Mme le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme le président. Je suis saisie, par Mme Morin-Desailly, au nom de la commission, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal (n° 196, 2020-2021).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme la rapporteure, pour la motion.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. J’ai déjà largement dévoilé, lors de la discussion générale, les raisons qui ont conduit notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication à décider de soumettre à la Haute Assemblée le vote d’une motion tendant à opposer la question préalable à ce projet de loi. Au préalable, il me semble utile de rappeler, comme Claudine Lepage l’a fait, que cette motion ne constitue pas une remise en cause du retour au Bénin et au Sénégal des biens concernés par ce texte.
Le Sénat a approuvé les articles 1er et 2 à l’unanimité des suffrages exprimés en première lecture. L’Assemblée nationale les a ensuite adoptés en nouvelle lecture dans la rédaction issue de nos travaux, comprenant le remplacement du verbe « remettre » par le verbe « transférer ». Cette modification sémantique rend compte du fait que le sabre a déjà été remis officiellement au Sénégal lors d’une cérémonie tenue en novembre 2019 à Dakar. Nous avions estimé que ce terme présentait l’avantage de mieux matérialiser les effets induits par la sortie des biens des collections nationales, c’est-à-dire le transfert de la propriété de ces biens respectivement au Bénin et au Sénégal et, dans le cas des objets qui font partie du trésor d’Abomey, la nécessité de leur transfert physique sur le territoire béninois.
Quoi qu’il en soit, cela signifie que les deux premiers articles ont été adoptés conformes et qu’ils ne sont plus en discussion dans le cadre de la navette parlementaire. Le nœud du problème – je ne saurais trop y insister – est les profondes divergences de fond que nous avons avec l’Assemblée nationale sur la manière d’appréhender les modalités de restitution, c’est-à-dire la méthode. Les discussions que nous avons eues au moment de la commission mixte paritaire l’ont d’ailleurs montré.
Schématiquement, d’un côté, le Sénat fait valoir la nécessité d’une procédure pérenne, transparente et démocratique – Pierre Ouzoulias l’a rappelé –, permettant un débat contradictoire auquel la communauté scientifique pourrait et même devrait publiquement prendre part et prémunissant le Parlement du risque d’être mis devant le fait accompli. De l’autre, les députés de la majorité soulignent le caractère crucial de l’analyse diplomatique des demandes de restitution et la nécessité de ne pas briser le lien de confiance avec les pays demandeurs, légitimant la validation a posteriori, comme nous l’a dit le rapporteur de l’Assemblée nationale, des décisions de l’exécutif par le Parlement.
L’Assemblée nationale a confirmé, en nouvelle lecture, qu’elle privilégiait le travail diplomatique et la rapidité à la recherche du plus large consensus national en matière de restitutions. Notre commission de la culture regrette d’autant plus cette position qu’elle considère qu’il aurait été souhaitable d’aboutir à une solution recueillant l’assentiment des deux chambres, dans la mesure où il s’agit de biens qui appartiennent à la Nation et dont seule la représentation nationale peut autoriser l’aliénation.
Pour mémoire, comme nous l’avons répété, l’Assemblée nationale a supprimé, en nouvelle lecture, l’article 3 créant le conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extraeuropéens, que nous avions introduit après moult débats dans cet hémicycle. Elle a également rétabli, dans l’intitulé du projet de loi, le terme de « restitution », que nous avions remplacé par celui de « retour ». Ce rétablissement, sur l’initiative du rapporteur de l’Assemblée nationale, nous a d’autant plus surpris que celui-ci n’avait pas formellement fait part de son opposition à cette modification en CMP, confirmant, selon ses propres termes, que ces restitutions ne sont ni un acte de repentance ni un acte de contrition.
À cela s’ajoute le fait que la remise aux autorités malgaches de l’objet décoratif en forme de couronne qui surplombait le dais de la reine Ranavalona III est très largement venue perturber nos discussions sur ce texte. Nous avons eu une incompréhension totale quant au calendrier des événements.
Il ne s’agit pas, comme j’en ai précédemment exposé les raisons lors de la discussion générale, d’un dépôt classique. Le discours de l’ambassadeur et le communiqué de presse publié par notre ambassade au moment de sa remise, comme le texte de la convention de dépôt, sont explicites sur le fait que ce dépôt répond à la demande formulée par Madagascar en février dernier, mais, surtout, s’inscrit dans la perspective du retour définitif de cet objet.
