Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Julien Denormandie, ministre. Je veux d’abord saluer la qualité de l’intervention du sénateur Daniel Gremillet, tant sur le fond du propos que sur la vision qu’il a développée.
Pour ma part, monsieur Gontard, je n’userai pas du même euphémisme que Mme Sophie Primas : j’ai trouvé vos propos absolument scandaleux ! J’approuve la proposition du sénateur Fabien Gay. Ne tombez pas dans la caricature !
Or vos propos sont la caricature même de ce que vous représentez. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.) Vous vous êtes placé dans une écologie de l’incantation, celle du « y’a qu’à, faut qu’on ». Aujourd’hui, nous sommes dans l’impasse, il n’y a pas d’alternative, et vous assenez qu’il suffit d’en mettre une en place. Mais cette alternative n’existe pas, monsieur Gontard !
Allez-vous dire à tous les enfants de la République que, au nom de cette écologie de l’incantation, ils mangeront dans deux ans du sucre provenant d’autres pays européens, qui, eux, utilisent cette dérogation, ou d’autres pays à l’international, et que cela ne pose absolument aucun problème ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. Bernard Jomier. Démagogie !
M. Julien Denormandie, ministre. Par ailleurs, vous assenez des contrevérités pour pouvoir mieux appuyer un discours vide d’arguments.
Je me désespère, notamment, d’entendre dans la bouche d’un responsable politique aussi expérimenté que vous qu’il suffit de mettre en place un plan d’urgence financier. Vous le savez parfaitement, monsieur Gontard, les règles européennes ne permettent pas d’indemniser à 100 % nos agriculteurs. C’est la réalité !
Vous pratiquez l’écologie d’incantation, l’écologie des contrevérités, et surtout l’écologie de la diffamation !
Quand vous concluez en parlant d’un texte criminel, en m’accusant d’être à la solde de Bayer-Monsanto, vous défendez une écologie de la diffamation, et ça, jamais je ne l’accepterai ! Je suis un ministre de la République ; vous n’avez pas à tenir de tels propos, diffamatoires ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
L’immense différence entre les agriculteurs et vous, monsieur Gontard, c’est que les agriculteurs ont le courage de l’écologie – ils étaient écologistes avant même que vous ne le deveniez ! Ils ont le courage d’affronter le temps, de se confronter au réel, d’avoir les bottes dans la terre et de savoir comment, aujourd’hui, l’environnement évolue autour de nous.
Stop à cette écologie de l’incantation ! Revenez à l’écologie de l’action et du réel ! (Bravo ! et applaudissements nourris sur les mêmes travées.)
Mme le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.
Mme Angèle Préville. L’interdiction des néonicotinoïdes a été adoptée par nos rangs, voilà quatre ans à peine, et il nous est proposé à travers ce projet de loi d’y déroger, déjà, pour une filière.
Ce texte est un mauvais signal ! Il marque avant tout une régression du droit de l’environnement, à l’opposé du principe inscrit dans le code de l’environnement en 2016, selon lequel « la protection de l’environnement […] ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment. » Nous avions voté une belle avancée écologique responsable, soucieuse à la fois de l’avenir et de ceux qui viendront après nous !
Qu’avancent les connaissances scientifiques du moment ? La toxicité avérée des néonicotinoïdes, insecticides à large spectre, persistant dans l’environnement.
Qu’avancent les connaissances techniques du moment ? L’existence de solutions d’agroécologie, qui, visiblement, n’ont guère été sollicitées.
Ce signal politique est d’autant plus désastreux que l’effondrement de la biodiversité, qui nous préoccupe tant, est aggravé par l’utilisation de ces néonicotinoïdes. Nous faisons face non seulement à un enjeu écologique, mais également à un problème de santé publique, dépassant la question de la mortalité des abeilles.
À ce stade, quelques faits doivent être précisés.
Les néonicotinoïdes déposés sur les semences n’y restent pas ; ils se répandent dans tout l’écosystème, et c’est là le problème ! Les études scientifiques mettent en avant les effets délétères de ces substances sur les micro-organismes, les vertébrés et les invertébrés terrestres et aquatiques.
Nous savons également que les résidus obtenus après dégradation de ces insecticides peuvent être plus toxiques que les matières actives elles-mêmes.
Nous observons aussi que, pour la santé humaine, il existe un lien entre une exposition répétée, même à faible dose, à ces insecticides et le développement d’anomalies cérébrales, de maladies neurologiques, voire même de cancers.
C’est pour cela que ces produits ont été interdits ! Leur dangerosité a été prouvée, évaluée, mesurée, chiffrée. Regardons où nous a menés le chlordécone aux Antilles. Ne reproduisons pas les mêmes erreurs !
Nous ne céderons pas aux pressions, en reniant nos engagements et nos convictions. Nous refusons d’opposer économie et écologie. Nous choisissons la préservation des écosystèmes et la santé de tous.
En conséquence, mes chers collègues, la position du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne vous surprendra pas : nous voterons en faveur de cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Je veux également revenir sur certains propos quelque peu outranciers.
On a le droit d’avoir des positions et de les défendre. Encore faut-il avoir des arguments et j’ai eu du mal à trouver des arguments sérieux parmi ceux qui ont été développés, tant ils étaient imprégnés d’une vision totalement idéologique. J’y ai vu une lecture partielle et partiale !
En effet, comme le disait Fabien Gay, il ne s’agit pas de distribuer aux uns et aux autres des brevets de vertu ou des certificats de moralité. Il se peut que le problème soit complexe, qu’il appelle d’autres questions, qui ne trouveront pas forcément de réponses dans cette enceinte.
Monsieur Gontard, il n’a jamais été question, dans votre propos, de l’impasse technique dans laquelle nous nous trouvons.
M. Laurent Duplomb. Exactement !
M. François Bonhomme. Ce n’est pas votre préoccupation ! Vous préférez fondre sur des périls fantasmés, liés à Bayer-Monsanto, ce qui a pour conséquence, malheureusement, de masquer entièrement le débat. Cela, me semble-t-il, ne contribue pas à la qualité de nos discussions !
Vous avez été dans le déni permanent des dégâts. Comme l’indiquait la rapporteur, des dizaines et des centaines de milliers d’hectares ont été ravagés par la jaunisse cet été, et vous nous expliquez qu’il n’y a pas de débat à avoir, que c’est juste une mauvaise année ! Comme s’il ne s’était rien passé ! Comme si la réalité n’était pas sous vos yeux ! Votre posture est tout de même étonnante !
En outre, qu’allez-vous dire aux salariés dont l’emploi est directement concerné, à tous les planteurs, à toute la filière de production dont les sites menacés ? Je le rappelle, 45 000 emplois directs et indirects sont en jeu, avec, en sus, un risque majeur lié aux importations – et que l’on ne me parle pas de sucre bio du Brésil car, que je sache, les conditions sanitaires dans ce pays ne sont pas du tout équivalentes à celles que l’on trouve en France.
Il y a donc, à la fois, une question technique, une question économique, une question de filière. Or toutes ces questions ont été largement évacuées, par une posture idéologique qui nie complètement le débat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Effectivement, quand on se retrouve dans une impasse, mieux vaut faire demi-tour. Mais tout de même, monsieur le ministre, l’objectif en politique, une fois qu’un cap a été fixé par une majorité, c’est aussi d’éviter l’impasse !
C’est peut-être regrettable ou facile – chacun utilisera le qualificatif qu’il souhaite –, néanmoins, force est de constater que, lorsqu’on ne fait rien, à la date fatidique, on continue à autoriser l’usage incriminé parce qu’on ne peut pas faire autrement. C’est sûr, dans ce domaine comme dans n’importe quel autre en politique, sans action volontariste, rien ne change !
Quand on n’investit pas dans la recherche pour trouver des substituts, rien ne change ! Quand on n’accompagne pas les agriculteurs dans l’évolution de leurs pratiques, rien ne change ! Quand on n’incite pas les industriels à repenser leurs activités, y compris leurs chaînes de production et leurs tarifs, rien ne change ! Alors, on se retrouve un mardi soir au Sénat et on se dit : comme rien ne change, continuons !
Bien évidemment, personne ne remet en cause la toxicité des néonicotinoïdes. Mais inversement, mes chers collègues, personne ne remet en cause le fait que les pucerons ont été destructeurs cet été.
Quant à la souffrance des salariés de la filière, quand la sucrerie de Bourdon, située dans le Puy-de-Dôme, en Auvergne, a fermé en 2019, cette souffrance était réelle et elle s’est exprimée ; cette fermeture était la conséquence de la construction européenne libérale et de la dérégulation.
M. Fabien Gay. Eh oui !
Mme Cécile Cukierman. J’aimerais, mes chers collègues, que vous vous attaquiez avec la même combativité à ce qui cause la souffrance des salariés aujourd’hui, c’est-à-dire la loi du marché, le libéralisme à outrance tel qu’on le connaît. C’est ce dernier qui broie des femmes et des hommes dans notre pays ! Il est destructeur : il tue autant que les produits phytosanitaires !
Oui, il faut s’attaquer réellement aux problèmes. Pour l’heure, nous voterons en faveur de cette motion. Il y a là des enjeux sociaux et environnementaux, et nous défendrons les uns comme les autres ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je voudrais revenir brièvement sur le déroulement du processus législatif.
Je fais partie de ceux qui ont voté, en 2016, l’article instaurant la suppression totale et définitive de l’emploi des néonicotinoïdes et je fais aussi partie de ceux qui, forts d’indications suffisamment précises, pouvaient au moins supposer que cet article était inapplicable, qu’il nous serait impossible de mettre en œuvre la suppression sur la totalité des cultures et des exploitations.
Cela n’a pas du tout été évoqué dans votre propos, monsieur Gontard, mais nous parlons aujourd’hui d’environ 1,5 % de la surface agricole cultivée, ce qui signifie que, pour 98,5 % de cette surface agricole cultivée, l’objectif a été atteint. Il n’empêche, j’éprouve – et je préfère le dire – une gêne d’avoir voté en 2016 cette déclaration à prétention absolue, sans nuance, alors que nous avions des motifs de croire qu’elle ne pourrait déboucher sur une application complète.
Par conséquent, je préfère aujourd’hui voter cette rectification, comparable à toutes celles qui existent dans les législations de nos collègues européens, sans doute même plus réduite, et explicitement prévue par le règlement européen, plutôt que de refuser de voir une situation qui serait, à terme, intenable – c’est valable, d’ailleurs, pour bien d’autres domaines d’application du droit de l’environnement ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. Je n’ai pas pris la parole sur la première motion, mais, mes chers collègues, vous savez que par tradition, parce qu’il est partisan de débattre, le groupe du RDSE ne vote pas pour ce genre de motions. J’espère d’ailleurs que ce débat sera riche et permettra à chacun de développer ses arguments, et ce dans le plus grand respect de tous. Nous prendrons bien évidemment notre part dans ces discussions.
Mme le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Joël Labbé. Nous avons souhaité pouvoir échanger de manière sereine sur un sujet extrêmement délicat… Or d’entrée de jeu, monsieur le ministre, vous vous êtes emporté contre le président de mon groupe, lequel a dit la position du groupe écologiste, celle-ci n’ayant au demeurant absolument rien de surprenant.
N’oublions pas que derrière la question que nous abordons se trouve la situation d’urgence – urgence implacable – à laquelle nos sociétés sont confrontées, avec le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité. Entre néonicotinoïdes et effondrement de la biodiversité, le lien est direct !
On nous dit d’attendre 2023, que la science va trouver des solutions. Il n’existe pas de solutions alternatives simples ! Il faut, véritablement, une évolution du modèle !
Par exemple, on pourrait utilement travailler sur le développement d’une filière de production de sucre bio, afin de faire de la France un leader européen, voire mondial. On ne parvient pas à couvrir la demande en sucre bio sur le marché, alors même qu’il y a surproduction de sucre en France et dans le monde, et que les habitants de la planète consomment trop de ce produit. (M. Laurent Duplomb s’exclame.)
Mes chers collègues, il s’agit simplement de réfléchir en tenant compte du contexte global.
Telles sont les raisons de notre position, que nous défendons très calmement, mais avec énormément de convictions. Car, on le sait, on ne peut pas continuer comme ça ! En ce sens, ce texte représente un très mauvais signe adressé à notre population. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Mme le président. Je mets aux voix la motion n° 6, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les néonicotinoïdes sont dangereux pour les humains et, en premier, pour nos agriculteurs. Ils sont meurtriers pour les abeilles et pour l’ensemble de la biodiversité. Ils participent à la pollution et à l’appauvrissement des sols, donc à la détérioration de nos écosystèmes et du climat. C’est un fait que personne ne peut nier !
Nous avons donc fait, en 2016, un choix éclairé par la science, qui a démontré que les néonicotinoïdes sont 5 000 à 10 000 fois plus toxiques que leur ancêtre, le DDT, interdit en France depuis 1971. C’est pour cette raison que nous les avons interdits. Revenir sur cette interdiction, quatre ans plus tard, serait un échec et une régression d’un conquis environnemental.
Le problème, c’est que, depuis quatre ans, aucune solution viable, respectueuse de l’environnement et de la santé publique, n’a été apportée à nos agriculteurs. Votre réponse à cela, monsieur le ministre, est de proposer une dérogation temporaire pour la betterave.
Mais personne ne peut nous assurer que, dans trois ans, une solution aura été trouvée. Que ferons-nous donc dans trois ans, mes chers collègues ? Une nouvelle dérogation ? Ce n’est pas sérieux !
De plus, le risque constitutionnel est réel, comme l’a précédemment démontré Éliane Assassi. De nombreuses filières pourraient demander, elles aussi, sur le fondement du principe d’égalité, à pouvoir réutiliser ces produits.
La question qui se pose fondamentalement à travers le présent débat est celle de la transition écologique que nous voulons.
J’ai une conviction profonde : cette transition ne peut se construire sans, ni contre les agriculteurs ; elle doit se construire avec eux.
Car, depuis 1991, avec la commercialisation par le géant Bayer de ce dangereux insecticide, les agriculteurs n’ont pas eu d’autre choix que de l’utiliser. Pis, on les y a même encouragés, en leur disant que seul un modèle productiviste pourrait leur garantir un revenu décent.
Cette transition écologique implique un véritable changement de paradigme, en garantissant un revenu décent et une alimentation de qualité pour toutes et tous, tout en relevant le défi de nourrir l’humanité entière.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Fabien Gay. Pour répondre à ces enjeux, nous devons déterminer qui la dirigera. Les grands industriels privés, dont l’intérêt premier restera toujours le profit, ou l’État garant de l’intérêt général, en donnant les moyens à la recherche ?
Le problème réside dans le fait que les néonicotinoïdes n’ont pas été interdits dans tous les pays et, cette brèche, les industriels l’ont découverte et l’exploitent. Force est de constater, en effet, que lorsqu’il s’agit de contourner les règles environnementales, certains sont capables de développer des trésors d’ingéniosité, mais lorsqu’il faut trouver des solutions plus respectueuses de l’environnement, au vu de l’urgence climatique à laquelle nous sommes confrontés, et réfléchir à un nouveau modèle dans lequel les profits ne sont pas et ne peuvent pas être l’objectif premier, les défis leur semblent aussitôt insurmontables et les progrès sont toujours lents.
Nous sommes donc face à un échec de la transition agricole et écologique depuis 2016. Mais, mes chers collègues, ne nous infligeons pas la double peine en revenant en arrière !
Que faire alors, me direz-vous ? Les pucerons existent – personne ne le nie – et votre principal argument, monsieur le ministre, tient dans le fait que, sans vote de la dérogation, nous condamnons la filière et ses 46 000 emplois. Bien sûr que non !
Nous sommes favorables à une indemnisation des pertes dans les zones affectées et, pour prévenir un autre risque, nous voulons la création d’un fonds mutuel et solidaire de gestion des risques sanitaires et climatiques, ainsi que l’introduction d’un prix plancher d’achat pour les producteurs.
Les organisations non gouvernementales, les ONG, et certains syndicats agricoles proposent d’autres solutions : par exemple, ne pas réaliser les semis dans une terre trop froide, ou encore s’appuyer sur la biodiversité…
M. Laurent Duplomb. Oh là là…
M. Fabien Gay. … grâce à la plantation de haies, aux coccinelles et aux chrysopes, ce que l’usage de néonicotinoïdes rend impossible aujourd’hui.
C’est en ce sens qu’un changement de paradigme est nécessaire : la réflexion autour d’une véritable transition écologique ne peut être cantonnée dans un seul secteur. Nous sommes face à système global : en matière d’agriculture, nous devons sortir de la pensée en parcelles : comme si l’agriculture était isolée ou indépendante de son milieu ! Le vivant ne fonctionne pas de la sorte. Il fonctionne en interdépendance, il repose sur un ensemble d’équilibres.
Enfin, ce qui ronge la filière, ce n’est pas la jaunisse : c’est avant tout la libéralisation.
Si les surfaces ont reculé en 2019, c’est non pas à cause des pucerons, mais faute de prix rémunérateurs pour les agriculteurs.
Mme Sophie Primas, rapporteur. Mais non !
M. Fabien Gay. Personne ne le dit ! Depuis 2017, la betterave a connu la fin des quotas sucriers et l’ouverture à la concurrence. Ce qui frappe le plus durement les betteraviers, ce ne sont pas les réglementations, mais bien les spéculateurs, la fin d’un marché régulé et protecteur, ainsi que le libre-échange, que vous encouragez.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Fabien Gay. Mes chers collègues, en autorisant de nouveau les néonicotinoïdes pour la filière betterave, le Gouvernement tente de sortir de l’impasse dans laquelle le libéralisme l’a enfermé. En tout cas, ce sera sans nous ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre Louault. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. Pierre Louault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Joël Labbé demandait à dépassionner le débat. Mais cela me semble bien difficile, tant il est vrai que nous prenons ces décisions dans l’urgence…
M. Laurent Duplomb. Tout à fait !
M. Pierre Louault. … et que, pour un certain nombre de parlementaires et de nos concitoyens, il faut se débarrasser d’une agriculture qui utilise des produits phytosanitaires comme les Français utilisent des médicaments.
Bien sûr, je ne conteste pas le principe de cette interdiction au regard de la toxicité des néonicotinoïdes ; mais il faut être réaliste.
Voici ce qu’aujourd’hui personne ne veut entendre. Il y a cent ans, la Terre dénombrait 700 millions d’individus et elle connaissait des famines récurrentes, qui éliminaient une partie de la population. Aujourd’hui, elle compte 7 milliards d’habitants, dont 1 milliard ne mangent pas à leur faim ; et l’on prétend qu’avec les méthodes d’autrefois tout ira beaucoup mieux.
M. Laurent Duplomb. Très bien !
M. Jean-Claude Tissot. Personne n’a dit cela !
M. Pierre Louault. C’est en partie la réalité !
L’agriculture française est sans doute déjà la plus vertueuse au monde.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Tout à fait !
M. Pierre Louault. Supprimer en catastrophe les néonicotinoïdes, en allant beaucoup plus loin que la réglementation européenne, reviendrait à tuer notre agriculture au profit des importations. Mon Dieu ! En tant qu’écologiste, j’aurais honte d’acheter du sucre de canne bio produit au Brésil sur les cendres de la forêt amazonienne ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Frédéric Marchand applaudit également.)
Mes chers collègues, gardons-nous des décisions doctrinaires et improvisées : ce gouvernement en est un peu responsable, quelquefois, mais il reconnaît ses erreurs et il sait revenir en arrière.
Aujourd’hui, les solutions de remplacement n’existent pas, et nous avons du mal à les chercher. Je connais un certain nombre d’agriculteurs écologistes, ou qui travaillent à une agriculture plus durable, qui se retrouvent bien seuls : à leurs côtés, ils n’ont ni scientifiques ni délégués de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, l’Inrae, alors qu’ils recherchent de vraies solutions pour se débarrasser de divers produits introduits au cours du XXe siècle.
C’est un peu trop facile d’envoyer les agriculteurs au banc des accusés : ils ne représentent que 2 % de la population.
M. Rémy Pointereau. Oui !
M. Pierre Louault. On peut en dire tout le mal qu’on veut, on peut dénoncer le productivisme ; toujours est-il que les agriculteurs travaillent sept jours sur sept et qu’ils nourrissent notre pays, comme bien d’autres États à travers le monde !
M. Laurent Duplomb. Très bien !
M. Rémy Pointereau. Bien dit !
M. Pierre Louault. Il faut se concentrer sur la véritable difficulté. Au lieu de mettre, systématiquement, les agriculteurs et l’agriculture au banc des accusés, on ferait mieux de mobiliser davantage d’énergie pour trouver des produits de substitution et de nouvelles méthodes productives.
Affirmer que l’on va nourrir la planète en se contentant de méthodes ancestrales, c’est mentir aux Français, c’est mentir au monde tout entier. Aujourd’hui, l’agriculture biologique produit grâce aux résidus de l’agriculture conventionnelle ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Très bien !
M. Pierre Louault. C’est ainsi que l’on dispose à la fois d’une agriculture biologique et d’une agriculture conventionnelle ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui ne doit pas être traité à la légère. Ce texte n’est pas une simple réponse apportée à la crise de la jaunisse de la betterave sucrière : il constitue un précédent.
De ce que le Parlement décidera au sujet de ce texte dépendront en effet les prochaines réponses du Gouvernement aux filières en difficulté.
