Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général applaudit également.)
M. Jérôme Bascher. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire a échoué.
M. Roger Karoutchi. C’est un drame ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. En responsabilité, nous sommes pourtant parvenus à trouver un accord sur les quatre projets de loi de finances rectificative de l’année 2020, ce qui prouve l’esprit constructif dans lequel travaille le Sénat. Il paraissait pour le moins compromis d’y parvenir sur le projet de loi de finances, dont 285 articles restaient en discussion.
Nous regrettons toutefois que l’Assemblée nationale ait si peu tenu compte des votes du Sénat lors de la nouvelle lecture. Comme disait Charles Trenet, « que reste-t-il de ces beaux jours » (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) que nous avons passés à travailler sur le budget avec vous, monsieur le ministre, ce dont je vous remercie, ce dont nous vous remercions ? Vous ne pourrez pas transmettre ces remerciements à Bruno Le Maire, qui a été totalement absent du Sénat. Une première historique !
Des 600 amendements que nous avons adoptés, il ne reste quasiment plus rien : environ 5 % ! À l’Assemblée nationale, on dit « non » par dogmatisme et on dit « oui » au Gouvernement par discipline : c’est l’inverse de ce que le Sénat promeut.
Dans quelles conditions examinons-nous le budget ? Nous l’avons déjà dit, la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale s’est terminée à cinq heures quarante du matin. Le texte a été inscrit comme transmis au Sénat par le secrétariat général du Gouvernement, alors même qu’il ne l’avait pas encore été. Là aussi, c’est une première !
Est-ce une démocratie sérieuse ? D’ailleurs, si nous étions dans une démocratie sérieuse, les crédits pour le référendum sur le climat seraient inscrits dans le budget pour 2021. Pourtant, ils n’y figurent pas ! À qui mentez-vous ?
En dehors d’amendements du groupe sénatorial de La République En Marche, qui sont en vérité d’origine gouvernementale – nous le savons tous, car nous l’avons fait avant vous – (M. le rapporteur général rit.), et de l’amendement sur le jour de carence défendu par Jean-François Husson avec le Gouvernement, je note que très peu de mesures significatives votées par le Sénat seront retenues dans le texte définitif.
Stricto sensu, la principale mesure retenue est la garantie pour 2021 des recettes fiscales du bloc communal, en y incluant les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) et surtout la CVAE. Le Sénat a tenu à instaurer un mécanisme de compensation des pertes de CVAE pour les départements et le bloc communal en 2021, à hauteur de 1 milliard d’euros : nous nous réjouissons de la reprise de l’esprit de cette mesure. En revanche, les recettes domaniales et les régies municipales en seront exclues. Concernant ces dernières, monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser le dispositif que vous avez prévu de faire passer par ordonnance lors d’un prochain conseil des ministres ?
Je vous le dis : sur les mesures en faveur des collectivités locales, vous auriez dû davantage écouter le Sénat. Comme l’a révélé hier la Cour des comptes dans son rapport que de nombreux intervenants ont cité, il fallait aider davantage les départements, qui sont évidemment les plus touchés par la crise avec l’accroissement de la pauvreté.
C’est pour lutter contre cette pauvreté qu’a été adoptée, avec votre accord, une autre mesure du Sénat, à savoir la prorogation en 2021 du dispositif Coluche-Retailleau-Féraud,…
M. Philippe Dallier. C’est audacieux ! (Sourires.)
M. Jérôme Bascher. … c’est-à-dire du plafond de dons renforcé à 1 000 euros.
Cela permettra de soutenir davantage les associations qui viennent en aide aux personnes en difficulté, lesquelles sont de plus en plus nombreuses en raison de la situation économique. Je déplore que le Gouvernement sous-estime la hausse du chômage, que tous les économistes soulignent.
Une autre mesure votée en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale reprend l’esprit de ce que nous avons voté ici, à savoir le soutien au fonds postal national de péréquation territoriale. Nous avons voté une affectation de recettes, vous avez fait voter une affectation de dépenses, ce qui est équivalent.
