Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Françoise Gatel, M. Guy-Dominique Kennel.
2. Candidature à une commission
3. Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. Jean Castex, Premier ministre
M. Jean Castex, Premier ministre
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
4. Loi de finances rectificative pour 2020. – Discussion d’un projet de loi
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
M. Olivier Dussopt, ministre délégué
Clôture de la discussion générale.
Renvoi de la suite de la discussion.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
5. Questions d’actualité au Gouvernement
contrats de développement écologique
Mme Françoise Cartron ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique.
aménagement et attractivité des territoires
M. Jean-Marc Gabouty ; M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
mise en œuvre des propositions de la convention citoyenne pour le climat
Mme Esther Benbassa ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; Mme Esther Benbassa.
politique du gouvernement en matière d’égalité homme-femme
Mme Muriel Cabaret ; M. Jean Castex, Premier ministre.
M. Joël Guerriau ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l’attractivité ; M. Joël Guerriau.
M. Jean-Raymond Hugonet ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur ; M. Jean-Raymond Hugonet.
protection des données de santé
Mme Catherine Morin-Desailly ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Catherine Morin-Desailly.
conséquences des résultats du bac sur les admissions dans l’enseignement supérieur
M. Stéphane Piednoir ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; M. Stéphane Piednoir.
cohésion des territoires et plan de relance
M. Jean-Jacques Lozach ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
ambition écologique du gouvernement
M. Jean-François Husson ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; M. Jean-François Husson.
versement d’une aide sociale aux petits entrepreneurs par le conseil départemental
M. Loïc Hervé ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; M. Loïc Hervé.
Mme Annie Delmont-Koropoulis ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Annie Delmont-Koropoulis.
M. Julien Bargeton ; Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
M. Pierre Cuypers ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Pierre Cuypers.
M. Yves Daudigny ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; M. Yves Daudigny.
Nomination d’un membre d’une commission
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Françoise Gatel,
M. Guy-Dominique Kennel.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des lois a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
3
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
Mes chers collègues, je vous rappelle que, en vertu des règles sanitaires, il convient de laisser un siège vide entre deux sièges occupés ou, à défaut, de porter un masque. Ce n’est pas qu’une formule rituelle : nous devons tous y être attentifs !
Je vous rappelle également – ce n’est pas tout à fait ce qui s’est passé hier – que vous devez sortir de la salle des séances par les portes situées sur le pourtour de l’hémicycle ; les membres du Gouvernement doivent, quant à eux, sortir par le devant.
Enfin, je salue M. le Premier ministre, ainsi que Mmes et MM. les ministres présents parmi nous ce matin.
La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous dire l’immense honneur et la grande émotion que je ressens au moment de m’exprimer devant la Haute Assemblée que vous formez.
Si j’ai tenu à présenter la politique de mon gouvernement devant le Sénat, c’est avant tout pour marquer mon attachement personnel, peut-être familial aussi, au bicamérisme…
M. Jean Castex, Premier ministre. … et à l’équilibre démocratique qu’il garantit.
Devant vous, comme hier devant l’Assemblée nationale, je veux témoigner de notre profond attachement à notre système représentatif.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean Castex, Premier ministre. Je m’adresse à vous, ce matin, dans un moment très particulier pour notre pays.
Je mesure pleinement la gravité du contexte national, européen et international dans lequel j’ai accédé à cette haute responsabilité. Je mesure que je dirige un gouvernement de crise, donc un gouvernement de combat.
L’actualité me conduit à rappeler que la crise, c’est encore et toujours la crise sanitaire. Je tiens à préciser au Sénat les intentions du Gouvernement dans la période actuelle, marquée – vous le savez – à la fois par une forte activité de l’épidémie dans certaines parties du monde et par une situation nationale qui, au contraire, reste orientée de manière plutôt favorable, même si certaines situations localisées exigent la plus grande vigilance. Je pense notamment à la Guyane, où j’ai d’ailleurs tenu à me rendre dès ma prise de fonctions.
En conséquence, les mesures que je vais prendre, annoncées par le chef de l’État, ne visent pas tant à répondre, ici, en métropole, à une situation d’urgence, qu’à nous inscrire dans une logique préventive.
À cet effet, nous allons agir dans trois directions.
Premièrement, nous sommes en train de renforcer nos dispositifs de contrôle des entrées sur le territoire pour les voyageurs en provenance de tous les pays où la circulation virale est plus forte. Les personnes concernées sont souvent des ressortissants français : c’est pourquoi les interdictions absolues sont difficiles à concevoir.
L’idéal serait que les contrôles sanitaires soient effectués dans les pays de départ ; c’est d’ailleurs ce qui est envisagé. Mais nous devons être pragmatiques : sans certitude absolue qu’une telle action soit possible, j’ai décidé que nous allions amplifier les mesures de contrôle sanitaire à l’arrivée sur le territoire national, dans les ports et les aéroports.
Deuxièmement, nous entendons développer encore les tests de dépistage. Leur volume est en constante augmentation ; et le point le plus positif, c’est que leur résultat, quand ils sont pratiqués, demeure très largement favorable. En tout cas, le nombre de tests positifs est très nettement inférieur aux modélisations réalisées au mois de mai dernier, ce qui témoigne sans doute de l’efficacité de la politique conduite.
Cela étant, le nombre de tests demeure insuffisant, ce qui s’explique par la considération précédente. Je le dis au Sénat : nous ne manquons ni d’équipements ni de personnels pour les réaliser, notamment depuis que les techniciens de laboratoire ont été autorisés à effectuer les prélèvements ; mais nos concitoyens ne se font pas suffisamment tester, tout simplement… (Marques de scepticisme sur les travées des groupes SOCR, CRCE et Les Républicains. – Mme Éliane Assassi s’esclaffe.)
M. Pierre Cuypers. C’est la meilleure !
Mme Annie Guillemot. Ce n’est pas vrai !
M. Jean Castex, Premier ministre. Nos concitoyens sont sensibles à l’ambiance générale – on affirme que l’épidémie est maîtrisée, ce qui est le cas. Il faut donc lever tous les obstacles, y compris psychologiques, qui expliquent cette situation.
Ainsi, le Président de la République a annoncé la fin des prescriptions médicales obligatoires pour se faire tester. En outre, j’ai demandé que nous accélérions l’évaluation de la fiabilité scientifique des tests salivaires, lesquels sont beaucoup plus simples à réaliser et beaucoup moins douloureux.
Par ailleurs, nous devrons continuer à intensifier les actions proactives, en invitant les habitants de certaines communes et de certains quartiers à réaliser des tests. Nous avons entrepris cet effort il y a plusieurs semaines, notamment en Île-de-France, et son efficacité est certaine.
Troisièmement, et enfin, le port du masque constitue, avec le respect des gestes dits « barrières », une mesure de prévention et de protection efficace. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Vous n’avez pas toujours dit cela !
M. Jean Castex, Premier ministre. J’ai donc proposé que l’obligation de le porter soit renforcée dans tous les établissements recevant du public clos, en particulier – ce n’est pas le cas aujourd’hui – les commerces. Cette mesure nécessite un décret, alors que, dans les locaux dits « professionnels », elle suppose une évolution des protocoles sanitaires régissant les activités concernées.
Nous envisagions une entrée en vigueur de ces dispositions le 1er août prochain, car – j’y insiste – nous agissons dans une logique préventive, et non sous l’empire de l’urgence. (Exclamations sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Même pas de l’urgence sanitaire !
M. Jean Castex, Premier ministre. J’ai entendu et compris que cette échéance paraissait tardive ou suscitait quelques interrogations : le décret entrera donc en vigueur la semaine prochaine. (Applaudissements sur des travées des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Jean Castex, Premier ministre. Par ailleurs, j’ai demandé aux ministres chargés de la santé, de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur de donner très rapidement des indications précises aux familles et au corps enseignant quant aux conditions dans lesquelles se déroulera la rentrée de septembre dans les établissements d’enseignement.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans la gestion de cette crise, les élus ont été remarquables d’implication et de dévouement,…
M. Christophe Priou. Les élus locaux !
M. Antoine Lefèvre. Oui !
M. Jean Castex, Premier ministre. … qui ont, comme toujours, été des combattants de la première ligne et de la première heure.
Vous le savez, chargé par le précédent gouvernement de préparer le déconfinement, j’avais recommandé que le couple maire-préfet de département soit placé au cœur du dispositif, ce qui fut fait. J’avais également suggéré que l’on soutienne les collectivités territoriales dans leur politique d’acquisition de masques pour conforter et démultiplier nos actions, ce qui fut fait également.
Au-delà de la crise sanitaire, nous devrons en tirer, ensemble, un enseignement structurel pour la conduite de l’action publique. Nous connaissons en effet une crise économique et sociale sans précédent.
Depuis plusieurs mois, cette crise frappe notre économie très durement. Elle accentue encore la vulnérabilité des plus démunis – j’y reviendrai – et risque de creuser les inégalités, y compris – elle l’a déjà fait – face à la maladie. Elle dégrade fortement nos finances publiques et nos finances sociales, venant fragiliser notre modèle. Elle nous rappelle également l’ampleur du défi écologique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il est des heures où l’ensemble des forces vives d’un pays doivent plus que jamais se rassembler. Ma conviction est que nous sommes précisément dans un tel moment.
Ce qui m’anime, c’est l’esprit de dialogue, la volonté de dépasser les postures et les clivages ; et ce sont, je le sais, des principes qui vous sont chers.
À ce titre, les Français eux-mêmes nous ont donné l’exemple. Ils ont été solidaires et résilients face à la crise sanitaire.
Nous devons prendre collectivement la mesure de la situation. Si nous ne réagissons pas, elle pourrait accentuer les fractures qui traversent notre pays et menacer notre unité, déjà bien mise à mal, notamment en aggravant les fractures territoriales.
Prendre cette crise à bras-le-corps, protéger les Français, reconstruire notre économie et, au-delà, conforter notre pacte républicain : tels sont les défis qui se présentent devant moi et devant le gouvernement que je conduis.
Mon discours de politique générale, prononcé hier devant l’Assemblée nationale, a été lu devant vous par M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je ne reviendrai donc pas en détail sur l’ensemble des mesures que j’ai évoquées.
Mme Catherine Procaccia. Merci ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Castex, Premier ministre. Vous l’avez compris : ma conviction est que, pour réussir, nous devons changer nos façons de faire.
Il faut le dire et le réaffirmer : l’État a un rôle majeur, mais il ne pourra agir seul. Il devra fédérer les bonnes volontés, mobiliser toutes les énergies et faire confiance à tous ses partenaires, à commencer par les collectivités, que vous représentez.
Je suis aujourd’hui devant la chambre des territoires, et c’est de ces derniers que je me revendique : j’entends être le Premier ministre des territoires et de la vie quotidienne des gens.
J’évoquerai les priorités de mon gouvernement pour les deux prochaines années. Je vous exposerai également la manière dont j’entends engager la mise en œuvre concrète de ces orientations. En effet, l’exercice de la responsabilité politique ne peut s’arrêter aux intentions, si louables et ambitieuses soient-elles. Rien ne vaut sans l’obsession du résultat et de l’impact sur la vie de nos concitoyens.
J’ai rappelé hier cette phrase célèbre : « L’intendance suivra. »
M. Jean-Claude Requier. De Gaulle !
M. Jean Castex, Premier ministre. Non, l’intendance ne suit pas, en tout cas pas toujours, et même de moins en moins, alors même que cela devrait être la priorité. La mise en œuvre, l’exécution, les conditions de réalisation doivent entrer clairement dans le champ de la politique et ne plus être considérées comme de simples sujets triviaux et techniques.
Je vous le concède volontiers : il s’agit là d’un choc culturel dans un pays où, depuis le siècle des Lumières, le débat d’idées, l’invocation des grands principes et le maniement des concepts monopolisent le débat public.
C’est sur l’exécution que nos concitoyens nous attendent et sont fondés à nous juger. C’est surtout par l’exécution, par la charge de la preuve, que se reconstruira la confiance, dont les responsables publics ont tant besoin et qui, vous le savez comme moi, s’est fortement altérée.
Pour réussir, nous ne pouvons donc pas nous contenter de fixer un cadre juridique national. Nous devons nous impliquer dans le déploiement, dans la mise en œuvre des politiques publiques au sein des territoires, pour les adapter à la vie des gens dans nos régions, nos départements, nos cantons, nos communes et nos quartiers.
Pour cela, il faut faire confiance aux territoires.
La France des territoires, c’est la France de la proximité,… (Murmures sur les travées des groupes SOCR, CRCE et Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Sueur. Lapalissades !
M. Jean Castex, Premier ministre. … à laquelle nous devons impérativement faire confiance, car elle détient, pour une large part, les leviers du sursaut collectif.
Libérer les territoires, c’est libérer les énergies.
Mme Éliane Assassi. Du Juppé dans le texte !
M. Jean Castex, Premier ministre. Nous devons réarmer nos territoires. Nous devons investir dans nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants. – M. Jean-Claude Requier applaudit également. – Marques d’ironie sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. Jean-Pierre Sueur. Quelle litanie…
M. Vincent Éblé. Aux actes !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais concrètement ?
M. Jean Castex, Premier ministre. La République territoriale, c’est l’unité dans la diversité.
Je compte sur vous, durant les 600 jours qu’il nous reste, pour m’aider dans un esprit de concorde, parce que, si la défiance progresse encore, elle nous emportera tous.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la bataille de l’emploi sera la priorité absolue. Pour 2020, nous prévoyons à ce jour une récession de 11 %, soit la récession la plus sévère depuis que les comptes nationaux ont été créés.
Derrière les données comptables, il y a des drames humains, des territoires meurtris. Tout cela, nous devons le prévoir, l’accompagner, le soulager, et nous devons aller plus loin. Nous devons nous saisir de cette situation pour reconvertir notre économie, nos travailleurs et nos salariés ; pour les rendre plus forts et plus compétitifs ; pour les orienter davantage vers une croissance durable et respectueuse de l’environnement.
Tel est l’objectif central, et même unique, de notre politique, notamment du plan de relance de l’économie que j’ai présenté hier à l’Assemblée nationale.
À l’occasion de ce débat, j’ai entendu que nous n’agirions ni assez vite ni assez fort pour soutenir l’économie et lutter contre la dégradation de l’emploi.
M. Pierre Charon. C’est vrai !
M. Jean Castex, Premier ministre. Je vous le confirme : nous avons pour objectif de présenter notre ambitieux plan de relance à la fin du mois d’août prochain, après une phase de concertation.
M. Jean-François Husson. Encore quelques centaines de milliards d’euros…
M. Jean Castex, Premier ministre. L’explication de ce calendrier est simple : ce plan sera la nouvelle étape d’un processus de soutien à l’activité caractérisé par son ampleur et sa précocité et engagé sous l’égide de mon prédécesseur. Vous en connaissez les vecteurs : le chômage partiel, les prêts garantis par l’État et le fonds de solidarité, qui ont représenté un effort global et massif de près de 500 milliards d’euros.
Cette politique nous a permis d’éviter l’effondrement de notre économie. Lorsque nous regardons autour de nous, nous constatons qu’elle a été la plus ambitieuse d’Europe ; ses résultats ont été salués par tous, à commencer par le peuple français.
Très vite et très tôt, nous avons également mis en place des plans sectoriels très ambitieux dans le tourisme, l’aéronautique, l’automobile, la culture, le commerce, le bâtiment et les travaux publics (BTP), ou encore les nouvelles technologies. Vous le vérifierez, car tel est votre rôle, mesdames, messieurs les sénateurs : tout cela a porté ses fruits.
Grâce à ces mesures, les derniers chiffres publiés par l’Insee et par la Banque de France semblent indiquer une reprise plus rapide que prévu.
M. Jérôme Bascher. Mais grâce à qui ?
M. Jean Castex, Premier ministre. En particulier, la consommation des ménages affiche une reprise solide depuis la fin du confinement.
Nous ne disposons pas encore des chiffres définitifs, mais nous n’excluons pas que, au mois de juin dernier, la consommation ait été proche de son niveau normal, avec un effet de rattrapage marqué pour les biens d’équipement.
Grâce au plan relatif au secteur automobile que j’ai évoqué, les immatriculations de véhicules neufs ont retrouvé dès le mois de juin leur niveau de février. Elles l’ont même dépassé de 30 % pour les ventes aux particuliers.
Nous nous inscrivons donc dans la continuité de ce qui a été fait. Tout ne commence pas avec le plan de relance. Il s’agit d’une nouvelle étape, mais notre philosophie est inchangée : protéger les Français, reconstruire et moderniser la France.
En particulier, en prolongeant les dispositifs d’activité partielle, nous mettons tout en œuvre pour préserver l’emploi et les salaires dans les entreprises les plus touchées par la crise.
Je le dis et je le répète – nous en parlerons demain avec les partenaires sociaux –, le Gouvernement a pris acte de ce contexte économique bouleversé en décidant d’aménager la réforme de l’assurance chômage. Il s’agit là d’une bonne réforme, mais elle a été élaborée dans d’autres circonstances et elle est nécessairement affectée par ce nouveau contexte.
La première urgence, parce qu’ils seront nécessairement les premiers touchés par la crise économique, ce sont les jeunes. Au total, 700 000 à 800 000 d’entre eux vont arriver sur le marché du travail. C’est une force pour notre pays – nos voisins allemands seraient très heureux d’avoir autant de jeunes ! –,…
M. Christophe Priou. Et nous serions très heureux d’avoir leurs excédents !
M. Jean Castex, Premier ministre. … mais cette situation nous oblige. Pendant le confinement, beaucoup ont vu leurs études arrêtées, leurs stages interrompus, leur vie sociale profondément perturbée.
La Nation ne peut pas accepter que le chômage constitue le seul horizon pour ces centaines de milliers de jeunes Français. Il n’est pas question de laisser s’installer l’idée d’une génération sacrifiée à cause de cette crise.
Pour cela, nous allons engager des mesures fortes. Elles seront au menu de la conférence que nous tiendrons demain avec les partenaires sociaux, mais – je le dis à la représentation nationale – elles sont encore susceptibles d’être améliorées.
L’État a la volonté de baisser très fortement le coût du travail pour faciliter l’embauche des jeunes. Parallèlement, nous allons développer massivement, dans des proportions qui n’ont jamais été atteintes, les dispositifs d’insertion, en particulier à l’intention des jeunes les plus en difficulté.
Le service civique, au service de l’engagement des jeunes et de leur insertion, sera considérablement renforcé. Ce sera aussi l’une des manières de soutenir nos associations et leurs vingt millions de bénévoles, qui – personne ne l’oublie – sont un atout majeur pour renforcer la cohésion nationale et le lien social dans notre pays.
À l’université, la crise a agi comme révélateur des difficultés que rencontrent encore de trop nombreux étudiants. Nous avons décidé de geler les droits d’inscription et de porter à 1 euro le prix des repas dans les restaurants universitaires pour les étudiants boursiers.
M. Jean-Pierre Sueur. Les seules mesures concrètes…
M. Jean Castex, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, pour conforter notre action et notre cohésion, nous devons aussi consolider notre modèle social, que la crise affecte fortement. Aujourd’hui, ce dernier exige, de notre part, des interventions fortes et nouvelles : il faut améliorer son fonctionnement et mieux en garantir les équilibres dans la durée.
Je pense tout d’abord – évidemment ! – à notre système de santé. Finalement, ce dernier a démontré sa robustesse au cours des derniers mois, dans un contexte de tension extrême, qui – nous devons bien le reconnaître – préexistait à la crise du covid. Cette situation appelait une réponse d’envergure, et ce de toute urgence.
C’est l’objet du Ségur de la santé, qui a été lancé par mon prédécesseur en mai dernier et qui s’achèvera dans les prochains jours. À l’issue d’une négociation avec l’ensemble des acteurs, un accord majoritaire – un accord historique – a été conclu lundi dernier.
Cet accord, c’est d’abord le témoignage de reconnaissance de la Nation tout entière à l’endroit des personnels de santé : une mise à niveau de leur rémunération est prévue, de même qu’un investissement massif pour transformer et moderniser notre système.
Ainsi, 8 milliards d’euros seront consacrés à la revalorisation des salaires, ainsi qu’il était prévu, mais aussi, comme je l’ai annoncé ici même la semaine dernière, à la création d’emplois, ce qui n’était pas envisagé dans le projet initial.
Dans le cadre du plan de relance, 6 milliards d’euros seront alloués à l’investissement en ville et à l’hôpital, dans le domaine immobilier, mais aussi pour l’e-santé. Enfin, la reprise de 13 milliards d’euros de dette hospitalière permettra aux établissements de retrouver de l’oxygène, donc une capacité à investir – à l’hôpital comme ailleurs, vous le savez bien, l’investissement constitue l’un des leviers essentiels de la relance économique.
Au-delà de ces moyens financiers, il faut améliorer le fonctionnement quotidien des structures en leur donnant davantage de souplesse : elles doivent pouvoir déroger à certains cadres nationaux sur des questions de gouvernance interne, d’organisation et de modalités de temps de travail. Nous devons aussi favoriser davantage les logiques de décloisonnement entre ville et hôpital, à l’échelle des territoires.
Enfin, il faut permettre aux collectivités territoriales d’être davantage parties prenantes des stratégies d’investissement et d’organisation des soins, au niveau tant des agences régionales de santé que des établissements eux-mêmes.
À cet effet, je souhaite que régions, départements et intercommunalités puissent prendre une part plus grande dans la gestion de notre système de santé et, s’ils le souhaitent, s’associer aux investissements que nous allons décider en sa faveur. (Marques d’ironie sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Évidemment, quand il s’agit de payer…
M. Jean-Pierre Sueur. Les collectivités contribuent déjà !
M. Jean Castex, Premier ministre. Cela se fera dans un cadre clair, sur la base de contrats territoriaux conclus avec l’État et les structures de soins, et avec à la clé, je le répète, une participation accrue des élus à la gouvernance du système.
Je n’ignore pas que l’autre question majeure que nous posent nos concitoyens dans le domaine de la santé a trait à la difficulté qu’ils rencontrent pour accéder à un médecin, généraliste ou spécialiste, notamment en ville. Nous connaissons tous ici la difficulté du problème : il faut dix ans pour former de nouveaux médecins, et la tension, déjà réelle, s’étendra dans les prochaines années à la plupart des territoires.
Nous devons agir de manière pragmatique, pour être efficaces à court terme. La seule solution, en tout cas l’une des principales, consiste à permettre aux médecins en exercice de travailler dans de meilleures conditions, au sein d’organisations plus collectives, en favorisant la délégation de plus de tâches, en les dotant d’assistants médicaux et en les allégeant des trop nombreuses charges administratives, qui leur prennent du temps.
M. Vincent Segouin. Cela existe déjà !
M. Jean Castex, Premier ministre. L’autre priorité est de recourir davantage à la télémédecine, dont j’ai pu constater dans mon territoire qu’elle a connu, à la faveur de la crise du covid, un essor tout à fait spectaculaire, presque inattendu dans son ampleur. Il nous appartient maintenant de consolider et de sécuriser sa place parmi les pratiques médicales.
Nous ne retrouverons pas l’unité sans une attention accrue aux plus vulnérables d’entre nous. Davantage touchés par la crise sanitaire, ils seront également, avec les jeunes, les plus fortement affectés par la crise économique, à commencer par les personnes en situation de handicap. Nous réunirons une Conférence nationale du handicap consacrée à ces sujets.
Mesdames, messieurs les sénateurs, consolider notre modèle de protection sociale, c’est aussi prendre les mesures nécessaires pour assurer sa pérennité.
En matière de retraites, la crise nous invite plus que jamais à poursuivre nos objectifs vers un système plus juste et plus équitable, notamment pour les femmes et les travailleurs modestes.
Ce système passe par la création d’un régime universel, ce qui, à mes yeux, implique clairement – je l’ai dit, je le répète – la disparition à terme des régimes spéciaux, étant entendu que nous prendrons pleinement en considération, comme nous avons commencé de le faire lors de la réforme de 2008, la situation des bénéficiaires actuels de ces régimes.
Je suis déterminé à ce que cette réforme aille à son terme d’ici à la fin de la législature, parce que c’est l’intérêt du pays. Dans le même temps, je pense que nous devons entendre les inquiétudes et les incompréhensions exprimées par nos concitoyens s’agissant de certaines modalités du projet dont le Parlement a été saisi.
Mme Éliane Assassi. Ils ont très bien compris vos intentions !
M. Jean Castex, Premier ministre. Je proposerai donc aux partenaires sociaux, comme aux parlementaires, que, sur les bases que je viens d’indiquer, la concertation reprenne rapidement, afin d’améliorer le contenu et la lisibilité de cette réforme nécessaire, en la distinguant très clairement de tout enjeu d’ajustement paramétrique – pour employer une formule technocratique – des régimes existants.
En effet, je suis convaincu que, s’agissant d’une réforme qui nous engagera pour des décennies, il est nécessaire que nous prenions le temps d’essayer de trouver les meilleurs points d’équilibre. En ce sens, cette réforme s’inscrit pour moi dans la continuité de la première phase de réforme des régimes spéciaux, décidée en 2007.
Au-delà de la retraite, nous devons répondre aussi à la question du grand âge et de la dépendance. Ce chantier si souvent annoncé, si longtemps attendu et sur lequel le Sénat, monsieur le président, a déjà apporté de nombreuses contributions, doit aboutir à un projet de loi, dont vous serez saisis au premier semestre de l’année prochaine.
Par ailleurs, je demanderai demain aux partenaires sociaux de se saisir, avec l’État, des questions liées à l’équilibre de l’ensemble des régimes de protection sociale, profondément affectés par la crise.
L’unité suppose aussi que l’État demeure le garant de l’ordre républicain. L’État doit être le même pour tous : nous ne tolérerons aucune zone de non-droit ! (M. Stéphane Ravier s’esclaffe.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Chiche !
M. Jean Castex, Premier ministre. À tous nos concitoyens, je veux affirmer notre totale détermination à assurer leur sécurité. Je le disais hier à l’Assemblée nationale et je le répète devant vous ce matin : nous ne montrerons aucune faiblesse contre tous ceux qui s’en prennent à l’ordre public, tentent de fracturer le pays entre communautés et portent atteinte aux valeurs cardinales de la laïcité.
À nos policiers et gendarmes j’exprime, au nom de la Nation, mon profond respect et ma gratitude. Incarnant l’ordre républicain, ils exercent leur mission dans des conditions parfois extrêmement délicates. Je veillerai, avec M. le ministre de l’intérieur, à ce qu’ils obtiennent les moyens matériels et humains nécessaires pour conduire leurs missions et à ce qu’ils puissent être présents là où ils sont attendus, sur le terrain, en étant déchargés au maximum de tâches administratives parfois chronophages.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cela fait trente ans qu’on le dit…
M. Jean Castex, Premier ministre. Je ne puis parler de ceux qui protègent les Français sans évoquer le rôle fondamental de nos armées. Dans le combat contre les ennemis de la liberté, elles portent haut les couleurs de la France !
M. Jérôme Bascher. On vous jugera sur vos actes !
M. Jean Castex, Premier ministre. Je me plais à souligner que c’est sous cette mandature qu’un effort exceptionnel de la Nation a été décidé pour renforcer leur efficacité.
Permettez-moi d’insister devant vous, comme je l’ai fait hier devant les députés, sur ceci : pour que l’ordre républicain soit effectif et la sécurité de nos concitoyens assurée, il faut, bien sûr, que les forces de police et de gendarmerie reçoivent la reconnaissance et les moyens nécessaires à l’accomplissement de leur mission, mais il faut aussi, et peut-être surtout, que les moyens d’action de la justice soient renforcés, pour que celle-ci soit rendue plus accessible, plus compréhensible et plus efficace.
M. Jean-Pierre Sueur. Qui va payer ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Je disais, voilà quelques instants, que certaines choses doivent être faites par d’autres, qui les feront mieux. Mais, avec la justice, nous sommes au cœur des prérogatives de l’État : la justice, c’est l’État, et l’État, c’est la justice !
Or c’est un fait historique, démontré par les comparaisons internationales, dont celles, nombreuses, établies par cette assemblée : depuis de nombreuses années, l’État ne donne pas à la justice ses moyens d’intervention. Il en résulte que l’action des forces de l’ordre reste parfois sans suite et que des situations d’impunité sont ressenties comme particulièrement inacceptables par nos concitoyens et les élus de territoire – les maires au premier chef.
M. Antoine Lefèvre. Oui !
M. Jean Castex, Premier ministre. Vous avez voté une loi de programmation et de réforme de la justice ; j’entends en accélérer la mise en œuvre, en réorientant par redéploiement, dès l’année prochaine, des moyens affectés au budget de ce ministère, notamment pour rendre plus rapide et effective la réponse judiciaire, améliorer la politique des peines, garantir la dignité et la réinsertion des prisonniers et moderniser le fonctionnement des juridictions.
M. Jean-Pierre Sueur. Qui va payer ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Toutes et tous dans cet hémicycle, forts de vos expériences de terrain, vous le savez : on pourra à l’envi augmenter les moyens de la police et de la gendarmerie, si la réponse judiciaire ne suit pas, il ne se passera rien… Il faut donc aller au cœur du dispositif : c’est le devoir de l’État, c’est l’intention de mon gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – MM. Jérôme Bignon et Pierre Louault applaudissent également.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Chiche !
M. Jean Castex, Premier ministre. Renforcer la confiance, c’est, enfin, veiller à ce que la justice soit rendue dans les conditions d’écoute et de dialogue les plus complètes ; c’est un chantier auquel le garde des sceaux est particulièrement attaché.
Aucune forme de violence ne peut être tolérée ! La lutte contre les violences conjugales sera l’une des grandes priorités de la politique pénale du Gouvernement. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
Mme Laurence Rossignol. La case est cochée : il a prononcé le mot, c’est bon !
M. Jean Castex, Premier ministre. Faire régner l’ordre, rendre la justice : ce sont les valeurs cardinales de l’État.
Mesdames, messieurs les sénateurs, parlant du pacte républicain et de l’unité de la Nation, je tiens à marquer mon attachement profond à l’école de la République.
Fils d’institutrice, je sais ce que je dois à la méritocratie républicaine. (M. Martin Lévrier applaudit. – Murmures sur les travées des groupes SOCR et CRCE.) Je veux d’ailleurs dire toute mon admiration au corps enseignant. Depuis trois ans, une profonde refondation de l’école a été engagée ; nous la poursuivrons, en tirant, là aussi, les enseignements de la crise et en concentrant notre action sur les enfants qui ont décroché durant le confinement.
Ainsi, dès le début de l’année scolaire, les professeurs veilleront à identifier les besoins de chaque élève, grâce à des évaluations nationales. Chaque famille qui en fera la demande pourra bénéficier pour son enfant d’un programme personnalisé de soutien scolaire au cours du premier trimestre de l’année scolaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’achèverai en vous disant…
M. Jean-Pierre Sueur. Qui va payer, peut-être ?…
M. Jean Castex, Premier ministre. … que mon gouvernement s’appuiera sur les territoires pour conduire sa politique. (M. Martin Lévrier applaudit.)
C’est une question de respect ; c’est surtout une question d’efficacité. Car si l’État, je le répète, est le garant des fonctions régaliennes qui scellent l’unité de la Nation, pour l’ensemble des grandes transitions écologiques, économiques et sociales, ce sont les acteurs territoriaux qui doivent être à la manœuvre !
L’État et les collectivités territoriales ont la République en partage : ils sont les partenaires indispensables de la réussite de nos politiques publiques.
Dès les premiers jours qui ont suivi ma prise de fonction, j’ai rencontré l’ensemble des associations représentatives des collectivités territoriales. La relance économique que nous allons engager sera, évidemment, le premier terrain de mise en œuvre de cette mobilisation conjointe. Toutes les collectivités territoriales y auront une part essentielle.
Nous devons rapidement achever de régler avec elles les questions liées aux conséquences de la crise sur leurs finances, ainsi qu’à l’incidence sur leurs ressources des allégements d’impôt de production qui sont nécessaires pour concourir à la reconquête de notre souveraineté économique.
Mme Sophie Taillé-Polian. C’est le contraire !
M. Jean Castex, Premier ministre. L’objectif est que les collectivités territoriales puissent, parce que c’est dans leurs gènes, investir, former et agir de la manière la plus massive possible, mais en cohérence avec nous. En effet, dans les circonstances présentes, nos concitoyens ne nous pardonneraient ni dispersions ni divisions stériles. Monsieur le président, celles-ci ne seront jamais de mon fait ; je sais que le Sénat partage pleinement cette vision.
Le plan de relance prévoit d’ailleurs de soutenir les interventions des collectivités territoriales dans leur champ de compétences. Nous devons impérativement redonner du sens et surtout de la chair au futur contrat de plan et de territoire.
Je voudrais insister devant vous sur deux chantiers majeurs, qui illustreront cet engagement partagé.
Je pense tout d’abord à la formation professionnelle, que les circonstances actuelles vont fortement mobiliser. La relance passera, nous en sommes tous d’accord, par un effort accru en la matière. Il s’agit de permettre à ceux de nos concitoyens qui perdent leur emploi d’en retrouver un au plus vite.
Pour cela, nous investirons 1,5 milliard d’euros supplémentaires. Nous nous fixons l’objectif de 200 000 places supplémentaires pouvant être ouvertes en 2021 au bénéfice des jeunes et des demandeurs d’emploi. Qui peut imaginer que nous pourrions construire ce plan sans le concours des régions, compétentes au premier chef en la matière ?
M. Julien Bargeton. Bravo !
M. André Gattolin. Très bien !
M. Jean Castex, Premier ministre. Nous devons également poursuivre l’effort de reconquête industrielle, au travers du programme « Territoires d’industrie », largement décliné par les régions.
Une autre priorité essentielle est la transition écologique. Cette dernière réussira d’autant mieux qu’elle reposera sur une mise en œuvre partagée et territorialisée. Un tiers au moins des crédits du plan de relance seront déployés à destination de la transition écologique.
M. Jean-François Husson. Et les deux autres tiers ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Nous investirons, tout d’abord, dans le bâtiment et les transports. Nous investirons aussi dans les technologies vertes de demain, comme l’hydrogène, mais aussi pour mieux recycler et moins gaspiller. Accélérer la transition écologique, c’est investir également en faveur d’une offre d’alimentation saine et durable, pour que tous les Français, même les plus fragiles, aient accès à une alimentation de qualité.
Ensemble, nous allons aussi protéger les terres agricoles. À cet égard, j’ai annoncé hier, à l’Assemblée nationale, notre volonté de décréter un moratoire pour tout projet nouveau d’installation de centres commerciaux dans les zones périurbaines. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – MM. Jérôme Bignon et Pierre Louault applaudissent également.)
Nous définirons, en concertation avec vous et toutes les parties prenantes, de nouvelles règles d’autorisation d’exploitation commerciale.
Surtout, pour réussir cette reconstruction, nous allons donner davantage de liberté aux territoires et aux collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
À cet égard, monsieur le président, je tiens à vous remercier des cinquante propositions du Sénat pour une nouvelle génération de la décentralisation. (Ah ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants, RDSE et LaREM.)
Je salue également les deux rapporteurs, MM. Philippe Bas et Jean-Marie Bockel. (Mêmes mouvements.)
M. François Bonhomme. Et les droits d’auteur ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Castex, Premier ministre. Toutes celles et tous ceux qui connaissent mes conceptions ne peuvent douter que ces propositions feront l’objet de ma part d’un examen très attentif et très bienveillant.
Dès aujourd’hui, Mme la ministre des relations avec les collectivités territoriales, Jacqueline Gourault, reprend les nombreuses concertations lancées en janvier dernier, dans le cadre de la préparation du futur projet de loi dit « 3D », pour décentralisation, déconcentration, différenciation. Dans ce cadre, bien sûr, tous les échelons de collectivités territoriales et toutes les associations d’élus continueront d’être étroitement associés.
Tout ce travail de concertation aboutira à une prochaine Conférence nationale des territoires, où nous annoncerons clairement nos intentions. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Tout d’abord, nous allons consacrer le droit à la différenciation dans une loi organique.
Concrètement, développer la différenciation, c’est avant tout faciliter l’expérimentation. Oui, des réponses différentes doivent être apportées à des situations différentes : dans notre pays, construit depuis plus de deux siècles sur l’uniformisation, c’est une révolution ! Dès la fin de ce mois, un projet de loi organique sera présenté en conseil des ministres, qui donnera un nouveau cadre aux expérimentations menées par les collectivités territoriales pour qu’elles ouvrent la voie à une différenciation durable.
Un autre projet de loi viendra consacrer et donner de l’effectivité à ces trois principes : différenciation, décentralisation, déconcentration.
Donner plus de liberté aux collectivités territoriales, c’est aussi faire évoluer profondément l’organisation interne de l’État. Ce qui est nécessaire aussi pour rendre l’État plus proche des concitoyens. Je le dis pour l’avoir vécu : l’État s’est trop éloigné. On a commencé à favoriser l’État régional, sans doute par souci d’économie.
M. Jean-Claude Requier. Eh oui !
M. Jean Castex, Premier ministre. Seulement, quand les régions sont devenues immenses, cette intention, sans doute louable…
M. Philippe Dallier. C’est à voir…
M. Jean Castex, Premier ministre. … s’est retournée contre la proximité et l’efficacité des politiques de l’État. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains.)
M. Yvon Collin. C’est évident !
M. Jean Castex, Premier ministre. Nous rendrons rapidement plus cohérente et plus efficace l’organisation de l’État, en particulier au niveau du département.
Les moyens de l’État seront confortés pour l’action quotidienne, dès le projet de loi de finances pour 2021. En effet, je veillerai à ce que toutes les créations d’emploi – pas forcément des créations nettes : il faut bien recruter pour remplacer les départs à la retraite – bénéficient, sauf exceptions justifiées, à l’échelon départemental de l’État, et non plus aux administrations centrales.
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
M. Jean Castex, Premier ministre. C’est une révolution dont je vous prie de mesurer qu’elle va me causer beaucoup de soucis… (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE. – M. Pierre Louault applaudit également.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, il nous faudra aussi profiter de la crise – vous me pardonnerez cette expression – pour pérenniser les dispositifs de dérogation et de simplification administrative adoptés par ordonnances à la faveur de la crise sanitaire.
Bien plus, la crise économique, qui sera au moins aussi forte dans son ampleur, justifiera que nous allions encore plus loin, encore plus fort, dans les démarches de simplification, qu’il s’agisse du droit de la commande publique, des autorisations ou de tous les dispositifs qui – pour être ancrés dans les territoires, vous le savez bien – retardent et contrarient sans cesse la réalisation d’investissements indispensables. Je sais, monsieur le président, que le Sénat sera une mine de propositions en la matière. (Tout à fait ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous entendons renforcer l’équilibre entre les territoires.
M. Roger Karoutchi. Allons bon !
M. Jean Castex, Premier ministre. Pour cela, dans le cadre de notre agenda rural, nous allons amplifier les actions en direction de la ruralité.
Je souhaite vous faire partager ma conviction que la priorité des priorités, c’est de trouver ou retrouver le chemin d’un développement économique du monde rural. En réalité, si les services publics y ont fermé au cours des dernières années, c’est parce que la population y a diminué.
M. Jean-François Husson. Pas toujours…
M. Jean Castex, Premier ministre. Et si la population y a diminué, c’est d’abord parce que l’économie et l’emploi dans notre pays se concentrent désormais dans les très grandes agglomérations. Il faut donc revitaliser nos territoires ruraux par l’économie. Le service public suivra, mais il ne faut pas inverser l’ordre des facteurs. (MM. Martin Lévrier et Pierre Louault applaudissent.)
Tout d’abord, il faut embarquer ces territoires dans la révolution numérique. À cet égard, il est vital d’investir dans une politique de réseau et de maillage, en commençant par accélérer la couverture de tout le territoire en très haut débit, afin, notamment, de faciliter le télétravail, la télémédecine et tous les usages liés au numérique.
Les réseaux, c’est aussi la conservation des lignes ferroviaires et peut-être, je le dis devant le Sénat, de nouveaux investissements dans les routes. (Exclamations.) À certains endroits, celles-ci sont effectivement les seules voies permettant de désenclaver les territoires.
Cela rejoint les débats que nous aurons au sujet de la décentralisation. Doit-on conserver des routes nationales, que l’État a bien du mal à entretenir et qu’il ne développe plus ?
Pour autant – je pose la question au Sénat, puisqu’il l’a lui-même soulevée – peut-on renvoyer cette responsabilité aux départements ? N’est-il pas temps de conforter les régions dans leur rôle de responsables de toutes les mobilités, en envisageant des routes structurantes d’intérêt régional ? (Nouvelles exclamations.)
M. Jean-François Husson. On refile la patate chaude…
M. Jean Castex, Premier ministre. Autant de réflexions que je soumets à la sagacité du Sénat.
Et puisque je parle de réseaux et de mobilité,…
Mme Éliane Assassi. Le train !
M. Jean Castex, Premier ministre. … je voulais vous dire que, dans le plan de relance, une attention particulière sera portée aux pistes cyclables. (Exclamations.)