M. Laurent Duplomb. C’est sûr !
M. Jean-Claude Tissot. C’est une solution sans coût budgétaire que nous propose en l’espèce le Gouvernement. Il s’agit donc d’une réponse bien tentante, à l’heure où l’État doit soutenir de nombreux secteurs face aux conséquences économiques de la covid-19.
En outre, cette réponse évite au Gouvernement d’avoir à se pencher sur les causes profondes de la crise que traverse la filière betteravière française.
La détresse de cette dernière doit être entendue. Mais avant de prendre une telle décision, lourde de conséquences – nous le savons tous –, nous devons nous poser les bonnes questions.
Premièrement, une dérogation à l’interdiction de l’usage des néonicotinoïdes résoudra-t-elle durablement les difficultés de la filière ? Non, puisque les causes profondes sont d’ordre systémique.
Certes, la jaunisse de la betterave exacerbe les difficultés des producteurs dans certains territoires, mais elle est loin d’expliquer à elle seule la fragilité de la filière sucrière.
En 2019 déjà, les principaux sucriers fermaient des usines et supprimaient des emplois ; c’était non pas le contrecoup d’un déficit de production de betteraves, mais la conséquence directe de la suppression, en 2017, des quotas sucriers et du prix minimal garanti, qui a entraîné un effondrement des prix.
En 2016, les acteurs de la filière betterave espéraient que la libéralisation du marché du sucre leur permettrait d’augmenter leurs rendements et leurs marges : tel n’a pas été le résultat, bien au contraire. Aujourd’hui, ils pensent que la réintroduction des néonicotinoïdes permettra de sortir leur filière de l’ornière. Pourtant, la filière a surtout besoin que le législateur soit à ses côtés pour l’accompagner vers une plus grande résilience.
Deuxièmement, l’autorisation d’utiliser ces substances dangereuses résoudra-t-elle le problème de la campagne de 2020 ? Évidemment non, puisque les néonicotinoïdes appliqués à la graine n’auront d’effet que sur la récolte suivante.
Troisièmement, la filière betterave est-elle réellement dans une impasse technique ? Non, encore une fois. Dans son rapport de 2018, l’Anses s’est montrée formelle : seuls 6 cas sur les 130 usages autorisés des néonicotinoïdes étudiés n’ont pas permis de trouver de solution de substitution, et les betteraves n’en faisaient pas partie.
La filière betterave-sucre elle-même voit désormais une issue à cette impasse. Ainsi, le 2 octobre dernier, elle a remis au ministre de l’agriculture un plan de prévention pour accélérer la transition vers une culture de la betterave sans néonicotinoïdes. La filière s’engage notamment à « mettre en pratique toutes les solutions alternatives aux néonicotinoïdes ». Il y a donc non pas d’impasse technique, mais un simple retard. (M. le ministre manifeste son étonnement.)
D’ailleurs – tant pis, monsieur le ministre, si vous n’êtes pas d’accord ! –, ce retard n’aurait pas été le même si, dès la loi pour la conquête de la biodiversité, votée en 2016, la filière s’était saisie du nécessaire travail à mener pour dégager ces nouvelles solutions.
Quatrièmement, la réponse à ce retard peut-elle être un recul de notre législation environnementale ? Non, mille fois non : nous avons déjà pris trop de retard face à l’urgence environnementale, au-delà de la seule question climatique.
La biodiversité est tout aussi menacée par les activités humaines : un million d’espèces animales ou végétales sont menacées d’extinction, soit une espèce sur huit ! Plus personne n’ignore le rôle joué par les insectes pollinisateurs dans la préservation de cette biodiversité. Plus personne n’ignore non plus le rôle des néonicotinoïdes dans la disparition des abeilles.
L’Union nationale de l’apiculture française, l’UNAF, estime ainsi que 300 000 ruches sont anéanties chaque année à cause des néonicotinoïdes – d’où leur surnom « tueurs d’abeilles ».
Pour nous rassurer, le Gouvernement avance que les plants de betteraves ne produisent pas de fleurs mellifères. Mais les fleurs ne sont pas la seule source de mellification, sinon il n’y aurait pas de miel de sapin !
Tout comme les apiculteurs de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, la FNSEA, que nous avons auditionnés au Sénat, le président de la section apicole de la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles, la FDSEA, de mon département, Philippe Barrière, m’expliquait la semaine dernière que les abeilles fabriquent aussi du miel de miellat à partir des excréments de pucerons.