans les prochains jours pour apporter aux acteurs de terrain des précisions quant à la mise en œuvre de ces procédures.