Sommaire
Présidence de M. Roger Karoutchi
Secrétaires :
MM. Daniel Gremillet, Joël Guerriau.
2. Conseil économique, social et environnemental. – Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi organique
Discussion générale :
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Suspension et reprise de la séance
3. Code de la sécurité intérieure. – Adoption en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 2 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 6 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 3 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 7 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption de l’article.
Adoption du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
4. Répartition des sièges de conseiller à l’assemblée de Guyane entre les sections électorales. – Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer
Mme Catherine Belrhiti, rapporteure de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Adoption définitive de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.
compte rendu intégral
Présidence de M. Roger Karoutchi
vice-président
Secrétaires :
M. Daniel Gremillet,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Conseil économique, social et environnemental
Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi organique
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif au Conseil économique, social et environnemental (projet n° 129, résultat des travaux de la commission n° 203, rapport n° 202).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici de nouveau réunis pour discuter devant votre assemblée du projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Sur les quinze articles de ce texte, sept ont été définitivement adoptés. En effet, plusieurs modifications d’importance proposées par le Sénat ont été entérinées en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale avec le soutien du Gouvernement, notamment en matière de déontologie.
Après des débats si complets en première lecture, il n’est plus nécessaire, je le crois, d’exposer de nouveau le détail de ce projet de loi organique qui a pour ambition de réformer le CESE, réforme que nous nous accordons tous à considérer comme nécessaire.
Je parle d’ambition, car ce projet de loi organique propose effectivement une réforme ambitieuse pour le CESE. Je pense par exemple à la possibilité qui sera offerte à de jeunes citoyens en devenir de prendre part à la réflexion et au débat publics, avec l’ouverture du droit de pétition à partir de l’âge de 16 ans.
Mais je voudrais aujourd’hui revenir plus précisément sur les points qui restent en débat et qui ont conduit votre commission à déposer une motion tendant à opposer la question préalable.
En premier lieu, ce projet de loi organique, en prévoyant la possibilité pour le CESE de recourir au tirage au sort, ne menace en rien la démocratie représentative.
Je l’ai déjà dit, il n’y a ni confusion ni encore moins concurrence entre, d’une part, l’intérêt de recueillir l’avis de citoyens tirés au sort et, d’autre part, l’exercice de la souveraineté nationale par les représentants de la Nation élus au suffrage universel et qui, seuls, ont la légitimité démocratique.
Renforcer la démocratie participative, ce n’est pas affaiblir la démocratie. Je crois au contraire que, plus nos concitoyens seront associés au débat public, plus la légitimité de ceux qu’ils éliront sera renforcée. C’est le vœu des Français, exprimé à maintes reprises ces dernières années. Nous devons les entendre.
Par ailleurs, et la commission l’a elle-même mentionné, le CESE a déjà eu l’occasion par le passé de procéder à des consultations, en recourant au tirage au sort. Pour autant, et que je sache, cela n’a pas suscité chez nos concitoyens de remise en cause de l’exercice du droit de vote pour élire leurs représentants.
En second lieu, l’article 6 du projet de loi organique, qui donne un effet substitutif à la consultation du CESE, ne va affaiblir en rien les études d’impact.
Nous sommes tous d’accord pour dire que le CESE n’est pas assez consulté, que ce soit par le Gouvernement ou d’ailleurs par le Parlement. Il nous semble que l’une des raisons qui expliquent ce délaissement est la multitude d’organismes consultatifs, qui sont autant de concurrents pour le CESE.
En accordant une place prépondérante au CESE, en cohérence avec celle qu’il tient dans nos institutions républicaines, nous allons lui redonner de l’attractivité. Et cela ne va en rien nuire à la richesse des consultations ou à la clarté de la répartition des compétences entre les différents organismes consultatifs.
Tout d’abord, nous avons la chance, avec le CESE, de regrouper, au sein d’une même institution, des profils et des compétences extrêmement variés qui seront pleinement de nature à assurer un avis d’une grande richesse, comme c’est d’ailleurs déjà le cas.
Ensuite, les discussions que nous avons eues en première lecture ont permis d’affiner le périmètre de l’effet substitutif de la consultation du CESE, tout en préservant la consultation d’instances éminentes comme le Comité des finances locales.
Enfin, la commission des lois de l’Assemblée nationale a apporté en nouvelle lecture une autre garantie qui me paraît essentielle : le CESE pourra toujours consulter, dans le cadre de l’élaboration de ses avis, les instances consultatives compétentes. L’expertise de ces divers organismes pourra donc nourrir les avis du CESE et enrichir nos réflexions sur les projets de loi concernés.
Pour toutes ces raisons, je crois que cette nouvelle rédaction de l’article 6 est de nature à atteindre nos objectifs, tout en répondant à vos craintes.
L’autre grand sujet de discussion que nous rencontrons concerne la composition du CESE.
D’abord, je m’inscris en faux avec l’analyse qui consiste à dire qu’en diminuant le nombre de membres du CESE, on l’affaiblirait. Ce nombre a augmenté depuis l’adoption de l’ordonnance de 1958 ; est-ce que le Conseil en a été renforcé ? Je ne le crois pas. Ce sont deux termes distincts de l’équation.
Le Gouvernement tient donc à la réduction de 25 % du nombre de membres du CESE, pour l’établir à cent soixante-quinze, et à la refonte de sa composition en quatre grandes catégories, dont le détail sera fixé par voie réglementaire après avis d’un comité consultatif. Ces modifications permettent d’atteindre un équilibre entre tous les intérêts représentés.
La représentation de nos outre-mer au sein du CESE suscite par ailleurs, je le sais, une attention toute particulière et bien légitime de la part de votre assemblée. Je voudrais ici essayer de vous rassurer quant aux garanties qui ont été apportées.
Si le CESE ne représente pas les outre-mer, en revanche, la représentativité équilibrée de l’ensemble des composantes économiques et sociales de notre pays implique que les outre-mer y soient suffisamment représentés.
C’est dans cet esprit que le Gouvernement a déposé, en nouvelle lecture, un amendement à l’Assemblée nationale pour conforter la place donnée aux outre-mer, en les mentionnant expressément dans la troisième catégorie de membres du CESE relative notamment à la cohésion territoriale et en proposant une représentation des outre-mer à huit membres compte tenu des différents équilibres en cause. Cette nouvelle rédaction nous semble parvenir à un compromis équilibré.
Si j’ai bien conscience que nous n’aurons vraisemblablement pas l’opportunité de discuter de nouveau du fond de cette réforme, voilà les points que je tenais à souligner devant vous aujourd’hui. Et si vous me permettez de regretter l’absence d’accord sur la réforme d’une institution constitutionnelle, permettez-moi également, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, tout en prenant acte de nos désaccords, de vous remercier pour la richesse de nos débats ; ils auront permis à n’en point douter de parfaire le texte, dont nous discutons une dernière fois ensemble.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons effectivement pour débattre, en nouvelle lecture, du projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental.
Je crois que nous partageons les raisons pour lesquelles le Gouvernement a déposé ce texte : il s’agit de redonner une place prépondérante à une assemblée consultative constitutionnelle qui, reconnaissons-le, ne remplit pas tout à fait son rôle, puisque dans 80 % des cas le CESE travaille en autosaisine – autrement dit, seuls 20 % des rapports qu’il adopte résultent d’une consultation formelle.
Ce projet de loi organique inclut un certain nombre de mesures ayant justement pour objet, nous dit-on, de redonner une place prépondérante au CESE. Je crois malheureusement que ces mesures n’atteignent pas leur but.
La première série de mesures consiste à pérenniser dans la loi des pratiques qui sont, peu ou prou, déjà en vigueur. Je ne vois pas bien comment le fait d’inscrire dans la loi ce type de mesures pourra répondre à l’objectif que je viens d’indiquer.
La seconde série de mesures comprend des nouveautés.
La première de ces nouveautés est la diminution de 25 % du nombre de membres du CESE. Nous avons là-dessus un désaccord, monsieur le ministre : nous n’avons pas saisi et nous ne saisissons toujours pas comment le fait de diminuer le nombre de membres d’une assemblée peut rendre celle-ci plus efficace et lui permettre de mieux travailler. Encore aujourd’hui, j’avoue que je reste interrogative à ce sujet.
Je le reste d’autant plus que la deuxième mesure nouvelle consiste à remplacer, le cas échéant, une partie des membres du CESE par des personnes tirées au sort, dans des conditions que nous évoquerons tout à l’heure. Alors que le CESE est constitué de membres désignés par la société civile organisée, c’est-à-dire de personnes qui représentent certains intérêts, je ne vois pas comment le fait de tirer au sort d’autres personnes pourrait pallier un manque d’expertise, celle-ci étant précisément symbolisée par la composition actuelle du Conseil. Là encore, le tirage au sort ne paraît pas donner un lustre nouveau au CESE.
Troisième nouveauté, un des articles de ce texte prévoit que le CESE pourra être consulté par le Gouvernement en substitution de consultations prévues par ailleurs, certaines étant obligatoires. De nouveau, on comprend mal comment cela pourrait renforcer le rôle consultatif du CESE : en effet, alors que le Gouvernement peut déjà le consulter comme il l’entend, il ne le fait pas – je le répète, 80 % des travaux du CESE résultent d’une autosaisine.
Au total, aucune des mesures inscrites dans ce texte n’est de nature à redonner une place prépondérante au CESE, soit parce qu’elle existe déjà, soit parce qu’elle ne le renforce en aucune façon.
Nous avons évidemment discuté de l’ensemble de ces éléments, mais nous n’avons pas trouvé de compromis. C’est en retournant devant l’Assemblée nationale qu’une nouvelle discussion s’est engagée et que nous avons trouvé quelques points d’accord.
Je suis naturellement satisfaite d’entendre, monsieur le ministre, que ces accords portaient sur des points « d’importance » introduits par le Sénat, mais je ne le crois pas vraiment… En réalité, il s’agissait essentiellement de points de procédure, sur le détail desquels je ne reviens pas, car je n’en vois pas véritablement l’intérêt, et sur des questions liées à la déontologie – nos collègues députés avaient introduit des éléments, auxquels nous avons apporté des modifications qui ont été conservées par l’Assemblée nationale.
Pour le reste, nous sommes toujours clairement en opposition sur les éléments que j’ai indiqués tout à l’heure.
Tout d’abord, la baisse du nombre de membres du CESE. Pourquoi 25 % ? La réponse qui nous a été apportée est que le Président de la République en a décidé ainsi… J’imagine que le Président de la République a une motivation particulière, mais nous ne le saurons jamais, car l’explication ne nous a pas été donnée.
Nous avions proposé un critère objectif : supprimer les places réservées aux personnalités qualifiées, dont la nomination a toujours suscité, quel que soit le gouvernement en place, d’importants débats. Nous n’avons pas été suivis ; la baisse reste de 25 %.
Ensuite, le tirage au sort, qui est vraiment, je le dirai ainsi, la grande affaire de ce projet de loi organique. La majorité de cet hémicycle n’est pas d’accord sur ce sujet.
Le tirage au sort, ce n’est pas la démocratie. La démocratie, c’est soit la population qui s’exprime directement, soit la population qui choisit des représentants. Une fois élus, ces derniers ont le pouvoir de décider, mais ils doivent surtout répondre de leurs actes. Le pouvoir ne peut pas être dissocié de la responsabilité – telle est la caractéristique essentielle de la démocratie –, ce qui n’est pas le cas à la suite d’un tirage au sort.
De surcroît, on nous propose en fait un faux tirage au sort : tout d’abord, il y aura un redressement comme on le fait pour assurer la représentativité dans les sondages ; ensuite, les personnes tirées au sort devront accepter de siéger, il s’agit donc plutôt de volontariat ; enfin, leur nombre sera si faible que, pour reprendre les propos de Philippe Bas, la commission des sondages invaliderait à coup sûr un sondage réalisé ainsi, car il reposerait sur une proportion trop faible de la population.
Vous me direz que ces personnes n’auront pas de pouvoir de décision – elles seront consultées. Pour autant, nous savons bien, car la démocratie participative se pratique beaucoup au niveau local, qu’il est toujours assez difficile de faire comprendre aux gens qu’ils vont être consultés, mais que leur avis ne sera pas suivi d’effet. Dans la réalité, ces personnes demandent à avoir du pouvoir, sans jamais avoir de responsabilités.
Il suffit d’ailleurs de regarder l’actualité : aujourd’hui, le Président de la République doit, une fois encore, justifier ses choix de retenir ou non telle ou telle proposition de la Convention citoyenne pour le climat.
Soyons clairs, nous ne nous sentons pas menacés par le tirage au sort. Lorsque nous étions en poste en collectivité locale, nous avons consulté nos concitoyens à de nombreuses reprises. Il s’agit juste pour nous de rappeler que le pouvoir ne peut pas être dissocié de la responsabilité et que seuls les élus ont un pouvoir, dont ils répondent devant leurs électeurs.
Enfin, il y a ce fameux article 6, qui permet de substituer la consultation du CESE à celle d’organismes spécialisés prévue par la loi.
Nous avons fait valoir que cette disposition ne mettait pas fin au millefeuille administratif des organismes consultatifs, puisqu’ils perdurent. De surcroît, nous estimons que cette mesure pourrait aboutir, dans certains cas, à nous priver de l’avis d’organismes dont l’expertise très pointue est utile pour éclairer le travail du Gouvernement. Se passer de ces organismes spécialisés au profit d’un autre plus généraliste n’a pas beaucoup d’intérêt pour le travail gouvernemental, et donc pour le pays.
Nous avons été entendus, si je puis dire, par l’Assemblée nationale, puisqu’elle a prévu que dans de telles circonstances le CESE pourrait à son tour consulter d’autres organismes. « Pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué ? », diraient les Shadoks… Nous aurons donc une double consultation : celle du CESE et celle des organismes spécialisés dont nous parlons ! Pourquoi ajouter de la complexité, là où les choses n’étaient déjà pas particulièrement simples ? C’est bien un autre élément, sur lequel nous ne sommes pas d’accord.
Vous l’aurez compris, les désaccords qui existaient persistent à ce stade de nos travaux.
J’ajoute un autre point, auquel M. le ministre a fait allusion : la composition du CESE.
À l’initiative de notre collègue Leconte et après avoir modifié le dispositif initialement proposé, nous avions prévu, au sein de l’un des collèges du CESE, la présence de onze représentants des outre-mer. Nous avions voulu fixer assez précisément la composition de ce collègue qui devait aussi réunir des représentants de fondations ou d’associations œuvrant notamment en faveur des personnes handicapées. Et vous avez raison, monsieur le ministre, de dire que ce point nous tient à cœur.
Or cette disposition a été modifiée par l’Assemblée nationale et vous estimez, monsieur le ministre, qu’un accord pourrait exister entre nous sur ce point, mais ce n’est pas le cas, parce que cette cote mal taillée ne nous convient pas. La disposition que nous avions adoptée nous semble bien plus pertinente, mais elle n’a pas été conservée.
Au vu de l’ensemble de ces éléments qui touchent les points les plus importants de ce texte, vous comprendrez qu’aucun accord n’est désormais possible. C’est pourquoi je présenterai tout à l’heure une motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Arnaud de Belenet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, notre démocratie vit une crise de confiance majeure. Ce texte est donc plus que bienvenu : il permet une reconnaissance accrue des corps intermédiaires – nous en avons besoin –, une expertise différente et une participation plus grande de la société civile à la vie démocratique.
Nous restons déçus du péché originel de ce texte : à droit constitutionnel constant, les possibilités pour le CESE de prendre toute sa place seront forcément limitées. Seule une réforme constitutionnelle nous aurait permis d’atteindre un niveau adéquat de transformation, pouvant inscrire dans le marbre pour le long terme le renforcement de la participation des citoyens et de la société civile.
Jusqu’à présent, le CESE est très peu visible, trop peu écouté et rarement pris en compte dans la fabrique de la loi. Pourtant, la tenue de la Convention citoyenne pour le climat a montré l’engouement que pouvaient susciter chez les citoyens les démarches de démocratie participative. En rénovant et en renforçant le CESE, ce texte aurait pu être l’occasion de lui donner pleinement la place que nous devrions lui permettre d’avoir.
Certaines des propositions que nous avions faites lors de la première lecture au Sénat ont finalement été satisfaites lors de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, permettant ainsi de renforcer le CESE, ce qui est nécessaire.
La prise en compte de ce long terme, qui permet à notre démocratie de donner enfin aux enjeux environnementaux la place qu’ils méritent dans l’agenda politique, doit être la marque du CESE.
Toutefois, je tiens à alerter sur certaines régressions importantes. Par exemple, l’article 6 supprime, sauf exception, les consultations obligatoires de certains organismes en cas de saisine du CESE. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’était opposé en première lecture à cette disposition ; il confirme son opposition. Le maintien de la procédure simplifiée reste une erreur et ne va pas dans le sens du long terme ni d’une réflexion approfondie que nous souhaitons pour le CESE. Nous proposions la suppression complète de cette disposition, très peu utilisée et sans réelle efficacité.
Ce texte contient donc des reculs, mais il est également porteur d’innovations bienvenues.
Je veux ici parler du tirage au sort qui, pour nous, est un moyen utile de compléter la démocratie représentative et de revitaliser le débat démocratique. Cette procédure ne nous paraît pas, contrairement à ce qui a pu être avancé dans cette assemblée et en commission, mener à une « démocratie de la courte paille ».
Nous appuyer, pour mener à bien notre mission de législateur, sur des assemblées de citoyens tirés au sort représentant une diversité de points de vue vient, selon nous, enrichir le processus de concertation et de prise de décision et renforcer notre légitimité de parlementaire par la création d’une confiance renouvelée avec les citoyens.
