M. Jean-François Husson. Bravo !
M. Bruno Retailleau. Défendez une politique agricole commune, la PAC, bien sûr, mais aussi une autre conception du libre-échange. Madame la ministre, vous qui êtes chargée de l’écologie, nous attendons avec impatience que l’on transmette au Sénat le CETA (Accord économique et commercial global), afin que celui-ci puisse enfin voter contre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) En effet, ce traité n’est bon ni pour l’agriculture ni pour la planète. Nous ferons ce que nous disons et nous voterons contre le CETA.
Enfin, monsieur le Premier ministre, exigez, comme vient de vous le demander Hervé Marseille, une frontière verte, c’est-à-dire une frontière carbone, qui sera bonne pour le climat, et meilleure encore pour l’emploi. Il vous faudra beaucoup de courage ; je ne doute pas que vous en ayez, comme vous avez de la sincérité.
Vous devrez tourner le dos aux idées toutes faites. Un auteur que j’aime beaucoup, Hannah Arendt, a dit qu’une crise ne devenait catastrophique que si l’on y répondait par des idées toutes faites, c’est-à-dire par des préjugés. Oui, il vous faudra tourner le dos à tous les préjugés, à toutes les vieilles recettes.
Oui, vous devrez déboulonner les statues ! Pas celles qui nous surplombent, celle de Saint-Louis, celle de Portalis et celle de Colbert…
M. Victorin Lurel. Si, il faut la déboulonner !
M. Bruno Retailleau. … que, malicieusement, le président du Sénat a placé juste dans son alignement – et dans le vôtre. (Sourires.) Celles dont je parle sont les statues virtuelles, les idoles, les mensonges.
La première, c’est l’argent facile, l’argent magique. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Qui peut croire que, demain, nos créanciers n’exigeront pas le remboursement de leurs créances ? Qui peut croire que, demain, les nations qui compteront en Europe seront celles qui auront dépensé sans compter ?
Il y a d’autres statues virtuelles : celle qui consiste, par exemple, à faire de la dépense publique la seule mesure de l’efficacité de l’État et des services publics.
C’est malheureusement ce que vous faites actuellement avec le Ségur de la santé. Il fallait, bien sûr, revaloriser les carrières et les salaires des personnels soignants. Mais signer un chèque de 8 milliards d’euros sans rien dire de la tarification, du financement de l’hôpital, de sa gouvernance ou encore de son organisation, c’est se comporter en Sisyphe, monsieur le Premier ministre, c’est remplir le tonneau des Danaïdes !
Il faut réformer tout en disant la vérité et avoir le courage de faire. Vous disiez, il y a quelque temps, que vous étiez plutôt un taiseux et un « faiseux ».
Je termine par la crise civique, parce qu’elle est fondamentale et qu’elle commande tout le reste. J’ai la certitude que, pour redresser l’économie d’un pays, les ressorts du développement économique sont avant tout immatériels.
Vous n’avez pas prononcé aujourd’hui le mot « confiance » une quinzaine de fois, comme vous l’aviez fait hier. La confiance est immatérielle, elle relève d’un climat, d’une atmosphère, d’une relation entre les citoyens, mais, sans confiance, il ne peut pas y avoir de croissance.
Or, de tous les peuples européens, nous sommes celui qui a le moins confiance en l’avenir, qui est le plus sceptique vis-à-vis de ses dirigeants – d’ailleurs, je veux bien mettre dans le même paquet le Gouvernement et le Parlement, car je pense que les Français le font, monsieur le Premier ministre.