Par ailleurs, nous nous réjouissons que la mesure défendue par Gérard Longuet depuis trois ans sur la fiscalité liée au stockage souterrain des déchets radioactifs ait été adoptée par les députés. Le Gouvernement avait émis ici un avis défavorable, vous avez émis un avis positif à l’Assemblée nationale : nous vous en savons gré.
Nous nous félicitons également de la prolongation jusqu’en 2024 du crédit d’impôt pour les productions cinématographiques et audiovisuelles internationales proposée par Laure Darcos. Exception qui confirme la règle, les députés l’ont votée contre l’avis de leur commission des finances et contre l’avis du Gouvernement.
Largo sensu, nous pouvons aussi considérer que des positions du Sénat ont été entendues.
Dans le quatrième projet de loi de finances rectificative, nous avons défendu un amendement en faveur des espaces de loisirs et des parcs d’attractions et animaliers. Sans succès. Monsieur le ministre, cette nuit, à l’Assemblée nationale, vous vous êtes exprimé à ce sujet : ces parcs sont autant de cas particuliers, selon vous, et vous voulez régler l’affaire par voie réglementaire. Pourriez-vous nous en dire plus ? Confirmez-vous cette information ?
Monsieur le ministre, que n’avez-vous entendu les voix de mes collègues élus de la montagne, qui se sont exprimés avec force pour l’ouverture des stations de ski dans des conditions sanitaires strictes ! Leur écho s’est perdu dans la vallée de Bercy pour déclencher une avalanche de crédits cette nuit (M. le rapporteur général s’exclame.) : 600 millions d’euros de nouveaux crédits pour soutenir des secteurs touchés, comme le sport, la culture, mais aussi les stations de montagne. Ces crédits permettront de compenser les charges fixes de ces stations, mais c’est toujours plus d’argent. « Quoi qu’il en coûte »…
Je rappelle qu’en première lecture le Sénat a, dans sa sagesse, voté la relance économique proposée par le Gouvernement, mais en l’améliorant selon plusieurs axes.
Nous avons dit « oui » à une relance verte, mais sans écologie culpabilisante, avec la suppression du malus sur le poids, le lissage sur cinq ans du malus sur le CO2 proposé par le rapporteur général, le renforcement de la prime à la conversion et des suramortissements pour les poids lourds et les avions neufs moins polluants.
Nous avons dit « oui » à une baisse des impôts de production, tout en la renforçant via la diminution du plafond de la contribution économique territoriale et tout en apportant des garanties aux collectivités locales.
Nous avons dit « oui ». Vous nous avez répondu « non ».
Non à la relance de l’investissement et de la commande publique grâce à la contemporanéisation du FCTVA.
Non au soutien des entreprises par le carry back et les dispositifs dits IFI-PME et IR-PME.
Non aux commerçants.
Non à la taxation des assurances, qui a pourtant permis à Bruno Le Maire d’aboutir au gel des primes.
Non encore à une garantie des pertes d’exploitation, aux chèques restauration, à un fonds de soutien pour les indépendants.
Non au photovoltaïque, que Christine Lavarde et de nombreux collègues ont défendu ici. Je crains d’ailleurs que ce vote ne soit pas constitutionnel.
Non aux ménages précarisés, avec la hausse du plafond du dispositif Coluche – nous l’avons initialement proposé –, du plafond du quotient familial, des primes à l’embauche.
Non à la culture.
Non au logement, que Philippe Dallier et Dominique Estrosi Sassone ont tant défendu.
Le Gouvernement n’a cessé d’appeler à l’unité. Le Sénat, dans sa sagesse, a été au rendez-vous en 2020. Vous rompez cette unité.
Dès que la bise fut venue, ce gouvernement cigale nous oblige à crier famine pour nos amendements ! Ce n’est pourtant pas la morale de La Fontaine, qui dit aussi, dans L’Âne et le chien : « Il se faut entraider, c’est la loi de nature ». Vous avez, de nouveau, choisi d’aller seul. Vous assumerez seul. Dans cette fable, faute d’avoir voulu partager, l’âne se fait dévorer par le loup, car le chien ne vient plus à son aide. Le loup du chômage rôde. Tant pis.