La Convention citoyenne pour le climat est une réussite par sa capacité d’appréhender la complexité des enjeux de société et de formuler des propositions, mais elle attend toujours la transformation de ses résultats qui était annoncée « sans filtre », ce qui ne sera pas le cas.
Nous saluons donc le processus de consultation par tirage au sort et de participation de personnes tirées au sort aux commissions du CESE.
Nous soutenons également les dispositions visant à faciliter la saisine du CESE par voie de pétition dès l’âge de 16 ans, et ce sans critères géographiques.
Enfin, nous souhaitons par ce texte renforcer la place des enjeux environnementaux au sein du CESE. Vous le savez toutes et tous, mes chers collègues, ces enjeux sont de plus en plus présents dans nos vies. Les effets du changement climatique se font très concrètement ressentir aujourd’hui : tensions sur l’utilisation de la ressource en eau, difficultés agricoles, augmentation du nombre et de l’ampleur des catastrophes naturelles, accélération de la perte de biodiversité, etc.
Dans ce contexte d’urgence climatique et écologique, renforcer la place des acteurs de la protection de la nature au CESE nous semble relever du simple bon sens.
Nous ne voterons pas la motion tendant à opposer la question préalable, car nous souhaitons poursuivre l’étude de ce texte. Nous pourrions le voter, éventuellement enrichi par nos propositions, car il permet malgré tout d’améliorer le fonctionnement du CESE.
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à la suite de l’adoption en commission des lois d’une motion de notre rapporteure, nous examinons aujourd’hui le projet de loi organique tel qu’adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Nous ne le déplorons pas sur le fond, puisque ce texte intègre certains apports utiles du Sénat, ainsi que des dispositions qui nous apparaissent toujours très bienvenues pour redonner au CESE la place qui lui revient aux termes de la Constitution. Ces dispositions sont aussi de nature à faire du CESE le « carrefour des consultations publiques » et de la participation citoyenne.
Nous pouvons toutefois le regretter sur la forme.
Je ne m’attarderai pas sur le constat, partagé sur toutes les travées, du déficit de visibilité de cette assemblée consultative, qui ne fait pas justice à la qualité de ses travaux. La proportion croissante des autosaisines – elle atteint 80 % en 2020 – parle d’elle-même.
À ce titre, plusieurs dispositions ont fait l’objet d’un accord à l’issue de la première lecture entre les deux assemblées. Elles manifestent un objectif partagé d’accroissement du nombre de saisines du CESE et de renforcement de sa capacité à y répondre.
Je pense à l’article 5 relatif à l’extension de la procédure simplifiée pour l’adoption des avis.
Je pense également aux articles relatifs à la déontologie des membres du CESE, dont notre rapporteure a parfait la rédaction en première lecture.
S’agissant du renforcement de la saisine du CESE par voie de pétition, les deux chambres ont consenti non seulement au dépôt des pétitions par voie électronique, mais également à la faculté, pour les mineurs de plus de 16 ans, d’en être signataires. Je sais votre attachement, monsieur le garde des sceaux, à cette disposition, animée par l’ambition de préparer ce groupe d’âge à l’exercice de sa citoyenneté.
D’autres dispositions sont marquées par un désaccord de fond ; je pense aux articles 4, 6, 7 et 9. Force est de reconnaître que l’Assemblée nationale a entendu certaines de nos réserves.
Vous ne serez pas étonnés, mes chers collègues, que j’évoque ici la question de la composition du CESE.
À la différence du projet de loi organique initial, la rédaction actuelle maintient une garantie chiffrée sur la représentation des outre-mer au titre de la cohésion sociale et territoriale, présente dans le droit en vigueur et que notre Haute Assemblée avait utilement rétablie.
Je salue cette garantie spécifique, dérogeant au renvoi à un décret opéré pour la composition des autres catégories. Bien sûr, nous pourrions discuter du chiffre, ramené à l’Assemblée nationale de onze à huit. Il est proportionnel à la réduction globale de 25 % du nombre de membres. Et vous l’aviez rappelé, monsieur le garde des sceaux, il reste sans préjudice de la présence de représentants des outre-mer au sein d’autres catégories. J’y serai bien sûr attentif et le comité de suivi rétabli à l’Assemblée nationale n’apparaît, en ce sens, pas dénué d’intérêt.
Pour terminer, je ne peux qu’exprimer un regret sur le désaccord de principe, acté par notre rapporteure dès le commencement des débats, sur la question du tirage au sort.
Il a été dit que l’inscription dans la loi organique de ce procédé fragiliserait les fondements de notre démocratie et, pire, qu’il acterait l’avènement d’une « démocratie de la courte paille ». Pourtant, il n’est en aucun cas question de substituer des membres tirés au sort aux représentants de la société civile. Il ne s’agit pas non plus, puisque le caractère consultatif est bien précisé, de substituer le tirage au sort à la légitimité de l’élection qui, seule, peut asseoir par le mandat la décision souveraine.
Nous regrettons ce point de crispation initial, qui a d’ailleurs animé nos débats. S’agissant des consultations publiques, une position commune aurait pu émerger. Il nous apparaît que, plus que le seul procédé, c’est la question du processus qu’il faut examiner. Les garanties procédurales, renforcées à l’Assemblée nationale par la nomination de garants, conforteront la pertinence et la qualité de cette participation citoyenne.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI s’opposera à la motion déposée par la rapporteure.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, annoncée dès juillet 2017 comme l’un des chantiers institutionnels majeurs du Président de la République, la réforme du Conseil économique, social et environnemental devait laisser place à la « Chambre du futur », à un « trait d’union entre le monde politique et la société civile ».
L’attente suscitée par le Gouvernement laissait penser que nous aurions à débattre de propositions novatrices, que la réforme de 2008 serait à reléguer au rang de simple dépoussiérage avant la grande rénovation de 2020.
Vous le sentez, j’ai du mal à cacher ma déception, aujourd’hui, devant cette occasion manquée.
Pour avoir commencé ma carrière professionnelle dans un conseil économique, social et environnemental régional (Ceser), je connais bien cette institution, la qualité de son travail de recherche, de consultation et d’analyse des problématiques, ainsi que la pertinence de ses avis. Face aux critiques récurrentes qui lui sont adressées, je m’accorde avec vous, monsieur le ministre, sur la nécessité de la réformer pour que son travail puisse être nourri par une plus grande participation citoyenne, et ainsi reconnu à sa juste valeur.
Mais pensez-vous pouvoir construire une « chambre pour et par la société civile », pour reprendre vos propos, en vous attachant à multiplier le nombre de pétitions et à systématiser la pratique du tirage au sort ?
Le pouvoir démocratique d’une pétition ne réside pas dans le simple fait d’interpeller directement une institution décisionnelle et d’avoir, rapidement, une prise de position de cette dernière. C’est le débat que la pétition réussira à imposer sur le devant de la scène publique qui fera d’elle le garant efficace de la décision démocratique. Pour cela, elle doit coller à notre réalité nationale, et les critères de représentativité géographique et temporelle proposés par la commission des lois auraient permis de s’en assurer.
Sur le droit de tirage, je rejoins les réserves émises par notre rapporteure Muriel Jourda, dont je salue au passage l’excellence de l’implication, sur le risque de voir apparaître le CESE comme un banal institut de sondage d’opinion. Dans un système représentatif comme celui de la France, nous devons tenter de renforcer la participation citoyenne en encourageant des actions responsables, dont nos compatriotes pourraient avoir l’initiative, et non en demandant leur avis à des citoyens qui n’ont pas été désignés par leurs pairs pour prendre la parole en leur nom.
Nous soutenons néanmoins la simplification de la subrogation de la consultation des avis exprimés dans le cadre de l’élaboration d’une loi. Le CESE a la capacité de recueillir ces avis émanant d’instances représentatives locales et d’en faire la synthèse.
De plus, le RDSE se réjouit de la suppression conforme de l’article 2. Comme nous l’avons exprimé lors de la précédente lecture, nous estimons que le contrôle de l’application des lois fait partie des prérogatives du Parlement depuis la réforme constitutionnelle de 2008. Permettre à une minorité de parlementaires de requérir l’aide du CESE en demandant un avis sur la bonne application de la législation ne nous semble pas utile, mais plutôt redondant.
Quant à l’organisation du CESE, nous soutenons le remplacement des personnalités qualifiées du collège 4 par des personnalités extérieures directement nommées par le Gouvernement. Elles pourraient être mobilisées au coup par coup sur un sujet particulier, pour plus de pertinence, et donc d’efficience.
Au nom de mon collègue Stéphane Artano, sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon, je tenais aussi à vous faire part de nos inquiétudes quant à la représentativité de nos territoires d’outre-mer au sein du CESE. J’espère que vous aurez à cœur, monsieur le ministre, de corriger cet écueil.
Enfin, je déplore que les relations des entités régionales que sont les Ceser avec le CESE restent inchangées et qu’il n’y ait eu aucune recherche de synergie. La prise en compte des territoires et de leur représentation est décidément bien difficile pour les gouvernements successifs du Président de la République…
Les membres du groupe RDSE sont en total accord avec le travail mené par la commission des lois du Sénat pour tenter d’enrichir ce texte. En revanche, ils sont opposés, par principe, au recours à la question préalable, en raison de leur attachement viscéral au débat démocratique. Nous voterons donc majoritairement contre la motion.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mes chers collègues, au terme de ce débat sur le CESE, force est de constater que l’Assemblée nationale n’a pas pris en compte les points que le Sénat jugeait essentiels. Aucune recherche de compromis n’a pu se concrétiser.
Oui, nous souhaitons un CESE fort, représentatif des corps intermédiaires, et, pour qu’il en soit ainsi, monsieur le ministre, les effectifs ont de l’importance. Si l’on veut que les différents corps intermédiaires, dans leur diversité géographique et fonctionnelle, puissent s’exprimer et trouver leur place dans cette institution, la réduction du nombre de membres n’est pas une bonne mesure.
Nous avions approuvé la proposition du Sénat de supprimer les postes de personnalités qualifiées, tout en gardant le même nombre de membres des organisations représentatives. Vous avez décidé d’aller au-delà. Pourtant, jamais une assemblée comme le CESE, consultative de surcroît, n’est paralysée par le nombre de ses votants. C’est faux !
Nous allons constater une réduction de la diversité, qui va toucher en particulier les petits groupes. Déjà peu nombreux, ils vont être réduits à l’état de traces. Il y a, par exemple, très peu de représentants du logement social et du logement en général au CESE. Or il ne s’agit pas d’une petite question.
Vous l’aurez compris, nous sommes défavorables à la réduction du nombre des membres de cette institution.
Ensuite, nous sommes hostiles à l’idée d’un CESE guichet unique lorsqu’il est consulté sur un texte législatif. La petite amélioration apportée par l’Assemblée nationale ne suffit pas. En conséquence, toute une série de structures – certaines sont inutiles, mais d’autres sont très représentatives, notamment sur quelques sujets très pointus, très professionnels – vont être contournées et ne seront plus réellement entendues. C’est une vraie difficulté.
Bilan des courses : le rôle des corps intermédiaires dans le processus consultatif et législatif est globalement affaibli, comme on a pu l’observer à travers d’autres décisions concernant le paritarisme. Pour nous, c’est une fragilité démocratique.
En revanche, à la différence de nos collègues de la majorité du Sénat, nous sommes favorables à ce que j’appelle « l’implication » ou « l’intrusion » citoyenne dans le moment démocratique, notamment lorsqu’il est consultatif. Nous n’avons donc aucune hostilité de principe aux conférences citoyennes et au tirage au sort, à partir du moment où le cadre est clair et où l’on dit la vérité aux citoyens.
Évidemment, si l’on commence par affirmer que toutes les propositions seront prises en compte, pour ensuite se dédire, comme le fait aujourd’hui le Président de la République avec la Convention citoyenne pour le climat, au terme d’une curieuse gymnastique…
La clarté s’impose. Aujourd’hui, la conférence citoyenne, c’est « le peuple » tiré au sort face à Dieu le père, c’est-à-dire le Président de la République ! (M. le garde des sceaux s’esclaffe.) Inutile de vous dire que c’est ironique, monsieur le ministre : vous connaissez notre conception de la Ve République, très hostile à ce présidentialisme excessif.
En tout cas, il eût été nécessaire, d’une part, de consacrer l’obligation pour l’exécutif de donner une réponse à la conférence citoyenne, et, d’autre part, d’organiser la transmission et le dialogue entre les membres de celle-ci et le Parlement. Si l’on associe les citoyens, ce n’est pas forcément pour leur donner raison, mais à tout le moins pour leur offrir un droit de réponse construit et argumenté.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. En conclusion, nous nous abstiendrons sur la motion à cause de ce désaccord sur la conférence citoyenne et sur l’intrusion des citoyens dans la vie démocratique. (Mme Éliane Assassi applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais revenir sur deux points de vigilance à l’égard du texte qui sera in fine adopté et insister sur une interrogation véritablement légitime.
Nous partageons les objectifs du texte et la nécessité de réformer le CESE. Patrick Bernasconi souhaitait récemment que l’institution incarne une démocratie plus participative, plus moderne, plus mature, plus efficace. Tout est dit, il n’y a plus qu’à faire !
Le Sénat, en première lecture, a fortement enrichi le texte, 21 amendements ayant été adoptés par la commission des lois.
Le premier point de vigilance se trouve à l’article 1er. Il nous paraissait nécessaire de subordonner la saisine des conseils consultatifs créés auprès des collectivités locales ou des groupements par le CESE à l’obtention préalable d’un accord des collectivités et des groupements concernés. L’Assemblée nationale n’a pas retenu cette disposition, se contentant d’une obligation d’information. Cette précaution minimale montre toutefois que nos collègues députés ont partiellement entendu les arguments du Sénat. Je crains toutefois que ce dispositif ne nourrisse à terme une forme de défiance dans la vie locale.
Le Sénat a souhaité également que les pétitions ne portent pas exclusivement sur des sujets locaux. Il a ajouté un critère géographique et porté de six mois à un an le délai pour se prononcer sur celles-ci. Ce dispositif a été repris par les députés.
Pour le reste, l’Assemblée nationale n’a pas repris à son compte la plupart des travaux du Sénat. Pour cette raison, considérant qu’à un moment donné, le débat doit s’arrêter et le désaccord être constaté, le groupe Union Centriste votera pour la motion déposée par Mme la rapporteure.
Second point de vigilance : l’Assemblée nationale a rétabli le dispositif qui permet au Gouvernement, lorsqu’il consulte le CESE sur un projet de loi, de s’exonérer des autres consultations préalables. Cette mesure nous semble exiger une pratique très précautionneuse, puisqu’elle remet en cause, de manière un peu rapide à nos yeux, les fruits de la coconstruction entre la société civile et les institutions.
Concernant la réduction des effectifs du CESE et la représentation des outre-mer, l’essentiel a été dit ; je n’y reviens pas.
Je veux en revanche insister sur un autre point fondamental, le tirage au sort.
Comme on a essayé de le faire avec le Grand débat ou la Convention citoyenne pour le climat, on ne peut plus se contenter de constater la contestation de la démocratie représentative par un certain nombre de nos concitoyens, qui peut aller jusqu’au procès en illégitimité. Nous devons chercher quelque chose de plus réticulaire. Le système pyramidal que nous connaissons, qui est né avec l’humanité, ou en tout cas qui a prévalu depuis que l’humanité s’est organisée, est remis en cause. Le tirage au sort est-il la panacée ? S’agissant du CESE, la réponse est bien évidemment négative, mais l’expérimentation nous semble intéressante, essentielle même. Le tirage au sort peut redonner une nouvelle vigueur et une nouvelle légitimité à nos institutions, même si son application partielle au sein du CESE ne répondra pas à l’enjeu dans sa globalité.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un pays qui débat souvent de façon conflictuelle d’un certain nombre de sujets, l’organisation de la société civile par le Conseil économique, social et environnemental permet d’échanger tranquillement sur les différents enjeux, intérêts et sensibilités qui peuvent s’exprimer dans notre pays. C’est très utile.
Il est donc regrettable de constater, comme en première lecture, que nous ne pouvons parvenir à un accord entre l’Assemblée nationale et Sénat pour réformer la troisième assemblée constitutionnelle de notre pays. En effet, le Parlement comme l’ensemble de la Nation a besoin d’un Conseil économique, social et environnemental qui fonctionne le mieux possible.
Je dirais, comme Mme la rapporteure, que cette réforme, tant sur la forme que sur le fond, n’emportera pas de changement radical, et ce malgré votre engagement, monsieur le garde des sceaux. Vous êtes d’ailleurs bien le seul membre du Gouvernement qui s’est autant engagé sur ce texte, en étant présent chaque fois. Bref, il est probable que le sujet ne mobilise pas les foules – nous le voyons aujourd’hui dans cette enceinte.
Regrets aussi, car nous aurions besoin aujourd’hui d’un Conseil économique, social et environnemental qui accompagne nos réflexions, que ce soit sur les conditionnalités indispensables en matière climatique et environnementale dans le plan de relance, sur la manière de vivre avec la dette, sur l’évolution d’une fiscalité qui pèse de plus en plus sur les revenus faibles et moyens, sur la place de la jeunesse dans la société, sur l’accélération de la révolution numérique engendrée par la pandémie, ou encore, alors que le projet de loi sur le séparatisme est lancé, sur le financement des cultes, l’évolution des obligations scolaires ou la liberté d’association.
À cet égard, monsieur le garde des sceaux, nous avons un gros désaccord avec la majorité sénatoriale sur l’article 4.