Madame la ministre, sans doute nous direz-vous que cet épisode n’a rien à voir avec l’objet du texte examiné aujourd’hui. C’est partiellement vrai, mais seulement partiellement, puisque c’est la troisième fois, en l’espace d’un an, que le Gouvernement passe par la voie du dépôt dans la perspective du retour définitif de biens culturels. Comme je l’ai rappelé, cela a été le cas, pour la première fois, pour le sabre dont le présent projet de loi organise le retour au Sénégal. L’autre cas – il est passé complètement inaperçu l’été dernier – concerne les vingt-quatre crânes algériens remis à l’Algérie et inhumés dès le surlendemain. Les services de votre ministère nous ont déjà indiqué qu’il sera nécessaire que le Parlement « régularise » leur situation en les faisant sortir des collections nationales à l’occasion d’un texte législatif. C’est l’auteure de la loi de restitution de têtes maories qui vous le dit : si cette restitution était parfaitement compréhensible, pourquoi ne pas lui avoir donné un caractère officiel ? La communauté nationale aurait pu s’approprier ce geste fort de reconnaissance et de réconciliation.
Le proverbe dit « jamais deux sans trois ». Voilà pourquoi nous ne pouvons pas croire que le recours au dépôt pour donner cet objet à Madagascar soit le fruit du hasard. Il s’agit d’un véritable dévoiement, comme l’a dit Max Brisson, de la procédure de dépôt d’œuvres d’art, destinée à permettre une sortie exclusivement temporaire du territoire douanier des trésors nationaux qui en font l’objet.
Le musée de l’Armée, saisi pour élaborer un dossier scientifique et historique de l’objet, n’a pas été consulté en amont de la décision de retour pour recueillir son avis sur celle-ci. Il a encore moins eu le temps de conserver une trace de l’objet, qui aurait pu servir à la recherche scientifique ou à expliquer, aux futurs visiteurs, la démarche de restitution dans les parcours muséographiques, compte tenu de la précipitation dans laquelle ce retour par dépôt a été organisé.
La commission de la culture considère que ce procédé démontre clairement la volonté du Gouvernement de contourner systématiquement l’aval préalable du Parlement à la sortie de biens culturels des collections. Or leur caractère national exige que ce soit le pouvoir législatif, en tant que représentant de la Nation, qui soit maître de la décision de les aliéner.
La commission de la culture déplore que, ce faisant, le Gouvernement fasse prévaloir systématiquement les enjeux diplomatiques sur l’intérêt culturel, scientifique et patrimonial des biens composant les collections publiques françaises. Ces remises en catimini satisfont peut-être les intérêts de notre diplomatie à court terme, mais elles sont loin d’apparaître comme une stratégie optimale à long terme, même d’un point de vue diplomatique. Elles restreignent en effet l’opportunité, pour la communauté scientifique, de développer des échanges avec leurs homologues étrangers. Je vous renvoie à ce qui a été fait aux collections kanakes du musée du quai Branly. Tout comme la remise des crânes algériens, ces remises en catimini privent la communauté nationale d’un geste fort en toute transparence.
Y avait-il vraiment tant péril en la demeure qu’il faille répondre en six mois à la demande de restitution ? Ne faut-il pas, au contraire, faire en sorte que ces restitutions puissent être véritablement bénéfiques pour les deux parties en permettant d’initier, dès la phase préalable, des coopérations scientifiques et culturelles ou des échanges ? C’est en tout cas de cette manière que cela s’était passé pour les têtes maories. Je crois sincèrement que l’une des grandes réussites de leur restitution tenait au fait que ce n’était pas une opération sèche.
La commission de la culture estime que le recours à cette méthode par le Gouvernement renforce la pertinence du conseil national dont le Sénat avait demandé la création. Il aurait garanti un examen historique et scientifique des demandes émanant des pays tiers et éclairé la décision des autorités politiques avant le démarrage des négociations diplomatiques. Ensuite, bien sûr, le choix revient au politique.
