M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, sur l’article.
Mme Sophie Taillé-Polian. Notre collègue Christine Lavarde a eu raison de poser la problématique comme elle l’a fait : de son côté de l’hémicycle, il existe un accord assez profond en faveur de cette politique consistant à exonérer les entreprises de leur participation au financement des infrastructures, du contrat social, de la dépense publique. Pour notre part, nous pensons que les entreprises doivent apporter toute leur participation afin de créer et d’entretenir ces infrastructures qui leur permettent aussi d’exercer leur activité.
Parce que c’est bien là le rôle des impôts de production : les entreprises évoluent dans des territoires qui construisent et entretiennent des équipements au service non seulement des populations, mais aussi de l’activité économique. Et chacun doit prendre sa part, les ménages, certes, mais aussi les entreprises ! Mais il se trouve que la part des ménages tend à augmenter de plus en plus. C’est ce qu’on observe avec ce projet de budget : une montée en charge de la TVA, qui pèse sur les ménages, une diminution des contributions – fiscales et sociales – des entreprises.
Cela soulève une question fondamentale : qui doit contribuer et à quelle hauteur ? On ne peut pas y répondre par cette politique de l’offre, non ciblée et qui arrose très large. On le sait, la baisse de ces impôts de production concernera beaucoup moins les petites et moyennes entreprises que les grandes entreprises. À arroser aussi large – je le répète –, on rate l’objectif !
Devons-nous commettre une nouvelle fois la même erreur que celle qui a été commise avec le CICE, qui avait été attribué de façon non ciblée et sans condition ? Cette dépense d’argent public a, de fait, une efficacité extrêmement limitée, notamment au regard de l’emploi.
À l’époque, on nous parlait aussi de compétitivité, on nous demandait aussi d’observer ce qui se passait dans les autres pays. Mais, on le sait aujourd’hui, le CICE n’a pas créé d’emplois !
Notre pays est effectivement confronté à un problème de compétitivité, lié non pas au coût des impôts de production, mais à un manque d’innovations.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Sophie Taillé-Polian. Je conclus, monsieur le président.
L’État doit aider les entreprises à innover, sans oublier qu’elles doivent prendre leur part dans le financement des dépenses d’infrastructure de notre pays.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. L’intervention de Christine Lavarde, à la fois en raison de sa précision et de sa clarté, me conduit à rappeler quelques éléments. Reste que, dans ce type de débat, il faudrait essayer ici, au Sénat, d’être aussi peu caricatural que possible.
M. Philippe Dallier. Ça, oui, justement !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Des deux côtés !
M. Philippe Dallier. Il y en a qui ont des marges de progression !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Premier élément, indiscutable : la baisse des impôts de production n’est pas un sujet lié au plan de relance.
M. Jérôme Bascher. C’est vrai !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Ça fait trois ou quatre ans qu’on en entend parler, que le Medef en parle. Je ne dirai pas que c’est une vieille lune, mais presque….
Le vice-président du Medef n’a pas hésité à nous dire : « Mais ça sert pour faire revenir la production en France ! » Or il n’y a toujours pas l’ombre d’une explication financière. Pourtant, entreprise par entreprise, les montants en jeu ne se situent pas à des niveaux monstrueux.
Ce qui est certain, c’est ce que disent tous les économistes, c’est dans cinq ans, donc bien plus tard, que nous observerons les éventuels effets de cette baisse. De fait, certains veulent faire d’une mesure de long terme, ou peut-être de moyen terme, une mesure de court terme en l’inscrivant dans le plan de relance.
Second élément : on nous dit tout à coup qu’il faut baisser les impôts de production, l’impôt sur les sociétés, réduire les charges. Moi, je pose la question : où doit-on s’arrêter ? J’aimerais bien que le Gouvernement mette tout à plat, nous indique quel est l’objectif final et où il veut placer le curseur. Ça, on ne le sait pas. On décline les impôts les uns après les autres, sans indication claire. Ce n’est pas raisonnable.
