Mme le président. Les amendements nos II-798 et II-792 ne sont pas soutenus.
L’amendement n° II-914, présenté par M. Jomier, Mme Lubin, MM. Lurel et Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mmes Jasmin, Le Houerou, Meunier, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 65
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conditions de mise en œuvre de l’intégration du dispositif d’aide médicale d’État au sein de l’assurance maladie et sur l’accès à une complémentaire santé pour les plus précaires.
Ce rapport établit notamment un état des lieux des dysfonctionnements dans l’accès des personnes aux dispositifs de l’aide médicale d’État, de la protection universelle maladie, et des complémentaires santé (aide à la complémentaire santé, complémentaire santé solidaire). Il établit également une évaluation de l’impact de cette intégration en termes de coûts évités et/ou induits pour le système de santé et des propositions opérationnelles pour sa mise en œuvre effective, ainsi que les mesures nécessaires pour garantir un accès effectif des personnes en situation de précarité sociale à une couverture maladie.
La parole est à M. Bernard Jomier.
M. Bernard Jomier. Depuis 2019, seules trois caisses d’assurance maladie, celles de Paris, de Bobigny et de Marseille, instruisent l’ensemble des demandes d’AME de tout l’Hexagone.
Cette rationalisation, conforme aux préconisations de l’inspection générale des finances dans son rapport de 2010, montre qu’une mutualisation avec les services de l’assurance maladie génère des économies d’échelle et va dans le sens d’une plus grande efficience du parcours de soins.
La rationalité économique, en l’occurrence, converge avec la rationalité de ceux qui pensent que le régime de l’AME est un dispositif de santé publique, et non un moyen de contrôler l’immigration.
Dans un rapport très documenté de 2017, l’inspection générale des finances (IGF), l’inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Académie de médecine estimaient que cette mesure permettrait d’améliorer l’efficacité du dispositif en termes de parcours de soin et de soins délivrés.
Il n’y a plus que ceux qui regardent l’AME avec les lunettes de la politique migratoire qui sont tentés de la supprimer ou de la réduire en morceaux.
Notre groupe souhaite que le Gouvernement ouvre cette piste de réflexion de l’intégration de l’aide médicale de l’État dans l’assurance maladie en produisant un rapport qui permettrait d’informer objectivement notre assemblée.
Ce ne serait pas une révolution, au demeurant. Jusqu’en 1993, le dispositif était intégré à l’assurance maladie ; il a donc passé plus de temps dedans que dehors.
La distinction entre financement par l’État et financement par l’assurance maladie n’est pas non plus un obstacle infranchissable. Ces dernières années, de nombreux dispositifs ont fait l’objet de transferts ou de cofinancements État-assurance maladie.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° II-914 ?
M. Christian Klinger, rapporteur spécial. La commission des finances est réservée sur les demandes de rapport.
L’objet même de la demande de rapport, les conditions d’une intégration de l’AME au sein de l’assurance maladie, est également sujet à caution, tant ce dispositif ne relève pas d’une logique contributive et n’a pas vocation à entrer dans le régime général de la sécurité sociale.
J’indique par ailleurs dans mon rapport que le programme relève plus d’une logique de gestion des flux migratoires que d’un pur objectif de santé publique.
Nous émettons donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les trois amendements en discussion commune ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Il est défavorable aux amendements identiques nos II-15 rectifié et II-53, par souci d’efficacité et pour laisser le temps aux dispositions adoptées l’an dernier de se déployer pleinement.
Réduire le panier de soins de l’AME ne constitue pas une mesure efficace de maîtrise de la dépense. Nous en avons débattu à de nombreuses reprises dans cette assemblée, notamment lors des PLFSS.
Les personnes concernées ne pourront plus être suivies pour leurs soins courants et n’iront qu’au dernier moment à l’hôpital, surchargeant nos services d’urgence. Et comme vous le savez, soigner des pathologies aggravées à l’hôpital coûte in fine toujours plus cher à la collectivité.
La voie que nous avions choisie l’an dernier était différente. S’il est impératif de préserver ces dispositifs, essentiels pour soigner ces personnes fragiles, il est également de notre devoir d’en limiter au maximum les abus et détournements possibles. C’est tout le sens des mesures qui ont été prises en 2019 et 2020 par le Gouvernement.