Dans la mesure où les députés ont fait connaître leur opposition à sa création, la commission de la culture considère qu’un nouvel examen détaillé du projet de loi ne permettrait pas de rapprocher les points de vue de l’Assemblée nationale et du Sénat. Pour toutes les raisons que je viens d’indiquer, la commission propose à la Haute Assemblée d’adopter la présente motion tendant à opposer la question préalable à ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme le président. Personne ne demande la parole contre la motion ?…
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. L’avis est défavorable.
Je me suis déjà longuement exprimée sur cette question au cours des différentes lectures ainsi qu’en répondant lors des séances de questions au Gouvernement. Je pense avoir suffisamment éclairé le Sénat sur la position du Gouvernement à ce sujet.
Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Après l’échec de la CMP, la rapporteure de la commission nous présente cette motion tendant à opposer la question préalable, afin d’acter les divergences qui séparent les visions des majorités de l’Assemblée nationale et du Sénat. À ces divergences s’ajoute le cynisme de la ministre qui, le 4 novembre dernier, voulait rassurer le Sénat sur la méthode gouvernementale tout en ayant déjà engagé, de façon unilatérale, la restitution de biens à Madagascar. Celle-ci ayant été annoncée le lendemain de nos discussions, le Parlement, une nouvelle fois, a été mis devant le fait accompli, devant assumer le fait du prince.
Il y a donc, d’un côté, la vision du Gouvernement privilégiant les accords purement diplomatiques pour les restitutions et, de l’autre, la vision de la majorité du Sénat, qui appelle à la constitution d’un conseil scientifique. Pour nous, aucune de ces deux visions n’est vraiment satisfaisante. En effet, pour assurer des restitutions dans les meilleures conditions et de manière durable, il faut une loi-cadre, un texte précisant les conditions et les modalités des restitutions pour permettre aux pays demandeurs d’obtenir rapidement une réponse et à la représentation nationale française de ne pas être saisie pour chaque œuvre sortie des collections nationales.
La majorité sénatoriale ne veut pas entendre parler de cette loi-cadre. Nous voyons, toutefois, une certaine dose d’hypocrisie à reprocher au Gouvernement son approche diplomatique et, en même temps, à se contenter d’être saisi par ce dernier, par le biais d’un projet de loi, chaque fois qu’il juge utile de rendre une œuvre à son pays d’origine. Ce n’est ni la vision ni la méthode que nous appelons de nos vœux.
Nous saluons l’initiative d’inscrire la création du conseil scientifique dans la loi, mais celui-ci ne peut et ne doit être qu’une première étape vers un dispositif plus large de changement de doctrine.
De plus, si nous votons cette motion, nous envoyons un message clair aux pays africains : le Sénat ne souhaite pas acter le retour du trésor de Béhanzin ni du sabre d’Omar Tall. Nous refusons que ces biens culturels soient l’otage de nos débats, un tel signal ternirait l’image internationale de notre assemblée et de notre politique culturelle en général.
Dès lors, et dans l’attente d’une loi loi-cadre, les écologistes souhaitent que le projet de restitution ait lieu. Certes, nous regrettons la disparition du conseil scientifique de la version que nous examinons aujourd’hui. Elle ne suffit pourtant pas à justifier le dépôt de cette motion. C’est pourquoi nous nous abstiendrons.
Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Je vois déjà arriver les procès sur notre prétendue opposition au retour des biens vers leurs pays d’origine. Je rappelle que nous avons voté les articles 1er et 2. La discussion ne porte plus sur eux ; elle porte sur la méthode, qui est le dévoiement de la convention de dépôt. Cette procédure est utilisée pour faire une restitution camouflée et, en fait, pour conforter le fait du prince, c’est-à-dire l’utilisation de nos collections exclusivement pour des questions liées à la diplomatie.
Nous pensons qu’il est urgent que notre pays se dote d’une doctrine – loi-cadre ou pas –, d’une méthode, d’une réflexion et que les scientifiques soient au centre de cette réflexion. C’est la raison de la création du conseil national de réflexion.
Nous ne voulons pas que le politique, comme il le fait depuis le début, dise son fait. Nous voulons que les scientifiques éclairent la représentation nationale, qui, depuis la Révolution française, détient la souveraineté absolue sur les collections nationales. Le patrimoine national ne se divise pas, ne se partage pas, et la représentation nationale en est le garant.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. Max Brisson. Il s’agit donc que les scientifiques éclairent notre position et notre décision. Il faut les remettre au centre, alors que la méthode actuelle du Gouvernement les écarte.