Les Français ont sans doute quelques raisons d’être aussi défiants, parce que tous les piliers de nos institutions, les uns après les autres, ont été ébranlés. La République est défiée à Dijon quand les différends entre bandes s’y règlent non pas au commissariat ou à la préfecture, mais dans une mosquée ; elle est défiée quand les enclaves communautaristes séparatistes se multiplient, partout en France, et que l’on y échappe à la règle commune ; la démocratie est fragilisée par l’abstention dramatique aux élections locales, comme nous l’avons tous constaté ; elle est fragilisée quand vous légitimez le tirage au sort, la démocratie du hasard, la démocratie de la courte paille ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Oui, la justification de la décentralisation, c’est d’abord de recoudre le fil de la confiance dans la proximité. Avec la loi NOTRe et d’autres textes, nous avons, au contraire, construit la société de la défiance, c’est-à-dire de l’éloignement ; vous devrez construire la société du rapprochement, de la proximité, laquelle garantit l’efficacité, comme nous l’avons montré en pleine crise du covid. La décentralisation se justifie aussi par le lien social, car le lieu, c’est le lien – vous êtes un homme du territoire. La proximité, c’est l’espace de la confiance, qu’il faut reconstruire.
Toutefois, gardez-vous de faire de la différenciation avant de faire de la décentralisation ; posez d’abord un cadre général, pour ensuite différencier. En faisant l’inverse, vous mettriez la charrue avant les bœufs, je vous le dis solennellement au nom de mon groupe.
L’État-nation est, lui aussi, fragilisé, alors qu’il est notre façon d’être au monde. Cette figure historique collective française est terriblement ébranlée. L’État bureaucratique s’est formidablement dilaté, au fur et à mesure que l’État régalien se rétractait. Ainsi, le Président de la République n’a pas dit un mot, le 14 juillet, du meurtre d’une jeune gendarme, pas plus que du lynchage, à Bayonne, d’un chauffeur de bus !
À Aiguillon ou à Bayonne, pourtant, c’est la loi de la violence ordinaire qui a prévalu. La France est désormais le pays d’Europe qui affiche le taux d’homicides le plus élevé en proportion de sa population. Aussi, construirez-vous les prisons nécessaires ? Le numerus clausus carcéral tiendra-t-il encore longtemps lieu de politique pénale ? Ce sont des questions concrètes auxquelles vous devrez répondre, parce que l’État a été fragilisé.
Le tissu de la nation française a été déchiré par un communautarisme, par un séparatisme et par un sécessionnisme qui, pour l’instant, n’ont trouvé face à eux qu’une pensée molle et des actes faibles. Que ferez-vous ? Reprendrez-vous les propositions du Sénat, par exemple, en matière d’interdiction des signes ostentatoires lors des sorties scolaires ? Il faudra poser des actes concrets, prendre des décisions urgentes et courageuses.
La nation est fragilisée quand certains veulent la voir désignée coupable, éternellement, « coupable de culpabilité », comme le disait un personnage des Fraises sauvages de Bergman.
Si, pour être aimable, la France doit d’abord se reconnaître coupable, comment nous, Français, qui n’aurions alors de notre histoire qu’une vision lacrymale et pénitentielle, pourrions-nous nous projeter dans l’avenir pour surmonter l’épreuve ? Si l’on dit que la France est un contre-modèle, comment pouvons-nous prétendre que les jeunes générations, qui sont sur la voie de la sécession, s’agrègent à nos destins collectifs ? (Marques d’assentiment sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous devrez porter fièrement les couleurs de la nation française et nos valeurs !
Je conclurai brièvement, monsieur le Premier ministre, pour dire la conviction qui m’habite : vous ne pourrez pas répondre à la dépression économique et sociale sans répondre à la dépression civique, c’est-à-dire à la défiance – cette défiance qui est fille de l’impuissance, cette impuissance que plus aucun artifice de communication ne parvient désormais à masquer.
La politique crève de cette obsession de crever l’écran. Depuis le début du quinquennat – et sans doute depuis bien avant, évidemment –, nombre de Français sont perdus : ce qu’ils veulent retrouver dans la politique, ce n’est pas un nouveau chemin, ce n’est même pas un nouveau monde ; ce qu’ils veulent retrouver, c’est la France, avec son audace, avec sa fierté, avec sa destinée – un peuple libre, uni face à l’épreuve, uni dans un idéal français, cet idéal qui nous rassemble, quelles que soient nos appartenances partisanes ou géographiques.
