M. François Patriat. Très bien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. La révision de la Constitution est un exercice délicat et j’aurais souhaité des fondements plus assurés aux modifications que cette proposition de loi vise à introduire dans notre texte fondamental. J’entrevois aussi les difficultés, les ambiguïtés, les polémiques et les inquiétudes que ne manqueront pas de susciter certaines des dispositions proposées.
Le premier article de la proposition de loi tend à modifier l’article 1er de la Constitution pour interdire à toute personne de s’exonérer de la règle commune au nom de son origine ou de sa religion.
Le second article vise à modifier l’article 4 de la Constitution pour imposer aux partis politiques de respecter le principe de la laïcité.
Regardons, si vous le voulez bien, précisément, concrètement, la portée des modifications proposées. Il est prévu d’interdire à toute personne de s’exonérer au nom de sa religion ou de son origine du respect de « la règle commune ». Or qu’est-ce que la règle commune ? S’agit-il de la règle de droit ? S’agit-il des différents niveaux de normes ? S’agit-il de ce qu’il est convenu d’appeler le « droit souple », qui régit de plus en plus aujourd’hui le fonctionnement des organisations ?
Le Conseil constitutionnel a certes déjà utilisé cette expression dans sa décision du 19 novembre 2004 concernant le traité établissant une Constitution pour l’Europe, mais il faisait référence de manière très particulière aux seules règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers. Étaient alors visées les règles de police administrative, notamment la police des cultes. Les auteurs de la proposition de loi prennent donc le risque de transformer un terme ayant une signification précise dans la décision de 2004 en une notion des plus vagues.
Il me semble que, depuis deux cent trente et un ans notre droit est clair et suffisant en vertu de l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui énonce, comme vous l’avez rappelé monsieur le questeur Philippe Bas, que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Ce juste équilibre, c’est au quotidien ce qu’il nous appartient de le faire vivre, en particulier en assurant de la manière la plus vigoureuse la protection de l’ordre public.
Trop imprécise dans ses termes, la proposition de loi me paraît également beaucoup trop approximative dans ses objectifs, au risque de porter une atteinte disproportionnée à la liberté de conscience ou de remettre en cause, en courant le danger de les rendre inconstitutionnelles, des législations bien établies.
Voulez-vous en particulier, en interdisant toute exonération des règles communes, mettre fin au régime concordataire d’Alsace-Moselle ? (Protestations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.) Voulez-vous mettre fin aux règles particulières existant outre-mer dans le domaine des cultes ? Voulez-vous prohiber les dérogations alimentaires aujourd’hui permises par notre droit au bénéfice des personnes de confession juive ou musulmane ? Voulez-vous supprimer les clauses de conscience des médecins, souvent inspirées par leurs convictions religieuses, notamment en matière d’avortement ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. C’est lamentable !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je ne suis pas sûr que l’on ait bien mesuré les incidences que le texte proposé au vote de votre assemblée est susceptible de provoquer…
Vous voulez également imposer aux partis politiques de respecter la laïcité. Aujourd’hui, l’article 4 de la Constitution impose aux partis politiques de respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. Pour autant, cela n’a jamais servi à interdire les partis monarchistes. (Rires sur les travées du groupe CRCE.) Vous voulez que les partis respectent la laïcité. Quid du parti des démocrates chrétiens, qui ont tant apporté à la République ?
M. Bruno Retailleau. Ce n’est vraiment pas le sujet !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Si votre objectif est le renforcement de la laïcité et de la lutte contre les dérives séparatistes, ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, ne le permettra pas, et c’est bien là que le bât blesse !
En effet, renforcer la laïcité et lutter contre le séparatisme islamiste passe d’abord par le respect intraitable de nos principes républicains, ainsi que l’a rappelé le Président de la République aux Mureaux le 2 octobre dernier. La laïcité n’est pas le problème, c’est en réalité la solution pour ne pas dire la seule solution !