On m’a moqué lorsque j’ai évoqué ce sujet ; mesure gadget, a-t-on dit… Pas du tout, mesdames, messieurs les sénateurs ! Le vélo, c’est bon pour l’environnement et pour la santé, et nous assistons à une révolution, celle du vélo électrique, qui va multiplier les usages et raccourcir les distances. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
N’en riez pas ! Dans dix ans, si l’on a créé un réseau de pistes cyclables sécurisées, on pourra se rendre de Prades à Perpignan à vélo pour y travailler. (Mêmes mouvements.)
Voilà du concret ! C’est ce qui va se passer, et, je vous le dis, c’est ce que les jeunes générations attendent ! (Exclamations.)
M. Jean Bizet. Ah, les jeunes générations !
Mme Éliane Assassi. Il y a encore du travail à faire !
M. Jean Castex, Premier ministre. La problématique vous paraît peut-être secondaire ; c’est pourtant un sujet essentiel, et concret, que les gens comprendront. C’est une bonne façon de faire de l’écologie et du développement durable, à la portée de toutes et de tous. (Brouhaha.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, je savais que ce sujet plairait beaucoup à la Haute Assemblée…
M. le président. Poursuivez, monsieur le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Je reviens au sujet de la ruralité – en réalité, je n’en étais jamais sorti – avec le déploiement du programme Action cœur de ville, qui s’adresse déjà à 234 villes de petite taille ou de taille intermédiaire, et, surtout, celui du programme dit « Petites villes de demain » – c’est la strate au-dessous, et je la connais bien. Sur ce dernier point, l’objectif gouvernemental est clair : l’intégration de 1 000 villes supplémentaires, partout sur le territoire.
Il s’agit de faire de toutes nos villes, petites et moyennes, des lieux plus attractifs, exemplaires, dotés de services essentiels et où il fait bon vivre.
De même, j’ai fixé à mon gouvernement des objectifs précis et quantifiés s’agissant du plan de rénovation urbaine et des 450 quartiers de la politique de la ville. Les intentions sont belles et les objectifs louables : restaurer la République dans ces quartiers et permettre l’émancipation de leurs habitants. Mais, une fois encore, tout est dans l’exécution !
Mme Éliane Assassi. Et avec quels moyens ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Ils seront prévus dans le plan de relance. Ce sont des dépenses d’investissement, et non des dépenses de fonctionnement.
M. Jean-Pierre Sueur. Qui va payer ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Sur les 450 quartiers que j’ai mentionnés, très peu ont fait l’objet d’une mise en œuvre effective. Plutôt que d’annoncer aujourd’hui au Sénat que l’on va porter ce nombre de 450 à 600 ou 800 quartiers, veillons donc, pour assurer notre crédibilité collective, à ce que, pour au moins 300 des quartiers déjà visés, la situation ait concrètement évolué à la fin de l’année prochaine.
M. Jean-Pierre Sueur. Mais qui va payer ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, la République ne serait rien sans les territoires qui la composent, dans leur diversité et leur insondable richesse. (MM. Martin Lévrier et Jean-Claude Requier applaudissent.)
Cette diversité, croyez-moi, je la connais bien ! Fils du Gers – un territoire rural –, élu dans les Pyrénées orientales – un territoire éloigné –, je suis surtout un enfant de la République, que je m’efforce de servir avec passion. Je suis persuadé que cette diversité de la France, qu’exprimait avec admiration Fernand Braudel au soir de sa vie, est plus que jamais un chemin d’espérance.
C’est en tout cas le sens de l’action que j’entends mener à la tête du Gouvernement que j’ai l’honneur de diriger, sous l’autorité du Président de la République.
C’est le sens de l’engagement qui est le mien depuis de nombreuses années, engagement porté dans les différentes responsabilités publiques et mandats démocratiques que j’ai exercés au service de nos concitoyens.
C’est surtout le sens de la mobilisation collective qui doit être la nôtre dans les circonstances, très difficiles, traversées par notre pays.
C’est le sens de l’invitation que j’adresse à toutes les forces démocratiques, à toutes les forces vives, à tous les territoires. Unissons-nous, afin d’agir et réussir ensemble pour notre pays : nous n’avons pas d’autre choix ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Dans le débat, la parole est à M. Philippe Adnot, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.
C’est, d’après ce que notre collègue m’a dit, son dernier discours en qualité de sénateur – il siège parmi nous depuis 1989 ! Je lui exprime toute ma gratitude pour son rôle d’animateur des sénateurs non inscrits. (Applaudissements.)
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’adresser des félicitations. Je vous félicite, monsieur le Premier ministre, d’avoir été choisi pour assumer une tâche particulièrement difficile et de l’avoir acceptée. Je vous souhaite bonne chance.
Bonne chance, car notre pays va être confronté à une situation inédite : l’argent a coulé à flots ; pourtant, notre économie et l’emploi risquent d’être au cœur d’une situation explosive.
N’ayant que cinq minutes de temps de parole, monsieur le Premier ministre, je ne vais pas aborder tous les sujets.
Tout d’abord, je souhaite que vous sachiez trouver les bonnes solutions pour que le secteur de la santé soit traité avec efficacité et humanité. Tout n’est pas affaire d’argent, mais notre pays est confronté à un double enjeu : être prêt à affronter un retour de la pandémie et ne pas laisser de côté, pour ce motif, ceux qui ont un droit légitime à être soignés, quel que soit le besoin.
Rapporteur du budget de l’enseignement supérieur et de la recherche, j’ai rédigé de nombreux rapports sur la valorisation de la recherche. J’espère que Mme la ministre Frédérique Vidal saura trouver auprès de vous les moyens d’une loi dynamique, dont nous attendons beaucoup. L’avenir de la France dépend, en effet, de notre capacité à mobiliser les énergies créatrices et, surtout, transformer en réalité économique le formidable réservoir de notre excellence scientifique.
En effet, monsieur le Premier ministre, les problèmes de notre pays vont nécessiter de notre part une incroyable énergie à produire du concret.
Sénateur depuis trente et un ans, comme l’a rappelé M. le président du Sénat, c’est aujourd’hui la dernière fois que j’interviens dans cette enceinte. Je pense pouvoir faire quelques observations, n’ayant d’autre valeur que d’être le fruit d’une modeste expérience…
Des discours, des bonnes intentions et des analyses pertinentes, j’en ai entendus beaucoup ! Rien ne vaut la réalité des faits ; c’est par les actes que l’on juge une politique. La politique, c’est comme l’art de la guerre : tout dépend de l’exécution.
Une bonne exécution est tout d’abord cohérente. La cohérence suppose que l’on se concentre sur l’essentiel : la priorité des priorités, c’est l’économie, l’emploi, l’avenir des jeunes. Vous avez proposé des mesures qui vont dans le bon sens. Seront-elles assez rapidement opérationnelles ?
Prenons l’exemple des jeunes censés intégrer le marché de l’emploi. Vous avancez des mesures visant à alléger les charges des entreprises. Mais celles-ci n’ont plus de trésorerie ! Ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Cela ne provoquera pas le déclic immédiat et enthousiasmant qui serait nécessaire.
Il faudrait plutôt que chaque entreprise puisse embaucher un ou plusieurs jeunes, à proportion de son effectif, avec un financement de l’État pendant un an. Vous auriez ainsi résolu le problème de milliers de jeunes, en leur permettant de vivre une première expérience professionnelle, et donné immédiatement de la compétitivité à des entreprises.
J’ai entendu une des ministres présentes s’exclamer… Si ces jeunes n’entrent pas dans les entreprises, ils coûteront beaucoup plus cher !
Certaines mesures ne seront efficaces que dans le temps. Je pense notamment à la rénovation énergétique : une mesure tout à fait sympathique, notamment pour des bâtiments communaux, mais qui n’aura aucun effet sur les entreprises avant deux ans, le temps que les analyses soient menées par les nouvelles municipalités et les marchés mis en place. Cela risque d’être bien long.
Il faut donc accélérer le mouvement ! La situation demande de la réactivité ; il faut libérer les énergies. Ne faites rien de complexe ! Donnez de la flexibilité aux entreprises ayant des carnets de commandes – cela ne vous coûtera rien. Mettez-les en situation de s’adapter à une demande multiforme. Libérez les heures supplémentaires – il n’est pas nécessaire de les défiscaliser !
L’avenir de notre pays dépendra de ce que vous serez capable de faire à la rentrée, comme nos voisins européens. Ne polluez pas ce combat par des décisions qui ne peuvent que nous diviser et, donc, diminuer notre effort !
Nous ne souhaitons pas votre échec, monsieur le Premier ministre. Il vous revient la responsabilité de savoir écouter, même les anciens qui tirent leur révérence… (Applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe SOCR. – Mme Éliane Assassi et M. Éric Bocquet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 12 mars dernier, une prise de conscience transparaissait dans les propos d’Emmanuel Macron : s’opposer à la loi du marché qui domine tous les secteurs de la vie, y compris la santé ; faire sauter les verrous budgétaires libéraux qui, jusqu’à la dernière loi de finances et à la présentation du projet de loi sur les retraites, étaient les marqueurs du discours présidentiel.
La crise sanitaire, violente, a cruellement mis en évidence le grand désordre suscité par la mondialisation financière.
Le capitalisme, dans une fuite en avant cupide et inhumaine, a porté une lourde part de responsabilité dans les difficultés de notre pays à faire face à l’épidémie. Nos concitoyens ont découvert avec stupeur la délocalisation massive de la production de médicaments, de masques et de réanimateurs.
Voilà pourtant des années que certains, dont nous étions, soulignaient les ravages des délocalisations, cette absurdité sociale au service du profit des actionnaires. Leur terrible impact, appliqué au système de santé, a convaincu une grande majorité de nos concitoyens qu’il fallait changer de logiciel pour notre économie et, sans doute, pour notre société.
Monsieur le Premier ministre, ni le Président de la République, qui voulait se réinventer, ni vous-même ne nous avez convaincus de votre volonté de rompre avec un système, dans lequel l’argent roi prévaut sur l’humain.
La crise économique est là ; elle aussi est violente. Bien sûr, vous mettez l’orthodoxie budgétaire dictée par les règles européennes entre parenthèses, car vous avez besoin de sommes considérables pour faire face au choc actuel.
Néanmoins, sur le fond, vous gardez ensemble le cap. Et ce cap, c’est l’adaptation de notre pays à la mondialisation financière fondant le système auquel vous adhérez – en dépit, monsieur le Premier ministre, de vos références à un gaullisme social désuet.
On peut parler de désuétude, car la puissance publique a été dévorée par le marché, année après année, privatisation après privatisation !
J’ai cette impression fugace, mais bien détestable : pour vous, « il faut que tout change pour que rien ne change », comme en atteste l’atterrissage, emblématique, du Ségur de la santé. (M. Julien Bargeton proteste.)
Oui, vous gardez le cap ! M. Macron, dans un exercice de repentance bien appuyé, reconnaissait s’être trompé, avoir porté des mesures injustes. Mais, en même temps, il vantait les mérites de sa politique, dus, selon lui, au projet qui a justement dressé le peuple contre lui. Réforme de la SNCF, réforme du travail, politique fiscale : voilà les bons points qu’il s’est distribués le 14 juillet dernier.
Le cap, c’est le libéralisme sans frein. La réforme des retraites est, à ce titre, symbolique. Vous l’exhumez de nouveau, monsieur le Premier ministre, mais nos concitoyens, qui sont très intelligents, ne sont pas dupes…
Ils ont bien compris que le système par point équivalait à la soumission aux marchés financiers, contrôlés par des vautours comme BlackRock, et que votre ambition pour équilibrer les régimes sociaux consistait, non pas à trouver de nouveaux financements – de fait, il y en a –, mais à faire travailler plus longtemps les salariés.
Nous vous demandons, monsieur le Premier ministre, de renoncer à ce projet dogmatique, suscitant des inquiétudes parmi nos compatriotes déjà meurtris par la crise que nous traversons.
Votre label, c’est l’État et les territoires. Bien ! Mais jamais hier je n’ai entendu évoquer les raisons profondes de la détresse de nombre de nos communes, départements et régions : la disparition, l’effondrement du service public et l’étranglement financier.
Vous évoquez même le retour du commissariat au plan. Il y a du Cervantès dans cette conviction ! Comment planifier alors que tout a été cédé aux actionnaires ?
Monsieur le Premier ministre, pour planifier la reconstruction de notre économie et de notre industrie, pour mettre l’écologie et l’emploi, et non le profit financier, au cœur des préoccupations, il faudra plus d’État. Certes au plus près du peuple, de ses agents et des élus, mais il faudra plus d’État !
M. Macron a parlé du fret, des trains de nuit, des petites lignes ferroviaires, qu’il voulait pourtant achever avec ses bus éponymes voilà cinq ans. Mais avec quel outil agira-t-il ? Avec le privé, en cédant la SNCF au plus offrant comme ce fut le cas pour Alstom ?
Pour notre part, nous proposons de remettre la collectivité publique au cœur du redressement, en nous appuyant sur une nouvelle voie : celle d’une transition écologique solidaire et du retour à une souveraineté nationale industrielle, qui permette à notre peuple de retrouver la certitude d’un avenir.
Oui, les collectivités locales, qui sont au cœur de l’organisation des différents territoires de notre pays, ont un rôle décisif à jouer. Nous serons vigilants sur ce point, mais, je le précise, le Sénat n’est pas la chambre des territoires ; il assure la représentation des collectivités territoriales dans la République. C’est pourquoi, aussi, nous refusons ce concept de différenciation, source de rupture d’égalité et d’émiettement de la République.
Toutefois, qu’en est-il de ces collectivités, si elles n’ont plus de service public, plus de bureau de poste, de gare de chemin de fer, d’école, d’hôpital, de maternité ? C’est là que le bât blesse dans votre propos, monsieur le Premier ministre ! Vous affichez un déterminisme et un verbe dignes des Trente Glorieuses, mais les acteurs et les outils de cette période ont disparu, ou presque !
Le cap est maintenu quand on entend M. Macron accepter, justifier la baisse des salaires contre la préservation de l’emploi. Du bout des lèvres, il appelle les entreprises à modérer le versement des dividendes. Mettre sur le même plan ces deux éléments dans une forme de donnant-donnant est inacceptable !
D’un côté, on réduit le revenu des salariés, souvent modestes, qui devront sacrifier des éléments essentiels de leur vie ; de l’autre, on suggère à des fortunes de limiter une part marginale de leurs revenus.
Monsieur le Premier ministre, nous divergeons au moins sur deux points essentiels : il n’y aura pas de reconstruction sans répartition des richesses et sans un nouveau partage du travail.
L’appellation de « Président des riches », qui colle à M. Macron tel un sparadrap, est liée au péché originel de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, dans sa partie liée aux revenus financiers, accompagnée de l’instauration d’une flat tax portant sur les dividendes et d’une paralysie continuelle de la lutte contre l’évasion fiscale.
S’agissant du partage du travail – l’autre grand chantier d’une nouvelle politique exigée par les failles, révélées par la crise, du système actuel –, comment pouvez-vous affirmer sans sourciller, alors que 800 000 à 1 million de chômeurs supplémentaires sont attendus d’ici à la fin de l’année, qu’il faut « travailler davantage », qu’il faut user et abuser des heures supplémentaires, qu’il faut rallonger l’âge de départ à la retraite ?
La crise, mais aussi les évolutions technologiques et la recherche fondamentale de l’épanouissement humain exigent de changer de logiciel, de cesser l’exploitation à outrance du travailleur, tout en laissant de côté celui qui n’a pas d’emploi. Pour cela, il faut permettre au plus grand nombre de travailler, en faisant en sorte que l’on travaille moins ou mieux.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
Mme Éliane Assassi. Nous portons, bien au contraire, le projet de la retraite à 60 ans et de la semaine de 32 heures. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. C’est beaucoup !
Mme Éliane Assassi. Nous vous demandons dès aujourd’hui d’agir avec fermeté contre les entreprises qui licencient, alors qu’elles touchent des aides massives ou qu’elles réalisent des profits boursiers. Allez-vous sanctionner celles qui ont bénéficié du dispositif de chômage partiel, tout en continuant à produire ?
Bien évidemment, nous approuvons l’idée de ne pas laisser sur la touche les 800 000 jeunes arrivant sur le marché de l’emploi en septembre prochain. Mais pourquoi utiliser systématiquement les vieilles recettes des exonérations de cotisations sociales ou autres allégements fiscaux, qui grèvent le budget de la sécurité sociale ?
Le coût du travail est, toujours et encore, votre unique boussole ; jamais, ô grand jamais, le coût du capital ! Nous ne pouvons l’accepter, monsieur le Premier ministre, et nous ne cesserons de nous battre contre cette politique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Vous nous dites qu’un nouveau monde est possible… Certainement pas, monsieur le Premier ministre, en utilisant les vieilles recettes d’un ancien monde, détenues par une infinie minorité, au détriment de l’intérêt général !
Bien sûr, nous observerons votre action, mais nous constatons d’emblée que, avec Emmanuel Macron, vous avez rebroussé le chemin ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et Les Républicains.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, pendant la guerre du Vietnam, le monde entier s’était moqué d’un commandant américain, accusé d’avoir rasé un village, qui avait eu cette explication bizarre : « Lorsque nous sommes arrivés, l’ennemi était déjà là. Pour sauver le village, nous avons dû le détruire. »
Aujourd’hui, pour sauver le monde de la pandémie, il a fallu sacrifier l’économie. Voilà la situation redoutable dans laquelle vous entamez votre mandat. Autant dire que l’on vous a confié un job à 10 000 aspirines, monsieur le Premier ministre ! (Sourires.)
Toutefois, il faut toujours regarder le bon côté des choses, surtout lorsqu’il n’y en a pas… (Rires.) Le temps dont je dispose étant inversement proportionnel à l’ampleur du sujet, je me bornerai à trois réflexions.
Ma première remarque concerne le mythe de l’État père Noël.
La France sortira essorée de la crise. Les démagogues vont se déchaîner, à commencer par les marchands d’illusion de la dépense publique illimitée, mouvement alimenté par l’improbable quatuor Soros, Minc, Pigasse, Mélenchon, lesquels ont décidé de promouvoir en commun l’idée qu’il était devenu ringard de rembourser ses dettes. (Sourires.)
Les rois d’autrefois avaient déjà trouvé une solution, qui consistait à trancher la tête de leurs créanciers.
M. Philippe Dallier. C’est vrai !
M. Claude Malhuret. Le monde est devenu plus doux. Aujourd’hui, on nous propose seulement de les ruiner ! (Sourires.) Les économistes s’affrontent désormais là-dessus sur Twitter et BFM, comme les médecins sur la chloroquine. Le principal intérêt de ces débats est de redonner des lettres de noblesse aux astrologues.
Néanmoins, ce qui est grave, c’est que cette croyance va faire déployer toutes les banderoles à la rentrée, puisqu’elle implique qu’il n’y a plus de limite au financement à crédit et à l’infini de toutes les politiques publiques. Elle renforce l’idée bien française que l’argent public est comme l’eau bénite et que chacun peut se servir. (Sourires.)
Bien sûr, pour l’heure, il n’y a pas d’autre solution que le keynésianisme sous stéroïdes adopté par le monde entier et qui nous a tellement manqué, en 2009, quand une certaine Banque centrale européenne agissait plus comme un club sadomasochiste que comme la bouée de sauvetage qui nous aurait remis à flot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains.)
Vous avez raison, monsieur le Premier ministre, de recourir à une telle solution. Mais gardons-nous de confondre plan de relance et financement de déficits incontrôlés. Sans cela, vu la dette que nous laisserons à nos enfants, nous ne devrons plus être surpris que les bébés crient à la naissance. (Rires.)
Je dis cela, car, alors que l’on ne parle à juste titre que de l’emploi, l’on a parfois l’impression que certains de nos concitoyens éprouvent quelque peine à envisager la reprise du travail. La France possède tout de même le seul syndicat au monde ayant déposé un préavis de grève le jour du déconfinement et traîné au tribunal les entreprises qui redémarraient à grand-peine. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, Les Républicains et UC.)
Le Président de la République avait déclaré en avril dernier : « Il n’y a pas d’argent magique ». Puissiez-vous, monsieur le Premier ministre, tenir ce cap et expliquer sans relâche que la clé de la reprise est le travail, pas l’argent tombé du ciel.
Mme Catherine Deroche. Eh oui !
M. Claude Malhuret. Ma deuxième remarque est la suivante : depuis les élections municipales, nous sommes tous « écolos » ! Le bonheur est dans le pré ! (Sourires.) C’est une excellente nouvelle. Mais quelle écologie ?
Le « tout le monde il est beau, tout le monde il est écolo » est trompeur. Il y a effectivement deux écologies, comme, je crois, vous l’avez souligné hier à l’Assemblée nationale, monsieur le Premier ministre : celle de la croissance et celle de la décroissance.
La convention citoyenne pour la transition écologique a accouché de trois sortes de mesures.
Les premières sont des mesures techniques, souvent déjà entreprises, comme la rénovation des logements. Elles ne posent pas de problème.
Les deuxièmes sont des solutions à la française qui ne coûtent rien, proclament des bons sentiments et rendent les lois bavardes. Je pense, par exemple, à l’inscription de l’environnement dans la Constitution ou au crime d’écocide. Ces mesures ne feront que gonfler encore nos codes, qui ressemblent déjà à des sculptures de Jeff Koons. (Sourires.)
Les troisièmes, enfin, constituent un catalogue de contraintes qui sont le fonds de commerce des ONG décroissantes. La décroissance est l’opium des bobos, comme nous l’ont prouvé récemment avec éclat, en une du Monde, dans une proclamation aussi subversive que du fromage à tartiner, une brochette de stars « kérosène » au bilan carbone le plus élevé de la planète. C’est risible, mais ce n’est pas drôle ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Ce qui est ennuyeux, c’est que la convention s’est gardée de répondre aux questions essentielles. Comment parvenir à une énergie décarbonée dans l’hypothèse où l’on décide de se passer du nucléaire ?
M. Jean Bizet. C’est impossible !
M. Claude Malhuret. Comment faire cesser l’hypocrisie de l’importation de millions de tonnes d’OGM, tout en interdisant les OGM à nos agriculteurs ? Comment faire payer les émissions de carbone chez nous et à nos frontières ?
Surtout, quelles sont les pistes pour la seule solution réaliste au défi climatique : la croissance verte, l’innovation, les nouvelles énergies, les start-up, la recherche et développement, le capital-risque, la formation ?
La France a sabordé son industrie avec une méthode simple : tout ce qui bouge, on le taxe ; tout ce qui bouge encore, on le réglemente ; tout ce qui ne bouge plus, on le subventionne. (Rires et applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
L’Europe a raté la grande révolution des quarante dernières années, à savoir le numérique. La prochaine révolution est celle des industries de la transition écologique, que notre absence de pétrole devrait nous faire aborder avec plus d’atouts que nos concurrents, freinés par les lobbies de l’or noir. L’avenir est là, et pas dans l’écologie du « gentil avec les arbres, méchant avec les hommes » qui ne fait croître que les ronds-points.
Ma troisième remarque – et votre troisième défi, monsieur le Premier ministre – concerne les missions régaliennes. La situation est critique. Alors que de nombreuses catégories de Français, à commencer par les soignants et les premiers de corvée, ont été admirables, les droits de retrait dans l’administration ont atteint des sommets.
La justice a quasiment suspendu son activité pendant trois mois, les greffiers n’ayant pas les moyens de télétravailler. Mais le dossier le plus alarmant est celui de la police. Sa crise touche aujourd’hui sa légitimité, ses doctrines d’intervention, son organisation et ses fonctionnaires.
Pas de chance pour nos policiers : après le chewing-gum, le McDo, les westerns et le rock’n’roll, on importe aujourd’hui d’Amérique les névroses sur la race, qui n’ont rien à faire sur nos terres universalistes (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM, Les Républicains et UC. – Exclamations sur des travées des groupes SOCR et CRCE.), et le pauvre policier de banlieue est désormais traité de porc, comme celui de Chicago.
Il est temps que les politiques, les journalistes, les intellectuels, particulièrement ceux du « camp du bien », terrorisés depuis toujours par la panique de ne pas être du côté des victimes, prennent conscience que le racisme n’est pas le fait de ceux que l’on accuse aujourd’hui, mais des faux antiracistes que sont les racialistes, les indigénistes et les décoloniaux. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains. – Mmes Éliane Assassi et Esther Benbassa protestent.)
Écoutons la leçon de lucidité d’Abnousse Shalmani : « Une image m’a glacée lors de la manifestation pour Adama Traoré : un policier noir se fait harceler par la foule qui lui crie : “Vendu ! T’as pas honte ?” Reprocher à un homme noir d’être un policier équivaut exactement à interdire à un homme noir l’accès à la députation, à un bar ou à un mariage mixte sous prétexte de sa couleur. […] Ce qui résonne dans ce discours, c’est la prison de la victimisation et l’essentialisation. »
Nous attendons de votre gouvernement qu’il trouve les mots pour s’opposer à cette tragi-comédie burlesque. Autant que de moyens, les policiers ont aujourd’hui besoin de respect et de considération.
À ceux qui ont décidé de discréditer la police pour mieux discréditer l’État, il faut répondre que ceux qui menacent les Français, ce sont les terroristes, les criminels, les dealers et les bandes armées de kalachnikov dans les rues, mais pas la police ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains.)
Un dernier mot : Barack Obama disait qu’il ne faut jamais gâcher une crise. Je voudrais terminer sur l’immense et paradoxale chance que nous offre celle que nous vivons en saluant l’accord franco-allemand sur un plan de relance européen. Si nous parvenons à convaincre nos partenaires, alors la crise du coronavirus aura pour conséquence un grand pas en avant de l’Europe.
C’est pour payer l’énorme dette de la guerre contre les Anglais que les Américains ont, pour la première fois, rassemblé leurs États et lancé la marche vers les États-Unis d’Amérique ; pour l’Europe, ce premier pas en vue de l’harmonisation financière, budgétaire et fiscale est essentiel.
Nietzsche disait : « l’Europe ne se fera qu’au bord du tombeau. » Il prédisait alors les guerres à venir et la sagesse de ceux qui, après 1945, ont jeté les bases de l’Union européenne.
Sa prophétie vaut aussi pour notre temps : depuis le traité de Rome, chaque crise a failli emporter l’Europe et chaque crise l’a renforcée. Celle qui sévit aujourd’hui est sans doute la plus grave, peut-être nous fera-t-elle faire le plus grand pas. Tel est le défi qui nous attend. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM, UC et Les Républicains. – M. Gabriel Attal et Mme Roxana Maracineanu, ministres, applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, après deux déclarations de politique générale, deux discours devant le Congrès de Versailles et une lettre aux Français qui marquaient les orientations du mandat, il vous appartient, monsieur le Premier ministre, de fixer les nouvelles priorités de l’action gouvernementale.
Vous me permettrez d’en profiter pour rendre hommage à votre prédécesseur, M. Édouard Philippe, qui a dû surmonter des épreuves importantes. Il a été à la hauteur de sa tâche et, au nom de mon groupe, je voulais lui adresser des salutations respectueuses et républicaines. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
La période qui s’ouvre ne s’annonce pas des plus sereines ; il va nous falloir mettre les bouchées doubles. De la même manière qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, une pandémie ne fait pas le ménage.
Depuis le déconfinement, on ne parle plus que du monde d’après, comme si la crise sanitaire avait balayé tout ce qui nous préoccupait encore il y a quelques mois. Sous le tapis les gilets jaunes et leurs problèmes, les difficultés en matière de laïcité, de sécurité, d’immigration, la communautarisation de notre société ; sous le voile de la covid la violence, l’incivisme, la radicalité, tout ce qui sape le lien social depuis des décennies.
Tôt ou tard – et plutôt tôt que tard ! –, tous ces sujets vont refaire surface ; évacués par la grande porte de la crise sanitaire, ils reviennent déjà par la petite fenêtre de l’actualité : l’affaire Floyd aux États-Unis, amalgamée ici avec l’affaire Traoré – mon ami Claude Malhuret vient d’en parler –, l’assassinat de Philippe Monguillot, chauffeur de bus à Bayonne, de Mélanie Lemée, gendarme à Agen, les violences du 14 juillet ou encore celles qui se sont produites à Nanterre. À l’évidence, la restauration de l’autorité de l’État constitue un enjeu majeur.
Le défi du monde d’après est le suivant : il faut régler les problèmes du monde d’avant en même temps que ceux qu’a occasionnés la pandémie, c’est-à-dire, tout d’abord, une crise sanitaire persistante, comme nous le rappellent nos compatriotes qui vivent à l’étranger, parce que la maladie est toujours là.
La pandémie peut se raviver ici ; il faut donc rester prêt à réagir avec l’expérience que nous avons acquise. S’y ajoute une crise économique et sociale terrible dont les jeunes vont être les premières victimes : ils héritent de la dette sociale, de la dette environnementale et maintenant de la dette issue de la covid ; triste constat auquel, malheureusement, nous ne pouvons qu’adhérer pleinement.
Pour surmonter ce choc, une relance environnementale et solidaire s’impose, ainsi que le Président de la République et votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, l’ont visiblement compris. Cela va dans le bon sens. Derrière les intentions exprimées, il reste toutefois beaucoup d’interrogations.
Le premier axe est la relance. Ouvrir les vannes de la dépense serait inutile, puisque les ménages ont épargné, semble-t-il, entre 60 et 80 milliards d’euros durant le confinement.
Dans les circonstances actuelles, relancer la demande, c’est restaurer la confiance : les gens ne consomment pas parce qu’ils ont encore peur ; ils redoutent la maladie. De ce point de vue, imposer le port du masque, ainsi que le Gouvernement est enfin déterminé à le faire, et maintenir davantage de vigilance participent du rétablissement de la sécurité sanitaire, donc de la confiance.
Nos concitoyens craignent également le chômage, avec raison, malheureusement, puisque tous les analystes prévoient entre 800 000 et un million de chômeurs supplémentaires d’ici à la fin de l’année. C’est considérable. Restaurer la confiance, c’est donc maintenir les salariés dans l’entreprise, ce que vous entendez réaliser grâce à un dispositif d’activité partielle de longue durée.
Si j’ai bien compris, il s’agit de favoriser le maintien dans l’emploi contre la modération des salaires et des dividendes. Ce procédé peut fonctionner à trois conditions : il faut que le dispositif soit discuté et adapté par les partenaires sociaux, branche par branche, que les abus et les fraudes soient poursuivis et punis et que l’effort consenti aujourd’hui soit récompensé par plus de participation et d’intéressement pour les salariés.
Enfin, si les gens ne consomment pas, c’est parce qu’ils appréhendent un retour de bâton fiscal, soit une hausse des impôts. Pour restaurer la confiance, il fallait donc assurer que cela n’arriverait pas. Le Gouvernement l’a dit, espérons que cela se vérifie.
Plus fondamentalement encore, rétablir la confiance impose de convaincre que l’on peut vite renouer avec la croissance. Pour ce faire, nous avons besoin d’une vision stratégique capable d’identifier les secteurs dans lesquels la France peut demeurer ou devenir leader. Spontanément viennent à l’esprit l’aéronautique du futur ou les biotechnologies, dont le potentiel en France est immense, pourvu qu’il bénéficie d’un accompagnement. Ces secteurs sont-ils concernés, d’ailleurs, par le plan de recherche de 25 milliards d’euros ?
Il ne faudra pas oublier le tourisme, premier secteur d’activité de notre économie, dont certaines modalités devront être repensées.
C’est dans le domaine de la transition environnementale que l’on a le plus besoin d’une vision stratégique. Pour l’heure, nous ne la discernons pas ; nous avons assisté jusqu’à maintenant à un saupoudrage écologique plutôt qu’à la mise en place d’un véritable plan. Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat en témoignent : il y en a pour tous les goûts !
De même, il ne suffirait pas de modifier la Constitution pour repeindre la France en vert. J’observe d’ailleurs que vous n’avez pas évoqué ce point dans votre discours. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
Plus fondamentalement, quelle est notre voie énergétique ? Vous n’en avez pas dit un mot. La fermeture de Fessenheim comme le maintien d’une baisse du nucléaire dans le mix énergétique entretiennent le doute. Les acteurs sérieux de l’environnement savent qu’il ne peut y avoir de transition énergétique sans le nucléaire.
Nous sommes leaders dans ce domaine, mais, plutôt que de vouloir le rester, nous allons amorcer un repli. C’est difficilement compréhensible, à moins que l’on nous démontre, chiffres à l’appui, que la France pourra atteindre la neutralité carbone en 2050 tout en se dégageant de l’atome, grâce à l’hydrogène.
Nous en serions heureux, mais encore faudrait-il pour cela que nous soyons capables de développer parallèlement nos énergies renouvelables dans les proportions requises, car l’hydrogène doit être produit avec de l’éolien ou du solaire pour être décarboné. Aurons-nous la capacité et la volonté de le faire ?
La meilleure énergie est, bien sûr, celle que l’on ne consomme pas ; c’est pourquoi nous soutenons votre plan de rénovation thermique des bâtiments.
La relance écologique consiste également à mener à bien certains grands travaux en faveur du fret, du transport fluvial et du ferroutage. J’ai ainsi à l’esprit le canal Seine-Nord Europe ou la ligne Lyon-Turin.
Enfin, il n’y aura pas de relance sans solidarité, en premier lieu envers les jeunes, nous en sommes d’accord, monsieur le Premier ministre, mais aussi à propos des retraites. Or, après vous avoir écouté, je continue de m’interroger : la réforme systémique par point aura-t-elle lieu ? Précédera-t-elle ou suivra-t-elle le rééquilibrage des comptes ?
La solidarité doit également s’entendre dans son acception territoriale, les territoires étant les grands oubliés de la République depuis des années. Vos déclarations laissent à penser que les choses évoluent et vont changer, vous avez cité à de très nombreuses reprises le mot « territoires », c’est une bonne chose. Nous nous étions habitués à ne plus entendre un Premier ministre évoquer la ruralité. Vous avez qualifié de « révolutionnaire » la déconcentration de l’État que vous voulez conduire. Chiche ! L’attente sera forte en faveur d’un État capable de se réformer, svelte, agile et réactif.
Nous nous réjouissons aussi d’apprendre que les collectivités vont être associées étroitement au plan de relance. Nous applaudissons, enfin, quand vous affirmez vouloir consacrer la différenciation, nouvelle étape indispensable de la décentralisation. Les collectivités territoriales doivent pouvoir adapter les normes en fonction de leurs particularités et des priorités locales.
Cependant, monsieur le Premier ministre, « réarmer les territoires », pour reprendre vos mots, impose aussi de leur redonner de l’autonomie fiscale. Tous les volets du plan de relance doivent se tenir.
Pour relancer l’économie, le Président de la République a annoncé une baisse des impôts de production. Dès lors qu’il s’agit de relocaliser, c’est une bonne chose, mais ces impôts sont pour l’essentiel locaux. Cette mesure revient donc à restreindre encore les marges des collectivités. Dans ces conditions, le corollaire d’une véritable réforme serait la consécration de l’autonomie fiscale des collectivités, dont nous aimerions discuter. Il nous semble en effet indispensable de clarifier le plan de relance que vous avez annoncé.
Nous savons également que ce plan ne pourra être mis en œuvre sans deux acteurs majeurs : l’Europe et le Parlement. Il n’y aura pas de relance économique sans plan de relance européen, c’est la raison pour laquelle le sommet de demain est décisif ; nous y avons une obligation de résultat. De plus, il n’y aura pas non plus de transition environnementale sans Green New Deal européen. Il nous faut donc également redéfinir la politique agricole commune, dans une perspective d’agroécologie.
Quoi qu’il en soit, le plan de relance économique et écologique européen aura besoin de ressources nouvelles. Pour nous, centristes, celles-ci doivent provenir d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne, d’une TVA sociale européenne et d’une taxe sur les GAFA – pour Google, Apple, Facebook et Amazon. Nous comptons sur l’exécutif pour aller dans cette direction, c’est-à-dire vers plus d’Europe et vers une Europe plus forte et plus unie.
L’autre acteur à ne pas mettre de côté est le Parlement. Nous nous réjouissons que le Président de la République compte de nouveau sur les corps intermédiaires, puisqu’il en appelle largement aux partenaires sociaux, mais le seul corps intermédiaire oublié est, paradoxalement, le plus légitime : le Parlement.
Depuis le début de la législature, nous avons l’impression d’un évitement permanent des assemblées, singulièrement du Sénat. On écoute des citoyens tirés au sort, mais on ne prête pas davantage attention aux propos de ceux qui ont été élus par les citoyens ou par leurs concitoyens eux-mêmes élus. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Claude Malhuret applaudit également.) Cela doit changer ; à défaut, notre pays se condamnerait à une dangereuse confrontation entre l’exécutif et la rue.
Pour autant, nous avons des interrogations, même si nous saluons un changement d’attitude et d’orientation vers plus de proximité. En effet, vous tendez la main et vous souhaitez travailler avec les élus, en partant du local. Je vois plus de régalien, de keynésien, de républicain ; on oublie la « start-up nation ». J’ai envie de vous dire : « Bienvenue en France » !
Puissent le travail du Parlement et celui du Gouvernement se conjuguer aussi souvent que possible dans l’intérêt de notre pays. Avec mon groupe, nous y sommes prêts. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, RDSE et Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, le chef de l’État vous a choisi pour diriger le Gouvernement de la France. Il a même eu la délicatesse de choisir également vos principaux collaborateurs ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le Premier ministre fait un signe de dénégation.)
N’oubliez jamais, toutefois, que vous êtes désormais le Premier ministre de la France et que, dans la République, il n’existe qu’un seul souverain : le peuple français. C’est lui, et lui seul, que vous devez servir dans le cadre de nos institutions républicaines bicamérales, comme vous l’avez rappelé – nous en avons été touchés. Me reviennent à ce sujet les mots du plus célèbre des sénateurs – après bien sûr le président Larcher ! –… (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Bien après !
M. Bruno Retailleau. …, c’est-à-dire Victor Hugo : « La France dirigée par une assemblée unique ; c’est-à-dire l’océan gouverné par l’ouragan. » Ce sont nos institutions et, si vous êtes attaché à votre fibre gaulliste, vous vous en souviendrez.
Votre tâche est lourde, à l’image de l’épreuve qui accable notre pays depuis plusieurs mois. Elle exige le meilleur de vous et, de nous, de la hauteur.
J’entends, depuis que vous avez été nommé, de nombreux commentaires cherchant à deviner quel Premier ministre vous serez. Cela importe peu, pourtant, en comparaison de ce que vous ferez. Peu importe votre accent chantant, agréable à écouter et qui apporte la preuve vocale de ce reflet « du sol sur les âmes » qu’évoquait le poète.
Ce qui comptera, ce sera la partition de vos décisions, des actes que vous poserez, dans des circonstances particulièrement difficiles pour la France, avec plusieurs crises emboîtées les unes dans les autres comme des poupées russes : crise sanitaire, crise économique et sociale, et non des moindres, crise civique enfin.
En matière de santé, il vous faudra énormément d’énergie, plus encore que celle qu’ont déployée jusqu’ici vos prédécesseurs, pour éviter une reprise de l’épidémie. Deux exemples : à propos du port du masque, tout d’abord, il a fallu cinq mois – et ce n’est pas encore fait ! – pour le rendre obligatoire dans les endroits publics clos.
S’agissant, ensuite, du dépistage, j’ai entendu le Président de la République affirmer que nous avions les capacités, mais qu’il n’y avait pas de demande. Non ! Nous n’avons pas la stratégie pour tester, monsieur le Premier ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) On nous avait promis 700 000 tests, nous en faisons deux fois moins, alors qu’il ne faut pas attendre, car la plupart des cas sont asymptomatiques. Il faut tester !
Pourquoi d’ailleurs avoir interdit les dépistages systématiques aux entreprises et aux salariés volontaires ? Il faut consacrer beaucoup plus d’énergie à régler cette crise sanitaire, pour éviter la résurgence de l’épidémie.
Concernant la crise économique et sociale, la France est à la croisée des chemins, face à un choix terrible entre le relèvement, qui est possible, et l’engourdissement, c’est-à-dire dire le décrochage et le déclin. Les décisions que vous serez amené à prendre dans les prochaines semaines ou les prochains mois détermineront l’avenir de notre pays, pas seulement pour ce quinquennat, mais aussi, sans doute, pour les dix ou quinze années qui viennent.
Partout, nous assistons à une course contre-la-montre à la reprise économique, dans laquelle se sont lancées les nations du monde. Nous ne sommes pas bien placés, vous l’avez dit vous-même : une baisse du PIB de 11 % représente sans doute l’un des plus mauvais résultats dans le monde développé en matière de violence de la récession.
Il faudra agir vite sur deux urgences simultanément.
L’urgence sociale, tout d’abord, avec le chômage. Il faudra toujours préférer financer des dépenses actives d’investissement en compétences et aimer mieux former que licencier. S’agissant des jeunes, ne vous enfermez pas dans les recettes du passé, car vous ne bâtirez pas l’avenir avec de vieilles solutions, telles que des contrats aidés. Pour des jeunes qui sont souvent sans qualification, qui ont connu un échec scolaire, préférez des contrats d’apprentissage de nouvelle manière, au sujet desquels nous avons des propositions à vous faire, monsieur le Premier ministre, si vous le voulez bien.
La seconde urgence est économique. La clé du relèvement, c’est la croissance ; c’est elle, mes chers collègues, qui paiera nos dettes et qui protégera les Français du déclassement et de l’appauvrissement, aussi bien collectifs qu’individuels.
