M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le président, madame la vice-présidente de la commission des lois, madame et monsieur les corapporteurs, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis d’être avec vous aujourd’hui pour évoquer ces deux textes, intitulés « Pour le plein exercice des libertés locales », dont je vous remercie.
Ces derniers mois, au sein de la chambre des territoires, nous avons eu l’occasion d’échanger à plusieurs reprises sur la décentralisation, avec, chaque fois, de riches échanges qui nous permettent d’aller plus loin dans la nouvelle donne territoriale que nous mettons en œuvre pour le pays.
La décentralisation, vous le savez, est en effet au cœur des réflexions du Gouvernement, nous en avons encore parlé ce matin lors de la rencontre entre l’État et les collectivités locales présidée par le Premier ministre en présence du président du Sénat.
L’an dernier, à l’issue du grand débat national, le Président de la République m’avait chargée de proposer un nouveau texte sur le sujet, ou, pour être tout à fait précise, sur l’évolution du cadre de relations entre l’État et les collectivités territoriales. L’objectif était clair et nous n’en avons pas dévié depuis : répondre au double besoin, très clairement exprimé par les élus et nos concitoyens, de proximité et d’efficacité des politiques publiques.
C’est la raison pour laquelle j’ai lancé, le 6 janvier dernier, à Arras, une série de concertations régionales pour recueillir sentiments, réflexions et propositions de l’ensemble des acteurs de terrain, à commencer par les élus locaux.
Dans ce cadre, si la crise sanitaire a perturbé le calendrier prévu, elle a aussi confirmé notre volonté initiale de donner plus de liberté aux collectivités – je note déjà un point de convergence sémantique –, notamment au regard de la réelle capacité d’adaptation et d’action dont celles-ci ont su faire preuve ces derniers mois, et ce, d’autant plus que le plan de relance leur confère une place majeure.
M. Philippe Bas. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Après ces mois de réflexions et de travaux, cette vision va se concrétiser prochainement au sein de deux textes dont vous avez déjà largement entendu parler. Le 29 juillet, après validation par le Conseil d’État, j’ai présenté un projet de loi organique au conseil des ministres pour assouplir les expérimentations territoriales prévues à l’article 72 de la Constitution.
S’agissant du projet de loi ordinaire, il viendra consacrer les trois principes de décentralisation, de différenciation et de déconcentration – je tiens à préciser que cette dernière ne relève pas toujours du domaine législatif, même si elle en revêt certains aspects.
Il est prévu que ce fameux projet de loi dit « 3D » soit présenté en conseil des ministres en janvier 2021 et qu’il soit examiné au cours du premier semestre. Je poursuis en ce sens les concertations régionales ainsi que les échanges avec les associations d’élus, notamment dans le cadre de la réunion entre l’État et les collectivités locales qui s’est tenue ce matin.
Signe de la vitalité et de l’importance capitale de ces sujets pour notre pays, nous examinons ce jour deux propositions de loi constitutionnelle et organique issues des recommandations formulées en juillet dernier par le groupe de travail sénatorial.
Avant toute autre considération, je tiens à dire que je constate de nombreuses convergences de vues sur l’avenir de la décentralisation,…
M. Philippe Bas. Tant mieux !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. … en particulier pour ce qui est de donner davantage de liberté aux collectivités locales, lesquelles doivent naturellement avoir les moyens d’être encore plus dynamiques face aux nombreux défis qui les concernent, ainsi que d’exclure tout nouveau « big-bang territorial », source de plus de maux que de solutions.
Je relève des convergences, donc, mais aussi – c’est naturel – un certain nombre de différences, voire de divergences, sur lesquelles je tiens à formuler quelques précisions.
Pour ce qui est du projet de loi constitutionnelle, au-delà de quelques orientations, je souhaite vous faire part d’un certain nombre de réserves. Je crois d’abord, pour citer la célèbre formule de Montesquieu, que l’on ne touche à la loi, et a fortiori à la Constitution, que d’une main tremblante. Il ne s’agit pas d’une opposition de principe puisque, vous le savez, le Gouvernement avait déposé un projet de révision constitutionnelle dont je regrette – comme vous, je suppose ! – qu’il n’ait pas abouti.
M. Loïc Hervé. Pas encore !
M. Philippe Bas. Dommage !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Merci de cet aveu ! (Sourires.) J’observe cependant, non sans plaisir, que vous en avez repris certaines formulations. Je crois toutefois, si vous voulez bien pardonner mon aspect « ancienne école »…
M. Philippe Bas. Mais non !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. … qui s’explique sans doute par une longue expérience d’élue locale et de parlementaire, que la Constitution crée, pour y prendre appui, des équilibres complexes entre l’ensemble des parties prenantes d’une nation, de la même manière, d’ailleurs, que la décentralisation.
Or ces équilibres sont le fruit d’un long travail de stratification historique, de modification très lente des rapports de force, de mouvement d’ajustement plein de gravité et que, en ce domaine, la prudence, qui est, pour Aristote, la vertu qui permet de délibérer sur ce qu’il convient de faire en fonction de ce qui est bon ou mauvais, doit dominer notre conduite à tous.
Sur certaines de vos propositions, j’assume pleinement de vouloir faire preuve de prudence s’agissant d’un cadre qui garantit déjà, aujourd’hui, de réelles possibilités d’adaptation. Vous souhaitez inscrire dans la Constitution le principe de représentation équitable des territoires et ainsi accroître les possibilités de dérogation au principe de représentation sur un fondement essentiellement démographique ; vous cherchez donc à favoriser, par exemple, une représentation plus équilibrée de toutes les communes au sein de l’intercommunalité.
Cet objectif est louable et je voudrais rappeler l’historique de cette question, car, bien que je croie fortement à la force des accords locaux pour construire les intercommunalités, force est de constater que ces derniers doivent nécessairement être encadrés pour assurer une juste représentation de toutes les communes au sein de l’espace intercommunal, j’ai d’ailleurs entendu Philippe Bas le dire il y a quelques instants.
Le cas de la ville de Salbris, dans le Loir-et-Cher, que je connais bien, nous a malheureusement démontré qu’un accord entre communes pouvait jouer de manière disproportionnée contre la ville-centre, même si je sais bien que c’est la situation inverse qui vous préoccupe régulièrement.
J’ai souvenir des nombreux travaux conduits dans cette chambre pour définir un tunnel le plus large possible. C’est ce que nous avons réalisé, en partie, cher Jean-Pierre Sueur, sans que cela contrevienne aux principes constitutionnels. Le Gouvernement considère à ce stade qu’il est préférable de s’en tenir là. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Loïc Hervé. C’est dommage !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. En ce qui concerne la clause générale de compétence, je voudrais vous rassurer sur le fait que le nul n’envisage de la remettre en cause.
M. Philippe Bas. Pas vous, sans doute !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Cependant, ce principe ne me semble tout simplement pas être de rang constitutionnel. En outre, personne n’en parle plus, mais je vous rappelle que nous avons voté en décembre une loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, qui a rappelé la présence fondamentale de la commune dans l’intercommunalité et a donné des moyens renforcés aux communes.
S’agissant du principe de compensation financière des transferts de compétences ainsi que du principe d’autonomie financière des collectivités territoriales, je rappelle que notre cadre constitutionnel actuel est déjà protecteur et équilibré. Quand l’État transfère des compétences, il accorde les ressources qu’il mobilisait à cette fin à la collectivité.
Bien entendu, personne ne s’attend à ce qu’il prenne à sa charge les choix ultérieurs de la collectivité ni pour compenser des décisions coûteuses ni pour lui reprendre les ressources qu’elle dégagerait par une gestion plus efficiente. Il me semble donc périlleux, voire contre-productif d’entrer dans une logique de réévaluation permanente qui serait contraire, de surcroît, au principe de responsabilité. Je rejoins en cela, en partie, la commission des finances.
Quant à votre demande d’autonomie fiscale, et non financière, je suis convaincue qu’il faut en débattre. Les régions ne disposent plus d’impôts locaux ni du pouvoir de fixer des taux, mais je vous pose la question : diriez-vous qu’elles manquent d’autonomie ? (Oui ! sur les travées des groupes CRCE, SER, UC et Les Républicains.) Je n’en suis pas certaine. (Protestations.)
M. Philippe Bas. Eh oui !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Ce n’est pas ce qu’elles disent ! (Exclamations.)
S’agissant de la proposition de fusion des articles 73 et 74 de la Constitution relatifs au régime constitutionnel des territoires ultramarins, vous savez qu’il s’agit d’un sujet extrêmement sensible et complexe. À mon sens, toute évolution devrait être précédée d’une étude et d’une concertation approfondie. Le Gouvernement entend le souhait des collectivités ultramarines de disposer de statuts sur mesure qui tiennent compte pleinement de leurs caractéristiques et des contraintes spécifiques qui s’imposent à elle.
Toutefois l’histoire institutionnelle de la Ve République, et particulièrement la révision constitutionnelle de 2003, a montré qu’il est possible de passer aisément d’une catégorie relevant de l’un de ces deux articles à l’autre, si tel est le souhait des élus et des populations concernées.
Pour ce qui est de la proposition de loi organique, je tiens à souligner la très grande proximité entre votre texte et celui que je présenterai le 3 novembre prochain, ce dont je me réjouis, tant cela nous simplifiera les choses. Il me semble que nous partons en effet du même principe : l’égalité devant la loi, nécessairement générale et abstraite, demande parfois à être contrebalancée par un principe d’équité, afin de permettre à l’État de prendre pleinement en compte la singularité de chacun des territoires et aux territoires d’exprimer cette singularité à travers des réflexions, des projets, des politiques qu’ils souhaitent mener.
Tel était d’ailleurs le sens du propos du Président de la République lorsque, dès la première conférence des territoires, ici même, en juillet 2017, il avait souligné que l’égalité qui crée de l’uniformité n’assure plus l’égalité des chances sur la totalité de notre territoire. C’est pour cela que nous allons consacrer le droit à l’expérimentation et à la différenciation au sein d’un projet de loi organique que nous examinerons ensemble dans deux semaines.
Concrètement, nous allons faciliter l’accès aux expérimentations pour les collectivités locales, afin d’ouvrir la voie à une différenciation durable, non pour rompre l’égalité des territoires devant la loi – les garde-fous sont nombreux et puissants –, mais pour adoucir certaines rigidités parfois stérilisantes.
Vous avez l’objectif de pérenniser les expérimentations sur une partie seulement du territoire ; j’y suis évidemment favorable, mais je crois que nous devons aller plus loin et faciliter aussi le processus d’entrée dans l’expérimentation. En effet, les collectivités ne sont souvent pas demandeuses de transferts généralisés de compétences, mais d’adaptations locales. Or l’expérimentation permet précisément de répondre à ce besoin ; il faut donc inciter les collectivités territoriales à y recourir en simplifiant les procédures, par exemple en supprimant le rapport annuel du Gouvernement, mais pas le reste.
L’expérimentation est, par nature, une phase de test à l’issue de laquelle il faut procéder à une évaluation afin de décider s’il convient de la pérenniser sur tout ou partie du territoire ou de l’abandonner. C’est pourquoi je propose de maintenir la borne de cinq ans prévue aujourd’hui par notre Constitution. Tel est l’objet du second amendement du Gouvernement, le premier concernant les procédures.
Vous le savez, cette nouvelle étape de la décentralisation sera concrétisée par le projet de loi 3D que je porte, au premier semestre de l’année prochaine, puisque ce dernier hébergera les premières expérimentations lancées sur la base du nouveau corpus que nous allons bâtir ensemble.
Depuis 2017, nous agissons pour, partout, débrider les initiatives et les projets des collectivités territoriales qui inventent, au quotidien, l’avenir de notre pays. C’est pour cela que nous déployons également plusieurs programmes d’aménagement du territoire : Action cœur de ville, Territoires d’industrie, Petites villes de demain, en liaison avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires créée au 1er janvier 2020, lesquels, par la dynamique qu’ils suscitent, démontrent toute leur pertinence, a fortiori dans le contexte actuel de crise sanitaire. Ils seront de très importants vecteurs pour la relance.
Il me semble désormais que nos deux textes constituent le point d’orgue de notre action pour les territoires, parce qu’ils reposent sur des principes clés qui guident notre action depuis plus de trois ans, c’est-à-dire la confiance et la liberté, et donnent de nouveaux moyens concrets pour imaginer et pour mettre en œuvre les milliers de projets et d’initiatives qui, sans cela, n’auraient peut-être pas vu le jour. (M. Alain Richard applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, oui, il faut faire « confiance aux territoires ». Oui, il faut « une nouvelle génération de la décentralisation ». Cette ambition, réaffirmée par le président Gérard Larcher, nous la partageons, ainsi qu’en a témoigné notre proposition de résolution pour une nouvelle ère de la décentralisation adoptée par le Sénat au mois de juin.
Il semble que le Premier ministre la partage également, au moins dans les discours.
Faisant preuve d’un jacobinisme absolu au service d’un libéralisme assumé, l’exécutif, à chaque crise, tend à se rendre progressivement compte du rôle des collectivités locales et de l’impasse de la verticalité : crise des « gilets jaunes », crise sanitaire et, désormais, menace terroriste.
Pointant hier cette double crise, le Premier ministre en appelait à « travailler de concert » pour combattre le terrorisme et engager une relance « ancrée dans les territoires ».
Alors, quelle décentralisation souhaitons-nous pour que la République tienne toutes ses promesses et ne perde aucun territoire ? Quelle décentralisation souhaitons-nous pour remettre le service public au cœur de nos politiques publiques locales et redonner confiance aux citoyens ? Quelle décentralisation souhaitons-nous pour une « République jusqu’au bout » ? C’est une des questions que pose une actualité sidérante à maints égards.
Si nous partageons une culture commune des territoires, nous avons cependant une différence d’appréciation globale : le texte fait le « pari de la liberté ». Nous ne nous opposons pas à ce principe : la loi de 1982, défendue par Gaston Defferre, était intitulée « droits et libertés ». En revanche, seul, le paradigme de la liberté ne nous semble pas suffire à appréhender la décentralisation. En d’autres termes, le territoire ne peut être le lieu de la guerre de tous contre tous. Notre groupe est plus attaché aux principes d’égalité – qui ne signifie pas uniformité – et de fraternité entre les territoires qui nous a sans doute collectivement fait défaut. C’est, en tout état de cause, la condition du juste équilibre de l’aménagement du territoire.
S’agissant des deux textes que nous examinons aujourd’hui, nous nous rejoignons sur plusieurs points : la constitutionnalisation de la clause de compétence générale des communes par une reprise de la loi de 1884, l’assouplissement des modalités de l’expérimentation, la différenciation des compétences – sur ce point, la rédaction issue de la commission nous semble plus opportune et plus conforme à l’avis du Conseil d’État –, la différenciation normative – l’amendement d’Alain Rousset adopté à l’Assemblée et supprimé par le Sénat après d’âpres débats pendant l’examen de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), a manifestement fait son chemin –, l’autonomie financière, enfin, tant il convient de contrecarrer le processus de recentralisation financière à l’œuvre depuis 2017 via la suppression de la taxe d’habitation et, désormais, d’une partie des impôts de production.
En revanche, nous divergeons sur certains points, et nous considérons que le texte souffre encore de certaines incomplétudes, singulièrement parce qu’il touche à la Constitution, justifiant certains de nos amendements que je vais rapidement énumérer.
Nous entendons supprimer la constitutionnalisation du principe d’une représentation équitable des territoires à l’article 1er, car une modification de l’article 72 suffirait. Certes, la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la représentativité est trop limitative ; toutefois, l’inscription d’un « tunnel » de 50 % pour les EPCI nous semble excessive. Il n’est pas possible que l’avis d’un élu puisse avoir le poids de celui de trois autres ; cela reviendrait à déséquilibrer complètement le fonctionnement des conseils communautaires. Je rappelle, pour ceux qui l’ont oublié, qu’il s’agit d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel. Un écart maximal de représentation de 33 % nous semble suffisant, en cohérence avec nos positions précédentes.
Nous considérons également que la prise en compte de l’intérêt général est importante.
Nous proposons, pour le symbole, une loi de financement des collectivités territoriales, ainsi que le droit de vote des étrangers alors même que ceux-ci s’acquittent de la contribution publique.
Enfin, mes chers collègues, nous appelons de nos vœux l’intégration de nouveaux indicateurs dans les études d’impact, parce qu’il faut en finir avec le fétichisme du PIB.
L’ensemble de la discussion et le sort réservé à nos amendements détermineront notre vote final.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, bien que j’aie pu intervenir à plusieurs reprises depuis le début de mon nouveau mandat, qu’il me soit permis de remercier la soixantaine de maires qui m’ont reçu durant la campagne des élections sénatoriales du mois de septembre ainsi que les 205 grands électeurs, qui n’étaient pourtant pas de ma paroisse sur le papier, qui m’ont accordé leur soutien, me permettant aujourd’hui d’avoir le plaisir – partagé, j’en suis sûr ! – de m’exprimer ici ce jour pour rappeler que, si cette confiance m’a été accordée, c’est parce qu’elle repose essentiellement sur la ligne qui a été la mienne pendant les six dernières années au Sénat et les cinq années passées à la métropole d’Aix-Marseille-Provence : la défense des libertés communales. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Les communes sont, comme l’a rappelé le président de notre illustre assemblée, le socle de notre République. J’ajoute qu’elles constituent le quotidien de chaque citoyen. La proposition de loi qui vise à graver dans le marbre de la Constitution la clause générale de compétence et la libre autonomie des communes est frappée au coin du bon sens, car les communes ne fonctionnent que par et pour cela : le bon sens, l’efficacité au service quotidien des citoyens.
Elles reposent sur les réalités, aux antipodes de l’action du Gouvernement. S’il fallait s’en convaincre, durant la crise du covid du mois de mars, les conséquences de l’impréparation et de l’incompétence du Gouvernement ont été atténuées par les initiatives des maires. Heureusement que ceux-ci et leurs adjoints étaient sur le terrain pour protéger leur population.
Comme il ne suffit toujours pas au Gouvernement d’enfreindre la liberté communale, il porte aujourd’hui atteinte aux libertés économiques comme le montre le couvre-feu imposé à la métropole d’Aix-Marseille-Provence – pardonnez-moi d’y revenir, c’est celle que je connais le mieux. On traite ainsi Marseille et Aix-en-Provence comme Rognac, Mimet, Éguilles ou Simiane-Collongue, sans prendre en considération les maires de ces communes qui, pourtant, connaissent parfaitement la situation sanitaire et économique de leur ville, qui ne correspond pas nécessairement à celle de la ville-centre.
On est donc loin des libertés communales, comme en ce qui concerne la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), une loi idéologique imposée aux communes alors que les mairies n’en ont pas besoin, qu’elles ne disposent pas du foncier nécessaire, mais sont considérées comme délinquantes lorsque les logements sociaux ne sont pas construits et frappées de pénalités.
M. Marc-Philippe Daubresse. C’est faible !
M. Stéphane Ravier. Où est donc la libre autonomie, en particulier quand l’État réduit ses dotations financières, réveillant un autre atavisme centralisateur, celui des métropoles ? Je vous mets en garde, mes chers collègues, contre ce nouveau jacobinisme incarné par les métropoles. Rendons la liberté aux mairies et aux communes, à condition de leur en donner les moyens financiers et les prérogatives pour fonctionner au service de nos concitoyens.
M. Marc-Philippe Daubresse. Hors sujet !
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs mois, la situation liée à la pandémie de covid-19 nous permet d’apprécier la réactivité et l’étendue des actions menées sur le terrain, au service des citoyens, par les collectivités locales.
Or depuis plusieurs années, force est de constater une tendance inacceptable à la recentralisation. Cette évolution s’observe d’abord au niveau financier, par un contrôle intrusif exercé sur les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales, mais également par l’assèchement de leurs ressources, notamment la suppression de la taxe d’habitation.
Cette évolution se vérifie également au niveau normatif. La liberté des collectivités territoriales est mise à mal par un nombre excessif de normes réglementaires, l’initiative locale se traduisant par la seule mise en œuvre de politiques nationales. Depuis plusieurs années, on assiste à une recentralisation à marche forcée. En matière de décentralisation, au plus on en parle, au moins on le fait.
Les propositions de loi constitutionnelle et organique que nous examinons cet après-midi traduisent les conclusions du groupe de travail du Sénat sur la décentralisation présidé par le président Gérard Larcher. Elles visent à donner un nouvel élan aux libertés locales et à consacrer leur reconnaissance.
Ces deux textes visent ainsi quatre objectifs : la représentation équitable des territoires, l’adaptation des compétences des collectivités aux réalités locales, la garantie de l’autonomie financière des collectivités et la réforme du statut constitutionnel des territoires ultramarins.
Je m’attarderai sur trois points en particulier.
Le premier concerne la nécessité de protéger la clause de compétence générale des communes. La commission des lois a modifié la rédaction de l’article 4 de la proposition de loi constitutionnelle avant de l’adopter. J’approuve cette décision, et je me réjouis qu’à la formulation initialement proposée, qui visait à clarifier le contenu effectif de la clause de compétence générale, elle ait préféré la formulation traditionnelle de cette clause, selon laquelle le conseil municipal « règle par ses délibérations les affaires de la commune ». Cette rédaction apportera une plus grande sécurité juridique.
Le deuxième point que je souhaite relever concerne l’article 5 de la proposition de loi constitutionnelle, article qui vise à titre principal à garantir la pleine compensation financière des compétences dont l’exercice est attribué aux collectivités locales, selon le principe « qui décide paie ».
Je rejoins la position de la commission des lois, qui a apporté plusieurs modifications à cet article, tirant ainsi les conclusions du choix opéré sur la redéfinition des ressources propres en inscrivant la notion de « part significative des ressources totales » à l’article 72-2 de la Constitution.
Elle a également remplacé la notion de « réévaluation régulière » par celle de « réexamen régulier », afin que la mise en œuvre du dispositif permette d’envisager, à terme, une renégociation concertée et une révision de la gouvernance des finances locales.
Enfin, elle a précisé le dispositif de compensation financière pour qu’il ne s’applique qu’aux seules modifications des conditions d’exercice des compétences de ces collectivités territoriales résultant de décisions de l’État.
Le troisième et dernier point que je souhaite aborder porte sur la nécessité de rénover le régime constitutionnel des collectivités d’outre-mer. Afin que ces dernières disposent d’un cadre constitutionnel plus souple, qui permette d’adapter davantage leurs institutions aux réalités locales, l’article 6 de la proposition de loi constitutionnelle prévoit de fusionner les articles 73 et 74 de la Constitution. Je me félicite tout particulièrement de ce que la commission des lois ait considéré que le contenu de cet article était équilibré.
Madame la ministre, mes chers collègues, partageant pleinement les objectifs visés par ces deux propositions de loi, le groupe Les Indépendants, particulièrement attaché au maintien des libertés locales au cœur de notre organisation administrative, votera ces textes. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis un peu candide, car nouveau parmi vous ; avec cette candeur qui caractérise les jeunes sénateurs, je m’attendais à trouver un triptyque – constitutionnel, organique, ordinaire – incluant le travail que vous avez accompli, désormais connu sous le titre « 50 propositions de Gérard Larcher ».
Je dois donc avouer une certaine déception, car il me paraît que ce texte a essentiellement une valeur déclarative. Les déclarations, en particulier les déclarations de bonnes intentions, sont toujours bonnes à prendre, me direz-vous.
Il est vrai que nous partageons les principes que vous posez et votre état des lieux. Les collectivités locales – trente ans de décentralisation en attestent – sont le bon levier pour agir en proximité. La crise sanitaire a d’ailleurs montré le rôle essentiel des collectivités pour agir dans l’urgence et apporter les réponses adaptées aux attentes et aux besoins de la population.
Les écologistes disent souvent : « agir local, penser global ». Nous devons le transcrire dans la loi et le vivre au jour le jour pour rendre la vie quotidienne de nos administrés – car je suis aussi élu d’une petite commune de 6 000 habitants des Bouches-du-Rhône – plus simple et plus facile à gérer.
Nous attendons effectivement, monsieur Bas, un certain nombre d’aménagements et de décisions.
Garantir l’indépendance financière ? C’est nécessaire ! Mais comment le faire sans passer par une loi de financement des collectivités territoriales ?
Donner une compétence variable à chaque collectivité ? Certes ! Mais pas sans un cadre parfaitement établi, car une telle différenciation ne doit pas déboucher sur une compétition entre les territoires.
Renouveler et encourager la démocratie locale ? Très bien ! Mais comment y parvenir tant que les représentants des intercommunalités et des métropoles ne sont pas élus au suffrage universel direct ? Les exemples récents de Marseille et de Grenoble nous ont montré que c’était compliqué.
Encourager une citoyenneté active ? Bien entendu ! Mais comment le faire sans libérer le recours aux outils de la démocratie participative, notamment aux lois référendaires ou « pétitionnaires » ?
J’arrête cette énumération, même si je pourrais continuer longuement. Nous pensons que le renouvellement de notre démocratie locale ne figure pas dans ce texte. Nous estimons que la coopération territoriale et le recours à la contractualisation pour renforcer la réciprocité entre territoires urbains et ruraux auraient dû faire l’objet d’un amendement : il est trop tard pour en déposer un sur ce texte ; nous le ferons ultérieurement. Nous devons sortir d’une logique de concurrence territoriale et encourager les pôles de coopération territoriale.
Enfin, nous craignons que ce texte ne participe quelque peu à l’affaiblissement des intercommunalités, qui sont pourtant aujourd’hui un maillon incontournable et un partenaire privilégié des régions. Chacun l’aura compris, on est toujours le centralisateur d’un autre : l’État est trop centralisateur, la région est trop centralisatrice, la métropole est trop centralisatrice… Mais si, d’échelon de gestion des services, ces organisations territoriales, par exemple les régions et les intercommunalités, devenaient de véritables instances d’organisation stratégique de politiques publiques de proximité, peut-être parviendraient-elles à accepter une centralisation très souvent abusive.
Malgré les réserves que je viens d’indiquer, nous estimons, chers collègues, que de nombreux points défendus sont positifs, comme la clause de compétence générale des communes. Toutefois, en l’état, nous ne pouvons voter ce texte. C’est pourquoi nous déciderons de notre position à la fin du débat, en fonction des amendements qui seront adoptés. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)