Voilà ce qui nous sépare de la position du Gouvernement. C’est la raison pour laquelle je vous encourage, mes chers collègues, à voter cette motion. Cette dernière ne dit pas que nous sommes opposés à des restitutions ni que nous sommes opposés au dialogue des cultures. Elle prouve que nous voulons, dans ce dialogue des cultures, une collaboration et une coopération entre les scientifiques du pays d’accueil et les scientifiques français, que les collections soient regroupées et que l’on ait une vraie analyse des dépôts et de leur cheminement.
La valeur artistique de ces objets est construite par l’histoire, par la vie de ces objets et leur cheminement. C’est cela qu’il faut mettre en valeur. Mes chers collègues, votez cette motion ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour explication de vote.
M. Bernard Fialaire. Le groupe du RDSE partage toutes les réflexions et toutes les analyses de la commission. En revanche, par principe, il ne vote pas les motions tendant à opposer la question préalable, pour montrer tout son attachement au débat.
Mme le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je rappelle également que l’avis du Gouvernement est défavorable.
(La motion est adoptée.)
Mme le président. En conséquence, le projet de loi est rejeté.
6
Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020.
Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être devant vous aujourd’hui pour vous présenter les principaux résultats du dernier Conseil européen, qui s’est tenu les 10 et 11 décembre dernier. Vous le savez, son ordre du jour était particulièrement chargé, à la hauteur des enjeux et des crises auxquels nous sommes confrontés collectivement.
Plusieurs questions nécessitaient des prises de décisions urgentes et importantes. À ce titre, nous pouvons nous réjouir d’un grand nombre d’avancées notables.
Trois points de ce sommet sont particulièrement marquants : les décisions prises au sujet de la Turquie, l’ambition climatique ainsi que le plan de relance et le paquet budgétaire européen, qui nécessitaient un déblocage, ce que nous avons obtenu. J’ajoute un élément important en parallèle à ce Conseil : la conclusion, jeudi après-midi, des discussions entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne sur le retrait des contenus terroristes en ligne. Il s’agit d’un sujet d’autant plus important qu’aujourd’hui même la Commission européenne présentera le nouveau texte législatif pour la régulation du monde numérique.
En premier lieu, ce Conseil européen a conclu un accord sur la conditionnalité financière, préalable à l’adoption du cadre financier pour les années 2021 à 2027 et du plan de relance. Ce paquet financier est absolument massif et inédit : plus de 1 800 milliards d’euros sur les sept prochaines années, dont 750 milliards d’euros de relance sur les trois prochaines années, en complément des moyens budgétaires ordinaires.
Le Conseil européen a donc permis, après plusieurs semaines de discussions intensives au cours desquelles la présidence allemande et la France se sont étroitement impliquées, d’obtenir un accord définitif sur ce paquet budgétaire. Permettez-moi d’être précis sur ce point, qui a pu donner lieu à un certain nombre d’interprétations, voire de malentendus.
Les conclusions du Conseil européen ont introduit des éléments de clarification sur ce qu’est et sur ce que n’est pas le mécanisme législatif lié au respect de l’État de droit. Est notamment mentionné le fait qu’un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne est possible, formulation qui ne crée pas de droit mais l’explicite. Sans doute – il appartient à chacun des gouvernements concernés d’en décider –, la Pologne et la Hongrie utiliseront cette possibilité de saisine de la Cour de justice.
La Commission européenne a pris l’engagement politique de ne pas activer complètement le mécanisme de conditionnalité liée à l’État de droit tant qu’une procédure juridique devant la Cour de justice sera en cours. Quel délai cette procédure représente-t-elle ? C’est à elle, et à elle seule, de le déterminer. Nous pouvons toutefois imaginer, compte tenu des précédents, que le délai se situera autour d’un an. Cela n’empêchera pas la Commission européenne de commencer, si cela est avéré et nécessaire, un travail de recueil d’informations et d’investigation sur de possibles manquements à l’État de droit, dans le cadre de ce mécanisme.