Pour aller chercher le potentiel de croissance, il faut toutefois agir puissamment sur deux facteurs sur lesquels la France est trop faible : il faut augmenter l’offre de travail et les compétences des travailleurs, mais il faut aussi travailler davantage. Je ne connais pas, ni dans nos expériences individuelles ni dans les expériences historiques collectives, de grande épreuve surmontée dans la facilité.
Oui, il faudra du courage ! Il faut dire la vérité aux Français et tourner le dos à tous les mensonges qu’on leur a fait depuis des années.
La croissance potentielle repose sur l’offre de travail, mais aussi sur la compétitivité, laquelle est en berne, comme l’indique depuis tant d’années le déficit du commerce extérieur.
Pour résoudre ce problème, il faudra baisser les impôts, à commencer par ceux qui pèsent sur la production. Vous devriez dès maintenant, dans le troisième projet de loi de finances rectificative – le PLFR 3 –, baisser la contribution sociale de solidarité des sociétés, ou C3S, et les charges au-delà de 1,6 SMIC. En ne le faisant pas, vous désavantageriez l’industrie, alors que vous affirmez vouloir réindustrialiser la France. Vous devez le faire !
Il vous faut également annuler le forfait social, pas seulement sur les très petites entreprises, les TPE, et sur les petites et moyennes entreprises, les PME, mais aussi sur les établissements de taille intermédiaire, les ETI. Si vous voulez vraiment relancer puissamment la participation, puisque vous vous décrivez comme un gaulliste social, annulez maintenant le forfait social ; n’attendez pas demain ou la rentrée.
Sans compétitivité, il n’y aura pas de souveraineté économique, pas de relocalisation, pas de réindustrialisation et donc pas de mobilité sociale. Comme vous le savez, de tous les pays d’Europe, la France est celui qui s’est le plus tertiarisé.
Nous avons remplacé des salaires de 48 000 ou 50 000 euros par des salaires plus modestes dans le tertiaire. Il faut donc déployer les voiles avec le glaive de la compétitivité de la productivité, mais aussi un bouclier européen.
Mes chers collègues, l’Allemagne préside depuis quelques jours l’Union européenne. Les liens entre nos deux pays se sont un peu retissés ; il faut les renforcer et exiger ce bouclier européen, c’est-à-dire un changement de logiciel en faveur de la concurrence. Acceptera-t-on demain, face aux Chinois et à la planète entière, d’avoir des champions européens ? Pour cela, il faut opérer ce changement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)
M. Jean-François Husson. Bravo !
M. Bruno Retailleau. Défendez une politique agricole commune, la PAC, bien sûr, mais aussi une autre conception du libre-échange. Madame la ministre, vous qui êtes chargée de l’écologie, nous attendons avec impatience que l’on transmette au Sénat le CETA (Accord économique et commercial global), afin que celui-ci puisse enfin voter contre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) En effet, ce traité n’est bon ni pour l’agriculture ni pour la planète. Nous ferons ce que nous disons et nous voterons contre le CETA.
Enfin, monsieur le Premier ministre, exigez, comme vient de vous le demander Hervé Marseille, une frontière verte, c’est-à-dire une frontière carbone, qui sera bonne pour le climat, et meilleure encore pour l’emploi. Il vous faudra beaucoup de courage ; je ne doute pas que vous en ayez, comme vous avez de la sincérité.
Vous devrez tourner le dos aux idées toutes faites. Un auteur que j’aime beaucoup, Hannah Arendt, a dit qu’une crise ne devenait catastrophique que si l’on y répondait par des idées toutes faites, c’est-à-dire par des préjugés. Oui, il vous faudra tourner le dos à tous les préjugés, à toutes les vieilles recettes.
Oui, vous devrez déboulonner les statues ! Pas celles qui nous surplombent, celle de Saint-Louis, celle de Portalis et celle de Colbert…
M. Victorin Lurel. Si, il faut la déboulonner !
M. Bruno Retailleau. … que, malicieusement, le président du Sénat a placé juste dans son alignement – et dans le vôtre. (Sourires.) Celles dont je parle sont les statues virtuelles, les idoles, les mensonges.
La première, c’est l’argent facile, l’argent magique. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Qui peut croire que, demain, nos créanciers n’exigeront pas le remboursement de leurs créances ? Qui peut croire que, demain, les nations qui compteront en Europe seront celles qui auront dépensé sans compter ?
Il y a d’autres statues virtuelles : celle qui consiste, par exemple, à faire de la dépense publique la seule mesure de l’efficacité de l’État et des services publics.
C’est malheureusement ce que vous faites actuellement avec le Ségur de la santé. Il fallait, bien sûr, revaloriser les carrières et les salaires des personnels soignants. Mais signer un chèque de 8 milliards d’euros sans rien dire de la tarification, du financement de l’hôpital, de sa gouvernance ou encore de son organisation, c’est se comporter en Sisyphe, monsieur le Premier ministre, c’est remplir le tonneau des Danaïdes !
Il faut réformer tout en disant la vérité et avoir le courage de faire. Vous disiez, il y a quelque temps, que vous étiez plutôt un taiseux et un « faiseux ».
Je termine par la crise civique, parce qu’elle est fondamentale et qu’elle commande tout le reste. J’ai la certitude que, pour redresser l’économie d’un pays, les ressorts du développement économique sont avant tout immatériels.
Vous n’avez pas prononcé aujourd’hui le mot « confiance » une quinzaine de fois, comme vous l’aviez fait hier. La confiance est immatérielle, elle relève d’un climat, d’une atmosphère, d’une relation entre les citoyens, mais, sans confiance, il ne peut pas y avoir de croissance.
Or, de tous les peuples européens, nous sommes celui qui a le moins confiance en l’avenir, qui est le plus sceptique vis-à-vis de ses dirigeants – d’ailleurs, je veux bien mettre dans le même paquet le Gouvernement et le Parlement, car je pense que les Français le font, monsieur le Premier ministre.
Les Français ont sans doute quelques raisons d’être aussi défiants, parce que tous les piliers de nos institutions, les uns après les autres, ont été ébranlés. La République est défiée à Dijon quand les différends entre bandes s’y règlent non pas au commissariat ou à la préfecture, mais dans une mosquée ; elle est défiée quand les enclaves communautaristes séparatistes se multiplient, partout en France, et que l’on y échappe à la règle commune ; la démocratie est fragilisée par l’abstention dramatique aux élections locales, comme nous l’avons tous constaté ; elle est fragilisée quand vous légitimez le tirage au sort, la démocratie du hasard, la démocratie de la courte paille ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Oui, la justification de la décentralisation, c’est d’abord de recoudre le fil de la confiance dans la proximité. Avec la loi NOTRe et d’autres textes, nous avons, au contraire, construit la société de la défiance, c’est-à-dire de l’éloignement ; vous devrez construire la société du rapprochement, de la proximité, laquelle garantit l’efficacité, comme nous l’avons montré en pleine crise du covid. La décentralisation se justifie aussi par le lien social, car le lieu, c’est le lien – vous êtes un homme du territoire. La proximité, c’est l’espace de la confiance, qu’il faut reconstruire.
Toutefois, gardez-vous de faire de la différenciation avant de faire de la décentralisation ; posez d’abord un cadre général, pour ensuite différencier. En faisant l’inverse, vous mettriez la charrue avant les bœufs, je vous le dis solennellement au nom de mon groupe.
L’État-nation est, lui aussi, fragilisé, alors qu’il est notre façon d’être au monde. Cette figure historique collective française est terriblement ébranlée. L’État bureaucratique s’est formidablement dilaté, au fur et à mesure que l’État régalien se rétractait. Ainsi, le Président de la République n’a pas dit un mot, le 14 juillet, du meurtre d’une jeune gendarme, pas plus que du lynchage, à Bayonne, d’un chauffeur de bus !
À Aiguillon ou à Bayonne, pourtant, c’est la loi de la violence ordinaire qui a prévalu. La France est désormais le pays d’Europe qui affiche le taux d’homicides le plus élevé en proportion de sa population. Aussi, construirez-vous les prisons nécessaires ? Le numerus clausus carcéral tiendra-t-il encore longtemps lieu de politique pénale ? Ce sont des questions concrètes auxquelles vous devrez répondre, parce que l’État a été fragilisé.
Le tissu de la nation française a été déchiré par un communautarisme, par un séparatisme et par un sécessionnisme qui, pour l’instant, n’ont trouvé face à eux qu’une pensée molle et des actes faibles. Que ferez-vous ? Reprendrez-vous les propositions du Sénat, par exemple, en matière d’interdiction des signes ostentatoires lors des sorties scolaires ? Il faudra poser des actes concrets, prendre des décisions urgentes et courageuses.
La nation est fragilisée quand certains veulent la voir désignée coupable, éternellement, « coupable de culpabilité », comme le disait un personnage des Fraises sauvages de Bergman.
Si, pour être aimable, la France doit d’abord se reconnaître coupable, comment nous, Français, qui n’aurions alors de notre histoire qu’une vision lacrymale et pénitentielle, pourrions-nous nous projeter dans l’avenir pour surmonter l’épreuve ? Si l’on dit que la France est un contre-modèle, comment pouvons-nous prétendre que les jeunes générations, qui sont sur la voie de la sécession, s’agrègent à nos destins collectifs ? (Marques d’assentiment sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous devrez porter fièrement les couleurs de la nation française et nos valeurs !
Je conclurai brièvement, monsieur le Premier ministre, pour dire la conviction qui m’habite : vous ne pourrez pas répondre à la dépression économique et sociale sans répondre à la dépression civique, c’est-à-dire à la défiance – cette défiance qui est fille de l’impuissance, cette impuissance que plus aucun artifice de communication ne parvient désormais à masquer.
La politique crève de cette obsession de crever l’écran. Depuis le début du quinquennat – et sans doute depuis bien avant, évidemment –, nombre de Français sont perdus : ce qu’ils veulent retrouver dans la politique, ce n’est pas un nouveau chemin, ce n’est même pas un nouveau monde ; ce qu’ils veulent retrouver, c’est la France, avec son audace, avec sa fierté, avec sa destinée – un peuple libre, uni face à l’épreuve, uni dans un idéal français, cet idéal qui nous rassemble, quelles que soient nos appartenances partisanes ou géographiques.
C’est cet idéal français qui doit dessiner notre chemin, qui doit être notre seule perspective. Si vous empruntez ce chemin, nous serons à vos côtés ; si vous vous en détournez, nous combattrons votre politique. Vive la République et vive la France ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Philippe Pemezec et Jérôme Bascher, ainsi que Mme Jacky Deromedi, se lèvent et applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la responsabilité qui est la vôtre, monsieur Castex, est lourde. En prenant les rênes du Gouvernement, vous avez le devoir de conduire la politique de notre pays. Cette tâche est écrasante, nous le savons, et elle revêt aujourd’hui un caractère particulier, que l’on pourrait qualifier d’historique.
Historique comme la crise que nous traversons. Dans une telle période, votre rôle est de veiller à ce que les Français soient protégés, face à un virus mortel pour certains organismes, face aux conséquences d’une maladie qui mine nos habitudes, nos manières de vivre, de travailler, face à l’effondrement économique et social, qui a été abordé à plusieurs reprises dans les discours précédents, alors que les signes avant-coureurs d’une seconde vague se multiplient.
Le Président de la République, qui vous a précédé dans les annonces et les déclarations, a voulu tracer un nouveau chemin et a évoqué « les jours heureux ». Aussi, c’est une déception, monsieur le Premier ministre, quand nous découvrons vos déclarations, tant à l’Assemblée nationale que, aujourd’hui au Sénat.
Un élément manque, mes chers collègues : c’est l’urgence. Le groupe socialiste et républicain vous demande d’agir depuis de longs mois. Un plan de relance d’ampleur devrait être lancé ; malheureusement, à chacune de nos demandes, c’est la même rengaine : « Vous allez voir ce que vous allez voir dans le prochain projet de loi de finances rectificative ! » « Vous allez voir ce que vous allez voir au mois de septembre ! » Finalement, je pense que nous verrons réellement quelque chose dans le projet de loi de finances pour 2021…
C’était hier, monsieur le Premier ministre, que vous auriez dû avancer sur cette question, et non pas au mois de septembre prochain. De la rapidité et des conditions mêmes de la reprise dépendront le coût économique, social et environnemental, mais aussi politique de la crise. Chaque jour perdu accroît la facture, accroît la fracture.
Votre majorité en a été la première victime lors des élections municipales du 15 mars et du 28 juin dernier. E j’ai bien compris que, aujourd’hui, il y avait une nouvelle victime, à savoir le président du groupe La République En Marche de l’Assemblée nationale.
Les réactions rapides que vous avez eues, avec le chômage partiel et les reports de charges, étaient nécessaires. Toutefois, ces mesures restent conjoncturelles. Elles ne dessinent en rien un futur rassurant pour les Français, qui subissent de plein fouet les plans sociaux et la baisse du pouvoir d’achat.
Je regrette d’ailleurs que, dans vos annonces, le pouvoir d’achat soit quasiment absent, exception faite pour les personnels soignants.
Après deux mois de confinement et une crise économique et sociale d’une ampleur historique, nous sommes placés face à un triple défi : soutenir le pouvoir d’achat amputé par la crise de ceux qui ont les revenus les plus modestes ; réorienter vers la consommation et l’investissement l’épargne que les ménages ont constituée pendant la période de confinement – 55 milliards d’euros ! – ; accompagner les secteurs dont l’activité a été la plus affectée – je pense à l’hôtellerie, à la restauration, aux loisirs ou à la culture, monsieur le Premier ministre, un secteur qui, manifestement, vous intéresse peu, d’après vos différents discours.
M. David Assouline. Ça, c’est clair !
M. Patrick Kanner. Pour cela, nous avons proposé un chèque « rebond solidaire » pour les ménages, mais vous ne vous saisissez pas de cette proposition. Vous préférez ne pas revenir sur la baisse des aides personnalisées au logement, les APL, alors qu’il est urgent de réaffirmer leur rôle fondamental de redistribution, de cohésion sociale et d’amortissement de la crise.
Nous le savons, dans les crises, ce sont toujours les plus fragiles qui paient l’addition finale. Alors que 700 000 jeunes vont entrer sur le marché de l’emploi, vous avez axé vos annonces sur la facilitation de l’embauche des jeunes par les entreprises. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant.
Vous redécouvrez manifestement l’intérêt des emplois aidés. Mais alors, pourquoi les avoir supprimés, ou quasiment, à partir de 2017 ? Sans chômage, sans RSA, que ce soit dans les campagnes ou dans les quartiers, les jeunes sont les plus éloignés de l’emploi et cette crise les repousse encore plus loin dans les marges de notre société.
Vous annoncez, monsieur le Premier ministre, 100 000 services civiques. J’ai été ministre de la jeunesse, et je peux vous dire qu’on ne crée pas en claquant des doigts 100 000 services civiques ; ils doivent correspondre à des missions utiles pour la société. Permettez-moi de vous le dire simplement.
La pauvreté n’est jamais un choix ; il faut la combattre. Vous avez appelé à ce que vous soient transmises des propositions. Chiche ! Nous avons une proposition : le revenu de base. Dix-neuf départements de gauche ont dit depuis deux ans leur disponibilité pour l’expérimenter : donnez-leur les moyens de le faire ! Dans 1 500 quartiers de la politique de la ville où ce revenu de base serait bien utile, les populations sont confrontées à une perte, voire à un effondrement de leurs ressources. L’aide alimentaire y est devenue incontournable.
Vous avez annoncé la relance des chantiers de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine. Seraient-ils en panne ? Cette mesure est nécessaire, mais la rénovation urbaine ne doit pas être isolée d’une politique globale : il faut donner les moyens au secteur associatif, aux travailleurs sociaux et aux médiateurs de revenir activement sur le terrain et mettre en œuvre un plan de 30 000 emplois aidés en ciblant les étudiants et les jeunes dans les quartiers.
La remise en cause drastique et brutale de ces contrats a été une erreur, monsieur le Premier ministre. Reconnaissez-le. Ils constituent un levier de soutien fort et rapide, facilement mobilisable.
Autre absent de taille : vous avez peu parlé de l’Europe, finalement, tandis que se jouent aujourd’hui les négociations sur le plan de relance européen et le cadre financier pluriannuel.
Alors que la France sera l’un des pays les plus touchés par la chute attendue de son PIB, pourquoi attendez-vous septembre pour mettre en place un plan de relance ? Une partie de nos partenaires agissent vite, parfois même, comme en Allemagne, en tournant le dos aux politiques anciennes.
En France, finalement, pour Emmanuel Macron, la seule rupture politique a été de changer de Premier ministre. Le Président de la République est passé de l’art du « en même temps » à l’art du contretemps. La seule rupture que nous observons avec ce gouvernement concerne peut-être la grande cause du quinquennat, l’égalité femmes-hommes, qui a dû s’effacer devant les équilibres politiques nécessaires pour former le Gouvernement… Nous aurons l’occasion de vous interroger tout à l’heure sur ce sujet dans le cadre des questions d’actualité.
Plutôt que de la rupture, je vois de l’immobilisme, un immobilisme coupable quand il concerne des réformes qui ont fragmenté notre pays et fragilisé les plus faibles. Aujourd’hui, votre rôle, monsieur le Premier ministre, est de rassembler les Français, de les protéger, de les accompagner face à cette crise, mais certainement pas de relancer la réforme des retraites, qui a déjà laissé tant de traces.
Des centaines de milliers de Français sont descendues dans la rue pour lutter contre les mesures contenues dans ce texte. Le chiffon rouge de l’âge pivot sera peut-être retiré, mais la cicatrice de l’article 49, alinéa 3 sera toujours présente.
Ce projet a également suscité une forte opposition des syndicats, ouvriers comme patronaux. Permettez-moi de m’étonner, monsieur le Premier ministre, alors que vous prêchez « le dialogue, l’écoute, la recherche du compromis », que vous annonciez la reprise de cette réforme, dans une logique, permettez-moi de le dire, d’obstination décalée eu égard à la situation.
En faisant cela, vous remobiliserez les forces vives de notre pays contre un projet inique que vous auriez dû finalement abandonner, afin de ne pas pénaliser une nouvelle fois l’économie face à une forme de cataclysme social qui s’annonce.
Il en est de même de l’assurance chômage : votre réforme, celle qui est venue et celle qui vient, est très dure pour les Français les plus modestes. Le contexte économique et social dans lequel la pandémie nous a plongés la rend aujourd’hui particulièrement dangereuse. Je vous demande, monsieur le Premier ministre, au nom de mon groupe, non pas de l’amender, de la faire évoluer, mais de l’abroger purement et simplement.
L’environnement doit être aussi un axe fort du plan de relance. Vous avez raison : la rénovation énergétique des logements est indispensable. Le bâtiment représente 43 % de la consommation d’énergie finale en France et compte pour près du quart des émissions de gaz à effet de serre. C’est un gisement majeur de bénéfices environnementaux, économiques et sociaux.
Malheureusement, le dispositif que vous proposez nécessite une avance que de nombreux propriétaires ne pourront pas faire. Il faut démocratiser la rénovation thermique, en instaurant une « prime climat » qui permettra un préfinancement public et qui s’adaptera au niveau de revenus des propriétaires.
Cette crise est également l’occasion de repenser notre modèle et d’aller vers plus d’indépendance. Nous avons pu constater que la France n’était pas en capacité de répondre, à titre individuel, à l’urgence sanitaire. Manque de respirateurs, manque d’équipements de protection, manque de certains médicaments : cette crise a été un révélateur, ce dont, je crois, vous avez pris conscience.
Comme nous tous ici dans cette Haute Assemblée, vous partagez ces constats, mais quid de Luxfer, quid de Famar ? Les déclarations d’intention, c’est bien, monsieur le Premier ministre, mais cela ne suffit pas : il nous faut des actes, et je crains que nous ne les attendions encore longtemps. Depuis trois ans, votre majorité mène une politique plus bénéfique aux très riches et aux multinationales qu’elle n’est favorable aux précaires et aux PME françaises.
Suppression de l’ISF, mise en place de la flat tax, suppression de l’exit tax, baisse de l’impôt sur les sociétés pour les grandes multinationales, suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % de contribuables les plus aisés : la liste est longue.
J’ai bien entendu le Président de la République, un peu recadré par vous-même et par Mme Gourault, ce matin, sur Public Sénat, sur ce dernier point. Je ne suis pas certain que, par vos décisions, vous exaucerez son vœu en l’espèce, même si nous comprenons que, finalement, la taxe d’habitation pourrait être un outil utile pour l’ensemble des Français quand il s’agit finalement de financer les services publics locaux.
En tout cas, demander aux entreprises de baisser les dividendes sans les y contraindre ne suffira pas. Demander des dons en faveur de l’hôpital public sans créer un nouvel impôt sur le capital, comme nous vous l’avons proposé, ne suffira pas, et cela ne trompe personne. D’ailleurs, la vraie question, monsieur le Premier ministre, est celle-ci : qui va payer et dans quelles conditions allez-vous assurer la redistribution dans notre pays pour faire face à la crise et aux dépenses que vous avez décidé d’engager ?
Enfin, cette solidarité que nous appelons de nos vœux doit être territoriale. Il faut d’urgence porter secours à nos territoires les plus fragiles. Je pense à la Guyane, où vous étiez il y a quelques jours.
Ce sont ces territoires, ceux de l’outre-mer comme ceux de l’Hexagone, qui ont fait face à la crise au plus près des Français. Il convient d’en tirer toutes les conclusions. Nous ne voulons pas d’un nouveau big-bang territorial, monsieur le Premier ministre. Nous avons formulé des propositions. Ainsi, le Sénat a adopté une proposition de résolution présentée par notre groupe. Faites-en bon usage : elle est libre de droits pour imaginer le futur élan qui sera, je l’espère, le vôtre en matière de décentralisation.
Il est vrai que vous parlez beaucoup de territoires. Je crois que vous avez cité ce mot une cinquantaine de fois depuis hier. On peut sauter comme un cabri et prononcer ce mot. Mais tout ne viendra pas les territoires. D’ailleurs, je tiens à vous le dire, la notion de territoire pertinent, c’est un peu comme l’horizon : plus on s’en approche, plus il s’éloigne !
Mme Marie Mercier. C’est comme pour la réforme des retraites !
M. Patrick Kanner. Tous les territoires ne viendront pas à notre secours. Il faut leur donner des moyens. Le groupe socialiste a fait des propositions utiles, que je tiens à vous rappeler.
La priorité doit être de clarifier la répartition des compétences au sein de la République. L’État doit enfin mener à bien la réforme de sa propre organisation déconcentrée et permettre l’autonomie des collectivités. Derrière le mot « autonomie », je place l’expression fiscale, monsieur le Premier ministre.
L’autonomie fiscale n’est pas un gros mot, et je la préfère à la notion d’autonomie financière, soutenue par le Président de la République, qui aboutit finalement au contrat de Cahors, un contrat scélérat au regard de la décentralisation – je vous le dis ici haut et fort, à cette tribune.
L’autonomie fiscale, c’est finalement permettre aux collectivités de décider librement ce qu’elles ont envie de faire pour leurs concitoyens, sous le contrôle démocratique qui intervient tous les six ans pour les communes, les départements et les régions.
La liberté des collectivités territoriales, c’est l’article 72 de la Constitution, et les conditions y sont clairement identifiées.
Pour passer le cap d’une rentrée économique et sociale qui sera difficile, monsieur le Premier ministre, il faut urgemment prolonger le plan de soutien aux collectivités par un « plan de rebond territorial ». Cette relance que j’appelle de mes vœux passera par les élus locaux. Pour cela, il convient de ne pas avoir de tabous, de les doter de plus de leviers d’action : plus de subsidiarité, plus d’expérimentations locales, plus de différenciation, plus de pouvoir réglementaire, plus d’interterritorialité, pour leur permettre d’exister face à un État qui, aujourd’hui, a besoin de partenaires.
Vous l’avez compris, le groupe socialiste et républicain ne peut pas trouver son compte dans votre déclaration, dans vos déclarations de politique générale. D’ailleurs, je crois que vous avez eu une bonne idée en ne demandant pas la confiance au Sénat.
Vous appelez à la concorde nationale, mais celle-ci ne se construit pas dans l’amnésie générale, dans l’anesthésie générale que portent finalement vos déclarations et encore moins dans l’amnistie générale pour les trois années qui ont précédé votre propre prise de responsabilités à Matignon.
Monsieur le Premier ministre, nous serons donc une opposition vigilante, exigeante, constructive et j’espère que, de temps en temps, vous saurez écouter votre opposition pour faire progresser votre politique nationale, au service des Français et de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, monsieur le Premier ministre, « acte III du quinquennat », « nouveau souffle » ou encore « dépassement du politique » : peu importent les qualificatifs, votre nomination intervient à un moment particulier, celui de la pire crise sanitaire qui nous a frappés en un siècle. Elle inaugure aussi un nouveau cycle de la vie politique de notre pays, dont l’horizon aura pour terme l’élection présidentielle de 2022.
Nouvelle illustration, s’il le fallait encore, que la Ve République telle que nous la vivons doit être profondément repensée pour en casser la verticalité, pour réhabiliter les corps intermédiaires ou donner plus de souffle à la démocratie locale.
Or l’accélération des cycles politiques imputable à l’instauration du quinquennat, renforcée par le prêt à penser en 280 signes et le diktat médiatique, fait qu’il est de plus en plus difficile de bâtir et de tenir une vision de long terme pour notre pays.
Il faut bien le constater : notre société est psychologiquement épuisée après une succession de crises majeures. La peur de l’avenir paralyse les initiatives et tétanise notre jeunesse. Le sentiment de déclin est prégnant. Notre économie connaît ses pires moments depuis des décennies. Les fractures identitaires gangrènent de plus en plus de zones, quand d’autres territoires excentrés se sentent oubliés.
Votre feuille de route est un immense défi, à l’image de l’ambition que nous devons avoir pour la France : reconstruire une confiance durable entre les citoyens et leurs gouvernants pour relever notre pays.
Nous n’avons pas le droit de céder au défaitisme, car la République, notre bien commun, doit être défendue chaque jour.
Fort de la liberté d’esprit, de ton et de vote qu’il a toujours cultivée, mon groupe, le RDSE, entend soutenir tout ce qui contribuera à ce relèvement, par-delà les attaches partisanes, sans subir la pression de la rue ou des réseaux sociaux. Au nom du seul intérêt général.
Redonner confiance à nos concitoyens, c’est d’abord agir par des mesures simples et concrètes pour leur quotidien.
Ce que mon groupe attend, c’est que la promesse républicaine d’égalité soit une réalité. La crise sanitaire a montré que notre modèle social fonctionnait, n’en déplaise à ceux qui n’en regardent que le coût. Il faut maintenant aller plus loin sur le plan social pour « bâtir les fondations de la France de demain », comme vous l’avez dit.
Face à l’explosion de la précarité et du chômage, votre gouvernement se doit d’agir avec efficacité, afin de mieux accompagner les plus vulnérables et d’offrir, à tous, les mêmes chances de réussite. Tous ceux que la crise a frappés de plein fouet, pour qui ce virage social est indispensable.
La crise des « gilets jaunes » l’a bien souligné : nos concitoyens attendent avant tout une véritable justice sociale, notion que l’on ne saurait réduire à de l’assistanat. Mon groupe y attache une importance fondamentale. Il est temps, par exemple, que le plan Pauvreté tant de fois annoncé se concrétise !
Vous avez également déclaré vouloir promouvoir l’approche par les territoires, et je sais que cet hémicycle vous a écouté d’une oreille très attentive. Monsieur le Premier ministre, mon groupe a envie de vous prendre au mot, quand on sait que nos collectivités n’en peuvent plus de cette instabilité normative désespérante. Et bien sûr sans les financements qui permettraient d’y faire face !
Pourtant, la crise sanitaire a révélé de formidables initiatives des élus locaux, avec, très souvent, des préfets pleinement investis pour les soutenir. Allons plus loin pour une organisation encore plus vertueuse, avec une déconcentration d’abord soucieuse de l’efficacité et des spécificités locales – plutôt que d’en référer en permanence à Paris –, une décentralisation qui ferait confiance aux élus et qui leur permettrait de mettre en œuvre une véritable différenciation dans le respect des libertés locales et de l’unité de la République.
La réalité est tout autre. Nous le constatons quand nous croisons dans nos territoires beaucoup de souffrance et d’incompréhension, du fait de l’abandon de l’État : dans les zones rurales enclavées qui subissent les fermetures de services publics, dans les zones urbaines victimes de retards économiques et sociaux accumulés, dans les zones périurbaines, indispensables pourvoyeuses de main-d’œuvre, mais toisées par des métropoles devenues inaccessibles sur tous les plans.
Monsieur le Premier ministre, mon groupe est totalement investi pour défendre la dignité de nos compatriotes. Il ne saurait exister de citoyens de second rang du fait de leur lieu de résidence. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons proposé la création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires, avec comme ambition de créer un outil au service de toutes les collectivités. Malheureusement, l’ANCT n’a pas répondu à ces objectifs, se transformant en une machine administrative obèse et édulcorée comme notre technocratie en a le secret.
L’égale dignité de nos concitoyens, c’est encore assurer le désenclavement de certains territoires, pour lesquels une ligne aérienne ou une desserte ferroviaire sont indispensables sur le plan économique. Nous comptons sur vous pour soutenir les collectivités et garantir le respect des obligations de service public des opérateurs. Je pense en particulier à l’aérien.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Vous avez aussi annoncé vouloir réhabiliter les trains de nuit, les petites lignes et le fret ferroviaire. Nous ne pouvons qu’approuver, à la condition toutefois qu’il ne s’agisse pas de promesses non suivies d’actes. Il y va de l’attractivité, voire de la survie de nombreux territoires ! (M. Marc Laménie applaudit.)
Cela vaut tout autant pour le numérique, alors que la crise sanitaire a révélé de profondes inégalités en la matière. Mon groupe travaille en particulier pour que l’accès au très haut débit soit une réalité partout, mais aussi pour que la lutte contre l’illectronisme devienne une grande cause nationale, à la suite des travaux de la mission d’information dont nous sommes à l’origine.
Cela vaut encore en matière d’écologie, avec les défis immenses qui nous attendent et pour lesquels nos concitoyens sont prêts à changer leurs habitudes. Cela suppose toutefois de ne pas enfermer l’écologie dans une approche punitive, qui aggraverait les fractures sociales ou territoriales et servirait de prétexte à entraver le progrès technologique.
Monsieur le Premier ministre, si mon groupe cultive la liberté de vote, il ne transigera jamais sur la défense de la laïcité. Vous avez raison de dire que « la République, c’est la laïcité comme valeur cardinale, comme fer de lance de la société ».
Face aux velléités séparatistes, face à ceux qui veulent réécrire l’Histoire, il faut affirmer, sans jamais faiblir, que la laïcité est un facteur d’émancipation garantissant à chacun le droit de croire ou de ne pas croire. Aucune religion ou communauté ne peut revendiquer sa supériorité à la loi commune. C’est bien pour cela que la laïcité contribue à la concorde civile et à l’unité de la Nation, car elle rend les citoyens égaux devant la loi et dans la dignité.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Nous serons donc à vos côtés pour faire respecter l’ordre public face à ceux qui défient l’autorité de l’État ou revendiquent de s’extraire de la loi commune. Il est encore temps d’agir avec force ! La situation est grave, chacun le sait, mais nous devons nous réunir pour faire en sorte que la République demeure une et indivisible !
Monsieur le Premier ministre, vous vous êtes présenté comme un homme de dialogue et de concertation. Nous espérons que, avec votre gouvernement, vous appliquerez à la lettre cette méthode dans vos rapports avec le Parlement, en particulier avec le Sénat.
Pour l’heure, et dans sa diversité et sa liberté, le groupe RDSE continuera à placer l’intérêt général de notre pays par-dessus toutes les contingences partisanes. C’est à cette aune –un mot dont la première syllabe se prononce un peu différemment dans notre terroir ! (Sourires.) – que nous apprécierons et jugerons votre politique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. François Patriat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans cette dramatique crise sanitaire, vous avez, monsieur le Premier ministre, rappelé le rôle primordial qu’ont assuré celles et ceux qui, jour après jour, ont œuvré avec courage pour sauver des vies, des milliers de vies.
Face au risque réel de deuxième vague, le devoir de responsabilité que vous avez appelé de vos vœux s’impose à chacun d’entre nous. Collectivement, en tant que législateur, nous avons contribué à l’élaboration de politiques publiques efficaces. Au-delà de nos obédiences ou chapelles politiques, nous avons su être à la hauteur des enjeux.
Je tiens, à cette occasion, à rendre hommage au Premier ministre Édouard Philippe, votre prédécesseur, pour le travail considérable qu’il a mené avec l’ensemble des membres de son gouvernement, avec méthode, pédagogie et détermination, sur le front de la lutte contre la propagation du virus, sur le front de la sauvegarde de l’emploi et sur le front du soutien aux plus vulnérables.
Dès le début de la crise, un ambitieux plan d’urgence a été enclenché. Ainsi, 430 milliards d’euros ont été déployés, avec le recours massif au chômage partiel, les prêts garantis par l’État, la mise en place du fonds de soutien et de solidarité et une panoplie de mesures sectorielles sans lesquelles des pans entiers de notre économie auraient été réduits à néant. Je pense à l’aéronautique, à l’automobile, à l’hôtellerie, à la restauration, à la culture, et à bien d’autres encore.
Je tiens également à féliciter les élus locaux qui, tout au long de la crise, ont su illustrer leur rôle d’acteurs de proximité. Chacun d’entre nous, par nos échanges et nos contacts permanents avec eux, peut en témoigner : ils n’ont jamais ménagé leurs efforts.
Les élus locaux ont invariablement su répondre à l’urgence pour repenser la vie de leur territoire au service de nos concitoyens. Oui, les collectivités territoriales sont les maillons essentiels de la reprise.
Alors que les réformes ambitieuses menées par le Gouvernement pendant trois ans avaient permis au chômage d’atteindre son plus bas niveau depuis dix ans, au pouvoir d’achat de connaître sa plus forte progression et à notre pays de figurer parmi les plus attractifs du continent, nous avons su combattre ce virus avec réactivité et faire face aux difficultés.
La crise a révélé nos forces, mais également nos faiblesses.
Notre système de soins a tenu bon, lorsque celui de certains de nos voisins a fait défaut. Dans le même temps, la crise a révélé nos fragilités, parmi lesquelles notre trop grande dépendance aux industries étrangères, notamment dans des secteurs stratégiques. Mais l’heure n’est pas au bilan, elle est à l’action.
Monsieur le Premier ministre, vous avez reçu la mission d’organiser le déconfinement, avec une feuille de route précise, des étapes scrupuleusement respectées, un travail de pédagogie et un sérieux largement appréciés.
Ce sérieux, nous le devons à tous les Français qui, durant de longs mois, ont accepté de restreindre leurs libertés. C’est ce sens de l’intérêt général dont ont fait montre les Français qui doit nous inspirer et guider nos choix.
De par votre expérience d’élu local, vos compétences reconnues au-delà des clivages politiques, vous avez mené à bien, en lien avec les collectivités territoriales, les services de l’État et les élus locaux, une stratégie de déconfinement qui s’annonçait pourtant périlleuse. Vous avez permis une reprise progressive de nos déplacements, de nos activités, de ce vivre ensemble à la française auquel nous sommes attachés.
Pour que cette reprise perdure, nous devons faire preuve à la fois de solidarité, d’inventivité et de responsabilité.
La crise économique qui se profile a renforcé, chez les Français, cette peur du déclassement aux quatre coins du territoire national. Cette crise doit donc être l’occasion de réconcilier nos territoires, avec l’ambition de restaurer la confiance de nos concitoyens les uns envers les autres.
La République une et indivisible ne doit pas demeurer un vain mot. Elle doit s’incarner dans les actes que nous mènerons ensemble, collectivement. Chacun d’entre nous doit prendre pleinement conscience de la gravité de la situation à laquelle nous sommes confrontés.
Oui, mes chers collègues, nous sommes à la croisée des chemins. Soit nous agissons collégialement pour lutter efficacement contre les fragilités économiques, les situations sociales délicates, les difficultés rencontrées par nos concitoyens, soit nous sombrons dans le pessimisme mortifère, l’invective permanente, le culte de la division et de l’opposition.
Sachons être dignes des exigences légitimes des Français, qui attendent de nous, élus de la Nation, un esprit de concorde, de construction commune, en faveur du seul intérêt qui compte : celui de notre pays.
Pour ce faire, nous devons faire preuve d’humilité, rappeler ce qui a été réalisé depuis le début de la crise, mais également faire le point sur nos actions, sans craindre le jugement hâtif ou partiel de ceux qui pensent pouvoir faire mieux, davantage, tout le temps et dans tous les domaines.
Laissons-leur les certitudes. Tâchons d’emprunter pour notre part le chemin de la coconstruction.
Le président Larcher dit souvent que nous représentons les territoires, et certains vous reprochent aujourd’hui de faire trop appel aux territoires. Or quand on parle aux territoires, on ne parle pas seulement au Parlement, monsieur le Premier ministre, on parle aux Français qui, quotidiennement, sont confrontés aux difficultés que vous avez évoquées dans leur travail, dans leur santé, dans leurs déplacements. Ce sont ces réponses concrètes que j’ai entendues aujourd’hui.
Sachez que je ne crois pas à l’uniformité des politiques publiques, sorte de maladie qui a frappé notre pays tout au long de son histoire récente. C’est en raison d’une approche monolithique des difficultés rencontrées, comme des solutions envisagées, que nous avons été dans l’incapacité de penser un modèle d’inclusion qui puisse satisfaire l’ensemble de nos concitoyens, de Brest à Strasbourg, du Havre à Prades.
À ce titre, Monsieur le Premier ministre, vous avez exprimé votre soutien au droit à la différenciation, que vous souhaiteriez voir consacré dans une loi organique.
Farouche partisan de la décentralisation, je suis persuadé que nous devons entamer une nouvelle étape de celle-ci. La reprise économique et la lutte contre les inégalités sociales ne pourront être permises que si les territoires en deviennent les acteurs centraux.
Vous avez fixé un cap et tracé un chemin. La gestion à court terme des crises ou d’autres urgences ne peut être l’apanage d’une politique qui se veut ambitieuse. Notre politique doit s’inscrire dans le temps long : celui de la réflexion, de l’anticipation et de l’action.
Comme l’a rappelé Emmanuel Macron à l’occasion de son intervention télévisée, nous devons définir une perspective, engager des réformes nécessaires à la survie de notre système dans la concertation, l’écoute et le respect du travail en commun. Identifier les secteurs d’avenir, investir dans la transition énergétique, préparer un plan pour la jeunesse : tels sont les chantiers que vous annoncez et que nous soutiendrons.
Vous avez parlé des retraites, monsieur le Premier ministre. Cela fait trente ans que nous reculons sur ce problème ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. Comme si rien n’avait été fait avant !
M. François Patriat. Au moment où nous voulons engager une réforme ambitieuse et équitable, devrait-on une fois encore reculer, parce que ce ne serait pas encore le moment ? Je crois que le Gouvernement a raison de vouloir insister et mener à bien cette réforme aujourd’hui, dans la justice sociale et dans l’efficacité.
Nous nous réjouissons que les collectivités territoriales, les partenaires sociaux et les citoyens soient pleinement associés à la mise en œuvre concrète de cette reconstruction. Oui, nous ne pourrons agir les uns sans les autres, vous l’avez dit : les élus sans les administrés, les villes sans les campagnes, les entreprises sans les salariés et réciproquement. J’en ai la certitude : la reconstruction sera le fruit d’un travail collectif ou ne sera pas.
Vous avez présenté et détaillé les principaux axes du plan de relance. Vous avez évoqué la santé, la justice, les transports, l’emploi, les problèmes de proximité, l’environnement et l’écologie. Le soutien aux secteurs en difficulté, la prise en compte des enjeux démocratiques du futur et la valorisation du dialogue social sont autant d’outils efficaces dans cette période de crise à laquelle nous sommes quotidiennement et collectivement confrontés.
Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des mesures que vous avez énoncées, monsieur le Premier ministre : lutte contre le décrochage scolaire, investissements massifs à hauteur d’un milliard et demi d’euros supplémentaires dans la formation, extension du dispositif d’activité partielle de longue durée, aménagements de la réforme de l’assurance chômage, rénovation thermique des bâtiments.
Le Ségur de la santé s’est achevé la semaine qui a suivi votre prise de fonction, monsieur le Premier ministre. Vous avez voulu qu’il se concrétise par des avancées sans précédent.
Mes chers collègues, quel gouvernement depuis trente ans aura fait autant pour effacer la dette des hôpitaux, pour mieux rémunérer le personnel soignant, pour permettre d’investir à l’hôpital ? Personne ne l’a jamais fait à cette hauteur ! Ceux qui s’interrogent aujourd’hui pour savoir si le Gouvernement agit devraient lui donner acte de ces avancées dans le seul domaine de la santé.
Investissement et transformation seront les maîtres mots de l’action du gouvernement que vous avez l’honneur de diriger, monsieur le Premier ministre. Nous nous en réjouissons.