Monsieur le ministre, parce que vous ne reprenez plus les amendements et propositions du Sénat, nous ne voterons pas ce budget et nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général applaudit également.)
M. Philippe Dallier. Bravo !
M. Roger Karoutchi. Très bien !
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Husson, au nom de la commission, d’une motion n° I-1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement du Sénat ;
Considérant que l’absence d’effort de maîtrise des dépenses publiques au cours des années passées, alors que les indicateurs économiques du pays étaient encore favorables, n’a pas permis à la France de retrouver les marges de manœuvre budgétaires utiles pour répondre le plus efficacement possible à toute nouvelle crise telle que la crise sanitaire, sociale et économique résultant de la pandémie de covid-19 ;
Considérant, alors que l’État se finance désormais autant par l’endettement que par l’impôt, qu’il convient de garder à l’esprit l’impact de nos décisions actuelles sur l’état de nos finances publiques à moyen terme et le fait que toute hausse de taux d’intérêt pourrait très rapidement devenir insoutenable ;
Considérant qu’à ce titre, le Gouvernement aurait dû privilégier des mesures temporaires, puissantes et mieux ciblées pour favoriser la sortie de crise dans le cadre du plan de relance ;
Considérant que, plus globalement, ce plan de relance paraît trop tardif et mal calibré, tout en s’appuyant insuffisamment sur la réalité des territoires ;
Considérant qu’il est regrettable que l’Assemblée nationale soit revenue sur toutes les mesures adoptées par le Sénat pour renforcer le plan de relance et lui faire porter ses fruits à plus court terme, telles que le report en arrière des déficits dans la limite de 5 millions d’euros, les dispositifs spécifiques de suramortissement ou encore la contemporanéisation du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCVTA) qui permet de soutenir l’investissement local ;
Considérant qu’indépendamment de la nécessité de soutenir spécifiquement certains secteurs qui restent durement affectés par la crise, à l’instar des exploitants de remontées mécaniques des stations de ski ou de certains acteurs de la culture, le Sénat ne peut que déplorer le fait que le Gouvernement ait fait le choix d’attendre la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale pour abonder de 5,6 milliards d’euros le programme 357 « Fonds de solidarité pour les entreprises à la suite de la crise sanitaire », pour créer un nouveau programme « Matériels sanitaires pour faire face à la crise de la covid-19 » doté de 430 millions d’euros, et pour renommer le programme 357 « Prise en charge du chômage partiel et financement des aides d’urgence aux employeurs et aux actifs précaires à la suite de la crise sanitaire » afin de tenir compte du fait qu’il devrait désormais couvrir la prise en charge de congés payés de certains salariés et une aide exceptionnelle aux actifs « permittents » saisonniers ou extras ;
Considérant qu’à ce titre, il est très critiquable, au regard de l’atteinte portée à l’autorisation parlementaire du volet « dépenses » du projet de loi de finances, que plusieurs milliards d’euros de crédits ouverts en 2020 soient de fait prévus pour être reportés sur l’année 2021, en particulier les 2,1 milliards d’euros ouverts sur le programme 356 par la quatrième loi de finances rectificative pour 2020, promulguée il y a seulement deux semaines, d’autant que ces crédits contribueront aussi au financement de dépenses nouvellement décidées ;
Considérant que, sans revenir sur la réforme des impôts de production prévue par le projet de loi de finances, dans la mesure où les entreprises, en particulier dans le secteur industriel, doivent voir leur niveau d’imposition se réduire pour rester compétitives, le Sénat rappelle qu’il importe aussi d’assurer une juste et pérenne compensation aux collectivités territoriales ;
Considérant qu’en conséquence, il convient de saluer le fait que l’Assemblée nationale a su rejoindre la position du Sénat en conservant, sous réserve de quelques aménagements, la reconduction du mécanisme de garantie des ressources du bloc communal pour l’année 2021, même si d’autres mesures tendant à améliorer la situation financière des collectivités territoriales auraient mérité d’être conservées, notamment pour couvrir les baisses de recettes tarifaires des régies municipales dotées de la seule autonomie financière ou encore les hausses de dépenses sociales pour les départements ;
Considérant qu’il est regrettable que l’Assemblée nationale n’ait pas conservé la compensation de la perte de recettes de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) subie en 2021 par les départements et le bloc communal, identique à celle prévue pour les régions dans le cadre de la réforme des impôts de production ;
Considérant que l’Assemblée nationale a fait le choix de supprimer les deux contributions exceptionnelles adoptées par le Sénat et visant, d’une part, les assureurs et, d’autre part, les grandes plateformes de la vente à distance, alors que l’impératif de solidarité nationale aurait dû imposer de tels efforts ;