Point très important à rappeler devant le Parlement – le Parlement européen le soulignera également – : le texte législatif lié à ce mécanisme relatif à l’État de droit n’est aucunement remis en cause, amoindri ou rediscuté par les conclusions de ce Conseil européen. Ce dispositif couvre certains aspects de possibles manquements à l’État de droit, par exemple en matière de corruption ou d’indépendance de la justice. Il constitue, je crois, une avancée majeure, en ce qu’il fait un lien, pour la première fois, entre la solidarité budgétaire légitime et le respect, absolument indispensable et incontournable, de nos valeurs politiques fondamentales. C’était précisément l’objet du débat et du blocage de ces dernières semaines.
Au total, cet accord permet à ce paquet budgétaire inédit d’être débloqué. Comme je l’avais indiqué dans nos précédents débats, nous n’avons renoncé ni à l’ambition de la relance et à l’ambition budgétaire européenne ni à celle que nous portons collectivement au respect strict de l’État de droit. Le règlement sur le cadre financier pluriannuel, le budget pour l’année 2021 ainsi que le plan de relance spécifiquement peuvent désormais avancer et être adoptés.
Comme vous le savez, il reste une étape démocratique fondamentale, pour chacun des États membres et des parlements concernés, à savoir l’adoption de la décision sur les ressources propres. Elle sera portée devant l’Assemblée nationale et le Sénat sans doute dans les premières semaines de l’année 2021, votre autorisation étant un préalable nécessaire à la ratification de cet acte juridique qui permettra de financer le budget européen et la dette relative au plan de relance.
Je voulais vous rendre compte avant toute chose de cette avancée majeure, puisque nous en avions longuement discuté à l’occasion de précédents échanges ces dernières semaines.
En deuxième lieu, les chefs d’État ou de gouvernement ont pris plusieurs engagements, soutenus par la France, pour renforcer leur coordination face à la crise sanitaire et à la pandémie de la covid-19.
Ils ont tout d’abord marqué leur satisfaction quant à la conclusion de contrats d’achats collectifs de doses de vaccins par la Commission européenne. Six contrats ont été conclus, pour un montant total de plus de 1,5 milliard de doses, financé par le budget européen. Aujourd’hui même a été annoncé, par les autorités européennes, l’avancement du calendrier pour la validation sanitaire, sans doute avant Noël, du premier de ces vaccins. Je crois que cette coordination en matière vaccinale est une avancée européenne concrète, majeure et tangible. Elle a d’ailleurs été saluée et encouragée au cours de ce sommet.
Cette coordination en matière sanitaire, encore imparfaite, disons-le, doit se poursuivre, notamment en ce qui concerne les phases devant s’ouvrir les prochaines semaines – nous l’espérons – pour la levée progressive des restrictions.
Nous devons mieux coordonner nos efforts européens en matière de déplacement et de reconnaissance mutuelle des tests. Je pense, notamment, aux nouvelles formes de tests, les tests rapides, dits antigéniques, sur lesquels il n’y a pas encore de protocole européen agréé. Cela permettrait d’avoir les mêmes démarches, les mêmes méthodes et donc les mêmes critères d’ouverture ou de déplacement à travers l’Union européenne.
À cet égard, le Conseil européen a appelé la Commission à proposer une recommandation – c’est le terme juridiquement consacré – établissant un cadre commun, notamment pour la reconnaissance mutuelle de ces nouveaux tests.
À ce sujet également, je crois que nous avons tiré des premières leçons des difficultés, parfois des échecs, que nous avons connus au niveau européen, faute de compétences et de précédent face à la première phase de la pandémie.
Comme le retracent les conclusions du Conseil européen, voit progressivement le jour une union de la santé à travers le vaccin et des étapes concrètes de coordination, même si elles restent à parfaire. La Commission européenne a d’ailleurs appelé à mettre en place, à l’avenir, une agence de santé commune, qui facilitera et soutiendra les efforts de recherche, tout en nous aidant à mieux nous préparer face aux futurs risques sanitaires. Aujourd’hui même, le Parlement européen a adopté, définitivement, des règlements permettant de créer un programme sanitaire au sein du prochain budget européen.
En troisième lieu, des ambitions fortes, soutenues activement par la France, ont été actées – essentiellement au cours de la nuit du 10 au 11 décembre – pour lutter contre le changement climatique. À la veille du cinquième anniversaire de l’accord de Paris, l’Union européenne devait se montrer exemplaire ; elle l’a été.