Pour conclure, j’ajoute, indépendamment même du fond de la question, que, faire cela cette année alors que la dette et les charges explosent, ce n’est pas opportun.
Tels sont les quelques éléments que je souhaitais verser au débat.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.
M. Victorin Lurel. Notre collègue Christine Lavarde a posé très clairement le sujet, assumant ses positions et ses convictions. Eh bien, de ce côté-ci de l’hémicycle, nous allons également assumer les nôtres !
À la suite de ce qu’a excellemment dit le président Claude Raynal, quitte à faire quelques répétitions, je veux indiquer les quatre raisons, au moins, qui justifient notre demande de suppression de cet article.
Admettons que l’on approuve le principe de cette baisse de la fiscalité pesant sur les entreprises. Mais, alors, pourquoi faire ce choix des impôts dits « de production », qui profitent à l’économie locale ? Pourquoi l’État n’a-t-il pas fait le choix de supprimer la C3S, qui lui rapporte 4 milliards d’euros ? Cela aurait déjà été suffisant et un tel arbitrage aurait eu le mérite de l’équilibre. Or l’État choisit délibérément d’attenter à l’autonomie fiscale des collectivités, ce qui est tout à fait inapproprié.
J’en viens à l’absence de toute conditionnalité à cette baisse. Alors, comme vient de le dire Claude Raynal, je veux bien admettre que, dans la compétition à laquelle elles sont confrontées, il faut tout faire pour favoriser la productivité de nos entreprises, ainsi que notre attractivité, pour ne pas être en reste par rapport aux autres pays. Toujours est-il que le comparatif auquel s’est livrée Christine Lavarde demande absolument à être vérifié dans le détail : sommes-nous réellement surimposés par rapport à l’Allemagne ou à d’autres pays,…
Mme Christine Lavarde. Oui !
M. Philippe Dallier. C’est le cas !
M. Victorin Lurel. … l’impôt est-il chez nous beaucoup plus élevé qu’il ne l’est ailleurs, affectant de ce fait la productivité et l’attractivité de notre pays ?
En outre, cette mesure est ciblée sur les grandes entreprises, tandis que les petites entreprises réalisant moins de 500 000 euros de chiffre d’affaires n’en profiteront pas.
Enfin, comme cela a été dit excellemment, vous faites de cette baisse d’impôt une mesure de relance, alors qu’elle ne produirait ses effets qu’à moyen et long terme. Or c’est d’une relance conjoncturelle de notre économie que nous avons besoin, d’un redémarrage en très peu de temps de celle-ci. Par conséquent, cette mesure est tout à fait malvenue.
Forts de notre expérience, nous savons que la politique de l’offre, le ruissellement – le trickle down, comme disent les Américains –, ça ne marche pas.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, sur l’article.
M. Dominique de Legge. Puisque le président Raynal nous a invités à ne pas tomber dans la caricature, je vais essayer de lui donner satisfaction ; simplement, s’il y a bien une caricature qui perdure, c’est bien celle qui consiste à dire, en gros, que les entreprises peuvent toujours payer. L’État, quant à lui, a tendance à toujours dépenser plus, et ce en créant de la dette. Le seul problème avec une entreprise, c’est que, lorsqu’elle ne peut plus payer, elle dépose le bilan. À un moment, il faut en prendre conscience et le dire clairement.
Je rejoins nos collègues qui ont expliqué que ces considérations devaient être mises en regard des problématiques de compétitivité.