Leur mise en œuvre a certes été entravée par la crise sanitaire, mais le décret relatif aux neuf mois de carence pour bénéficier de certains soins programmés a bien été publié le 30 octobre dernier, contrairement à ce qui a été dit.
Ces deux amendements ne nous semblent donc pas apporter de réponse satisfaisante aux problèmes que vous soulevez.
Quant à la proposition de M. Jomier de demander un rapport sur l’intégration de l’AME à l’assurance maladie, nous restons de notre côté attachés à une séparation entre ce qui relève de la solidarité nationale, et donc de l’impôt, comme l’AME, et ce qui relève du risque assurantiel, qui est encore majoritairement payé par nos cotisations.
Assimiler l’AME au système de sécurité sociale ne ferait qu’alimenter certaines crispations ou tensions sur ce sujet sensible et affaiblirait peut-être l’adhésion au système de protection sociale.
Le rapport IGF-IGAS de 2019, que vous avez évoqué, étudiait déjà cette mesure et l’avait assez explicitement écartée. Il nous semble donc que le travail de rapport a été effectué et que c’est plus en informant sur les droits et en simplifiant les démarches pour les usagers et les professionnels de santé que nous lutterons contre le non-recours et le refus de soins. Nous avons mené plusieurs actions en ce sens, notamment en simplifiant les formulaires de demande ou en prévoyant un accompagnement plus attentionné d’un certain nombre de publics.
Pour ces raisons, nous sollicitons le retrait de l’amendement n° II-914. À défaut, l’avis sera défavorable.
Mme le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Que chacun se calme ! Par définition, il s’agit d’amendements d’appel. Personne n’imagine que les députés les adopteront, comme bien des choses d’ailleurs que nous votons ici, dans une espèce d’allégresse, en disant : « Voyez ce que nous faisons ! »… (Sourires.) Le Gouvernement a la main sur l’Assemblée nationale, et il fait bien ce qu’il veut.
Il y a cinq ans, l’AME, c’était 500 millions d’euros. En 2021, ce sera 1,1 milliard d’euros. On bricole depuis des années ! Nous sommes pour la préservation d’un panier de soins nécessaires, mais nous ne voulons pas laisser filer le dispositif.
Ce n’est pas moi, c’est la Cour des comptes qui dénonce le tourisme médical organisé par des réseaux de passeurs sur le compte de l’AME. C’est la vie réelle ! Il y a un certain nombre d’abus et de dérapages qui sont d’autant moins acceptables que l’argent public est rare et que nous sommes couverts de dettes.
De nombreux Français sont obligés de réduire leurs dépenses de santé et ne peuvent pas être soignés aussi bien qu’il le faudrait.
Le Gouvernement a pris des mesures, mais il faut tout remettre à plat. Ticket d’entrée, délai de carence – trois mois, six mois… – : depuis des années, on prend des mesures, on les annule, on en prend d’autres… Quelle que soit la couleur politique de l’exécutif, personne ne veut mettre sur la table le problème de l’AME dans sa globalité et en faire un dispositif cohérent, concret, mieux contrôlé et plus acceptable pour l’ensemble de la population française.
Personne ne dit qu’il ne faut pas soigner les migrants ! Mais essayons de rationaliser le dispositif, dans la limite des crédits disponibles. Accordons-nous au moins sur ce point ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.
Mme Catherine Deroche. Je soutiendrai bien évidemment les amendements identiques de la commission des affaires sociales et de la commission des finances.
En centrant le dispositif sur la prévention, les soins d’urgence et les maladies graves – ce à quoi tend également l’amendement n° II-52 de la commission des affaires sociales, que nous avons voté –, notre but est aussi d’aller au plus près des migrants, pour éviter tout retard de prise en charge.
Nous avons trouvé, me semble-t-il, un bon équilibre et je vous invite à nous suivre, mes chers collègues.
Mme le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. J’entends les arguments de Roger Karoutchi et de Catherine Deroche.