Conformément aux attentes de notre pays et à plusieurs échanges que nous avions eus dans cet hémicycle, a été adopté l’objectif d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l’Union européenne d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Cela permettra de procéder au dépôt de la nouvelle contribution collective de l’Union européenne aux Nations unies, en vue de la prochaine COP organisée par l’Italie et le Royaume-Uni.
Plusieurs principes ont été définis dans ce cadre. Les conclusions du Conseil européen indiquent que l’Union européenne respectera les principes de coût-efficacité, d’équité et de solidarité dans la mise en place de cette transition vers une ambition climatique renforcée.
Pour accompagner cette transition, nous devrons mobiliser nos moyens financiers, renforcer le mandat de la Banque européenne d’investissement, comme nous avons commencé de le faire, et mobiliser, bien sûr, à la fois le plan de relance et le nouveau cadre financier pluriannuel. Plus de 30 % du plan de relance européen de 750 milliards d’euros sera consacré – c’est singulièrement le cas du plan de relance français – à la transition climatique et à la lutte contre le changement climatique.
Il a également été prévu, dans les conclusions du Conseil européen, de renforcer le système d’échanges de quotas d’émissions de l’Union européenne, notre outil de marché carbone, le système ETS.
Plus important encore – et certainement plus innovant – a été confirmée l’ambition commune de mettre en place à nos frontières, avant l’année 2023 et via des propositions législatives qui viendront au début de l’année 2021, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Comme vous le savez, sans celui-ci, la transition écologique ne peut être ni juste ni efficace. Nous avons besoin de ce mécanisme à nos frontières pour faire en sorte que notre exemplarité climatique soit partagée par d’autres acteurs internationaux. La France veillera à ce que cette proposition législative intervienne dans les meilleurs délais.
En quatrième lieu, ce Conseil européen a confirmé l’engagement des États membres à faire usage de tous les moyens disponibles pour renforcer la sécurité de l’Union face à la menace terroriste. Vous le savez, c’est un objectif que le Président de la République a réaffirmé avec plus de force encore après les tragiques attaques que notre pays comme d’autres pays européens tels que l’Autriche ont affronté ces dernières semaines.
Le Conseil européen a fixé des objectifs qui devront être précisés, mais que la France soutient très largement : la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste, sur la base du règlement, désormais agréé, et d’une nouvelle ambition portée par les propositions de la Commission européenne qui seront présentées dans l’après-midi ; la responsabilité des plateformes en ligne, dans le même esprit ; la lutte contre l’influence étrangère exercée sur les organisations civiles et religieuses nationales, au moyen de financements parfois non transparents ; la nécessité de faire avancer nos travaux concernant la conservation des données, essentielle à l’activité de nos services de renseignement en particulier ; la pleine exploitation et l’accélération de la mise en place des nouveaux mécanismes d’information européens déterminants pour le fonctionnement de l’espace Schengen ; le renforcement du contrôle de nos frontières extérieures et, ainsi, du bon fonctionnement de l’espace Schengen.
Sur ce dernier point, la France continuera d’insister sur la nécessité d’une réforme, afin de pouvoir répondre avec plus de réactivité, de force et de cohérence aux défis et à la menace terroriste.
Je l’évoque brièvement, car les négociations se poursuivent – nous aurons peut-être l’occasion d’y revenir – : ce Conseil européen a été l’occasion pour la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, de faire le point sur les discussions en cours avec le Royaume-Uni, puisque l’échéance du Brexit effectif est imminente : le 1er janvier prochain, soit dans un tout petit peu plus de deux semaines.
Le fait que le Conseil européen n’ait pas discuté de manière approfondie de la question de la relation future avec le Royaume-Uni ni des négociations en cours n’est pas une façon de minimiser l’enjeu. Loin de là, cela témoigne de notre unité et de notre fermeté collective. Aucun État membre n’a rouvert le débat ni remis en question la confiance dans notre mandat et dans notre négociateur, lequel poursuit ses efforts à l’heure où nous parlons pour aboutir à un accord respectant, bien entendu, nos priorités, nos intérêts et nos lignes rouges.