Je retiendrai deux éléments fondateurs de votre intervention : une ambition claire et une obligation de résultat concret. Ce sont notre détermination, notre énergie et notre capacité à rebâtir qui permettront à notre pays de relever les immenses défis qui se présentent à tous.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. François Patriat. Après vous avoir entendu, après avoir écouté vos propositions à la fois concrètes, pragmatiques et de proximité, ainsi que leur séquençage dans la durée des 600 jours qui nous restent, monsieur le Premier ministre, le groupe La République En Marche vous apportera son soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier pour la qualité des propos que j’ai entendus ce matin – elle ne me surprend pas.
Ne doutez pas, mesdames, messieurs, de notre détermination très forte dans ce contexte si particulier à vouloir poursuivre et accélérer la relance de notre économie. Tel est notre premier objectif.
Je n’ai d’ailleurs pas perçu dans la majorité des expressions publiques de divergence fondamentale,…
Mme Sophie Taillé-Polian. Vous avez mal entendu, alors !
M. Jean Castex, Premier ministre. … ni sur les principes – restaurer la croissance la plus forte possible, la plus riche en emplois, la plus tournée vers la transition écologique –, ni sur le contenu de nos propositions que la concertation améliorera, j’en suis certain, ni même sur la méthode que j’ai proposée, à savoir le dialogue, la proximité et le pragmatisme.
J’ai entendu des interrogations sur le financement de ce plan.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Jean Castex, Premier ministre. Elles sont légitimes. Ces interrogations ont été exprimées de façon traditionnelle, c’est-à-dire que, après s’être accordés sur l’idée de ne pas créer de dette pour les générations futures et de respecter les équilibres, les mêmes intervenants proposent des baisses d’impôts, tandis que d’autres nous reprochent de ne pas en faire assez…
M. Julien Bargeton. Et voilà !
M. Jean Castex, Premier ministre. Je crains que, à l’arrivée, le solde ne s’en trouve guère amélioré.
M. Jean-Pierre Sueur. Mais quelle est donc votre réponse quant au financement ? Comment financerez-vous ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Il s’agit tout d’abord, monsieur le sénateur, d’un plan d’investissement, et non de dépenses de fonctionnement pérennes, qui sera entièrement orienté vers la croissance, l’amélioration de la compétitivité de notre économie et la formation des hommes et des femmes de notre pays.
Il y a certes, cela a été relevé, une exception forte : il s’agit du Ségur de la santé. Mais je veux dire clairement que nous devrions toutes et tous nous en réjouir, mesdames, messieurs les sénateurs, tant nous ne faisons qu’œuvre de rattrapage, et tant notre système de santé est sans doute le bien le plus précieux de notre système de protection sociale et de cohésion nationale.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Absolument !
M. François Patriat. Très bien !
M. Jean Castex, Premier ministre. Ne pas le faire dans les circonstances que nous venons de traverser eut été une erreur profonde. Revendiquons ensemble cette reconnaissance juste de la Nation à l’égard de tous ces personnels. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.) Elle a sans doute un coût, mais se concentrer sur ce point n’est pas la bonne façon d’aborder le problème.
Pour autant, j’entends – et je partage ce point de vue – que cela doit s’accompagner d’une amélioration de l’organisation de notre système de santé, qui est d’ailleurs tout à fait dans la logique de transformation que nous revendiquons.
Par ailleurs, vous me donnez, et je vous en remercie, l’occasion de vous parler d’Europe.
J’ai eu l’honneur d’apporter, très modestement, ma contribution à la gestion de la précédente crise de 2008-2010. Je l’ai vécue de l’intérieur. Elle était difficile, et l’on explique, hélas à juste titre, que celle dans laquelle nous sommes engagés aujourd’hui sera beaucoup plus forte. Je perçois toutefois une différence, qui a été justement soulignée par le président Malhuret : il n’y a pas eu de véritable solidarité européenne dans la gestion de la crise de 2008, malgré les efforts alors déjà déployés par la France.
Quelque 35 milliards d’euros du plan de relance que nous vous soumettrons sont financés par l’Europe. C’est une différence majeure, à laquelle, je me permets de vous le rappeler, la France et le Président de la République ont apporté une contribution décisive.
Vous avez raison, nous devons poursuivre cette approche européenne et l’amplifier en matière de politique industrielle. Les grands champions doivent être européens. Ne racontons pas de mensonges à nos concitoyens : la France ne pourra pas agir seule en la matière. De même, la politique écologique doit être européenne. J’ai entendu parler de taxe carbone aux frontières et d’une évolution, à laquelle je souscris pleinement, de la politique de la concurrence et des règles qui la structurent.
Beaucoup ont évoqué, comme je l’ai fait moi-même, la perspective d’utiliser cette crise comme une opportunité. Cela vaut aussi pour l’Europe, qui doit retrouver à cette occasion de la crédibilité auprès de nos concitoyens.
Vous avez été nombreux à rappeler que la crédibilité renvoie à la confiance. Nous ne réussirons la mise en œuvre de tous ces plans, de toutes les propositions que vous avez formulées sur toutes les travées que si les Françaises et les Français prennent conscience de la nécessité de lutter avec nous contre la crise, de se mobiliser, comme beaucoup l’ont fait dans la dimension sanitaire de cette dernière.
Pour cela, il nous faut retrouver, à l’occasion de cette crise, les bases de la confiance. Pour cela – je me retrouve dans les propos de beaucoup d’entre vous –, nous devons ensemble porter les valeurs d’autorité de l’État, de respect de la laïcité républicaine, d’écoute, de sens des responsabilités, de courage dans la conduite de réformes indispensables à notre pays. Nous devons incarner ces valeurs, afin de vaincre et de sortir plus forts de ce moment incontestablement très difficile.
Soyez assurés que je ne perds pas de vue l’immensité de la responsabilité qui pèse sur mes épaules. Mais c’est précisément parce qu’elle est immense que j’ai la conviction intime que je ne pourrai m’en affranchir qu’en mobilisant et en impliquant non seulement la représentation nationale, mais même l’ensemble de notre pays, sous l’autorité du Président de la République, autour du service de l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Loi de finances rectificative pour 2020
Discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2020 (projet n° 624, rapport n° 634).
Mes chers collègues, pour le respect des règles sanitaires, je vous rappelle qu’il convient de laisser un siège vide entre deux sièges occupés ou, à défaut, de porter un masque. Je rappelle également que les sorties de la salle de séance doivent exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle.
Discussion générale
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, Olivier Dussopt et moi-même vous présentons aujourd’hui un troisième projet de loi de finances rectificative visant à faire face à la situation économique sans précédent à laquelle la France est confrontée, comme tous les autres sur la planète.
La situation économique dans laquelle nous nous trouvons – j’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises – n’a pas d’autre équivalent que la grande récession de 1929 par la violence du choc que nous avons connu.
Nous maintenons donc notre prévision de récession de moins 11 % du PIB pour 2020. Nous disposons aujourd’hui de premiers indicateurs positifs, qui montrent que les mesures que nous avons prises avec le Président de la République et le Premier ministre ont permis de restaurer une confiance et d’engager un certain nombre de décisions économiques positives.
Je pense à la consommation des ménages, qui se maintient. Je pense aussi aux créations d’entreprise, qui ont retrouvé en juin 2020 leur niveau de juin 2019. Tous ces indicateurs positifs ne modifient pas pour le moment notre prévision de croissance pour 2020, mais ils nous encouragent à poursuivre et à intensifier nos efforts de soutien à l’économie.
Je veux profiter de cette prise de parole pour redire à tous nos compatriotes que, depuis le premier jour, avec le Président de la République et le Premier ministre, nous avons répondu présents pour soutenir les entreprises et pour protéger les salariés. Aussi longtemps que durera cette crise économique, nous serons présents pour soutenir les entreprises et pour protéger les salariés.
Je veux également profiter de cette intervention pour rappeler les différentes mesures que vous avez adoptées et qui nous ont permis d’amortir le choc économique qui est tombé sur la France.
À l’heure où je vous parle, nous avons mis sur la table 460 milliards d’euros.
M. Jean-Pierre Sueur. Qui va payer ? On ne le sait toujours pas !
M. Bruno Le Maire, ministre. L’efficacité des mesures que nous avons mises en œuvre dès le mois de mars a été reconnue par les entreprises et par les salariés.
Quelque 300 milliards d’euros ont été engagés au travers des prêts garantis par l’État. Aujourd’hui, un demi-million d’entreprises ont bénéficié de ces prêts garantis pour un montant de 100 milliards d’euros, sachant que 90 % des entreprises concernées sont de très petites entreprises de moins de dix salariés. Protéger les plus petits et les plus fragiles : telle était notre obsession.
Quelque 30 milliards d’euros ont financé l’activité partielle de millions de salariés. Nous avons fait un choix politique majeur : défendre l’emploi au prix d’un endettement accru de la France, parce que nous estimons qu’il coûte moins cher de protéger l’emploi au prix d’un endettement que d’aboutir à des drames sociaux partout sur le territoire français.
Le fonds de solidarité que nous avons prévu pour les petites entreprises et pour les indépendants a bénéficié à 1,7 million de très petites entreprises, qui ont reçu plus de 5 milliards d’euros.
Enfin, des reports de charges ont permis de soulager la trésorerie des entreprises à hauteur de 35 milliards d’euros.
À tous ceux qui nous demandent : « La relance, c’est pour quand ? », je réponds donc que la relance, c’est maintenant, qu’elle a commencé le 16 mars dernier et que depuis le premier jour elle n’a jamais cessé, car nous avons dû répondre massivement et rapidement à l’urgence économique, je le répète.
Cette relance, elle s’est poursuivie en avril, avec un deuxième projet de loi de finances rectificative. Elle continue aujourd’hui avec ce troisième projet de loi de finances rectificative, qui, comme les deux premiers, vise l’objectif d’adapter nos réponses à la réalité de la situation économique. Elle se poursuivra enfin, dès la fin de l’été, grâce à un plan de relance de 100 milliards d’euros, qui sera présenté par le Président de la République et le Premier ministre.
Un mot sur ce plan de relance : il figurera dans le projet de loi de finances pour 2021. Il n’y aura donc pas de quatrième projet de loi de finances rectificative, ni de loi ordinaire supplémentaire.
Nous avons privilégié la simplicité, la cohérence et la rapidité en inscrivant toutes ces nouvelles mesures dans le projet de loi de finances pour 2021, avec un seul objectif : répondre le plus vite possible aux entreprises, aux filières industrielles et aux salariés qui s’inquiètent pour leur emploi. Avec le Président de la République et le Premier ministre, il nous a paru plus utile, plus efficace et plus simple et d’inscrire ce plan de relance dans le projet de loi de finances pour 2021.
S’agissant du texte que nous examinons aujourd’hui, pour simplifier la présentation, je dirai qu’il repose sur deux volets essentiels.
Le premier volet, c’est le soutien aux entreprises. Nous avons fait le choix de cibler notre soutien sur les entreprises et les secteurs les plus fragilisés par la crise, grâce à une série de plans sectoriels.
Dans l’aéronautique, l’activité partielle de longue durée, par exemple, permettra à des entreprises comme Safran d’éviter tout licenciement dans les mois à venir. Je salue d’ailleurs l’accord qui a été conclu chez Safran ; il montre que, lorsque chefs d’entreprise et salariés peuvent s’entendre avec les représentants syndicaux, on sauve l’emploi sans amoindrir la compétitivité de l’entreprise.
Le texte de loi propose aussi un certain nombre de mesures pour le petit commerce, qui a été particulièrement touché par cette crise ; vous le constatez tous sur le territoire et dans les communes dont vous êtes les élus.
Quelque 100 foncières seront déployées partout en France à l’aide de la Banque des territoires, pour rénover 6 000 petits commerces. La Banque des territoires achètera donc des locaux, elle les réunira lorsque ce sera nécessaire, engagera des frais de rénovation thermique puis les louera à des commerçants à un tarif préférentiel de façon à revitaliser le commerce qui a été très durement touché, en particulier dans les communes rurales, par la crise économique.
Pour les entreprises technologiques, 500 millions d’euros ont été réservés, pour éviter que des start-up à fort potentiel ne fassent faillite uniquement à cause d’un manque de financement, ce qui serait un gâchis considérable de compétences et de savoir-faire.
S’agissant de l’automobile, les mesures du plan pour l’industrie automobile présenté par le Président de la République nous ont permis de relancer une industrie qui était en situation extraordinairement fragile à cause de la crise économique.
Les bonus pour l’achat d’un véhicule propre et la prime à la conversion ont connu un immense succès. Nous sommes un des seuls pays européens dont le nombre d’immatriculations a augmenté en juin 2020 par rapport à juin 2019. Du fait de l’immense succès qu’elles ont remporté, les 200 000 primes à la conversion prévues seront épuisées d’ici la fin du mois de juillet prochain.
Après ce dispositif, nous continuerons de proposer une prime à la conversion attractive, afin d’accélérer la baisse des émissions de CO2 et le renouvellement du parc automobile français, et de soutenir massivement les véhicules électriques et les véhicules hybrides rechargeables, afin d’atteindre notre objectif stratégique de décarbonation du parc automobile français.
Par ailleurs, au-delà de ces plans de relance sectoriels, et toujours au titre de ce premier volet de soutien aux entreprises, nous voulons continuer à soutenir la trésorerie des entreprises, car elle est aujourd’hui la plus menacée et la plus en difficulté. Deux chantiers que nous avons lancés il y a maintenant plusieurs semaines vont être prolongés et renforcés.
Le premier est celui des reports de charges. Vous le savez, nous avons déjà fait beaucoup pour reporter un maximum de charges sociales et fiscales : 35 milliards d’euros au total depuis mars dernier, dont 22 milliards d’euros de reports de charges sociales et 13 milliards d’euros de reports de charges fiscales.
À ces reports, nous avons ajouté des mesures inédites d’exonération de cotisations sociales pour les secteurs les plus touchés par la crise : pour l’hôtellerie, pour la restauration, pour la culture, pour l’événementiel, pour le tourisme, pour le transport aérien et pour les secteurs qui sont dépendants du transport aérien, nous avons annulé près de 4 milliards d’euros de cotisations sociales.
M. François Bonhomme. Cela ne va pas suffire !
M. Bruno Le Maire, ministre. Il s’agit d’un investissement au bénéfice de tous les restaurateurs, de tous ceux qui avaient des projets de spectacles, des projets culturels et qui n’ont pas pu les organiser, ou encore des hôtels qui sont fermés, en particulier en Île-de-France. Ces entrepreneurs avaient besoin du soutien public, et ils l’ont obtenu pour préserver l’activité et l’emploi.
Nous voulons compléter ce dispositif, car nous avons parfaitement conscience qu’il faut continuer à tirer le fil de l’étalement ou des reports de charges sociales et fiscales, pour éviter qu’un mur de paiement de charges ne se dresse devant les entreprises qui commencent à se relever. Rien ne serait plus terrible que d’avoir investi 460 milliards d’euros et de ne rien faire ensuite pour éviter que les entreprises, les petits commerçants, les hôtels et les restaurants ne se trouvent dans cette situation.
Nous allons donc étaler ces charges sociales et fiscales, grâce au dispositif que je vous présente aujourd’hui ; il s’agit sans doute de l’un des systèmes les plus simples et des plus efficaces à avoir jamais été mis en œuvre pour les entreprises.
Nous avions prévu à l’origine un report de charges de trois mois, soit jusqu’à la fin de décembre 2020. Nous proposons aujourd’hui que ces charges soient étalées sur douze, vingt-quatre ou trente-six mois et que ce dispositif soit accessible à toutes les PME et toutes les TPE, quel que soit leur secteur d’activité et quelle que soit la baisse de chiffre d’affaires qu’elles ont connue.
De plus, nous proposons que l’entreprise n’ait pas à solliciter cet étalement : elle n’aura qu’à présenter une demande au service des impôts qui, au vu de son ratio d’endettement, lui indiquera la durée possible d’étalement des charges de manière automatique.
Cet effort est considérable pour l’État, mais je considère que c’est la réponse massive et appropriée à l’inquiétude de tous les chefs d’entreprise, qui redoutent de ne pouvoir faire face à leurs échéances de paiement de charges sociales et fiscales.
En vous proposant cet étalement sur douze, vingt-quatre ou trente-six mois pour toutes les TPE et toutes les PME, quel que soit le secteur d’activité, quel que soit le chiffre d’affaires et selon des modalités aussi souples, nous répondons à l’inquiétude des entreprises et nous allégeons leur trésorerie.
Une deuxième inquiétude m’est relayée depuis plusieurs semaines – vous savez que j’ai toujours eu à cœur d’entendre ce qui se disait auprès des chefs d’entreprise, en particulier des plus petites d’entre elles, pour répondre à leurs inquiétudes : elle porte sur le prêt garanti par l’État.
Certains chefs d’entreprise redoutent que les charges leur tombent dessus : nous les étalons. D’autres ont contracté un prêt garanti par l’État, mais s’inquiètent de son remboursement. Je veux leur dire que nous travaillons avec la Fédération bancaire française et l’ensemble des banques pour que les taux d’intérêt qui pourront s’appliquer au-delà d’un an pour les extensions de prêts garantis par l’État, extensions qui sont possibles jusqu’à cinq ans, soient les plus faibles possible.
Je souhaite pouvoir donner des indications précises au sujet de ces taux d’intérêt dans les meilleurs délais, c’est-à-dire dans quelques semaines, pour apporter de la visibilité à tous ces chefs d’entreprise.
Vous avez consenti un prêt garanti par l’État (PGE) pour une durée d’un an ? Vous devez étendre la durée de ce prêt ? Vous vous inquiétez de votre taux ? Je suis en train de négocier les taux d’intérêt avec la Fédération bancaire française et j’en rendrai public le niveau le plus rapidement possible en fonction de l’allongement de la durée des prêts. Cela concernera 90 % des entreprises qui ont conclu un PGE, c’est-à-dire les plus petites d’entre elles.
Restent les autres entreprises, à savoir les PME plus importantes qui, elles, ont besoin de fonds propres. Nous travaillons à un dispositif qui permettra de compléter les prêts garantis par l’État par des instruments de quasi-fonds propres, sous forme soit d’obligations convertibles, soit de prêts participatifs. Là encore, j’apporterai des précisions dans les meilleurs délais possible.
Le deuxième pilier de ce projet de loi de finances rectificative concerne le soutien aux jeunes et à l’emploi des jeunes. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, et, hier, le Premier ministre a aussi clarifié les choses au cours de sa déclaration de politique générale : nous faisons de l’emploi des jeunes la priorité absolue de cette relance.
Je souhaite vous présenter les différentes dispositions qui permettront aux 700 000 jeunes qui arrivent sur le marché du travail d’y trouver leur place.
La première mesure porte sur l’apprentissage. Il s’agit d’un constat unanimement partagé : l’apprentissage est probablement l’une des meilleures solutions pour l’emploi des jeunes, celle qui a en tout cas été retenue par d’autres pays européens. Sur ce point, la France avait du retard, mais elle est en train de le combler.
Ainsi, depuis plus de trois ans, nous avons réussi à développer massivement l’apprentissage dans notre pays et nous ne voulons pas perdre ces trois années d’investissement à cause de la crise économique. C’est pourquoi nous verserons une prime de 8 000 euros pour l’embauche d’un apprenti majeur et de 5 000 euros pour celle d’un apprenti mineur.
Pour éviter tout effet de report, nous mettrons en place le même dispositif pour le recrutement d’un jeune en contrat de professionnalisation. En effet, nous l’avions bien compris, à défaut d’une telle mesure, l’un des dispositifs risquait de cannibaliser l’autre. Nous allons donc les aligner.
La deuxième mesure est une baisse du coût du travail de 4 000 euros par an. Cette facilité sera accordée à chaque entreprise qui emploie en CDI ou en CDD de plus de trois mois un jeune de moins de 25 ans payé jusqu’à 1,6 SMIC. Ce dispositif, annoncé par le Président de la République lors de son intervention du 14 juillet, sera accessible dès la fin du mois de juillet.
Nous avons voulu que ce dispositif soit massif et immédiat, car l’emploi des jeunes ne peut pas attendre. Nous en évaluons le coût à 300 millions d’euros en 2020 et à 1,6 milliard d’euros en 2021. Là encore, l’investissement en faveur des jeunes est le meilleur que la Nation française puisse faire.
La troisième et dernière mesure vise les 300 000 parcours d’insertion qui seront créés pour permettre au plus grand nombre, en particulier aux jeunes de moins de 26 ans en grande difficulté, de trouver une solution dès le mois de septembre, que ce soit un emploi ou une formation.
Ces dispositions destinées à soutenir l’emploi des jeunes font partie de ce grand plan de relance qui sera précisé, je vous l’ai dit, d’ici à la fin de l’été, et dont le Premier ministre a dévoilé les grandes orientations.
Je veux maintenant rappeler à quel point l’enjeu est stratégique pour nous tous et pour notre Nation. Les investissements que nous allons décider aujourd’hui définiront les contours de la France des vingt-cinq prochaines années. Il faut donc que nos choix soient clairs et assumés. Nous faisons les choix de la compétitivité et de la décarbonation de notre économie. Je pense d’ailleurs que cela devrait être un motif de fierté collective que d’afficher l’ambition de faire de notre pays la première économie décarbonée en Europe.
La compétitivité passe bien entendu par la baisse des impôts qui pèsent encore sur nos entreprises. Depuis trente ans, nous avons accepté et fermé les yeux sur la délocalisation de pans entiers de notre industrie. Moi, comme élu de l’Eure, vous comme élus territoriaux, nous avons tous vu ces entreprises qui ferment, ces industries qui ne sont plus compétitives, ces ouvriers qui sont sacrifiés, ces ingénieurs qui ne trouvent plus d’emploi, parce que nous n’avons pas pris les mesures nécessaires pour engager la reconquête industrielle française.
Il s’agit d’un drame économique, humain et social, mais aussi d’une erreur politique. Depuis trois ans, nous cherchons à inverser la tendance. Et nous avions commencé à avoir des résultats puisque, pour la première fois depuis dix ans, nous créions de nouveaux emplois industriels dans notre pays.
J’en suis profondément convaincu : la reconquête industrielle française est à portée de main et de volonté, mais encore faut-il que nous ayons le courage de prendre les bonnes décisions, de définir les marchés sur lesquels la France peut réussir, parce qu’elle dispose des industries, des compétences et des qualifications nécessaires et qu’elle est prête à innover et à investir.
Encore faut-il aussi que nous ayons l’humilité de reconnaître que, en matière de fiscalité, il nous reste du chemin à faire. On ne peut pas demander à un industriel d’investir en France si les impôts de production qu’il y paie sont cinq fois plus élevés que ceux qu’il devrait acquitter s’il s’installait en Allemagne ou dans d’autres pays européens.
Vous connaissez le combat que je livre depuis des années sur les impôts de production. Nous avons commencé à les baisser ; nous allons accélérer cette baisse au service d’un seul objectif : la relocalisation des activités industrielles en France.
M. Jean-François Husson. Espérons-le !
M. Bruno Le Maire, ministre. Les impôts de production sont stupides (M. Fabien Gay rit.) : ils obligent une entreprise à payer des impôts avant même de faire des bénéfices. Ils sont destructeurs d’emplois et pèsent sur l’attractivité de notre pays.
M. Fabien Gay. C’est quand même incroyable que vous disiez cela !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous allons donc les baisser de 10 milliards d’euros dès 2021, afin d’engager la relocalisation industrielle dans notre pays.
M. Fabien Gay. Cela fait vingt ans que vous le faites sans résultat !
M. Bruno Le Maire, ministre. Cela représentera 20 milliards d’euros pour les finances publiques françaises sur les deux exercices 2021 et 2022. Là encore, il s’agit d’un investissement.
Quels impôts de production seront visés ? Nous allons en discuter : je souhaite que ces impôts de production concernent d’abord l’industrie, puisque notre objectif est d’accélérer la relocalisation industrielle en France.
Nous souhaitons privilégier une baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). J’ai eu l’occasion d’en discuter à plusieurs reprises avec les régions. Dès demain, j’en discuterai de nouveau avec le président de l’Association des régions de France, Renaud Muselier. Je veux être très clair pour lever toute inquiétude : il n’est pas question que les régions paient cette baisse d’impôts.
M. Jean Bizet. Alors, comment faire ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Il y aura donc une compensation intégrale et dynamique sur laquelle le président de l’Association des régions de France et moi-même travaillons. (Murmures sur les travées de gauche.)
M. Fabien Gay. Sur le fondement de quels critères ?
M. Bruno Le Maire, ministre. La décarbonation de notre économie sera la deuxième grande orientation de ce plan de relance.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Pourquoi ne pas engager tout de suite le plan de relance s’il est prêt ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Elle est la condition indispensable pour une croissance durable de notre économie. Je ne crois évidemment pas à la décroissance qui conduirait tout droit à l’appauvrissement des Français et à un déclassement politique et économique inéluctable de notre pays. En revanche, tout comme le Président de la République et le Premier ministre, je crois en une croissance décarbonée, que les nouvelles technologies rendent possible. Et c’est maintenant que cela se joue !
C’est maintenant que notre souveraineté en matière de production d’hydrogène se joue, par exemple : soit nous investissons dès maintenant pour avoir très rapidement des entreprises capables de produire des réservoirs ou des piles à combustible, qui nous permettront de maîtriser les technologies de fabrication de l’hydrogène vert, soit nous serons obligés de nous approvisionner en hydrogène provenant de l’étranger et serons dépendants demain pour nos transports en commun, pour le transport par poids lourds, par avion et par bateau.
Je crois à l’indépendance de la France.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Jean Bizet. Dans ce cas, ne cassez pas les centrales nucléaires !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je crois à la souveraineté de la France, mais il n’y a ni indépendance ni souveraineté sans maîtrise des technologies. Investir plusieurs milliards d’euros dans l’hydrogène est la meilleure façon de garantir la souveraineté politique de notre pays.
M. Jean Bizet. Il aurait fallu garder Fessenheim !
M. Bruno Le Maire, ministre. Cela suppose effectivement que nous ayons une électricité décarbonée à disposition, cher Jean Bizet, celle qui nous est fournie par les centrales nucléaires. Vous le savez, je continue à croire à la pertinence de l’énergie nucléaire pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Autre exemple de décarbonation, celle qui portera sur des projets très concrets, comme les batteries électriques, les projets de stockage des énergies renouvelables, celle qui passera par un grand plan de rénovation thermique des bâtiments. Les premiers crédits permettant d’accompagner ces projets de décarbonation seront soumis à votre délibération dans le cadre du présent projet de finances rectificative, afin d’être effectifs dès le mois de septembre.
La décarbonation de notre économie ne peut pas attendre : c’est pourquoi nous avons inscrit les crédits correspondants dans ce texte, ce qui répond d’ailleurs à l’une des remarques du rapporteur général, dont nous avons tenu compte.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ah ! (Sourires.)
M. Jean Bizet. Qu’il en soit remercié !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons donc souhaité ne pas perdre une seconde et encourager l’accélération de la transition écologique de notre pays.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà les quelques grandes orientations qu’Olivier Dussopt et moi-même souhaitions vous présenter. Je suis convaincu que, si nous prenons ensemble les bonnes décisions pour la relance, non seulement nous arriverons à redresser notre économie, mais nous pourrons profiter de cette crise pour avoir, au bout du compte, une économie plus solidaire et plus respectueuse de l’environnement. (M. Frédéric Marchand applaudit.)
M. Jean-Pierre Sueur. Comment allez-vous financer les 100 milliards d’euros du plan de relance ? (Murmures amusés sur des travées des groupes SOCR, CRCE, Les Républicains et UC.)
M. François Bonhomme. Patience, mon cher collègue, vous allez bientôt le savoir ! (Sourires.)
M. le président. Ne soyez pas si pressé ! Laissez le Gouvernement s’exprimer !
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l’indiquait le ministre de l’économie, des finances et de la relance il y a un instant, les deux premiers projets de loi de finances rectificative comportaient des mesures pour répondre à l’urgence, préparer et accompagner les entreprises à surmonter des difficultés extrêmement fortes et conjoncturelles, qui auront des conséquences dans le temps.
Avec ce troisième projet de loi de finances rectificative, nous commençons à dévoiler les divers éléments de financement des plans de relance et de soutien à un certain nombre de secteurs, avant que le projet de loi de finances pour 2021 nous permette de formaliser et d’assurer le financement de toutes les mesures de relance.
Je l’ai dit, les deux premiers budgets rectificatifs avaient pour objet de répondre à l’urgence. Le présent texte complète les dispositifs, mais porte un regard particulier sur celles et ceux qui sont les plus fragilisés par la crise – c’est dans cette optique que nous avons élaboré ce texte –, c’est-à-dire les jeunes, les collectivités territoriales, l’outre-mer, qu’il s’agisse de nos compatriotes ultramarins ou des collectivités ultramarines.
Nous souhaitons compléter un certain nombre des réponses apportées par les deux premiers budgets rectificatifs. Je pense notamment au fonds de solidarité, étendu dans le cadre du plan Tourisme, qui a profité à plus de 1,7 million d’entreprises pour un total de plus de 3,5 millions de versements, soit près de 4 milliards d’euros engagés pour accompagner les TPE et les PME. Aujourd’hui, nous allons plus loin en injectant 500 millions d’euros supplémentaires à cette fin.
Nous prévoyons également 3 milliards d’euros de crédits additionnels pour financer le chômage partiel et accompagner les entreprises qui ont encore besoin de ce dispositif. Il faut avoir en tête que nous mettons en place, parallèlement à cette mesure, un dispositif d’activité partielle de longue durée.
Nous voulons également aller plus loin en matière de soutien aux entreprises. Bruno Le Maire l’a dit, nous avons préparé un plan d’exonération des cotisations sociales au bénéfice des entreprises, qui est à la fois exceptionnel et inédit tant par son ampleur – environ 4 milliards d’euros – que par ses modalités.
En effet, nous proposons que soient totalement exonérées de cotisations les entreprises de moins de dix salariés ayant fait l’objet d’une décision de fermeture administrative pour une période de trois mois, de même que les PME de moins de 250 salariés appartenant aux secteurs les plus touchés par la crise économique, ceux du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration, de la culture, de l’événementiel, du sport ou du commerce de détail non alimentaire, pendant quatre mois.
Avec l’article 18, nous veillons aussi, vous pouvez le constater, à accompagner les entreprises les plus dépendantes de celles qui sont ainsi exonérées de cotisations. Les entreprises ayant des activités connexes de ces secteurs pourront bénéficier d’exonérations, dès lors qu’elles auront perdu, sur la même période, une part importante de leur chiffre d’affaires.
Le travail conduit avec l’Assemblée nationale nous a permis d’élargir ce dispositif aux travailleurs indépendants, ainsi qu’aux non-salariés agricoles, qui pourront désormais bénéficier d’une remise partielle de leurs dettes de cotisations et contributions sociales dues au titre de l’année 2020, lorsqu’ils ont connu une perte d’au moins 50 % de leur chiffre d’affaires. Ce travail parlementaire nous a aussi permis de faciliter les plans d’apurement : les travailleurs indépendants pourront désormais les enclencher sur proposition des organismes de recouvrement.
Au-delà de ces initiatives à caractère sectoriel, je tiens à souligner que nous souhaitons créer un filet de protection pour l’ensemble des entreprises.
Ainsi, les entreprises de moins de cinquante salariés, qui ont perdu plus de la moitié de leur chiffre d’affaires sur la période pourront bénéficier au cas par cas de remises de cotisations pouvant aller jusqu’à 50 % du total des cotisations dues. Comme l’a indiqué le ministre de l’économie, des finances et de la relance il y a un instant, nous prévoyons la possibilité d’un étalement sur douze, vingt-quatre ou trente-six mois des cotisations de toutes les entreprises qui rencontreraient des difficultés et qui auraient besoin de ces mesures de trésorerie.
À ce titre, nous ouvrons 900 millions d’euros de crédits supplémentaires, afin de préserver l’équilibre de la sécurité sociale. Nous avons en effet fait le choix, conformément aux engagements que nous avions pris à l’époque avec Gérald Darmanin, de compenser toute nouvelle dépense que nous mettrions à l’actif de la sécurité sociale.
Le deuxième point sur lequel je souhaite m’arrêter concerne le soutien que nous voulons apporter aux territoires. Nous avons entendu les difficultés rencontrées par les collectivités locales, comme celles que connaissent l’État ou les organismes de sécurité sociale. Nous sommes convaincus de la nécessité de les accompagner et de garantir leurs ressources.
Ainsi, les communes et les intercommunalités, particulièrement mobilisées pendant cette crise, qui subissent une forte altération de leurs ressources, verront ces ressources garanties. Je fais ici référence au versement mobilité, aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO), à l’octroi de mer, ou encore à la taxe de séjour.
À l’article 5 du projet de loi de finances rectificative, nous prévoyons de créer un prélèvement sur recettes de l’État à destination du bloc communal pour près d’un milliard d’euros, de manière à garantir aux EPCI et aux communes un niveau de ressources pour 2020 égal à la moyenne des recettes fiscales et domaniales constatée entre 2017 et 2019.
Pour les groupements de collectivités territoriales chargés de la mobilité, nous assurerons une compensation – selon les mêmes modalités – des pertes de ressources liées au versement mobilité qu’ils auront subies en 2020.
Après discussions avec l’Assemblée des départements de France (ADF), l’article 7 consacre un mécanisme d’avances remboursables, en section de fonctionnement, pour les départements et autres collectivités bénéficiaires des DMTO. Par ailleurs, le débat à l’Assemblée nationale nous a permis de modifier la durée de remboursement des avances de DMTO en la portant à trois ans pour un montant prévisionnel qui s’élève à 2,7 milliards d’euros.
Je précise que, en ce qui concerne tant la garantie des ressources du bloc local estimées sur la moyenne des recettes fiscales et domaniales des années 2017 à 2019 que les avances remboursables des départements en matière de DMTO, les prévisions nous permettront, sur la base des douzièmes versés, lorsque nous aurons constaté la réalité des recettes perçues à l’issue de l’exercice, d’affiner le dispositif. Évidemment, nous ne pouvons que souhaiter, les uns et les autres, que moins d’argent soit nécessaire, mais s’il fallait en débloquer davantage, nous le ferons pour tenir notre engagement.
J’évoquerai encore deux points concernant les collectivités.
Tout d’abord, nous prévoyons de consacrer un milliard d’euros de crédits supplémentaires dans ce texte pour soutenir l’investissement local et permettre aux collectivités de continuer à jouer leur rôle en faveur de l’emploi, de l’attractivité et de la cohésion de notre pays.
Ensuite, il existe des mesures plus sectorielles, dont un soutien aux collectivités d’outre-mer auxquelles nous portons une attention particulière. Nous abordons donc la question de l’octroi de mer dans ce texte, mais aussi celle de dispositifs spécifiques, comme les taxes spéciales sur les carburants dont bénéficient certaines collectivités. Ce sont 60 millions d’euros qui seront consacrés à garantir les ressources de ces collectivités.
Nous avons aussi proposé à l’Assemblée nationale – elle l’a accepté – un fonds de soutien particulier à hauteur de 8 millions d’euros pour les collectivités qui profitent d’un système de financement additionnel. Je pense notamment à la Corse.
Enfin, nous offrons aux collectivités de nouvelles possibilités d’intervention : les collectivités du bloc local pourront, si elles le souhaitent, décider d’un abattement de deux tiers de la cotisation foncière des entreprises (CFE) pour les entreprises de leur territoire, sachant que l’État financera 50 % du dispositif, contrairement à la doctrine habituelle de non-compensation des décisions volontaires prises par les collectivités, et ce, évidemment, à titre exceptionnel.
Comme l’a dit le ministre de l’économie, des finances et de la relance, ce texte prévoit nombre de dispositions permettant d’améliorer le soutien à l’économie et aux entreprises.
Nous avons veillé à la fois à compléter et prolonger des dispositifs efficaces – je pense au fonds de solidarité, aux prêts garantis par l’État, aux différents dispositifs d’intervention – et inscrit 400 millions d’euros de crédits supplémentaires pour le développement de l’apprentissage dans le secteur privé, selon les modalités qu’a rappelées Bruno Le Maire il y a quelques minutes. Mes collègues Élisabeth Borne, Amélie de Montchalin et moi-même travaillons pour ouvrir ce dispositif d’aide à l’apprentissage aux employeurs de la fonction publique territoriale.
Nous prévoyons également 150 millions d’euros d’aides à destination des jeunes et des étudiants les plus précaires, ce qui correspond aux engagements pris par le Président de la République. De même, nous ouvrons 50 millions d’euros de crédits pour participer aux dépenses engagées par les départements, qui ont accepté de prendre en charge des jeunes majeurs confiés à l’ASE, l’aide sociale à l’enfance, jusqu’à la fin de l’année, quand bien même ceux-ci auraient atteint leur majorité au cours de l’année.
Les efforts que nous consentons et les dispositions que nous vous proposons sont importants. Ils permettront d’accompagner l’économie et nos concitoyens.
Je le répète, nous avons retenu un certain nombre de suggestions faites lors des débats à l’Assemblée nationale, qui nous ont amenés à renforcer les dispositifs que nous proposions pour un coût supplémentaire de 2 milliards d’euros.
Au cours de l’examen de ce texte, nous aurons l’occasion de revenir sur certaines dispositions et annonces faites par le Président de la République le 14 juillet ou par le Premier ministre, hier, lors de sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale ou, ce matin, devant le Sénat, de manière à pouvoir les compléter.
L’ensemble des mesures que Bruno Le Maire et moi-même avons l’honneur de vous présenter ont évidemment un coût, mesdames, messieurs les sénateurs. L’État engage 460 milliards d’euros, dont plus de 300 milliards d’euros de garanties.
Le projet de loi de finances rectificative se traduit par une dégradation sans équivalent de la situation des finances publiques, puisque le niveau du déficit public est estimé, à cette date, à 11,5 %, ce qui représente pour l’État un déficit à hauteur de 220 milliards d’euros pour l’année 2020.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Rien que ça !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. La dette atteindra, elle aussi, un niveau historique : 120 % du PIB, contre 98 % dans les prévisions de la loi de finances initiale pour 2020. C’est très certainement le prix à payer pour assurer la survie de notre économie et la soutenir, permettre à nos compatriotes de faire face, garantir leurs revenus et les protéger de la meilleure des manières.
C’est aussi un appel à la responsabilité, car nous savons que si, aujourd’hui, nous pouvons assurer le financement des différentes dispositions que je viens d’évoquer du fait de la qualité de la signature de la France sur les marchés financiers, la préparation des échéances budgétaires à venir et la manière dont nous allons penser le plan de relance seront décisives. C’est en veillant à ce que les dépenses engagées aient un réel effet sur l’économie, mais aussi un caractère conjoncturel, car elles ne doivent pas devenir pérennes, que nous parviendrons à une forme de consolidation de la qualité de notre signature, gage de la crédibilité de notre pays sur les marchés internationaux et face à ceux-ci.
Je ne doute pas que, dans les heures et les jours qui viennent, nous parvenions à améliorer encore le texte…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ne vous inquiétez pas, nous allons l’améliorer ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous le savons, par définition, le Sénat est très efficace. Il va le démontrer en examinant plus de 1 000 amendements en trois jours, alors qu’il aura fallu trois semaines à nos collègues députés pour en faire autant. (Sourires.) Il va donc nous falloir être très efficaces !
Si nous nous retrouvons aujourd’hui, ce n’est évidemment pas une surprise : déjà lors de l’examen du deuxième projet de loi de finances rectificative, nous avions indiqué que le scénario de croissance était très optimiste et qu’il y avait sans doute besoin d’amplifier les mesures de soutien à l’économie.
Sur ce point – nous allons y revenir tout au long des débats –, le compte n’y est pas. Il faudra des mesures de relance, dont Bruno Le Maire nous a d’ailleurs d’ores et déjà parlé.
La crise est bien là, et nous devons évidemment tous être au rendez-vous pour sauver notre économie. Comme nous le savons, les chiffres sont catastrophiques : un recul de plus de 11 % du PIB, qui n’a pas de précédent depuis 1944. Malheureusement, les principales organisations internationales placent la France parmi les pays qui devraient connaître le plus fort recul de leur PIB sur l’ensemble de l’exercice 2020.
Par rapport à nos voisins, notamment l’Allemagne, mais aussi à des pays comme la Suède, qui ont confiné moins longtemps, nous vivons une crise de plus forte et de plus longue intensité, qui place notre pays dans une situation particulièrement délicate.
Bruno Le Maire aime beaucoup les citations. Je rappellerai donc le sous-titre du Soulier de satin de Paul Claudel : « le pire n’est pas toujours sûr ». (Sourires.) Parfois, en effet, les nouvelles sont meilleures qu’attendu, et l’économie repose notamment sur la confiance.
Si la chute du PIB devrait être particulièrement marquée en France, les derniers développements conjoncturels suggèrent qu’elle pourrait être un peu moins forte que prévu, sous réserve bien sûr que l’épidémie ne redémarre pas.
La révision à la hausse du taux d’activité pendant le confinement par l’Insee, l’Institut national de la statistique et des études économiques, a ainsi majoré notre taux de croissance de deux points, si bien que la prévision gouvernementale présente maintenant un caractère que l’on peut qualifier de prudent.
Cette prévision de croissance gouvernementale implique désormais que le rattrapage soit quasiment achevé, ce qui est clairement pessimiste. L’Insee anticipe, pour sa part, un recul de 9 % du PIB.