Si nous pouvions discuter de cette question des soins aux étrangers en situation irrégulière hors de toute posture politique, nous trouverions, je n’en doute pas, un terrain d’accord. Mais j’ai entendu le rapporteur spécial répéter trois fois qu’il s’agissait d’un outil de politique migratoire.
Quand on construit de travers les fondations d’une maison, elle ne peut pas pousser droit ! Monsieur le rapporteur spécial, l’aide médicale de l’État est un dispositif de santé publique – et vous pourrez répéter une quatrième fois, à votre micro, que c’est un outil de politique migratoire, rien n’y changera – et vous en faites une perversion politique. Si c’était un tel outil, vous auriez résolu la question il y a longtemps, quand vous étiez en responsabilité.
Vous le savez : les migrants qui tentent par milliers de traverser la Manche ne viennent pas chercher l’AME en France, ils s’en vont ! Votre analyse ne correspond pas à la réalité.
Ensuite, bien entendu, le cadre et le contenu des soins qu’on apporte aux étrangers en situation irrégulière dans notre pays méritent d’être débattus. Tel est précisément le sens de mon amendement : le dispositif ne serait-il pas mieux géré et cadré par l’assurance maladie ? On me répond qu’il n’en est pas question, comme si – et Roger Karoutchi l’a rappelé – il n’y avait pas des transferts financiers permanents entre l’État et l’assurance maladie.
Le débat est pollué par la posture politique qui voudrait que l’AME soit un aspirateur à migrants. Et certains parmi vous en déduisent qu’il faudrait y mettre fin.
Vous nous empêchez d’aller au fond de la problématique de santé publique et, in fine, vous obtenez ce que vous voulez : une absence d’accord sur cette question ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. - M. Didier Rambaud applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. L’amendement de la commission des affaires sociales et celui de la commission des finances ne sont pas nouveaux : la majorité sénatoriale le dépose à chaque PLF.
Ils visent à transformer l’AME en une aide médicale d’urgence concentrée sur certaines maladies graves, la médecine préventive et le suivi de grossesse, avec de surcroît le rétablissement d’un droit de timbre.
Mme Catherine Deroche. Non !
M. Antoine Lefèvre. Ce n’est pas ce que nous proposons !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Le gouvernement Fillon avait déjà subordonné l’attribution de l’aide médicale de l’État au versement d’un droit annuel de 30 euros et soumis la prise en charge des frais hospitaliers lourds à une autorisation préalable de la caisse primaire d’assurance maladie. Ces mesures avaient complexifié le dispositif de l’AME et découragé un grand nombre de bénéficiaires. Au final, le surcoût du non-recours ou du report des soins a été de 20 millions d’euros.
En cette année 2020, après deux confinements pour faire face à la pandémie de la covid-19, il serait peut-être temps de vous rendre compte de l’importance d’avoir une population en bonne santé physique et mentale.
La covid-19 ne distingue pas les malades selon leur nationalité ou la détention d’un titre de séjour. Pis, cette maladie s’attaque principalement aux plus précaires. Évitons de réduire l’accès aux soins dans notre pays en recourant à l’image mensongère de migrations qui varieraient selon le niveau de prise en charge des soins par l’assurance maladie.
L’immigration est le résultat du capitalisme économique, du capitalisme de guerre et du capitalisme du réchauffement climatique ! (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE.)
M. Roger Karoutchi. Allons bon !
Mme le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Je vais voter les amendements identiques et je ne vois pas en quoi je serais contre l’AME. Ce n’est pas une posture politicienne.
Les associations, aidées d’équipes mobiles, vont aller auprès des personnes en situation irrégulière pour faire de la prévention et convaincre celles qui n’oseraient pas aller à l’hôpital en cas d’urgence. Nous avons voté un amendement de la commission des affaires sociales en ce sens.
Toutes les maladies graves peuvent être prises en charge dans le dispositif proposé, de même que la grossesse et la prévention.
Je suis pour l’AME, mais je voterai ces amendements.
Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Sénateur depuis seulement deux mois, je suis assez étonné d’entendre mes collègues se plaindre de ne pas être pris au sérieux par le Gouvernement et, ensuite, M. Karoutchi nous dire que la majorité dépose des amendements d’appel ayant vocation à être rejetés par les députés…
Vous prétendez que l’AME coûte de plus en plus cher, mais, chaque fois qu’on retire des traitements du panier de soins, on les paye ensuite dans les soins d’urgence.