C’est cet idéal français qui doit dessiner notre chemin, qui doit être notre seule perspective. Si vous empruntez ce chemin, nous serons à vos côtés ; si vous vous en détournez, nous combattrons votre politique. Vive la République et vive la France ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Philippe Pemezec et Jérôme Bascher, ainsi que Mme Jacky Deromedi, se lèvent et applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la responsabilité qui est la vôtre, monsieur Castex, est lourde. En prenant les rênes du Gouvernement, vous avez le devoir de conduire la politique de notre pays. Cette tâche est écrasante, nous le savons, et elle revêt aujourd’hui un caractère particulier, que l’on pourrait qualifier d’historique.
Historique comme la crise que nous traversons. Dans une telle période, votre rôle est de veiller à ce que les Français soient protégés, face à un virus mortel pour certains organismes, face aux conséquences d’une maladie qui mine nos habitudes, nos manières de vivre, de travailler, face à l’effondrement économique et social, qui a été abordé à plusieurs reprises dans les discours précédents, alors que les signes avant-coureurs d’une seconde vague se multiplient.
Le Président de la République, qui vous a précédé dans les annonces et les déclarations, a voulu tracer un nouveau chemin et a évoqué « les jours heureux ». Aussi, c’est une déception, monsieur le Premier ministre, quand nous découvrons vos déclarations, tant à l’Assemblée nationale que, aujourd’hui au Sénat.
Un élément manque, mes chers collègues : c’est l’urgence. Le groupe socialiste et républicain vous demande d’agir depuis de longs mois. Un plan de relance d’ampleur devrait être lancé ; malheureusement, à chacune de nos demandes, c’est la même rengaine : « Vous allez voir ce que vous allez voir dans le prochain projet de loi de finances rectificative ! » « Vous allez voir ce que vous allez voir au mois de septembre ! » Finalement, je pense que nous verrons réellement quelque chose dans le projet de loi de finances pour 2021…
C’était hier, monsieur le Premier ministre, que vous auriez dû avancer sur cette question, et non pas au mois de septembre prochain. De la rapidité et des conditions mêmes de la reprise dépendront le coût économique, social et environnemental, mais aussi politique de la crise. Chaque jour perdu accroît la facture, accroît la fracture.
Votre majorité en a été la première victime lors des élections municipales du 15 mars et du 28 juin dernier. E j’ai bien compris que, aujourd’hui, il y avait une nouvelle victime, à savoir le président du groupe La République En Marche de l’Assemblée nationale.
Les réactions rapides que vous avez eues, avec le chômage partiel et les reports de charges, étaient nécessaires. Toutefois, ces mesures restent conjoncturelles. Elles ne dessinent en rien un futur rassurant pour les Français, qui subissent de plein fouet les plans sociaux et la baisse du pouvoir d’achat.
Je regrette d’ailleurs que, dans vos annonces, le pouvoir d’achat soit quasiment absent, exception faite pour les personnels soignants.
Après deux mois de confinement et une crise économique et sociale d’une ampleur historique, nous sommes placés face à un triple défi : soutenir le pouvoir d’achat amputé par la crise de ceux qui ont les revenus les plus modestes ; réorienter vers la consommation et l’investissement l’épargne que les ménages ont constituée pendant la période de confinement – 55 milliards d’euros ! – ; accompagner les secteurs dont l’activité a été la plus affectée – je pense à l’hôtellerie, à la restauration, aux loisirs ou à la culture, monsieur le Premier ministre, un secteur qui, manifestement, vous intéresse peu, d’après vos différents discours.
M. David Assouline. Ça, c’est clair !
M. Patrick Kanner. Pour cela, nous avons proposé un chèque « rebond solidaire » pour les ménages, mais vous ne vous saisissez pas de cette proposition. Vous préférez ne pas revenir sur la baisse des aides personnalisées au logement, les APL, alors qu’il est urgent de réaffirmer leur rôle fondamental de redistribution, de cohésion sociale et d’amortissement de la crise.