Considérant qu’au contraire du ministre de l’économie, des finances et de la relance qui a exclu l’instauration d’une assurance pandémie, le Sénat considère qu’une couverture assurantielle applicable au risque sanitaire, avec une répartition des responsabilités entre les assureurs d’une part, et l’État d’autre part, serait seule capable de garantir l’ensemble des entreprises contre un tel risque ;
Considérant que la majorité gouvernementale a refusé les dispositifs proposés par le Sénat pour renforcer l’aide aux plus précaires et à ceux qui se trouvent le plus en difficulté face à la crise, par exemple une aide à l’embauche pour six mois supplémentaires, un fonds de solidarité renforcé pour mieux couvrir les charges fixes, ou encore les nombreuses mesures destinées à soutenir des secteurs comme la culture ;
Considérant que du point de vue de la fiscalité écologique et énergétique, les mesures prises par la majorité gouvernementale ne permettent pas d’accompagner le changement nécessaire, en particulier s’agissant de la hausse du malus automobile sur trois ans qui, cumulée à la création du « malus poids », intervient alors que le secteur automobile traverse difficilement la crise et que les ménages ne pourront pas tous adapter leur comportement d’achat ;
Considérant qu’à ce titre, l’étalement de la hausse du malus sur cinq ans, accompagné d’un renforcement de la prime à la conversion, préconisés par le Sénat, aurait permis d’inciter davantage les automobilistes à faire le choix de solutions plus respectueuses de l’environnement sans tomber dans la fiscalité punitive ;
Considérant que le Sénat s’était à la quasi-unanimité opposé à plusieurs dispositions du projet de loi de finances qui ont, depuis, été rétablies par l’Assemblée nationale, à l’instar de l’article 7 relatif à la suppression progressive de la majoration de 25 % des bénéfices des entreprises qui n’adhèrent pas à un organisme de gestion agréé (OGA) ou de l’article 47 qui prévoit une ponction d’un milliard d’euros sur la trésorerie d’Action Logement ;
Considérant que le Sénat a également rejeté les crédits des missions « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », « Immigration, asile et intégration » et « Sport, jeunesse et vie associative » ainsi que des comptes d’affectation spéciale « Participations financières de l’État » et « Développement agricole et rural » dont les crédits ont été rétablis par l’Assemblée nationale sans réponse aux objections qui avaient été soulevées ;
Considérant que l’Assemblée nationale a rétabli plusieurs articles qui ne relèvent pas du domaine des lois de finances selon la jurisprudence établie par le Conseil constitutionnel ;
Considérant que, certes, l’Assemblée nationale a par ailleurs conservé, en nouvelle lecture, plusieurs apports du Sénat de première lecture, à l’instar du prolongement pour un an du plafond à 1 000 euros de la réduction d’impôt au titre de dons aux organismes d’aide aux personnes en difficulté, dit « dispositif Coluche », de la suspension, pendant l’état d’urgence sanitaire, de l’application du jour de carence pour les agents publics dont l’arrêt maladie est directement lié à l’épidémie de covid-19, des aménagements apportés au nouveau crédit d’impôt aux bailleurs consentant des abandons de loyers à des entreprises particulièrement touchées par la crise, en vue de prévoir son application dès 2021 et d’élargir le périmètre des bailleurs éligibles et des entreprises locataires susceptibles d’en ouvrir le bénéfice, ou encore des 66 millions d’euros de crédits votés par le Sénat en faveur du fonds de péréquation postale, permettant de compenser les conséquences de la réforme des impôts de production sur ce fonds ;
Considérant que, pour autant, l’Assemblée nationale est revenue sur beaucoup des amendements adoptés par le Sénat, même lorsqu’ils ont été votés à une très grande majorité voire à la quasi-unanimité, notamment dans le secteur du logement ;
Considérant, en conséquence, que l’examen en nouvelle lecture par le Sénat de l’ensemble des articles restant en discussion du projet de loi de finances pour 2021 ne conduirait vraisemblablement ni l’Assemblée nationale ni le Gouvernement à revenir sur leurs positions ;
Le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2021, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture n° 236 (2020-2021).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur général, pour la motion.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Ayant dit l’essentiel au cours de la discussion générale, je me contenterai de rappeler les différentes raisons pour lesquelles nous avons déposé cette motion tendant à opposer la question préalable. Ce projet de loi de finances contient des mesures macroéconomiques, de portée générale, et un certain nombre de mesures plus sectorielles, comme cela a été souligné par certains d’entre vous, mes chers collègues, et à l’instant par Jérôme Bascher, avec une forme de poésie nouvelle.