Je rejoins également Victorin Lurel et m’étonne avec lui que, chaque fois qu’il est envisagé une mesure en faveur du pouvoir d’achat ou d’allégement de charges, cela se fait toujours au détriment des collectivités territoriales. Ainsi, on nous a vendu la suppression de la taxe d’habitation comme une mesure d’amélioration du pouvoir d’achat des familles. Dont acte ! Mais on aurait pu trouver une autre solution consistant à solliciter les impôts d’État. Tel n’a pas été le cas. Là, on refait exactement la même erreur,…
M. Vincent Éblé. Ce n’est pas une erreur : c’est intentionnel !
M. Dominique de Legge. … consistant à mettre à contribution les collectivités territoriales sans toucher aux recettes de l’État. S’agissant du mécanisme de compensation, on sait ce qu’il en est…
J’estime qu’il existait d’autres moyens pour limiter les impôts de production, démarche que j’approuve par ailleurs.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, sur l’article.
M. Philippe Dallier. Le président Raynal nous a en effet appelés à ne pas être caricaturaux, mais je ne sais pas de quel côté de l’hémicycle on l’est le plus. Quand j’entends, dans le même propos, que sont mises sur un pied d’égalité les entreprises réalisant un chiffre d’affaires de 500 000 euros et celles du CAC 40, j’ai vraiment l’impression d’être sur la lune ! Vous comparez là des entités absolument incomparables ! Essayez parfois de relativiser : en région Île-de-France, on trouve de grosses boucheries ou de grosses boulangeries faisant 500 000 euros et plus de chiffre d’affaires ; et vous les comparez à des entreprises du CAC 40 ! Franchement, vous ne pouvez pas tenir de pareils propos !
Même si nous pouvons ne pas être d’accord – c’est clair –, citons quand même les chiffres : notre pays est celui où les prélèvements obligatoires sont parmi les plus élevés. Cela vaut pour les entreprises, toutes les entreprises, comme pour les particuliers, dont on ne peut pas considérer que leur niveau d’imposition soit faible. Nous atteignons des sommets en la matière !
Vous vous interrogiez sur l’objectif d’une telle baisse. C’est une bonne question. Déjà, celui-ci pourrait être que la France, à moyen terme, se situe dans la moyenne haute des pays de l’OCDE – et non pas au top, comme c’est le cas aujourd’hui. Vous considérez que ces baisses n’ont pas d’impact. Mais si, bien évidemment !
Effectivement, personne n’avait vu venir la crise sanitaire, mais elle ne doit pas pour autant nous empêcher de repousser encore de plusieurs années ce débat. À un moment, il faut prendre des décisions, et c’est ce que nous faisons.
Madame Taillé-Polian, laisser croire que les entreprises ne contribueraient pas, globalement, au financement des équipements publics, ceux des collectivités comme ceux de l’État, franchement, vous ne pouvez pas dire ça ! Ces propos sont caricaturaux.
Mme Sophie Taillé-Polian. Je n’ai pas dit ça !
M. Philippe Dallier. Dites plutôt qu’elles n’y contribuent pas assez à votre goût, mais ne dites pas qu’elles n’y contribuent pas du tout ! Ce n’est pas vrai.
C’est vrai, le souci, c’est celui de l’autonomie fiscale de nos collectivités. Sur ce point, nous serons tous d’accord. De fait, nous devons prendre quelques précautions, car, si je puis dire, monsieur le ministre, nous avons déjà payé pour voir à l’occasion de précédentes réformes. Nous demandons donc quelques garanties, et j’espère bien que nous les obtiendrons.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.
M. Pascal Savoldelli. Nous n’avions pas prévu d’intervenir, mais, en entendant tous nos collègues prendre la parole avant même la présentation des amendements, sans lien avec ceux-ci…
M. le président. On peut rêver et penser qu’ils seront défendus plus rapidement de ce fait ! Qui sait… (Sourires.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Ça m’étonnerait ! (Nouveaux sourires.)
M. Pascal Savoldelli. Je veux dire deux choses, sans volonté d’attiser notre débat.
Il ne faut pas confondre l’entreprise et le capital. Aujourd’hui, la dette privée des entreprises françaises représente 150 % du PIB et son encours a doublé. Le problème, c’est donc aussi la relation qu’ont nos entreprises avec le système bancaire et les marchés.
Outre les critiques qui doivent être faites aux politiques passées et aux politiques qui nous sont proposées aujourd’hui, nous devrions également, en commun, prendre en considération cette adversité à laquelle sont confrontées les entreprises.
Philippe Dallier a conclu son propos sur une note juste, et je suis d’accord avec lui. Mais je vais plus loin : au-delà de la question de leur autonomie, on est en train de priver les collectivités territoriales de leur levier fiscal. Vous avez raison, monsieur Dallier, cette autonomie sera mise à mal par les 10 milliards d’euros de réduction des impôts de production ; le problème n’est pas tant qu’elles disposeront de moins de moyens, mais qu’on leur retire un levier fiscal. Et moi, je le dis : ce faisant, on commence à modifier, sans l’annoncer et sans le faire officiellement, la Constitution, qui garantit la libre administration des collectivités et leur autonomie financière, règles unanimement approuvées dans cet hémicycle, à juste titre.
Pas de propos plus haut que l’autre, pas de polémique stérile, un débat avec des arguments : voilà ce que nous souhaitons. Je vous indique d’ores et déjà que notre groupe demandera un scrutin public sur cet important article 3.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Je veux dire quelques mots pour faire écho aux différentes interventions sur cet article, avant l’examen des amendements.
Je reviendrai sur trois points.
Premièrement, je veux rassurer Mme Artigalas au sujet du Fonds postal national de péréquation territoriale : nous avons bien en tête que la modification de la fiscalité des entreprises que nous proposons aura des conséquences sur son financement, à hauteur d’une soixantaine de millions d’euros sur les 175 millions d’euros dont il est doté à ce jour. Nous travaillons, comme cela a été dit à l’Assemblée nationale, pour trouver une solution qui permette de garantir le maintien de ces ressources et le maintien, au même montant, des fonds qu’il peut mobiliser à ce jour.
Cette solution n’est pas tout à fait aboutie à l’heure où je vous parle. Nous savons trop l’importance de ce fonds pour la rénovation des bureaux situés à la fois dans des zones rurales, mais aussi dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, en faveur desquels cet argent peut aussi être mobilisé.
Deuxièmement, comme je l’ai fait dans ma réponse aux orateurs qui sont intervenus dans la discussion générale, je veux revenir sur les raisons qui nous ont conduits à proposer la suppression ou la diminution de la CFE et de la TFPB (taxe foncière sur les propriétés bâties) acquittées par les entreprises occupant des locaux industriels, ainsi que de la CVAE.
En ciblant ce « cocktail » d’impôts, si je puis dire, à savoir la CVAE et la taxe foncière dans ses deux composantes, nous avons comme objectif d’aider les PME et les ETI. Comme l’indique l’étude d’impact, ce qu’ont confirmé l’ensemble des analyses menées en relation avec cet article, 75 % de la baisse d’impôt que nous proposons bénéficiera aux PME et aux ETI. C’est notre volonté politique que d’accompagner plus fortement ces catégories d’entreprises, considérant qu’elles participent directement à tout ce qui relève de la relocalisation, mais aussi, pleinement, à la création d’emploi sur les territoires. C’est dans cette catégorie d’entreprises que les créations d’emplois sont les plus nombreuses.
Troisièmement, je veux souligner que cette baisse d’impôt telle que nous la proposons répond aussi à un objectif quant à la nature des entreprises dont nous voulons accompagner l’activité : ces baisses d’impôts bénéficieront à hauteur de plus de 30 % à l’industrie manufacturière, de 15 % à la filière du transport, de l’entreposage et de la logistique, de 15 % au commerce, le reste se répartissant sur l’intégralité des filières.
Une autre possibilité nous était offerte, qu’ont évoquée certains d’entre vous : la suppression d’autres impôts, par exemple la C3S. Sur le plan technique, cette mesure aurait eu le mérite de ne pas nous amener à créer un mécanisme de compensation aux collectivités. La difficulté, c’est que la suppression de la C3S aurait été très favorable au secteur financier, et non pas au secteur manufacturier, aux ETI et aux PME. À travers ces baisses d’impôt que nous proposons, c’est vraiment cette cible politique que nous voulons atteindre.
Enfin, je veux dire un mot sur la question de l’autonomie et sur la question du pouvoir des taux.
Il faut relativiser ce qui a été dit sur l’autonomie, et ce pour deux raisons.
D’une part, on parle d’une baisse d’impôt de 10 milliards d’euros. En réalité, le levier fiscal ne jouera qu’à hauteur de 3,3 milliards d’euros, le reste étant composé de CVAE – impôt certes perçu par les collectivités, mais sur les paramètres duquel elles n’ont pas prise non plus que sur son taux.
M. Pascal Savoldelli. Eh oui !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Monsieur Savoldelli, je vous confirme que c’est la réforme de la taxe professionnelle qui nous a placés dans cette situation.
M. Pascal Savoldelli. Voilà !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. D’autre part, j’indique, là encore pour nuancer les propos qui ont été tenus au sujet de l’autonomie fiscale – j’y reviendrai plus tard –, que ces 3,3 milliards d’euros, qui relèvent à la fois de la CFE et la taxe foncière sur les locaux industriels – ce sont eux qui sont ciblés –, sont à comparer aux 45 milliards d’euros de recettes que perçoivent les collectivités concernées au titre de la fiscalité foncière.
Évidemment, je ne nie pas cette perte de pouvoir sur les taux – il serait vain de le faire. Mais je veux relativiser l’ampleur de cette perte d’autonomie, qui est souvent pointée du doigt.
M. Jérôme Bascher. Petit à petit l’oiseau fait son nid…
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Par ailleurs, sans que ce soit un argument de ma part, nous savons que les marges de manœuvre dont disposent les collectivités sur la partie CFE sont bien plus réduites, par définition, qu’elles ne le sont pour la CVAE.
Pour faire écho au dernier propos qu’a tenu M. Savoldelli, et je le dis pour mémoire devant ceux avec lesquels nous avons déjà eu des échanges au sujet des finances locales, nous ne modifions pas, ce faisant, la Constitution : si vous me permettez cette pirouette, je dirais même que nous la renforçons ou la confortons.
M. Jérôme Bascher. Il ne faut pas exagérer !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. La jurisprudence constitutionnelle reconnaît non pas l’autonomie fiscale, mais l’autonomie financière des collectivités. Je suis prêt à engager un débat sur cette question de l’autonomie fiscale des collectivités – mais peut-être pas dans le cadre de ce projet de loi de finances pour 2021 –, parce que, le jour où nous aurons à la fois le temps et le courage collectif de nous attaquer à leur mode de financement, cette question de leur autonomie fiscale se posera alors de manière assez binaire : un tel choix en faveur de cette autonomie fiscale permettrait aux collectivités de bénéficier d’une autonomie très avantageuse en période de croissance, mais elles se retrouveraient à devoir gérer seules les difficultés en période de récession, en l’absence de tous ces mécanismes de compensation et de garantie, qui, si vous les trouvez imparfaits, ont néanmoins le mérite d’exister.
La baisse des dotations de 2014 à 2017 s’est traduite – et cela montre bien que les indicateurs sont parfois absurdes – par une plus large autonomie financière des collectivités, au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En effet, baisser le montant d’une dotation qui n’est pas à la main des collectivités, et donc diminuer ses recettes, a pour conséquence de changer le dénominateur et, donc, en l’espèce, le taux d’autonomie financière des collectivités.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, sur l’article.
M. Jérôme Bascher. Monsieur le ministre, je ne peux pas vous laisser dire que vous êtes prêt à engager un débat sur l’autonomie fiscale et l’autonomie financière des collectivités. Gérald Darmanin, qui vous a précédé à ce poste, avait déclaré à plusieurs reprises que nous aurions à examiner un projet de loi sur ce sujet… Nous aussi, nous sommes prêts au débat !