La situation pourrait être encore meilleure si l’on stimulait davantage la consommation, notamment par le déblocage d’une partie des économies accumulées par les ménages, estimées à 75 milliards d’euros par l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE. Et ce montant pourrait être encore plus élevé à en croire le Gouvernement qui parlait, je crois, de 100 milliards d’euros.
Mais il faut aussi être prudent : une nouvelle vague épidémique, qui s’accompagnerait de mesures de confinement même partielles, risquerait de provoquer une rechute de l’activité.
Venons-en maintenant aux mesures figurant dans ce troisième projet de loi de finances rectificative.
Il s’agit d’un redimensionnement a minima du plan de soutien existant, dans l’attente d’un plan de relance qui a été annoncé, sur lequel Bruno Le Maire est largement revenu, mais que nous ne voyons toujours pas venir – nous sommes impatients. On nous l’annonce plutôt, si j’ai bien compris, pour le projet de loi de finances pour 2021.
Parmi les différentes composantes du plan de soutien, les mesures ayant une incidence sur le solde public connaissent une hausse de 15,5 milliards d’euros, principalement due au chômage partiel, aux exonérations de charges et aux plans de soutien sectoriels. S’y ajoutent les mesures qui n’ont pas d’effet immédiat sur le déficit public : elles sont en augmentation de 19,5 milliards d’euros. Je pense, notamment, aux reports des échéances fiscales et sociales pour plus de 7 milliards d’euros.
Par comparaison avec les autres économies avancées, le plan de soutien français continue de présenter un caractère singulier, la France mobilisant moins les mesures qui ont un impact sur le déficit public, alors qu’il s’agit pourtant de dispositions pouvant apporter un soutien plus direct à l’économie. Ce différentiel paraît d’autant plus paradoxal que la France est l’un des pays où la chute du PIB est parmi les plus fortes.
Cette stratégie s’explique tout d’abord par les moindres marges de manœuvre dont dispose la France sur le plan budgétaire. Il y a quelques jours, nous avons examiné le projet de loi de règlement : chaque année, nous répétons qu’il faut faire attention et faire des efforts pour avoir un déficit et un endettement moins élevés, ce qui n’est pas le cas. Nous partons avec un déficit à la base, en quelque sorte, et avec moins de marges de manœuvre que nos voisins, notamment l’Allemagne.
Quoi qu’il en soit, la révision à la baisse de la croissance et le redimensionnement du plan de soutien conduisent mécaniquement à une nouvelle dégradation de la trajectoire budgétaire : un déficit de 11,5 % du PIB en 2020, une nouvelle hausse de l’endettement qui atteindrait 120,9 % du PIB. Fort heureusement, il n’y aurait pas à ce stade de renchérissement des taux d’intérêt, ce qui nous laisse une certaine marge de manœuvre.
Concernant l’État, son déficit budgétaire passe de 93,1 milliards d’euros – ce n’est pas la préhistoire, c’est ce que prévoyait le projet de loi de finances pour 2020 ! – à 224 milliards d’euros dans le texte adopté par l’Assemblée nationale. On observe une dégradation encore plus importante du solde – 39 milliards d’euros – par rapport au deuxième projet de loi de finances rectificative. Cette hausse du déficit résulte essentiellement d’une chute de nos recettes de 23,5 milliards d’euros et d’une augmentation de nos dépenses de 12 milliards d’euros.
Ce déficit est évidemment totalement inédit, puisque, au plus fort de la crise de 2009, le déficit n’avait pas dépassé 150 milliards d’euros. En trois budgets rectificatifs, nous l’avons simplement creusé de 130 milliards d’euros. J’espère qu’il n’y aura pas de quatrième projet de loi de finances rectificative, mais le ministre nous a rassurés à ce sujet.
Les besoins de financement de l’État sont désormais colossaux : cette année, nous allons devoir emprunter 363,5 milliards d’euros sur les marchés.
La situation de l’État est véritablement hors-norme : les recettes nettes diminuées des prélèvements sur recettes sont 2,2 fois inférieures aux dépenses nettes. Ainsi, le budget général connaît un déficit supérieur au montant de ses recettes et égal à 55 % de ses dépenses.
Les recettes fiscales nettes prévues par le PLFR sont inférieures de 65,9 milliards d’euros au niveau prévu en loi de finances initiale.
Du côté des crédits budgétaires, 13,7 milliards d’euros sont ouverts sur le budget général et les ouvertures de crédits portent sur de très nombreuses missions.
Par ailleurs, alors que le Gouvernement a annoncé un plan de soutien sectoriel de 40 milliards d’euros, les crédits budgétaires ouverts par le troisième projet de loi de finances rectificative sont bien inférieurs : je les estime à 823 millions d’euros pour la filière automobile, à 135 millions d’euros pour le secteur aéronautique et à 2,2 milliards d’euros pour le secteur du tourisme. Les sommes annoncées par le Gouvernement incluent aussi bien des mécanismes de prêts ou des dispositifs déjà existants.
En l’état, le redimensionnement a minima du plan de soutien du Gouvernement n’est pas à la hauteur des enjeux et doit être amplifié, sans attendre, par la mise en place d’un plan de relance afin de conforter la reprise.
Je le dis clairement, et beaucoup de voix s’exprimeront dans ce sens, je regrette la décision du Gouvernement de différer la mise en œuvre de ce dernier à la rentrée,…
M. François Bonhomme. Eh oui !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. … pour ne pas dire à la fin de l’année – l’adoption du projet de loi de finances et la décision du Conseil constitutionnel interviennent plutôt fin décembre –, car les ménages et les entreprises ont besoin de visibilité pour prendre leurs décisions.
M. François Bonhomme. C’est ça le problème !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il existe beaucoup d’impatience. Bruno Le Maire a d’ailleurs davantage évoqué le plan de relance que le PLFR !
Le Président de la République a annoncé, le 14 juillet, 100 milliards d’euros. Très bien, mais nous attendons tous de voir concrètement ce qu’il en est de ces annonces.
J’ai proposé, pour ma part, dès le 16 juin, un ensemble de mesures calibrées, de façon à maximiser l’effet d’entraînement sur l’activité pour un montant global de 40 milliards d’euros, soit 2 points de PIB. Le Conseil d’analyse économique suggérait 50 milliards d’euros. Malgré le fameux article 40 de la Constitution et le domaine des lois de finances, j’ai essayé de faire en sorte qu’un maximum de mesures puisse trouver un débouché sous forme d’amendements dans le cadre de ce projet de loi de finances rectificative, pour environ 10 milliards d’euros, articulé autour de cinq objectifs.
Premièrement, il s’agit d’aider les entreprises à investir en assouplissant notamment les reports en arrière des déficits, c’est-à-dire le carry back, et en améliorant l’amortissement.
Deuxièmement, il s’agit de soutenir les ménages et les secteurs les plus fragilisés, singulièrement par des remises de cotisations sociales ou par la mise en place de mesures d’incitation à la consommation, comme les « chèques loisirs », pour les secteurs particulièrement touchés par la crise.
Troisièmement, il s’agit de soutenir l’emploi. Le Gouvernement prévoit la création d’un dispositif exceptionnel d’aide à l’embauche dont le montant serait majoré pour les jeunes.
Quatrièmement, il s’agit d’inciter les ménages à réinjecter l’épargne accumulée pendant le confinement dans l’économie. Nous voulons déconfiner cette épargne grâce, par exemple, au mécanisme de PEA-PME, dans une logique de soutien aux fonds propres des entreprises.
Cinquièmement, il s’agit de mieux préserver les recettes et les capacités d’investissement des collectivités territoriales via, notamment, des mesures concernant les DMTO ou un dispositif plus juste de compensation des pertes de recettes d’Île-de-France Mobilités, cher Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. D’autres dispositions pourront compléter ces propositions au cours de l’examen du texte, car de nombreux amendements ont été déposés.
En résumé, messieurs les ministres, nous ne sommes pas en désaccord avec vos mesures d’urgence et de soutien. Ce texte ne nous pose pas de difficultés, même si nous souhaitons l’améliorer. En revanche, nous sommes en désaccord avec ce qui n’y figure pas. Nous pensons qu’il faut faire autrement ou mieux, nous en reparlerons, mais il nous semble surtout que des mesures de relance devraient être prises maintenant et non à l’automne, pour consolider la confiance de l’ensemble des Français.
En effet, la crise des finances publiques est d’abord malheureusement liée à un effondrement de nos recettes. Si nous attendons plus pour relancer l’économie, cela signifiera moins de TVA, moins d’impôt sur les sociétés et encore moins de marges de manœuvre à l’automne !
J’insiste donc sur la nécessité que ces différentes mesures soient prises dès maintenant. Elles présentent également un caractère temporaire, un effet booster, pour ne pas augmenter le déficit structurel.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la commission des finances propose d’adopter ce troisième PLFR de soutien tel que modifié par les amendements de relance que nous voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a un peu moins de trois mois, lorsque nous examinions le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020, j’avais souligné que ce texte ne constituait qu’une étape, avant un troisième PLFR qui serait, je le pensais, celui des arbitrages politiques.
J’avais alors interrogé le Gouvernement pour qu’il dévoile ses intentions sur sa stratégie de relance de notre économie, sur les moyens de la financer et sur les secteurs prioritaires, car ces questions, posées depuis longtemps, ne semblaient pas avoir trouvé véritablement de réponse.
Aujourd’hui, le temps est venu d’examiner ce texte tant attendu, mais, malheureusement, nombre de mes questions restent sans réponse !
Tout d’abord, nous sommes encore suspendus aux résultats des négociations sur les perspectives financières pluriannuelles et sur le fonds de relance européen. Les discussions vont reprendre demain. L’accord franco-allemand de mai dernier et les propositions de la Commission européenne vont dans le bon sens, encore faut-il clarifier certaines zones d’ombre – je pense notamment aux financements – et désormais transformer l’essai !
Ensuite, le texte qui nous est soumis est finalement non pas un plan de relance, sans cesse différé, même si vous nous en avez beaucoup parlé, monsieur le ministre, mais un ajustement budgétaire qu’il faut bien qualifier « d’attente », du fait notamment de cette absence d’accord européen, et d’une ampleur limitée au regard du soutien dont notre économie a besoin.
Les crédits nouveaux sur le budget général, soit 13,8 milliards d’euros, portent pour l’essentiel sur la mission « Plan d’urgence », entérinant notamment le coût très élevé – 31 milliards d’euros au total – du dispositif de soutien au chômage partiel, certes indispensable, mais qui nécessitera un contrôle a posteriori particulièrement vigilant. Les risques de fraude sont très significatifs en l’absence de réel contrôle a priori et il conviendra de les traiter.
Le projet de loi de finances rectificative prévoit aussi une légère hausse du fonds de solidarité pour les entreprises et des exonérations de charges, mais l’essentiel du soutien provient de simples mesures de trésorerie. Les garanties pour les entreprises avaient déjà été entérinées par le premier PLFR, avec un plafond de 300 milliards d’euros, dont chacun espère bien sûr qu’il n’aura pas lieu d’être.
Tout cela est donc limité, même si le Premier ministre vient de nous annoncer un plan de relance de 100 milliards d’euros et le ministre de l’économie, des finances et de la relance, aujourd’hui même, une baisse des impôts de production de 20 milliards d’euros. Quoi qu’il en soit, les engagements pour l’avenir s’accumulent !
Ce collectif budgétaire était également attendu pour prendre en compte la situation des collectivités territoriales dont les recettes – versement transport, droits de mutation, taxe de séjour, octroi de mer – sont touchées par la crise. Or les collectivités doivent faire face à de nouvelles charges : là encore, les propositions du Gouvernement déçoivent, avec un plan limité à 4,5 milliards d’euros, dont la moitié correspond à des avances remboursables.
Nous nous reverrons donc à l’automne pour débattre de nouvelles mesures. Mais il y a urgence, car la France va connaître cette année une récession sans précédent de 11 % du PIB, selon les estimations gouvernementales, supérieure à celle de nombre de ses partenaires européens, notamment de l’Allemagne qui a pourtant décidé très rapidement d’un plan de relance bien plus massif. Il n’y a guère que le Royaume-Uni, soumis à la double peine du Brexit et du covid, qui fasse plus mal que nous !
Cette récession sera d’autant plus forte que nous tarderons à mettre en œuvre les mesures de soutien nécessaires. Il y a urgence, car il s’agit non seulement de points de croissance, mais aussi des conséquences sociales : le dispositif de chômage partiel n’a apporté qu’une réponse temporaire ; les plans sociaux et les licenciements économiques pourraient s’enchaîner dans les mois à venir, avec des conséquences sur nos territoires.
D’ores et déjà, de grandes entreprises annoncent des suppressions d’emplois : 15 000 chez Airbus, dont un tiers en France, 7 580 chez Air France d’ici à la fin de l’année 2022, 4 600 chez Renault, 1 900 chez Conforama, dont le siège est situé à Lognes, commune dont j’ai été élu municipal pendant vingt-deux ans, 1 200 chez Nokia, etc. Par ailleurs, la situation est dramatique pour les petites et moyennes entreprises.
La collectivité nationale doit réagir en s’efforçant de faire les bons choix : soutenir des entreprises viables, privilégier la recherche et l’investissement, prendre en compte la responsabilité sociale et environnementale. La puissance publique dispose aujourd’hui de leviers de changement inédits et d’une opportunité historique de transformer notre économie pour le bénéfice des générations futures.
À cet égard, nous cherchons encore les indices de cette transformation : conditionner une prise de participation de l’État à des engagements en matière de réduction de gaz à effet de serre à travers la simple publication d’un rapport annuel, sans autre conséquence, n’est clairement pas à la hauteur des enjeux !
Enfin, il faudra malgré tout rester attentifs à nos finances publiques, afin de fixer un cap un tant soit peu cohérent : nous en discuterons dans le cadre du débat d’orientation des finances publiques.
Après des années d’application du pacte de stabilité, la crise a fait exploser tous nos repères : les déficits et la dette publique s’envolent à des niveaux que personne n’aurait pu imaginer il y a seulement quelques mois. Le Gouvernement évoque le « cantonnement » de la dette, comme si cette procédure comptable pouvait la faire disparaître…
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. … tout en refusant de faire participer les contribuables les plus aisés à la solidarité nationale.
M. Jean-Pierre Sueur. Enfin des paroles lucides !
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Quand le temps de l’urgence sera passé, il nous faudra faire les comptes…
M. Jean-Pierre Sueur. Oui !
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. … et justifier la dépense publique auprès des contribuables qui seront appelés à l’assumer ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne voyons, dans nombre d’indicateurs jugés positifs par le Gouvernement, que des signes préoccupants !
Les indicateurs de santé publique, tout d’abord, font état d’une remontée des hospitalisations et des cas de contamination par le covid-19.
Les indicateurs économiques, ensuite, évoquent une récession de 11 % pour 2020. Vous n’allez pas me dire que la situation est positive quand on nous annonce la suppression au minimum de 800 000 emplois d’ici à la fin de l’année, sans parler des plans sociaux qui commencent à pleuvoir, qu’il s’agisse de Nokia, d’Air France, d’Airbus, de Sanofi ou de la grande distribution !
Les indicateurs de cohésion sociale sont également des alertes sérieuses puisqu’ils montrent que le nombre de demandeurs d’emploi et des allocataires du revenu de solidarité active explose. Il faudra bientôt y ajouter les travailleurs saisonniers, affectés par la baisse de la fréquentation touristique, et l’arrivée au mois de septembre de 800 000 jeunes sur le marché de l’emploi.
Si l’on y adjoint la très faible participation lors des élections municipales, nous nous trouvons face à un parfait cocktail explosif d’une crise de sens et d’unité populaire, donc d’une crise politique sur fond de confinement de la démocratie !
Comment le Gouvernement et le Président de la République envisagent-ils de répondre à la crise ? Reprendront-ils le guidon ou continueront-ils de pédaler droit dans le mur ?
Le 14 juillet, le chef de l’État nous a délivré son message pour tracer le nouveau chemin, un « nouveau chemin » qui s’inscrit finalement dans les mêmes sillons que l’ancien ! Avec toute la considération que je dois à MM. Le Maire et Dussopt, pour baisser le coût du capital, on prend les mêmes et on recommence ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
Il ne s’agira ni d’un tournant social ni d’un tournant écologique. Il ne sera pas question non plus de revenir sur les cadeaux fiscaux aux plus riches, mais il faudra en revanche travailler plus et faire payer encore une fois les salariés et les retraités de ce pays !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Oui, c’est vrai !
M. Pascal Savoldelli. Ce que révèle surtout cette intervention présidentielle, par ailleurs on ne peut plus paternaliste, c’est que le Gouvernement continue de privilégier la communication politique du « en même temps » au détriment de l’action politique.
Avec ce troisième PLFR et les annonces dites de soutien ou de relance, nous en avons la parfaite illustration : sur les 40 milliards d’euros prévus pour relancer différentes filières – aéronautique, automobile, tourisme –, ce sont en réalité 3 milliards d’euros qui seront effectivement traduits en crédits budgétaires.
Et le financement de ce texte repose, tout comme celui des deux précédents, sur le bon vouloir des marchés financiers, comme l’a rappelé M. le rapporteur général.
M. Éric Bocquet. Eh oui !
M. Pascal Savoldelli. Pas de nouvelles mesures fiscales, nous dites-vous. Mensonge !
La seule recette connue est la prolongation de la CRDS de 0,5 % sur les revenus : peu importe que ceux-ci soient bas ou hauts, tous les Français participeront au même niveau, pour collecter plus de 160 milliards d’euros d’ici à 2042 !
Cela dit, il aura fallu attendre un troisième texte financier pour voir un plan de soutien aux collectivités annoncé en grande pompe. Mais si l’intention est bien là, le compte n’y est pas !
Le Gouvernement a demandé au député Jean-René Cazeneuve – ce n’est pas un député communiste ! – de faire le point sur les pertes financières des collectivités. Si nous reprenons ses premiers résultats, notre collègue chiffre la perte à 7,5 milliards d’euros pour 2020 : 3,2 milliards d’euros pour le bloc communal, 3,4 milliards d’euros pour les départements et 0,9 milliard d’euros pour les régions. Ça commence mal, par rapport aux 4,5 milliards d’euros annoncés !
Mais si l’on y regarde de plus près, les choses empirent. Il y a un écart entre l’offre et la demande, entre l’argent frais que vous proposez aux collectivités et l’argent qui est vraiment mis sur la table ! Ce plan de soutien financier est un mirage, car vous ne débloquerez réellement que 1,75 milliard d’euros pour les collectivités, monsieur le ministre.
Le bloc communal, à mon grand soulagement, est le plus épargné grâce à la clause de sauvegarde, qui est la bienvenue. Elle est néanmoins incomplète, puisqu’elle ne prend notamment pas en compte les pertes de recettes tarifaires.
Pour ce qui concerne les départements, qui ont tiré le signal d’alarme, vous leur avez seulement concédé des avances remboursables qui correspondent à plus de la moitié de ce plan !
Comment évoquer sincèrement à longueur de temps les territoires et ne pas voir que leurs dépenses sociales flambent ou que leur seconde ressource principale, les DMTO, risque de chuter de 35 % ? Plutôt que de pouvoir compter sur l’État, les élus départementaux sont renvoyés à l’expectative d’un possible futur rebond économique. En gros, ils doivent se débrouiller avec ça !
Mais comment voulez-vous que les départements parviennent à faire face à l’afflux d’inscriptions au RSA, aux demandes d’aide sociale de personnes licenciées par des entreprises pourtant soutenues par l’État, et qui aujourd’hui se permettent d’organiser des plans sociaux et des délocalisations en toute impunité ?
Quant aux régions, ne cherchez pas, mes chers collègues, il n’y a rien pour elles !
La réactivité et l’inventivité des collectivités territoriales ont été sans commune mesure. Elles ont permis de tenir la barre à travers la tempête du covid-19. Malgré les signaux contradictoires reçus d’en haut, voire parfois l’absence de signaux, les collectivités locales ont prouvé la solidité de l’organisation territoriale française, pourtant continuellement remise en question.
Tous les rapports le prouvent, les collectivités sont les principaux investisseurs. Quand on veut promouvoir la relance et la confiance, il importe de leur donner de la solidité financière.
La confiance des Françaises et des Français appelait un nouveau chemin d’égalité sociale et territoriale. Ce projet de loi de finances rectificative n’est pas à la hauteur. C’est la raison pour laquelle nous ne le voterons pas. Pour les élus du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, la confiance n’est pas une forme de paresse ; c’est une exigence de la conscience ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SOCR.)
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sauvetage de notre économie est loin d’être terminé que la relance doit déjà commencer. C’est une nécessité impérieuse pour sauvegarder nos entreprises et l’emploi, et tracer des perspectives d’avenir. Telle devra être l’ambition de ce troisième projet de loi de finances rectificative qui nous est présenté et dont nous entamons aujourd’hui l’examen. La montée en puissance des dispositifs doit se poursuivre.
Si la propagation du virus semble pour le moment avoir été maîtrisée, même si nous devons redoubler de prudence, la crise économique, quant à elle, ne fait malheureusement que commencer. S’il faut se prémunir contre une deuxième vague épidémique à l’automne, il faut aussi craindre une vague de difficultés économiques, déjà perceptible sur nos territoires.
C’est pourquoi nous devons continuer à déployer des mesures pour soutenir nos entreprises et l’emploi. C’est l’aspect défensif de la politique qui est menée depuis le mois de mars. Il est essentiel, car il a permis à notre économie de tenir. Sans entreprises, pas de reprise : il fallait donc d’abord et avant tout sauvegarder le tissu économique.
Cet aspect défensif est essentiel, mais il ne suffit déjà plus, car la menace des faillites se renforce. On prévoit un automne sombre en la matière. Faisons donc en sorte qu’il ne soit pas catastrophique.
Monsieur le ministre, votre politique doit dès maintenant être davantage offensive, en plus d’être défensive. Il s’agit de promouvoir la relance en plus de prévoir le sauvetage.
Ce troisième volet du plan de sauvetage de l’économie vise à amplifier la réponse globale. Je pense, notamment, à l’abondement supplémentaire au fonds de solidarité pour les PME, les TPE et les indépendants ou aux compensations de cotisations sociales pour les entreprises les plus touchées.
Au-delà de ces mesures, d’autres plus spécifiques complètent utilement les dispositifs de soutien pour les secteurs les plus exposés à cette crise : automobile, aéronautique. À cet égard, les dispositions en faveur du tourisme, de l’hôtellerie, des activités culturelles et de l’événementiel sont les bienvenues. Elles sont ô combien nécessaires, comme nous le constatons tous les jours sur nos territoires.
Je me réjouis également que le Gouvernement ait fait le choix de privilégier une action publique au plus près du terrain et des collectivités. C’est notamment le cas avec la possibilité laissée au bloc communal de procéder à des dégrèvements exceptionnels de cotisation foncière des entreprises, ou CFE, pour les PME les plus touchées, ainsi qu’à des exonérations de taxe de séjour en 2020.
Il s’agit là de faire confiance aux acteurs de terrain qui connaissent le mieux les difficultés et les réalités locales. Néanmoins, les délais sont trop contraints. Il n’est pas sérieux d’imaginer que les EPCI, à peine installés, ou les communes pourront prendre de telles décisions avant le 31 juillet, soit quelques jours à peine après la promulgation de la loi. Nous proposerons donc plusieurs amendements visant à mieux appréhender cette réalité locale.
Les collectivités territoriales et les élus locaux ont été en première ligne lors de la crise sanitaire. Je veux à cet instant les saluer. Le plan de soutien, dont le montant global s’élève à 4,5 milliards d’euros, va bien évidemment dans le bon sens. Mais je crois que nous devons encore en accentuer l’ambition. Je suis certain que le Sénat y sera particulièrement vigilant. Il y va de l’intérêt général de la Nation et de sa cohésion.
Je pense, notamment, à la dotation instituée par l’article 5, qui vise à compenser les pertes de certaines recettes fiscales liées aux conséquences économiques de l’épidémie. Le minimum de 1 000 euros n’est sans doute pas suffisant. Nous devons augmenter l’effort à destination des petites communes. C’est le sens d’un amendement que j’ai déposé concernant la dotation particulière « élu local », la DPEL, pour les communes de 200 habitants et moins.
Pour rappel, et à titre de comparaison, dès le début de la crise financière, nous avons voté des mesures de soutien aux petites entreprises par le biais du fonds de solidarité, avec un minimum de 1 500 euros.
Enfin, mon groupe se félicite que les actions engagées par la Commission européenne et par l’Europe occupent une place significative dans ce projet de loi. Je pense, notamment, aux garanties apportées par l’État au mécanisme SURE et à la Banque européenne d’investissement, pour des montants respectifs de 4,4 milliards et de 4,7 milliards d’euros.
Toutes ces mesures sont nécessaires pour préserver l’économie de nos territoires et la solidarité nationale. Le Sénat saura, sans nul doute, enrichir ce troisième projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chômage partiel – il s’agit finalement d’une forme de nationalisation des emplois privés –, fonds de solidarité, prêts garantis : les réponses apportées par l’État dans le cadre des deux premières lois de finances rectificatives ont été immédiates et massives. Certes, les mesures étaient coûteuses, mais elles étaient absolument nécessaires au regard de la déflagration économique, financière et sociale provoquée par la pandémie de covid-19.
Il s’agissait d’éviter l’effondrement de nos entreprises et ses conséquences sociales, de sauver notre tissu économique, les emplois dans les territoires, de protéger les plus fragiles, au moment où l’économie de notre pays et celle de nos voisins étaient à l’arrêt.
Avec ce troisième projet de loi de finances rectificative, le coût budgétaire des grandes mesures de soutien à l’économie et à l’emploi sera porté à environ 50 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent près de 70 milliards d’euros de pertes de recettes fiscales, ce qui porterait notre déficit budgétaire à plus de 220 milliards d’euros à la fin de l’année, soit largement plus du double que ce qui était prévu en loi de finances initiale.
Ces chiffres sont vertigineux, mais pouvait-il en être autrement compte tenu de l’urgence qu’il y avait à soutenir nos entreprises, leurs salariés et, au-delà, les plus fragiles de nos concitoyens ? Désormais, un deuxième rendez-vous, tout aussi important, nous attend : celui de la relance. Nous devons absolument le réussir !
Relancer la machine économique tout en saisissant les opportunités qui nous sont données de transformer durablement nos modes de production, de reconquérir notre souveraineté dans des domaines stratégiques, de faire de la transition écologique un moteur de développement des territoires et de la justice sociale le ferment de la cohésion nationale, telle doit être notre feuille de route. Il s’agit d’opportunités parfois exigeantes, mais elles sont réellement cruciales pour l’avenir de notre société.
Ce PLFR amorce ce virage en soutenant les secteurs les plus durement touchés – tourisme, culture, automobile, aéronautique, nouvelles technologies –, tout en s’inscrivant dans la perspective de la transition écologique.
À ce titre, nous saluons l’ajout de l’article 19 conditionnant les prises de participation de l’Agence des participations de l’État au sein du capital des grandes entreprises à la souscription d’engagements en matière de transition écologique.
Au-delà de l’inquiétude que suscite le dévissage de nos finances publiques, c’est bien la multiplication des destructions d’emplois et la perspective de milliers de jeunes sans débouchés immédiats qui doivent nous alerter. On nous annonce pas moins de 800 000 suppressions d’emplois d’ici à la fin de l’année, alors que, dans le même temps, arriveront tout d’un coup plus de 700 000 jeunes sur un marché du travail fragilisé.
C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous avons accueilli favorablement les différentes annonces qui ont été faites dans ce domaine, qu’il s’agisse des primes pour l’emploi d’un apprenti ou de la réduction du coût d’embauche des jeunes. Peut-être aurons-nous d’ailleurs l’occasion, compte tenu de l’urgence de la situation, de débattre de ces propositions dans le présent PLFR, sans attendre le prochain texte budgétaire.
Quoi qu’il en soit, ce PLFR va dans le bon sens et nous approuvons l’exonération de cotisations et de contributions sociales et patronales prévue à l’article 18. Associé à un crédit de cotisations, il s’agit là d’un dispositif inédit qui bénéficiera automatiquement à un grand nombre de secteurs de l’économie : l’hôtellerie, la restauration, le tourisme, l’événementiel, le sport, la culture, ou encore le transport aérien.
L’article 18, dont le champ d’application a été opportunément étendu, comporte en outre un filet de sécurité pour toutes les entreprises, indépendamment de leur secteur d’activité. Cela nous paraît aussi bienvenu.
Bien sûr, sur tous ces sujets, la copie gouvernementale reste perfectible et la commission des finances, comme mon groupe, proposera des amendements visant à l’améliorer.
Enfin, tout au long de cette crise, le besoin de remettre le local au centre de notre modèle s’est manifesté avec force à l’échelle du pays. La relance passe par la relance au cœur des territoires : les collectivités locales ont un rôle essentiel à jouer pour y parvenir. Il importe donc que le Gouvernement leur en donne les moyens.
À ce titre, je regrette que ce collectif budgétaire ne prenne pas suffisamment en compte la situation des départements. Ces derniers pourraient pourtant demain apporter leur pierre à la dynamique économique des territoires. L’avance proposée pour compenser les pertes de recettes des DMTO de 2,7 milliards d’euros est certes nécessaire, mais cette mesure doit être complétée. Nous proposerons par conséquent des améliorations.
En revanche, le soutien apporté, à hauteur de 1,7 milliard d’euros, en faveur de l’investissement du bloc communal nous paraît décisif.
C’est l’une des vertus de ce budget rectificatif que de prévoir, là encore de façon inédite, une compensation intégrale des pertes de recettes fiscales et domaniales des communes et intercommunalités.
En ouvrant par ailleurs 1 milliard d’euros de crédits supplémentaires de dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), ce budget préfigure la relance à venir dans les territoires autour de la transition écologique, de la résilience sanitaire, mais également, et c’est important, de la rénovation du patrimoine public bâti et non bâti.
Sur ce sujet, monsieur le ministre, il me semblerait opportun que ces crédits soient, pour la moitié au moins, fléchés vers les préfets de département. Ce serait un beau message adressé à l’échelon départemental, à l’échelon local qui, tout au long de la crise sanitaire, a su répondre dans la proximité, avec agilité et efficacité aux besoins des habitants.
Enfin, le versement du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) en année n+1 pour toutes les collectivités serait de nature à accélérer l’investissement local. Nous défendrons un amendement en ce sens.
Pour conclure, sachez, monsieur le ministre, que dans un esprit toujours positif les membres du groupe Union Centriste auront à cœur, au cours de ces trois prochains jours, d’enrichir ce texte qui va dans le bon sens, et qu’ils soutiendront dans leur grande majorité. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants. – M. Didier Rambaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en mars dernier, le Président de la République annonçait une France « en guerre ». Aujourd’hui, l’ennemi invisible est moins prégnant, mais toujours menaçant, tandis qu’une bataille reste à gagner : celle de l’emploi. Elle en cache d’autres : la bataille de la justice sociale et la bataille des territoires.
Le Premier ministre l’a rappelé ce matin, la crise de la covid a accentué certaines fractures au sein de notre modèle économique et social.
L’urgence sanitaire demeure, et une deuxième vague est possible dans notre pays. C’est dans ce contexte sanitaire incertain qu’il nous faut relancer l’économie dans les prochains mois. L’équation n’est pas facile : l’incertitude affecte l’indice de confiance du côté tant des ménages que des entreprises. Aussi, le succès de la relance sera conditionné à la capacité de l’exécutif de dynamiser en même temps l’emploi, l’investissement et la consommation.
À ce stade, les « airbags » jouent leur rôle. Toutes les mesures de soutien mises en place par le Gouvernement aident notre économie à surmonter le choc du confinement, du moins à court terme.
Regardons le recours au chômage partiel. Il a permis de protéger les ménages en limitant la chute de leurs revenus à 3,2 % pendant le confinement, alors qu’au même moment le revenu national baissait de près d’un tiers, selon l’Insee. Le soutien au pouvoir d’achat, au travers du dispositif d’activité partielle, a ainsi permis à la consommation des ménages de rebondir plus fortement que prévu : en juin, l’activité économique a déjà comblé près des trois cinquièmes de l’écart qui la séparait, au pic du confinement, de son niveau d’avant la crise.
Pour autant, l’épargne reste forte, trop forte. Chiffrée à près de 80 milliards d’euros début juillet, elle oblitère le potentiel de consommation. Il faut donc absolument la déconfiner, afin qu’elle ne se transforme pas en épargne de précaution. Des mesures doivent mises en œuvre pour en flécher une partie vers la consommation et l’investissement. L’article 4 du projet de loi de finances rectificative sur le déblocage de l’épargne retraite est un bon début…
Quant aux outils de soutien à la liquidité des entreprises, ils ont également fait leurs preuves. Avec 105 milliards d’euros de prêts garantis par l’État, la France est le pays européen dans lequel cette forme de soutien a été la plus fortement mobilisée ! Ce volume important a certainement contribué à repousser le risque d’une grande vague de faillites, en permettant aux entreprises d’étaler l’incidence du confinement.
Cependant, comment contenir les plans sociaux qui pourraient se présenter dès l’automne ? Le Président de la République l’a plusieurs fois déclaré : « La rentrée sera difficile. »
En effet, en dépit de ces mesures de soutien, les pertes de revenus des entreprises restent très importantes : 54 milliards d’euros entre les mois de mars et de juillet. Une demande insuffisante, je l’ai dit, et la contraction de l’économie mondiale vont durablement peser sur l’activité.
Soyons réalistes : pour faire face à cette récession sans précédent et afin que les difficultés conjoncturelles ne se transforment pas en crise durable, la France devra consentir un effort public soutenu et encore plus important. C’est l’objet de ce troisième projet de loi de finances rectificative, qui, tout en assurant la continuité des mesures précédentes, a le mérite de cibler les secteurs les plus touchés.
Comme on le sait, les conséquences du confinement sont dramatiques sur l’aéronautique, le tourisme et la culture. Par rapport à d’autres pays européens, nous sommes là face à une vraie difficulté, car les avantages comparatifs de la France se situent dans des secteurs structurellement plus exposés aux effets de la fermeture des économies mondiales. Alors, comme l’a souligné avec pertinence la commission des finances, ce soutien sera-t-il suffisant au regard des enjeux que représentent ces secteurs, dont le poids est fondamental pour notre économie et l’équilibre de nos territoires ?
La dégringolade, au fil des budgets rectificatifs, de la prévision de croissance pour 2020 témoigne de la spécificité française. Alors qu’elle était initialement fixée à -1 % du PIB, le Gouvernement l’estime désormais à -11 %, ce qui fait de la France un des pays les plus touchés, avec l’Italie, au sein de la zone euro.
Nous connaissons les conséquences implacables de cette contraction : une hausse massive du déficit conjoncturel par rapport aux projections de la loi de finances initiale, soit une baisse de 7,1 points de PIB, une dette publique qui pourrait atteindre les 121 % d’ici à la fin de l’année. Ces chiffres nous auraient horrifiés il y a seulement quelques mois. Mais, partout au sein de la zone euro, la ligne rouge a été franchie dans un contexte – je le rappelle – où la règle européenne qui fixe le niveau d’endettement à 60 % du PIB maximum est devenue obsolète.
Le risque d’effondrement économique a pris l’avantage sur la question de la dette et la sacro-sainte orthodoxie budgétaire. Pouvons-nous faire autrement ? Je ne le crois pas et mon groupe vous soutient, monsieur le ministre, dans cette direction, pourvu qu’elle soit provisoire.
Mais dans cette entreprise de remobilisation économique, nous avons besoin de tous les leviers. Je pense aux collectivités locales qui n’ont pas ménagé leur peine pour prendre le relais de l’État à bien des égards, quand celui-ci s’est parfois révélé insuffisant, voire défaillant. Le projet de loi de finances rectificative les met à contribution en leur permettant de soutenir les TPE et PME, notamment au travers du dégrèvement exceptionnel de cotisation foncière des entreprises (CFE). Soyons cependant vigilants quant à la compensation de leurs recettes fiscales, car nos collectivités locales vont jouer un rôle fort d’amortisseur social dans les mois qui viennent, ce qui implique le maintien de leurs moyens budgétaires.
Monsieur le ministre, vous le savez, les régions s’inquiètent du projet de baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, même si l’on peut comprendre le principe d’un allégement des impôts de production.
Mes chers collègues, nous examinons ce projet de loi de finances rectificative alors que se profile déjà un nouveau plan de relance annoncé par le Président de la République, et relayé par le Premier ministre. Doté d’au moins 100 milliards d’euros, un programme de cette ampleur nous permet de mieux envisager l’avenir et de rendre de l’espoir à tous les acteurs économiques. Je pense en particulier aux jeunes : ils doivent entendre autre chose que la promesse d’un horizon de dettes qui s’amoncellent.
Comme vous le savez, ils seront près de 700 000 en septembre à postuler à un emploi ! Le dispositif exceptionnel d’exonération des charges jusqu’à 1,6 SMIC annoncé me semble tout à fait intéressant et essentiel à l’insertion de la jeunesse qui entre sur un marché du travail en pleine récession. Cependant, peut-être pourrons-nous aller un peu au-delà de ce seuil, de façon à toucher également les diplômés de l’enseignement supérieur. Nous en reparlerons…
Pour finir, je rappellerai l’entier soutien du RDSE au plan de relance européen Next Generation EU, pas seulement parce qu’il pourrait profiter à la France à hauteur de 40 milliards d’euros, mais parce qu’il concrétise un effort de solidarité, au travers d’une forme de mutualisation des dettes, nécessaire à la cohésion de l’Union européenne. Il reste à souhaiter que tous les États membres en soient convaincus pour que ce plan soit rapidement mis sur pied ; nous le souhaitons ardemment.
En attendant, mes chers collègues, nous examinerons avec bienveillance ce troisième budget rectificatif qui, je l’espère, conduira la France sur la voie du redressement.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Julien Bargeton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « tout commence par une interruption », dit le vers de Paul Valéry. J’ignore si tel est le cas. Les formules de Paul Valéry sont parfois mystérieuses… En tout cas, tout doit recommencer après une interruption.
Les signaux, pas seulement sanitaires, sont contradictoires de ce point de vue. On annonce une contraction inédite, à moins 11 %, mais aussi des capacités de rebond, soulignées par la Commission européenne, l’Insee, ou encore la Banque de France.
Nous sommes donc à la croisée des chemins. Le mécanisme d’activité partielle, qui a été très robuste dans notre pays, a permis de soutenir l’activité. À titre de comparaison, ce dispositif a concerné, en France, 45 % des salariés percevant jusqu’à 84 % de leurs revenus, et en Allemagne, 27 % des salariés touchant jusqu’à 60 % de leurs revenus.
Dans les 460 milliards d’euros de dépenses, ce mécanisme a joué un rôle très important, et nous savons qu’il était indispensable.
Je retiens principalement cinq points de ce troisième projet de loi de finances rectificative : il recharge les crédits des mesures prises ; il déploie les plans sectoriels de soutien, notamment avec les exonérations de cotisations à hauteur de 4 milliards d’euros et le soutien au petit commerce ; il soutient la jeunesse, en particulier grâce aux primes exceptionnelles à l’embauche des apprentis ; il accompagne les collectivités territoriales en prévoyant jusqu’à 4,5 milliards d’euros de crédits ; enfin, il protège les plus fragiles d’entre nous, au travers de l’hébergement d’urgence, des aides aux moins de 25 ans, ou encore de la lutte contre le décrochage scolaire.
Au cours du débat qui nous attend, mon groupe s’intéressera à trois principales lignes directrices.
Premièrement, le critère qu’il convient de retenir est non pas le coût ou le caractère budgétaire ou extrabudgétaire des mesures, mais leur efficacité. Certaines d’entre elles, qui n’entraînent pas de déficit, peuvent être très efficaces parce qu’elles fabriquent de la confiance. Il en est ainsi des prêts garantis qui, s’ils ne relèvent pas du budgétaire pur, donnent de la visibilité et permettent de réenclencher un cercle vertueux, et donc une dynamique.
Deuxièmement, essayons d’être cohérents. Comment peut-on se dire soucieux de l’aggravation de la dette pour les générations futures tout en ajoutant, amendement après amendement, des dépenses supplémentaires ? Il faut décider : soit on en fait trop, soit on n’en fait pas assez !
M. Philippe Dallier. Pas assez !
M. Jean-François Husson. C’est le « en même temps » ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Julien Bargeton. J’entends parfois les deux discours en même temps, alors qu’il faudrait plutôt trancher.
Troisièmement, il ne faut pas augmenter pas les impôts. L’un des grands enseignements de Keynes, en effet, est que ce n’est pas le moment, lorsque l’activité est déprimée et que les investissements privés et la consommation baissent, d’augmenter les impôts ou de réduire les dépenses publiques. Cela ne signifie pas que le sujet du financement par l’impôt ne sera pas posé… Mais il nous faudra voir où nous en serons en termes d’activité et d’emploi en 2022 avant de décider ce qu’il convient de faire. Je mets en garde contre des hausses qui déprimeraient davantage l’économie !
Mon groupe a déposé des amendements qui sont, parfois, proches de ceux d’autres groupes. Ils concernent notamment la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), la culture, les outre-mer, les autorités organisatrices de mobilité (AOM), des sujets qui nous préoccupent particulièrement ; nous serons donc particulièrement attentifs aux divers amendements y afférents.