Comme M. Benarroche l’a dit, nous croyons qu’il faut réformer, expérimenter de nouvelles choses, parce que la démocratie représentative est en crise. La démocratie représentative « à la grand-papa », c’est fini ! La révolution numérique a balayé le fonctionnement des partis politiques tel que nous le connaissions depuis des années. Les démocraties vont mal. Nous avons besoin de trouver de nouvelles manières de faire participer les citoyens à la décision, tout en restant très attachés à ce que ce soit l’élection qui confère la responsabilité de décider.
Sur ce point, nous avons un désaccord majeur avec la majorité sénatoriale, qui semble considérer qu’il n’y a pas de crise de la démocratie aujourd’hui, que la révolution numérique n’a pas impacté son fonctionnement. Selon nous, il faut vraiment mobiliser tous les outils pour faire en sorte qu’un maximum de citoyens se réapproprient le débat et croient dans nos institutions.
Cette adaptation, le projet de loi organique la propose. La majorité sénatoriale ne la retient pas, et c’est regrettable. Toutefois, sur plusieurs points, nous sommes en accord avec nos collègues et en désaccord avec le Gouvernement et l’Assemblée nationale.
C’est vrai de l’idée selon laquelle la réduction du nombre de structures représentées au sein du Conseil économique, social et environnemental renforcerait l’institution. Nous refusons la baisse des membres du CESE, même si nous acceptons la suppression des personnalités qualifiées.
Toutefois, en supprimant les précisions qui figurent aujourd’hui dans l’ordonnance de 1958 sur la représentation de la vie associative, la cohésion sociale et territoriale, la représentation de la jeunesse et de l’outre-mer, on laisse aussi une grande marge de manœuvre au Gouvernement, qui ne donne aucune garantie sur la pluralité de la représentation, particulièrement de l’outre-mer. Nous refusons cette évolution.
Enfin, nous devons constater que les propositions de compromis que nous avions faites sur l’article 6, afin de maintenir la possibilité de consultations sur des sujets qui ne sont pas de la compétence du CESE, n’ont pas été reprises par l’Assemblée nationale. À l’article 9, nous observons également une confusion sur le tirage au sort.
Sur ces sujets, nous sommes en accord avec la majorité sénatoriale. L’Assemblée nationale n’a pas su reprendre les apports du Sénat sur des points essentiels. Par conséquent, nous voterons cette motion tendant à opposer la question préalable, tout en marquant notre soutien à l’idée de faire participer par tirage au sort les citoyens dans un certain nombre de débats.
Il restera donc aux nouveaux membres du Conseil économique, social et environnemental à faire vivre cette réforme en prenant toutes leurs responsabilités. Le groupe socialiste se tiendra à leurs côtés pour les accompagner, parce que le CESE est indispensable à la cohésion de la Nation. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental a été adopté successivement par l’Assemblée nationale et le Sénat en première lecture sur la base d’un constat que nous partageons tous : il est nécessaire de réformer cette institution, qui, depuis longtemps, peine à trouver sa place dans notre système institutionnel.
Cette assemblée, depuis plusieurs années, ne remplit plus véritablement la mission qui lui a été confiée par le constituant, à savoir représenter un trait d’union entre la société civile organisée et les pouvoirs publics, à tel point que nombreux sont ceux qui s’interrogent sur l’utilité du CESE ou qui plaident en faveur de sa suppression.
Concurrencé par d’autres instances consultatives, qui disposent d’une capacité d’expertise plus spécifique sur des sujets d’une grande complexité, le CESE s’autosaisit de la plupart de ses sujets d’étude, faute de consultations externes, ce qui peut poser question pour une assemblée consultative placée auprès des pouvoirs publics.
La commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 30 octobre dernier, a toutefois échoué à proposer un texte sur les dispositions restant en discussion.
Parmi les points sur lesquels nos deux assemblées convergent, et qui se retrouvent dans le texte que nous examinons aujourd’hui, je citerai le maintien de la suppression des personnalités qualifiées dans la composition du CESE, proposé à l’article 7, ce qui conférera au collège des membres une plus grande légitimité.
Néanmoins, nous divergeons sur des sujets essentiels. En nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a souhaité conserver la légitimation du tirage au sort dans le fonctionnement du CESE, actant ainsi un désaccord profond avec le Sénat.
L’Assemblée nationale a également maintenu sa position en fixant l’effectif du CESE à 175 membres. Je déplore cette réduction de 25 % des effectifs du Conseil, qui n’apparaît reposer sur aucun critère objectif. De surcroît, cette diminution semble paradoxale, alors que la réforme vise à les solliciter davantage.
Nos collègues députés ont précisé que les outre-mer ne disposeraient que de huit sièges, alors que le Sénat souhaitait leur en attribuer onze, afin que chaque territoire ultramarin puisse être représenté au sein du CESE.
Concernant la question des règles déontologiques, le CESE ne peut demeurer la seule institution dont les membres sont exemptés des obligations déontologiques en matière de prévention des conflits d’intérêts.
Aussi, je me réjouis qu’en nouvelle lecture l’Assemblée nationale ait repris l’essentiel des propositions du Sénat, concernant, notamment, la définition des conflits d’intérêts, les prérogatives de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), ou encore les souplesses laissées au CESE dans l’organisation de son dispositif déontologique. La seule divergence concerne la réintroduction par les députés du rapport annuel d’activité des membres du CESE, dont nous pouvons douter de l’utilité.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, si le CESE est une institution ancienne, paradoxalement, il demeure aujourd’hui une instance consultative méconnue, qui a encore du mal à exister. Il fait l’objet de critiques récurrentes en revenant, de temps en temps, sur le devant de la scène, dans le débat public ; ses travaux manquent de visibilité. Loin d’en faire une « Chambre du futur », ce texte demeure malheureusement en deçà des attentes que les annonces du Président de la République avaient . Beaucoup trop d’éléments entraînent de fortes réserves de notre part. Aussi, le groupe Les Indépendants s’abstiendra sur ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi.
Mme Jacky Deromedi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous entamons cette semaine par le nouvel examen du projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental. Cette nouvelle discussion a malheureusement été rendue nécessaire par l’échec de la commission mixte paritaire du 30 octobre dernier.
Disons-le d’entrée de jeu, notre groupe ne rejette aucunement l’idée de rénover le CESE. Cet organe constitutionnel consultatif a un rôle à jouer afin de favoriser le dialogue entre les forces vives de la Nation et d’appuyer le législateur dans son travail. D’ailleurs, lors de la première lecture, notre rapporteur, Muriel Jourda, avait mis en exergue la sous-utilisation du potentiel du Conseil, tout en rappelant que, évidemment, il n’avait pas vocation à devenir une « troisième chambre ».
De toute façon, le choix fait par le Gouvernement de réformer le CESE à droit constitutionnel constant écarte d’emblée toute possibilité de changements radicaux.
Quoi qu’il en soit, il est devenu manifeste, au cours de la navette, que la vision du Sénat quant à l’avenir du CESE n’était pas entièrement partagée par la majorité et le Gouvernement. Cela dit, il convient de saluer, comme l’a fait le rapporteur, la qualité du dialogue qui a été noué dans le cadre de la recherche d’un compromis, dialogue qui a rendu possibles certaines convergences sur plusieurs sujets du texte.
C’est ainsi que nous pouvons nous féliciter de voir que les députés ont maintenu les apports sénatoriaux relatifs à l’organisation interne du CESE. Il en va de même pour la structuration d’un dispositif déontologique solide, qui fera intervenir la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Cependant, ces convergences ne peuvent masquer les points de désaccord substantiels qui persistent sur un certain nombre des principales dispositions du texte.
Il en est ainsi de la question du recours au tirage au sort pour la participation des groupes de citoyens aux travaux du CESE. L’introduction d’un tel processus dans le fonctionnement d’une institution constitutionnelle, même consultative et dans le cadre d’une procédure de portée limitée, nous semble incompatible avec notre modèle de démocratie représentative. Quand bien même cela ne suffirait pas à nous dissuader, il ne faut pas oublier que, le jeu des récusations aidant, constituer un échantillon un tant soit peu représentatif par le biais du tirage au sort est quelque chose de passablement difficile, comme a pu le rappeler Philippe Bas à l’occasion de la CMP.
Un autre point de désaccord majeur se situait au niveau du dispositif dit de « subrogation », à l’article 6 du projet de loi organique. Ce dernier permet au Gouvernement d’être dispensé de certaines consultations d’organismes, pourvu qu’il consulte le CESE.
Si nous partageons évidemment le désir de donner corps au rôle consultatif du Conseil, il est simplement incohérent et inefficace de le faire de la sorte : d’une part, le CESE ne dispose pas des moyens techniques et administratifs appropriés ; d’autre part, une telle mesure risquerait d’abîmer simultanément sa légitimité, par défaut d’expertise technique, et celle des organes subrogés, qui se verraient ainsi dépossédés périodiquement de leur rôle.
Enfin, il y a d’autres dispositions problématiques sur lesquelles un accord n’a pas été possible. C’est le cas de la consultation des Ceser par le CESE et de la réduction des effectifs du Conseil, laquelle intervient au détriment des conseillers ultramarins.
Vous comprendrez donc qu’à nos yeux, l’accumulation de ces désaccords substantiels exclut que nous nous rangions derrière le texte des députés. Plutôt que de poursuivre en vain la discussion, notre groupe votera donc en faveur de la motion tendant à opposer la question préalable déposée par le rapporteur.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme Muriel Jourda, au nom de la commission, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif au Conseil économique, social et environnemental (n° 129, 2020-2021).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme le rapporteur, pour la motion et pour dix minutes maximum. (Sourires.)
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Vos souhaits de concision seront exaucés, monsieur le président.
J’ai suffisamment développé, lors de la discussion générale, pourquoi nous ne sommes pas parvenus à un accord, et pourquoi nous ne pourrons pas parvenir à un accord.
J’estime donc que cette motion est défendue.
M. le président. C’est vraiment maximum ! (Rires.)
Personne ne demande la parole contre la motion ?…
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le président, vos vœux seront doublement exaucés, car je serai aussi bref que Mme la rapporteure !
Je suis évidemment totalement défavorable à cette motion. Mais comme j’ai cru comprendre que je n’avais pas l’ombre de l’once d’une chance de vous convaincre de quoi que ce soit, et comme je n’ai, par ailleurs, pas le goût de l’effort inutile, je me rassois immédiatement. (Sourires.)
M. le président. Si toutes les séances pouvaient ressembler à celle-ci… (Nouveaux sourires.)
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi organique.
Je rappelle également que l’avis du Gouvernement est défavorable.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 51 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 315 |
Pour l’adoption | 265 |
Contre | 50 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le projet de loi organique est rejeté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Code de la sécurité intérieure
Adoption en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure (projet n° 130, texte de la commission n° 209, rapport n° 208).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c’est un honneur pour moi d’être avec vous pour la nouvelle lecture de ce projet de loi, qui proroge des dispositions majeures du code de la sécurité intérieure. Comme j’ai eu l’occasion de le voir lors de l’examen de la mission « Sécurités » du projet de loi de finances pour 2021, le Parlement est très attentif aux dispositions qui permettent de mieux protéger les Françaises et les Français.
Trois ans après l’adoption de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « loi SILT », les dispositions qui ont été adoptées pour sortir de l’état d’urgence restent pleinement d’actualité. Il s’agissait de maintenir un niveau extrêmement exigeant de sécurité pour les Français, car la menace reste prégnante et la lutte contre le terrorisme demeure une priorité de l’action du Gouvernement. Pour cela, la loi SILT a mis en place des outils nouveaux, mais adaptés, garantissant un équilibre entre efficacité de l’action antiterroriste et préservation des libertés.
Nous avons collectivement conscience du niveau extrêmement élevé de la menace qui continue à peser sur notre pays. L’attaque terroriste devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, celle de Conflans-Sainte-Honorine et celle de Nice montrent, si cela était nécessaire, que nos efforts ne doivent pas se relâcher et que nous devons continuer d’agir avec la plus grande détermination contre le terrorisme islamiste.
Depuis 2017, quatorze attaques ont abouti sur le territoire national. Mais il faut aussi dire que, depuis 2017, trente-deux attentats ont été déjoués par nos services, dont un encore au début de l’année 2020. Permettez-moi à cette occasion de saluer les services de renseignement, les policiers et les gendarmes, qui accomplissent chaque jour un travail exceptionnel pour identifier les menaces, suivre les individus dangereux et mettre en péril leurs projets meurtriers.
La loi SILT a permis à ces services de continuer à disposer, après la fin de l’état d’urgence, d’un cadre législatif efficace et adapté à leur action. Je souhaite cependant insister sur l’usage qui a été fait de ces outils nouveaux. Au 11 décembre 2020, 605 périmètres de protection ont été mis en place et huit lieux de culte ont été fermés. Dans le même temps, 370 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ont été notifiées – parmi elles, 63 sont actives à ce jour – et 397 visites domiciliaires ont été réalisées. Ces mesures ont toujours été utilisées de manière ciblée, sous le contrôle du juge.
Conformément à l’article du code de la sécurité intérieure instauré par l’article 5 de la loi SILT, le Parlement a été informé sans délai de la mise en œuvre de chacune de ces mesures. Il a également été rendu destinataire, chaque année, d’un rapport d’évaluation sur la mise en œuvre de la loi.
De la même manière, le Gouvernement a fait un usage raisonné de la technique dite « de l’algorithme ». Ainsi, depuis 2015, trois traitements automatisés ont été autorisés par le Premier ministre, après avis favorable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). La délégation parlementaire au renseignement a été rendue destinataire d’un rapport classifié au niveau « confidentiel défense », qui décrit la nature de l’apport opérationnel de ces traitements automatisés.
Les mesures dont il vous est proposé de prolonger l’application par le présent projet de loi constituent donc des outils opérationnels indispensables pour les services spécialisés dans la lutte contre le terrorisme. Il est important de souligner que ces outils ont été mis en œuvre sous le contrôle attentif du juge, judiciaire et administratif, et, pour certains d’entre eux, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, avis que le Gouvernement a toujours suivis. Ils font l’objet d’un échange permanent avec le Parlement, sous la forme d’une information en temps réel et d’une évaluation régulière, que le Gouvernement a strictement respectées.
Ces dispositifs ont démontré toute leur pertinence dans la prévention de la menace terroriste.
Je crois pour ma part qu’il est important, sur des dispositions aussi fondamentales pour l’équilibre entre les enjeux de libertés et la lutte antiterroriste, de travailler à une constante amélioration de ces textes. Dès lors, pérenniser dès à présent ces dispositions serait passer l’occasion de les adapter pour qu’elles répondent au mieux aux besoins des services, tout en respectant l’équilibre qui a présidé à leur adoption.
Le Gouvernement envisageait par ailleurs, avant l’émergence de la crise sanitaire, de soumettre au Parlement avant l’été un projet de loi permettant d’engager avec vous une discussion approfondie sur chacune de ces mesures. Au-delà du seul bilan de leur mise en œuvre, l’examen de ce texte aurait été l’occasion de débattre, ensemble, des éventuelles adaptations de notre cadre juridique à l’évolution de la menace. Les services de renseignement y étaient prêts. Le ministère de l’intérieur, le ministère des armées et l’ensemble du Gouvernement y étaient prêts. Mais la mobilisation nationale rendue nécessaire par la gestion de la crise sanitaire y a fait obstacle. Le contexte n’a pas permis aux débats, dans chacune des chambres du Parlement, de se tenir de manière sereine.
À ce contexte épidémique est venu s’ajouter l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, le 6 octobre dernier, sur le régime de conservation des données par les opérateurs de télécommunications. Les juridictions nationales tireront toutes les conséquences de cette décision européenne. Il nous faudra pouvoir en éclairer le Parlement et examiner avec lui les conséquences potentielles qu’il conviendrait d’en tirer dans la loi.
Les sujets dont nous parlons sont majeurs pour la sécurité des Français. Ils touchent aux libertés fondamentales. Ils méritent d’être discutés avec tous les éclairages nécessaires. Aussi, compte tenu de la sensibilité et de la complexité des dispositions en question, il a semblé opportun au Gouvernement de proroger de quelques mois ces dispositifs pour réserver la tenue d’un débat de fond serein. En tout état de cause, la prolongation de l’expérimentation ne nous empêche pas – n’empêche pas nos services – de travailler.
La mobilisation du Gouvernement pour lutter contre le terrorisme est très forte. Elle se traduit, avec le soutien du Parlement, par une augmentation des moyens mis à la disposition des services spécialisés en matière de lutte antiterroriste, notamment les services de renseignement. Au total, 1 000 postes supplémentaires ont été créés depuis l’élection du Président de la République. Les budgets d’investissement et de fonctionnement des services, que vous avez approuvés au sein de la mission « Sécurités » du projet de loi de finances pour 2021, ont également fait l’objet d’un effort sans précédent. Les crédits alloués à la DGSI ont ainsi pratiquement doublé entre 2015 et aujourd’hui.
La lutte contre le terrorisme exige en effet de nous une mobilisation totale. Sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, avec l’engagement de l’ensemble des forces de sécurité et des services de renseignement, avec l’appui de la justice, M. le ministre de l’intérieur et moi-même mènerons un combat sans relâche. Nous ne renoncerons jamais à traquer ces ennemis de la République, qui attaquent par la terreur notre mode de vie et nos valeurs : la laïcité, la liberté d’expression, ou encore la liberté de conscience et la liberté de culte.