Vous connaissez, mesdames, messieurs les sénateurs, la priorité que nous accordons à la pêche et à la nécessité absolue de conditions de concurrence équitables pour acter un accord sur la relation future avec le Royaume-Uni.
Au cours du dîner du 10 décembre, comme il est de coutume, puis dans la matinée de vendredi, les chefs d’État et de gouvernement ont abordé différents points de politique étrangère.
Ils ont d’abord évoqué la relation avec la Turquie et la situation spécifique en Méditerranée orientale. À l’égard de la Turquie, la France a agi comme fer de lance et tenu un discours de fermeté, qui porte ses fruits – je veux y insister. En effet, nous avons adopté à l’unanimité de nouvelles sanctions en raison des actions « unilatérales » et « provocatrices » – je reprends les termes des conclusions du Conseil européen – menées et poursuivies par la Turquie en Méditerranée orientale. Nous avions indiqué au mois d’octobre dernier que nous laissions à la Turquie le choix entre retrouver le chemin du dialogue et poursuivre ses actions provocatrices. Elle a manifestement opté pour cette seconde voie. Il était nécessaire que nous réagissions. C’était un test de fermeté, d’unité et de crédibilité pour l’Union européenne.
En outre, une clause de rendez-vous a été fixée en mars prochain, soit dans moins de trois mois, en vue d’examiner le rapport demandé au Haut Représentant de l’Union européenne, M. Josep Borrell, afin d’envisager d’autres mesures – d’autres sanctions, le cas échéant –, au-delà des actions menées en Méditerranée orientale. L’unité a été difficile à construire et à tenir. La fermeté l’a parfois été plus encore. Néanmoins, sous l’action de la France et, je le crois, grâce à un large consensus politique, nous avons réussi à entraîner l’Europe vers cette position de fermeté, indispensable face au comportement de la Turquie.
Le Conseil européen s’est également penché rapidement sur la relation transatlantique. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a évoqué la nécessité d’identifier des thèmes pour une alliance ambitieuse avec les États-Unis. Nous partageons avec cet allié et ami des valeurs fondamentales. Nous souhaitons nouer avec lui encore davantage de partenariats. Nous devrons sans doute réinventer la relation existante avec la nouvelle administration américaine.
L’attention du Conseil européen s’est également portée, en matière de politique extérieure, sur le voisinage sud, répondant en cela à une demande forte de la France. Vingt-cinq ans après le lancement du processus de Barcelone, il est essentiel de relancer ce partenariat stratégique. Un nouveau programme pour la Méditerranée sera élaboré autour de priorités communes, dans des domaines désormais bien identifiés, tels que l’environnement, l’éducation, la culture ou la préservation des ressources naturelles.
Plusieurs autres sujets de relations extérieures ont été évoqués par le Conseil européen : la Libye, la centrale nucléaire biélorusse d’Ostrovets et le régime mondial de sanctions de l’Union européenne en matière de droits de l’homme, qui constitue une nouveauté importante et qui avait été acté par les ministres des affaires étrangères préalablement, en début de semaine dernière.
Enfin, un sommet de la zone euro s’est tenu vendredi matin, en présence de la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde. Il était important de préserver l’élan né des réformes importantes agréées par nos ministres des finances voilà quelques semaines à peine : la réforme du Mécanisme européen de stabilité (MES), qui est un mécanisme supplémentaire d’assistance financière en cas de crise, et une étape vers une véritable union bancaire et une union des marchés de capitaux, avec la mise en place d’un filet de sécurité qui permet de renforcer, via le MES, le soutien à nos banques et, in fine, aux épargnants en cas de difficultés financières au sein de notre zone monétaire commune.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil, la réunion du Conseil européen a été longue, et son ordre du jour chargé. Quelques heures encore avant sa tenue, certains parlaient encore de « test », de « risque de délitement » ou de « désunion ». Cependant, en cette période difficile, et au moins sur les trois points que j’ai mis en exergue – le rapport à la Turquie, la question budgétaire et celle de l’État de droit, qui lui est adossée, l’ambition climatique –, l’Europe a montré sa force et son unité. Je crois que le rôle de la France y a été central. Nous devrons continuer à l’exercer dans le cadre des réformes que j’ai évoquées, notamment sur la sécurité ou l’État de droit, lors des prochaines semaines. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Pierre Louault et Mme Colette Mélot applaudissent également.)