Après ce projet de loi de finances rectificative, qui vise à continuer d’aider dans la riposte, la réponse et l’urgence, viendra le plan de relance annoncé. Dans le bref temps de parole qui m’est imparti, je voudrais poser quatre premiers jalons au sujet de quatre E.
Premièrement, E comme Europe. Le plan annoncé doit évidemment s’articuler avec le plan de relance européen. Je souhaite que l’initiative franco-allemande aboutisse à une réussite européenne, même si ce n’est pas gagné.
Sur ces travées, nous pouvons partager l’envie d’une telle réussite et l’ambition que le plan français soit parfaitement cohérent avec un plan européen qui sera, nous l’espérons, le plus ambitieux possible.
Deuxièmement, E comme écologie. L’urgence écologique et climatique est là. L’écologie doit être un levier de la croissance, et non un frein à la relance. Ce sera l’un des grands principes que nous devrons examiner.
Troisièmement, E comme entreprises. C’est par la croissance et le développement de celles-ci que nous pourrons financer les dépenses engagées. La croissance des entreprises et de l’emploi permettra en effet de financer les dettes qui se sont accumulées, mais qu’il était indispensable de contracter face à cette crise inédite.
Quatrièmement, E comme éducation, combinée à la formation. Cela a été dit, la jeunesse doit être au cœur de la reconquête : c’est indispensable, et nous le lui devons. Nous aurons l’occasion d’en reparler tous ensemble.
Cela étant, mon groupe soutiendra ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
(M. Thani Mohamed Soilihi remplace M. Philippe Dallier au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons déjà voté deux projets de loi de finances rectificative et plus de 460 milliards d’euros de mesures sectorielles depuis le début de l’épidémie.
Nous n’avons pas rechigné à vous soutenir, mais, cette fois, permettez-moi de vous dire que ce projet de loi de finances rectificative n’est pas à la hauteur de la grave crise économique dans laquelle vous nous avez plongés avec le confinement.
Les prévisions de croissance pour 2020 annoncent une chute de 11 % du PIB et une perte de 1 million d’emplois, et nous en sommes toujours à discuter de 43 milliards d’euros supplémentaires. En Allemagne, le gouvernement fédéral a injecté près de 130 milliards d’euros, soit une ambition trois fois supérieure à la nôtre !
Je rappelle tout de même que le présent projet de loi fait exploser notre déficit de 11,4 % et porte notre dette publique à 120 % du PIB. C’est un poids colossal que nous devrons assumer et que nous faisons déjà supporter par les générations futures. Certes, cette crise économique est due à la crise du coronavirus, que vous n’avez pas su gérer, mais elle aussi le résultat de vos choix politiques et économiques des dernières décennies.
Avec 8 milliards d’euros pour le fonds de solidarité, votre projet manque à l’évidence d’ambition pour soutenir les TPE et PME. On ne peut pas cantonner les exonérations de charges aux entreprises contraintes à une fermeture administrative. Il faut élargir le périmètre aux sous-traitants et aux fournisseurs pendant la durée nécessaire à la reprise d’une activité normale, c’est-à-dire identique aux mois précédents, compte tenu du confinement.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. On va le faire !
M. Stéphane Ravier. À la rentrée, le chômage des jeunes va exploser : 50 000 apprentis sont menacés d’ici au 1er septembre, et 800 000 jeunes arriveront sur le marché du travail à la même période. La baisse des taxes pour l’embauche des jeunes, si elle se produit, ne suffira pas à absorber un tel choc.
Il est temps de revoir l’efficacité décisionnelle de nos politiques en consacrant le principe de subsidiarité, en supprimant les échelons de décision inutiles, comme les agences régionales de santé (ARS), qui ont fait preuve de leur inefficacité, le Conseil économique, social et environnemental (CESE), les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER), et certaines intercommunalités qui coûtent tant et rapportent si peu.
Il faut s’affranchir du carcan européen, qui a brillé par son inaction durant la crise sanitaire. En parallèle, nous dégagerons des moyens financiers, nous baisserons la dépense publique inutile et nous pourrons redonner une autonomie financière aux communes qui se sont tant battues, et souvent seules.
Par ailleurs, le soutien aux entreprises par le recours au chômage partiel et les 31 milliards d’euros qui sont prévus est une bonne chose, car protéger les entreprises, c’est protéger les salariés. Cependant, le parquet de Paris a annoncé qu’il enquêtait sur des escroqueries massives. Votre ministère doit impérativement border le dispositif pour éviter la fraude, monsieur le ministre.
Nous sommes en récession en raison de votre impréparation et de votre incompétence durant la crise du coronavirus. Ce ne sont pas le discours de politique générale de ce matin, qui ressemblait à un réquisitoire contre la politique appliquée – ou plutôt infligée – par le précédent gouvernement, et ce projet de loi de finances rectificative manquant d’ambition, qui changeront quoi que ce soit à la situation catastrophique dans laquelle vous avez plongé le pays !
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, PLFR 1, puis 2, puis 3, en attendant le quatrième… Les textes devaient s’enchaîner pour tenter de contenir les effets de la crise, qui s’annonce très profonde, mais, souhaitons-le, avec un rebond substantiel possible dès 2021, à la condition sine qua non de prendre les bonnes décisions en temps et en heure.
Parmi les questions que nous devons nous poser au moment d’examiner ce texte, celle du tempo des mesures est au moins aussi importante que celle du contenu.
Le Gouvernement avait qualifié les deux premiers textes « d’urgence », « de sauvegarde », et celui-ci de « résilience »… Mais ce troisième projet de loi de finances rectificative aurait pu être – rien ne vous en empêchait –, outre un plan de soutien complémentaire aux secteurs les plus en difficulté de notre économie, le grand plan de relance annoncé en fait depuis mars, dont les mesures, si elles avaient été adoptées en juillet, auraient pu être opérationnelles à la rentrée, au moment notamment où 700 000 jeunes arriveront sur le marché du travail et où, c’est à craindre, le nombre des défaillances d’entreprises va commencer à augmenter.
Le Gouvernement a fait un autre choix sans que nous en comprenions vraiment les raisons, sauf à considérer que le changement de Premier ministre et le remaniement ministériel ont bouleversé l’agenda. Le Parlement aurait pu travailler trois ou quatre semaines de plus avant la coupure estivale… Mais le texte de la relance ne sera prêt qu’à la fin du mois d’août et ne sera finalement intégré qu’au projet de loi de finances pour 2021, ce qui repoussera de facto la mise en œuvre des mesures décidées au début de l’année prochaine. Ces six mois perdus pourraient, au final, nous coûter très cher.
Avant d’en venir au détail du texte et à nos propositions, je veux, monsieur le ministre, revenir un instant sur la situation de la France d’avant et le tableau qu’en brosse généralement Bruno Le Maire. C’est aujourd’hui notre point de départ, avant la crise.
Le ministre de l’économie, des finances et de la relance met souvent en avant le net recul du chômage, sous les 8 % – c’est exact –, le regain d’intérêt pour l’apprentissage – exact là aussi –, la bonne tenue de l’investissement privé – exact également –, et même la bonne tenue de la consommation des ménages jusqu’en 2019 – exact encore.
Permettez-moi cependant de relativiser ces propos en rappelant simplement quelques chiffres.
Ceux de la croissance, d’abord : 2,3 % en 2017 ; puis 1,8 % en 2018 ; enfin, 1,5 % en 2019. Une belle pente descendante, avec un acquis de croissance de seulement 0,1 % pour 2020, avant la crise, ce qui est le plus mauvais chiffre depuis 2012.
Ceux du déficit du budget de l’État, ensuite : 67,6 milliards d’euros en 2017 ; puis 76 milliards d’euros en 2018, et 92,7 milliards d’euros en 2019, soit une belle pente ascendante. La raison en est simple : aucune réduction du déficit structurel en 2018 et 2019, pas plus que dans la loi de finances initiale pour 2020, donc avant la crise. Quant au déficit prévisionnel pour 2020, il était de 93,1 milliards d’euros.
J’en viens au déficit public : 3 % du PIB en 2019. Pour la première fois depuis 2011, il est reparti à la hausse.
Quant à la dette publique, elle a frôlé l’an dernier les 100 % du PIB. Nul doute que ce seuil aurait été franchi en 2020 avec une prévision de croissance en berne, faute toujours d’effort structurel.
Alors oui, monsieur le ministre, il y avait quelques points positifs, mais le tableau d’ensemble était plutôt sombre. Surtout, en ces matières-là, il faut se comparer… Et là, pour le coup, la comparaison ne rassure pas, elle inquiète…
Nous avons abordé la crise dans une situation économique et financière bien plus dégradée que la plupart des autres États européens.
En 2019, nous étions en queue de peloton : sur 27, nous étions 23e pour la croissance et l’endettement public, 24e pour le taux de chômage, 26e pour le déficit public. Même avec un taux de chômage de 8,1 % en février dernier, seules l’Italie, l’Espagne et la Grèce faisaient moins bien que nous.
Avec un taux de croissance de -0,1 % au quatrième trimestre 2019, seules l’Italie, la Finlande et la Grèce faisaient moins bien que nous.
Avec 98,1 % de taux d’endettement, seuls la Belgique, le Portugal, l’Italie et la Grèce faisaient moins bien que nous.
Avec un déficit public de 3 % du PIB en 2019, seule la Roumanie faisait pire que nous.
Nous n’avons donc pas appréhendé cette crise avec les mêmes armes que les autres pays européens qui, eux, ont fait des efforts pendant dix ans, ce qui leur permet de mieux aborder la situation.
Monsieur le ministre, vous n’êtes pas entièrement responsable de cette situation. Rappelons cependant que le retour à l’équilibre de nos comptes publics, prévu en 2021, au début du quinquennat, n’est plus qu’un vieux souvenir. Il vous a fallu essayer d’éteindre l’incendie provoqué par la crise des « gilets jaunes ». Voilà pourquoi 2020 s’annonçait déjà comme une année difficile.
Mais maintenant, l’incendie à éteindre est d’une tout autre ampleur et il y a urgence. Nous n’avons pas dix ans devant nous. Voilà pourquoi nous pensons que vous perdez du temps par rapport à nos grands voisins.
M. Le Maire a beau nous dire que l’effort de la France est comparable à celui de l’Allemagne, notre rapporteur général démontre, dans son rapport, qu’il n’en est strictement rien.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Oui, il faut le dire !
M. Philippe Dallier. Les mesures de soutien ayant une incidence budgétaire s’élèvent à 2,6 points de PIB en France, quand elles atteignent 9,4 points de PIB en Allemagne. Cela traduit bien la faiblesse de nos marges de manœuvre. Ce n’est pas l’envie qui fait défaut ; nous ne pouvons pas faire plus !
Pourtant, au début de la crise, le Président de la République a utilisé l’expression, probablement hasardeuse, « quoi qu’il en coûte ». Et le 14 juillet dernier, il nous a annoncé un plan de relance de 100 milliards d’euros. Mais quand et comment, nous ne le savons pas exactement.
Considérant que notre économie ne peut attendre six mois de plus, mon groupe déposera des amendements sur ce texte, comme notre rapporteur général, au nom de la commission des finances, mais aussi les autres commissions, à commencer par celle des affaires économiques, qui ont travaillé, auditionné, préparé des mesures de relance.
Les sénateurs Les Républicains proposeront ainsi de baisser les impôts de production, afin d’améliorer la compétitivité de nos entreprises et de favoriser la relocalisation d’activité autant que faire se peut.
Nous vous proposerons de commencer par la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), promise depuis si longtemps par le Président de la République – l’actuel comme l’ancien, d’ailleurs ; vous devez vous en souvenir, monsieur le ministre ! –, et par la suppression du forfait social pour les PME et les ETI.
Nous proposerons également de baisser les charges sociales, pour diminuer le coût du travail et lutter contre le chômage, en soutenant l’emploi des jeunes et la création d’entreprise par les demandeurs d’emploi.
Nous proposerons de doper les investissements dans le capital des entreprises. La plupart d’entre elles sont aujourd’hui fragilisées et la question de leur solvabilité va être essentielle. Leurs besoins en fonds propres sont estimés entre 10 et 30 milliards d’euros par la Banque de France, un montant considérable.
Les chiffres sont éloquents : l’effondrement des recettes fiscales de 66 milliards d’euros sera dû, pour moitié, à l’effondrement des bénéfices des entreprises, avec une perte estimée, pour 2020, à 32,4 milliards d’euros de recettes d’impôt sur les sociétés. La chute de la consommation, avec 19,8 milliards de baisse des recettes de TVA, ne vient qu’en second. Les revenus des ménages n’ont diminué, pour leur part, si j’ose dire, que de 6 milliards d’euros.
Nous proposerons aussi de renforcer le soutien à certains secteurs, comme les transports et le logement, des secteurs clés dont dépend aussi le bon fonctionnement de notre économie.
Concernant les transports, les AOM doivent être accompagnées, y compris en Île-de-France, région qui avait été bizarrement oubliée. Même si des avancées ont bien eu lieu à l’Assemblée nationale, elles sont insuffisantes.
Notre rapporteur général vous proposera d’aller plus loin, afin que la région capitale, où la qualité des transports en commun est vitale pour nos entreprises et où les besoins sont – c’est le moins que l’on puisse dire – considérables, ne soit pas laissée pour compte.
Quant au logement, si l’accent est mis sur la rénovation thermique de l’existant – sujet certes important –, nous n’avons pas vraiment le sentiment que tout soit fait pour soutenir la construction neuve. Pourtant, les besoins sont, là aussi, réels. Les emplois concernés sont non délocalisables et la chute du nombre de logements construits, tant dans le parc privé que dans le logement social, ne pourra qu’alimenter la fournaise des prix, que nous n’arrivons toujours pas à enrayer.
Toujours en matière de logement, je ne résiste pas à l’envie de vous demander, monsieur le ministre, des nouvelles de la réforme des aides personnalisées au logement (APL), dont l’entrée en vigueur a été repoussée, pour des raisons d’abord techniques, puis d’opportunité politique, en lien avec la crise. Est-elle donc, oui ou non, définitivement abandonnée pour 2020 ?
Si oui, ce que je crois, pourquoi n’en tirez-vous aucune conséquence budgétaire, puisqu’il manquera alors vraisemblablement près de 1 milliard d’euros pour le Fonds national d’aide au logement (FNAL) ? Après l’examen de ce projet de loi de finances rectificative, le déficit budgétaire atteindra probablement 224 milliards d’euros, donc 1 milliard d’euros de plus ou de moins correspond, si j’ose dire, à une toute petite épaisseur du trait… Mettez au moins les pendules à l’heure dans ce domaine !
Par ailleurs, nous proposerons d’encourager l’investissement public, soutenu principalement par les collectivités territoriales, en reprenant la mesure sur le Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), qui avait été efficace dans le cadre du plan de relance de 2009. Cette disposition avait d’ailleurs été reconduite plusieurs années de suite.
Nous soutiendrons également des mesures favorisant la transition énergétique, notre conviction étant que le rebond passera aussi par la croissance écologique et non par la décroissance verte, comme l’a très justement souligné M. le Premier ministre.
Enfin, nous proposerons de soutenir la consommation, qui a fortement chuté, au travers de mesures visant à libérer l’épargne des Français, qui s’est accumulée pendant le confinement. Les estimations varient entre 75 milliards et 100 milliards d’euros, c’est considérable !
Toutefois, la relance de la consommation des ménages dépendra aussi de la confiance des Français, qui repose sur plusieurs éléments : le maintien des filets sociaux de sécurité, mais aussi la stabilité fiscale promise par le Président de la République. De ce point de vue, nous regrettons les propos contradictoires qui sont exprimés à ce sujet au sein de votre majorité, monsieur le ministre.
Ainsi, le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, pourtant réputé proche du Président de la République, a laissé entendre qu’il faudrait davantage taxer les premiers de cordée, ceux-là mêmes sur lesquels la fiscalité est déjà hyperconcentrée, puisque – je le rappelle –, en France, 20 % des ménages paient 85 % de l’impôt sur le revenu.
M. Patrick Kanner. C’est un ancien socialiste !
M. Philippe Dallier. De même, le Président de la République a laissé entendre, lors de son entretien du 14 juillet dernier, que la suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % de ménages les plus aisés serait sans doute reportée ; mais reportée comment et de combien de temps ? Nul ne sait et Mme Gourault était, ce matin, à la télévision, bien en peine d’expliquer ce qu’il en est…
Nous étions opposés à la suppression de la taxe d’habitation, qui coûte très cher à l’État – 17 milliards d’euros par an – et qui va couper le lien fiscal entre, grosso modo, la moitié des habitants et leur commune, mais, dès lors que sa suppression sera effective d’ici à quelques mois, elle doit l’être pour tout le monde ; le Conseil constitutionnel l’a préconisé, pour ne pas dire imposé. Vous n’avez donc pas d’autre choix que de pousser cette réforme à son terme.
Cela dit, toutes les mesures que nous proposerons en matière de reprise économique ne peuvent pas figurer dans une loi de finances, car certaines d’entre elles seraient déclarées irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution. Je souhaite donc vous faire part de quelques idées, qui pourraient utilement être reprises par le Gouvernement, monsieur le ministre.
En ce qui concerne la relance verte, et pour soutenir la filière automobile, nous vous proposons d’augmenter le bonus écologique en supprimant les conditions de ressources pour l’attribution de la prime à la conversion en faveur d’un véhicule propre. Nous souhaiterions également que le bonus écologique soit élargi aux véhicules électriques ou à hydrogène d’occasion et que la prime à la conversion soit rétablie dans sa version antérieure au mois de juillet 2019.
En matière de soutien à nos agriculteurs, qui ont également souffert de la crise, nous prônons la mise en place d’une aide compensant 50 % de leurs pertes d’exploitation s’ils ont subi une baisse de leur chiffre d’affaires supérieure à 30 %.
Pour qui concerne le soutien à l’emploi des jeunes, dont 700 000 arriveront prochainement sur le marché du travail, nous ferons plusieurs propositions, mais nous demandons également au Gouvernement d’étendre aux entreprises de plus de 250 salariés son aide majorée pour l’apprentissage.
Quant au soutien aux demandeurs d’emploi, nous demandons que soit abaissé de 1 000 à 500 le seuil au-delà duquel une entreprise doit offrir un congé de reclassement à ses salariés en cours de licenciement et nous souhaitons que ce mécanisme soit étendu à au moins une année. Cette mesure pourrait être utilement combinée avec le dispositif de chômage partiel de longue durée.
Toutes ces mesures de relance ont bien évidemment un coût, nous en sommes conscients, mais nous n’avons pas changé de discours : pour les financer, en partie seulement, bien évidemment, il faudra faire des réformes structurelles et dégager des économies. Il faudra simplifier les normes et les multiples procédures – nous le répétons depuis assez longtemps ; la crise a mis cette nécessité en exergue, les collectivités locales ayant montré qu’elles étaient plus réactives et efficaces que l’État, qui est trop centralisé et bureaucratique.
Il faudra enfin avoir le courage de supprimer les doublons dans notre organisation territoriale, d’achever la décentralisation et de diminuer le nombre d’agences de l’État.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Eh oui !
M. Philippe Dallier. Malheureusement, le temps est devenu très court et nous allons devoir réformer en pleine crise. Comme François Hollande, Emmanuel Macron n’a eu de cesse de repousser les efforts à plus tard, et voilà que nous allons devoir faire ces réformes structurelles au moment où ce sera le plus difficile.
Selon les prévisions de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) du 10 juin dernier, la France connaîtra, en 2020, la récession la plus forte au monde, avec le Royaume-Uni ; il faudrait d’ailleurs pouvoir distinguer, pour ce pays, ce qui relève des conséquences du Brexit et ce qui relève de la crise.
Une récession de 11 % – c’est le chiffre retenu dans ce collectif budgétaire –, cela signifie une perte de 267 milliards d’euros. Cette baisse est à comparer avec celle de 2,9 % en 2009 ; le choc de cette crise sera donc trois fois supérieur à celui de la crise de 2008. Le taux de dépenses publiques passera ainsi mécaniquement de 54 % à 63 %, un niveau jamais atteint.
Pour financer tout cela, nous n’avons pas d’autre moyen, dans un premier temps, que de laisser filer le déficit et la dette, qui atteindra 120 % du PIB. Néanmoins, il faut avoir le courage de le dire aux Français, cette dette, il faudra la rembourser et je terminerai mon intervention sur ce point. Il circule une idée : cantonner cette dette dans un coin, la planquer sous le tapis et faire comme si elle n’existait pas, comme on a fait pour la dette sociale avec la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades).
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ça ne marche pas, ça !
M. Philippe Dallier. On vient d’en reprendre pour dix ans avec la Cades et le ministre de l’économie nous propose même de la proroger jusqu’en 2042, pour y loger les 100 milliards d’euros de la dette dite « covid ». Appelez cette dette comme vous le voulez, monsieur le ministre, logez-la où vous voulez, mais ayons tous le courage de dire aux Français qu’il faudra bien la rembourser, qu’il faut faire les efforts nécessaires. (M. Stéphane Piednoir approuve.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Absolument !
M. Philippe Dallier. Alors, disons-le collectivement, c’est le meilleur moyen d’entraîner le pays tout entier.
C’est dans cet esprit que le groupe Les Républicains aborde l’examen de ce texte ; il adoptera ce projet de loi de finances rectificative tel que modifié par la Haute Assemblée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général de la commission des finances et Mme Nathalie Goulet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Carcenac. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Thierry Carcenac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis, avant la trêve estivale, pour évoquer le quatrième budget pour l’année 2020.
Cette situation est – chacun le mesure – extrêmement atypique ; nous sommes amenés à examiner un texte présentant un déficit de plus de 11 % du PIB et une dette de plus de 120 % du PIB. Mes chers collègues, nous aurions tous été horrifiés, si l’on nous avait annoncé cela au mois de décembre dernier, lors de l’examen du projet de loi de finances initial pour 2020 ; pourtant, nous en sommes là…
Je note la nature très ambivalente de ce texte, qui n’est ni pleinement un plan d’urgence ni véritablement un plan de relance. En soi, le contenu du texte n’est pas mauvais, il convient de le dire, mais un effort de transparence et de clarté serait nécessaire, pour ne pas additionner, comme l’on dit chez moi, des carottes et des navets, des baisses de recettes et des dépenses annuelles ou globalisées sur plusieurs exercices, des prêts garantis par l’État – lesquels, nous l’espérons, ne seront pas toujours appelés –, ou encore des reports de charges… Autant de décisions qui ont des effets directs sur le budget de l’État, mais également sur les dépenses de sécurité sociale et de retraite, en raison d’exonérations non compensées de cotisations.
J’observe, par ailleurs, que de nombreux crédits sont ouverts pour traiter des conséquences de la crise sanitaire et économique que nous connaissons.
Toutefois, le groupe socialiste et républicain du Sénat ne peut que déplorer le manque d’ambition de ce projet de loi. Le parti socialiste et ses deux groupes parlementaires, à l’Assemblée nationale et au Sénat, ont produit un plan de relance, présenté à la presse le 9 juin dernier. Ce plan identifiait ce que nous considérons comme des manques flagrants dans l’action du Gouvernement. Nous pensons qu’il faut aller plus loin dans le soutien à certains secteurs et dans le rééquilibrage de l’économie, tant sur le volet social que sur le volet environnemental.
Des quarante-cinq propositions que nous avons formulées à cette occasion, nous avons introduit dans notre débat, par le biais d’amendements, toutes les mesures qui pourraient trouver leur place dans le présent projet de loi de finances rectificative.
Nous voulons ouvrir cette discussion, qui nous semble d’autant plus nécessaire que le Gouvernement tarde à mettre en œuvre un vrai plan de relance et qu’il multiplie certaines annonces contradictoires : y aura-t-il un projet de loi de finances rectificative ou un projet de loi ordinaire ? À quelle échéance ? Nous souhaiterions des engagements fermes à ce sujet, monsieur le ministre ; le Premier ministre a évoqué, dans son discours de politique générale, le début du mois de septembre.
Parce qu’il n’est pas possible d’évoquer l’ensemble des sujets qui mériteraient de l’être lors de la discussion générale, je veux aborder les quatre points qui me semblent les plus importants ou qui, à tout le moins, appellent l’attention du groupe socialiste et républicain. Mon collègue Patrice Joly reviendra précisément sur certains sujets lors de son intervention.
Je pense, en premier lieu, au financement de l’action publique. Au travers des récents projets de loi organique et de loi relatifs à la dette sociale et à l’autonomie, vous avez créé, de facto, un nouvel impôt, en prolongeant de neuf ans la durée d’existence de la Cades. Vous pouvez bien le nier, cela n’en demeure pas moins la stricte vérité. Comble de l’ironie, vous n’assumerez même pas ce nouvel impôt, qui interviendra à partir de 2024.
Ainsi, chaque Français, y compris parmi les plus modestes, sera mis à contribution sans qu’aucune progressivité soit prévue. Nous demandons, une nouvelle fois, davantage de justice sociale et fiscale et nous vous proposerons des mesures allant dans ce sens : rétablissement de l’ISF, suppression de la flat tax, réintroduction de la taxe sur les hauts salaires, contribution exceptionnelle des encours d’assurance vie les plus élevés, renforcement de la taxe sur les transactions financières et sur les dividendes. Vous avez l’embarras du choix, alors que nos recettes nettes devraient fléchir fortement – environ 66 milliards d’euros – entre la loi de finances initiale et ce troisième projet de loi de finances rectificative.
Cela permettrait d’avancer sur un chemin nouveau – non un « nouveau chemin » – socialement plus juste, alors que, aujourd’hui, en exemptant les plus riches au détriment de nos enfants et de nos petits-enfants, vous faites le choix de l’irresponsabilité du « quoi qu’il en coûte », financé par de la dette.
Deuxième point : la culture, au sens le plus large du terme. Nous avons le sentiment que le Gouvernement ne prend pas véritablement la mesure de la gravité de la crise que traverse ce secteur. Nous proposerons, au lieu d’une multitude de petits amendements très spécifiques, la mise en place d’un plan global de sauvegarde et de relance de la vie culturelle dans notre pays. C’est indispensable et très complémentaire d’une politique touristique.
Troisième point, qui doit absolument être musclé : la transition environnementale. Il s’agit non pas de contraindre un tissu économique en souffrance, mais de préparer l’économie de demain, en instaurant des mécanismes de fléchage des fonds et de conditionnalité de certaines aides. La majorité présidentielle a introduit, à l’Assemblée nationale, un amendement en la matière, mais nous estimons qu’il faut aller au-delà du vœu pieux et trouver un équilibre entre incitation et obligation ; ce n’est pas le cas, à ce stade. Il faut faire de cette crise un atout pour transformer notre économie, d’autant que certains investissements d’avenir ne sont pas délocalisables ; nous défendrons plusieurs amendements en ce sens.
Quatrième point : les collectivités territoriales. Nous devons garantir le niveau de ressources de celles-ci, car c’est dans les territoires, avec l’appui des élus locaux, que nous pourrons disposer des leviers les plus efficaces pour relancer les systèmes productifs locaux. En effet, les choix successifs en matière de fiscalité locale conduisent à une disparition de l’autonomie fiscale, comme en témoigne l’annonce du projet de suppression des impôts de production, comme la CVAE, perçue par les collectivités territoriales, notamment les régions. Certes, cette suppression devrait être compensée, mais nous doutons d’une évolution positive des compensations, qui, en règle générale, au mieux, stagnent et, au pire, diminuent, alors que l’on demande toujours plus aux collectivités territoriales.
Je veux insister, enfin, sur les AOM, qui devront jouer un rôle fondamental dans la sortie de cette crise, tant les transports ont été, on le voit, affectés et remis en cause. C’est dans cette perspective que nous avons souhaité garantir leur niveau de ressources et favoriser une réflexion et l’engagement d’une action publique résolument dynamique en matière de transports urbains au sens large, mais aussi de mobilités urbaines, avec l’effort désormais incontestable en matière de circulations dites « douces ».
J’aurais pu aborder de nombreux autres points, comme la recherche, l’enseignement supérieur, l’emploi, la lutte contre le chômage des jeunes qui vont arriver sur le marché du travail, ou encore l’agriculture et l’alimentation, mais nous aurons l’occasion d’y revenir.
Voilà, en quelques mots, mes chers collègues, l’état d’esprit dans lequel nous abordons ce texte. Vous l’aurez compris, le vote du groupe socialiste et républicain dépendra du sort réservé à ses propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de budget rectificatif en budget rectificatif, la situation se dégrade. Nous sommes passés, du budget initial pour l’année 2020 à ce projet de loi de finances rectificative, d’une prévision de croissance de 1,3 % à une prévision de récession de 11 %.
Face à une telle évolution, il m’eût semblé normal que l’on révise aussi les dépenses pour l’année 2020. Dans toutes les communes, dans toutes les collectivités, mais également dans tout ménage et dans toute entreprise, quand les recettes baissent significativement, on revoit ses dépenses. J’ai été très surpris, monsieur le ministre, que, dans les budgets rectificatifs que vous nous avez présentés, qu’il s’agisse d’urgence ou de soutien, il n’y ait aucun gel, aucun report, aucune annulation de dépenses. Nous avons entendu le Président de la République indiquer que l’on allait reporter la suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % restants des ménages, mais, en matière de report ou d’annulation de dépense : néant. C’est une logique budgétaire que je ne peux pas suivre.
Vous nous présentez un troisième projet de loi de finances rectificative comportant deux fois plus de dépenses que de recettes. J’y insiste, il faut que les Français aient bien conscience de cet équilibre. Pour moi, c’est difficile à accepter.
Nous avons une autre priorité, au sein du groupe Union Centriste – ma collègue Nathalie Goulet, ici présente, est souvent intervenue sur ce sujet : la fraude fiscale et sociale. Ce qui s’est passé avec le chômage partiel ne nous rassure vraiment pas ; ce qui a été demandé aux entreprises, pour pouvoir bénéficier de ce dispositif, était vraiment le strict minimum, et encore… J’espère que ce combat contre la fraude fiscale et sociale sera poursuivi, y compris pour ce qui concerne le chômage partiel.
Cela dit, la question que l’on peut se poser, après tout ce que nous avons vécu, est la suivante : qui va payer ? J’ai écouté attentivement le Président de la République et le Premier ministre, mais personne n’a répondu à cette question. En deux ans – 2020 et 2021 –, le pays aura perdu 350 milliards d’euros ; parallèlement, les Français, dans leur ensemble, ont épargné 100 milliards d’euros supplémentaires.
Finalement, ceux qui ont payé, pour l’instant, ce sont certains commerçants, certains artisans, certains indépendants.
M. Patrick Kanner. Eh oui…
M. Vincent Delahaye. Mais ce n’est pas le gros de la troupe, cela représente à peu près 10 % des Français.
Certains, à ma gauche, prônent le rétablissement de l’ISF, pour faire payer les riches.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Pas le rétablissement de l’ISF, un nouvel impôt, vous n’avez pas bien écouté, mon cher collègue !
M. Vincent Delahaye. Soit, un nouvel impôt, monsieur le président, mais l’ISF rapportait 4,2 milliards d’euros et l’IFI rapporte presque 2 milliards d’euros. Donc, en admettant que l’on rétablisse cet impôt ou que l’on en crée un nouveau, cela rapportera 2 milliards ou 3 milliards d’euros supplémentaires. Vous le constatez, on est loin de la perte de richesse de 350 milliards d’euros.
M. Julien Bargeton. C’est vrai !
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Nous n’avons jamais prétendu que cela réglerait tout le problème, mais ce n’est pas une raison pour ne pas le faire !
M. Vincent Delahaye. Bref, c’est hors de proportion…
Malheureusement, je pense que, comme d’habitude, notre génération n’assumera pas ses choix, ses décisions et les malheurs qu’elle subit. Nous transférerons cette charge sur les générations futures. Personnellement, je ne peux pas assumer ce transfert de charges.
Alors, que nous dit-on ? Que l’on va enregistrer la dette dans un compte spécial et que la croissance future permettra de la financer. Mais je crois, monsieur le ministre, qu’il faut mettre fin à ce rêve d’une croissance perpétuelle. On nous refait chaque fois le coup ; on nous dit de ne pas nous inquiéter, que les choses iront mieux et que nous aurons, dans quelque temps, de la croissance qui nous permettra d’avoir des recettes supplémentaires. Il faut être réaliste ; or la réalité, c’est que nous vivons sans doute une époque dans laquelle la croissance sera bien inférieure à ce qu’elle a pu être dans le passé. Il faut bâtir des stratégies budgétaires qui en tiennent compte.
Enfin, j’aimerais que nous nous attelions tous à une réflexion : la croissance que nous souhaitons est-elle compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique, qui est la priorité de tous ? Si l’on écoute bien chacun, cette lutte est consensuelle. Or il y a, à mon avis, un problème de compatibilité entre une croissance perpétuelle, souhaitable dans l’absolu du point de vue budgétaire, et cette lutte nécessaire contre le réchauffement climatique.
Je souhaite donc qu’il y ait, monsieur le ministre, plus de clarté, de transparence et de vérité, afin de déterminer qui va payer le coût de cette crise et quand. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacky Deromedi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il était temps qu’un projet de loi de finances rectificative prévoie enfin des crédits et engagements pour nos compatriotes français de l’étranger, qui subissent de plein fouet la crise pandémique.
Lorsque l’on est expatrié, on est étranger dans le pays d’accueil, et, en tant que tel, on a, à la fois, peu de droits et le devoir de respecter les règles du pays d’accueil. S’il y a des licenciements, ce sont les étrangers qui voient leurs contrats interrompus, sans indemnités ; ils doivent pourtant continuer de faire vivre leur famille.
Les membres de certains couples français ont tous les deux perdu leur emploi. Ils ne veulent pas rentrer pour autant, mais il leur faut du temps pour retrouver un emploi et faire face à leurs dépenses. De plus, dans beaucoup de pays, les permis de séjour sont liés aux contrats de travail.
Le plan de soutien prévoyait un dispositif de 50 millions d’euros de crédits, destiné à aider nos compatriotes les plus démunis touchés par la crise. Deux mois après l’annonce de cette aide exceptionnelle, seulement 2 700 de nos compatriotes ont pu bénéficier de cette aide, totalisant à peine 390 000 euros, soit moins de 1 % de l’enveloppe destinée à soutenir les Français de l’étranger en grande difficulté.
Serait-ce parce que, finalement, ces Français résidant hors de France vont mieux ? Pas du tout, mais les critères d’attribution de ces aides sont opaques et mal connus. Ils ne font pas l’objet d’un texte réglementaire ; nul ne comprend pourquoi tant de personnes ne sont pas éligibles à ces subventions, alors qu’elles se retrouvent, brutalement, totalement démunies.
Les dossiers sont étudiés par les postes diplomatiques, dont la compétence n’est pas remise en cause, mais qui n’ont pas toujours une parfaite connaissance de la situation individuelle des personnes en difficulté. Or les conseillers des Français de l’étranger, qui, eux, connaissent cette situation, ne sont pas consultés.
Si le pays de résidence accorde une aide, comme à Madagascar, où les étrangers perçoivent une aide de 23 euros, les demandeurs ne sont plus éligibles à l’aide exceptionnelle. En outre, même lorsque toutes les conditions sont remplies, le montant accordé est ridiculement bas, puisqu’il s’élève à 150 euros au maximum, plus 100 euros par enfant.
Les conseillers des Français de l’étranger nous font part de leur totale incompréhension face à l’obligation de ne verser cette aide qu’une seule fois, alors que, chacun en convient et l’annonce, la crise sera longue. En tout état de cause, cette aide est totalement sous-dimensionnée par rapport aux besoins.
Il faut établir, de toute urgence, des critères adaptés, qui tiennent compte des problèmes individuels de chacun et qui permettent de payer le loyer, la scolarité et les frais de la vie quotidienne pendant au moins six mois, quitte à ce qu’il s’agisse d’un prêt remboursable. Il faut donner la possibilité d’utiliser cette subvention, à moins qu’elle ne soit qu’un leurre…
Les Français qui ont créé de petites entreprises à l’étranger connaissent également des difficultés. M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État, avait donné quelques espérances en réponse à ma question d’actualité du 1er juillet. Il avait reconnu des lacunes concernant nos entreprises en déclarant : « Je souhaite mettre en place un volet complémentaire, à destination des entrepreneurs, dont certains ne bénéficient pas d’aides locales ; je suis en train d’y travailler avec mes collègues de Bercy. » Or il n’y a aucun crédit ni aucune mesure pour ces entreprises dans ce troisième PLFR.
Il est urgent de mettre en place un plan de soutien aux entrepreneurs français à l’étranger qui permette à ceux-ci d’obtenir le financement de six mois de trésorerie par des avances remboursables à partir de 2022.
Enfin, en ce qui concerne nos établissements scolaires français à l’étranger, il a été, là encore, prévu une enveloppe de bourses supplémentaires pour faire face aux frais de scolarité, que les parents ne veulent ou ne peuvent pas régler, en particulier du fait de l’enseignement à distance. Malheureusement, les établissements scolaires n’ont pas d’autre choix que de facturer l’intégralité des écolages, déduction faite des frais n’ayant pas été supportés.
Là aussi, l’information n’a pas été correctement diffusée. Les décisions d’octroi sont prises non pas sur place, par les personnes qui connaissent les situations des familles, mais à Paris, et les critères sont également totalement opaques. La plupart des dossiers sont refusés. On va encore nous dire que la totalité de l’enveloppe des bourses n’a pas été consommée, alors que beaucoup de familles ne peuvent pas payer le troisième trimestre et risquent de ne pas réinscrire leurs enfants l’année prochaine. Cela est susceptible de mettre en grande difficulté les établissements eux-mêmes.
Quand on compare les centaines de milliards d’euros distribués en France et en outre-mer aux 220 millions d’euros qui ne seront même pas totalement distribués à l’étranger, on a le droit de s’interroger. En France, c’est « quoi qu’il en coûte ». Nous aimerions qu’il en soit ainsi pour les Français résidant à l’étranger. Il serait regrettable que l’on soit obligé de rapatrier ceux qui n’auront pas réussi à passer la vague, simplement parce qu’ils n’auront pas reçu le soutien ponctuel nécessaire durant cette crise.
Monsieur le ministre, quoi qu’il m’en coûte, je continuerai de me battre pour faire entendre leurs voix, en espérant que, un jour, ils auront la place qu’ils méritent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Patrice Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire que nous traversons a des conséquences redoutables sur la vie de nos concitoyens. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants se retrouvent aujourd’hui dans des situations de grande précarité et d’insécurité pour leur avenir.
Face à l’urgence sociale, la question de l’examen d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, prenant en compte l’incidence de la crise sur les comptes sociaux, aurait mérité d’être inscrite à l’ordre du jour du Parlement. Le Gouvernement n’a pas fait ce choix ; il s’est contenté de nous soumettre un troisième projet de loi de finances rectificative en nous martelant deux chiffres : une récession de 11 % et une dette représentant 120 % du PIB en 2020.
Nous écoutons le ministre nous dire, comme il aime à le répéter pour développer son discours sur les finances publiques, que nous nous sommes endettés pour sauver notre économie et que cette « dette covid », nous devrons la rembourser.
Toutefois, je souhaite le rappeler au Gouvernement, c’est lui qui a fait le choix politique d’un financement intégral par le déficit, donc par la dette. D’autres options étaient possibles, car l’on voit bien se dessiner le risque que l’on procède à un dégonflement des dettes publiques par des politiques d’austérité réduisant les dépenses publiques et les politiques sociales. Cela se traduirait nécessairement par une chute de l’activité, donc une baisse des recettes fiscales ; par conséquent, le ratio de la dette par rapport au PIB ne baisserait pas.
C’est au contraire par des ressources fiscales nouvelles qu’il faudrait aborder le sujet de la réduction de la dette, en privilégiant la taxation des hauts revenus, des hauts patrimoines et des entreprises multinationales, ainsi que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Doit-on évoquer l’actualité et le scandale des 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux obtenus par Apple, en Irlande, à cause du laxisme en matière de lutte contre les paradis fiscaux européens ?
Augmenter la fiscalité pesant sur les plus riches, c’est possible. N’avez-vous pas entendu, à l’échelon international, l’appel des Millionnaires pour l’humanité à ce sujet ? Il faut au plus vite rétablir l’ISF ; il faut revenir sur la flat tax, qui plafonne la fiscalité sur les dividendes et assujettir ceux-ci à l’impôt sur le revenu, car rien ne justifie que ce type de revenu fasse l’objet d’un traitement avantageux.
Ce sont autant de pistes que nous aurions aimé voir apparaître dans ce nouveau PLFR. Malheureusement, il n’en est rien. Nous aurons l’occasion d’en débattre au cours de l’examen du texte.
Il faut relancer notre pays par le biais des territoires, de tous les territoires, c’est-à-dire par les territoires urbains, qui ont besoin de logements, de services, d’équipements et d’accompagnement dans la formation et l’emploi. Il s’agit donc de renforcer la politique de la ville. C’est-à-dire aussi par les territoires ruraux. Je ne cesserai de rappeler, dans cet hémicycle et au-delà, que nos territoires ruraux sont une chance et un atout pour l’avenir de notre pays. Ils sont à même d’apporter les solutions aux problèmes que rencontre notre société, par leurs capacités d’accueil, les réseaux, les équipements et les services déjà présents et souvent non saturés. Ils offrent également des réponses alternatives aux phénomènes de concentration, de saturation et de pollution qui touchent les territoires urbains.