Nous le savons, dans les crises, ce sont toujours les plus fragiles qui paient l’addition finale. Alors que 700 000 jeunes vont entrer sur le marché de l’emploi, vous avez axé vos annonces sur la facilitation de l’embauche des jeunes par les entreprises. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant.
Vous redécouvrez manifestement l’intérêt des emplois aidés. Mais alors, pourquoi les avoir supprimés, ou quasiment, à partir de 2017 ? Sans chômage, sans RSA, que ce soit dans les campagnes ou dans les quartiers, les jeunes sont les plus éloignés de l’emploi et cette crise les repousse encore plus loin dans les marges de notre société.
Vous annoncez, monsieur le Premier ministre, 100 000 services civiques. J’ai été ministre de la jeunesse, et je peux vous dire qu’on ne crée pas en claquant des doigts 100 000 services civiques ; ils doivent correspondre à des missions utiles pour la société. Permettez-moi de vous le dire simplement.
La pauvreté n’est jamais un choix ; il faut la combattre. Vous avez appelé à ce que vous soient transmises des propositions. Chiche ! Nous avons une proposition : le revenu de base. Dix-neuf départements de gauche ont dit depuis deux ans leur disponibilité pour l’expérimenter : donnez-leur les moyens de le faire ! Dans 1 500 quartiers de la politique de la ville où ce revenu de base serait bien utile, les populations sont confrontées à une perte, voire à un effondrement de leurs ressources. L’aide alimentaire y est devenue incontournable.
Vous avez annoncé la relance des chantiers de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine. Seraient-ils en panne ? Cette mesure est nécessaire, mais la rénovation urbaine ne doit pas être isolée d’une politique globale : il faut donner les moyens au secteur associatif, aux travailleurs sociaux et aux médiateurs de revenir activement sur le terrain et mettre en œuvre un plan de 30 000 emplois aidés en ciblant les étudiants et les jeunes dans les quartiers.
La remise en cause drastique et brutale de ces contrats a été une erreur, monsieur le Premier ministre. Reconnaissez-le. Ils constituent un levier de soutien fort et rapide, facilement mobilisable.
Autre absent de taille : vous avez peu parlé de l’Europe, finalement, tandis que se jouent aujourd’hui les négociations sur le plan de relance européen et le cadre financier pluriannuel.
Alors que la France sera l’un des pays les plus touchés par la chute attendue de son PIB, pourquoi attendez-vous septembre pour mettre en place un plan de relance ? Une partie de nos partenaires agissent vite, parfois même, comme en Allemagne, en tournant le dos aux politiques anciennes.
En France, finalement, pour Emmanuel Macron, la seule rupture politique a été de changer de Premier ministre. Le Président de la République est passé de l’art du « en même temps » à l’art du contretemps. La seule rupture que nous observons avec ce gouvernement concerne peut-être la grande cause du quinquennat, l’égalité femmes-hommes, qui a dû s’effacer devant les équilibres politiques nécessaires pour former le Gouvernement… Nous aurons l’occasion de vous interroger tout à l’heure sur ce sujet dans le cadre des questions d’actualité.
Plutôt que de la rupture, je vois de l’immobilisme, un immobilisme coupable quand il concerne des réformes qui ont fragmenté notre pays et fragilisé les plus faibles. Aujourd’hui, votre rôle, monsieur le Premier ministre, est de rassembler les Français, de les protéger, de les accompagner face à cette crise, mais certainement pas de relancer la réforme des retraites, qui a déjà laissé tant de traces.
Des centaines de milliers de Français sont descendues dans la rue pour lutter contre les mesures contenues dans ce texte. Le chiffon rouge de l’âge pivot sera peut-être retiré, mais la cicatrice de l’article 49, alinéa 3 sera toujours présente.
Ce projet a également suscité une forte opposition des syndicats, ouvriers comme patronaux. Permettez-moi de m’étonner, monsieur le Premier ministre, alors que vous prêchez « le dialogue, l’écoute, la recherche du compromis », que vous annonciez la reprise de cette réforme, dans une logique, permettez-moi de le dire, d’obstination décalée eu égard à la situation.
En faisant cela, vous remobiliserez les forces vives de notre pays contre un projet inique que vous auriez dû finalement abandonner, afin de ne pas pénaliser une nouvelle fois l’économie face à une forme de cataclysme social qui s’annonce.
Il en est de même de l’assurance chômage : votre réforme, celle qui est venue et celle qui vient, est très dure pour les Français les plus modestes. Le contexte économique et social dans lequel la pandémie nous a plongés la rend aujourd’hui particulièrement dangereuse. Je vous demande, monsieur le Premier ministre, au nom de mon groupe, non pas de l’amender, de la faire évoluer, mais de l’abroger purement et simplement.
L’environnement doit être aussi un axe fort du plan de relance. Vous avez raison : la rénovation énergétique des logements est indispensable. Le bâtiment représente 43 % de la consommation d’énergie finale en France et compte pour près du quart des émissions de gaz à effet de serre. C’est un gisement majeur de bénéfices environnementaux, économiques et sociaux.
Malheureusement, le dispositif que vous proposez nécessite une avance que de nombreux propriétaires ne pourront pas faire. Il faut démocratiser la rénovation thermique, en instaurant une « prime climat » qui permettra un préfinancement public et qui s’adaptera au niveau de revenus des propriétaires.
Cette crise est également l’occasion de repenser notre modèle et d’aller vers plus d’indépendance. Nous avons pu constater que la France n’était pas en capacité de répondre, à titre individuel, à l’urgence sanitaire. Manque de respirateurs, manque d’équipements de protection, manque de certains médicaments : cette crise a été un révélateur, ce dont, je crois, vous avez pris conscience.
Comme nous tous ici dans cette Haute Assemblée, vous partagez ces constats, mais quid de Luxfer, quid de Famar ? Les déclarations d’intention, c’est bien, monsieur le Premier ministre, mais cela ne suffit pas : il nous faut des actes, et je crains que nous ne les attendions encore longtemps. Depuis trois ans, votre majorité mène une politique plus bénéfique aux très riches et aux multinationales qu’elle n’est favorable aux précaires et aux PME françaises.
Suppression de l’ISF, mise en place de la flat tax, suppression de l’exit tax, baisse de l’impôt sur les sociétés pour les grandes multinationales, suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % de contribuables les plus aisés : la liste est longue.
J’ai bien entendu le Président de la République, un peu recadré par vous-même et par Mme Gourault, ce matin, sur Public Sénat, sur ce dernier point. Je ne suis pas certain que, par vos décisions, vous exaucerez son vœu en l’espèce, même si nous comprenons que, finalement, la taxe d’habitation pourrait être un outil utile pour l’ensemble des Français quand il s’agit finalement de financer les services publics locaux.
En tout cas, demander aux entreprises de baisser les dividendes sans les y contraindre ne suffira pas. Demander des dons en faveur de l’hôpital public sans créer un nouvel impôt sur le capital, comme nous vous l’avons proposé, ne suffira pas, et cela ne trompe personne. D’ailleurs, la vraie question, monsieur le Premier ministre, est celle-ci : qui va payer et dans quelles conditions allez-vous assurer la redistribution dans notre pays pour faire face à la crise et aux dépenses que vous avez décidé d’engager ?
Enfin, cette solidarité que nous appelons de nos vœux doit être territoriale. Il faut d’urgence porter secours à nos territoires les plus fragiles. Je pense à la Guyane, où vous étiez il y a quelques jours.
Ce sont ces territoires, ceux de l’outre-mer comme ceux de l’Hexagone, qui ont fait face à la crise au plus près des Français. Il convient d’en tirer toutes les conclusions. Nous ne voulons pas d’un nouveau big-bang territorial, monsieur le Premier ministre. Nous avons formulé des propositions. Ainsi, le Sénat a adopté une proposition de résolution présentée par notre groupe. Faites-en bon usage : elle est libre de droits pour imaginer le futur élan qui sera, je l’espère, le vôtre en matière de décentralisation.
Il est vrai que vous parlez beaucoup de territoires. Je crois que vous avez cité ce mot une cinquantaine de fois depuis hier. On peut sauter comme un cabri et prononcer ce mot. Mais tout ne viendra pas les territoires. D’ailleurs, je tiens à vous le dire, la notion de territoire pertinent, c’est un peu comme l’horizon : plus on s’en approche, plus il s’éloigne !
Mme Marie Mercier. C’est comme pour la réforme des retraites !
M. Patrick Kanner. Tous les territoires ne viendront pas à notre secours. Il faut leur donner des moyens. Le groupe socialiste a fait des propositions utiles, que je tiens à vous rappeler.
La priorité doit être de clarifier la répartition des compétences au sein de la République. L’État doit enfin mener à bien la réforme de sa propre organisation déconcentrée et permettre l’autonomie des collectivités. Derrière le mot « autonomie », je place l’expression fiscale, monsieur le Premier ministre.
L’autonomie fiscale n’est pas un gros mot, et je la préfère à la notion d’autonomie financière, soutenue par le Président de la République, qui aboutit finalement au contrat de Cahors, un contrat scélérat au regard de la décentralisation – je vous le dis ici haut et fort, à cette tribune.
L’autonomie fiscale, c’est finalement permettre aux collectivités de décider librement ce qu’elles ont envie de faire pour leurs concitoyens, sous le contrôle démocratique qui intervient tous les six ans pour les communes, les départements et les régions.
La liberté des collectivités territoriales, c’est l’article 72 de la Constitution, et les conditions y sont clairement identifiées.
Pour passer le cap d’une rentrée économique et sociale qui sera difficile, monsieur le Premier ministre, il faut urgemment prolonger le plan de soutien aux collectivités par un « plan de rebond territorial ». Cette relance que j’appelle de mes vœux passera par les élus locaux. Pour cela, il convient de ne pas avoir de tabous, de les doter de plus de leviers d’action : plus de subsidiarité, plus d’expérimentations locales, plus de différenciation, plus de pouvoir réglementaire, plus d’interterritorialité, pour leur permettre d’exister face à un État qui, aujourd’hui, a besoin de partenaires.
Vous l’avez compris, le groupe socialiste et républicain ne peut pas trouver son compte dans votre déclaration, dans vos déclarations de politique générale. D’ailleurs, je crois que vous avez eu une bonne idée en ne demandant pas la confiance au Sénat.
Vous appelez à la concorde nationale, mais celle-ci ne se construit pas dans l’amnésie générale, dans l’anesthésie générale que portent finalement vos déclarations et encore moins dans l’amnistie générale pour les trois années qui ont précédé votre propre prise de responsabilités à Matignon.
Monsieur le Premier ministre, nous serons donc une opposition vigilante, exigeante, constructive et j’espère que, de temps en temps, vous saurez écouter votre opposition pour faire progresser votre politique nationale, au service des Français et de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, monsieur le Premier ministre, « acte III du quinquennat », « nouveau souffle » ou encore « dépassement du politique » : peu importent les qualificatifs, votre nomination intervient à un moment particulier, celui de la pire crise sanitaire qui nous a frappés en un siècle. Elle inaugure aussi un nouveau cycle de la vie politique de notre pays, dont l’horizon aura pour terme l’élection présidentielle de 2022.
Nouvelle illustration, s’il le fallait encore, que la Ve République telle que nous la vivons doit être profondément repensée pour en casser la verticalité, pour réhabiliter les corps intermédiaires ou donner plus de souffle à la démocratie locale.
Or l’accélération des cycles politiques imputable à l’instauration du quinquennat, renforcée par le prêt à penser en 280 signes et le diktat médiatique, fait qu’il est de plus en plus difficile de bâtir et de tenir une vision de long terme pour notre pays.