Nos principes constitutionnels sont clairs. Nos principes constitutionnels sont fermes. Ils permettent d’assurer la conciliation entre, d’une part, la liberté de culte et, d’autre part, l’autorité de l’État.
M. Philippe Pemezec. Tout va bien alors, la vie est belle !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce dont notre pays a besoin pour atteindre l’objectif que nous recherchons en commun, c’est la mise en œuvre résolue du principe de laïcité rappelé avec force par l’article 1er de notre Constitution.
Comme l’a souligné le chef de l’État, notre République est à la fois un ordre et une promesse. Aujourd’hui, pour en tenir la promesse, il nous faut garantir l’ordre. Vous l’aurez compris, ce n’est pas à mon sens ce que permettra cette proposition de loi. Mais le moment nous oblige, mesdames, messieurs les sénateurs, à travailler ensemble ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Esther Benbassa et M. Jean-Yves Leconte applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’examen aujourd’hui de cette proposition de loi constitutionnelle prend une dimension particulièrement dramatique, à la suite du crime horrible dont a été victime Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie.
Nous nous inclinons devant sa mémoire et nous assurons à sa famille et à ses proches, à ses collègues de l’établissement où il enseignait et plus largement à l’ensemble du monde éducatif, notre solidarité. Nous leur disons simplement que nous partageons leur émotion, leur tristesse.
Hier, j’étais présente au rassemblement parisien, place de la République. Je regrette à cet égard que certains aient brillé par leur absence. Des milliers de personnes se sont unies dans la plus grande dignité pour exprimer leur solidarité, pour dire leur attachement aux valeurs de la République et à la laïcité, et pour souligner aussi que cet effroyable crime ne pouvait pas faire l’objet de récupérations, d’où qu’elles viennent.
Nous devons toutes et tous ici être à la hauteur de ce qui s’est exprimé hier à Paris, comme ailleurs dans notre pays.
Mercredi soir, à la Sorbonne, nous rendrons un hommage national à Samuel Paty. C’est un hommage bien légitime, car il enseignait la liberté de penser pour que ses élèves puissent vivre en femmes et en hommes libres, capables de penser et non pas seulement de croire.
L’obscurantisme n’a pas sa place dans notre République parce qu’il est contraire à la liberté. Or, aujourd’hui, la liberté est fragile, nous devons toutes et tous la protéger.
L’islam radical, car il faut effectivement savoir nommer les choses, doit être combattu pour ce qu’il est, en évitant les amalgames racistes et antimusulmans que certains se plaisent à distiller. La mouvance islamo-radicale est une plaie pour la liberté, pour la démocratie, pour la laïcité, pour la République. C’est une idéologie fascisante.
Comme je l’ai demandé aujourd’hui à M. le président du Sénat, nous aurions souhaité que ce débat législatif soit reporté au regard de l’actualité dramatique qui touche notre pays. Chacun sait qu’il n’est jamais bon de légiférer dans l’émotion, d’autant que le sujet est bien trop important pour ne lui accorder qu’un si bref débat, par le biais d’un tel texte.
Il s’agira, dans les semaines et les mois à venir, face à des dérives avérées, de trouver des réponses. Je le redis : aucun extrémisme religieux n’a droit de cité dans notre pays, mais la question ne peut être traitée à coup de décisions à l’emporte-pièce. Il s’agira de s’attaquer aux racines du mal qui s’exprime aujourd’hui : ce terreau évoqué de toute part sans jamais bien en comprendre les tenants et les aboutissants.
Les territoires abandonnés de notre République doivent en effet être reconquis, non par un État autoritaire, mais plutôt par un État fort de ses services publics, au chevet de ses professeurs si malmenés, qui ne le sont cependant pas moins que le personnel hospitalier ou les policiers…
Il semble urgent de prendre conscience de l’ampleur de la tâche qui nous incombe envers le corps enseignant. L’école est un pilier fort de notre République et de la laïcité, il s’agit d’accompagner effectivement les enseignants dans leur travail d’affirmation des valeurs de notre République et de ses principes fondamentaux.
D’un point de vue plus global, il faudra s’interroger sur l’ordre international établi pour abandonner toute complaisance avec certains pays et cesser trop souvent de semer la guerre pour récolter le chaos et le terrorisme.
Je le répète, nous souhaitons aborder tous ces sujets dans la sérénité d’un débat hors de toute émotion.
Aussi, alors que nous suivrons la discussion générale, nous ne prendrons pas part au débat ni au vote sur cette proposition de loi qui nous semble aujourd’hui inappropriée et dont l’examen aurait dû être reporté. Nous serons aussi au rendez-vous pour débattre dans les semaines à venir du projet de loi visant à renforcer la laïcité et à conforter les principes républicains, pour traiter les problématiques qui sont posées aujourd’hui. Celles-ci sont plurielles, complexes et bien souvent, finalement, à la marge du concept même de « laïcité », qui pour nous dispose déjà d’une base constitutionnelle solide et indiscutable.
Pour conclure, permettez-moi d’emprunter cette citation à Louis Aragon : « Certains jours, j’ai rêvé d’une gomme à effacer l’immondice humaine. » (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les Français se sont réveillés samedi matin avec la gueule de bois. Nous ne nous sommes pas encore remis de ce qui s’est passé. Vous l’avez souligné, monsieur le garde des sceaux, l’émotion est forte. Ce débat était prévu de longue date, le Sénat ne peut donc être accusé d’opportunisme aujourd’hui.
Je travaille depuis longtemps sur les questions de lutte contre le terrorisme, puisque j’ai dirigé à partir de 2014, avec mes collègues André Reichardt et Jean-Pierre Sueur, les travaux de la commission d’enquête du Sénat sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe.
Finalement, nous nous retrouvons, monsieur le ministre, dans cette situation malheureusement trop souvent répétée que l’on connaît si bien : nous sommes dans l’ex post et non dans l’ex ante. Nul besoin d’une autre commission d’enquête. Il ressort d’un simple décompte que j’ai réalisé que douze commissions d’enquête ou missions d’information se sont tenues sur le sujet : avril 2014, juin 2015, juillet 2016, juillet 2018, juin 2020, juillet 2020, sans parler des multiples commissions d’enquête sur le financement du terrorisme. Je tiens à votre disposition quarante pages de préconisations établies par les uns et les autres ici, le dernier rapport en date étant celui de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio : le constat est donc fait.
Comment expliquer aux Français et à leurs représentants qu’il faille attendre qu’un enseignant soit décapité pour expulser 231 personnes déjà en situation d’expulsion ? Comment expliquer l’incapacité de nos services, peut-être contraints par des conventions internationales, à expulser des indésirables, délinquants ou fauteurs de trouble ? Faut-il plus de moyens ? Si tel est le cas, le projet de loi de finances arrive, avec l’argent magique du plan de relance : cela pourrait nous aider, monsieur le ministre !
Comment laisser des prêcheurs étrangers venir chaque année renforcer sur le territoire national le nombre d’imams et de psalmodieurs pendant le ramadan ?
Mme Nathalie Goulet. Certes, mais j’expose la situation ! Plusieurs questions d’actualité ont été posées sur le sujet. Ces arrivées sur notre territoire ne dépendent pas de la justice, mais cela finit par concerner votre administration, monsieur le ministre !
Le texte que nous examinons aujourd’hui aborde ce problème : nous avons accepté sur notre territoire des collecteurs de fonds pour des écoles coraniques en Mauritanie. Comment se fait-il que, de la main droite, nous envoyions nos soldats protéger l’Afrique de l’Ouest des terroristes alors que, de la main gauche, nous acceptons sur notre territoire un certain nombre de prêcheurs de haine ?
Comment tolérer également que des représentants des Frères musulmans se réunissent dans des mairies, sans que les maires ni les préfets en soient informés ? Nous le voyons, il y a bien des problèmes à régler !
J’en terminerai par l’interdiction des Frères musulmans, sujet qu’il faudra aussi traiter. On ne pourra parler du texte d’aujourd’hui et de celui qui est annoncé sans mettre en ordre ce qui doit être fait, à savoir appliquer la loi de la République. Le texte examiné aujourd’hui vise à renforcer le principe de laïcité dans la Constitution : il est extrêmement important d’appliquer d’ores et déjà les textes qui existent.
Par ailleurs, monsieur le ministre, en ce qui concerne le droit des associations, nous devons faire face à une hypocrisie. Le statut des associations en lien direct ou indirect avec un lieu de culte est un problème extrêmement important. J’ai entendu qu’il existait un projet de réforme consistant à imposer le statut de la loi 1905. Ce changement de statut, monsieur le ministre, nous l’avons voté quatre fois au Sénat ! Nous l’avons voté également une fois à l’Assemblée nationale et au Sénat : le texte a été censuré par le Conseil constitutionnel dans la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté au motif qu’il s’agissait d’un cavalier !
Le Sénat s’est préoccupé de l’ensemble de ces questions depuis des années. Il est donc absolument essentiel que nous puissions finir par prendre des décisions, mais ces décisions sont à présent entre les mains du Gouvernement ! Le Sénat a fait son travail, le Sénat a assumé un certain nombre de positions qui n’étaient pas faciles auprès des collectivités territoriales, avec Jean-Marie Bockel, président de la délégation aux collectivités territoriales. Nous avons aussi multiplié les actions avec la commission des lois et la commission des finances.
Nous demandons, monsieur le ministre, l’égalité ! Le président Gérard Larcher nous explique dans un rapport qu’il faut effectivement aligner les statuts de 1901 et de 1905, mais il précise : « On peut […] mettre en place autoritairement [ce changement de statut], ou pousser les associations gérant un lieu de culte vers le statut de 1905 – c’est bien ce que l’on va faire – […], mais cela peut poser problème vis-à-vis des cultes installés. »
Monsieur le ministre, si l’on vote des dispositifs, ils doivent s’appliquer à tout le monde : c’est le corollaire indispensable de l’égalité de tous devant la loi !
Lorsqu’il a été question cette semaine de faire signer des attestations de laïcité à un certain nombre d’associations qui doivent toucher des subventions, Mgr Xavier Malle s’est empressé d’indiquer : « Je lis également que toute association sollicitant une subvention publique devra signer une charte de la laïcité ! Ainsi par exemple la conférence Saint-Vincent-de-Paul, le Secours catholique […]. On ne peut pas être d’accord. »
Je rappelle que le Sénat a essayé plusieurs fois de faire voter de tels dispositifs, mais que nous n’y sommes jamais parvenus !
Monsieur le ministre, les Français sont bouleversés, mais ils sont surtout très en colère. Outre les discours et les promesses, il importe que des dispositions fortes et comprises par nos concitoyens soient adoptées dans les prochaines semaines. Ce qui est arrivé il y a quelques jours est un drame absolu pour chacun des Français, mais c’est aussi un incident qui peut mettre la France au bord de la guerre civile.
Il faut absolument que nous puissions arriver à appliquer les préconisations d’ores et déjà formulées par le Sénat, à savoir mettre en œuvre les lois qui existent. Sur ce point, vous pourrez compter sur le groupe de l’Union Centriste. Le Sénat a toujours répondu présent, gauche et droite réunies, quand la République l’appelait, qu’il s’agisse des gouvernements qui se sont succédé depuis Charlie, voire bien avant. Notre assemblé a toujours su montrer son sens des responsabilités. Cette fois-ci l’heure est vraiment grave et nous n’accepterons plus aucun délai pour l’application des lois de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Jean-Pierre Sueur, Philippe Bas et Bruno Retailleau applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment se montrer digne de l’inexprimable sentiment de colère, d’affliction, de dégoût, partagé par la famille, les proches, les collègues et les élèves de M. Samuel Paty, professeur d’histoire à Conflans-Sainte-Honorine ?
Je rends d’abord hommage aux enseignants, ces « hussards noirs de la République qui portent l’arme de la connaissance dans la plaie de l’obscurantisme », selon Julien Lecuyer, éditorialiste de La Voix du Nord.
L’école fait l’objet de délibérations perpétuelles. Elle est scrutée, inspectée, sondée, parfois critiquée. Elle est toujours dans l’attente, pour ne pas dire la crainte, d’une nouvelle réforme. Et pourtant, les Françaises et les Français lui sont intimement attachés.
Si les attentes de nos concitoyens sont fortes à son égard, c’est parce que l’école incarne le savoir et la connaissance, parce qu’elle est source d’émancipation, parce qu’elle est une promesse d’égalité, parce qu’elle éveille les aptitudes et échauffe les vocations. Vantons notre instruction gratuite et obligatoire !
Samuel Paty voulait former des esprits libres. Il est mort, décapité par un fanatique de 18 ans. Il portait le savoir, cette lumière qu’ils ne pourront pas éteindre.
En tant qu’ancien ministre de la ville, je sais que les revendications communautaires sont une réalité, mais je ne partage pas l’idée selon laquelle nous ne serions pas armés pour y faire face.
Nos règles sont là, et sont sans ambiguïtés sur ces sujets. L’article 1er de la Constitution garantit l’égalité de tous devant la loi et interdit tout traitement différencié en fonction de l’origine et de la religion. Le même article 1er affirme que la République française est laïque.
L’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fixe le but de toute association politique, principe conforté par l’article 4 de notre Constitution.
Mes chers collègues, ce qui manque, ce ne sont pas de nouvelles règles ; elles existent déjà. C’est parfois le courage politique de les faire appliquer.
La loi ne peut s’appliquer que si elle est claire et compréhensible par tous. Elle ne supporte pas les effets de manche, elle ne sert plus si elle est superfétatoire.
Ainsi, le but affiché par cette proposition de loi constitutionnelle est non pas l’efficacité, mais l’affichage.
L’efficacité ne serait pas passée par une telle démarche. Cette proposition de loi aurait nécessité d’établir un diagnostic des textes en vigueur et de déterminer les moyens d’agir afin de préparer, le cas échéant, l’adoption de dispositions suffisamment précises et de formules non équivoques.
Aujourd’hui, la majorité sénatoriale devrait être animée par la préoccupation de rédiger un texte normatif, clair dans ses principes et juridiquement solide, pour le juge qui devra l’interpréter et l’appliquer à chaque cas d’espèce. Tel n’est pas le cas, vous le reconnaîtrez.
Certes, votre démarche résonne particulièrement dans le contexte actuel. Ainsi, elle aboutit sur un point : elle soumet la question de la prééminence de la République sur tout autre groupe ou groupement au débat de notre assemblée. C’était important, cela devient nécessaire. Il faut se saisir de ce débat.
La lutte contre le communautarisme n’est pas la propriété d’une famille politique plus que d’une autre, tout comme le manque de courage politique, d’ailleurs : ces phénomènes transcendent les clivages.
Nous sommes disposés à apporter notre concours, à la fois pour renforcer les moyens de lutter contre les messagers de la haine et pour réduire le terreau social fertile qui les fait prospérer, en remettant la promesse républicaine et les services publics au cœur des politiques publiques dans les territoires abandonnés. Pour ces combats, vous nous trouverez toujours à vos côtés.
Car ce combat contre l’obscurantisme et pour la République est long. Il a commencé il y a plusieurs siècles et ne s’arrêtera pas. Il faut continuer à le mener, inlassablement, avec résolution.
Il ne peut y avoir aucune complaisance à l’égard de ceux qui se construisent contre la République. Pour autant, il ne peut plus y avoir un discours sur les ghettos sans consacrer les moyens nécessaires à la mixité et à la lutte contre les discriminations territoriales, sociales, d’origine. Tous les séparatismes doivent être combattus.
Quand une discussion touche à un sujet aussi grave pour la destinée du pays, il faut aller sans hésiter au fond de la question.
Que chacun balaie devant sa porte. La tolérance ne doit pas conduire à la mansuétude. La fermeté ne doit pas conduire à l’ostracisme. Ni angélisme ni amalgame !
Il n’y a pas de fondamentalisme à jamais paisible ; il n’y a pas de salafisme à jamais inoffensif ; il n’y a pas d’intégrisme à jamais pondéré. Quand on professe le rejet de la République, on prépare les esprits à l’apologie de la violence et la haine.
Il n’y a aucune complaisance à avoir à l’égard de ceux qui s’érigent contre la République. On ne laisse pas impunément prospérer les radicalités dans les zones d’ombre de la République.
J’étais le premier, en tant que ministre de la ville, à dire, en mars 2016, qu’il y avait dans notre pays des quartiers qui présentaient des similitudes potentielles avec Molenbeek. Que n’ai-je entendu dans mon propre camp à l’époque !
Ne nous le cachons pas, Molenbeek, c’est quoi ? C’est une forte concentration de pauvreté et de chômage, un système ultracommunautariste – n’ayons pas peur des mots ! –, un système mafieux avec une économie souterraine.
Mais pourquoi ? Parce que ce sont aussi des lieux où les services publics ont disparu, ou les élus ont parfois baissé les bras, ou les politiques de la ville se sont amenuisées quand elles n’ont pas totalement disparu. C’est alors que prospèrent les prédateurs, car les proies potentielles sont nombreuses.
Il peut y avoir un terrorisme low cost, mais il n’y a pas de loup solitaire. Même ceux qui s’autoradicalisent dans leur chambre sont en contact avec des vidéos, des sites, des blogs de groupes terroristes qui provoquent et appellent au terrorisme. La diffusion d’une propagande extrêmement sophistiquée sur internet, les liens numériques entretenus entre des individus et les groupes terroristes les conduisent à passer à l’acte. Là se pose un autre problème, auquel il faut s’atteler : la régulation des réseaux sociaux et la fermeture de sites de désinformation.
J’aimerais vous entendre, monsieur le ministre, sur le bilan gouvernemental depuis 2017, pour faire face à ce défi lancé à notre République.
Depuis plus d’un siècle, la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État protège les libertés les plus fondamentales : croire, penser, critiquer, caricaturer, blasphémer.
Notre société est sécularisée. Elle est passée de l’hétéronomie – « la loi vient d’en haut » – au régime de l’autonomie – « la loi est produite par les hommes ». C’est la loi qui garantit le libre exercice de la foi, aussi longtemps que la foi ne prétend pas dicter la loi.
J’aurai une pensée ici pour nos millions de compatriotes qui pratiquent leur religion dans le respect du principe de laïcité. Ils ne méritent pas d’être salis par les entrepreneurs de haine qui attaquent notre République. Je vous invite à relire, mes chers collègues, cette magnifique tribune, parue à l’occasion du discours prononcé par le Président de la République aux Mureaux, du recteur de la Grande Mosquée de Paris, qui mérite à la fois notre attention et notre respect.
Contrairement aux fantasmes trop souvent véhiculés, aucune Église ne détient plus aujourd’hui en France le monopole de la vérité religieuse. Aucun culte ne doit exercer une influence directement politique, allant au-delà de son autorité spirituelle et morale.
En conclusion, rappelons les termes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Aucune règle n’est supérieure à la loi, qui « est l’expression de la volonté générale » ; « nul ne doit être inquiété pour ses opinions […] » ; « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme […]. »
Puisque la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la Constitution et les lois existent, il n’est pas nécessaire de rendre ces dernières bavardes. Notre seul impératif est de les appliquer. Ces textes sont la force de notre démocratie et de l’État de droit, et ils constituent l’antidote aux totalitarismes les plus divers.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, votre proposition de loi constitutionnelle, ne vous en déplaise, correspondait à votre agenda, dans un temps donné. Mais le temps a changé. Nous vous laissons à votre chemin déclamatoire. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne participera pas au vote de ce soir. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le hasard du calendrier législatif aura voulu que nous débattions aujourd’hui de « la prééminence des lois de la République » trois jours seulement après l’abomination de Conflans-Sainte-Honorine.
Rendons hommage, à l’entame de cette discussion, à la 267e victime de l’islamisme depuis 2012 dans notre pays, Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie décapité par un islamiste tchétchène.
« Ils ne passeront pas ! » : voilà la seule réponse de l’exécutif dans ces circonstances de guerre. Quelle pitoyable farce, car ils sont déjà là !
Ils sont déjà là, monsieur le ministre, dans les écoles, les hôpitaux, les associations sportives, culturelles et cultuelles, les entreprises, les services publics et, bien sûr, les partis politiques… Plus aucun pan de notre société n’est préservé du fléau de la division communautaire et du cancer islamiste.
Le communautarisme est la lèpre de notre pays. Il divise, il sépare, il se moque de la loi, il la combat.
De ce communautarisme est née en France une cinquième colonne islamiste hostile à ce que nous sommes et déterminée à nous abattre. Elle se compose de la réunion du séparatisme d’en haut, celui des élites individualistes, des élus islamo-clientélistes et indigénistes, et d’un séparatisme d’en bas, celui des trafiquants, des crapules et des religieux extrémistes. On est loin, très loin, de la prééminence des lois de la République.
Tabou parmi les tabous, vous refusez toujours de remettre en question la politique d’immigration massive, alors que c’est au « grand remplacement » que nous devons la « grande fracture communautaire ». Dans ces conditions, l’islamisme a encore de beaux jours devant lui.
Par le caractère massif de l’immigration, nombreux sont les individus qui ont rejeté notre modèle français et ont préféré conserver leurs mœurs, leurs coutumes, leurs traditions. Aujourd’hui, les plus fanatiques d’entre eux, devant nos renoncements, veulent nous imposer d’autres lois, celles de la charia.
Vos bougies, vos drapeaux en berne, vos tweets ne suffisent plus à faire oublier que si nous en sommes là, c’est à vous que nous le devons. Vos rassemblements place de la République ressemblent davantage au bal des hypocrites. Au lieu de manifester, vous devriez vous terrer de honte ! Car si les barbus sont coupables, les élus, eux, sont responsables.
Nos lois, bien qu’écrites, et qui ne demandent qu’à être appliquées pour abattre le monstre islamiste, ne le sont toujours pas, en raison soit de votre capitulation, soit de votre collaboration !
Pendant ce temps, l’islamiste Farid Ikken a déclaré à l’issue de son procès, mercredi dernier : « Sachez, chiens de Français, que nous sommes chez vous pour vous égorger. »
Quarante ans plus tard, monsieur le ministre de la justice, la peine de mort par décapitation est rétablie sur notre sol, mais seulement pour les innocents.
Mes chers collègues, n’entendez-vous toujours pas dans nos villes et dans nos campagnes agir ces féroces soldats islamistes, qui viennent jusque dans nos bras, égorger et décapiter nos fils et nos compagnes ? Aux armes, sénateurs, aux armes, monsieur le ministre Dupond-Moretti, aux armes de la loi, rien que la loi, mais toute la loi !
Je vous l’annonce, mes chers collègues, si demain les lois de la République n’étaient toujours pas prééminentes dans les faits, et après que les islamistes ont attaqué tant de symboles de la République, leur prochaine cible pourrait très bien être assise parmi nous, au sein de cet hémicycle.