Comme l’a dit Bernard Jomier, vous êtes dans une posture idéologique. On ne peut pas faire de l’AME un outil de politique migratoire.
Mme le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Entre la prévention, notamment la vaccination, et les soins d’urgence, qu’entendez-vous exclure ?
Votre proposition vient contredire la notion de parcours ou de continuum de soins, qui doit s’appliquer aux étrangers comme aux Français.
Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos II-15 rectifié et II-53.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 39 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 215 |
Contre | 125 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 65, et l’amendement n° II-914 n’a plus d’objet.
Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Santé ».
Solidarités, insertion et égalité des chances
Mme le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et articles 68 et 69).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » demandés pour 2021 s’élèvent à environ 26 milliards d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement, soit une stabilisation à périmètre courant par rapport à la loi de finances initiale pour 2020.
À y regarder de plus près, la stabilité des crédits de prévision à prévision masque en réalité une nette décrue du budget de la mission en 2021, puisque l’exécution 2020 a été marquée par la réponse à la crise sanitaire, avec en particulier le financement d’aides exceptionnelles de solidarité représentant un total d’environ 2 milliards d’euros.
On aurait pu s’attendre à ce que le plan de relance vienne renforcer les dispositifs financés par la mission, mais force est de constater que ses apports sont bien maigres, et se limitent pour l’essentiel à la création d’un fonds de soutien aux associations de lutte contre la pauvreté, doté de 50 millions d’euros en 2021.
On assiste donc en réalité à une reconduction du budget 2020, comme si le chômage et la pauvreté générés par la crise allaient s’évaporer au 1er janvier. Éric Bocquet et moi-même sommes un peu dubitatifs…
Nous ne pourrons pas, avec nos deux interventions, couvrir l’ensemble des sujets traités par la mission, qui sont nombreux et variés.
Je commencerai par dire un mot du financement de l’aide alimentaire, qui doit constituer un axe prioritaire de la réponse à la crise.
Pendant le confinement, et même après, les files actives devant les centres de distribution alimentaire ont augmenté de façon extrêmement préoccupante ; dans certains cas, des hausses de plus de 40 % des personnes venues demander un soutien ont été enregistrées. Les associations constatent aussi l’apparition de publics nouveaux, qui n’étaient jusqu’ici pas connus des acteurs des politiques sociales.
Des ambitions très importantes ont été affichées en la matière, avec le financement d’un programme de 869 millions d’euros, soit 110 millions d’euros de crédit nationaux et 769 millions d’euros de crédits européens sur la période 2021-2027.
Des incertitudes subsistent toutefois quant au fonctionnement concret du nouveau fonds social européen plus (FSE+), qui remplacera le fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) à compter de 2021. Ni les administrations ni les associations ne disposent à ce jour de visibilité suffisante à ce sujet.
Comme nous l’avions montré lors d’un précédent rapport de contrôle, il est indispensable d’améliorer le système d’aide alimentaire européen, qui impose des exigences draconiennes pour la validation des montants présentés par les autorités nationales. Il conviendra de se montrer vigilant à ce que les centaines de millions d’euros annoncés puissent effectivement être mobilisées en faveur des publics qui en ont le plus grand besoin.
Je souhaite également attirer votre attention sur une tendance qui se manifeste dans ce budget, à savoir l’affirmation du partenariat entre l’État et les départements dans la conduite des politiques sociales.
En tant qu’ancien président de conseil départemental, le sujet me tient particulièrement à cœur. Les démarches de contractualisation avec l’État se développent de plus en plus, qu’il s’agisse de la mise en œuvre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté ou du lancement de la stratégie nationale de prévention et protection de l’enfance.
Dans un monde idéal, les départements, qui disposent d’une expertise incontestée en la matière et d’une fine connaissance de leur territoire, devraient être en mesure de conduire leurs politiques sociales de façon autonome.
Toutefois, au vu de leurs difficultés financières avérées, la contractualisation avec l’État, qui leur permet de bénéficier de moyens supplémentaires, constitue pour eux un moindre mal. Encore faut-il que le processus de contractualisation se fasse sur une base équitable et que les départements soient pleinement associés à la définition des objectifs et des indicateurs de résultats des actions, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.
Pour consolider le partenariat entre l’État et les départements, il faut aussi apaiser certaines tensions qui subsistent, au premier rang desquelles figure le financement de l’accueil et de la prise en charge des mineurs non accompagnés.
Face à la montée en puissance du phénomène, les départements se sont trouvés trop seuls. L’État a certes pris en charge une partie des coûts du premier accueil, de la mise à l’abri et de l’évaluation, mais sa contribution s’étiole d’année en année, et l’année 2021 ne déroge pas à cette règle.
En attendant, c’est avec un enthousiasme modéré que la commission des finances vous propose d’adopter les crédits de la mission. Je crains cependant que ce ne soit pas la dernière fois que nous aurons à nous prononcer sur ces crédits pour 2021. Ce budget « pour temps calmes » semble quelque peu en décalage avec la situation du pays, ce qui imposera vraisemblablement de financer de nouvelles mesures en direction des plus fragiles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je partage l’essentiel de ce qui a été dit à l’instant par mon collègue Arnaud Bazin. Le principal problème ne réside pas dans les actions financées par la mission, qui sont utiles, voire indispensables, mais plutôt dans ce qu’il y manque, à savoir des mesures de soutien massif aux publics les plus fragiles, qui subissent de plein fouet les conséquences sociales de la crise sanitaire.
Les actions du plan de relance, en particulier celles en direction des jeunes, ne ciblent que ceux qui parviendront à s’inscrire dans un parcours d’insertion. Avec un taux d’emploi des jeunes qui a déjà progressé de 3,1 points au deuxième trimestre 2020, il ne fait aucun doute que nombre d’entre eux seront laissés sur le bord du chemin.
Nous évoquons sans cesse le plan « 1 jeune, 1 solution », bien mal nommé, car au jeune précaire qui ne trouve pas d’emploi nous ne proposons pas de meilleure solution que 200 euros pour l’été, puis 150 euros pour l’automne.
Dans l’ensemble, comme l’a justement dit mon collègue Arnaud Bazin, c’est le budget de l’an passé qui est reconduit.
Pour l’essentiel, les crédits de la mission évoluent comme les deux principaux dispositifs que la mission finance : la prime d’activité et l’allocation aux adultes handicapés (AAH), qui représentent à elles seules 80 % des crédits de la mission.
L’AAH tend à se stabiliser en 2020, après deux années marquées par des revalorisations, qui doivent être saluées, même si elles se sont accompagnées – nous avions déjà eu l’occasion de l’expliquer – de discrets coups de rabot, avec la suppression du complément de ressources et la réforme des règles de prise en compte du revenu des couples.
Quant aux dépenses de la prime d’activité, celles-ci devraient même diminuer. Cette diminution, qui tient au contexte de forte montée du chômage et donc de diminution du nombre de personnes éligibles, atteste du caractère procyclique du dispositif. Celui-ci est manifeste en cas de perte d’emploi, puisque la prime n’est pas prise en compte pour le calcul de l’indemnisation du chômage, et a donc pour effet d’accentuer la chute du revenu des personnes perdant leur emploi. Nous nous souvenons de la promesse présidentielle : grâce à la prime d’activité, « le salaire d’un travailleur au SMIC augmentera de 100 euros par mois ». La crise est venue rappeler que, en ce qu’elle n’ouvre aucun droit social, la prime d’activité n’est pas un salaire.
J’aimerais également dire un mot de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes, à laquelle nous avons consacré cette année un rapport de contrôle.
Nous ne pouvons que saluer la hausse significative des crédits du programme 137, « Égalité entre les femmes et les hommes ». Ceux-ci progressent en effet de 11,4 millions d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 37,5 %.
D’importants efforts restent encore à mener, qu’il s’agisse du nécessaire renforcement des structures d’accueil et d’écoute des femmes victimes de violences, ou encore de l’accompagnement des victimes de prostitution.
La lisibilité budgétaire de cette politique reste également à améliorer, sujet sur lequel notre rapport de contrôle formule plusieurs propositions qui, nous l’espérons, seront suivies d’effet.
Je tiens également à souligner que la période de crise sanitaire, à fort risque du point de vue des violences conjugales, a donné lieu, de l’aveu même des associations concernées, à une réelle mobilisation des pouvoirs publics et des forces de l’ordre sur la question, ainsi qu’au déblocage de crédits supplémentaires pour financer des actions urgentes. Nous considérons que cette mobilisation doit devenir la norme.
Ainsi, malgré certains points positifs que j’ai pu souligner, ce budget ne cesse d’étonner par son déni de la crise sociale que nous traversons. Une véritable lame de fond nous menace dans les semaines et les mois à venir. Pour cette raison, et bien que pour l’essentiel nos constats convergent avec Arnaud Bazin, j’avais émis à titre personnel un avis de rejet des crédits, qui n’a pas été suivi par la commission des finances, même si ce fut sans un grand enthousiasme.
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Sol, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sanitaire que nous traversons est un révélateur de l’état de notre pays en matière de pauvreté, autant qu’elle exacerbe les inégalités dans toutes leurs dimensions.
Dans ce contexte, la commission des affaires sociales s’est inquiétée de l’absence dans ce budget de dispositifs nouveaux visant les personnes en situation de pauvreté, notamment les jeunes. Pour l’essentiel, la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté poursuit sa trajectoire comme si rien ne s’était passé.
S’agissant de la prime d’activité, nous pouvons considérer sa revalorisation exceptionnelle au 1er janvier 2019 comme une réforme réussie : elle a eu un effet positif sur la pauvreté et a fait reculer le non-recours. Toutefois, après cinq ans d’existence, l’impact réel de cette prestation sur l’emploi reste impossible à quantifier. Nous voyons bien, en revanche, que la hausse du chômage est corrélée négativement aux dépenses de l’État. Celles-ci connaîtront ainsi leur premier reflux en 2021.
Dans le champ du handicap, il faut saluer la nette montée en puissance du dispositif d’emploi accompagné. Néanmoins, je m’interroge sur l’inscription dans la mission « Plan de relance » de crédits qui devraient avoir vocation à être pérennisés. En outre, notre commission sera attentive à l’effectivité de la consommation de ces crédits.
Pour l’allocation aux adultes handicapés, l’année 2021 connaîtra un exercice neutre après une revalorisation exceptionnelle en deux temps, suivie, en 2020, d’une sous-revalorisation. Il faut reconnaître les efforts accomplis : l’AAH a été portée par le Gouvernement à un niveau inédit depuis trente ans par rapport au seuil de pauvreté. Il conviendra cependant de veiller à ce que de prochaines mesures d’économies n’amorcent pas un nouveau décrochage pour le pouvoir d’achat des allocataires.
Nous serons également attentifs aux travaux qui doivent être engagés pour élargir les possibilités de cumuler l’AAH avec des revenus d’activité.
Enfin, la commission a relevé avec satisfaction que l’AAH ne serait pas intégrée dans un futur revenu universel d’activité.
En revanche, concernant les mineurs non accompagnés (MNA), nous attendons un engagement plus fort de l’État. Il est regrettable que le Gouvernement profite d’une amélioration des procédures de lutte contre la fraude sur l’âge pour diminuer sa participation financière, au détour d’une modification réglementaire qui n’a pas été négociée avec les départements.
Les flux d’entrée de MNA ont apparemment diminué en 2020, notamment du fait du confinement. Il s’agit toutefois de dépenses durables, qui pèsent lourd sur la situation financière des départements. De surcroît, ceux-ci doivent, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, prendre en charge ces jeunes plus longtemps, au-delà de l’âge de 18 ans, tout en veillant à respecter l’objectif, fixé par la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, d’éviter les sorties sèches du dispositif de l’aide sociale à l’enfance. Il est donc incompréhensible que les crédits baissent de 42 millions d’euros. C’est pourquoi j’ai déposé, au nom de la commission des affaires sociales, un amendement tendant à rétablir à leur niveau de 2020 les crédits consacrés à la prise en charge des MNA.
Sous ces réserves, la commission des affaires sociales a donné un avis favorable aux crédits de la mission.