Il faut bien le constater : notre société est psychologiquement épuisée après une succession de crises majeures. La peur de l’avenir paralyse les initiatives et tétanise notre jeunesse. Le sentiment de déclin est prégnant. Notre économie connaît ses pires moments depuis des décennies. Les fractures identitaires gangrènent de plus en plus de zones, quand d’autres territoires excentrés se sentent oubliés.
Votre feuille de route est un immense défi, à l’image de l’ambition que nous devons avoir pour la France : reconstruire une confiance durable entre les citoyens et leurs gouvernants pour relever notre pays.
Nous n’avons pas le droit de céder au défaitisme, car la République, notre bien commun, doit être défendue chaque jour.
Fort de la liberté d’esprit, de ton et de vote qu’il a toujours cultivée, mon groupe, le RDSE, entend soutenir tout ce qui contribuera à ce relèvement, par-delà les attaches partisanes, sans subir la pression de la rue ou des réseaux sociaux. Au nom du seul intérêt général.
Redonner confiance à nos concitoyens, c’est d’abord agir par des mesures simples et concrètes pour leur quotidien.
Ce que mon groupe attend, c’est que la promesse républicaine d’égalité soit une réalité. La crise sanitaire a montré que notre modèle social fonctionnait, n’en déplaise à ceux qui n’en regardent que le coût. Il faut maintenant aller plus loin sur le plan social pour « bâtir les fondations de la France de demain », comme vous l’avez dit.
Face à l’explosion de la précarité et du chômage, votre gouvernement se doit d’agir avec efficacité, afin de mieux accompagner les plus vulnérables et d’offrir, à tous, les mêmes chances de réussite. Tous ceux que la crise a frappés de plein fouet, pour qui ce virage social est indispensable.
La crise des « gilets jaunes » l’a bien souligné : nos concitoyens attendent avant tout une véritable justice sociale, notion que l’on ne saurait réduire à de l’assistanat. Mon groupe y attache une importance fondamentale. Il est temps, par exemple, que le plan Pauvreté tant de fois annoncé se concrétise !
Vous avez également déclaré vouloir promouvoir l’approche par les territoires, et je sais que cet hémicycle vous a écouté d’une oreille très attentive. Monsieur le Premier ministre, mon groupe a envie de vous prendre au mot, quand on sait que nos collectivités n’en peuvent plus de cette instabilité normative désespérante. Et bien sûr sans les financements qui permettraient d’y faire face !
Pourtant, la crise sanitaire a révélé de formidables initiatives des élus locaux, avec, très souvent, des préfets pleinement investis pour les soutenir. Allons plus loin pour une organisation encore plus vertueuse, avec une déconcentration d’abord soucieuse de l’efficacité et des spécificités locales – plutôt que d’en référer en permanence à Paris –, une décentralisation qui ferait confiance aux élus et qui leur permettrait de mettre en œuvre une véritable différenciation dans le respect des libertés locales et de l’unité de la République.
La réalité est tout autre. Nous le constatons quand nous croisons dans nos territoires beaucoup de souffrance et d’incompréhension, du fait de l’abandon de l’État : dans les zones rurales enclavées qui subissent les fermetures de services publics, dans les zones urbaines victimes de retards économiques et sociaux accumulés, dans les zones périurbaines, indispensables pourvoyeuses de main-d’œuvre, mais toisées par des métropoles devenues inaccessibles sur tous les plans.
Monsieur le Premier ministre, mon groupe est totalement investi pour défendre la dignité de nos compatriotes. Il ne saurait exister de citoyens de second rang du fait de leur lieu de résidence. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons proposé la création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires, avec comme ambition de créer un outil au service de toutes les collectivités. Malheureusement, l’ANCT n’a pas répondu à ces objectifs, se transformant en une machine administrative obèse et édulcorée comme notre technocratie en a le secret.
L’égale dignité de nos concitoyens, c’est encore assurer le désenclavement de certains territoires, pour lesquels une ligne aérienne ou une desserte ferroviaire sont indispensables sur le plan économique. Nous comptons sur vous pour soutenir les collectivités et garantir le respect des obligations de service public des opérateurs. Je pense en particulier à l’aérien.