Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Chiche !
M. Jean Castex, Premier ministre. À tous nos concitoyens, je veux affirmer notre totale détermination à assurer leur sécurité. Je le disais hier à l’Assemblée nationale et je le répète devant vous ce matin : nous ne montrerons aucune faiblesse contre tous ceux qui s’en prennent à l’ordre public, tentent de fracturer le pays entre communautés et portent atteinte aux valeurs cardinales de la laïcité.
À nos policiers et gendarmes j’exprime, au nom de la Nation, mon profond respect et ma gratitude. Incarnant l’ordre républicain, ils exercent leur mission dans des conditions parfois extrêmement délicates. Je veillerai, avec M. le ministre de l’intérieur, à ce qu’ils obtiennent les moyens matériels et humains nécessaires pour conduire leurs missions et à ce qu’ils puissent être présents là où ils sont attendus, sur le terrain, en étant déchargés au maximum de tâches administratives parfois chronophages.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cela fait trente ans qu’on le dit…
M. Jean Castex, Premier ministre. Je ne puis parler de ceux qui protègent les Français sans évoquer le rôle fondamental de nos armées. Dans le combat contre les ennemis de la liberté, elles portent haut les couleurs de la France !
M. Jérôme Bascher. On vous jugera sur vos actes !
M. Jean Castex, Premier ministre. Je me plais à souligner que c’est sous cette mandature qu’un effort exceptionnel de la Nation a été décidé pour renforcer leur efficacité.
Permettez-moi d’insister devant vous, comme je l’ai fait hier devant les députés, sur ceci : pour que l’ordre républicain soit effectif et la sécurité de nos concitoyens assurée, il faut, bien sûr, que les forces de police et de gendarmerie reçoivent la reconnaissance et les moyens nécessaires à l’accomplissement de leur mission, mais il faut aussi, et peut-être surtout, que les moyens d’action de la justice soient renforcés, pour que celle-ci soit rendue plus accessible, plus compréhensible et plus efficace.
M. Jean-Pierre Sueur. Qui va payer ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Je disais, voilà quelques instants, que certaines choses doivent être faites par d’autres, qui les feront mieux. Mais, avec la justice, nous sommes au cœur des prérogatives de l’État : la justice, c’est l’État, et l’État, c’est la justice !
Or c’est un fait historique, démontré par les comparaisons internationales, dont celles, nombreuses, établies par cette assemblée : depuis de nombreuses années, l’État ne donne pas à la justice ses moyens d’intervention. Il en résulte que l’action des forces de l’ordre reste parfois sans suite et que des situations d’impunité sont ressenties comme particulièrement inacceptables par nos concitoyens et les élus de territoire – les maires au premier chef.
M. Antoine Lefèvre. Oui !
M. Jean Castex, Premier ministre. Vous avez voté une loi de programmation et de réforme de la justice ; j’entends en accélérer la mise en œuvre, en réorientant par redéploiement, dès l’année prochaine, des moyens affectés au budget de ce ministère, notamment pour rendre plus rapide et effective la réponse judiciaire, améliorer la politique des peines, garantir la dignité et la réinsertion des prisonniers et moderniser le fonctionnement des juridictions.
M. Jean-Pierre Sueur. Qui va payer ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Toutes et tous dans cet hémicycle, forts de vos expériences de terrain, vous le savez : on pourra à l’envi augmenter les moyens de la police et de la gendarmerie, si la réponse judiciaire ne suit pas, il ne se passera rien… Il faut donc aller au cœur du dispositif : c’est le devoir de l’État, c’est l’intention de mon gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – MM. Jérôme Bignon et Pierre Louault applaudissent également.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Chiche !
M. Jean Castex, Premier ministre. Renforcer la confiance, c’est, enfin, veiller à ce que la justice soit rendue dans les conditions d’écoute et de dialogue les plus complètes ; c’est un chantier auquel le garde des sceaux est particulièrement attaché.
Aucune forme de violence ne peut être tolérée ! La lutte contre les violences conjugales sera l’une des grandes priorités de la politique pénale du Gouvernement. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
Mme Laurence Rossignol. La case est cochée : il a prononcé le mot, c’est bon !
M. Jean Castex, Premier ministre. Faire régner l’ordre, rendre la justice : ce sont les valeurs cardinales de l’État.
Mesdames, messieurs les sénateurs, parlant du pacte républicain et de l’unité de la Nation, je tiens à marquer mon attachement profond à l’école de la République.
Fils d’institutrice, je sais ce que je dois à la méritocratie républicaine. (M. Martin Lévrier applaudit. – Murmures sur les travées des groupes SOCR et CRCE.) Je veux d’ailleurs dire toute mon admiration au corps enseignant. Depuis trois ans, une profonde refondation de l’école a été engagée ; nous la poursuivrons, en tirant, là aussi, les enseignements de la crise et en concentrant notre action sur les enfants qui ont décroché durant le confinement.
Ainsi, dès le début de l’année scolaire, les professeurs veilleront à identifier les besoins de chaque élève, grâce à des évaluations nationales. Chaque famille qui en fera la demande pourra bénéficier pour son enfant d’un programme personnalisé de soutien scolaire au cours du premier trimestre de l’année scolaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’achèverai en vous disant…
M. Jean-Pierre Sueur. Qui va payer, peut-être ?…
M. Jean Castex, Premier ministre. … que mon gouvernement s’appuiera sur les territoires pour conduire sa politique. (M. Martin Lévrier applaudit.)
C’est une question de respect ; c’est surtout une question d’efficacité. Car si l’État, je le répète, est le garant des fonctions régaliennes qui scellent l’unité de la Nation, pour l’ensemble des grandes transitions écologiques, économiques et sociales, ce sont les acteurs territoriaux qui doivent être à la manœuvre !
L’État et les collectivités territoriales ont la République en partage : ils sont les partenaires indispensables de la réussite de nos politiques publiques.
Dès les premiers jours qui ont suivi ma prise de fonction, j’ai rencontré l’ensemble des associations représentatives des collectivités territoriales. La relance économique que nous allons engager sera, évidemment, le premier terrain de mise en œuvre de cette mobilisation conjointe. Toutes les collectivités territoriales y auront une part essentielle.
Nous devons rapidement achever de régler avec elles les questions liées aux conséquences de la crise sur leurs finances, ainsi qu’à l’incidence sur leurs ressources des allégements d’impôt de production qui sont nécessaires pour concourir à la reconquête de notre souveraineté économique.
Mme Sophie Taillé-Polian. C’est le contraire !
M. Jean Castex, Premier ministre. L’objectif est que les collectivités territoriales puissent, parce que c’est dans leurs gènes, investir, former et agir de la manière la plus massive possible, mais en cohérence avec nous. En effet, dans les circonstances présentes, nos concitoyens ne nous pardonneraient ni dispersions ni divisions stériles. Monsieur le président, celles-ci ne seront jamais de mon fait ; je sais que le Sénat partage pleinement cette vision.
Le plan de relance prévoit d’ailleurs de soutenir les interventions des collectivités territoriales dans leur champ de compétences. Nous devons impérativement redonner du sens et surtout de la chair au futur contrat de plan et de territoire.
Je voudrais insister devant vous sur deux chantiers majeurs, qui illustreront cet engagement partagé.
Je pense tout d’abord à la formation professionnelle, que les circonstances actuelles vont fortement mobiliser. La relance passera, nous en sommes tous d’accord, par un effort accru en la matière. Il s’agit de permettre à ceux de nos concitoyens qui perdent leur emploi d’en retrouver un au plus vite.
Pour cela, nous investirons 1,5 milliard d’euros supplémentaires. Nous nous fixons l’objectif de 200 000 places supplémentaires pouvant être ouvertes en 2021 au bénéfice des jeunes et des demandeurs d’emploi. Qui peut imaginer que nous pourrions construire ce plan sans le concours des régions, compétentes au premier chef en la matière ?
M. Julien Bargeton. Bravo !
M. André Gattolin. Très bien !
M. Jean Castex, Premier ministre. Nous devons également poursuivre l’effort de reconquête industrielle, au travers du programme « Territoires d’industrie », largement décliné par les régions.
Une autre priorité essentielle est la transition écologique. Cette dernière réussira d’autant mieux qu’elle reposera sur une mise en œuvre partagée et territorialisée. Un tiers au moins des crédits du plan de relance seront déployés à destination de la transition écologique.
M. Jean-François Husson. Et les deux autres tiers ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Nous investirons, tout d’abord, dans le bâtiment et les transports. Nous investirons aussi dans les technologies vertes de demain, comme l’hydrogène, mais aussi pour mieux recycler et moins gaspiller. Accélérer la transition écologique, c’est investir également en faveur d’une offre d’alimentation saine et durable, pour que tous les Français, même les plus fragiles, aient accès à une alimentation de qualité.
Ensemble, nous allons aussi protéger les terres agricoles. À cet égard, j’ai annoncé hier, à l’Assemblée nationale, notre volonté de décréter un moratoire pour tout projet nouveau d’installation de centres commerciaux dans les zones périurbaines. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – MM. Jérôme Bignon et Pierre Louault applaudissent également.)
Nous définirons, en concertation avec vous et toutes les parties prenantes, de nouvelles règles d’autorisation d’exploitation commerciale.
Surtout, pour réussir cette reconstruction, nous allons donner davantage de liberté aux territoires et aux collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
À cet égard, monsieur le président, je tiens à vous remercier des cinquante propositions du Sénat pour une nouvelle génération de la décentralisation. (Ah ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants, RDSE et LaREM.)
Je salue également les deux rapporteurs, MM. Philippe Bas et Jean-Marie Bockel. (Mêmes mouvements.)
M. François Bonhomme. Et les droits d’auteur ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Castex, Premier ministre. Toutes celles et tous ceux qui connaissent mes conceptions ne peuvent douter que ces propositions feront l’objet de ma part d’un examen très attentif et très bienveillant.
Dès aujourd’hui, Mme la ministre des relations avec les collectivités territoriales, Jacqueline Gourault, reprend les nombreuses concertations lancées en janvier dernier, dans le cadre de la préparation du futur projet de loi dit « 3D », pour décentralisation, déconcentration, différenciation. Dans ce cadre, bien sûr, tous les échelons de collectivités territoriales et toutes les associations d’élus continueront d’être étroitement associés.
Tout ce travail de concertation aboutira à une prochaine Conférence nationale des territoires, où nous annoncerons clairement nos intentions. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Tout d’abord, nous allons consacrer le droit à la différenciation dans une loi organique.
Concrètement, développer la différenciation, c’est avant tout faciliter l’expérimentation. Oui, des réponses différentes doivent être apportées à des situations différentes : dans notre pays, construit depuis plus de deux siècles sur l’uniformisation, c’est une révolution ! Dès la fin de ce mois, un projet de loi organique sera présenté en conseil des ministres, qui donnera un nouveau cadre aux expérimentations menées par les collectivités territoriales pour qu’elles ouvrent la voie à une différenciation durable.
Un autre projet de loi viendra consacrer et donner de l’effectivité à ces trois principes : différenciation, décentralisation, déconcentration.
Donner plus de liberté aux collectivités territoriales, c’est aussi faire évoluer profondément l’organisation interne de l’État. Ce qui est nécessaire aussi pour rendre l’État plus proche des concitoyens. Je le dis pour l’avoir vécu : l’État s’est trop éloigné. On a commencé à favoriser l’État régional, sans doute par souci d’économie.
M. Jean-Claude Requier. Eh oui !
M. Jean Castex, Premier ministre. Seulement, quand les régions sont devenues immenses, cette intention, sans doute louable…
M. Philippe Dallier. C’est à voir…
M. Jean Castex, Premier ministre. … s’est retournée contre la proximité et l’efficacité des politiques de l’État. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains.)
M. Yvon Collin. C’est évident !
M. Jean Castex, Premier ministre. Nous rendrons rapidement plus cohérente et plus efficace l’organisation de l’État, en particulier au niveau du département.
Les moyens de l’État seront confortés pour l’action quotidienne, dès le projet de loi de finances pour 2021. En effet, je veillerai à ce que toutes les créations d’emploi – pas forcément des créations nettes : il faut bien recruter pour remplacer les départs à la retraite – bénéficient, sauf exceptions justifiées, à l’échelon départemental de l’État, et non plus aux administrations centrales.
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
M. Jean Castex, Premier ministre. C’est une révolution dont je vous prie de mesurer qu’elle va me causer beaucoup de soucis… (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE. – M. Pierre Louault applaudit également.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, il nous faudra aussi profiter de la crise – vous me pardonnerez cette expression – pour pérenniser les dispositifs de dérogation et de simplification administrative adoptés par ordonnances à la faveur de la crise sanitaire.
Bien plus, la crise économique, qui sera au moins aussi forte dans son ampleur, justifiera que nous allions encore plus loin, encore plus fort, dans les démarches de simplification, qu’il s’agisse du droit de la commande publique, des autorisations ou de tous les dispositifs qui – pour être ancrés dans les territoires, vous le savez bien – retardent et contrarient sans cesse la réalisation d’investissements indispensables. Je sais, monsieur le président, que le Sénat sera une mine de propositions en la matière. (Tout à fait ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous entendons renforcer l’équilibre entre les territoires.
M. Roger Karoutchi. Allons bon !
M. Jean Castex, Premier ministre. Pour cela, dans le cadre de notre agenda rural, nous allons amplifier les actions en direction de la ruralité.
Je souhaite vous faire partager ma conviction que la priorité des priorités, c’est de trouver ou retrouver le chemin d’un développement économique du monde rural. En réalité, si les services publics y ont fermé au cours des dernières années, c’est parce que la population y a diminué.
M. Jean-François Husson. Pas toujours…
M. Jean Castex, Premier ministre. Et si la population y a diminué, c’est d’abord parce que l’économie et l’emploi dans notre pays se concentrent désormais dans les très grandes agglomérations. Il faut donc revitaliser nos territoires ruraux par l’économie. Le service public suivra, mais il ne faut pas inverser l’ordre des facteurs. (MM. Martin Lévrier et Pierre Louault applaudissent.)
Tout d’abord, il faut embarquer ces territoires dans la révolution numérique. À cet égard, il est vital d’investir dans une politique de réseau et de maillage, en commençant par accélérer la couverture de tout le territoire en très haut débit, afin, notamment, de faciliter le télétravail, la télémédecine et tous les usages liés au numérique.
Les réseaux, c’est aussi la conservation des lignes ferroviaires et peut-être, je le dis devant le Sénat, de nouveaux investissements dans les routes. (Exclamations.) À certains endroits, celles-ci sont effectivement les seules voies permettant de désenclaver les territoires.
Cela rejoint les débats que nous aurons au sujet de la décentralisation. Doit-on conserver des routes nationales, que l’État a bien du mal à entretenir et qu’il ne développe plus ?
Pour autant – je pose la question au Sénat, puisqu’il l’a lui-même soulevée – peut-on renvoyer cette responsabilité aux départements ? N’est-il pas temps de conforter les régions dans leur rôle de responsables de toutes les mobilités, en envisageant des routes structurantes d’intérêt régional ? (Nouvelles exclamations.)
M. Jean-François Husson. On refile la patate chaude…
M. Jean Castex, Premier ministre. Autant de réflexions que je soumets à la sagacité du Sénat.
Et puisque je parle de réseaux et de mobilité,…
Mme Éliane Assassi. Le train !
M. Jean Castex, Premier ministre. … je voulais vous dire que, dans le plan de relance, une attention particulière sera portée aux pistes cyclables. (Exclamations.)
On m’a moqué lorsque j’ai évoqué ce sujet ; mesure gadget, a-t-on dit… Pas du tout, mesdames, messieurs les sénateurs ! Le vélo, c’est bon pour l’environnement et pour la santé, et nous assistons à une révolution, celle du vélo électrique, qui va multiplier les usages et raccourcir les distances. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
N’en riez pas ! Dans dix ans, si l’on a créé un réseau de pistes cyclables sécurisées, on pourra se rendre de Prades à Perpignan à vélo pour y travailler. (Mêmes mouvements.)
Voilà du concret ! C’est ce qui va se passer, et, je vous le dis, c’est ce que les jeunes générations attendent ! (Exclamations.)
M. Jean Bizet. Ah, les jeunes générations !
Mme Éliane Assassi. Il y a encore du travail à faire !
M. Jean Castex, Premier ministre. La problématique vous paraît peut-être secondaire ; c’est pourtant un sujet essentiel, et concret, que les gens comprendront. C’est une bonne façon de faire de l’écologie et du développement durable, à la portée de toutes et de tous. (Brouhaha.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, je savais que ce sujet plairait beaucoup à la Haute Assemblée…
M. le président. Poursuivez, monsieur le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Je reviens au sujet de la ruralité – en réalité, je n’en étais jamais sorti – avec le déploiement du programme Action cœur de ville, qui s’adresse déjà à 234 villes de petite taille ou de taille intermédiaire, et, surtout, celui du programme dit « Petites villes de demain » – c’est la strate au-dessous, et je la connais bien. Sur ce dernier point, l’objectif gouvernemental est clair : l’intégration de 1 000 villes supplémentaires, partout sur le territoire.
Il s’agit de faire de toutes nos villes, petites et moyennes, des lieux plus attractifs, exemplaires, dotés de services essentiels et où il fait bon vivre.
De même, j’ai fixé à mon gouvernement des objectifs précis et quantifiés s’agissant du plan de rénovation urbaine et des 450 quartiers de la politique de la ville. Les intentions sont belles et les objectifs louables : restaurer la République dans ces quartiers et permettre l’émancipation de leurs habitants. Mais, une fois encore, tout est dans l’exécution !
Mme Éliane Assassi. Et avec quels moyens ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Ils seront prévus dans le plan de relance. Ce sont des dépenses d’investissement, et non des dépenses de fonctionnement.
M. Jean-Pierre Sueur. Qui va payer ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Sur les 450 quartiers que j’ai mentionnés, très peu ont fait l’objet d’une mise en œuvre effective. Plutôt que d’annoncer aujourd’hui au Sénat que l’on va porter ce nombre de 450 à 600 ou 800 quartiers, veillons donc, pour assurer notre crédibilité collective, à ce que, pour au moins 300 des quartiers déjà visés, la situation ait concrètement évolué à la fin de l’année prochaine.
M. Jean-Pierre Sueur. Mais qui va payer ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, la République ne serait rien sans les territoires qui la composent, dans leur diversité et leur insondable richesse. (MM. Martin Lévrier et Jean-Claude Requier applaudissent.)
Cette diversité, croyez-moi, je la connais bien ! Fils du Gers – un territoire rural –, élu dans les Pyrénées orientales – un territoire éloigné –, je suis surtout un enfant de la République, que je m’efforce de servir avec passion. Je suis persuadé que cette diversité de la France, qu’exprimait avec admiration Fernand Braudel au soir de sa vie, est plus que jamais un chemin d’espérance.
C’est en tout cas le sens de l’action que j’entends mener à la tête du Gouvernement que j’ai l’honneur de diriger, sous l’autorité du Président de la République.
C’est le sens de l’engagement qui est le mien depuis de nombreuses années, engagement porté dans les différentes responsabilités publiques et mandats démocratiques que j’ai exercés au service de nos concitoyens.
C’est surtout le sens de la mobilisation collective qui doit être la nôtre dans les circonstances, très difficiles, traversées par notre pays.
C’est le sens de l’invitation que j’adresse à toutes les forces démocratiques, à toutes les forces vives, à tous les territoires. Unissons-nous, afin d’agir et réussir ensemble pour notre pays : nous n’avons pas d’autre choix ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Dans le débat, la parole est à M. Philippe Adnot, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.
C’est, d’après ce que notre collègue m’a dit, son dernier discours en qualité de sénateur – il siège parmi nous depuis 1989 ! Je lui exprime toute ma gratitude pour son rôle d’animateur des sénateurs non inscrits. (Applaudissements.)
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’adresser des félicitations. Je vous félicite, monsieur le Premier ministre, d’avoir été choisi pour assumer une tâche particulièrement difficile et de l’avoir acceptée. Je vous souhaite bonne chance.
Bonne chance, car notre pays va être confronté à une situation inédite : l’argent a coulé à flots ; pourtant, notre économie et l’emploi risquent d’être au cœur d’une situation explosive.
N’ayant que cinq minutes de temps de parole, monsieur le Premier ministre, je ne vais pas aborder tous les sujets.
Tout d’abord, je souhaite que vous sachiez trouver les bonnes solutions pour que le secteur de la santé soit traité avec efficacité et humanité. Tout n’est pas affaire d’argent, mais notre pays est confronté à un double enjeu : être prêt à affronter un retour de la pandémie et ne pas laisser de côté, pour ce motif, ceux qui ont un droit légitime à être soignés, quel que soit le besoin.
Rapporteur du budget de l’enseignement supérieur et de la recherche, j’ai rédigé de nombreux rapports sur la valorisation de la recherche. J’espère que Mme la ministre Frédérique Vidal saura trouver auprès de vous les moyens d’une loi dynamique, dont nous attendons beaucoup. L’avenir de la France dépend, en effet, de notre capacité à mobiliser les énergies créatrices et, surtout, transformer en réalité économique le formidable réservoir de notre excellence scientifique.
En effet, monsieur le Premier ministre, les problèmes de notre pays vont nécessiter de notre part une incroyable énergie à produire du concret.
Sénateur depuis trente et un ans, comme l’a rappelé M. le président du Sénat, c’est aujourd’hui la dernière fois que j’interviens dans cette enceinte. Je pense pouvoir faire quelques observations, n’ayant d’autre valeur que d’être le fruit d’une modeste expérience…
Des discours, des bonnes intentions et des analyses pertinentes, j’en ai entendus beaucoup ! Rien ne vaut la réalité des faits ; c’est par les actes que l’on juge une politique. La politique, c’est comme l’art de la guerre : tout dépend de l’exécution.
Une bonne exécution est tout d’abord cohérente. La cohérence suppose que l’on se concentre sur l’essentiel : la priorité des priorités, c’est l’économie, l’emploi, l’avenir des jeunes. Vous avez proposé des mesures qui vont dans le bon sens. Seront-elles assez rapidement opérationnelles ?
Prenons l’exemple des jeunes censés intégrer le marché de l’emploi. Vous avancez des mesures visant à alléger les charges des entreprises. Mais celles-ci n’ont plus de trésorerie ! Ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Cela ne provoquera pas le déclic immédiat et enthousiasmant qui serait nécessaire.
Il faudrait plutôt que chaque entreprise puisse embaucher un ou plusieurs jeunes, à proportion de son effectif, avec un financement de l’État pendant un an. Vous auriez ainsi résolu le problème de milliers de jeunes, en leur permettant de vivre une première expérience professionnelle, et donné immédiatement de la compétitivité à des entreprises.
J’ai entendu une des ministres présentes s’exclamer… Si ces jeunes n’entrent pas dans les entreprises, ils coûteront beaucoup plus cher !
Certaines mesures ne seront efficaces que dans le temps. Je pense notamment à la rénovation énergétique : une mesure tout à fait sympathique, notamment pour des bâtiments communaux, mais qui n’aura aucun effet sur les entreprises avant deux ans, le temps que les analyses soient menées par les nouvelles municipalités et les marchés mis en place. Cela risque d’être bien long.
Il faut donc accélérer le mouvement ! La situation demande de la réactivité ; il faut libérer les énergies. Ne faites rien de complexe ! Donnez de la flexibilité aux entreprises ayant des carnets de commandes – cela ne vous coûtera rien. Mettez-les en situation de s’adapter à une demande multiforme. Libérez les heures supplémentaires – il n’est pas nécessaire de les défiscaliser !
L’avenir de notre pays dépendra de ce que vous serez capable de faire à la rentrée, comme nos voisins européens. Ne polluez pas ce combat par des décisions qui ne peuvent que nous diviser et, donc, diminuer notre effort !
Nous ne souhaitons pas votre échec, monsieur le Premier ministre. Il vous revient la responsabilité de savoir écouter, même les anciens qui tirent leur révérence… (Applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe SOCR. – Mme Éliane Assassi et M. Éric Bocquet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 12 mars dernier, une prise de conscience transparaissait dans les propos d’Emmanuel Macron : s’opposer à la loi du marché qui domine tous les secteurs de la vie, y compris la santé ; faire sauter les verrous budgétaires libéraux qui, jusqu’à la dernière loi de finances et à la présentation du projet de loi sur les retraites, étaient les marqueurs du discours présidentiel.
La crise sanitaire, violente, a cruellement mis en évidence le grand désordre suscité par la mondialisation financière.
Le capitalisme, dans une fuite en avant cupide et inhumaine, a porté une lourde part de responsabilité dans les difficultés de notre pays à faire face à l’épidémie. Nos concitoyens ont découvert avec stupeur la délocalisation massive de la production de médicaments, de masques et de réanimateurs.
Voilà pourtant des années que certains, dont nous étions, soulignaient les ravages des délocalisations, cette absurdité sociale au service du profit des actionnaires. Leur terrible impact, appliqué au système de santé, a convaincu une grande majorité de nos concitoyens qu’il fallait changer de logiciel pour notre économie et, sans doute, pour notre société.
Monsieur le Premier ministre, ni le Président de la République, qui voulait se réinventer, ni vous-même ne nous avez convaincus de votre volonté de rompre avec un système, dans lequel l’argent roi prévaut sur l’humain.
La crise économique est là ; elle aussi est violente. Bien sûr, vous mettez l’orthodoxie budgétaire dictée par les règles européennes entre parenthèses, car vous avez besoin de sommes considérables pour faire face au choc actuel.
Néanmoins, sur le fond, vous gardez ensemble le cap. Et ce cap, c’est l’adaptation de notre pays à la mondialisation financière fondant le système auquel vous adhérez – en dépit, monsieur le Premier ministre, de vos références à un gaullisme social désuet.
On peut parler de désuétude, car la puissance publique a été dévorée par le marché, année après année, privatisation après privatisation !
J’ai cette impression fugace, mais bien détestable : pour vous, « il faut que tout change pour que rien ne change », comme en atteste l’atterrissage, emblématique, du Ségur de la santé. (M. Julien Bargeton proteste.)
Oui, vous gardez le cap ! M. Macron, dans un exercice de repentance bien appuyé, reconnaissait s’être trompé, avoir porté des mesures injustes. Mais, en même temps, il vantait les mérites de sa politique, dus, selon lui, au projet qui a justement dressé le peuple contre lui. Réforme de la SNCF, réforme du travail, politique fiscale : voilà les bons points qu’il s’est distribués le 14 juillet dernier.
Le cap, c’est le libéralisme sans frein. La réforme des retraites est, à ce titre, symbolique. Vous l’exhumez de nouveau, monsieur le Premier ministre, mais nos concitoyens, qui sont très intelligents, ne sont pas dupes…
Ils ont bien compris que le système par point équivalait à la soumission aux marchés financiers, contrôlés par des vautours comme BlackRock, et que votre ambition pour équilibrer les régimes sociaux consistait, non pas à trouver de nouveaux financements – de fait, il y en a –, mais à faire travailler plus longtemps les salariés.
Nous vous demandons, monsieur le Premier ministre, de renoncer à ce projet dogmatique, suscitant des inquiétudes parmi nos compatriotes déjà meurtris par la crise que nous traversons.
Votre label, c’est l’État et les territoires. Bien ! Mais jamais hier je n’ai entendu évoquer les raisons profondes de la détresse de nombre de nos communes, départements et régions : la disparition, l’effondrement du service public et l’étranglement financier.
Vous évoquez même le retour du commissariat au plan. Il y a du Cervantès dans cette conviction ! Comment planifier alors que tout a été cédé aux actionnaires ?
Monsieur le Premier ministre, pour planifier la reconstruction de notre économie et de notre industrie, pour mettre l’écologie et l’emploi, et non le profit financier, au cœur des préoccupations, il faudra plus d’État. Certes au plus près du peuple, de ses agents et des élus, mais il faudra plus d’État !
M. Macron a parlé du fret, des trains de nuit, des petites lignes ferroviaires, qu’il voulait pourtant achever avec ses bus éponymes voilà cinq ans. Mais avec quel outil agira-t-il ? Avec le privé, en cédant la SNCF au plus offrant comme ce fut le cas pour Alstom ?
Pour notre part, nous proposons de remettre la collectivité publique au cœur du redressement, en nous appuyant sur une nouvelle voie : celle d’une transition écologique solidaire et du retour à une souveraineté nationale industrielle, qui permette à notre peuple de retrouver la certitude d’un avenir.
Oui, les collectivités locales, qui sont au cœur de l’organisation des différents territoires de notre pays, ont un rôle décisif à jouer. Nous serons vigilants sur ce point, mais, je le précise, le Sénat n’est pas la chambre des territoires ; il assure la représentation des collectivités territoriales dans la République. C’est pourquoi, aussi, nous refusons ce concept de différenciation, source de rupture d’égalité et d’émiettement de la République.
Toutefois, qu’en est-il de ces collectivités, si elles n’ont plus de service public, plus de bureau de poste, de gare de chemin de fer, d’école, d’hôpital, de maternité ? C’est là que le bât blesse dans votre propos, monsieur le Premier ministre ! Vous affichez un déterminisme et un verbe dignes des Trente Glorieuses, mais les acteurs et les outils de cette période ont disparu, ou presque !
Le cap est maintenu quand on entend M. Macron accepter, justifier la baisse des salaires contre la préservation de l’emploi. Du bout des lèvres, il appelle les entreprises à modérer le versement des dividendes. Mettre sur le même plan ces deux éléments dans une forme de donnant-donnant est inacceptable !
D’un côté, on réduit le revenu des salariés, souvent modestes, qui devront sacrifier des éléments essentiels de leur vie ; de l’autre, on suggère à des fortunes de limiter une part marginale de leurs revenus.
Monsieur le Premier ministre, nous divergeons au moins sur deux points essentiels : il n’y aura pas de reconstruction sans répartition des richesses et sans un nouveau partage du travail.
L’appellation de « Président des riches », qui colle à M. Macron tel un sparadrap, est liée au péché originel de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, dans sa partie liée aux revenus financiers, accompagnée de l’instauration d’une flat tax portant sur les dividendes et d’une paralysie continuelle de la lutte contre l’évasion fiscale.
S’agissant du partage du travail – l’autre grand chantier d’une nouvelle politique exigée par les failles, révélées par la crise, du système actuel –, comment pouvez-vous affirmer sans sourciller, alors que 800 000 à 1 million de chômeurs supplémentaires sont attendus d’ici à la fin de l’année, qu’il faut « travailler davantage », qu’il faut user et abuser des heures supplémentaires, qu’il faut rallonger l’âge de départ à la retraite ?
La crise, mais aussi les évolutions technologiques et la recherche fondamentale de l’épanouissement humain exigent de changer de logiciel, de cesser l’exploitation à outrance du travailleur, tout en laissant de côté celui qui n’a pas d’emploi. Pour cela, il faut permettre au plus grand nombre de travailler, en faisant en sorte que l’on travaille moins ou mieux.