C’est pour ces considérations d’efficacité, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, que je vous présente aujourd’hui, au nom du Gouvernement, ce projet de loi de prorogation. (M. Alain Richard applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en matière de lutte contre le terrorisme, la convergence entre l’Assemblée nationale et le Sénat est habituellement de mise ; il est rare que députés et sénateurs ne parviennent pas à un accord pour doter les services de sécurité des moyens et des outils adéquats pour combattre ce fléau qui continue de frapper tragiquement notre pays de manière régulière. C’est pourquoi je regrette beaucoup que la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 22 octobre dernier pour examiner le projet de loi aujourd’hui soumis à notre examen ne soit pas parvenue à un accord.
Cet échec est d’autant plus regrettable que nous n’avons de divergence de fond, me semble-t-il, ni avec le Gouvernement – les propos de Mme la ministre nous l’ont encore confirmé il y a un instant – ni avec l’Assemblée nationale. Nous nous accordons en effet sur l’utilité des mesures concernées par ce projet de loi, qu’il s’agisse des mesures issues de la loi SILT ou de la disposition de la loi relative au renseignement portant sur la technique de l’algorithme. En revanche, comme vous l’avez relevé, madame la ministre, nous avons une divergence profonde de méthode et de calendrier.
Depuis le début de la navette parlementaire, le Gouvernement et les députés se cantonnent à l’idée de procéder à une prorogation « sèche », c’est-à-dire sans modification, des mesures de la loi SILT, ainsi que de la technique de l’algorithme.
En première lecture, le Sénat a validé cette position pour la technique de l’algorithme, le temps qu’une réforme plus large de la loi relative au renseignement puisse être soumise à notre examen. En revanche, nous avons jugé que la prorogation sèche des dispositions de la loi SILT était non seulement injustifiée, mais également tout à fait inopportune au regard du niveau de la menace terroriste sur notre territoire. C’est pourquoi nous avons considéré comme essentiel, non seulement de pérenniser immédiatement ces mesures, mais aussi de leur apporter plusieurs ajustements afin de les rendre pleinement efficaces.
Il s’agissait, premièrement, d’étendre le champ de la mesure de fermeture administrative aux lieux connexes aux lieux de culte, afin d’éviter le déport des discours radicaux vers d’autres lieux bien repérés par nos services secrets ; deuxièmement, de renforcer l’information des autorités judiciaires sur les Micas, de manière à assurer une parfaite articulation avec les mesures judiciaires telles que le contrôle judiciaire ; enfin, troisièmement, d’élargir les possibilités de saisie informatique dans le cadre d’une visite domiciliaire, dans les cas où l’occupant des lieux fait obstacle à l’accès aux données présentes sur un support ou un terminal informatiques.
Les attentats qui ont récemment frappé notre pays ont montré, alors même que nous discutions en première lecture de ce projet de loi, que nous ne devions pas baisser la garde, mais faire preuve de réactivité pour doter nos services de sécurité des outils nécessaires pour assurer réellement la sécurité des Français. C’est la position que nous avons tenue en commission mixte paritaire et que les députés ont catégoriquement refusé de suivre. À quoi sert donc d’expérimenter si l’on ne peut pas, à l’issue de l’expérimentation, pérenniser ?
Nous regrettons que l’Assemblée nationale n’ait pas fondamentalement dévié de sa ligne en nouvelle lecture, alors même que l’actualité aurait dû l’amener à infléchir sa position.
Sur la question de l’algorithme, il est heureux qu’elle se soit ralliée au Sénat, en acceptant de porter la nouvelle échéance de la technique au 31 décembre 2021, plutôt qu’au 31 juillet. C’est une bonne chose, car, avant de réformer la loi Renseignement, il nous faut laisser aux administrations de l’État le temps de tirer les conséquences des récents arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, qui risquent de remettre en cause le fonctionnement de plusieurs techniques de renseignement.
Sur le reste du texte, en revanche, un tel ralliement n’a pas eu lieu. Les députés ont rétabli la rédaction issue de leur première lecture sur l’article 1er du projet de loi, pour revenir à une simple prorogation des mesures issues de la loi SILT jusqu’au 31 juillet 2021. Si l’on suit leur position, il faudra un nouveau débat, alors que nous pouvons trancher ce problème, tranquillement, dès maintenant.
L’argument que vous venez encore d’avancer à l’appui de cette position, madame la ministre, me semble bien fragile : vous souhaitez attendre, et les députés veulent poursuivre leur réflexion, pour que puisse se tenir sur ces sujets un débat démocratique serein que les conditions sanitaires auraient rendu impossible. Dois-je pourtant rappeler que les dispositions dont nous parlons font l’objet d’une évaluation régulière ? Le président de la commission des lois et moi-même, en tant que rapporteur, avons reçu toutes les semaines l’ensemble des arrêtés relatifs à ces dispositions sur notre territoire. Nous avons conduit une mission d’information très importante, qui a procédé à de multiples auditions. Enfin, j’ai produit au nom de la commission des lois deux rapports très clairs, qui concluent évidemment à la nécessité de pérenniser ces mesures.
Il y a donc eu expérimentation et évaluation approfondie. Nous proposons d’en tirer les conclusions évidentes.
J’ajouterai que l’utilité opérationnelle avérée de ces mesures a été reconnue par le Gouvernement ; selon le rapport relatif au bilan de la deuxième année de mise en œuvre de la loi SILT, elles ont « permis de faire face à une menace terroriste demeurant à un niveau particulièrement élevé ». Cela figure noir sur blanc dans les rapports que nous a remis le Gouvernement : avant de remettre le mien, je sollicite le Gouvernement pour qu’il nous remette le sien et que nous puissions vérifier si nous sommes en phase. Or, sur le fond, nous sommes bien en phase, si l’on en croit les conclusions de nos rapports respectifs.
Dès lors, pourquoi reporter le débat et obliger le Parlement à se prononcer de nouveau dans quelques mois, alors que l’ordre du jour des deux assemblées s’annonce particulièrement chargé ?
Vous indiquez par ailleurs, madame la ministre, que votre texte n’affaiblit pas la lutte contre le terrorisme, car les mesures seront maintenues dans l’attente de leur pérennisation. Mais, ce faisant, vous écartez toute possibilité de leur apporter les ajustements que les services de votre ministère eux-mêmes estiment pourtant indispensables pour renforcer l’efficacité de la lutte contre le terrorisme.
Vous ne pouvez pas en même temps déclarer vouloir faire une guerre sans merci aux djihadistes et refuser de pérenniser définitivement dans la loi des mesures qui ont fait leurs preuves. Vous ne pouvez pas en même temps refuser notre proposition d’étendre la mesure de fermeture administrative aux lieux connexes aux lieux de culte dans lesquels agissent les prêcheurs de haine et défendre, comme s’y emploie le ministre de l’intérieur, une ligne ferme contre les discours séparatistes et lancer une offensive médiatique contre les mosquées où sévissent des discours haineux. Il y a là un manque profond de cohérence de la part du Gouvernement.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, la commission des lois a donc souhaité rétablir son texte de première lecture, afin de laisser une nouvelle possibilité au Gouvernement et à l’Assemblée nationale de se rallier à sa position, ce qui crédibiliserait votre discours actuel de fermeté, madame la ministre : les discours ne suffisent pas, il faut que les actes suivent !
J’invite donc le Sénat à nous suivre cet après-midi, conformément à l’esprit de responsabilité dont il a toujours fait preuve face au défi terroriste ; chacun ici sait qu’il a été l’un des acteurs fondamentaux de l’élaboration initiale de la loi SILT. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je crois que nous sommes d’accord sur le fond de ce texte, qui prolonge l’application de quatre mesures de sécurité publique centrées sur la lutte antiterroriste : les périmètres de sécurité, les fermetures de lieux de culte, les visites domiciliaires et les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance. Nous constatons – je rejoins entièrement le propos du rapporteur Marc-Philippe Daubresse – que ces mesures ont été efficaces et qu’elles ont été mises en œuvre sous un contrôle juridictionnel satisfaisant, qu’il s’agisse du juge administratif ou du juge judiciaire.
Cela étant, il subsiste une différence de méthode sur la manière de prolonger leur application. L’Assemblée nationale tient à ce qu’elles soient seulement prorogées – le Gouvernement est du même avis – de manière à permettre un nouveau débat dans le cours de l’année 2021, alors que la majorité sénatoriale souhaite qu’elles soient immédiatement pérennisées avec quelques ajustements – point sur lequel, je pense, il n’y a pas de désaccord. C’est donc évidemment dommageable, mais, comme l’a dit la ministre, il y aura probablement d’ici à l’été un nouveau texte destiné à renforcer le cadre légal des activités de renseignement, lequel devra en particulier établir des normes de fond nouvelles encadrant l’utilisation des algorithmes.
Nous avons à poursuivre avec vous, madame la ministre, ainsi qu’avec le garde des sceaux d’ailleurs, un débat sur la manière dont notre droit et nos procédures vont pouvoir développer ce contrôle nécessaire par les algorithmes, en tenant compte de l’arrêt Tele2 de la Cour de justice de l’Union européenne du mois d’octobre dernier, qui s’oppose – les termes ne sont pas sans intérêt – à ce que les États, pour des raisons de sécurité ou de justice, imposent aux opérateurs une obligation généralisée et indifférenciée de conservation des données. Il va donc falloir que, à l’intérieur de ce cadre jurisprudentiel, nous trouvions le moyen de faire fonctionner les algorithmes dont nos services ont besoin.
Il est entendu que ce débat doit se conclure sur l’amélioration et l’extension du cadre légal du renseignement avant la fin de 2021. De toute manière, s’il doit y avoir, comme le préconise la commission, des améliorations en ce qui concerne par exemple l’étendue du pouvoir de fermeture de sites religieux, nous n’aurons pas longtemps à attendre pour constater un accord sur le fond.
Voilà pourquoi nous voterons en faveur du texte du Sénat. Nous considérons qu’il n’est pas profondément contradictoire avec la position du Gouvernement et que, à l’issue de la lecture définitive, nous aurons une situation opérationnelle et satisfaisante sur le plan juridique.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 31 décembre 2020, un certain nombre de dispositions du code de la sécurité intérieure arriveront à échéance, si le législateur n’intervient pas. Dans ces conditions, nous comprenons bien évidemment la nécessité de sécuriser juridiquement des mesures qui pourraient intervenir au-delà de cette date, même si nous regrettons que le Parlement n’ait pas réussi à s’accorder sur les moyens d’y parvenir. Certes, si chacune des positions retenues se justifie, il est nécessaire de mener un débat approfondi sur les mesures de la loi SILT, son objet étant trop sensible pour être traité avec une quelconque forme de légèreté.
C’est dans ce cadre que nous avons déjà eu l’occasion d’indiquer notre inquiétude et nos réserves s’agissant de la technique des algorithmes. Ce sujet doit être traité avec les précautions qui s’imposent, la seule poursuite d’une expérimentation en la matière peut faire l’objet d’un consensus. Cependant, nous pensons que les dispositifs expérimentaux, tout comme les dispositifs d’exception, ne doivent pas se multiplier au sein de notre législation. La période actuelle nous impose trop souvent d’y recourir, qu’il s’agisse de l’état d’urgence sanitaire et de ses mesures de police administrative ou bien encore du report du calendrier électoral. Certes, il y a des cas où l’urgence de la situation justifie qu’il faille procéder ainsi, mais il y en a d’autres pour lesquels nous donnons le sentiment de fuir nos responsabilités. Le Parlement écrit la loi, et l’essence de celle-ci n’est pas d’être qu’une mesure temporaire.
Si, en 2017, il a été considéré comme nécessaire de sortir de l’état d’urgence, en même temps que de maintenir un certain niveau de sécurité, ce fut par l’application relais d’une nouvelle loi, non plus d’urgence, mais d’exception, dont les dispositions demeuraient, par leur contenu, limitées dans le temps. Nous voilà désormais à l’heure du bilan, et les circonstances nous imposeraient d’attendre encore.
Il va sans dire que les objectifs du projet de loi dont nous discutons sont évidemment fondamentaux et essentiels, puisqu’il y est question des conditions d’exercice de nos libertés fondamentales. Nul ne souhaite discuter comme d’une formalité un texte ayant trait à la mise en place de périmètres de protection, à la fermeture de lieux de culte, à des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ou à des visites domiciliaires et à des saisies.
Nous entendons l’argument consistant à dire qu’il faut un débat et une réflexion, que la crise sanitaire n’a pas permis. Reste qu’il faut aussi entendre l’appel qui est fait, à savoir travailler à pérenniser les dispositifs, les ancrer durablement dans notre droit, voire les écarter s’ils ne convenaient pas, mais, du moins, qu’ils ne soient pas seulement « applicables jusqu’à une date » que l’on repousserait inlassablement.
Un tel mode de fonctionnement ne serait pas satisfaisant. Il l’est d’autant moins que les bilans existent déjà. La mission pluraliste créée à cette fin par la commission des lois, en 2017, a conclu en faveur de la pérennisation des quatre dispositions temporaires, tout comme le Conseil constitutionnel, qui, à l’occasion de deux QPC, a jugé conforme à la Constitution l’essentiel des quatre mesures temporaires que nous évoquons.
Nous ne pourrons pas proroger inlassablement les dispositifs, sauf à renoncer à ce que notre droit bénéficie d’une forme de stabilité. Mais vous comprendrez que la raison s’impose au groupe du RDSE, qui votera donc majoritairement en faveur de ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour comprendre ce dont nous débattons aujourd’hui en nouvelle lecture, il me semble nécessaire de revenir un instant sur l’origine des principales dispositions que comporte ce projet de loi, sans faire d’erreur sur les dates. Il s’agit des quatre mesures phares de la loi qui, en 2017, a entériné certaines mesures de l’état d’urgence, à la suite des attentats de 2015. Ce sont donc des mesures temporaires, datant d’il y a trois ans, mais instaurées il y a cinq ans déjà.
La commission mixte paritaire sur le texte a échoué, non pas sur le fond de ces mesures, mais sur la forme que doit prendre leur application. Alors que ces dernières doivent prendre fin au 31 décembre prochain, le Gouvernement et l’Assemblée nationale nous proposent de les proroger de six mois. Le Sénat, quant à lui, propose de les entériner immédiatement. Aucune de ces deux positions ne nous convient et ne nous convainc, même si je serais tentée de dire que la prorogation pure et simple reste la solution la moins pire, ou du moins la plus démocratique, en ce qu’elle permettrait un débat de fond sur ces mesures plus que problématiques à notre sens.
En effet, de quoi s’agit-il ? Il est demandé à la représentation nationale de proroger, en procédure accélérée – sans bilans détaillés et exhaustifs de l’efficacité de nos outils législatifs de lutte contre le terrorisme –, des mesures préventives ordonnées sur la base de simples soupçons, restrictives de libertés, décidées par l’autorité administrative et soustraites, pour la plupart, au contrôle judiciaire. Si la loi SILT a transformé les assignations à résidence en mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et les perquisitions en visites et saisies, il s’agit bien – ne nous y trompons pas – des mêmes mesures liberticides que celles de l’état d’urgence, qui contournent la justice pénale ordinaire et les protections qui lui sont associées.
Je ne reviendrai pas sur les différents arguments que nous avons développés en première lecture pour vous démontrer l’inefficacité, en plus de leur dangerosité, de ces mesures. Mais je continue de m’étonner de la logique qui prévaut dans cette inflation législative, qui a pourtant fait les preuves de son échec.
Malheureusement, nous venons encore d’essuyer cette année plusieurs attentats terroristes, dont celui qui a été commis à l’encontre de Samuel Paty, le plus terrifiant sans doute, car dirigé contre tout notre modèle éducatif et la liberté d’enseigner ; celui perpétré à la basilique de Notre-Dame de Nice n’en est pas moins atroce. Mes chers collègues, nous pouvons être d’accord sur un point : ces attentats ont eu lieu sous le régime de ces mesures.
En parallèle, de nombreux autres outils se sont accumulés au fil des années, comme Pharos. Hélas, cette plateforme avait repéré et signalé l’assassin de Samuel Paty, plusieurs mois avant qu’il ne commette son crime abject, en vain.
Ces trente dernières années, seize lois ont été adoptées contre le terrorisme, auxquelles s’ajoutent trente-deux lois de lutte contre la délinquance, la plupart s’attaquant davantage à réduire nos libertés, sous couvert de sûreté, qu’à enrayer véritablement le terrorisme. Ainsi, le problème perdure…
Ne s’agirait-il pas à présent de faire le point sur notre stratégie en matière de lutte contre le terrorisme ? Il faudrait repenser, avec la hauteur de vue qui devrait être la nôtre, ce qui nourrit le terrorisme comme les relations commerciales et diplomatiques que Paris entretient avec certains pays complaisants à l’égard de ceux qui nous portent atteinte.
Pour ce qui est de notre territoire national, les services de renseignement doivent être renforcés humainement et pas uniquement sur la base d’outils algorithmiques insensés ou pas. Notre police doit retourner au contact de nos concitoyens, non seulement pour y faire de la prévention, mais aussi pour remonter les informations nécessaires aux services de renseignement.
Quoi qu’il en soit, un débat digne de ce nom doit se tenir sur le sujet, et l’échec des mesures dont il est question aujourd’hui doit être rapidement constaté, pour passer à la suite. Comme en première lecture, nous voterons contre ce projet de loi. (M. Guy Benarroche, Mme Esther Benbassa et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous connaissons tous les dispositions de la loi de 2017, dite loi SILT. Les différentes interventions, en particulier celle de M. le rapporteur, nous ont permis de disposer de tous les éléments d’appréciation. Je ne reprendrai donc pas le contenu de ces dispositions ; je me concentrerai sur deux points.
Premièrement, il conviendrait de s’interroger collectivement sur les raisons pour lesquelles la CMP a été non conclusive. A priori, ce sujet n’aurait pas dû poser de difficulté. Sauf incompréhension de ma part, nous sommes tous d’accord sur le bilan positif de l’application des quatre mesures de la loi de 2017 que sont les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les Micas et les visites domiciliaires.
Que ce soit le Sénat, à travers le suivi qui en a été fait pendant un an et demi, l’Assemblée nationale ou le Gouvernement, chacun reconnaît que ces mesures, dont l’usage n’a pas été excessif, se sont avérées positives et que l’équilibre entre l’action antiterroriste et la préservation des libertés a été correctement trouvé. Le juge administratif a joué son rôle de régulateur sans aucune difficulté et le contrôle parlementaire, comme cela a été évoqué, s’est exercé. Il n’y avait donc pas de difficulté à ce que la CMP soit conclusive.
L’Assemblée nationale a fait le choix de proroger de sept mois les mesures de la loi SILT. Sachant tous que le programme du premier semestre de 2021 sera très chargé, on comprend mal la position de l’Assemblée nationale et surtout celle du Gouvernement. Face à un ordre du jour embouteillé, il privilégie le dépôt d’un texte spécifique dont nous aurions pu faire l’économie. Il y aura peut-être là quelques surprises…
S’agissant des ajustements qui avaient été proposés par le Sénat sur l’information des autorités judiciaires, je ne suis pas sûr que cela change grand-chose. En revanche, l’extension du champ des mesures de fermeture administrative à d’autres lieux dits « connexes » ou l’élargissement des possibilités de saisies informatiques évoqué lors d’un certain nombre d’auditions nous paraissaient être des dispositions plutôt intéressantes au regard de l’ampleur de la menace terroriste.
L’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont pas fait ce choix ; il est permis de le regretter. Le Sénat va rétablir son texte, mais chacun de nous connaît l’issue. Je ne suis pas tout à fait certain que, au-delà d’une forme de querelle de préséance – parce que j’ai l’impression que nous nous demandons qui est à l’origine de quoi –, les conditions de lutte contre le terrorisme en sortiront renforcées. Je ne vois pas l’intérêt pour le Gouvernement de se trouver sous la pression qui va être la sienne au premier semestre compte tenu du calendrier parlementaire.
Deuxièmement, sur la question de la prorogation des trois algorithmes jusqu’à la fin de l’année 2021, nous connaissons bien l’analyse qui est faite par nos services de sécurité. Il nous semble manquer, à ce jour, une analyse comparative entre les besoins de nos services de sécurité et les conséquences à tirer de l’arrêt du 6 octobre 2020 de la Cour de justice de l’Union européenne. C’est un arrêt dont on ne mesure pas totalement les conséquences. A priori, il ne laisse pas de marges, puisqu’il n’autorise pas les dispositions en matière de chalutage et incrimine la conservation généralisée et indifférenciée des données.
À y regarder de plus près, on s’aperçoit que l’arrêt n’autorise pas de dérogation dans le cadre de la lutte contre les infractions en général, ce dont on convient assez volontiers, ou de sauvegarde de la sécurité nationale – je pense en particulier à l’espionnage. Cependant, dans la sauvegarde de la sécurité nationale, doit-on y intégrer les éléments de lutte contre le terrorisme ? Je n’en suis pas tout à fait convaincu. Il me semble donc que cet arrêt nous laisse tout de même un peu de marge, qui justifie un travail vraiment spécifique ; d’habitude, la Cour de justice n’interdit pas les échanges avec elle pour comprendre son point de vue.
En résumé, monsieur le président de la commission des lois, au-delà du vote, pour lequel notre groupe suivra le point de vue majoritaire du Sénat, compte tenu des motifs que j’ai décrits, il pourrait être intéressant, dans les mois qui suivent, peut-être dans le cadre des missions confiées à M. Daubresse ou selon une autre modalité – ce sera à vous d’apprécier –, d’anticiper cette discussion qui rebondira forcément durant l’année 2021, pour voir quelles sont les marges de manœuvre qui nous sont laissées par l’arrêt du 6 octobre 2020. (M. François Bonneau applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en première lecture, nous étions invités à nous prononcer sur deux prorogations : d’une part, les mesures de la loi SILT relatives aux périmètres de protection, aux visites domiciliaires – anciennement appelées perquisitions –, aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance – anciennement les assignations à résidence – et aux fermetures de lieux de culte ; d’autre part, l’usage d’algorithmes permettant d’analyser le flux de données en vue de détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste. Je rappelle que ces mesures ont été adoptées en 2015, prorogées en 2017 et arriveront à échéance à la fin de l’année.
Compte tenu du contexte terroriste, il est déplorable que nous n’ayons pu parvenir à un accord en CMP, mais la situation est peut-être un peu plus compliquée que ce que prétendent certains membres de la majorité sénatoriale. Il s’agit non pas de déterminer si ces mesures sont bonnes ou mauvaises, mais de savoir si, au jour le jour, elles sont correctement appliquées. Il est d’ailleurs paradoxal de constater que c’est le Sénat qui, en 2017, a mis en place ce dispositif qui s’autodétruit en 2020.
La transmission au Parlement d’une copie de tous les actes administratifs pris en vertu des dispositions votées et la remise aux deux assemblées d’un rapport annuel d’évaluation étaient indispensables, car, encore une fois, il ne s’agit pas de savoir, monsieur le rapporteur, si ces mesures sont bonnes ou non, mais il s’agit de savoir comment elles sont appliquées au quotidien. Le fait qu’elles puissent être largement attentatoires aux libertés mérite bien le contrôle du Parlement. C’est la raison pour laquelle nous ne souhaitons pas voter la pérennisation de ces mesures sans être assurés, au minimum, d’un contrôle parlementaire renforcé.
Compte tenu de l’accord sur l’article 2 du projet de loi initial, nous n’aurons plus à nous prononcer sur la question des algorithmes. Permettez-moi cependant, en prévision d’une loi plus importante sur le renseignement qui nous est annoncée pour l’année prochaine, de formuler quelques remarques, car il s’agit à la fois de contraintes et d’enjeux européens et de la crédibilité de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Premièrement, la loi sur le renseignement prévoyait, à l’article L. 863-2 du code de la sécurité intérieure, qu’un décret en Conseil d’État soit pris pour définir les conditions d’échange entre les différents services de sécurité et les administrations de toutes les informations en matière de données de connexion qui pourraient être récupérées. Or ce décret n’a jamais été pris, et nous ne disposons toujours pas d’un cadre sur la façon dont fonctionnement ces échanges.
Deuxièmement, au sein de la loi de finances, en totale contradiction avec la LOLF, a été adopté un dispositif de contrôle des demandes de données de connexion, spécifiquement dédié à délivrer des autorisations à la DGFiP. Cela pose un problème : d’un côté, on crée une CNCTR qui doit centraliser les demandes et rendre des avis au Premier ministre sur les demandes de données de connexion des services et, de l’autre, pour des questions fiscales, on crée une autre structure pour aller plus vite, alors même que l’on ne cadre pas les échanges entre les différents services.
Les rapports de la CNCTR ont déjà souligné le besoin d’améliorer l’accès aux fichiers de souveraineté, pour que le contrôle de cette dernière soit complet sur l’ensemble des dispositions et des pouvoirs des services de renseignement. Il faut que nous puissions avoir confiance en l’action des services de renseignement, eu égard aux prérogatives qui leur sont données pour garantir la sécurité des Français, en étant assurés qu’elles soient mises en œuvre dans des conditions respectant les libertés et l’intimité de chacun.
La CNCTR doit donc être au cœur de nos préoccupations si nous souhaitons pouvoir garantir les libertés. Or un certain nombre de choses ne sont aujourd’hui pas parfaites de ce point de vue et mériteront d’être évoquées lors de la prochaine loi sur le renseignement – nous avions déjà déposé certains amendements sur le sujet.
Enfin, il y a la question de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne en octobre 2020, sur renvoi du Conseil d’État. Ce n’est pas nouveau, il y avait déjà eu l’arrêt Tele2 en 2016. Il est paradoxal de constater que la Cour de justice a rendu son arrêt sur le fondement de la compétence de l’Union européenne, alors que l’article 4.2 du traité sur l’Union européenne prévoit pourtant que les questions de sécurité nationale ne relèvent pas des compétences de l’Union. Il serait peut-être nécessaire que la sécurité nationale puisse, dans une certaine mesure, devenir une compétence partagée, sans quoi cela poserait problème. Il faut donc probablement réfléchir à une évolution du droit européen, car nous pouvons regarder comment les choses peuvent se faire à droit européen constant, même s’il n’est pas évident que cela soit possible.
Sur ce qui reste en discussion, vous l’avez compris, nous soutiendrons des dispositions qui assurent le fait que les mesures actuelles puissent perdurer, en particulier parce qu’elles répondent aux besoins de contrôle des individus sortant de prison, mais nous refuserons que cela se fasse sans un contrôle parlementaire renforcé. Tel est ce que nous demanderons à travers nos amendements.
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-Yves Leconte. De l’adoption de ces amendements dépendra le sens de notre vote. (M. Guy Benarroche, Mme Esther Benbassa et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme beaucoup de pays en Europe, la France fait face depuis de nombreuses années à une menace terroriste d’une particulière gravité. Nos forces de sécurité sont à pied d’œuvre pour empêcher la réalisation de cette menace, nous saluons leur engagement. Malheureusement, et malgré leur travail, le risque ne peut jamais être totalement éliminé. Dernièrement, la France a ainsi été frappée à Conflans-Sainte-Honorine et à Nice. Nous saluons la mémoire des victimes.
La vague de haine qui a traversé certains pays à l’occasion de la publication des caricatures laisse penser que cette menace terroriste ne va pas diminuer avec le temps, bien au contraire. Pour assurer la sécurité des Français, nous devons nous attaquer aux multiples racines de la mouvance terroriste. Le projet de loi confortant le respect des principes de la République sera l’occasion d’apporter une réponse aux aspects idéologiques de la menace.
Le texte que nous examinons aujourd’hui en nouvelle lecture participe ainsi à la lutte contre le terrorisme. Il consiste en effet à proroger plusieurs dispositions, intéressant notamment nos services de renseignement. Si elles sont jugées utiles par ceux qui en font usage, ces mesures suscitent néanmoins des inquiétudes s’agissant des risques qu’elles sont susceptibles de faire peser sur les libertés individuelles et publiques. Ces dispositions ont donc été assorties d’un caractère temporaire, afin que leur maintien dans le droit commun soit réexaminé. Le délai fixé à cette occasion expire à la fin du mois.
Nous regrettons que la commission mixte paritaire n’ait pas pu aboutir, dans la mesure où les positions défendues par chacune des deux assemblées du Parlement sont proches. Un consensus sur l’utilité des mesures en cause semble en effet se dessiner. La commission des lois a ainsi pu rappeler que, malgré l’échec de la commission mixte paritaire, le Sénat et l’Assemblée nationale n’ont pas de divergence sur le fond. La question qui demeure est celle de savoir s’il convient d’envisager une simple prorogation de ces dispositions ou bien s’il convient de les entériner sans attendre.
La crise sanitaire a bouleversé le calendrier parlementaire : le projet de loi sur les mesures de lutte contre le terrorisme n’a pas pu être présenté au Parlement l’été dernier. Si la crise sanitaire bouleverse le calendrier parlementaire, elle ne freine cependant pas la menace terroriste, comme l’a tristement rappelé l’actualité récente. C’est en ce sens qu’il nous apparaît important de soutenir la position défendue par notre rapporteur. Le groupe Les Indépendants considère en effet que l’urgence de la menace nous commande d’intégrer les ajustements proposés par le texte de la commission.
Nous attendons avec impatience de pouvoir examiner, dans les meilleurs délais, un texte plus complet sur les mesures de lutte contre le terrorisme. Ces sujets sont cruciaux pour la sécurité de nos concitoyens, mais aussi pour leurs libertés.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’objectif de ce texte est, dans la continuité de la loi SILT de 2017, de proroger dans le droit commun des mesures d’exception, actuellement appliquées à titre expérimental.
Ces dispositions, attentatoires aux libertés individuelles, ainsi qu’au respect de la vie privée, revêtaient pour l’heure un caractère temporaire. En 2017, le législateur avait ainsi estimé raisonnable de limiter leur application au 31 décembre 2020. L’échéance arrivant à son terme, l’exécutif s’est tout naturellement saisi de cette question. Deux choix s’offraient à lui : l’abrogation, si la représentation nationale estimait que ces dispositifs n’avaient pas fait leurs preuves ; leur pérennisation si, au contraire, l’efficacité de telles mesures pour la sûreté de nos concitoyens avait été démontrée.
À ces options légitimes, le Gouvernement a préféré une troisième voie, la prorogation de ces dispositifs, estimant que la crise sanitaire pourrait être de nature à biaiser les discussions parlementaires. Le Gouvernement ayant décidé d’engager la procédure accélérée, il a de fait privé le législateur d’un débat parlementaire sérieux et éclairé.
Ainsi est-il proposé à l’article 1er de proroger de sept mois les dispositions de la loi SILT conférant à la police administrative des pouvoirs selon nous trop importants, notamment ceux de déclarer la fermeture temporaire des lieux de culte, d’ordonner des mesures individuelles de contrôle et de surveillance, ainsi que de réaliser des visites domiciliaires.
Dans son article 2, le projet de loi prévoit une prorogation similaire de l’expérimentation des algorithmes votée en 2015 et prolongée en 2017. Ceux-ci permettent notamment de détecter les menaces terroristes via les réseaux internet et de téléphonie mobile.
En première comme en nouvelle lecture, le Sénat a souhaité non pas proroger, mais pérenniser les mesures prévues à l’article 1er. Cette décision n’a semble-t-il pas fait l’unanimité en commission mixte paritaire, puisque celle-ci n’a pas été conclusive. Pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, ni la pérennisation, par ailleurs rétablie en commission des lois par M. le rapporteur, ni la prorogation ne sont des solutions dans la mesure où nous nous opposons à l’intégration dans le droit commun de ces mesures de police administrative, qui ne sont pas anodines.
Comment accepter que la loi française bascule dans une dimension si sécuritaire, faisant la part belle au soupçon, à l’arbitraire, aux dérives, à la stigmatisation par l’administration, au détriment de tout contrôle du juge judiciaire ?
Comment accepter le recours aux algorithmes, alors que, entre 2017 et 2018, ceux-ci n’ont permis d’identifier que dix personnes à risque et alors qu’aucune d’elles ne présentait un danger sérieux pour la sécurité nationale ?
En l’attente de dispositifs algorithmiques plus sophistiqués, susceptibles de nous apporter des résultats plus probants, il est préférable que nous privilégiions la dotation massive de nos services de renseignement en moyens humains et financiers.
Alors que ces mesures n’ont fait l’objet ni d’un réel débat démocratique ni de bilans sérieux, elles ne sauraient être ni prorogées ni pérennisées. Pour ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera, comme en première lecture, contre ce texte. (Mme Éliane Assassi et M. Guy Benarroche applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sur proposition de notre rapporteur, nous sommes réunis aujourd’hui dans l’objectif de rétablir le projet de loi qui nous est soumis dans sa version adoptée par le Sénat en première lecture. En effet, la mission de contrôle et de suivi de mise en œuvre de la loi SILT créée ici au Sénat a révélé tant la pertinence que l’efficacité des dispositions issues de cette loi dès le mois de février dernier. Or les députés ont fait le choix de se limiter à une prorogation sèche de ces mesures. Les derniers attentats perpétrés sur notre sol montrent pourtant que l’urgence demeure vive en la matière. De nos lieux de culte à nos écoles, il n’existe plus de sanctuaire à l’abri de la menace islamiste.
Selon les dernières données du ministère de l’intérieur, 294 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ont été prises jusqu’au mois de juin dernier, dont 63 sont aujourd’hui en vigueur. Par ailleurs, 167 visites ont été réalisées depuis le 1er novembre 2017. Ces chiffres témoignent du niveau encore élevé de la menace. De plus, quelque 60 % des Français partis faire le djihad entre 1986 et 2011 en Afghanistan, en Bosnie ou en Irak ont récidivé à leur tour, selon une récente étude du Centre d’analyse du terrorisme.
Mes chers collègues, un islamiste engagé dans une action violente a toutes les chances de récidiver, nous le savons tous maintenant. Ce qui est certain aujourd’hui, c’est que le Gouvernement est en train de perdre une occasion d’aller plus loin et d’agir plus fortement dans la lutte contre le terrorisme islamiste alors même que nous n’avons pas de divergences de fond.
Concernant la prorogation des dispositions de l’article 1er à l’article 4 de la loi SILT, en lieu et place de la pérennisation que notre rapporteur propose depuis le départ, nous nous disons aujourd’hui encore que, face à un phénomène jusqu’alors inconnu, nous devons utiliser les armes qui ont démontré toute leur pertinence.
Par ailleurs, la reconduction de l’expérimentation de la technique de l’algorithme, dans la perspective d’une réforme plus globale de la loi relative au renseignement, nous semble bienvenue. Le report est justifié par plusieurs décisions récentes de la Cour de justice de l’Union européenne relatives au régime de conservation des données par les opérateurs. L’exécutif a fait savoir que les conséquences de ces décisions n’auraient pas encore été tirées dans le droit national.
Ce report ne doit pas retarder notre lutte en matière antiterroriste. Ne manquons pas l’occasion de donner à ceux qui nous protègent des moyens d’action efficaces. Nous le devons à nos services de renseignement, à nos forces de sécurité intérieure et à l’ensemble des Français.
Pour conclure, je tiens, au nom de tout notre groupe, à remercier notre rapporteur, Marc-Philippe Daubresse, pour l’excellente qualité de son travail.
Pour toutes les raisons évoquées, et en dépit du fait qu’il aurait mieux valu pérenniser dans la loi les mesures plutôt que de les prolonger temporairement, les sénateurs du groupe Les Républicains voteront ce projet de loi, tel qu’il a été amendé par la commission des lois en nouvelle lecture. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif à la prorogation des chapitres vi à x du titre ii du livre ii et de l’article l. 851-3 du code de la sécurité intérieure
Article 1er
I. – Le chapitre X du titre II du livre II du code de la sécurité intérieure est abrogé.
II. – Le II de l’article 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme est abrogé.
III. – À la première phrase du quatrième alinéa de l’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure, après le mot : « responsabilité », sont insérés les mots : « et le contrôle effectif ».
III bis. – Après le sixième alinéa de l’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La mise en œuvre de ces vérifications ne s’opère qu’en se fondant sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes. »
IV. – Au premier alinéa de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, après le mot : « culte », sont insérés les mots : « ainsi que des lieux gérés, exploités ou financés, directement ou indirectement, par une personne physique ou morale gestionnaire d’un lieu de culte qui accueillent habituellement des réunions publiques, ».
V. – L’article L. 228-6 du code de la sécurité intérieure est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les décisions du ministre de l’intérieur mentionnées au premier alinéa du présent article sont précédées d’une information du procureur de la République antiterroriste et du procureur de la République territorialement compétent, qui sont destinataires des éléments permettant de la motiver. Elles sont communiquées, ainsi que les décisions de renouvellement prises sur le fondement du cinquième alinéa, au procureur de la République antiterroriste et au procureur de la République territorialement compétent. »
VI. – Après le I de l’article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure, il est inséré un I bis ainsi rédigé :
« I bis. – Lorsque les personnes mentionnées au troisième alinéa de l’article L. 229-2 font obstacle à l’accès aux données présentes sur un support informatique ou sur un équipement terminal présent sur les lieux de la visite, à leur lecture ou à leur saisie, mention est faite au procès-verbal mentionné au même article L. 229-2.
« Il peut alors être procédé à la saisie de ces données, dans les conditions prévues au I du présent article. »
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Par la loi SILT de 2017, le législateur a introduit dans le droit commun des mesures administratives relevant à l’origine de l’état d’urgence. Quatre d’entre elles relevaient d’un régime temporaire : la définition des périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et les visites domiciliaires.
Ces mesures arrivant à échéance le 31 décembre 2020, un débat parlementaire aurait normalement dû se tenir afin d’évaluer leur pertinence et leur proportionnalité. Faisant fi des principes démocratiques et du devoir d’information du Parlement, le Gouvernement a décidé de proroger ces dispositions, sans véritable évaluation de fond en la matière. La droite sénatoriale est allée encore plus loin, puisqu’elle a décidé, en commission, en première comme en nouvelle lecture, de pérenniser ces mesures en les incorporant définitivement dans le droit commun.
Mes chers collègues, nous ne pouvons nous satisfaire d’une telle décision. Les dispositifs introduits par la loi SILT donnent à l’administration des pouvoirs exorbitants, qui bafouent les droits de la défense et contournent le contrôle du juge judiciaire.
La sécurité de nos concitoyens est primordiale, mais la lutte contre le terrorisme ne saurait être assurée par le biais de procédures administratives attentatoires aux libertés publiques et individuelles. Cet amendement tend donc à prévoir la suppression de l’article 1er de ce projet de loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Cet amendement est contraire à la position de la commission, puisque son adoption entraînerait la suppression dans notre ordonnancement juridique des dispositions de la loi SILT, lesquelles, vous le savez, s’autodétruiront à la fin de l’année si nous ne prenons pas de mesures.
Après deux ans de pratique, tous les acteurs que nous avons entendus, qu’ils soient judiciaires ou administratifs, s’accordent sur l’efficacité de ces mesures. Je rappelle par ailleurs à Mme Benbassa que le Conseil constitutionnel a confirmé leur conformité à la Constitution et considéré qu’elles ne portaient pas une atteinte disproportionnée aux droits et aux libertés.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Madame la sénatrice Esther Benbassa, vous proposez de supprimer des mesures qui sont, à notre sens, essentielles pour lutter contre le terrorisme.
Le législateur a veillé à ménager un réel équilibre entre la nécessaire préservation de la sécurité publique face à la menace terroriste et les libertés fondamentales, que vous avez rappelées. Le Parlement y a d’ailleurs scrupuleusement veillé. Le Conseil constitutionnel l’a confirmé et l’utilisation qu’en a fait le Gouvernement l’a démontré. Les autorités de police administrative font un usage de ces mesures qui est adapté et, nous semble-t-il, proportionné à la menace à laquelle nous sommes confrontés.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 2, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Au II de l’article 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, l’année : « 2020 » est remplacée par l’année : « 2021 ».
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Comme nous l’avons indiqué lors de la discussion générale, nous refusons à ce stade la pérennisation de ces mesures. Nous proposons que les dispositions actuelles restent en vigueur durant encore une année, avec un contrôle parlementaire renforcé, ce qui permettrait, le cas échéant, de débattre de nouveau de ces mesures.
Ces mesures ne sont pas bonnes : elles sont attentatoires aux libertés. Cependant, nous considérons que, compte tenu du contexte, elles peuvent avoir un sens, mais seulement si leur application est contrôlée par le Parlement.
Nous préférons une prorogation d’un an à une pérennisation. Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
À la fin du II de l’article 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, la date : « 31 décembre 2020 » est remplacée par la date : « 31 juillet 2021 ».
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Cet amendement vise à proroger jusqu’au 31 juillet 2021 les mesures de la loi SILT, et non pas à les pérenniser en l’état. Ce délai, certes court, résulte d’un compromis et doit nous permettre d’engager un réel débat de fond sur la pérennisation et l’intégration définitive dans le droit commun de dispositions indispensables compte tenu de l’intensité et de l’ampleur de la menace terroriste actuelle et sur le renforcement de certaines d’entre elles. Un report de sept mois nous paraît suffisant pour permettre un débat éclairé au cours du premier semestre de 2021.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements, qui ne diffèrent que par la date retenue.
Mme la ministre vient de le dire, le Gouvernement souhaite proroger ces dispositions jusqu’au 31 juillet 2021, conformément au vote de l’Assemblée nationale. Or, vous le savez, nous risquons de connaître un embouteillage législatif l’année prochaine ; nous aurons à examiner des textes en tous genres, certains requérant d’ailleurs la présence au banc du ministre de l’intérieur…
M. Leconte, quant à lui, veut proroger ces dispositions jusqu’au 31 décembre.
Comme je l’ai déjà dit dans mon propos liminaire, nous voulons pour notre part pérenniser ces mesures. Nous ne comprenons donc pas ces manœuvres dilatoires alors que tous les acteurs sont d’accord pour le faire.
Je redis à M. Leconte que nous n’avons pas travaillé dans la précipitation : nous avons évalué ces dispositions et rédigé deux rapports successifs. Je comprends qu’il souhaite un contrôle renforcé du Parlement, mais, par définition, une expérimentation suppose un contrôle renforcé. Ensuite, une fois inscrites dans le droit commun, ces dispositions appelleront un contrôle parlementaire normal. Une fois la loi votée, chaque rapporteur peut se saisir du sujet. Il peut et doit contrôler que la loi est bien mise en œuvre.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 2 ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote sur l’amendement n° 6.
M. Jean-Yves Leconte. Je suis tout de même un peu étonné de l’incohérence du Gouvernement. Alors que nous n’avons finalement fait que reprendre son projet initial, il émet un avis défavorable ! Comme en première lecture, on a franchement l’impression que c’est un comportement d’opportunité. Or nous traitons de sujets sérieux !
Il est tout de même assez particulier d’aborder les choses de cette manière. Comme notre rapporteur, je doute fort qu’on parvienne à faire les choses sérieusement au cours du premier semestre de l’année prochaine.
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
I. – L’article L. 22-10-1 du code de la sécurité intérieure est ainsi rédigé :
« Art. L. 22-10-1. – Le Gouvernement adresse chaque année au Parlement un rapport détaillé sur l’application des mesures prises ou mises en œuvre par les autorités administratives en application des chapitres VI à IX du présent titre. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. »
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Je fais une ultime tentative…
Le contrôle parlementaire relève de la majorité parlementaire et donc, ici, de la majorité sénatoriale. Or nous n’en faisons pas partie.
Nous considérons que ces mesures ne peuvent pas être pérennisées sans un minimum de contrôle parlementaire, car, nous l’avons dit, ce ne sont pas de bonnes mesures. Elles sont au mieux un mal nécessaire. Tout est dans l’exécution et, donc, dans le contrôle. C’est la raison pour laquelle il nous semble indispensable de prévoir dans la loi un contrôle parlementaire renforcé, différent de celui qui est aujourd’hui inscrit dans la loi SILT, laquelle prévoyait des dispositions provisoires. Nous proposons, au cas où ces dispositions seraient pérennisées, un contrôle permettant à ceux qui ne font pas partie de la majorité sénatoriale d’être assurés d’avoir tout de même un minimum d’informations.
Finalement, monsieur le rapporteur, il serait assez malicieux que cet amendement soit adopté et que le texte retourne à l’Assemblée nationale modifié par notre groupe, afin de conforter le contrôle parlementaire. Il ne serait pas inutile, je crois, que nous montrions que nous sommes tous réunis non seulement sur les questions de sécurité, mais aussi de défense des libertés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable, pour les raisons que j’ai précédemment évoquées.
En réponse à M. Leconte, j’indique que, si les mesures étaient pérennisées, le contrôle parlementaire aurait lieu sur l’initiative du rapporteur, sous le contrôle du président de la commission des lois, en lien étroit, évidemment, avec tous les groupes du Sénat, y compris les groupes d’opposition, comme cela s’est toujours fait.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Nous sommes défavorables à cet amendement, qui vise à supprimer les transmissions hebdomadaires dans le cadre du contrôle parlementaire. Comme nous l’avons déjà indiqué, il ne nous apparaît pas opportun de procéder à ces modifications ponctuelles avant un réexamen plus global de l’équilibre des dispositions adoptées en 2017.
Le Gouvernement souhaite, d’une part, que le Parlement ait le temps de débattre de manière approfondie du principe de la pérennisation des mesures introduites pour une durée limitée en 2017 et, d’autre part, qu’il puisse modifier ou compléter les dispositions en cause pour mieux les adapter à certaines situations ou combler certaines lacunes constatées à l’usage.
Ce débat aura donc lieu, nous nous y sommes engagés à plusieurs reprises, mais il ne saurait, à notre sens, se tenir dans une seule assemblée. Nous avons précédemment expliqué les raisons qui nous conduisent à proposer de proroger ces dispositions jusqu’au 31 juillet 2021.
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par M. Daubresse, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 8, seconde phrase
Supprimer les mots :
prises sur le fondement du cinquième alinéa
La parole est à M. le rapporteur.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
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Article 3
I. – Le II de l’article 1er et l’article 2 de la présente loi sont applicables en Polynésie Française, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
II. – Au premier alinéa des articles L. 285-1, L. 286-1, L. 287-1 et L. 288-1 du code de la sécurité intérieure, la référence : « l’ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019 » est remplacée par la référence : « loi n° … du … relative à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 4 est présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 5 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
Les dispositions de la présente loi sont applicables en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 4.
M. Jean-Yves Leconte. Amendement de coordination.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée, pour présenter l’amendement n° 5.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Défavorable, par coordination. (Sourires.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 et 5.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Telles qu’elles résultent de leur examen en séance, les mesures restant en discussion du texte ne prévoient pas un contrôle parlementaire renforcé. Dès lors, nous ne pouvons y être favorables.
Nous voterons donc contre ce texte tout en étant particulièrement sceptiques sur la possibilité de disposer au premier semestre du temps nécessaire pour débattre de manière sereine et approfondie de ces dispositions. Je le répète, l’essentiel, c’est la manière dont elles seront appliquées et dont l’administration en fera usage. Dans la mesure où elles sont attentatoires aux libertés, il est indispensable qu’elles puissent à tout instant faire l’objet d’un contrôle par le Parlement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Répartition des sièges de conseiller à l’assemblée de Guyane entre les sections électorales
Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la répartition des sièges de conseiller à l’assemblée de Guyane entre les sections électorales (proposition n° 178, texte de la commission n° 207, rapport n° 206).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez déjà le contenu de la présente proposition de loi, qui a été adoptée par l’Assemblée nationale. Il s’agit d’adapter la répartition des conseillers territoriaux de la collectivité territoriale de Guyane (CTG) entre les huit sections électorales. Il y avait, je le rappelle, trois enjeux autour de ce texte.
Le premier était d’avoir une véritable coconstruction entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Nous ne sommes pas en avance si nous voulons que la réforme puisse produire ses effets dans le calendrier imparti, celui des échéances électorales à venir. La coconstruction entre les deux rapporteurs des commissions des lois des deux chambres a permis qu’aucun amendement ne soit déposé lors de l’examen du texte en séance, ce qui garantit un vote conforme.
La concertation ne s’arrête pas là. L’ensemble des forces politiques et des élus de Guyane ont été consultés. Par exemple, Mme la sénatrice Phinera-Horth, ici présente, l’avait été quand elle exerçait les fonctions de maire de Cayenne. Nous nous sommes évidemment assurés que l’ensemble des forces politiques siégeant au sein de la CTG soient associées comme il se devait à la rédaction du texte. Il y a eu une initiative parlementaire à l’Assemblée nationale.
Le deuxième enjeu était un enjeu démocratique. Je le rappelle, la Guyane est le seul territoire de la République où les élections municipales n’ont pas pu se tenir suivant le calendrier en vigueur partout ailleurs. Dans le cadre des textes d’urgence soumis au Parlement par le Gouvernement, le législateur a permis un décalage. Les résultats du premier tour ont été annulés dans un certain nombre de communes de Guyane. Les opérations électorales ont repris à l’automne. La Guyane a dû s’adapter avec beaucoup de résilience à la circulation du virus. Et le collège électoral sénatorial n’avait été que partiellement renouvelé lors du scrutin à la Haute Assemblée du mois de septembre dernier, les élections municipales lui étant postérieures dans un certain nombre de communes…
Le troisième enjeu, et non des moindres – je pense même que c’est le point essentiel –, est évidemment l’enjeu démographique. Il faut examiner le texte au regard de la natalité en Guyane, où la démographie est positive. Les instruments de mesure, par exemple ceux qui sont retenus par l’Insee, soulèvent des interrogations ; je suppose que Mme Phinera-Horth reviendra sur le sujet tout à l’heure.
Derrière l’adaptation du droit électoral à la démographie guyanaise se pose aussi la question de l’accompagnement de ces dynamiques en termes d’infrastructures, de réseaux ou de carénage des services publics. Toutes ces problématiques s’imposent à nous. Nous avons commencé à y apporter des réponses voilà quelques jours dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021.
Je demande à la Haute Assemblée de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Mme Marie Mercier applaudit.)
Mme Catherine Belrhiti, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est, vous le savez, un texte d’ajustement. Il l’est tout d’abord par son objectif : adapter le mode de scrutin de l’assemblée de Guyane à la réalité démographique que connaît le pays. Il l’est ensuite par sa portée, limitée : le texte que nous examinons se contente pour l’essentiel de formaliser et de pérenniser les règles ayant présidé à la répartition actuelle des sièges entre sections.
Permettez-moi d’évoquer le contexte démographique, qui fait, entre autres éléments, la spécificité du territoire guyanais. Après Mayotte, la Guyane est le territoire français qui connaît la plus forte croissance démographique. Alors que sa population comptait 259 965 habitants en 2015, elle atteignait 290 691 habitants au 1er janvier 2020. Cette évolution du nombre des habitants sur le territoire se double d’une modification de leur répartition. En effet, l’augmentation démographique n’est pas uniforme ; elle est différenciée selon les territoires, donc selon les sections électorales. La dynamique démographique est ainsi concentrée sur l’ouest guyanais, sur Saint-Laurent-du-Maroni et, dans une moindre mesure, sur l’agglomération de Cayenne.
Il est du rôle du législateur de tirer les conséquences de cette double évolution démographique. Lorsqu’il a déterminé le mode de scrutin pour les sièges de conseiller à l’assemblée de Guyane, le législateur a en effet prévu une clause de réévaluation de leur nombre lorsque la population guyanaise atteignait deux paliers, fixés à 250 000 et 300 000 habitants. Alors que le premier de ces deux paliers a été franchi et que le second devrait l’être très prochainement, la proposition de loi entend prévoir une solution pérenne et souple pour la répartition des sièges de conseiller à l’assemblée de Guyane.
En l’état actuel du droit, la répartition des sièges entre sections est déterminée directement par la loi, qui prévoit une attribution minimale de trois sièges par section. Le mode de scrutin prévoit également une prime majoritaire de onze sièges à la liste arrivée en tête des suffrages, elle-même répartie entre les différentes sections par le législateur, qui a prévu l’octroi d’au moins un siège par section.
La présente proposition de loi n’a pas pour objet une nouvelle répartition temporaire des sièges, vouée à l’obsolescence après quelques années en raison des évolutions démographiques rapides que connaît la Guyane ; elle vise à instituer un mode pérenne de répartition des sièges. Il s’agit donc non pas de modifier le nombre de sièges par section, mais d’inscrire de manière pérenne dans la loi les règles de répartition des sièges entre les sections, en renvoyant la mise en œuvre de celles-ci à un arrêté du préfet de Guyane avant chaque scrutin.