Monsieur le ministre, permettez-moi de saluer votre présence constante, votre éternelle bonne humeur, mise entre parenthèses pendant un court instant. (Sourires. – M. le ministre délégué rit.) Je crois que nous avons construit des choses intéressantes. Toutefois, j’appelle votre attention sur ce goût amer d’inachevé qui nous gagne lorsque nous nous penchons sur le fonctionnement du bicamérisme, notamment à l’occasion de cette discussion.
Des travaux ont abouti, parfois d’ailleurs avec une grande précision. Je pense à la mission « Plan de relance » ou à d’autres sujets. Reste, monsieur le ministre, que le Gouvernement et sa majorité à l’Assemblée nationale devraient être plus attentifs à mieux les prendre en compte et à mieux les intégrer. En effet, et vous ne le niez pas, ceux-ci sont aussi défendus par les territoires, c’est-à-dire l’ensemble des collectivités territoriales, depuis la commune, « petite République dans la grande ».
À cet instant, j’appelle notre attention à tous, et plus encore celle du Gouvernement, sur la responsabilité importante que celui-ci pourrait avoir dans cette forme de défiance qui risque de s’installer entre les décisions de l’État et le goût d’inachevé que ressentent les élus des territoires, notamment des communes.
On oublie souvent la force exceptionnelle que constituent ces 550 000 élus locaux dont je me plais à répéter que plus de 90 % sont des bénévoles. Ils sont le plus beau bouclier démocratique au service du pays. Lorsque le Sénat s’exprime sur un certain nombre de sujets, qu’il s’agisse de politiques sectorielles ou d’ambitions, il relaie, à travers sa diversité, les points de vue de la grande région parisienne, des grandes et plus petites métropoles de province, des agglomérations, des bourgs-centres et des petites communes de quelques poignées d’habitants. Le Gouvernement s’honorerait, avec sa majorité à l’Assemblée nationale, à mieux prendre en compte ces propositions, surtout en ces temps inédits.
Monsieur Rambaud, nous aurons tout de même examiné quatre PLFR et un PLF. À l’occasion de l’examen de chacun de ces textes, l’esprit de responsabilité a prévalu. Avoir des avis divergents ne signifie pas balayer le point de vue des uns et des autres d’un revers de manche : la démocratie consiste à accepter les différences et à faire en sorte de trouver des convergences.
Dans cette période très complexe, nous devons éviter une troisième vague de flambée sociale. Je l’ai rappelé lors de la discussion du projet de loi de finances, nous avons assisté à l’épisode douloureux des « bonnets rouges », sur fond de non-acceptation de mesures à caractère écologique, puis à celui des « gilets jaunes », là encore sur fond de non-acceptation de mesures à caractère écologique, mal vécues par un certain nombre de Français.
L’écologie est aujourd’hui insuffisamment prise en compte par le Gouvernement. Des mesures concrètes seraient à même d’écarter le risque de flambée de violence qui pourrait advenir et que nous ne souhaitons évidemment pas. C’est pour cette raison que les débats qui se sont tenus dans cet hémicycle ont été soutenus. Il m’est même arrivé, en tant que rapporteur général, de n’être pas suivi.
Tout cela fait la richesse de la démocratie.
Vous pouvez en être sûr, monsieur le ministre, mais je sais que c’est votre conviction : le Sénat est le cœur battant de la démocratie et de cette France attachée à la réussite de tous. Je le répète, ce contexte particulièrement difficile de crise sanitaire et de difficultés économiques pourrait entraîner de grandes difficultés sociales en 2021.
C’est la raison pour laquelle nous avons déposé cette motion tendant à opposer la question préalable, pour tenter de trouver, dans le peu de temps qui nous restait, un dernier compromis avec un Sénat mieux entendu par le Gouvernement.
Mme la présidente. Personne ne demande la parole contre la motion ?…
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Monsieur le rapporteur général, le Gouvernement entend que les positions exprimées par le Sénat, quelle que soit leur origine et dès lors qu’elles ont été adoptées majoritairement, sont autant de points d’alerte ou de moyens d’appeler son attention et de souligner l’acuité d’un sujet. C’est véritablement ainsi que je le vois, au-delà des désaccords ou des divergences sur les solutions retenues.
Au fil de la discussion générale, d’aucuns ont souligné certains points de convergence, qu’il s’agisse de mesures du projet de loi de finances proprement dit ou de la manière dont on peut appréhender les sujets, mais aussi des points de divergence, que ce soit sur des mesures structurelles ou sur des mesures plus sectorielles, pour reprendre l’expression que vous avez utilisée, monsieur le rapporteur général.
Ces divergences sont tout à fait compréhensibles. J’ai l’habitude de dire que, lorsqu’on est parlementaire – j’ai eu la chance de l’être –, on est généralement convaincu d’agir dans le sens de l’intérêt général, en tout cas avec la représentation que l’on s’en fait et avec l’idée du meilleur moyen de le poursuivre.
J’ai entendu une critique provenant de presque tous les groupes, qui tient à la procédure et aux règles organiques et constitutionnelles. Comme l’a souligné M. Jean-Claude Requier, notamment pour les lois de finances, les délais en nouvelle lecture sont extrêmement contraints, au point que manque le temps nécessaire pour trouver un possible accord. Aussi, vous proposez, plutôt que de vous livrer à un exercice vain et limité dans le temps, de trancher et d’acter cette situation par le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable.
Si le Gouvernement en prend acte, il ne peut y être favorable, puisque cela signifie le rejet du texte qu’il a défendu avec la majorité à l’Assemblée nationale. Néanmoins, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est à chacun des groupes et à chacun d’entre vous de se prononcer sur sa volonté ou non de poursuite les débats en nouvelle lecture.
C’est la raison pour laquelle je m’en remets à la sagesse de chacun.
Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Féraud, pour explication de vote.
M. Rémi Féraud. Le rapporteur général a exposé les raisons qui l’ont conduit à déposer cette motion tendant à opposer la question préalable. Même si l’année est tout à fait exceptionnelle, ces motifs se répètent d’année en année, à commencer par la défiance du Gouvernement à l’égard du Sénat. Ces motifs, nous les comprenons en partie, même si nous ne partageons pas les mêmes convictions politiques.
Comme chaque année, sur cette motion, nous nous abstiendrons.
Surtout, je tiens à exprimer notre regret de ne pas pouvoir, par conséquent, discuter de la mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire », qui, afin d’affronter la crise sanitaire économique et sociale dès le début de l’année 2021, a été ces jours derniers abondée de 20 milliards d’euros et enrichie de mesures importantes à l’Assemblée nationale, sans avoir malheureusement pu l’être au Sénat. Or cela aurait été possible si le Gouvernement l’avait voulu.
Nos discussions n’auraient pas pour but d’inverser le cours des choses ou de les modifier en profondeur. Il ne s’agirait pas non plus de provoquer, avant de le clore, un nouvel épisode de mauvaise humeur chez le ministre. Notre volonté serait bien plutôt de faire vivre la démocratie en discutant utilement.
Cette année, nous regrettons particulièrement de voir la discussion budgétaire cesser après le vote de cette motion.