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° I-202 est présenté par MM. Féraud, Kerrouche et Marie, Mme Préville, MM. Kanner et Raynal, Mme Briquet, MM. Cozic et Éblé, Mme Espagnac, MM. Jeansannetas, P. Joly, Lurel et Antiste, Mme Artigalas, M. J. Bigot, Mmes Blatrix Contat, Bonnefoy et Conconne, MM. Durain, Fichet et Gillé, Mme Harribey, M. Jacquin, Mmes G. Jourda, Le Houerou et Lubin, MM. Montaugé, Mérillou et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, MM. Sueur, Tissot, Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° I-652 est présenté par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° I-890 est présenté par Mme Taillé-Polian, MM. Parigi et Benarroche, Mme Benbassa, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme Poncet Monge et M. Salmon.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Rémi Féraud, pour présenter l’amendement n° I-202.
M. Rémi Féraud. Il est défendu.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° I-652.
M. Pascal Savoldelli. Ce débat, nous l’avons en ce moment !
Monsieur le ministre, vous avez évoqué la réforme de la taxe professionnelle, ce qui montre déjà que vous suivez le débat parlementaire, ce dont je vous remercie. Avant sa suppression, la fiscalité directe locale pesait à parts égales sur les entreprises et les ménages ; aujourd’hui, nous en sommes à 70 % pour les ménages et à 30 % pour les entreprises !
Il fallait réformer la taxe professionnelle et, à l’époque, j’étais favorable à ce qu’elle le soit. Ne serait-ce que parce que, en fonction du lieu d’implantation du siège social des entreprises, les collectivités ne voyaient pas leurs efforts récompensés de la même manière. Mais, là, cette répartition interroge. En tout cas, ce mouvement, selon moi, va se poursuivre. Il n’y a aucune raison que cela s’arrête, d’autant que notre collègue Christine Lavarde l’a annoncé, venant même à votre secours.
Selon la chaire d’économie urbaine de l’Essec – école qui n’est pas une instance antilibérale, communiste –,…
M. Albéric de Montgolfier. Quoique…
M. Pascal Savoldelli. … il n’y aurait en réalité, s’agissant de la fiscalité économique, qu’une différence comprise entre 0,8 et 1,6 point de PIB entre la France et l’Allemagne – j’ai pris un exemple dans le haut du panier des pays dont on a parlé, de manière à pouvoir vous parler les yeux dans les yeux –, loin des estimations gouvernementales. Les mêmes auteurs – ils ont bien bossé – font également remarquer que le niveau d’investissement public français excède de plus de 1 point de PIB celui de l’Allemagne.
Nos impôts ont donc toute leur utilité, ce qui n’est nullement contradictoire avec l’objectif d’attractivité.
L’Essec, avec l’OCDE, nous apprend également que la fiscalité locale n’est pas du tout la préoccupation principale des entreprises ; c’est plutôt le cadre de vie. Et là, les collectivités territoriales jouent un rôle essentiel.
Quelles que soient nos étiquettes politiques, nous avons tous la même expérience du rapport aux entreprises – et non du rapport au capital ! Que demandent-elles ? Dessertes en transports en commun, différents modes de garde des enfants, cadre de vie rassurant, sécurité autour de l’entreprise, etc., autant de domaines de compétence des collectivités territoriales.
M. le président. Il faut conclure, monsieur Savoldelli !
M. Pascal Savoldelli. Nous demandons donc la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour présenter l’amendement n° I-890.
Mme Sophie Taillé-Polian. Je voudrais rassurer M. Dallier.
M. Philippe Dallier. Ah !
Mme Sophie Taillé-Polian. Il croit que j’aurais dit que les entreprises ne participaient pas du tout au financement des infrastructures d’équipement de notre pays.
M. Philippe Dallier. C’est ce que vous avez laissé entendre !
Mme Sophie Taillé-Polian. Vous admettez donc avoir quelque peu extrapolé à partir de mes propos ! (M. Philippe Dallier s’esclaffe.)
Je n’ai pas dit que les entreprises n’y participaient pas du tout ; j’ai dit qu’elles y participaient de moins en moins. Jusqu’où irons-nous ? On peut se poser la question, alors que les besoins sont criants, tant ceux de nos collectivités territoriales que ceux des grands services publics, financés sur le budget de l’État.
De quoi parlons-nous ? De ces services publics grâce auxquels les entreprises, comme nos concitoyennes et concitoyens, se trouvent bien en France.
Parlons d’investissement. Alors que la France investit insuffisamment dans ses universités et dans la recherche – en dépit de la loi qui vient d’être votée –, qu’observons-nous ? Le départ de très nombreux cerveaux, de très nombreux chercheurs qui ne trouvent pas leur place chez nous. Ne croyez-vous pas que des financements seraient nécessaires ? Ne croyez-vous pas que les entreprises doivent prendre leur part, que l’effort doive être réparti avec justice et avec justesse ?
Ce que j’observe, c’est cette tendance lourde et ancienne à la réduction de la participation des entreprises à ce qui fait le contrat social, à ce qui fait nos services publics, à ce qui fait aussi la France. Je pense que cela ne va pas dans le bon sens. Qu’observe-t-on en miroir ? L’augmentation de la part de la TVA dans notre budget, taxe dont on sait pertinemment le caractère très injuste, comme cela a été rappelé lorsque nous avons débattu de l’impôt sur le revenu.
Que l’on revienne sur les impôts des entreprises, pourquoi pas, mais posons des conditions très strictes, par exemple pour favoriser des projets vertueux afin d’accompagner l’indispensable transition face au changement climatique. En l’espèce, aucune condition n’est posée.
Je pense notamment à un rapport qu’a publié le Conseil d’analyse économique, qui souligne que, parmi les secteurs qui seront le plus aidés, on compte les industries extractives et la finance. Eh bien, je ne crois pas que les unes et l’autre représentent des modèles vers lesquels nous devrions nous projeter à l’avenir ! Bien au contraire !
M. Jérôme Bascher. C’est quoi le modèle, alors ?
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Cela ne surprendra pas l’assemblée : je suis défavorable à ces amendements, qui visent à revenir sur une réduction d’impôt de plus de 5 milliards d’euros. Un certain nombre d’orateurs ont rappelé avec raison la charge énorme que la fiscalité représente en France, notamment pour les acteurs économiques.
À en croire les auteurs de ces amendements, la baisse de la CVAE ne profite aucunement aux TPE et ne bénéficie que très peu aux PME : ce n’est pas tout à fait le cas !
Je l’indique à mon tour, un gros tiers de la réduction d’impôt profitera à ces entreprises, notamment dans le secteur industriel. Face à cet enjeu, nous avions fait un choix différent l’été dernier en proposant la baisse de la C3S. À nos yeux, cette solution eût été plus judicieuse. Quoi qu’il en soit, les baisses de charges ont un effet favorable sur la dynamique économique. Sans aller jusqu’à la théorie du ruissellement, on voit bien que les allégements de fiscalité se répercutent tout au long de la chaîne, notamment dans les entreprises, avec la sous-traitance.
Chers collègues, je vous rejoins sur un point : ce n’est pas une mesure de relance. Cette réduction d’impôt était inscrite en toutes lettres dans le pacte productif 2025.
Enfin, je note que, pour les entreprises, les premiers bénéfices de cette baisse de la CVAE n’arriveront qu’en 2022. C’est peut-être un hasard : je n’en suis pas tout à fait sûr… Cette réforme structurelle n’en vise pas moins à améliorer la compétitivité-coût de nos entreprises. C’est une des baisses d’impôt que le Gouvernement avait la faculté d’utiliser. Certains orateurs l’ont dit : elle aura également des conséquences pour les collectivités – nous aurons l’occasion d’y revenir.