Dans le détail, la répartition s’effectuerait proportionnellement à la population de chaque section selon la règle de la plus forte moyenne. Chaque section se verrait attribuer, comme aujourd’hui, au moins trois sièges, afin d’assurer la représentation équitable et pluraliste des territoires. La prime majoritaire actuelle serait maintenue et répartie proportionnellement à la population de chaque section, selon la règle de la plus forte moyenne, avec un minimum d’un siège par section, conformément à la pratique actuelle. Elle serait au surplus fixée à 20 % du total des sièges. Cela correspond, pour une assemblée de cinquante et un ou cinquante-cinq membres, au total actuel de onze sièges.
Mes chers collègues, vous en conviendrez avec moi à la lumière de cette rapide présentation, le choix réalisé dans la proposition de loi est celui de la continuité. Il s’agit moins d’une réforme profonde du mode de répartition des sièges que de la formalisation et de la pérennisation de la répartition actuelle, tout en renvoyant à un acte réglementaire la mise en œuvre effective de ces règles. La proposition de loi, qui s’inscrit dans la continuité du dispositif existant et introduit une souplesse procédurale bienvenue, ne semble poser aucune difficulté de fond.
Mes travaux ont donc consisté à m’assurer, d’une part, de l’accord politique sur le texte de l’ensemble des élus concernés et, d’autre part, de sa solidité juridique.
J’ai ainsi consulté autant que faire se peut dans le calendrier contraint qui m’était imposé les élus concernés par la présente proposition de loi. Après avoir entendu Rodolphe Alexandre, président de la collectivité territoriale de Guyane, Lénaïck Adam, député de Guyane et auteur de la proposition de loi, ainsi que mes collègues Georges Patient et Marie-Laure Phinera-Horth, j’ai acquis la certitude que le travail de concertation mené sur cette proposition de loi avait permis de faire émerger un consensus sur sa rédaction.
Cela n’exclut aucunement les débats dont peut faire l’objet le mode de scrutin retenu par le législateur. Je pense en particulier à la question de la prime majoritaire, qui a été évoquée en commission. Néanmoins, pour légitimes qu’ils soient, de tels débats excèdent par leur portée le champ de la présente proposition de loi. Je note surtout qu’aucun des élus de terrain auditionnés lors de mes travaux préparatoires n’a évoqué de difficulté de fond sur le dispositif de la proposition de loi, préférant au contraire – j’y reviendrai – mettre l’accent sur la nécessité de son adoption rapide pour garantir la bonne tenue des élections.
Mes travaux m’ont aussi permis de m’assurer de la solidité juridique du texte. Constatant que certaines harmonisations rédactionnelles devaient lui être apportées, j’ai ainsi proposé à mon homologue à l’Assemblée nationale, Lénaïck Adam, certains amendements, dont l’adoption par les députés a permis d’apporter des clarifications bienvenues dans la rédaction de la proposition de loi.
Je saisis ainsi l’occasion qui m’est offerte pour remercier chaleureusement Lénaïck Adam de sa disponibilité, de la richesse de nos échanges et de la qualité de nos travaux communs. Ceux-ci se sont néanmoins inscrits dans un contexte particulièrement contraint. Comme vous le savez certainement, conformément au rapport de Jean-Louis Debré relatif à l’organisation des élections départementales et régionales, les élections pour l’assemblée de Guyane pourraient être maintenues au mois de mars 2021 si des différences objectives dans la situation épidémiologique le justifiaient. Dans ces conditions, et alors que le dispositif de la proposition de loi prévoit que le préfet de Guyane arrête la répartition des sièges avant le 15 janvier, le Parlement se voit contraint d’adopter la proposition de loi avant le 31 décembre. Cela implique, comme vous le savez, l’adoption du texte par un vote conforme du Sénat.
Bien que je regrette ce calendrier contraint, j’en ai pris acte et j’ai engagé mes travaux en amont de l’examen du texte à l’Assemblée nationale. En collaboration étroite avec M. Adam, nous avons mené un travail de fond permettant d’identifier et de corriger dès son examen à l’Assemblée nationale les quelques difficultés rédactionnelles que posait le texte, créant les conditions d’une adoption sans modification de la proposition de loi.
Tel qu’issu des délibérations de l’Assemblée nationale, le texte me semble donc équilibré politiquement et solide juridiquement. Dans ces conditions, chers collègues, je vous propose de l’adopter sans modification. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au mois de mars prochain, les Guyanaises et les Guyanais devront se rendre aux urnes aux fins de renouveler leur assemblée. Mais, comme cela a déjà été indiqué dans les propos liminaires de notre rapporteure, dont je salue le travail, il nous faut réviser au préalable différentes dispositions en vigueur dans notre code électoral pour le bon déroulement de ce scrutin, et ce pour plusieurs raisons.
Primo, parce que les circonstances l’imposent. En effet, l’accroissement de la démographie locale rend inapplicable la conciliation des articles L. 558-2 et L. 558-3 du code électoral.
Si le nombre de conseillers augmente mécaniquement, il nous appartient de revoir leur répartition au sein des différentes sections électorales de la circonscription. Au demeurant, nous voulons nous féliciter du consensus qui a pu s’exprimer dans la préparation de ce texte, tant au Parlement qu’avec les autorités guyanaises et les élus locaux. Si les ajustements des conditions de scrutin sont parfois observés d’un regard suspicieux, par crainte qu’ils consistent en une manœuvre pour orienter le résultat final, ce texte est au contraire salué comme une avancée.
Deuxio, car la rédaction actuelle ne permet que dans une faible mesure de s’adapter au changement de circonstances de fait, comme, par exemple, le dynamisme démographique que connaît justement la population de Guyane.
En l’état actuel du droit, il est nécessaire de légiférer à chaque évolution. Or, comme l’a indiqué l’Insee en 2019, le nombre d’habitants sur le territoire guyanais a dépassé les 280 000, de sorte qu’en dix ans la population s’est accrue de près de 30 %. Ainsi, la grande vitalité démographique du territoire guyanais, si elle persiste, nous obligerait à légiférer de nouveau très rapidement. Aussi, il apparaît judicieux de repenser le système actuel, afin de limiter autant que faire se peut tout foisonnement législatif excessif.
Je salue ainsi le dispositif proposé, qui consiste en une répartition des sièges entre les sections proportionnellement à leur population. C’est un mode de calcul qui n’appelle pas de contestation. De ce point de vue, il apparaît plus sensé que cette répartition soit arrêtée par le représentant de l’État en Guyane, suivant un mode de calcul fixé par la loi, plutôt qu’elle soit directement inscrite dans la loi avec l’inconvénient majeur de devoir légiférer de nouveau, comme je l’indiquais précédemment.
Enfin, sans qu’il faille modifier en profondeur le mode de scrutin, il est important, pour permettre la constitution d’une majorité stable, que soit respectée la prime majoritaire existante dans le dispositif en vigueur.
La proposition dispose que la liste arrivée en tête se voit attribuer un nombre de sièges égal à 20 % du nombre total de sièges à pourvoir, quand les onze sièges du droit en vigueur représentaient environ 21 % du nombre total de sièges. Le nouveau dispositif sera donc insensible du point de vue des institutions, tout en permettant une simplification du droit et un allégement de la production législative à venir. Il y a donc lieu de s’en féliciter.
Au-delà des seules considérations de mécanique juridique, nous devons garder à l’esprit que les changements démographiques en Guyane vont avoir des conséquences puissantes dans les années à venir. S’il y a bien sûr la question du poids de l’immigration illégale, il faut dire un mot, à quelques jours de l’anniversaire de la loi du 9 décembre 1905 et de la présentation de la loi confortant les principes républicains, de certaines difficultés auxquelles la démocratie locale guyanaise est confrontée, avec une montée en puissance de dérives religieuses et communautaristes. Si la Guyane connaît un régime spécifique en matière de laïcité, cette singularité ne doit pas nous conduire à demeurer passifs, quelles que soient les dérogations qui ont pu être accordées au fil de l’histoire. À cette occasion, je voudrais saluer l’initiative du groupe CRCE, qui a déposé une proposition de loi en ce sens le 6 novembre dernier ; je me permets d’encourager nos collègues à l’inscrire prochainement à l’ordre du jour de nos travaux.
Le groupe du RDSE votera de manière unanime la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi fait consensus : c’est un sujet technique et pratique, circonscrit à l’assemblée de Guyane, mais permettant d’assurer le bon fonctionnement de cette institution démocratique.
Ce texte relève d’un impératif démocratique urgent, car ses dispositions ont vocation à s’appliquer aux prochaines élections, prévues pour le mois de mars 2021. Si le calendrier des municipales a été particulièrement bousculé en Guyane, ces élections pourraient y être maintenues, et le rapport de Jean-Louis Debré conseille de réaliser une évaluation spécifique pour cette collectivité.
Plus que d’adapter le nombre de conseillers au regard de l’évolution démographique en Guyane, ce texte propose d’inscrire dans la loi les règles de calcul pour définir leur nombre et les répartir, afin de ne pas avoir à passer par une nouvelle loi, alors que le second seuil de 299 999 habitants pourrait être rapidement dépassé, amenant le nombre de conseillers à soixante et un. Le représentant de l’État établira cette répartition avant chaque échéance électorale en suivant les règles fixées dans la loi, pour le nombre de conseillers de chacune des huit sections comme pour la prime majoritaire.
Si la vitalité démographique de la Guyane nous amène à faire évoluer la représentation de cette collectivité, nous regrettons qu’elle ne soit pas également à l’origine de l’augmentation des moyens fléchés vers la Guyane.
En dix ans, la population y a augmenté de 10 %, avec un taux de natalité de 26,4 ‰, soit plus du double des autres départements français. Cela a des conséquences sur le quotidien des Guyanais en termes d’infrastructures, de services publics et plus globalement de qualité de vie. Les défis auxquels la Guyane se trouve confrontée sont considérables ; monsieur le ministre, nous avons regretté l’insuffisance des crédits de la mission « Outre-mer » du budget pour 2021, quand ce n’est pas leur sous-consommation.
La situation sanitaire en Guyane est alarmante. L’épidémie a révélé les défaillances structurelles du système de santé, aggravées par la pauvreté et la précarité de la population. Alors que 45 % de la population guyanaise vit dans un désert médical, le manque d’anticipation a été de mise face à la non-prise en compte de ces réalités, et la population en paye le prix. Pourtant, en 2017, les mouvements de protestation guyanais alertaient sur l’état déplorable des hôpitaux, le manque de personnel ou encore la vétusté des réseaux d’approvisionnement d’eau.
L’étude réalisée cet été par des associations, le centre hospitalier et l’ARS de Guyane chiffre le niveau d’insécurité alimentaire qui existe dans certains quartiers : deux ménages sur cinq ont eu une alimentation insuffisante sur une semaine, plus de 80 % ont souffert de la faim dans le mois et la crise a dégradé le budget des ménages, qui, pour la moitié, disposent de 30 euros ou moins sur une semaine pour nourrir l’ensemble d’un ménage. Pour reprendre les mots de Solène Wiedner-Papin, directrice de la santé publique de l’ARS : « Les données sont effrayantes. »
L’évolution de la population joue également sur la jeunesse guyanaise, puisque les moins de 20 ans représentent 40 % de la population ; c’est le deuxième département le plus jeune de France, après Mayotte. Tout comme pour la santé, la collectivité figure au 123e rang mondial pour l’éducation, accusant un écart inacceptable avec la métropole. Les jeunes sont les premiers touchés par la pauvreté, renforcée par l’actuel ralentissement économique, dans une collectivité où une personne sur cinq est touchée par l’illettrisme et où les écoles sont saturées dès la maternelle. Chez les 25-29 ans, seuls 58 % des Guyanais sont en activité, contre 86 % en métropole. Le manque de diplômés et d’attractivité de la Guyane a aussi des effets sur la pénurie de personnels de santé.
La Guyane n’a pas attendu la crise pour souffrir de tels maux. Des investissements considérables sont attendus, notamment dans le secteur public.
Nous voterons cette proposition de loi, car c’est un texte de bon sens, mais nous souhaitions saisir cette occasion pour rappeler que les institutions démocratiques ont peu de consistance sans une égalité de droits et sans justice sociale pour les citoyennes et les citoyens.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, Mme Assassi vient de nous rappeler des éléments importants à propos de la Guyane. Nous mesurons tous les spécificités et les particularités de ce territoire.
Cela étant, l’exercice qui nous est proposé cet après-midi sur la base des trois enjeux énoncés par M. le ministre est nettement plus modeste. Mme la rapporteure a élargi mes connaissances légistiques en évoquant la notion de « texte d’ajustement ». Nous connaissions les dispositions de coordination et de précision rédactionnelle. Vous y ajoutez le « texte d’ajustement ». La formule est très claire. Elle démontre que la disposition dont nous sommes saisis n’a pas de vocation réformatrice et n’est pas exclusivement rédactionnelle. Comme vous l’avez souligné, il s’agit d’un ajustement relativement marginal permettant de tirer les conséquences électorales de l’accroissement démographique que connaît la Guyane.
Madame la rapporteure, vous nous proposez de suivre le Gouvernement, de sortir du système des seuils et de tirer les conséquences de l’augmentation, actuelle ou à venir, de la population de Guyane, en prévoyant les modalités de répartition de sièges, avec, dans un cas, l’intégration de plusieurs sections. Vous souhaitez que nous ne fixions pas dans la loi un nombre de sièges par section, mais que nous inscrivions de façon pérenne les règles de répartition entre les sections en renvoyant à un arrêté du préfet de Guyane la mise en œuvre de ces règles avant chaque scrutin. Cela nous paraît parfaitement adapté.
Je souhaite formuler deux observations pour terminer.
D’une part, les membres du groupe UC n’auront pas le mauvais goût de formuler une quelconque réserve : la date limite d’adoption au 31 décembre doit nous conduire collectivement à faire preuve de concision et à nous concentrer sur l’objectif à atteindre.
D’autre part, madame la rapporteure, lorsque vous êtes venue présenter le texte devant notre commission des lois, un certain nombre de nos collègues ont nuancé les propos relatifs à l’approbation par les différentes forces politiques du territoire. La prime majoritaire, qui est fixée à 20 %, soulève des interrogations ; d’aucuns la considèrent trop importante. Si je n’ai pas d’avis particulier sur la situation guyanaise et sur cette répartition par section, nous avons quelques points de comparaison. Je le rappelle, le taux de prime majoritaire est nettement plus important lors des élections municipales et, pour les élections régionales – c’est tout de même la référence la plus évidente –, il est de 25 %. Je n’ai donc pas l’impression qu’une prime majoritaire à 20 % – le principe d’une telle prime majoritaire paraît plutôt de bon sens – soit déraisonnable. Les remarques qui vous ont été adressées ne me semblent donc pas dirimantes.
Pour toutes les raisons que je viens d’exposer, le groupe UC approuvera la proposition de loi dont nous sommes saisis.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme chacun le sait, le 24 janvier 2010, à plus de 57 %, les Guyanais ont approuvé par référendum la fusion du département et de la région ainsi que la création d’une collectivité unique régie par l’article 73 de notre Constitution.
L’article L. 558-2 du code électoral fixe un nombre évolutif de conseillers au sein de cette assemblée de Guyane, disposant que ce nombre sera porté à cinquante-cinq si la population de la collectivité territoriale de Guyane dépasse 249 999 habitants. Ainsi, le nombre de conseillers, qui s’élève aujourd’hui à cinquante et un, doit-il passer à cinquante-cinq lors des prochaines élections territoriales.
En dix ans, comme cela a déjà été dit, la population de la Guyane a effectivement augmenté de 10 %. Le taux de natalité s’y élevait à 26,4 ‰ en 2018, contre 11,1 ‰ dans l’ensemble des départements. La Guyane est aussi le territoire français le plus jeune, avec Mayotte, une personne sur deux étant âgée de moins de 25 ans. C’est pourquoi, ma chère collègue et ancienne maire de Cayenne Marie-Laure Phinera-Horth, votre département est plein d’avenir, mais cela implique – on l’a également déjà rappelé – de nombreuses charges, appelant d’importants moyens.
Dans la mesure où le droit en vigueur prévoit une nouvelle répartition des sièges après le franchissement d’un autre seuil et vu le dynamisme démographique de la Guyane, une nouvelle modification législative serait nécessaire dans peu de temps. En instaurant des dispositions pérennes, cette proposition de loi permet donc, et c’est heureux, d’éviter de nouvelles procédures.
Devant ce texte, nous nous sommes posé deux questions.
La première portait sur le renvoi de l’application des règles d’attribution des sièges à un arrêté du préfet de Guyane, et non de M. le ministre de l’intérieur ou de M. le ministre des outre-mer.
Selon notre rapporteure, que je tiens à saluer, le renvoi au pouvoir réglementaire de la répartition effective des sièges ne présente pas de risque constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a effet considéré, comme l’indique le rapport, que « les règles relatives à la délimitation des circonscriptions électorales pour l’élection des assemblées locales constituent des composantes du régime électoral de celles-ci. En l’espèce, dans la loi relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires […], le législateur a fixé le nombre de conseillers départementaux et encadré la compétence du pouvoir réglementaire pour la mise en œuvre de ces règles. »
La rédaction retenue pour la proposition de loi prévoit donc la fixation de règles pérennes en matière de répartition des sièges entre les différentes sections électorales. Ce faisant, elle place le pouvoir réglementaire en situation de compétence liée et, par conséquent, il n’est pas utile de conférer au ministre de l’intérieur la charge d’adopter un tel acte.
Par ailleurs, comme signalé dans le rapport, d’autres dispositions du code électoral concernant la répartition des sièges entre sections électorales attribuent cette charge au représentant de l’État dans le territoire.
Par conséquent, sur cette question précise, les choses sont claires.
Elles le sont aussi – c’est la deuxième question que nous nous sommes posée – sur la prime majoritaire.
Un certain nombre d’acteurs guyanais nous avaient saisis sur ce sujet. On peut remarquer, par exemple, que lors des élections territoriales de 2015, la liste Guyane Rassemblement a obtenu 54,5 % des voix au second tour et trente-cinq sièges, tandis que le MDES, avec 45,5 % des voix, obtenait seize sièges. C’est donc une prime de onze sièges qui a été accordée à la liste arrivant en tête, ce qui suscite des interrogations, d’où l’amendement que nous avions déposé avec mes collègues du groupe socialiste ; amendement que nous avons retiré après avoir entendu les explications de Mme la rapporteure.
Après réflexion, je rejoins tout à fait la position défendue par Philippe Bonnecarrère. Effectivement, la prime majoritaire existe avant tout à l’échelon municipal et personne, à ma connaissance, ne remet en cause cette règle, qui permet de gouverner les communes sans interdire l’expression des minorités ou oppositions.
Par ailleurs, le taux de cette prime est de 25 % pour l’ensemble des élections régionales en métropole, et j’ai pu vérifier qu’il était de 25 % également pour la Guadeloupe et La Réunion et de 20 % en Martinique.
Il existe donc une cohérence d’ensemble, à laquelle il m’apparaît plus sage de ne pas toucher. Peut-être serons-nous appelés un jour à rediscuter de ce point, mais, après vérification et réflexion, il ne nous semble pas opportun d’engager ce débat aujourd’hui.
Les deux questions étant ainsi résolues, notre groupe votera bien évidemment cette proposition de loi. (M. Patrick Kanner applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons se caractérise par son aspect essentiellement technique, sa relative urgence et le consensus dont elle fait l’objet. En effet, il est important de souligner qu’un travail préalable a été effectué en commun avec l’Assemblée nationale sur ce texte.
Depuis le 1er janvier 2016, la Guyane est une collectivité territoriale unique, qui exerce les compétences attribuées à un département et à une région. Elle est dotée d’une assemblée unique chargée de régler, par ses délibérations, les affaires de la collectivité.
Les conseillers à l’assemblée de Guyane sont élus pour six ans, au scrutin proportionnel de liste à deux tours. Pour assurer une stabilité à cette assemblée, la liste ayant obtenu la majorité absolue au premier tour ou arrivée en tête au second tour se voit attribuer une prime majoritaire de onze sièges.
L’assemblée de Guyane est actuellement composée de cinquante et un conseillers, le nombre de sièges étant fixé selon la population de la collectivité territoriale. Le code électoral précise que ce nombre doit être porté à cinquante-cinq si la population dépasse le seuil de 249 999 habitants et à soixante et un au-delà de 299 999 habitants. Or les estimations font état de plus de 290 000 habitants au 1er janvier 2020 : un premier seuil a donc été franchi et le second pourrait l’être prochainement, compte tenu de la vitalité démographique de ce territoire.
Cette augmentation du nombre de conseillers, qui est automatique, n’est pas sans conséquence. En effet, la Guyane forme une circonscription unique, divisée en huit sections électorales. Le code électoral répartit les cinquante et un sièges de conseiller actuels par section. Cette répartition doit désormais être révisée pour tenir compte du passage à cinquante-cinq conseillers.
Plutôt que d’effectuer un tel ajustement technique, il a paru pertinent d’aller plus loin, en inscrivant dans la loi la règle de calcul permettant la répartition des sièges. Un arrêté du représentant de l’État en Guyane en fera l’application.
Cette règle est la suivante : les sièges sont répartis entre sections proportionnellement à leur population, en suivant la règle de la plus forte moyenne. En outre, chaque section dispose d’au moins trois sièges.
Par souci de cohérence, cette évolution a été étendue à la prime majoritaire, car, en l’état du droit, aucune évolution de cette prime majoritaire n’accompagne l’augmentation du nombre de sièges de conseiller.
Le remplacement du nombre onze, inscrit dans le code électoral, par une fraction constante, à savoir 20 % des sièges, apparaît comme une solution satisfaisante. Ainsi, le nombre de sièges octroyés au titre de la prime majoritaire passera automatiquement de onze à treize lorsque le nombre de conseillers atteindra soixante et un, à la suite du prochain franchissement de seuil de population.
La répartition de ces onze, puis treize sièges entre les sections suivra la règle de calcul établie. Chaque section aura au moins un siège.
Cette évolution présente un double intérêt. D’une part, nous n’aurons plus à intervenir à chaque franchissement de seuil démographique – l’adoption de deux lois successives pour un simple ajustement technique ne se justifie guère. D’autre part, le préfet pourra désormais actualiser la répartition par section à chaque renouvellement de l’assemblée, y compris lorsqu’aucun seuil de population n’aura été franchi, afin d’assurer une meilleure représentation de la population.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis du consensus qui s’est fait autour de cette proposition de loi, mais également de la prise en considération des réalités de la Guyane. Le groupe Les Indépendants votera à l’unanimité en faveur de ce texte.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Guyane est un territoire en évolution constante, et pas uniquement sur le plan démographique. Vous savez très bien que les Guyanais font face à un certain nombre d’enjeux écologiques forts, auxquels ils prêtent beaucoup d’attention, et qu’ils attendent avec une certaine anxiété les décisions à venir du Gouvernement, en particulier sur les questions minières.
Il me semblait important de faire cet aparté, d’autant que, pour le reste, les collègues m’ayant précédé ont livré des explications tout à fait claires. Tout le monde a bien compris le fonctionnement de l’assemblée territoriale de Guyane, ses compétences et son organisation en section.
J’avais moi aussi fait part en commission de deux interrogations, que je partage avec certains collectifs ou forces politiques de Guyane, portant sur la prime majoritaire et la répartition des sièges uniquement en fonction de critères démographiques. La Guyane est un territoire remarquable, mais qui fait face à des enjeux économiques et de développement territorial immenses. Certaines parties de ce territoire sont extrêmement vastes et très éloignées des centres économiques ; elles craignent en permanence d’être déclassées, parce que, forcément, les trois sections les plus développées et les plus peuplées de Guyane seront de très loin les mieux représentées au sein de l’assemblée. C’est pourquoi mon groupe, sans remettre en cause fondamentalement la prime majoritaire, avait jugé qu’elle était peut-être excessive. Comme je l’ai dit, par le jeu de cette prime majoritaire et de la répartition démographique, les trois sections guyanaises les plus peuplées ont, à elles seules, plus que la majorité absolue dans la nouvelle assemblée territoriale guyanaise.
L’inquiétude qui s’exprime là pourrait être quelque peu atténuée par le fait que chaque section soit représentée par, au moins, trois conseillers. Cela étant, madame Belrhiti, vous indiquez dans votre rapport avoir auditionné les services du bureau des élections du ministère de l’intérieur, lesquels ont indiqué – et, pour le coup, c’est plutôt inquiétant – qu’« il pourrait être envisageable, dans le cas où les évolutions démographiques en cours se confirmaient – conduisant à un accroissement supplémentaire de l’écart à la moyenne –, d’en prendre acte ultérieurement, en revenant sur le seuil minimal de trois sièges par section ».
Quand on connaît la Guyane, que l’on sait ce que sont les enjeux en matière d’écologie, de biodiversité, les enjeux économiques, sociaux, médicaux, le fait de revenir sur ce seuil minimal a vraiment de quoi inquiéter. Des zones déjà très écartées risquent de se trouver encore plus éloignées des centres de décision et des personnes susceptibles de prendre les décisions. C’est pourquoi nous questionnons aujourd’hui le principe d’une répartition purement démographique, qui, associée à la prime majoritaire, accentuera cette différence entre les territoires.
On le sait, cette proposition de loi doit être promulguée très rapidement, dans un agenda un peu contraint. Mais j’ajouterai un élément à cela, en guise de conclusion : dans le rapport remis par Jean-Louis Debré au Premier ministre – rapport, je le rappelle, qui s’interroge sur l’opportunité de tenir les élections régionales et départementales en mars 2021 –, il est précisé que, s’agissant de l’élection à l’assemblée de Guyane, une différence objective de situation épidémiologique pourrait justifier son maintien au mois de mars. Cela rend l’enjeu temporel encore plus crucial.
C’est pourquoi, en accord avec la commission des lois, qui a déploré le calendrier contraint dans lequel le Gouvernement a inscrit ce travail parlementaire, et en restant particulièrement vigilants sur le fait que ces nouvelles dispositions pourraient permettre le maintien d’un déséquilibre trop important au détriment des zones géographiquement éloignées de la côte, qui sont les moins développées, nous voterons ce texte. (Mme Esther Benbassa et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi tend à valider l’augmentation du nombre de conseillers de l’assemblée de Guyane et à décider de la répartition des sièges par section. Ce texte, déposé par Lénaïck Adam, député de Guyane, n’entraîne aucune modification du mode de scrutin des élections de la collectivité territoriale de Guyane, mais il permettra une meilleure représentation de la population au sein de cette collectivité. Il répond aux dispositions déjà prévues par le code électoral.
Je tiens tout d’abord à saluer l’excellent travail fourni par les rapporteurs des deux chambres. Je remercie particulièrement notre collègue rapporteure, Catherine Belrhiti, qui a bien voulu nous auditionner. Elle a su saisir deux points qui me semblent essentiels : d’une part, le consensus de toute la classe politique guyanaise sur les objectifs visés par cette proposition de loi ; d’autre part, la nécessité d’une adoption rapide, pour une promulgation de la loi avant le 31 décembre 2020, condition indispensable pour que les élections de la collectivité territoriale de Guyane aient bien lieu au cours de l’année 2021, à l’instar des élections régionales et départementales.
Ainsi, cette proposition de loi prévoit que la répartition du nombre de sièges par section, le nombre de sièges octroyés au titre de la prime majoritaire et la répartition par section de ces derniers devront être déterminés, en application des règles énoncées par la loi, par un arrêté préfectoral pris au plus tard le 15 janvier de l’année du renouvellement de l’assemblée de Guyane.
Mme la rapporteure et mes collègues ont su préciser les dispositions de cette proposition de loi, avec un excellent travail de coordination mené entre les deux assemblées. Je me permettrai donc, monsieur le ministre, de me faire le porte-voix de mes collègues guyanais sur un autre sujet, qui nécessite toute notre attention.
Le texte qui nous réunit ici aujourd’hui trouve sa source dans l’évolution démographique de la population guyanaise. Comme vous le savez, en Guyane, la démographie est galopante. La Guyane est, après Mayotte, le département français dans lequel le taux de natalité est le plus élevé et le taux de mortalité le plus faible. À ces éléments, s’ajoute une pression migratoire constante et de plus en plus prégnante.
La compilation de ces phénomènes nous pousse à interroger les chiffres du recensement effectué par les services de l’État.
Comment expliquer aux Guyanais, qui voient pousser des bidonvilles et des squats sur les terrains vagues et dans les maisons abandonnées, que nous n’avons toujours pas franchi la barre des 300 000 habitants sur ce territoire aussi vaste que le Portugal ?
Comment expliquer à mes compatriotes qu’avec nos 290 000 habitants nous produisons autant de déchets que 300 000 Nantais, alors que notre système de collecte est malheureusement défaillant, voire inexistant sur une large partie du territoire ?
L’ancienne maire de la ville de Cayenne que je suis est plus que convaincue que les chiffres de la population en Guyane sont largement sous-estimés, et j’insiste sur ce terme. Dans leur rapport intitulé Soutenir les communes des départements et régions d’outre-mer, pour un accompagnement en responsabilité, mon collègue sénateur Georges Patient et le député Jean-René Cazeneuve ont souligné, au titre de leur recommandation n° 5, la question générale des difficultés de recensement rencontrées dans certains territoires ultramarins, dont la Guyane fait partie.
En Guyane, l’organisation du recensement de la population s’appuie sur les mêmes textes réglementaires que pour le reste de la France. Les collectes sont exhaustives tous les cinq ans pour les communes de moins de 10 000 habitants et annuelles, sur la base de 8 % des logements, pour les communes de plus de 10 000 habitants. Mais l’Insee et les communes doivent s’adapter davantage pour effectuer des collectes plus précises et en cohérence avec les particularités guyanaises. Je pense à la collecte dans l’habitat informel, dans les zones d’habitat où les naissances sont très rapides, comme en bord de fleuve et dans les zones d’orpaillage illégal.
Malgré les efforts des uns et des autres, nous sommes encore loin du compte.
Cette sous-estimation de la population a d’autres conséquences.
Je rappelle ainsi que l’État se fonde sur ces chiffres pour calculer, notamment, la dotation globale de fonctionnement. Certes, la DGF est en progression en Guyane, mais elle demeure l’une des plus faibles de l’ensemble des collectivités ultramarines. Or elle est la première et principale source contributive au budget des communes de Guyane, compte tenu de la faiblesse des ressources fiscales. Les budgets des collectivités de Guyane peuvent donc se voir amputer de dotations, du fait d’une évidente sous-estimation de la population, qui sert de base au calcul de la DGF.
Par ailleurs, j’ai déjà eu l’occasion de rappeler dans cet hémicycle la situation des écoles de Guyane, qui ne peuvent pas scolariser l’ensemble des enfants se présentant à leurs portes, ce qui pose un véritable problème dans un territoire où nombre de jeunes se trouvent en déshérence. Nous ne pouvons pas non plus offrir suffisamment de logements à nos habitants, notamment aux plus pauvres d’entre eux.
Monsieur le ministre, je profite de ce texte sur la Guyane pour formuler un souhait : que l’État et ses services déconcentrés assurent un recensement plus efficace et précis de la population de Guyane. Nous savons pouvoir compter sur les engagements du Gouvernement.
Le groupe RDPI votera bien évidemment ce texte, essentiel à la vie démocratique en Guyane. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à la répartition des sièges de conseiller à l’assemblée de guyane entre les sections électorales
Article unique
(Non modifié)
Le chapitre II du titre Ier du livre VI bis du code électoral est ainsi modifié :
1° L’article L. 558-3 est ainsi modifié :
a) La dernière colonne du tableau du deuxième alinéa est supprimée ;
b) Le dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés ;
« Le nombre de sièges prévu à l’article L. 558-2 est réparti entre les sections en fonction de leur population respective, à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. En cas d’égalité de moyenne, le dernier siège est attribué à la section dont la population est la plus importante ; en cas de nouvelle égalité, il est attribué à la section dont la population a le plus augmenté en valeur absolue depuis le recensement précédent. Chaque section se voit attribuer au moins trois sièges ; si nécessaire, les derniers des sièges répartis selon la méthode décrite aux deux premières phrases du présent alinéa sont réattribués de sorte que chaque section dispose d’au moins trois sièges.
« Au plus tard le 15 janvier de l’année du renouvellement de l’assemblée de Guyane, un arrêté du représentant de l’État en Guyane répartit les sièges entre chaque section en fonction de leur population au 1er janvier de la même année, conformément aux dispositions du présent article. » ;
2° L’article L. 558-4 est ainsi modifié :
a) Le deuxième alinéa et le tableau du troisième alinéa sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés dans la circonscription un nombre de sièges égal à 20 % du nombre total de sièges à pourvoir, arrondi à l’entier supérieur. Ces sièges sont répartis entre chaque section en fonction de leur population respective, à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. En cas d’égalité de moyenne, le dernier siège est attribué à la section dont la population est la plus importante ; en cas de nouvelle égalité, il est attribué à la section dont la population a le plus augmenté depuis le recensement précédent. Chaque section se voit attribuer au moins un siège ; si nécessaire, les derniers des sièges répartis selon la méthode précédemment décrite sont réattribués de sorte qu’au moins un siège soit attribué dans chaque section. » ;
b) Après les mots : « nombre de », la fin de la première phrase du sixième alinéa est ainsi rédigée : « sièges égal à 20 % du nombre total de sièges à pourvoir, arrondi à l’entier supérieur. » ;
c) Après la même première phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Ces sièges sont répartis entre chaque section dans les conditions prévues au deuxième alinéa du présent article. » ;
d) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« L’arrêté du représentant de l’État en Guyane prévu à l’article L. 558-3 répartit les sièges attribués au titre de la prime majoritaire entre chaque section en fonction de sa population au 1er janvier de l’année du scrutin, dans les conditions prévues au deuxième alinéa du présent article. »
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Muriel Jourda, pour explication de vote.
Mme Muriel Jourda. Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. Nous approuvons les évolutions défendues et l’introduction d’une plus grande souplesse dans les règles de désignation et de répartition des sièges à l’assemblée de Guyane. Nous approuvons aussi la façon dont Mme Belrhiti, rapporteure du texte, à travailler. De manière peut-être un peu atypique, elle a procédé à la commission mixte paritaire avant la discussion, en se rapprochant de son homologue de l’Assemblée nationale. Elle a ainsi permis que ce texte, déposé quelque peu tardivement, puisse être adopté dans les délais, au bénéfice du territoire de la Guyane.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.)
M. le président. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 15 décembre 2020 :
À quatorze heures trente :
Nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal (texte n° 196, 2020-2021) ;
Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020.
De dix-huit heures quinze à vingt et une heures :
Trente questions orales.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures vingt-cinq.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER