PRÉSIDENCE DE M. david assouline
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des lois a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – dix-huit voix pour, aucune voix contre – à la nomination de M. Jean-Luc Nevache à la présidence de la Commission d’accès aux documents administratifs.
M. Vincent Delahaye. Très bien !
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Convention internationales
Adoption en procédure d’examen simplifié de deux projets de loi dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de deux projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces deux projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le gouvernement de la république française, la région flamande et la région wallonne relative à l’aménagement de la lys mitoyenne entre deûlémont en france et menin en belgique
Article unique
Est autorisée l’approbation de la convention entre la République française, la région flamande et la région wallonne relative à l’aménagement de la Lys mitoyenne entre Deûlémont en France et Menin en Belgique (ensemble deux annexes) signée à Bruxelles le 19 novembre 2018, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française, la région flamande et la région wallonne relative à l’aménagement de la Lys mitoyenne entre Deûlémont en France et Menin en Belgique (procédure accélérée) (projet n° 222, texte de la commission n° 640, rapport n° 639).
Mme Nathalie Goulet. J’en rêvais ! (Sourires.)
M. le président. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté.)
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le conseil fédéral suisse relatif à la coopération bilatérale en matière d’instruction militaire
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la coopération bilatérale en matière d’instruction militaire (ensemble une annexe), signé à Paris le 23 novembre 2018, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la coopération bilatérale en matière d’instruction militaire (projet n° 338, texte de la commission n° 644, rapport n° 643).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté.)
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Convention fiscale avec le Luxembourg
Adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention du 20 mars 2018 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune (projet n° 486, texte de la commission n° 638, rapport n° 637).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l’attractivité. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le 10 octobre 2019, la France et le Luxembourg ont signé à Luxembourg un avenant à la convention du 20 mars 2018 en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune, entré en vigueur le 19 août 2019.
Cette nouvelle convention permet de renforcer les échanges économiques et les investissements entre la France et le Luxembourg, tout en s’inscrivant pleinement dans la priorité donnée par le Gouvernement à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Elle intègre notamment dans nos relations avec le Luxembourg les dispositions, issues du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), de lutte contre l’érosion des bases taxables et le transfert des bénéfices.
À titre d’exemple, elle contient une clause anti-abus générale contre les montages ayant un objectif principalement fiscal, et son préambule précise que son utilisation ne doit pas avoir pour effet de créer des possibilités de non-imposition.
La convention de 2018 contient, par ailleurs, les normes les plus récentes en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, comme en matière d’échange de renseignements ou d’assistance au recouvrement.
L’avenant proposé à votre approbation ne modifie pas l’équilibre général de la convention. Il ne modifie ni la répartition du droit d’imposer entre la France et le Luxembourg ni les dispositifs permettant de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales.
L’objet de cet avenant est de modifier les modalités d’élimination des doubles impositions pour les revenus d’emploi salariés et immobiliers provenant du Luxembourg et perçus par des personnes résidentes de France.
Ces modifications concernent ainsi principalement les travailleurs frontaliers qui résident en France et exercent leur activité au Luxembourg.
Les modalités d’élimination des doubles impositions pour le Luxembourg demeurent, quant à elles, inchangées. Par cet avenant, il s’agit de prendre en compte les préoccupations exprimées par les travailleurs frontaliers et leurs représentants, tant en France qu’au Luxembourg, postérieurement à l’approbation par le Parlement français de la convention du 20 mars 2018.
En effet, par rapport à la convention précédemment en vigueur, cette convention était susceptible de conduire à un surplus d’imposition en France pour certains travailleurs frontaliers lorsque l’impôt luxembourgeois sur le revenu d’emploi était moins important que l’impôt français.
L’avenant prévoit ainsi que les doubles impositions sont désormais éliminées pour les revenus concernés par l’octroi d’un crédit d’impôt égal au montant de l’impôt français correspondant à ces revenus, au lieu d’un crédit d’impôt égal au montant de l’impôt étranger.
Cette modification, qui répond à une forte demande des travailleurs frontaliers concernés, a vocation à maintenir le principe selon lequel les revenus d’activité immobiliers ne sont imposés que dans l’État où se déroule l’activité et où sont situés lesdits biens.
Elle permet de maintenir les travailleurs frontaliers et résidents français percevant des revenus de biens immobiliers situés au Luxembourg dans une situation analogue à celle qui résultait de la convention qui était en vigueur avant le 1er janvier dernier par le biais d’une méthode d’élimination de la double imposition dont les effets demeurent équivalents.
Les dispositions de l’avenant s’appliquent aux périodes d’imposition commençant à compter du 1er janvier 2020.