À cet égard, nous proposerons de voter le financement d’un nouveau programme, intitulé Villages du futur, pour favoriser le développement des villages constituant des pôles de centralité pour leur territoire et de ceux qui participent au maillage nécessaire pour fournir à la population les équipements, infrastructures et services indispensables.
Je proposerai également de réévaluer la DETR, la dotation d’équipement des territoires ruraux, qui constitue le soutien le plus efficace aux petites communes et participe ainsi indiscutablement à la cohésion des territoires. C’est aussi répondre aux attentes des populations urbaines souhaitant réaliser leur rêve de campagne, comme l’ont montré les flux de population lors du confinement.
Il ne peut y avoir de relance de notre économie sans soutien, via des dispositifs d’exonération fiscale et sociale, à nos zones rurales et aux entreprises qui souhaitent s’y installer et aux services qui y sont implantés. C’est le sens des amendements que nous défendrons, afin de proroger le bénéfice du classement en zones de revitalisation rurale (ZRR) pour les communes sortantes, jusqu’au 31 décembre 2021.
Pour financer les actions à destination de ces territoires, pourquoi ne pas envisager des rural bonds, afin d’orienter l’épargne locale en faveur de l’investissement dans les territoires ruraux ?
Je souhaite poursuivre mon intervention en évoquant deux sujets essentiels, insuffisamment pris en compte dans le projet de loi qui nous est soumis : la jeunesse et la transition écologique.
Il y a urgence à répondre à la détresse des 700 000 jeunes qui arriveront sur le marché de l’emploi dans les prochaines semaines, ainsi qu’à l’angoisse de ceux qui basculent déjà dans la précarité.
Le Président de la République a fait des annonces ce 14 juillet. Nous avons entendu hier et tout à l’heure celles du Premier ministre, que vous avez reprises, monsieur le ministre.
Afin d’être à la hauteur des enjeux, nous vous proposerons d’aller plus loin, en retenant deux dispositifs, une « prime rebond premier emploi », pour toutes les entreprises qui embauchent un jeune, et une « aide rebond premier emploi », à destination des jeunes disposant de faibles ressources et en recherche d’emploi.
En matière d’emploi, chaque jour, les plans sociaux tombent en cascade sur le pays, que ce soit au sein d’Air France, d’Airbus, d’Alstom ou de Sanofi ou d’entreprises plus modestes. Il devient urgent de réconcilier les différents acteurs de l’économie. Pour cela, nous avons besoin d’un nouvel esprit d’entreprise qui amplifie les efforts en faveur de plus de justice sociale, d’écologie et d’emploi. Il revient à l’État de n’accorder son soutien qu’aux entreprises qui poursuivent ces objectifs et qui renoncent à verser des dividendes à leurs actionnaires en 2020.
Sur le plan de la transition écologique, dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle doit être engagée rapidement, elle n’est toujours pas au programme du « monde d’après ». Dans les faits, est-il encore raisonnable de renflouer des multinationales polluantes, en toute opacité, sans contrôle démocratique, sans contraintes ni réelles contreparties exigées de leur part ? On ne peut injecter des dizaines de milliards d’euros dans l’économie et dans les entreprises, sous forme de prêts ou d’aides diverses, sans exiger des garanties pour le maintien de l’emploi et signer des engagements environnementaux forts.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Patrice Joly. Enfin, que dire du soutien à nos collectivités locales, qui sont les parents pauvres de ce budget, alors même qu’elles vont subir une perte évaluée à 7,5 milliards d’euros ?
Je veux évoquer plus particulièrement les départements : après avoir assumé matériellement et financièrement les dispositifs de protection, on leur demande, dans l’urgence, de porter la responsabilité exclusive du financement des primes dont devrait légitimement bénéficier le personnel des Ehpad et des services à domicile. Les départements prennent également en charge l’accompagnement des personnes en difficulté. La réforme de l’assurance chômage fait peser sur eux un risque financier sérieux. De même, l’augmentation importante du nombre de nouveaux demandeurs d’emploi entraînera un accroissement du RSA qu’ils devront assumer. Or, pour l’heure, en matière de soutien concret aux départements, il n’existe essentiellement que des avances, lesquelles ne leur permettront pas de rétablir leurs équilibres financiers.
Dans un récent rapport, le Haut Conseil des finances publiques recommande d’aider les collectivités à accompagner les acteurs locaux sur le terrain. Notre pays a besoin d’un investissement massif pour soutenir les communes, les conseils départementaux et les conseils régionaux dans leurs projets de transition écologique sur divers thèmes – mobilités alternatives, rénovation énergétique des bâtiments publics, agriculture locale de qualité, économie circulaire notamment.
Vous l’aurez compris, ce PLFR porte un plan de soutien inachevé du point de vue économique, social et écologique. C’est pourquoi, mes chers collègues, nous espérons que les solutions que nous vous proposerons lors de nos débats retiendront toute votre attention et bénéficieront de votre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Georges Patient. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Georges Patient. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Guyane vit actuellement une situation unique au sein de la République. C’est le seul territoire français à continuer à être frappé de plein fouet et avec virulence par la pandémie.
Les derniers chiffres, qui sont tombés aujourd’hui, sont très éloquents. Pour une population de 280 000 habitants, on compte 6 393 cas confirmés, avec un R0 oscillant entre 2,5 et 3, 166 patients hospitalisés, dont 26 en réanimation, 12 évacuations sanitaires vers les Antilles – les lits en réanimation font souvent défaut en Guyane, ce qui nécessite d’évacuer nos malades vers les Antilles – et 34 décès. Et le pic épidémique n’est prévu que pour la fin du mois !
Sur le plan économique, la situation est tout aussi inédite, avec un confinement qui n’a, en fait, jamais cessé depuis le 17 mars. En effet, le déconfinement de juin s’est vite traduit par un confinement ciblé, avec des restrictions sévères, comme la mise en quarantaine de quartiers et de villages ou l’instauration d’un couvre-feu. Les conséquences sont dramatiques : nombreuses disparitions d’entreprises, augmentation du chômage, accentuation de la précarité, recul de l’activité de plus de 25 %…
Aussi, si je salue les mesures déjà prises par le Gouvernement pour compenser les effets de la crise et celles qui sont proposées dans ce PLFR 3 pour les entreprises et les collectivités locales, la situation des collectivités de Guyane appelle une attention particulière, en raison de ce contexte si singulier dans lequel elles continuent d’évoluer. L’état d’urgence sanitaire y a d’ailleurs été prorogé et est toujours en vigueur, comme à Mayotte.
Le Premier ministre, le ministre des solidarités et de la santé et le ministre des outre-mer ont pu s’en rendre compte lors de leur tout récent déplacement en Guyane. Élus locaux, syndicats, collectifs citoyens, socioprofessionnels, tous se sont mobilisés pour leur présenter des demandes légitimes et précises, avec une attente très forte de réponses concrètes et positives. Si certaines de ces demandes peuvent être satisfaites par décret, comme un fléchage des fonds de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) mieux adapté aux réalités des départements et régions d’outre-mer, d’autres sont d’ordre législatif et peuvent déjà entrer dans le champ de ce PLFR 3.
Aussi, je compte sur vous, mes chers collègues, pour soutenir mes amendements, qui se justifient tous par la nécessité d’éviter un scénario catastrophe sur le plan social pour la Guyane. (M. le président de la commission des finances applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Je veux d’abord remercier tous les intervenants de leurs propos et de leurs propositions. Je ne doute pas que, lors de l’examen des amendements, nous essaierons d’apporter des réponses et de trouver des consensus chaque fois que c’est possible.
Je veux m’arrêter sur quelques points qui ont fait l’objet de questions récurrentes.
Premièrement, pour ce qui concerne l’articulation entre le PLFR 3, le plan de relance et le projet de loi de finances pour 2021, nous avons fait le choix, eu égard au calendrier, de ne pas présenter de PLFR 4. L’examen du troisième PLFR va nous occuper jusqu’à la fin du mois de juillet. Le PLF sera ensuite présenté au conseil des ministres à la fin du mois de septembre prochain, avec des mesures de financement.
Cela ne signifie pas que nous n’avons pas d’autres outils ou d’autres véhicules pour assurer le financement de mesures en 2020. En effet, nous avons la possibilité de redéployer un certain nombre de crédits. Surtout, nous disposons d’un projet de loi de finances rectificative de fin d’exercice, que nous utilisons traditionnellement pour adapter la fin de gestion. Cette dernière sera aussi l’occasion d’augmenter autant que nécessaire les crédits dont nous avons besoin.
Nous veillons à ce que toutes les mesures qui ont été annoncées soient financées. Vous pardonnerez, j’en suis convaincu, mesdames, messieurs les sénateurs, le caractère non pas acrobatique, mais parfois un peu compliqué de ce financement. Nous nous adaptons à la crise, à ses conséquences et nous veillons à ce que les dispositifs qui ont été mis en place soient alimentés, pour qu’ils puissent être financés tout au long de la crise. Nous évoquerons également avec vous, pendant ce débat, le financement des mesures annoncées par le Premier ministre et le Président de la République, sachant que certaines d’entre elles feront l’objet de financements soit dans le cadre de la fin de gestion, soit au moyen de redéploiements.
Je tiens à préciser, notamment pour rassurer celles et ceux qui s’inquiéteraient d’une impossibilité de financer les mesures de relance sur la fin de l’exercice 2020, que les premières mesures mises en œuvre – je pense, par exemple, à la prime pour l’apprentissage – sont contenues dans ce PLFR et pourront donc être financées, mais aussi que nous savons pertinemment que les investissements qui seraient décidés aujourd’hui ne donneront pas lieu à décaissement avant le début de l’année 2021. De cette manière, nous savons que nous pouvons sécuriser les financements des différentes actions.
Deuxièmement, je tiens à revenir sur un certain nombre d’interrogations qui ont pu être exprimées.
M. Dallier, comme lors de l’examen du PLFR 2, a évoqué l’équilibre du Fonds national d’aide au logement. Ainsi que je l’ai indiqué, notre perspective est celle de la réforme des APL. Lorsque nous mettrons en œuvre cette réforme, nous tiendrons compte des conséquences budgétaires qui ont été évoquées à l’occasion de la discussion du PLFR 2 pour honorer les engagements pris et prendre en considération le retard. Le PLFR de fin de gestion nous permettra de procéder à ces corrections. Nous ne le faisons pas à ce stade, considérant qu’il est trop tôt pour prendre de telles dispositions, mais nous travaillons toujours à la mise en œuvre de la réforme des APL.
Je veux également aborder la question des collectivités locales. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen de chacun des articles les concernant, mais je veux souligner le caractère totalement inédit des mesures que nous proposons. À aucun moment de l’histoire récente, les conséquences d’une crise n’ont été compensées auprès des collectivités sous forme de garantie de ressources. La dernière crise systémique que nous ayons connue, celle de 2008-2009, s’était traduite, pour les collectivités, par la possibilité d’anticiper le versement d’une annuité de FCTVA en recettes d’investissement. À aucun moment n’avait été évoquée une compensation des pertes de recettes, qu’elles soient fiscales ou domaniales.
La garantie de recettes sur un niveau moyen calculé sur trois ans que nous mettons en œuvre est donc inédite. Si nous avons retenu cette période de trois ans, c’est à la fois dans un souci de lissage, pour tenir compte de variations qui peuvent être exceptionnelles dans certaines collectivités, mais aussi parce que c’est la durée habituelle pour l’évaluation des transferts de charges, notamment dans le cadre de l’intercommunalité.
Je veux dire à M. le sénateur Menonville que le versement de 1 000 euros minimum ne répond pas à une logique d’aide forfaitaire aux collectivités, puisque nous prenons en charge la différence entre les recettes perçues en 2020 et la moyenne des recettes des trois dernières années. En revanche, l’Assemblée nationale a adopté, avec le soutien du Gouvernement, une mesure selon laquelle ce versement sera au minimum de 1 000 euros pour les collectivités bénéficiaires. Cependant, les collectivités dont les recettes, en 2020, seront égales ou supérieures à la moyenne de celles des trois années précédentes ne seront pas éligibles à un versement. Nous ne pouvons pas admettre la comparaison avec le fonds de solidarité et une forme de versement forfaitaire.
J’entends les demandes de modification des dates butoirs pour les délibérations des collectivités tant pour la CFE que pour certaines exonérations sur des recettes domaniales. Nous aurons l’occasion d’y revenir, mais je le dis d’emblée : nous sommes allés au bout des délais que nous pouvons imposer à la direction générale des finances publiques (DGFiP). En raison de la crise, nous sommes aujourd’hui déjà très en retard par rapport aux délais habituels. Reporter les dates butoirs de délibération mettrait les services des finances publiques dans l’impossibilité de respecter un certain nombre d’étapes à venir. Je pense notamment aux conséquences qu’un report pourrait avoir d’ici à quelques mois sur la production des états 1259, qui sont attendus par les collectivités.
C’est la raison pour laquelle nous communiquons actuellement – nous savons gré au Parlement de nous le pardonner – auprès des élus pour les inciter à délibérer, y compris de manière anticipée par rapport à l’adoption des dispositions par le Parlement. Ce n’est pas une formule totalement classique, j’en conviens bien volontiers, mais c’est la seule que nous ayons trouvée pour permettre aux collectivités de procéder aux délibérations, puis de régulariser celles-ci.
Nombre d’entre vous ont évoqué les départements, considérant qu’il aurait peut-être été préférable que ceux-ci soient accompagnés au moyen non d’une avance remboursable, mais d’une subvention. Nous avons discuté de la formule de l’avance remboursable avec le bureau de l’ADF, avec lequel nous travaillons à la fois sur des sujets extrêmement récurrents, comme le financement des minima sociaux, et sur une forme de clause de retour à bonne fortune. En effet, nous avons aussi en tête que, lors de la dernière crise systémique de 2008-2009, les DMTO avaient diminué de 10 à 11 % la première année et de 25 % la deuxième année, mais qu’ils avaient augmenté de 30 % dès 2010 et de nouveau de 25 % en 2011. Autrement dit, l’inversion des cycles en matière de DMTO peut être extrêmement rapide, ce qui nous amène à considérer que les avances, telles que nous les avons pensées, sont tout à fait opportunes et pertinentes pour répondre aux difficultés des départements.
Je terminerai en évoquant des points plus généraux.
Nous sommes effectivement dans une situation extrêmement particulière, avec une dette qui va atteindre 120 % du PIB et un déficit qui s’élève à 220 milliards d’euros, soit 11 % de celui-ci.
M. le sénateur Delahaye nous dit que nous aurions dû proposer des gels ou des baisses de dépenses. Je note cependant que, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, les propositions en ce sens ne sont pas légion, pour ne pas dire qu’elles sont inexistantes, ce qui est bien normal : il faudrait alors préciser quelles sont les dépenses que l’on diminue…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il faut supprimer les ARS !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Nous avons fait le choix du financement de la dette résultant de la covid par un endettement.
M. le sénateur Joly a plaidé pour le rétablissement d’un certain nombre d’impôts ou pour l’augmentation de la contribution des plus riches, en nous faisant le reproche – il n’y a pas d’autre terme, mais les reproches sont normaux quand l’on débat – d’avoir privilégié le choix du financement des mesures d’urgence et de relance par la dette.
Dès ce stade, nous engageons, indépendamment du plan de relance, plus de 130 milliards d’euros de crédits et nous allons engager une centaine de milliards d’euros pour la relance, dont il faut convenir qu’une partie sera mobilisée par Bpifrance et la Caisse des dépôts et qu’une partie pourra aussi être prise en charge dans le cadre du plan européen. Cela signifie que, si nous avions recours à la fiscalité pour financer ces mesures d’urgence et d’accompagnement, ce n’est pas un choc, mais un tsunami fiscal que subiraient les Français et les entreprises ! Si je suis votre logique, monsieur le sénateur, il faudrait trouver une centaine de milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires, ce qui conduirait à l’asphyxie, à la thrombose du système économique.
Les chocs économiques et fiscaux qu’ont connus les Français à la fois en 2012-2013 et en 2010 nous incitent plutôt à faire le pari de la croissance et au minimum du maintien, voire de la baisse du poids des prélèvements obligatoires sur la production, pour favoriser le retour de la croissance, sur la base des perspectives relativement positives pour l’année prochaine qu’ont tracées l’Insee ou le FMI. Cela nous paraît la meilleure façon de faire, y compris en travaillant sur la question du cantonnement.
C’est ce qui nous amène d’ailleurs – je le dis en écho à ce qu’a dit M. le sénateur Dallier – à considérer qu’un milliard reste un milliard et que, bien qu’extrêmement particulière, la situation, qui nécessite des crédits et un engagement massif pour répondre à la dette, ne doit pas nous détourner de la nécessité d’une forme de rigueur – c’est à dessein que je ne parle pas d’austérité, notre pays ne l’ayant jamais connue. En effet, il convient de veiller à ce que, au-delà des crédits ponctuels engagés pour faire face à la crise, nous soyons les plus proches possible de la trajectoire triennale qui a été fixée et des engagements que nous avons pris. C’est l’une des conditions de la solidité et de la crédibilité de la signature de notre pays sur les marchés financiers.
On peut nous reprocher d’être à leur merci, mais il faut aussi reconnaître que c’est sur les marchés financiers que nous trouvons les financements nécessaires pour répondre à la crise, mais aussi, plus généralement et plus traditionnellement, pour assurer le financement de l’État. Alors que nous empruntons encore aujourd’hui dans des conditions tout à fait favorables, l’une des lignes de conduite que nous devons observer consiste à garantir la crédibilité de cette signature, pour que les choses soient tenables. C’est ce qui nous amène, sur des crédits qui peuvent avoir un caractère récurrent, à nous en tenir à une certaine rigueur. C’est ce qui m’amène désormais, dans les relations que je peux avoir avec mes collègues pour la préparation du PLF pour 2021, à faire preuve de cette même attention à ce que la trajectoire pluriannuelle soit la mieux respectée possible.
Monsieur le sénateur Patient, je veux vous remercier de vos propos et vous dire l’attention du Gouvernement à la situation de la Guyane et, au-delà, de l’outre-mer. Vous avez très justement noté que, à l’Assemblée nationale, j’ai eu l’occasion de défendre des amendements visant à ce que les dispositifs principaux de lutte contre la crise, comme le fonds de solidarité, les prêts garantis, ou encore le dispositif plein et maximal de chômage partiel, soient prolongés, en Guyane, non pas jusqu’à une date butoir arrêtée par la loi, mais jusqu’au dernier jour du dernier mois au cours duquel nous aurons constaté l’état d’urgence, de manière que la durée de ces dispositifs soit adaptée à la situation de ce territoire. Cela dit, je sais que d’autres engagements sont attendus.
Monsieur le sénateur Savoldelli, vous avez estimé que les indicateurs sociaux donnaient le signe qu’il faut agir. Je ne doute donc pas que je pourrai compter sur votre soutien sur un certain nombre de dispositifs. Je pense notamment aux dispositions du projet de loi de finances rectificative qui tendent à soutenir soit l’embauche des plus jeunes, soit l’accompagnement des jeunes précaires, en particulier des étudiants. Je vous rejoins sur la nécessité de faire attention à ces indicateurs. Les dispositions que nous prenons visent à apporter une réponse.
Pour terminer, je fais mien le constat par lequel M. le sénateur Collin a ouvert son propos : la bataille reste à gagner. C’est une évidence. Nous espérons aussi que le plan de relance que nous aurons l’occasion de présenter dès la rentrée, avant même que le projet de loi de finances soit soumis au conseil des ministres, nous fournira des armes supplémentaires pour gagner cette bataille. (MM. Julien Bargeton et Yvon Collin applaudissent.)
M. le président. La discussion générale est close.
Je rappelle que la discussion des articles commencera demain, à onze heures.
Je vais suspendre la séance ; elle sera reprise à dix-huit heures pour les questions d’actualité au Gouvernement.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-huit heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
5
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat à une heure quelque peu inhabituelle.
Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
Je rappelle qu’il vous est demandé de laisser un siège vide entre deux sièges occupés ou de porter un masque.
Les sorties de la salle des séances, pour les sénateurs, devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle. Pour les membres du Gouvernement, les sorties se feront par le devant de l’hémicycle.
contrats de développement écologique
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
Mme Françoise Cartron. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition écologique.
« D’ici à la fin de 2021, nous souhaitons que tous les territoires – j’y insiste – soient dotés de contrats de développement écologique avec des plans d’action concrets, chiffrés, mesurables » a annoncé le Premier ministre hier, à l’Assemblée nationale, et ce matin au Sénat.
Votre gouvernement, madame la ministre, acte 20 milliards d’euros pour la croissance écologique, dans l’optique de gagner la bataille pour le climat et la biodiversité, afin que l’économie française devienne la plus verte et la plus décarbonée d’Europe.
Un de vos objectifs consiste à produire une alimentation plus locale et durable. Voilà une dizaine de jours, nous en débattions ici même sur la base du rapport que Jean-Luc Fichet et moi-même avons rendu, fin mai dernier, lequel comporte de nombreuses propositions pour une transition réussie.
D’autres objectifs ont également été fixés : soutenir les technologies vertes de demain, mieux recycler, moins gaspiller… Une politique ambitieuse pour le vélo doit également être mise en place.
À cela, il faut ajouter le plan de relance envers l’industrie, avec des contreparties, afin de faire évoluer notre modèle de production.
Madame la ministre, quelle sera la place des collectivités, en particulier des maires, dans ces politiques d’avenir ? Quel cahier des charges pour les contrats de développement écologique, avec quels financements ? Quelle complémentarité entre les collectivités et l’État pour développer ces politiques d’avenir ?
Ici, comme en Gironde et partout en France, les actions visant à savoir comment mieux manger, comment mieux circuler, comment mieux respirer sont au cœur de notre vie quotidienne, plébiscitées par nos concitoyennes et nos concitoyens. La crise nous l’a rappelé très fortement. Nous devons y répondre. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique.
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Madame Cartron, je tiens tout d’abord à vous remercier de l’excellent travail que vous avez réalisé avec votre collègue. Je suis certaine qu’il nous sera utile.
Comme l’a souligné le Premier ministre, d’ici à la fin de 2021, tous les territoires – c’est-à-dire tous les bassins de vie – devront être dotés d’un contrat de relance et de développement écologique. Il existe déjà des outils, nationaux ou locaux : Actions cœur de ville, Territoires d’industrie, contrats de ruralité…
Mon ministère a soutenu le développement des contrats de transition écologique que 107 territoires et 250 EPCI ont déjà signé, sur la base de plus de 1 000 actions concrètes – soit plus de 1,5 milliard d’euros mobilisés.
Nous voulons en accélérer le déploiement et associer tout le monde – jeunes, entreprises, associations, élus… Ces contrats doivent être globaux et concerner tous les sujets qui permettent de relancer l’activité dans le sens de la transition écologique. Je pense à l’urbanisme, au vélo, aux réseaux d’eau, à la réfection des bâtiments, à l’adduction au réseau électrique dans certains territoires ruraux…
Nous devons porter une vision globale concrète sur tous ces aspects. L’État sera bien évidemment à vos côtés. Il existe déjà des outils pour vous aider, notamment l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), qui peut apporter l’ingénierie nécessaire aux territoires qui en ont besoin.
À ce stade, je tiens à saluer le travail déjà réalisé sur ces questions par Jacqueline Gourault, Sébastien Lecornu et Emmanuelle Wargon. Je vais continuer, avec cette dernière, à aider à la mise en place de réalisations concrètes dans les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
aménagement et attractivité des territoires
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Marc Gabouty. Ma question s’adresse à Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, et à M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des transports.
Une politique de modernisation des infrastructures de transport au service de l’aménagement du territoire et de la protection de l’environnement doit être intégrée au programme d’investissements publics de notre pays pour la prochaine décennie.
Il faut rendre compatibles et complémentaires le développement économique, l’écologie et le désenclavement des territoires. La mutation des modes de transport en est un élément majeur.
À côté du transport routier, auquel il manque quelques maillons, et du transport fluvial, dont le développement doit être accéléré – le canal Seine-Nord-Europe a pris beaucoup de retard –, se pose la problématique du transport ferroviaire qui constitue un levier essentiel de l’accessibilité des territoires et de la démarche écologique, cette dernière étant parfois – trop souvent à mon sens – dogmatique, punitive ou cosmétique.
Bien évidemment, c’est le niveau d’équipement et d’offres commerciales du transport de voyageurs, c’est-à-dire des Intercités et des petites lignes qu’évoquait ce matin le Premier ministre, à l’exception de la grande vitesse, qui en pâtit. La situation est très dégradée, voire ubuesque – je pense notamment au train jour-nuit Paris-Rodez qui reste stationné à minuit en gare de Brive pendant trois heures et demie…
Plus grave encore, le fret ferroviaire connaît une régression continue depuis plusieurs décennies. À l’échelon national, la part modale du fer et du fleuve atteint aujourd’hui 9 % du tonnage contre 46 % en 1974, la moyenne européenne étant de 17 %. Cette faiblesse structurelle se caractérise par l’abandon de dessertes industrielles, aussi bien en termes d’approvisionnement que d’expéditions, et par l’affaiblissement de la capacité logistique de nos activités portuaires.
En termes de fret ferroviaire, y compris pour le ferroutage, nous sommes à la traîne de l’Europe. Il s’agit pourtant d’un domaine créateur d’emplois et hautement stratégique dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Monsieur le ministre, le Gouvernement est-il prêt à lancer sur dix ans un plan Marshall ferroviaire nécessitant plusieurs dizaines de milliards d’euros d’investissements pour remettre notre pays à niveau et permettre de dégager une offre de service plus compétitive et plus écologique ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. François Patriat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur Gabouty il s’agit d’une question importante, chère aux territoires, singulièrement au nôtre.
Depuis 2017, le Gouvernement a investi très massivement dans les transports pour désenclaver nos territoires et verdir les transports. Nous mobilisons plus de 13 milliards d’euros sur le quinquennat pour les travaux d’entretien et de régénération et pour le développement des infrastructures nécessaires à l’ensemble du territoire, en métropole comme en outre-mer.
M. Pierre Laurent. Il faut rouvrir les petites lignes !
Mme Éliane Assassi. Oui !
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. De premiers actes importants ont été réalisés. Je pense notamment aux protocoles « petites lignes » dont les premiers ont été signés le 20 janvier dernier avec les régions Grand Est et Centre-Val de Loire. Je ne doute pas que d’autres régions suivront.
Nous investissons de manière inédite dans la régénération du réseau routier. Nous avons voulu préserver les lignes aériennes d’aménagement du territoire selon une philosophie qui consiste à mieux articuler les modes de transport entre eux pour répondre aux spécificités des territoires et aux besoins de leurs habitants et de leurs entreprises, afin de garantir, comme vous l’avez souligné, leur attractivité.
Nous allons encore accélérer. Le Président de la République et le Premier ministre ont eu l’occasion de s’exprimer récemment sur ces questions. Les transports seront au cœur du plan de relance. Nous poursuivrons la contractualisation avec l’ambition de sauver les 9 000 kilomètres de petites lignes ferroviaires. Nous voulons créer de nouvelles lignes de trains de nuit – vous avez mentionné cette ligne importante qui passe par Brive et Rodez.
Nous avons pour ambition de doubler la part modale du fret ferroviaire, encore trop faible dans notre pays. Nous aurons l’occasion d’annoncer la création de nouvelles autoroutes ferroviaires prochainement.
Monsieur le sénateur, ces projets ont vocation à se déployer d’ici à la fin du quinquennat. Plusieurs milliards d’euros y seront alloués. Nous avons beaucoup d’ambition pour les transports : pourvoyeurs d’emplois non délocalisables, ils irriguent nos territoires et sont au cœur du développement économique et écologique que nous voulons pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
mise en œuvre des propositions de la convention citoyenne pour le climat
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre de la transition écologique, mes chers collègues, la Convention citoyenne pour le climat, créée sur l’initiative du président Macron, a formulé 149 propositions. Le chef de l’État avait promis la transcription de celles-ci dans la loi.
Dès le 29 juin, il annonçait pourtant qu’au moins trois d’entre elles ne seraient pas retenues, dont la taxe de 4 % sur les dividendes. Et pourtant, point d’écologie sans solidarité ni justice sociale !
Le lendemain, Agnès Pannier-Runacher révélait que le moratoire demandé sur la 5G, luxe énergivore bien inutile dans un pays dont les territoires ne sont même pas desservis en totalité par internet, n’était pas non plus envisagé.
Le 14 juillet dernier, le président Macron a certes parlé d’écologie – il est vrai que ce thème semble aujourd’hui pourvoyeur de voix. Annoncer des mesures déjà envisagées dès 2018, comme la rénovation thermique des écoles et des Ehpad, c’est faire du neuf avec du vieux. En revanche, combien de petites lignes ferroviaires sauvées ? Combien de tonnes de fret ferroviaire supplémentaires ?
Il s’agit non pas d’opposer « croissance écologique » et « décroissance verte », mais de l’impérieuse nécessité de changer de modèle social et économique. À quand le référendum visant à inscrire dans la Constitution la lutte contre le réchauffement climatique et la protection de la biodiversité ? À quand le projet de loi validant les propositions de la Convention ? Ferez-vous en 600 jours ce que vous n’avez pas fait en trois ans ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique.
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Madame Benbassa, pas de transition écologique sans justice sociale, c’est une évidence. Vous pouvez compter sur moi pour y veiller, avec le reste du Gouvernement, également sur cette ligne.
La Convention citoyenne pour le climat était constituée de citoyens qui n’étaient pas, au départ, sensibilisés à la question écologique. Ils ont travaillé longtemps, ils se sont renseignés et ont fait des propositions dont certaines vont même au-delà de ce que proposent les écologistes depuis longtemps.
Le Président de la République s’est engagé à les transcrire, de différentes manières. Comme vous le savez, puisque vous les avez lues, certaines propositions relèvent du domaine réglementaire et feront l’objet d’un examen lors du prochain conseil de défense écologique qui déterminera comment les appliquer.
D’autres relèvent d’engagements et de négociations internationales : le Président de la République a commencé à les soutenir lors de sa rencontre avec la chancelière Merkel, dans les heures qui ont suivi sa rencontre avec les citoyens.
D’autres encore relèvent des collectivités locales qui seront associées à la transposition de ces mesures. L’idée est non pas d’agir d’en haut, mais de travailler avec les élus pour transposer les solutions proposées par les citoyens dans les territoires.
Enfin, d’autres mesures sont d’ordre législatif. Pour ces dernières, nous resterons fidèles à notre méthode : nous allons constituer un groupe de travail avec Marc Fesneau (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.) associant parlementaires et citoyens pour aboutir à un projet de loi qui sera déposé à la fin de l’été pour une adoption, au plus tôt, au début de 2021, après l’exercice budgétaire.
Nous allons mettre en œuvre ces propositions.
Le Premier ministre a annoncé ce matin que 30 % du montant du plan de relance allaient être investis dans la transition écologique, ce qui permettra de financer nombre de ces mesures. Nous avions besoin de ces financements, c’est une très bonne chose. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
Mme Sophie Primas. Alors, soyez favorable aux amendements déposés sur le PLF 3 !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.
Mme Esther Benbassa. Nous avons déjà eu suffisamment de paroles, madame la ministre, nous attendons des actes et seulement des actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SOCR.)
politique du gouvernement en matière d’égalité homme-femme
M. le président. La parole est à Mme Muriel Cabaret, pour le groupe socialiste et républicain, dont je salue la première intervention dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Muriel Cabaret. En votre « âme et conscience », monsieur le Premier ministre, vous avez nommé Gérald Darmanin ministre de l’intérieur. Pourtant, celui-ci fait de nouveau l’objet d’une enquête pour viol, harcèlement et abus de confiance concernant une sombre affaire d’échange de faveurs sexuelles contre une intervention à la Chancellerie. (Murmures sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Julien Bargeton. Ce que vous dites est scandaleux !
Mme Muriel Cabaret. Depuis 2017, nous avons vu nombre de ministres démissionner à la suite d’affaires fiscales ou financières, ou encore pour consommation intempestive de homards…
Mais dans ce cas précis, rien : « circulez, il n’y a rien à voir ! » et rien à comprendre. Il n’y a pas de problème non plus. Avec le Président de la République, vous affichez votre soutien sans faille au ministre de l’intérieur sans même attendre la fin de la procédure judiciaire.
M. Julien Bargeton. C’est vous qui ne l’attendez pas !
Mme Muriel Cabaret. C’est une erreur éthique et politique d’une violence symbolique inouïe.
Que nous dites-vous en réalité ? Que M. Darmanin est innocent, que la victime ment, au mépris des principes d’équité, du contradictoire et d’équilibre entre les parties. Pis, vous ignorez le conflit d’intérêts en puissance que représente cette nomination : que se passera-t-il en cas de mise en examen d’un ministre qui sera l’autorité hiérarchique des policiers chargés d’enquêter sur ses agissements ?
Que les députés LaREM se rassurent, il s’agit non pas de nier la présomption d’innocence (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), nous y sommes très attachés (M. le garde des sceaux lève les yeux au ciel.),…
M. François Bonhomme. Vous faites bien de le dire !
Mme Muriel Cabaret. … mais de vous interroger sur le signal délétère envoyé à toutes les victimes.
Vous qui en appelez à l’exemplarité de la politique et à la lutte contre les violences faites aux femmes, quel message envoyez-vous aux Françaises et aux Français lorsque vous faites fi de la parole des victimes ? Mesurez-vous bien les conséquences de cette nomination ? (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Madame la sénatrice, je comprends que c’est votre première intervention.
M. Julien Bargeton. Ce n’est pas la meilleure ! (Exclamations sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean Castex, Premier ministre. Vous dites que je défends M. Darmanin. Mais ce n’est pas lui que je défends, ce sont les principes fondamentaux de l’État de droit. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants. – MM. Olivier Cadic et Max Brisson applaudissent également. – Protestations sur des travées des groupes SOCR et CRCE.)
Je suis ici en tant que chef du Gouvernement dans une assemblée parlementaire. M. Darmanin n’est pas mis en examen. M. Darmanin n’a fait l’objet d’aucune condamnation et, à ce que je sache, chaque fois que l’autorité judiciaire a eu à se prononcer dans cette affaire, elle a rendu des actes consacrant son innocence. M. Darmanin a droit au respect des principes de la République comme tous les citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, LaREM, Les Indépendants et RDSE. – Exclamations sur les travées du groupe SOCR.)
Nous assistons à des dérives inadmissibles. Je le dis ici avec solennité et gravité.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Après les cas Bayrou, Ferrand, et autres…
M. Jean Castex, Premier ministre. Comme vous le savez, il m’appartient, aux termes de la Constitution, de proposer au Président de la République la nomination des membres de mon gouvernement. C’est en mon âme et conscience, madame, au-delà du respect des principes fondamentaux de la République, que j’ai fait cette proposition.
Votre intervention suppose donc que j’aurais biaisé avec ma conscience, ce que je ne vous autorise pas à dire. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
situation au mali
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe Les Indépendants – République et territoires.
M. Joël Guerriau. Malgré de belles avancées, la situation au Sahel reste préoccupante.
Nous avons atteint un objectif important avec l’élimination du chef d’AQMI. Pour autant, comme nous avons pu le voir lors des événements du week-end dernier, les Maliens manifestent une colère antigouvernementale.
La France s’est beaucoup investie au Mali. Je veux rendre hommage aux militaires français blessés ou tués au cours de ces opérations. Nous avons payé un lourd tribut. Nous devons donc faire preuve d’une vigilance particulière à l’égard de ce territoire.
Le G5 Sahel est un soutien fondamental au cœur duquel se trouve le Mali, puissance disposant d’un territoire très vaste. Ces derniers jours, des manifestations ont réuni une foule considérable à Bamako. Des incidents très violents ont éclaté : on a dénombré onze morts et plus de cent cinquante blessés. La situation est dramatique. Le Gouvernement est remis en cause à la suite des élections législatives de mars et avril derniers.
Nous sommes en droit de nous inquiéter. Nous avons besoin d’un État malien fort et légitime pour mener à bien ces luttes antiterroristes.
Nos ressortissants français, nombreux dans ce pays, sont-ils en sécurité ? Que peut faire la communauté internationale pour éviter que le Mali ne sombre dans le chaos, que le Gouvernement ne soit renversé par un groupe terroriste ou par un coup d’État militaire ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l’attractivité.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l’attractivité. Monsieur Guerriau, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Jean-Yves Le Drian, en déplacement à l’étranger.
Vous avez raison, le Mali traverse une crise politique ayant conduit aux graves débordements du week-end dernier, réprimés en faisant usage d’une force manifestement excessive. La France, qui a clairement condamné les débordements de toutes parts, appelle les différentes parties à retrouver le chemin du dialogue.
Elle est bien évidemment aux côtés de ses ressortissants, à travers son ambassade, pour assurer leur sécurité, et aux côtés de ses partenaires internationaux pour appuyer une solution d’avenir.
Nous soutenons toutes les initiatives des forces politiques et sociales qui conduiraient à retrouver le chemin du dialogue. Le président Keïta s’est adressé à la Nation et a pris un certain nombre d’engagements. La France l’encourage maintenant à les mettre en œuvre, notamment l’abrogation du décret de nomination des membres de la Cour constitutionnelle et la constitution d’un gouvernement de consensus. Le Premier ministre Cissé y travaille.
Nous pouvons aussi noter avec satisfaction que celles et ceux qui avaient été arrêtés lors des débordements ont été libérés. Nous appelons le président Keïta à continuer dans cet esprit de responsabilité.
Nous soutenons la nouvelle mission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), après celle dont les conclusions ont été rendues en juin, qui devrait nous permettre de proposer des solutions d’avenir pour le Mali. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour la réplique.
M. Joël Guerriau. Nous sommes extrêmement attentifs à la situation au Mali. Hier encore, sept villageois dogons ont été tués par des terroristes. La présence française est donc importante.
Je crains toutefois que le Gouvernement n’ait montré une certaine fragilité. Afin de légitimer parfaitement son pouvoir, il serait bon qu’IBK reprenne un chemin démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
pompier blessé dans l’essonne
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Mardi soir, il est vingt-trois heures trente sur le petit parking du stade Jean-Laloyeau, à Étampes, dans l’Essonne, département que j’ai l’honneur de représenter dans cette enceinte avec quatre autres de mes collègues. Un sapeur-pompier, qui intervient sur un incendie de voiture, est la cible d’un tir par arme à feu et voit une balle lui traverser le mollet.
Notre collègue Franck Marlin, maire d’Étampes, présent sur les lieux au moment de cette véritable tentative d’homicide, pourrait égrener les actes d’incivilité, de violence urbaine insupportable dont sa ville est victime depuis tant d’années, à l’instar de très nombreuses villes en France.
Vous étiez hier sur place, à ses côtés, pour témoigner de votre soutien aux soldats du feu, ainsi qu’à l’ensemble des forces de l’ordre. Nous vous en remercions.
Monsieur le ministre, je vous sais homme d’action et de responsabilité. Mais au-delà du dépôt de plainte systématique que vous avez appelé de vos vœux hier, ce qui constitue, reconnaissons-le, un strict minimum, comment comptez-vous sortir de la posture, des tweets et des discours creux auxquels votre prédécesseur nous a malheureusement trop souvent habitués durant cette triste première moitié de quinquennat ?
M. Jean Bizet. Très bien !
M. Jean-Raymond Hugonet. Vous avez déclaré hier : « la République est partout chez elle ». Assurément, monsieur le ministre ! Dès lors, comment comptez-vous mettre hors d’état de nuire ceux qui n’ont pas cette idée de la France que nous avons en partage et qui est notre fierté nationale ? En d’autres termes, quand et comment comptez-vous sortir la France de la chienlit dans laquelle elle se trouve plongée ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Julien Bargeton. C’est excessif !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur Hugonet, j’ai bien rendu visite, hier soir, à ce sapeur-pompier et à ses camarades de brigade pour leur dire l’émotion qu’a suscitée non pas ce simple fait divers, mais cette attaque contre la République, contre les sapeurs-pompiers qui portent l’uniforme de la solidarité.
L’un d’entre eux a été blessé par balle lors d’une intervention – somme toute banale – visant à éteindre un incendie de véhicule sur un parking. Encore plus choquant, il s’agissait de la troisième agression en dix mois que connaissait ce sergent-chef. Comme nombre de ses camarades de l’Essonne et de beaucoup de villes de France, il intervient chaque jour la peur au ventre, alors qu’il est là pour aider les autres – c’est la vocation d’un pompier, qu’il soit professionnel ou volontaire.
À la demande du Premier ministre, j’ai annoncé un dépôt de plainte systématique de l’administration en plus de ce que décideront les victimes.
J’ai évoqué, avec le préfet de département et les forces de police, la façon dont on pourrait protéger encore mieux – nous en sommes arrivés là, monsieur le sénateur – les pompiers lors d’interventions que l’on peut qualifier de « très difficiles ».
En attaquant les pompiers, les policiers, les gendarmes, les conducteurs de bus, comme celui qui a été tué dans des conditions particulièrement ignobles à Bayonne, mais aussi les professeurs, les médecins et les infirmiers et les infirmières, on attaque la République.
Partout chez elle, la République est pourtant attaquée. Tout ne sera pas réglé en un jour. Dans certains endroits – je sais de quoi je parle, élu d’un territoire que l’on dit difficile –, la République est mise en joue.
La volonté du gouvernement de Jean Castex et du Président de la République n’est pas de se contenter de mots, monsieur le sénateur, mais bien de passer aux actes. Je serai partout où il le faudra pour faire reculer ceux qui veulent que nous reculions. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.
M. Jean-Raymond Hugonet. J’entends votre réponse pleine de responsabilité, monsieur le ministre.
La République est attaquée. Mais plus que la République, c’est la Nation qui est attaquée. Il va bien falloir que ce gouvernement fasse ce qui n’a jamais été fait en s’attaquant à ceux qui sont contre cette nation et qui n’ont plus rien à voir avec notre société républicaine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
protection des données de santé
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe Union Centriste.
Mme Catherine Morin-Desailly. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Il y a quelques semaines, lors des débats sur l’état d’urgence sanitaire, je vous interrogeai, ainsi que votre collègue Cédric O, sur les raisons qui ont conduit le Gouvernement à choisir Microsoft, l’un des Gafam, pour gérer les données de santé recueillies par la plateforme Health Data Hub, monsieur le ministre.
Mme Sophie Primas. Excellente question !
Mme Catherine Morin-Desailly. Cette décision a été prise à l’automne 2019 dans des conditions opaques, dénoncées par un collectif d’experts, sans appel d’offres, au détriment de toute entreprise française ou européenne.
La réponse de Cédric O, arguant qu’il n’y avait aucune entreprise française capable de répondre aux exigences techniques de cette gestion, a été édifiante. Elle a d’ailleurs soulevé beaucoup de protestations dans les jours qui ont suivi.
Depuis, les débats vont bon train. Je me réjouis qu’il y ait une prise de conscience, y compris dans les rangs de votre majorité, s’agissant de menaces sérieuses pour notre souveraineté.
Je note que, lors de la conférence de presse relative à l’application StopCovid, vous avez annoncé un nouvel appel d’offres. À cette occasion, le directeur de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’Anssi, a fortement suggéré de sélectionner des entreprises ayant leur siège en Europe.
La présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, ne dit pas mieux dans les avis formulés depuis cette annonce.
Mon groupe aimerait connaître le calendrier de cet appel d’offres et les conditions d’élaboration de son cahier des charges, qui doit permettre que des entreprises françaises bâtissent cette plateforme et de ne pas dépendre de sociétés américaines, ce qui nous soumettrait à une législation étrangère peu protectrice.
En l’état, monsieur le ministre, je vous poserai deux questions fondamentales, qui attendent des réponses politiques, et non techniques.
Oui ou non les données des Français sont-elles un actif stratégique majeur, auquel cas elles ne sauraient être remises entre les mains d’acteurs étrangers ?
Oui ou non allons-nous nous doter enfin d’une politique industrielle offensive permettant d’accompagner nos entreprises et appliquer la préférence communautaire, comme ont su le faire les Américains, créant l’écosystème que nous connaissons et dans lequel nous vivons aujourd’hui ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Morin-Desailly, je vous remercie de cette question comme de votre implication dans ce dossier fondamental. J’ai d’ailleurs lu récemment dans la presse l’une de vos interviews, et je m’attendais à cette question quand j’ai su que vous alliez m’interroger. Cela m’a permis de travailler un peu le sujet, puisque – vous l’avez vous-même souligné – cette décision a été prise bien avant mon arrivée, même si j’en suis évidemment, par essence même, solidaire.
Vous soulevez quelques questions fondamentales.
Premièrement, les données de santé sont-elles un enjeu de souveraineté ? Cet enjeu est-il important ? La réponse est évidemment oui. Et je n’ai pas passé ici quelques journées et quelques nuits à débattre de StopCovid, Contact Covid et autres applications pour vous dire aujourd’hui le contraire !
Les données de santé, leur exploitation, leur partage, leur sécurisation, sont absolument essentiels. Évidemment, leur gestion et leur sécurisation doivent rester françaises.
Deuxièmement, si je comprends bien et si je résume votre question, quand serons-nous à la hauteur des Américains ou de puissances type Gafam en matière de capacité à développer du numérique ? Madame la sénatrice, vous le savez comme moi, et personne ici n’en est plus responsable qu’un autre, la France a investi, ces dernières années, quelques centaines de millions d’euros par an dans les technologies du numérique, là où les États-Unis investissaient plusieurs dizaines de milliards de dollars par an sur la même période.
Il y a là un enjeu majeur, et Cédric O, qui était secrétaire d’État au numérique, y a évidemment énormément travaillé.
Cela étant, pour ce que sais du dossier – je l’ai étudié dans son entièreté –, il y a eu une phase de préfiguration au cours de laquelle il a fallu agir vite pour identifier un acteur capable de développer une plateforme de gestion et de sécurisation des données. Factuellement et juridiquement – le président de l’Anssi l’a d’ailleurs confirmé –, Microsoft est considéré, dans son entité gestionnaire des données de santé françaises, comme une entité européenne, même si le groupe est américain. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.) Cela dit, oui, il y aura un appel d’offres : pour le fonctionnement au quotidien et dans la durée de cette plateforme, nous serons amenés à faire appel d’offres.
M. le président. Il faut conclure.
M. Olivier Véran, ministre. Et j’espère que nous pourrons identifier un grand acteur européen, voire, pourquoi pas, français, pour assurer dans la durée la gestion, le stockage et le partage de ces données. (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.
Mme Catherine Morin-Desailly. Ma question, monsieur le ministre, est on ne peut plus d’actualité, puisque nous apprenons aujourd’hui que, considérant que les risques d’ingérence des services de renseignement américains sur les données des Européens étaient trop importants, la Cour de justice de l’Union européenne vient d’invalider l’accord de transfert des données dit Privacy Shield. Et Microsoft obéit bien à la législation américaine, ne nous y trompons pas !
Je pense qu’il nous faut désormais un cadre législatif qui impose la data residency : les données européennes traitées en Europe ! Il faut y travailler. Et je propose aussi – monsieur le Premier ministre, vous avez annoncé un plan de relance de 40 milliards d’euros – que l’on investisse massivement dans ces filières pour garantir notre souveraineté industrielle et numérique. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes SOCR et CRCE.)
conséquences des résultats du bac sur les admissions dans l’enseignement supérieur
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Entre 90,1 et 98,4 % : il ne s’agit ni du taux d’approbation des dernières orientations du Politburo ni du résultat d’un vote à main levée dans un parti politique en mal de démocratie interne. Non : ces chiffres traduisent le niveau de réussite au baccalauréat session 2020, de la filière professionnelle à la filière générale. Ce taux de réussite atteint globalement, à 95,7 %, un record national qui sera bien difficile à battre, en tout cas tant que nous consentirons à rester sous la barre des 100 % ! (Sourires.)
Après avoir assuré la continuité pédagogique, les professeurs ont donc été particulièrement attentifs à la demande de leur ministre de tutelle en se montrant bienveillants lors de l’examen des dossiers des candidats au baccalauréat.
Certes on peut se réjouir de cette indulgence des jurys de délibération, mais le risque de dévaluation du diplôme n’est quand même pas très loin…
Ce taux de réussite exceptionnel a en outre un effet collatéral : conjugué à une classe d’âge assez nombreuse, il va mécaniquement produire une augmentation du nombre d’étudiants sur les bancs de l’enseignement supérieur d’environ 35 000, soit l’équivalent des étudiants de l’université de Nantes !
À ceux-là viendront s’ajouter les jeunes qui choisiront de poursuivre leur formation pour repousser leur entrée sur un marché du travail sinistré.
Nos universités, qui sont déjà en souffrance, s’inquiètent de la rentrée à venir, qui s’annonce comme la quadrature du cercle : accueillir davantage de monde dans des locaux exigus construits il y a plus de quarante ans ; appliquer des règles sanitaires de distanciation sociale pour éviter la propagation du virus ; proposer des modules de remédiation pour tenir compte d’une année scolaire qui a été très largement tronquée.
Madame la ministre, que proposez-vous aux établissements d’enseignement supérieur pour leur permettre de faire face à ces lourdes contraintes ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Piednoir, permettez-moi tout d’abord de féliciter l’ensemble des lycéens qui ont obtenu leur baccalauréat après une année scolaire aussi perturbée, aussi difficile. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) L’immense majorité d’entre eux a eu néanmoins le courage de continuer à suivre des enseignements dans des conditions de confinement extrêmement difficiles à vivre pour l’ensemble de nos concitoyens, et plus particulièrement pour les jeunes. Permettez-moi aussi de saluer le travail de tous les enseignants qui les ont accompagnés.
Oui, vous avez raison, cette année, nous devrons accompagner l’ensemble de ces jeunes : ceux qui vont entrer dans l’enseignement supérieur, ceux qui désireront poursuivre leurs études, et ceux qui vont entrer sur le marché du travail. Et nous savons que ce sera compliqué. C’est pourquoi le Président de la République, le 14 juillet, et le Premier ministre, hier, lors de son discours de politique générale, ont indiqué que notre priorité serait de trouver une solution pour chacun de ces jeunes.
Vous le savez, puisque vous avez tous, ici, participé à la construction de la loi Orientation et réussite des étudiants : nous avons des outils à cette fin. Plus d’un milliard d’euros sont investis dans le plan Étudiants, et des outils ont été créés par les établissements pour accompagner les jeunes et les prendre tels qu’ils sont de manière à les amener vers la réussite. Quant à la plateforme Parcoursup, elle a fait la preuve de sa robustesse : avant les résultats du baccalauréat, tous les lycéens y sont inscrits ; à la veille de la clôture de la première phase, 88 % des lycéens ont reçu une proposition, et nous sommes en train d’en accompagner individuellement plus de 9 000. Nous avons travaillé à la création de plusieurs milliers de places en BTS, en filières courtes, en formations professionnalisantes, et de plus de 1 000 nouvelles formations en apprentissage, parce que nous devons aussi accompagner les jeunes qui ont besoin de l’apprentissage pour étudier.
Nous trouverons une solution pour chacun de nos jeunes ; cet engagement a été pris au plus haut niveau.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour la réplique.
M. Stéphane Piednoir. Madame la ministre, je ne doute pas de votre volonté et de celle du Président de la République de régler ce problème. Néanmoins, nous avons un problème structurel. Les services du ministère ont programmé, jusqu’en 2028, une augmentation considérable des effectifs dans l’enseignement supérieur. La rentrée s’annonce singulière, avec cette crise sanitaire. Je ne suis pas sûr que le nombre de places en BTS et en apprentissage que vous avez annoncé suffise à accueillir ces 35 000 étudiants supplémentaires. Nous suivrons évidemment cela avec attention. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
cohésion des territoires et plan de relance
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Jacques Lozach. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Ces derniers mois, les initiatives conduites par les collectivités des différents échelons territoriaux et les solidarités qu’elles ont organisées ont manifestement contribué à assurer la protection sanitaire des Français et la continuité des services publics et à soutenir les tissus économiques locaux. Le Gouvernement a d’ailleurs fait reposer en grande partie sa stratégie de gestion de la crise et de déconfinement sur les collectivités. Les élus locaux ont fait preuve de réactivité et d’adaptabilité, compensant certaines rigidités et imprécisions de l’État, et démontrant de nouveau l’importance des acteurs de proximité.
La dégradation de la situation financière des collectivités, résultat de la baisse importante de leurs recettes – les pertes de recettes sont évaluées à 7,5 milliards d’euros pour 2020 et à plus de 10 milliards d’euros pour 2021 –, conjuguée à l’augmentation simultanée des dépenses sociales, les fragilise grandement. En plus de réduire leurs capacités de mobilisation, cette chute des ressources altère aussi leur agilité, alors que les collectivités seront amenées à jouer un rôle central dans le plan de développement économique annoncé. Je pense notamment à la relance de l’investissement et de la commande publique, pour cette année et pour 2021.
Le troisième projet de loi de finances rectificative actuellement en discussion contient des mesures, à hauteur de 4,5 milliards d’euros, destinées aux collectivités – essentiellement des avances remboursables. Celles-ci viennent partiellement amortir le choc financier ; mais ces aides suffiront-elles à maintenir la capacité d’investissement des collectivités dans des secteurs décisifs tels que les mobilités, le déploiement du numérique, la relance verte ou la relocalisation d’activités stratégiques ? Les collectivités seront-elles en capacité de poursuivre leur action en faveur de l’égalité territoriale et de la justice sociale et de permettre aux territoires ruraux de relever le défi démographique par une politique d’accueil ?
Plus globalement, n’est-il pas temps, madame la ministre, de libérer les collectivités de tout un ensemble de contraintes budgétaires qui réduisent leur autonomie fiscale et d’amorcer un virage ouvertement décentralisateur ?
Pourriez-vous enfin nous préciser dans quelle mesure l’Agence nationale de la cohésion des territoires sera mobilisée pour accompagner tant les porteurs de grands programmes que les projets émergents locaux, dont le nombre devrait être multiplié en vue d’impulser la relance ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Lozach, votre question est assez vaste, et je vais essayer, pour vous répondre, de prendre des exemples concrets. Vous avez démontré le rôle des collectivités territoriales et, bien sûr, leur engagement dans la relance.
Le Premier ministre l’a dit hier à l’Assemblée nationale et ce matin ici même au Sénat : un plan de relance d’environ 100 milliards d’euros sera présenté à la fin de l’été. Naturellement, ce plan concerne aussi les collectivités territoriales.
Nous avons plusieurs outils à notre disposition – vous venez de le rappeler. Je commencerai par le programme Territoires d’industrie : cet outil est prêt. (Mme Sophie Primas s’en étonne.) Il y a en France 148 territoires d’industrie ; nous avons fait remonter de ces territoires plusieurs centaines de projets qui sont prêts à démarrer. Et, vous le savez, Territoires d’industrie est animé par les régions, par les intercommunalités et par les chefs d’entreprise. Voilà du concret : les projets sont là, prêts à être lancés.
Vous savez aussi que cette année est l’année de reconduction des contrats de plan État-région (CPER). Nous négocions actuellement avec les régions, et le Premier ministre a reçu leurs représentants cette semaine. Nous avons parlé de ce plan de relance et de ces CPER. L’idée est bien sûr de bâtir un plan commun de relance, immédiate et à long terme, pour les collectivités territoriales.
J’ajoute que les CPER comprennent un volet territorial qui concerne tous les niveaux de collectivités : les communes, les intercommunalités, les départements. Nous allons donc décliner, au sein de ces contrats, tous les sujets tels que la transition écologique, la formation des jeunes, le développement de l’outil industriel ou la réindustrialisation des territoires – c’est fondamental. Toutes les collectivités seront associées.
J’ajoute également, pour terminer, que cette année est l’année du renouvellement des fonds européens dits de cohésion. Ces fonds représenteront évidemment un apport considérable au plan de relance, en plus des 35 milliards d’euros exceptionnels négociés par la France avec l’Allemagne à l’échelon européen. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
ambition écologique du gouvernement
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition écologique.
Dans la valse des milliards, qui finit par donner le vertige, les nouveaux crédits consacrés à l’écologie sont passés en une semaine de 15 à 20 milliards d’euros. Important en valeur absolue, certes, cet engagement annoncé ne représente pourtant qu’à peine 4 % des plus de 500 milliards d’euros de crédits débloqués par le Gouvernement.
Malgré ces sommes, nous avons du mal à comprendre tant la cohérence de votre politique environnementale et écologique que la stratégie qui la sous-tend, alors, madame la ministre, que vous êtes la quatrième ministre chargée de l’écologie en à peine trois ans.
Haut Conseil pour le climat, Convention citoyenne, conseil de défense écologique… : autant de paravents pour mieux masquer vos incertitudes et tenir à distance les propositions du Parlement.
À ce stade, madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer quelle stratégie et quel plan d’action concret vous voulez mettre en œuvre pour permettre à la France de redonner corps à une ambition écologique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique.
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Monsieur le sénateur Jean-François Husson, vous avez une vue un peu sélective : dire, d’abord, que rien n’a été fait jusqu’à maintenant, c’est quand même oublier les textes qui ont été examinés par le Parlement. En tant qu’ancienne parlementaire, je peux vous dire que la loi d’orientation des mobilités, qui entérine l’abandon des grands plans et le retour aux mobilités du quotidien, a été une grande avancée. Je citerai également la loi relative à l’économie circulaire, la loi Énergie-climat, l’arrêt des centrales à charbon, et j’en passe. Affirmer que rien n’a été fait me paraît donc un petit peu exagéré.
Vous dites ensuite que vous ne voyez que du flou dans ce que nous proposons. Non ! Au contraire : nous avons l’opportunité, due à la terrible crise que nous vivons, d’impulser de nouvelles orientations et, surtout, d’accélérer la mise en œuvre de cette politique. L’accélération va se traduire très visiblement, pour ce qui concerne la transition écologique, dans le plan de relance.
Vous pouvez d’ailleurs revoir vos chiffres à la hausse à mesure que nous évaluons ce que nous pouvons mettre dans ce plan : sur 100 milliards d’euros, plus de 30 % vont être consacrés à la transition écologique, à des enjeux essentiels de baisse des émissions des gaz à effet de serre, dans des secteurs tels que les transports – j’en ai déjà parlé –, la rénovation thermique des logements, l’agriculture, l’industrie. Bref, tout va être mis en place pour lancer des dynamiques et, aussi, pour que les acteurs puissent se former – nous avons besoin de formation sur les territoires pour utiliser des emplois locaux et arrêter soit de faire venir les travailleurs de l’extérieur soit de recourir à des usines à l’autre bout du monde.
Et nous allons présenter au Parlement le projet de loi qui reprend les propositions d’ordre législatif de la Convention citoyenne pour le climat, pour l’élaboration duquel Marc Fesneau et moi-même avons décidé de créer des groupes de travail, afin d’associer tout le monde et de prendre en compte la parole des parlementaires – j’y serai très vigilante, vous l’imaginez bien. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. François Bonhomme. Nous voilà rassurés !
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.
M. Jean-François Husson. En termes simples, je vous dirai que le disque est rayé et que les Français n’ont plus confiance. Le Premier ministre l’a lui-même expressément reconnu.
Pour développer la filière hydrogène, vous alignez 100 millions d’euros, quand l’Allemagne met plus de 10 milliards d’euros sur la table.
Vous prônez une économie décarbonée sans rendre d’arbitrages clairs en faveur des énergies renouvelables, et vous affaiblissez notre filière nucléaire, acteur majeur de décarbonation.
Vous parlez de réduire les émissions polluantes, mais, depuis trois ans, rien n’a été fait pour la qualité de l’air. Pour preuve : le Conseil d’État vient de condamner l’État à une amende de 10 millions d’euros par semestre. Les enjeux écologiques sont étroitement liés aux problèmes sanitaires et de santé publique, comme la crise actuelle nous le rappelle.
Vite, donc, au-delà de la « vélorution » magique post-covid, abandonnez la verticalité de vos politiques et faites de l’environnement le socle d’un nouveau pacte de confiance, reposant sur trois piliers, écologique, économique et social. Nous en avons besoin ! Il nous faut sortir définitivement de cette écologie punitive,…
M. Jean-François Husson. … qui a donné lieu à la crise des « gilets jaunes ». Faites enfin le choix d’une écologie positive au service de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
versement d’une aide sociale aux petits entrepreneurs par le conseil départemental
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Ma question s’adresse à Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Dans le discours de politique générale de M. le Premier ministre qui nous a été lu hier, on retrouve le mot « territoire » à vingt-cinq reprises. Dans les mêmes phrases, on parle de « confiance », on parle d’« intelligence », on parle de « proximité ».
Vous imaginez combien ici, au Sénat, nous sommes sensibles à tout cela. Notre pays a pu compter sur les collectivités territoriales pour gérer et assumer les charges de la crise sanitaire. Il aura besoin, demain, de ces mêmes collectivités pour panser les plaies et relancer la machine économique.
Les conseils départementaux, avec leur compétence sociale, ont été inventifs ; ils ont essayé d’apporter une aide adaptée aux besoins les plus criants.
Ainsi en est-il en Haute-Savoie, où les élus ont voté un dispositif d’aide à 1 600 entrepreneurs qui ont été très sévèrement touchés par la crise.
À l’instant où je vous parle, le virement de ces aides, bien que celles-ci aient été considérées comme conformes au droit au terme du contrôle de légalité du préfet, n’est toujours pas effectif. Cette situation est pénalisante et suscite la plus grande des inquiétudes parmi les élus.
Madame la ministre, sans attendre que la différenciation devienne un principe organique ou constitutionnel, comment entendez-vous permettre aux collectivités d’être de vrais acteurs de l’après-crise ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Cher Loïc Hervé, merci pour votre question. Je veux rappeler quelques éléments de contexte. Vous le savez, les départements sont compétents, comme vous l’avez vous-même rappelé, en matière de politique sociale, qui est le substrat fondamental de leur action. Et vous connaissez mon attachement au respect de la loi s’agissant de la répartition des compétences.
Vous avez indiqué que le conseil départemental de Haute-Savoie a adopté un règlement d’aide en faveur des travailleurs non salariés ne bénéficiant pas du chômage partiel. Sa délibération a été transmise au préfet, ainsi qu’au directeur départemental des finances publiques pour qu’ils puissent en examiner la légalité. Et, vous le savez, le contrôle de légalité est un service à rendre aux collectivités. Ce contrôle a été effectué en lien avec le président du conseil départemental, qui a eu l’occasion de fournir toutes les informations utiles.
À l’issue de cette instruction, dont je rappelle qu’elle est parfaitement normale dans un État de droit, il apparaît que le règlement adopté par le département institue bien une aide de nature sociale destinée à des personnes physiques et conditionnée à des plafonds de ressources.
À votre question, que m’ont posée également les députés de Haute-Savoie, je réponds qu’aujourd’hui il n’existe aucun problème particulier – j’associe à mon propos Olivier Dussopt – concernant la légalité de cette délibération. Il y va donc non d’une souplesse particulière, mais, tout simplement, de la stricte application des textes. Vous voilà rassuré, me semble-t-il, monsieur le sénateur ! (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour la réplique.
M. Loïc Hervé. Un mot pour remercier Mme la ministre de cette bonne nouvelle non seulement pour le conseil départemental de la Haute-Savoie et pour ses élus, mais surtout pour ces travailleurs non salariés, qui sont, en règle générale, à la tête de toutes petites entreprises et qui se trouvaient bien démunis dans la situation économique qui est la nôtre.
Je profite également de l’avènement de la loi 3D – décentralisation, différenciation et déconcentration – dans les mois qui viennent pour vous dire combien nous sommes attentifs, ici, au Sénat, à déverrouiller l’action des collectivités territoriales, à leur donner de nouvelles libertés et une capacité à répondre aux nouveaux défis de la période qui est devant nous. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Yves Bouloux applaudit également.)
port du masque
M. le président. La parole est à Mme Annie Delmont-Koropoulis, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Annie Delmont-Koropoulis. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Monsieur le ministre, à l’occasion de la traditionnelle interview du 14 juillet, le Président de la République a affirmé, avec assurance : « Nous avons réussi à endiguer le virus et à retrouver presque une vie normale ».
En tant que médecin ayant exercé pendant la crise et en tant que parlementaire informée des remontées du terrain, j’ai l’impression que nous ne vivons pas la même réalité.
Depuis plusieurs semaines déjà, les indicateurs nous alertent : le virus est toujours là et, dans certains départements, il progresse de nouveau, et de façon très inquiétante.
Monsieur le ministre, nous ne sommes pas sortis d’affaire, loin de là, et le chemin vers la vie presque normale risque d’être beaucoup plus long qu’annoncé au vu des mesures que vous prenez trop tardivement, ou que vous ne prenez pas.
Partout ailleurs, en Europe, au Canada, le port du masque dans les lieux publics a déjà été rendu obligatoire, et ce sans incompréhensible période préalable de quinze jours.
Notre président de groupe, Bruno Retailleau, a demandé ce matin l’application immédiate de cette mesure, et vous avez finalement entendu raison, mais quelle perte de temps !
Par ailleurs, des dépistages systématiques et massifs doivent être organisés régulièrement, car c’est bien là le moyen le plus efficace pour briser les chaînes de contamination.
Nous avons le sentiment que vous n’avez rien appris : nous sommes dans la même situation qu’au mois de février, avec un virus qui reprend sa progression.
Monsieur le ministre, face à l’urgence, le Gouvernement doit entendre l’inquiétude des professionnels de santé et adopter une stratégie offensive ; cette épidémie ne sera éradiquée que par des mesures drastiques.
Ma question est donc la suivante : qu’attendez-vous pour cesser d’être spectateur ? Il faut agir ; nous perdons du temps. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Merci, madame la sénatrice, pour cette question qui, comme on le dit en médecine – vous et moi sommes médecins –, a été posée avec tact et mesure.
Laissez-moi vous féliciter sincèrement d’avoir repris la blouse pendant la période épidémique. Je pense que les Français vous en savent gré.
Nous pouvons nous entendre, madame la sénatrice, sur plusieurs constats. S’agissant d’abord du port du masque, qui sera rendu obligatoire dans les milieux fermés, vous soulevez la question du 1er août. Vous le savez, nous faisons confiance à l’esprit de responsabilité des Français. Nous expliquons ; nous accompagnons. Décréter une obligation du jour au lendemain nous semble un peu brutal, d’autant qu’il y a également un travail à faire avec les entreprises ou avec les milieux culturel et sportif pour que chacun puisse préparer cette obligation du port du masque.
Néanmoins, madame la sénatrice, vous avez été entendue avant même d’avoir posé votre question, puisque le Premier ministre s’est engagé ce matin à ce que l’obligation soit entérinée dès la semaine prochaine. Je peux même vous dire que, en l’état actuel de la réflexion, nous nous dirigeons vraisemblablement vers une obligation à compter de lundi ou mardi, en tout cas du tout début de la semaine prochaine. Et, sans attendre, j’appelle les Français à porter un masque lorsqu’ils sont en milieu fermé et que de surcroît ils sont un certain nombre à être rassemblés, comme c’est le cas par exemple, madame la sénatrice, dans cet hémicycle sénatorial.
Vous considérez que nous sommes inactifs. Je pourrais vous faire constater qu’un certain nombre de pays ont été conduits à un reconfinement territorial parfois généralisé, y compris des pays dont j’ai souvent entendu parler dans cet hémicycle, pendant la période épidémique, comme étant des modèles. Si cela n’a pas été le cas en France, c’est pour une simple raison, madame la sénatrice : pendant douze semaines, les indicateurs se sont améliorés continuellement.
En revanche, vous avez raison de souligner que certains indicateurs doivent nous alerter et nous inquiéter – je l’ai dit tout à l’heure à l’Assemblée nationale –, dans certains hôpitaux parisiens ou en Mayenne, notamment. C’est pourquoi nous démultiplions les capacités de tests et de contact tracing.
J’ai débattu ici des heures durant pour expliquer pourquoi il était fondamental de ne pas désarmer juridiquement l’exécutif, le Gouvernement, dans sa capacité à agir et à prendre les bonnes décisions au bon moment alors que nous sortions de l’état d’urgence sanitaire. Je vous propose, madame la sénatrice, de relire les comptes rendus des débats : vous y verrez que je n’étais certainement pas celui qui prônait le moins d’action, au contraire. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Delmont-Koropoulis, pour la réplique.
Mme Annie Delmont-Koropoulis. Oui, mettre en place de telles mesures nécessite du temps ; mais vous auriez dû les prendre avant, et ne pas vous y résoudre au dernier moment.
Soyez vigilant, monsieur le ministre : demain, lorsque la population sacrifiée et les familles vous demanderont des comptes, vous ne pourrez plus dire : « nous ne savions pas ».
chômage des jeunes
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe La République En Marche.
M. Julien Bargeton. Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
Cela a été annoncé par le Président de la République comme par le Premier ministre : la jeunesse est la priorité des mois qui viennent, car il ne faut pas ajouter à la crise sanitaire la difficulté des jeunes à accéder à l’emploi.
Les difficultés d’insertion professionnelle des jeunes ne datent pas du mois de mars dernier, et votre prédécesseure, madame la ministre, avait déjà entrepris beaucoup – je pense notamment au plan d’investissement dans les compétences.
Cette épreuve exceptionnelle appelle des décisions exceptionnelles, en particulier pour les quelque 700 000 jeunes qui vont entrer sur le marché du travail.
Notre jeunesse, dans sa diversité, a plus que jamais besoin de perspectives d’avenir. Le meilleur des plans de relance, c’est celui qui ne laisse aucun jeune en plan !
C’est pourquoi des mesures ambitieuses sont très attendues. Nous examinerons demain le troisième budget d’urgence, dans lequel figurent, notamment, une prime à l’embauche exceptionnelle pour le recrutement des apprentis, allant jusqu’à 8 000 euros, ou bien une prime de 200 euros pour les jeunes les plus précaires.
Prime à l’embauche pour inciter les entreprises à recruter des jeunes, accroissement des dispositifs d’insertion, renforcement du service civique : la bonne application de ces mesures dans les territoires sera la garantie du succès de cette démarche.
Dès lors, madame la ministre, et sans préjuger ce que sera la concertation avec les partenaires sociaux, quels sont les objectifs, les axes, le calendrier de mise en route des mesures de mobilisation pour l’emploi des jeunes ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion. Vous avez raison, monsieur le sénateur Bargeton, il y a urgence pour notre jeunesse ! Afin de protéger nos aînés, nous lui avons demandé des sacrifices importants pendant le confinement ; nous devons aujourd’hui lui renvoyer l’ascenseur.
Notre objectif est donc clair : faire en sorte, grâce à des réponses adaptées à chaque situation, qu’aucun jeune ne reste sans solution.
Pour les jeunes les plus proches de l’emploi, nous allons favoriser les embauches, avec une compensation de charges de 4 000 euros par an appliquée aux CDI ou aux CDD dès lors qu’ils ont une certaine durée.
Pour les jeunes souhaitant s’engager sur un contrat d’apprentissage ou un contrat de professionnalisation, nous devons veiller à ce qu’ils puissent trouver une entreprise d’accueil. C’est ce que nous faisons en prévoyant une prime de 5 000 euros pour les moins de 18 ans, 8 000 euros pour les autres. Nous allons donc continuer à mettre le paquet sur l’apprentissage.
Par ailleurs, nous créerons 100 000 services civiques supplémentaires, pour permettre à des jeunes de s’engager dans des missions utiles à la société en attendant une conjoncture meilleure.
Pour les jeunes les plus en difficulté, 300 000 parcours ou contrats d’insertion supplémentaires seront déployés, en nous appuyant sur les dispositifs existants. Avec les acteurs locaux, nous devons faire de ces parcours et contrats d’insertion de véritables tremplins vers des emplois durables.
La réponse que nous proposons est donc globale. Ce plan fera l’objet, dès demain, d’une concertation avec les partenaires sociaux, conformément à la méthode qui, mesdames, messieurs les sénateurs, vous a été exposée ce matin par M. le Premier ministre. Vous aurez l’occasion de soutenir ces mesures lors de l’examen du troisième projet de loi de finances rectificative.
Notre jeunesse ne peut pas attendre ! C’est pourquoi nous préparons, avec les partenaires sociaux, avec les territoires, avec les parlementaires, une réponse à la hauteur des enjeux ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
avenir de la filière sucre
M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Cuypers. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Au mois d’août 2016, le Gouvernement œuvrait pour l’interdiction, à compter du 1er septembre 2018, de certains produits sanitaires, fongicides et insecticides, dont, d’ailleurs, la non-dangerosité sur l’homme a été prouvée.
Le Président de la République avait déclaré à l’époque qu’il n’y aurait pas d’arrêt sans produits de substitution sous trois ans. Or il est aujourd’hui prouvé que les produits proposés par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’Anses, sont totalement inefficaces et contre-productifs – vous avez pu le vérifier mardi dernier, monsieur le ministre, et je vous remercie de l’avoir fait.
Que fait le Gouvernement ? Il est en train de ruiner les cultures françaises, en particulier celle de la betterave, qui se trouve atteinte par une invasion de pucerons lui transmettant la jaunisse virale, avec des pertes colossales à la clé – de 30 % à 70 % de rendement en moins.
Tout un pan, dynamique, de notre économie agricole est atteint cette année. C’est inadmissible, alors que vous étiez prévenu, depuis des mois, de l’inefficacité des produits et des risques encourus, en termes de conséquences économiques et sociales ou de fermetures d’usines.
Si les bonnes dispositions ne sont pas prises d’ici à quinze jours, il n’y aura plus d’alcool – plus de gel hydroalcoolique –, plus de sucre, plus d’alimentation pour le bétail ! Les Français consommeront alors des produits importés et fabriqués avec les substances en l’espèce interdites. Est-ce ainsi que l’on dynamise une filière qui fonctionne ? Voulez-vous l’anéantir ? Quelle est votre solution ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Vous le savez, monsieur le sénateur Cuypers, je partage votre inquiétude face à cette jaunisse de la betterave qui, au moment où je vous parle, entraîne des baisses de rendement dans les champs allant parfois jusqu’à 30 % ou 40 %. La faute en incombe à un puceron vert, infectant du syndrome de la jaunisse les betteraves, lesquelles, par manque de photosynthèse, ne peuvent plus former leur racine tubérisée remplie de sucre.
Cette inquiétude est d’autant plus forte que, en effet, les champs de betteraves et les betteraviers ne sont pas les seuls touchés. C’est l’ensemble de la filière qui est affecté : quand, dans un territoire donné, des chutes de rendement sont enregistrées dans les champs de betteraves, la sucrerie d’à côté est forcément mise en difficulté.
Soyez donc certain – mais vous le savez – que je partage pleinement vos inquiétudes.
Là où je ne vous rejoins pas, en revanche, c’est sur l’action du Gouvernement.
Le Gouvernement n’est pas en train de mettre à mal la filière ; il cherche à trouver une solution. Il applique une loi datant de 2016.
Le 14 juillet, par le biais de ma personne, le Gouvernement a tenu à rendre hommage à toutes les actrices et tous les acteurs du monde agricole pour ce qu’ils ont fait pendant l’épidémie de covid-19. Ce jour-là, je me suis rendu en Seine-et-Marne, sur un champ de betteraves, pour discuter avec les représentants de la filière. Le 15 juillet, c’est-à-dire hier, une réunion a été organisée à mon ministère avec l’ensemble de ces professionnels.
Ma détermination à trouver une solution est donc aussi forte que mon inquiétude. Elle est totale !
Faut-il prévoir des dérogations à la loi ? Le point a été évoqué, mais c’est très compliqué.
Faut-il rechercher des alternatives ? Effectivement, on sait depuis quatre ans qu’il y a une difficulté et l’alternative n’a toujours pas été trouvée. Des produits phytosanitaires sont appliqués ici ou là, mais le mouvement doit être accéléré : il faut investir pour pouvoir trouver cette alternative.
Se pose, enfin, la question de la compensation.
Mais je ne vous apprends rien, monsieur le sénateur, en évoquant ces trois aspects. Je prends en tout cas un engagement devant vous : celui de tout faire pour trouver la solution. Cet engagement, je le prends sans démagogie aucune et m’engage à y travailler avec beaucoup d’énergie. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers, pour la réplique.
M. Pierre Cuypers. Le temps nous presse, monsieur le ministre.
Le Président de la République, lors de son allocution, a de nouveau affirmé qu’il fallait réapprendre à produire ce dont on a besoin. Vous-même, monsieur le Premier ministre, vous affirmiez hier que nous sommes trop dépendants de nos partenaires extérieurs.
Je prends acte de vos propos et, en même temps, de vos contradictions.
Aussi, je le dis avec force, j’accuse le Gouvernement de la destruction de la filière betterave. J’accuse le Gouvernement de la destruction de la filière alcool et de la fragilisation de notre production d’énergie et d’aliments pour le bétail. Une attitude semblable est incompréhensible pour notre société et pour le monde agricole, déjà au bord du gouffre. Faites vite, monsieur le Premier ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
psychiatrie
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour le groupe socialiste et républicain.
C’est la dernière question de cette séance, mais aussi la dernière prise de parole dans ce cadre de notre collègue Yves Daudigny, dont je voudrais saluer le travail au sein de cette assemblée, comme secrétaire du Sénat, mais aussi, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre des solidarités et de la santé, comme auteur, avec M. Jean-Pierre Decool, d’un rapport datant de 2018 sur la pénurie de médicaments et de vaccins. De la prescience, au vu de ce que nous avons vécu ! (Applaudissements.)
M. Yves Daudigny. Merci de vos paroles, monsieur le président. Peut-être aurai-je encore l’occasion, la semaine prochaine, d’intervenir au sujet de la dette sociale…
Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé.
« La situation de la psychiatrie en France est passée de grave à catastrophique » titre une récente tribune de presse, dénonçant la pression financière à l’exclusion de toute autre vision maintenue sur ce secteur.
Dans le contexte présent – suppression des deux tiers de lits en psychiatrie, insuffisance des accueils alternatifs et des équipes mobiles, financement sans lien avec les besoins locaux, accès difficile aux centres médico-psychologiques, 20 % des postes du secteur public non pourvus, pédopsychiatrie sinistrée, disparités territoriales extrêmes –, la vague psychiatrique liée au covid-19 est en train de monter et pourrait déferler, à la rentrée, sur un système à bout de souffle.
« L’après-covid sera psychiatrique » affirme la professeure Marion Leboyer.
Pendant le confinement, les pertes de suivi, les ruptures de traitement ont concerné 10 % des malades. Faute de moyens humains suffisants, ont été mises en œuvre des privations de liberté injustifiées sur le plan médical et illégales, dans des conditions indignes pour les malades.
Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, attire l’attention sur la question des droits des patients, sur l’enfermement de plus en plus important des malades mentaux. Elle s’interroge sur les nouvelles règles des hospitalisations sans consentement, sur l’utilisation abusive de l’isolement et de la contention.
Monsieur le ministre, avez-vous la volonté politique de donner à la psychiatrie et à la santé mentale, dans notre pays, toute leur place en termes de qualité et en réponse aux besoins de la population ? (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe UC)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Puisqu’il me revient l’immense honneur d’être le dernier à vous répondre dans cette noble assemblée, monsieur le sénateur Daudigny, permettez-moi de souligner, à mon tour, votre travail considérable, notamment en matière de politique de santé. Nous avons eu l’occasion d’en discuter, bien avant, sous une mandature précédente… Je crois que vous manquerez au Sénat.
La question que vous soulevez à propos d’un risque de vague psychiatrique est tout à fait juste, et j’ai déjà pu y répondre à d’autres occasions.
Le traumatisme psychologique qu’ont suscité, pour l’ensemble de la population, le confinement, la peur de tomber malade, la perte d’êtres chers que l’on ne pouvait même pas enterrer en famille est important, sans doute considérable. Il faut donc entamer, au plus vite, un travail de résilience collective avec les Français.
Pendant toute la période de crise épidémique, des soutiens psychologiques ont été mis en place par des associations et des professionnels du secteur sanitaire et médico-social, y compris, d’ailleurs, à destination des soignants eux-mêmes, qui ont été soumis à un stress épouvantable, semaine après semaine, mois après mois.
Vous évoquez, monsieur le sénateur, des abus dans le secteur de la psychiatrie, abus recensés dans un rapport de Mme Adeline Hazan. Je ne voudrais pas que vous gardiez cette image de la gestion de la crise du covid par le milieu de la psychiatrie. Celui-ci a fait face avec une dignité et un professionnalisme à toute épreuve.
Quand vous devez expliquer à des patients en état de délire qu’il y a un virus, une agression invisible, quand vous devez isoler des personnes en pleine période de confinement, c’est extrêmement difficile. Pourtant, le secteur de la psychiatrie a tenu !
Ce secteur, monsieur le sénateur, je le chéris tout comme vous. C’est pourquoi, parmi les 15 000 postes annoncés par le Premier ministre dans le cadre du Ségur de la santé, des postes seront dédiés à la psychiatrie. Et je vous confirme ce qui a été dit l’année dernière, à savoir que, quoi qu’il arrive, l’augmentation du budget des soins de santé mentale ne pourra être inférieure à l’augmentation générale du budget de la santé. Cette mesure est en rupture avec ce qui se passait les années précédentes.
Il y a beaucoup à faire pour la psychiatrie et la pédopsychiatrie, énormément pour la santé mentale, de manière générale, dans notre pays. Croyez en ma détermination sur ce sujet ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour la réplique.
M. Yves Daudigny. Je vous remercie de vos propos, monsieur le ministre, qui me touchent particulièrement. L’engagement et le dévouement des soignants ne sont pas mis en doute, mais la psychiatrie et la santé mentale soulèvent deux enjeux. Le premier est un enjeu de santé publique, bien évidemment, avec plus de 2 millions de personnes concernées. Le second consiste à réconcilier les malades mentaux et les soignants en psychiatrie avec le pays. À mon sens, ce serait un élément constitutif d’un humanisme républicain. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu mercredi 22 juillet 2020, à 15 heures.
6
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, vendredi 17 juillet 2020 :
À onze heures, quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi de finances rectificative pour 2020, adopté par l’Assemblée nationale (texte n° 624, 2019-2020).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quinze.)
nomination d’un membre d’une commission
Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée.
Mme Catherine Belrhiti est membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication