M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Je profiterai de cet avis pour répondre à M. Sueur.
Comme l’a indiqué le conseil scientifique, plusieurs éléments laissent à penser que les mois d’hiver seront difficiles du point de vue de la circulation du virus. Le nombre de cas positifs se situe déjà à un niveau extrêmement élevé et le taux d’occupation des lits de réanimation par les patients atteints de la covid-19 risque d’atteindre un point de saturation dans quelques jours pour certains territoires particulièrement touchés.
Les virus respiratoires circulent davantage en saison hivernale – ce n’est pas moi qui le dis : c’est le conseil scientifique –, ce qui est corroboré, d’ailleurs, par la recrudescence des cas dans toute l’Europe depuis le mois de septembre.
Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas le sujet !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. En outre, comme l’a rappelé le conseil scientifique, l’immunité collective de la population française contre ce virus reste très faible – vous avez pu le constater –, à un niveau bien trop bas pour prendre le risque de laisser celui-ci circuler librement. Cela nous conduit à considérer qu’une prolongation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’à la mi-décembre ou à la mi-janvier seulement serait insuffisante. À cet égard, je rappelle que le premier état d’urgence sanitaire avait duré, en comptant sa prolongation, plus de trois mois et demi, alors que nous étions au printemps.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Précisément, nous avions voté pour le proroger !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Bien entendu, si la situation sanitaire devait s’améliorer, le Gouvernement pourrait mettre fin à l’état d’urgence sanitaire avant le 16 février 2021, comme il l’avait fait en septembre pour la Guyane et pour Mayotte, par décret en conseil des ministres.
J’émets, par conséquent, un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 84, présenté par M. Bas, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 1er
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
I bis. – Pendant l’état d’urgence sanitaire prorogé par le I du présent article, l’application des mesures prévues au 2° du I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, lorsqu’elles ont pour conséquence d’interdire aux personnes de sortir de leur domicile pendant plus de douze heures sur vingt-quatre heures, ne peut être autorisée au-delà du 8 décembre 2020 que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 du même code.
II. – Après l’alinéa 6
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
1° bis Après le I du même article L. 3131-15, il est inséré un paragraphe ainsi rédigé :
« I bis. - Le Premier ministre ne peut interdire, en application du 2° du I du présent article, aux personnes de sortir de leur domicile plus de douze heures par vingt-quatre heures qu’en vertu d’une disposition expresse dans le décret déclarant l’état d’urgence sanitaire en application de l’article L. 3131-13 ou dans la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire en application de l’article L. 3131-14. » ;
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement vise à mettre en place le système dont je vous ai parlé à l’instant.
Il y a, d’une part, l’état d’urgence sanitaire : si le Gouvernement veut le reconduire après le 31 janvier 2021, il faut un vote du Parlement.
Et il y a, d’autre part, à l’intérieur de l’état d’urgence sanitaire, des pouvoirs spéciaux qui portent des atteintes particulières aux libertés. Ces pouvoirs viennent d’être mis en œuvre par l’exécutif ; ils permettent le confinement. En la matière, concernant, donc, le seul confinement, que disons-nous ? Que, par exception – l’exercice des autres pouvoirs, lui, peut être prolongé sans vote jusqu’au 31 janvier 2021 –, nous ne voulons pas que le confinement puisse être prolongé par décret au-delà du 8 décembre prochain sans vote du Parlement.
Il nous semble extrêmement important d’apporter cette garantie à nos concitoyens : le Parlement se prononcera de nouveau si jamais la situation sanitaire devait exiger, aux yeux du Gouvernement, de prolonger le confinement pendant les fêtes de Noël.
Il s’agit donc d’un amendement extrêmement important. Il contient également une disposition permanente : à l’avenir, quand on activera l’état d’urgence sanitaire, c’est-à-dire la loi du 23 mars 2020, ce système qui distingue les différents pouvoirs qui peuvent être accordés au Gouvernement s’appliquera. Certains pouvoirs spéciaux sont plus attentatoires aux libertés que d’autres ; quand on les actionne, le contrôle du Parlement est plus resserré. Cela permet, nous semble-t-il, de hiérarchiser les exigences en matière de protection des libertés.
M. le président. L’amendement n° 18 rectifié, présenté par M. Bonnecarrère et les membres du groupe Union Centriste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Pendant l’état d’urgence sanitaire prorogé par le I du présent article, le Premier ministre ne peut faire application des mesures prévues au 2° du I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, lorsqu’elles ont pour conséquence d’interdire aux personnes de sortir de leur domicile pendant plus de douze heures sur vingt-quatre heures, pour une période supérieure à trente jours. L’application de ces mesures au-delà de cette période, définie à partir du jour de la prise de décision, ne peut être autorisée que par la loi.
La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Nous partageons la logique du contrôle resserré qui vient de vous être décrite, en deux temps, avec, au sein de ce contrôle resserré, un focus sur la restriction spécifique des libertés que représente le reconfinement.
L’esprit de ces deux amendements est exactement le même ; la discussion porte seulement sur huit jours. Nous retirons donc l’amendement n° 18 rectifié au bénéfice de l’amendement n° 84.
M. le président. L’amendement n° 18 rectifié est retiré.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 84 ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Nous ne sommes évidemment pas favorables à cet amendement, monsieur le rapporteur. La durée des mesures de confinement ne peut être définie à l’avance, s’agissant d’un virus très évolutif. Le Gouvernement doit donc garder une capacité de réaction rapide et d’adaptation. Le contrôle parlementaire déjà prévu paraît suffisant, équilibré ; sa rigidification pourrait être préjudiciable à l’action.
Avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je pense vraiment que nous ne parlons pas de la même chose, madame la ministre, là encore. Vous revenez sur la dangerosité du virus. Mais personne ici ne remet en cause cette dangerosité. Nous sommes en train de parler, nous, de confinement des droits démocratiques. Dès lors que vous jugez qu’il n’est pas nécessaire de recueillir l’avis du Parlement, vous confisquez la démocratie ! De même quand vous restreignez le droit de manifester ou les droits syndicaux !
Voilà ce que nous sommes en train de vous dire, chacun avec nos sensibilités propres : voilà le fondement de nos interventions. Et vous nous répondez à un autre niveau. Ce n’est pas la réponse que notre groupe attend de la part du Gouvernement.
M. Philippe Bas, rapporteur. Le Gouvernement ne veut plus venir devant le Parlement ; c’est ennuyeux…
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Madame la ministre, pendant ce confinement, toutes les entreprises ont le droit de travailler, sauf le Parlement, ce qui est quand même assez étonnant.
M. Jérôme Bascher. Dites-le à Emmanuel Macron !
Mme Dominique Vérien. La vie démocratique nécessite que les lois s’appliquent et que le Gouvernement interroge le Parlement. Si tout le monde peut aller travailler malgré la circulation du virus, je pense que le Parlement peut également continuer à travailler de façon normale, comme peut le faire le Gouvernement, en nous consultant.
Mme Laurence Cohen et M. Loïc Hervé. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. J’irai dans le sens de mes collègues. Madame la ministre, je vous remercie de nous rappeler que nous ne contrôlons pas la pandémie et que l’évolution de la situation est aujourd’hui difficile à prévoir ; nous en sommes tous conscients et nous cherchons des solutions avec vous : nous cherchons à vous aider à trouver les meilleures solutions.
Malgré tout, l’état d’urgence sanitaire est une confiscation d’un certain nombre de nos libertés. Nous ne comprenons donc pas pourquoi vous refusez obstinément d’admettre que le Parlement puisse être à même de savoir, de juger et de décider avec vous de la prolongation ou non d’un certain nombre de mesures, et en particulier du confinement.
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
M. Loïc Hervé. Excellent !
M. le président. L’amendement n° 60, présenté par Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 4 et 5
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
a) Au début du 6° du I de l’article L. 3131-15, les mots : « Limiter ou interdire » sont remplacés par le mot : « Réglementer » ;
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. La liberté de manifester est, selon le Conseil constitutionnel, un « droit d’expression collective des idées et des opinions ». Celui-ci ne saurait être arrêté par le confinement ; même pendant l’état d’urgence, le principe de la liberté de manifestation doit donc demeurer.
Pour cette raison, le Conseil d’État a décidé, le 13 juin dernier, de suspendre les restrictions de manifestation sur la voie publique. Nous vous proposons, par cet amendement, de remplacer les mots : « limiter ou interdire » par le mot : « réglementer », cette dernière notion paraissant plus proportionnée. Bien entendu, la réglementation pourrait différer en fonction de la situation sanitaire. Mais nous posons le principe que l’exercice de la liberté de manifestation doit toujours rester possible, même en situation sanitaire particulièrement tendue.
Le vote de cet amendement me semble essentiel pour réaffirmer dans la loi nos principes, mais aussi pour envoyer un message et exprimer notre solidarité avec un autre pays. Ce pays, la Pologne, vit lui aussi un confinement en ce moment, mais, depuis une semaine, des millions de femmes et d’hommes y descendent dans la rue contre leur gouvernement, bien que celui-ci les attaque en prenant prétexte de la situation sanitaire dans le pays. S’ils sont dans la rue, c’est pour protester contre la manipulation du droit dont s’est rendu coupable le gouvernement polonais en remettant en cause la possibilité, pourtant faible dans ce pays, d’avorter.
Nous devons, nous, élus du pays des droits de l’homme, envoyer un signe de solidarité aux Polonais, en disant que chez nous, quoi qu’il arrive, le droit de manifestation peut être réglementé, mais certainement pas supprimé, en période d’état d’urgence. Il y va de la défense de nos principes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Mon cher collègue, ne voyez pas dans l’avis de la commission la marque d’un manque de solidarité à l’égard de la Pologne. D’ailleurs, même si les Polonais sont certainement très sensibles – je n’en doute pas – à l’adoption de cet amendement, il est possible que cette discussion échappe à beaucoup d’entre eux.
En ce qui me concerne, je voudrais vous dire que vous faites un usage excessif d’une décision du Conseil d’État qui était parfaitement circonstanciée. Le Conseil d’État a dit en effet, alors qu’il était saisi d’une interdiction de manifester, au mois de juin dernier, que la situation sanitaire qui prévalait alors ne devait pas empêcher les manifestations sur la voie publique telles qu’elles étaient prévues. Il n’a pas dit que jamais on ne pourrait interdire de manifestation sur la voie publique !
Imaginez qu’à partir d’aujourd’hui les Français soient tous confinés chez eux et qu’on permette en revanche qu’ils aillent manifester sur la voie publique ; où serait la cohérence dans la lutte contre le virus ? Nous ne saurions donc accepter votre amendement, quel que soit notre attachement, qui est commun à tous les groupes de notre assemblée, à la possibilité d’exprimer ses convictions par l’exercice du droit de manifestation.
Voilà pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, je vous rejoins sur le caractère nécessaire de la liberté de manifester. D’ailleurs, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, dès lors que le décret du 16 octobre 2020 préserve les manifestations, en excluant expressément les rassemblements de plus de six personnes interdits sur la voie publique, ce droit de manifester se trouve consacré. Il n’y a donc pas d’interdiction.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le rapporteur, nous ne proposons pas de maintenir le droit de manifester sans réglementation ; nous proposons simplement de substituer aux notions de limitation et d’interdiction la notion de réglementation proportionnée à la situation.
Mme Éliane Assassi. Oui !
M. Jean-Yves Leconte. Ne caricaturez donc pas notre position, monsieur le rapporteur : bien entendu, nous ne manifesterions pas aujourd’hui dans les mêmes conditions que nous l’avons fait contre la réforme des retraites.
Il n’empêche que cette liberté de manifestation ne doit jamais être totalement contrainte, même si nous comprenons que la situation actuelle exige des réglementations particulières, réglementations auxquelles nous ne nous opposons d’ailleurs pas : nous proposons de remplacer un dispositif binaire par un dispositif continu, via le principe d’une réglementation qui serait proportionnée à la situation. Cette solution permet de consacrer notre attachement à la liberté de manifestation, qui me semble essentielle quoi qu’il en coûte.
M. le président. L’amendement n° 83, présenté par M. Bas, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Un décret détermine les conditions dans lesquelles le représentant de l’État dans le département peut, pendant l’état d’urgence sanitaire prorogé en application du I du présent article, à titre dérogatoire et lorsque la mise en œuvre des mesures de nature à prévenir les risques de propagation du virus est garantie, autoriser l’ouverture de commerces de vente au détail.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Il ne faut pas exagérer la portée de cet amendement, qui a malgré tout une certaine importance. Il vise à permettre au Gouvernement de déterminer les conditions dans lesquelles les préfets pourraient, par exception, autoriser l’ouverture de commerces qui ne sont pas de première nécessité si les conditions sanitaires étaient réunies, afin de prendre en compte les situations locales, par exemple dans de petits bourgs ruraux où l’ouverture d’un commerce ne saurait attirer une clientèle si nombreuse qu’elle puisse mettre en péril la sécurité sanitaire.
Mme Éliane Assassi. Bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. L’adaptation des mesures de fermeture des commerces relève de la responsabilité du Premier ministre au niveau national. Si des assouplissements devenaient utiles, il appartiendrait à un décret de les prévoir, comme cela a pu par exemple être le cas pour la jauge des 5 000 personnes applicable aux grands événements.
M. Philippe Bas, rapporteur. C’est ce que nous proposons.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Il est difficile d’adopter la bonne mesure. Lorsque nous avons commencé à déconfiner, tout le monde voulait que les décisions soient prises à l’échelle locale, territoriale ; dès lors que le virus revient et que la pandémie s’enflamme, on demande au contraire un traitement national. Nous sommes donc toujours en train de jongler entre ces deux injonctions : le niveau national doit tout régler et tout régenter, d’un côté ; il faut faire droit aux particularités et à des décisions plus locales, de l’autre. Et il est un peu compliqué de trouver le bon équilibre…
Avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Je voudrais vraiment appuyer cet amendement : il répond à une réalité dont nous avons ressenti qu’il était urgent de la traiter dès l’annonce du confinement. Partout dans nos territoires, en effet, les petits commerçants se posent des questions.
Mme Catherine Di Folco. Oui !
M. Philippe Mouiller. Je pense notamment aux fleuristes, aux cordonniers, aux libraires de nos communes, qui sont aujourd’hui soumis à cette obligation de fermeture, alors que, dans le même temps, les grandes surfaces pourront continuer à vendre des fleurs ou des livres. Il y a donc bien une distorsion de concurrence.
Nous n’ignorons rien des enjeux de sécurité, mais nous savons que ces petits commerçants ont mis en place tous les outils et tous les moyens nécessaires au respect de la sécurité sanitaire. C’est un point essentiel !
Mme Pascale Gruny. Oui !
M. Philippe Mouiller. Madame la ministre, votre action en la matière sera observée de très près sur le territoire.
M. Loïc Hervé. C’est très vrai !
M. Philippe Mouiller. L’ensemble des professions et des syndicats professionnels auront le regard rivé sur la position du Gouvernement. Cet amendement, qui me paraît relativement simple, a pour objet un enjeu fondamental au niveau national, pour les territoires ruraux comme pour les territoires urbains ; des milliers d’emplois sont en jeu. Il ne faut donc pas le prendre à la légère. Vous avez, en l’espèce, une véritable responsabilité, à la mesure de l’engagement pris par le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous voterons cet amendement. Il y a quand même une vraie curiosité, madame la ministre, à expliquer que ces règles doivent être définies au niveau national. Ces règles vont s’appliquer pendant plusieurs semaines ; j’ai entendu le Président de la République, hier, dire qu’il réévaluerait la situation dans quinze jours – c’est trop aimable. Mais les préfets, dans les départements, sont quand même les mieux placés, me semble-t-il – ce sont d’ailleurs eux qui, sans doute, informeront le Président de la République –, pour dire si dans telle ou telle zone du territoire des assouplissements peuvent être décidés, comme cela a pu être le cas au printemps.
Soyons au plus près du terrain ; permettons à nos concitoyens de respirer et aux commerçants de survivre – pour eux, il ne s’agit même plus de respirer. Voilà pourquoi nous voterons cet amendement. (Mme Pascale Gruny et MM. Loïc Hervé et Philippe Mouiller applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Nous voterons nous aussi cet amendement. Je ne pense pas, madame la ministre, que la question soit celle du caractère national ou local des enjeux. Il s’agit de cohérence, celle que demandent nos concitoyens : ceux-ci ne demandent qu’à comprendre les mesures qu’on leur intime de respecter. Or je ne vois pas comment on peut comprendre, par exemple, que les grandes surfaces restent ouvertes, alors qu’elles rassemblent beaucoup de monde et qu’il n’est pas toujours possible d’y respecter les règles de distanciation physique.
Il en a été beaucoup question cet après-midi : la crise sanitaire est en train de muter en une crise économique et sociale. Or autant il me semble, sans préjuger de rien, que la famille Mulliez et le groupe Auchan, qui ont d’ailleurs été généreusement aidés,…
Mme Céline Brulin. … vont pouvoir bon an mal an s’en sortir, autant nos commerces de proximité, nos commerces locaux, les « petits », comme nous avons coutume de les appeler, auront sans doute beaucoup plus de difficultés. Un peu de justice sociale, un peu d’intervention, pour que les plus petits puissent continuer de survivre et de vivre, cela nous semble donc déterminant dans le moment que nous traversons.
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.
M. Arnaud de Belenet. Je veux simplement ajouter deux choses, dans le prolongement de ce qui a été dit.
Un mot sur l’« agilité », tout d’abord : il va nous en falloir sur ce sujet – nous le voyons bien. Nous allons devoir nous doter des outils – c’est ce que propose l’auteur de cet amendement – nous permettant d’être réactifs et d’agir en proximité.
Cet après-midi, pendant que se tenait un débat un peu crispé entre notre assemblée et le Premier ministre sur la question des commerces, qui est absolument essentielle, Le Monde nous informait de l’autorisation d’ouverture, annoncée par d’autres membres du Gouvernement, accordée aux garages et aux opticiens. On voit bien, donc, que les choses sont en mutation, en évolution constante, et qu’il va falloir s’adapter. C’est ce que permet le présent outil.
Second point : oui, il faut un décret. C’est précisément ce qui est proposé par l’auteur de cet amendement. (MM. Philippe Bas, rapporteur, et Philippe Mouiller applaudissent.) Le décret est le bon outil, au bon endroit ; il permet l’agilité des services de l’État, sous la direction du Gouvernement, sans engorger les services du Premier ministre.
J’en appelle donc, madame la ministre, à la mutation de votre avis en un avis de sagesse.
M. Jérôme Bascher. À tout le moins !
M. Philippe Bas, rapporteur. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour explication de vote.
M. Philippe Folliot. La question dont nous discutons est difficile ; les exigences qui s’y font jour peuvent apparaître contradictoires : d’un côté, une nécessaire lisibilité au niveau national ; de l’autre, des situations locales qui sont très différentes.
De ce point de vue, monsieur le rapporteur, votre amendement me semble un amendement de bon sens.
M. Philippe Bas, rapporteur. Mais oui !
M. Philippe Folliot. Nous comprenons vos propos, madame la ministre, et les éléments que vous mettez en avant. Mais il faut tenir compte des réalités locales, notamment dans nos territoires ruraux, où un certain nombre de commerçants exercent des activités multiples, dont certaines sont interdites et d’autres autorisées.
Qui, à l’échelle déconcentrée de l’État, donc au niveau des services du département et du préfet, est mieux à même de juger, en liaison avec les maires et les élus locaux, des mesures les plus sages et des décisions de bon sens – je m’apprêtais à employer un mot qui est bien de chez nous, dans le Sud-Ouest : le biaïs, autrement dit le bon sens paysan ? Faisons preuve d’un peu de biaïs dans nos décisions, afin d’opposer à cette crise sanitaire particulièrement forte, à laquelle en effet nous devons faire face, une réponse adaptée aux réalités locales. C’est important, et même essentiel. (M. Philippe Bas, rapporteur, applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Le confinement remet en cause certains éléments de notre tissu économique et social et fragilise, voire casse, des savoir-faire, du moins la capacité à les exploiter. L’adoption de cet amendement permettrait de les laisser vivre là où il serait possible de le faire sans conséquence sur le plan sanitaire. Il me semble que c’est essentiel.
La situation dans laquelle nous sommes est paradoxale : depuis six mois, on nous dit qu’il faut recouvrer notre souveraineté. Or que fait-on ? À chaque librairie qui ferme, ce sont des centaines de livres qui s’achètent sur Amazon.
M. Philippe Bas, rapporteur. Il a raison…
M. Jean-Yves Leconte. Au nom de la sécurité sanitaire, on va tuer l’ensemble de notre tissu économique et social pour « GAFAïser » l’ensemble de notre économie ! Et, pendant ce temps, on parle de souveraineté ?
Madame la ministre, là où cela n’aurait pas de conséquences sanitaires, allons dans le sens proposé par le rapporteur.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Philippe Bas, rapporteur. Merci !
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Philippe Mouiller l’a bien dit : votre erreur, c’est votre entêtement.
M. Philippe Bas, rapporteur. C’est vrai.
M. Jérôme Bascher. Ce sera l’erreur de ce reconfinement : celle qui consiste à ne pas écouter les territoires. Jean Castex devrait d’en souvenir, lui qui avait, avant de devenir Premier ministre, proposé des aménagements locaux. Mais tout ça est oublié désormais… Vous avez la mémoire bien courte ! Je sais pour quelle raison : parce qu’hier, la Pythie de l’Élysée n’a pas dit que les commerces pourraient rester ouverts ! Et tant que la Pythie n’a pas parlé, vous n’avez pas le droit de déroger ! Or c’est bien là où le bât blesse.
Il faut que le Gouvernement gouverne en écoutant le Parlement, qui fait la loi ; ce n’est pas au Président de la République de décider seul. La loi doit primer ; elle est faite au Parlement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour explication de vote.
Mme Pascale Gruny. Je suis tout à fait d’accord avec ce qui vient d’être dit, mais je vais ajouter autre chose, madame la ministre. Dans les petits commerces, les commerces locaux, les magasins, les barrières sanitaires sont respectées. Dans les grandes surfaces, au contraire, on a vu pendant le confinement, de ce point de vue, des situations absolument catastrophiques.
Que voulez-vous faire ? Laisser le coronavirus circuler ? Persévérer dans la concurrence déloyale ? Tuer nos commerçants, sans parler de la ruralité ? (Mme la ministre le conteste.)
Vous pouvez faire « non » de la tête, madame la ministre ; je vous invite chez moi. J’ai reçu toute la journée des appels téléphoniques : les gens ne comprennent pas. Pensez aux barrières sanitaires ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)