Tels sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle l’avenant à la convention du 20 mars 2018 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’objectif de cet avenant est extrêmement simple : clarifier les modalités d’élimination des doubles impositions.
Vous vous souvenez que nous avions examiné au mois de décembre 2018 le projet de loi autorisant l’approbation de la nouvelle convention fiscale qui devait lier la France et le Luxembourg. La commission des finances avait alors estimé que cette convention constituait une avancée significative pour nos deux pays et qu’elle permettait de moderniser les relations entre nos deux administrations fiscales.
Ce texte tenait compte des priorités de la France et des dernières normes édictées par l’OCDE en matière d’échange d’informations et de mesures relatives à la prévention de l’érosion de la base d’imposition et au transfert des bénéfices.
La convention de 2018 avait trois objectifs : éviter les doubles impositions et les doubles exonérations, accroître la sécurité juridique des opérateurs des deux pays et renforcer les moyens de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Je tiens d’emblée à vous signaler que le présent avenant ne modifie pas cet équilibre et ne revient pas sur des acquis réclamés de longue date au Luxembourg.
J’entends les inquiétudes que peut susciter la modification d’accords avec un pays tel que le Luxembourg. Toutefois, le présent avenant n’est qu’une simple clarification des modalités d’élimination des doubles impositions. Ce n’est pas par avenant que nous allons régler les sujets sur lesquels nous pouvons avoir des discussions avec le Luxembourg en matière de transparence, d’optimisation ou d’évasion fiscales.
L’avenant clarifie les règles d’imposition des revenus d’emploi des travailleurs frontaliers et des revenus issus de biens immobiliers situés au Luxembourg. Il est donc avant tout une modification technique.
Le Luxembourg, pays de 626 000 habitants, compte, parmi sa population salariée, plus de 46 % de travailleurs non résidents. Parmi eux, plus de la moitié résident en France.
Au premier trimestre de cette année, il y avait plus de 107 000 travailleurs frontaliers français. Ce sont ces derniers qui ont alerté les autorités sur les conséquences de la modification des règles relatives à l’élimination des doubles impositions, à l’article 22 de la convention de 2018.
Tel qu’il est rédigé, cet article laisse entendre que, selon la situation, les revenus d’emploi des travailleurs frontaliers peuvent être imposés deux fois. Selon la convention, ils ne sont pourtant imposables que dans l’État où est exercée l’activité.
Or la France a choisi de recourir, pour une partie des revenus ciblés par la convention, à la méthode de l’imputation. Cela revient, pour l’administration fiscale et dans certaines situations, à imputer sur le montant de l’impôt théoriquement dû en France un crédit d’impôt dont le montant est égal à l’impôt effectivement acquitté au Luxembourg.
L’article 22 laisse ainsi ouverte la possibilité pour la France d’imposer le différentiel entre l’impôt acquitté par les travailleurs frontaliers sur leurs revenus d’emploi au Luxembourg et l’impôt qu’ils auraient payé en France sur ces mêmes revenus en appliquant les dispositions du code général des impôts.
Ce n’est donc pas à proprement parler un risque de double imposition, mais un risque d’une imposition en deux temps.
Cette inquiétude s’est trouvée renforcée par l’adoption en 2017 au Luxembourg d’une réforme de l’impôt sur le revenu favorable, par rapport au système français, aux personnes dont le revenu est inférieur à 36 000 euros par part. Le risque d’un différentiel d’impôt entre la France et le Luxembourg était donc d’autant plus élevé.
Par ailleurs, le Luxembourg réfléchit à une nouvelle réforme de l’impôt sur le revenu qui soit plus favorable aux célibataires, ce qui aurait encore plus renforcé le risque d’une double imposition.
Dans le système antérieur, celui de la convention de 1958, la France avait choisi la méthode de l’exemption : si les revenus d’emploi étaient imposables au Luxembourg, alors ils étaient totalement exonérés d’impôt en France.
Toutefois, l’administration fiscale pouvait en tenir compte pour calculer le taux effectif d’impôt sur l’ensemble des revenus du ménage. C’est le principe dit de l’imposition partagée, et c’est celui qui était également retenu pour les revenus issus de biens immobiliers situés au Luxembourg.
La méthode retenue pour les revenus immobiliers dans la convention de 2018 a suscité les mêmes réticences que celle qui concerne les revenus d’emploi des travailleurs frontaliers. Comme pour ces derniers, les revenus immobiliers ne sont pourtant imposables que dans l’État où se situent les biens.
Dans ce cadre, que fait le présent avenant, signé à peine plus d’un an après l’adoption de la nouvelle convention fiscale entre la France et le Luxembourg ? Il revient au système antérieur pour les revenus des travailleurs frontaliers et pour les revenus immobiliers et, surtout, il clarifie l’ensemble des règles relatives à l’élimination des doubles impositions.
Concrètement, les revenus d’emploi des travailleurs frontaliers seront exonérés d’impôt en France s’ils ont bien été soumis à l’impôt au Luxembourg. Les revenus issus des biens immobiliers situés au Luxembourg seront exonérés d’impôt en France, mais l’administration fiscale les prendra en compte pour déterminer le taux effectif d’imposition de l’ensemble des revenus immobiliers du ménage.
L’avenant entend ainsi lever toute ambiguïté et s’assurer que les revenus d’emploi et certains revenus immobiliers ne soient pas imposés deux fois. Je me répète, ces nouvelles méthodes de calcul ne créent pas d’avantage particulier : elles reprennent des dispositions que la France a déjà conclues dans le cadre de conventions fiscales signées avec d’autres pays et qui étaient en vigueur avant l’adoption de la nouvelle convention.
Cet avenant, dont la date d’entrée en vigueur est fixée au 1er janvier 2020, a déjà été ratifié par la partie luxembourgeoise. Il permet donc de revenir aux règles prévalant avant la convention de 2018, et ce avant même que les nouvelles modalités n’aient été appliquées. L’incidence sur les recettes fiscales françaises est par conséquent nulle et les acquis de la convention de 2018, qui visaient notamment à éliminer tout risque de double exonération, sont maintenus.
Enfin, pour revenir sur un sujet qui a été abordé en commission par Jean-François Husson, je précise que, en vertu des règles figurant dans la convention, la détermination des règles d’imposition ne se fait pas au choix du contribuable. Elle dépend du type de revenus et du lieu d’émission et de perception de ces revenus. Par ailleurs, le principe de l’imposition partagée permet de tenir compte du niveau des revenus dont l’imposition revient au Luxembourg, pour calculer le taux effectif de l’impôt dû en France.
Quant aux compensations, dont je sais que c’est un enjeu majeur pour les territoires frontaliers, elles ne peuvent pas se régler dans le cadre de ces avenants et conventions.
Ainsi, sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances vous propose, mes chers collègues, d’adopter le projet de loi autorisant la ratification de cet avenant. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Mme Nathalie Goulet. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Hasard des remaniements et de leur calendrier, monsieur Riester, c’est vous qui êtes présent aujourd’hui au banc du Gouvernement. J’avais établi des relations de travail de qualité avec Mme de Montchalin, membre du Gouvernement fort apprécié, et pas uniquement par moi – vous la saluerez de ma part. (M. le ministre opine.)
Nous allons voter l’avenant à cette convention de 2018, puisqu’il ne s’agit que de cela. Comme M. le rapporteur vient de le dire, avec cet avenant, on ne peut que réparer l’erreur commise en 2018 et on ne peut pas traiter les autres sujets. Malgré tout, je vais vous parler de ces autres sujets, parce qu’ils sont importants.
Cet avenant, remarquons-le, est en défaveur du budget de la France. C’est un petit cadeau fiscal fait au Luxembourg, dans la mesure où le différentiel d’imposition ne doit pas être payé par les 107 000 travailleurs frontaliers dans leur pays de résidence. On en revient ainsi à la convention historique de 1958, à l’opposé des préconisations de l’OCDE qui est, elle, favorable à une fiscalité véritablement partagée.
Monsieur le ministre, quelle compensation envisagez-vous de ce petit cadeau fiscal ? D’ailleurs, pourquoi un nouveau cadeau fiscal ? Est-ce parce que notre pays est grand et que le Luxembourg est petit ? Est-ce pour des raisons liées au passé ? Des votes conjoints à la Commission européenne l’expliqueraient-ils ? Existe-t-il des complémentarités entre nos systèmes fiscaux au bénéfice de nos très grandes entreprises ? Est-ce au nom de l’amitié ? Expliquons-le !
Cet avenant ignore le fond de la question fiscale : les quelques pages de l’étude d’impact n’évoquent même pas le rapport de Karl-Heinz Lambertz établi en octobre 2019, au nom du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe – ce n’est pourtant pas une officine marxiste ! –, qui avait été adopté à la quasi-unanimité et dénonçait le manque d’équilibre entre nos deux pays d’un point de vue fiscal et financier. Il n’aborde pas non plus la question sociale.
À maintes reprises, j’ai directement posé mes questions à l’écrit et à l’oral au ministre concerné. J’ai clairement demandé que l’on obtienne un rapport français sur la situation fiscale consolidée entre nos deux pays : en vain ! D’après le rapport précité, les accords paraissent en tout cas plus équilibrés avec les autres pays frontaliers.
Je peux, par exemple, citer les cotisations dépendance, versées dans une caisse au Luxembourg, mais c’est la France qui paye lorsque les travailleurs sont âgés et méritent de bénéficier d’une aide. On évalue le montant de ces sommes à 70 millions d’euros par an.
En raison du système luxembourgeois, un travailleur licencié est indemnisé pendant trois mois par le régime d’assurance chômage luxembourgeois ; au-delà, c’est la France qui paie. En 2017, l’Unédic aurait versé 192 millions d’euros – excusez du peu ! – à ce titre.
Je vous parle donc de justice. À cause de ce dumping fiscal – c’est un sénateur qui vous parle –, les territoires frontaliers sont progressivement asséchés de leur tissu économique et nos collectivités n’ont plus les ressources suffisantes pour financer les nombreux services demandés par les travailleurs frontaliers.
J’aborde maintenant un autre point. Au rythme où fonctionnent nos administrations respectives, ces avenants ratent l’actualité, c’est-à-dire l’épidémie de covid-19, le confinement et la nécessité d’intensifier le télétravail.
Celui-ci a explosé pendant le confinement : tout le monde le comprend et l’apprécie, notamment quand on connaît l’encombrement des axes routiers et ferroviaires pour aller au Luxembourg. Le télétravail est donc une bonne chose.
Dans l’accord de 2018, non seulement la France est déjà la mieux-disante avec vingt-neuf jours de télétravail – je ne parle pas de la possibilité d’exercer son activité vingt-neuf jours en télétravail ; je parle de vingt-neuf jours offerts par la France ! –, mais, en plus, au-delà de ce seuil, il est nécessaire de faire une double déclaration fiscale pour partager la fiscalité du revenu avec le pays de résidence. Quelles compensations avons-nous obtenues ?
Je salue la qualité de nos relations avec nos amis luxembourgeois pendant la crise, puisque de nombreuses coopérations, en matière de santé notamment, ont été mises en place, mais nous leur avons quand même accordé une augmentation de ce seuil de vingt-neuf jours. Je ne vois pas en quoi ce seuil empêchait les frontaliers de télétravailler ! Au-delà de ces vingt-neuf jours, je le répète, il leur suffit de faire une deuxième déclaration fiscale, ce qui ne fait pas forcément de ceux-ci des perdants.
Actuellement, le débat est vif au Luxembourg autour de la nécessité d’accroître ou non la durée du télétravail. Les Luxembourgeois nous sollicitent en ce sens. Mais pourquoi cela se ferait-il sans aucune compensation et aux dépens de notre budget ?
Pour conclure, une conférence intergouvernementale se tiendra dans les prochains mois : il me semble indispensable, monsieur le ministre, d’y traiter cette question de justice financière et d’équilibre entre la France et le Luxembourg, mais aussi d’évoquer la création d’un véritable fonds de codéveloppement entre nos deux pays, qui sont totalement interdépendants.
Ce fonds est préconisé par le conseil départemental de Meurthe-et-Moselle. L’interdépendance est si forte qu’elle nécessite des règles équilibrées et justes. Après tout, la métropole luxembourgeoise n’est autre que la troisième métropole de la Lorraine, pour reprendre les termes du nouveau maire de Nancy, Mathieu Klein. (M. Vincent Éblé applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est la troisième fois en cinq ans que le Parlement examine une convention fiscale entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg.
En décembre 2015 a été ratifié le quatrième et dernier avenant à l’ancienne convention, dont la première version remontait à 1958. Plus récemment, fin 2018, le Sénat ratifiait cette fois-ci la nouvelle convention bilatérale, établie à partir du modèle standard de l’OCDE, également ratifié par la France la même année, et qui s’impose désormais à l’ensemble de nos conventions fiscales.
Dans la mesure où le présent avenant, signé le 10 octobre 2019, contient lui aussi des dispositions de nature législative, il nécessite une approbation par le Parlement au titre de l’article 53 de la Constitution, via un projet de loi spécifique.
La nouvelle convention fiscale avait été ratifiée par le Sénat le 17 décembre 2018. Déjà, la procédure normale avait été rétablie en lieu et place d’un examen en procédure simplifiée.
Tout en saluant le nouvel accord, qui visait à la fois à moderniser notre droit pour prendre en compte les standards internationaux et à mettre un terme aux pratiques passées d’optimisation fiscale, j’avais déjà signalé à l’époque l’angle mort que constituait, à mes yeux, la situation des travailleurs frontaliers, pour lesquels le nouveau texte aurait pu avoir des conséquences imprévues et défavorables. J’avais également regretté le caractère succinct de l’étude d’impact d’alors.
Rappelons qu’il n’est pas possible d’amender un projet de loi de ratification : le Parlement ne peut qu’approuver ou rejeter en bloc ce qui a déjà été négocié et signé en amont. C’est la règle pour tous les traités internationaux. Ni la convention de 2018 ni cet avenant n’y font exception.
La convention, entrée en vigueur cette année, établit le principe de l’imposition en France de l’ensemble des revenus perçus au Luxembourg, afin d’éviter les doubles exonérations. Mais, en même temps, les salariés résidant en France bénéficient d’un crédit d’impôt égal au montant de l’impôt déjà acquitté au Luxembourg, ce qui empêche les doubles impositions, mais n’exclut pas une possible surimposition en France, notamment pour les plus bas salaires.
Cet avenant supprime les sources d’ambiguïté pour les travailleurs frontaliers, ainsi que les inquiétudes de ces derniers. Il revient à la situation antérieure à 2018 pour les revenus d’emploi et les revenus immobiliers de ces travailleurs. On ne peut donc qu’y être favorable, d’autant que cela concerne en particulier les plus bas salaires.
On peut simplement regretter l’absence d’évolution de l’accord en ce qui concerne le télétravail, avec la question sensible du seuil des vingt-neuf jours, qui vient d’être évoquée. En cas de dépassement de ce seuil, le frontalier passe à l’imposition en France pour les journées télétravaillées, mais reste également imposable au Luxembourg.
La façon dont sera effectué le décompte reste à trancher : monsieur le ministre, une heure télétravaillée en France – par exemple le matin de huit heures à neuf heures, afin d’éviter les embouteillages – a-t-elle pour conséquence le retrait d’une journée sur les vingt-neuf jours ? Un découpage en demi-journées est-il envisageable ?
La nécessité d’un renforcement de l’information des entreprises et des travailleurs frontaliers peut faire consensus. Les grands groupes d’audit luxembourgeois, durant leurs séances d’information, précisent aux entreprises luxembourgeoises que, en cas de dépassement du seuil des vingt-neuf jours, elles doivent s’enregistrer en France pour s’acquitter de leur impôt.
Selon nos informations, cela ne devrait pas être obligatoire si l’entreprise ne dispose pas de salarié soumis au système de sécurité sociale français. Mais, avec ce discours, les entreprises verrouillent la pratique du télétravail en deçà des vingt-neuf jours. Du côté français, ne devrait-on pas envisager une communication gouvernementale sur ce thème, ainsi qu’en direction des travailleurs frontaliers ? Sur ce dossier, le centre de ressources Frontaliers Grand-Est mis en place par la région peut être un relais d’information efficace.
Au-delà des questions techniques de fiscalité, nous devons garder à l’esprit les préoccupations quotidiennes des frontaliers : les nuisances liées à l’engorgement des voies de communication, les embouteillages, la perte de temps, ainsi que les risques d’accident et la pollution qui ont des conséquences sanitaires et financières somme toute importantes.
À ces difficultés, le télétravail apporte des solutions pratiques, que l’on a pu particulièrement observer pendant la période de confinement. Reste à mettre en place le cadre juridique adapté et pleinement satisfaisant pour toutes les parties.
L’accord temporaire, qui a été rappelé par la secrétaire d’État Christelle Dubos à l’Assemblée nationale il y a quelques semaines, et qui est prorogé jusqu’au 31 août 2020, ouvre une voie intéressante.
Petit par sa taille, le Grand-Duché constitue un pôle économique majeur dans la région et reste un partenaire important à l’échelon européen du fait de sa situation géographique et historique. Sa position intermédiaire entre pays du Nord et pays du Sud lors des récentes négociations sur le plan de relance européen en témoigne encore une fois. Il participe également au financement d’infrastructures du côté français, comme à Thionville ou à Longwy.
Ensemble, nous devons aller davantage vers la coconstruction – je ne parlerai pas de rétrocession et préfère refermer la parenthèse pour ne pas rouvrir le débat – d’une véritable agglomération transfrontalière, dynamique et équilibrée.
Les accords fiscaux doivent favoriser une coopération plus transparente et plus fluide entre les administrations des deux pays, tout en préservant les spécificités nationales.
En conclusion, compte tenu de toutes ces remarques et des possibles débats que j’ai évoqués, le groupe du RDSE votera pour ce projet de loi de ratification. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)