Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mmes Agnès Canayer, Patricia Schillinger.
1. Ouverture de la première session extraordinaire de 2019-2020
3. Hommage à Patrice Gélard, ancien sénateur
M. Édouard Philippe, Premier ministre
4. Questions d’actualité au Gouvernement
fermeture de la centrale de fessenheim (i)
Mme Sophie Primas ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Sophie Primas.
fermeture de la centrale de fessenheim (ii)
Mme Michèle Vullien ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.
convention citoyenne pour le climat
Mme Françoise Cartron ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Guylène Pantel ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.
rejet de la taxe de 4 % sur les dividendes pour financer la transition écologique
M. Pascal Savoldelli ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances ; M. Pascal Savoldelli.
bilan des élections municipales
Mme Laurence Rossignol ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
situation du secteur automobile et de l’entreprise borgwarner en particulier
M. Daniel Chasseing ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances.
M. Pierre Charon ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
convention citoyenne pour le climat
M. Jean-Luc Fichet ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Jean Sol ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Cadic ; Mme Florence Parly, ministre des armées ; M. Olivier Cadic.
soutien aux français de l’étranger en difficulté
Mme Jacky Deromedi ; M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; Mme Jacky Deromedi.
plan de relance pour les commerçants et les artisans
M. Xavier Iacovelli ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances.
M. Henri Leroy ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.
situation des personnes âgées pendant le confinement
Mme Marie-Noëlle Schoeller ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; Mme Marie-Noëlle Schoeller.
hypothèse du report des élections régionales
M. Jean Louis Masson ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur ; M. Jean Louis Masson.
5. Souhaits de bienvenue à deux sénatrices
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. David Assouline
6. Communication d’un avis sur un projet de nomination
7. Candidatures à une commission d’enquête
8. Dette sociale et autonomie. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi organique et d’un projet de loi dans les textes de la commission
Candidatures à d’éventuelles commissions mixtes paritaires
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur de la commission des affaires sociales
Discussion générale commune (suite)
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État
Clôture de la discussion générale commune.
Suspension et reprise de la séance
projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l’autonomie
Adoption de l’article.
Adoption de l’article.
Amendement n° 5 de M. Dominique Théophile. – Rejet.
Amendement n° 7 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 6 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Adoption, par scrutin public n° 130, du projet de loi organique dans le texte de la commission.
projet de loi relatif à la dette sociale et à l’autonomie
Amendement n° 12 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 6 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 2
Amendement n° 7 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 8 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.
Amendement n° 9 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.
Amendement n° 1 rectifié ter de M. Jean-Noël Cardoux. – Rejet par scrutin public n° 131.
Amendement n° 10 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet par scrutin public n° 132.
Amendement n° 3 rectifié bis de M. Philippe Mouiller. – Retrait.
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
Amendement n° 11 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Retrait.
Amendement n° 15 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Retrait.
Adoption de l’article.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur
Adoption du projet de loi dans le texte de la commission.
9. Communication relative à une commission mixte paritaire
10. Ordre du jour
Nomination de membres d’une mission d’enquête
Nomination de membres d’éventuelles commissions mixtes paritaires
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Agnès Canayer,
Mme Patricia Schillinger.
1
Ouverture de la première session extraordinaire de 2019-2020
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, au cours de la séance du 16 juin dernier, le décret de M. le Président de la République portant convocation du Parlement en session extraordinaire, à compter du 1er juillet 2020, a été porté à la connaissance du Sénat.
En conséquence, je constate que la session extraordinaire est ouverte.
2
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
3
Hommage à Patrice Gélard, ancien sénateur
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’émotion et de tristesse que nous avons appris la disparition, le 25 juin, de notre ancien collègue Patrice Gélard, qui fut sénateur d’un département cher à votre cœur, monsieur le Premier ministre, la Seine-Maritime, de 1995 à 2014. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent.)
Diplômé de « Langues O’ », docteur en sciences politiques et en études slaves, agrégé de droit public, Patrice Gélard fut d’abord un professeur de droit constitutionnel passionné qui a marqué des générations d’étudiants. Universitaire de renom, il fut doyen de la faculté de droit de l’université de Rouen, puis doyen de la faculté des affaires internationales de l’université du Havre.
Engagé en politique au Rassemblement pour la République (RPR), il fut aussi un élu local profondément ancré dans son département.
Il fut conseiller municipal du Havre de 1983 à 2008, conseiller général de 1994 à 2001, adjoint au maire du Havre de 2001 à 2008, vice-président de la communauté d’agglomération du Havre de 2001 à 2014, maire de Sainte-Adresse de 2008 à 2014, dont peu savent qu’elle fut la capitale de la Belgique pendant la Première Guerre mondiale, symbole de résistance.
Élu sénateur en 1995, puis réélu en 2004, Patrice Gélard s’investit fortement dans sa mission de législateur et devint rapidement un pilier de la commission des lois, dont il fut vice-président à partir de 2001.
Constitutionnaliste éminent, il fut le rapporteur infatigable de plusieurs projets de loi constitutionnelle, de multiples projets de loi concernant nos institutions et de diverses réformes de notre règlement, mais aussi de grands textes de droit civil.
Rapporteur de la proposition de loi instaurant le pacte civil de solidarité (PACS), il fut à l’origine de l’inscription du concubinage dans le code civil.
Patrice Gélard ne délaissa pas pour autant les travaux de contrôle. Vice-président de l’office parlementaire d’évaluation de la législation de 1999 à 2004, il s’illustra notamment par deux rapports remarqués sur les autorités administratives indépendantes, qualifiées d’« objet juridique non identifié ». (Sourires.)
Grand spécialiste des institutions de l’Union soviétique et des pays de l’Est, il fut longtemps le président du groupe d’amitié France-Russie, distingué dans l’ordre de l’Amitié russe pour son action de rapprochement entre la France et la Russie.
Patrice Gélard a fait bénéficier nos débats de son exceptionnelle érudition, de sa grande rigueur intellectuelle, de son indéfectible liberté d’esprit et de son remarquable talent d’orateur, dans toutes les langues.
Au-delà du juriste et de l’homme politique qui a été une figure marquante de notre institution, c’était aussi une personnalité attachante et riche de multiples facettes, qui se consacrait à d’autres passions moins connues : l’écriture, le dessin, la peinture, le théâtre et la collection de soldats de plomb…
Je souhaite exprimer notre sympathie attristée et notre profonde compassion à son épouse Marie-Claude, à ses enfants Sophie, fonctionnaire du Sénat, Frédéric et Véronique, aux membres du groupe Les Républicains, qui a succédé au groupe RPR, et à tous ceux qui ont partagé ses engagements.
Vous avez bien compris l’affection de ceux qui l’ont connu pour Patrice Gélard.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie, monsieur le président, de m’autoriser à dire un mot pour saluer le décès de Patrice Gélard.
Il était un sénateur respecté et estimé dans cette assemblée ; il était, pour ses amis havrais, un exemple de culture, un exemple d’engagement local à la fois tranquille et résolu ; il était aussi un exemple rare dans la vie politique – et je le dis sans malice –, moi qui ai partagé un mandat d’adjoint au maire avec lui avant que nous ne siégions ensemble dans une communauté d’agglomération : je ne l’ai jamais entendu dire du mal d’aucun autre homme ou femme politique. Jamais !
Et c’est assez rare ! (Sourires.)
Il était malicieux, il était fidèle. Je pense à son épouse, à ses enfants, bien sûr, et je pense aussi à son ami Antoine Rufenacht. Ils étaient ensemble en classe de sixième, et leur vie humaine et politique s’est déroulée côte à côte, faite d’amitié et de fidélité mutuelles. Je pense donc aussi à Antoine, qui a perdu un ami.
Et puis il était un universitaire, un universitaire non pas égaré dans le monde politique, mais qui pensait que le savoir et la connaissance devaient être aussi l’un des fondements de l’action politique.
Monsieur le président, je partage très vivement l’émotion que vous avez exprimée, et je sais que, samedi, à Sainte-Adresse, dans l’église Saint-Denis, nous serons nombreux à lui dire à la fois notre amitié, notre estime et notre admiration.
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, je vous invite à nous recueillir encore quelques instants. À ce moment de recueillement, nous associerons notre ancien collègue récemment disparu Louis Souvet, très engagé sur les questions sociales, qui fut sénateur du Doubs, maire de Montbéliard. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, observent un moment de silence.)
4
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
J’appelle chacun à respecter les règles sanitaires et à faire preuve de vigilance. Même si des assouplissements ont été apportés, il convient de respecter les distances de sécurité ainsi que les règles d’entrée et de sortie de l’hémicycle.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun veillera à respecter son temps de parole.
fermeture de la centrale de fessenheim (i)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme Sophie Primas. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
Madame la ministre, lundi dernier, la centrale nucléaire de Fessenheim s’est définitivement arrêtée.
L’énergie nucléaire, dont cette centrale est emblématique, a permis aux Français de bénéficier d’une électricité deux fois moins chère qu’en Allemagne. Elle a permis à la France de n’émettre que 1 % des émissions mondiales de CO2, la plaçant très loin devant son voisin allemand. Elle a, enfin, fortement bénéficié à l’emploi et à l’attractivité de la région alsacienne.
La décision de M. Hollande que vous mettez en œuvre aujourd’hui, ce sont près de 2 000 emplois locaux qui vont disparaître, sans aucune concrétisation du plan de reconversion promis par l’État ; ce sont 400 millions d’euros d’indemnités que l’État devra verser à EDF, comme l’a cruellement rappelé la Cour des comptes dans un rapport particulièrement sévère ; ce sont entre 6 et 10 millions de tonnes de CO2 supplémentaires par an, le repli vers l’éolien et le solaire ne pouvant conduire qu’à importer davantage d’énergie carbonée ; c’est, enfin, l’exact inverse de ce que recommande le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans ses derniers rapports, qui incluent, quel que soit le scénario retenu, une part significative de nucléaire.
Madame la ministre, la décision que vous avez prise aura des conséquences particulièrement négatives.
Cette décision n’est pas économique : la facture énergétique des Français et des entreprises françaises va largement progresser.
Elle n’est pas sociale : vous pénalisez très fortement tout un bassin d’emploi.
Elle n’est évidemment pas écologique : vous privez notre pays d’une énergie décarbonée, et c’est visiblement un avis partagé par M. le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire.
Madame la ministre, pouvez-vous donc nous dire ce qui a vraiment motivé ce choix ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. André Reichardt. C’est purement politique !
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la présidente Primas, l’arrêt de Fessenheim incarne l’écologie de responsabilité portée par le Président de la République, le Gouvernement et la majorité depuis 2017. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Écologie politique !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Avec cette décision, nous tenons nos promesses. Nous transformons en profondeur notre modèle énergétique et nous accompagnons les Français et les territoires dans cette transformation.
Avec l’arrêt des deux réacteurs de Fessenheim, nous engageons la réduction à 50 % de la part du nucléaire d’ici à 2035 tout en développant massivement les énergies renouvelables.
Pourquoi ? Parce qu’un système électrique plus diversifié est un système plus résilient. C’est pour cela que nous allons multiplier par deux la part de l’éolien et par cinq la part du photovoltaïque dans les dix ans.
Mais, dans le même temps, le Gouvernement est particulièrement vigilant à l’accompagnement des salariés et des territoires.
S’agissant des salariés d’EDF, ils seront tous reclassés au sein du groupe.
M. Philippe Dallier. Ils sont sauvés !
Mme Élisabeth Borne, ministre. S’agissant des salariés des sous-traitants, une cellule de reclassement est en place pour les accompagner.
Concernant la reconversion du territoire, 35 millions d’euros ont déjà été engagés, même s’il est vrai que la crise a conduit à prendre du retard dans la mise en place des différents dispositifs.
Je voudrais souligner l’annonce récente d’un projet d’implantation d’une usine de biocombustibles, qui pourrait créer 700 emplois dans le territoire.
Soyez donc assurée, madame la sénatrice, que notre politique énergétique s’inscrit pleinement dans le respect de l’accord de Paris et que nous accompagnons les Français et les territoires dans la transition. (Marques de protestation sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour la réplique.
Mme Sophie Primas. Madame la ministre, vous l’avez dit, c’est un choix politicien et idéologique, et nous attendons vraiment que l’État déploie une stratégie qui puisse être à la hauteur du défi que représente l’arrêt des réacteurs nucléaires.
À cet égard, je regrette que le Gouvernement ait refusé la feuille de route que le Sénat proposait dans le cadre de l’examen de la loi Énergie-climat, qui visait à suivre les démantèlements à venir, comme je regrette que l’ordonnance relative à l’accompagnement de la fermeture des centrales à charbon prévue aussi par cette loi n’ait pas été publiée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Michèle Vullien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Indépendants.)
Mme Michèle Vullien. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme notre collègue Sophie Primas, nous avons été frappés, dans l’actualité récente, par la fermeture de Fessenheim, une fermeture que nous ne nous expliquons pas.
La question de ma collègue abordait l’ensemble des aspects de la problématique sociale, économique, écologique ; ma question portera, madame la ministre, plus précisément sur l’articulation entre cette fermeture et la stratégie énergétique française dans l’optique d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Le nucléaire « nous permet d’être l’un des pays qui émet le moins de CO2 pour la production d’électricité, et cela garantit notre indépendance » : ces mots ne sont pas de moi, ce sont ceux du ministre Bruno Le Maire. (Sourires.) Ils sont frappés au coin du bon sens. (M. Bruno Retailleau applaudit.) Pourtant, hier, le second réacteur de Fessenheim a été déconnecté du réseau électrique !
Nous savons que nous ne pourrons pas réduire nos émissions de gaz à effet de serre sans décarboner notre énergie. Et nous fermons une centrale qui, justement, produit de l’électricité décarbonée !
Un des messages des municipales est sans ambiguïté : nos concitoyens veulent que la France se verdisse. Le meilleur vecteur est bien sûr l’efficacité énergétique. L’énergie la plus décarbonée est celle que l’on ne consomme pas ! Mais, à elle seule, l’efficacité énergétique ne suffira pas. Nous pouvons réviser cinquante fois la Constitution et mettre en œuvre toutes les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, jamais notre pays n’atteindra la neutralité carbone sans le nucléaire, malgré l’essor des renouvelables.
Ne l’oublions jamais : pour atteindre cette neutralité, il faut plus d’électricité dans notre mix énergétique et, évidemment, de l’électricité propre. En l’état actuel de la science, l’électricité renouvelable s’adosse forcément au nucléaire. Nous n’aurons donc jamais assez d’électricité renouvelable sans le nucléaire !
Madame la ministre, ne nous dites pas que l’on peut à la fois produire moins d’électricité nucléaire et décarboner : moins d’énergie nucléaire, c’est forcément moins d’électricité propre, donc plus de carbone dans l’atmosphère – ce que nous aurions pu éviter de faire.
Dans ces conditions, pourquoi avoir fermé Fessenheim, si ce n’est pour des raisons d’affichage ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Vullien, je comprends qu’on me pose la question de la fermeture de la centrale de Fessenheim et il est important d’expliquer pourquoi nous le faisons. Je peux vous assurer que ce n’est pas de l’idéologie ! (Murmures appuyés sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Élisabeth Borne, ministre. C’est vrai, nous devons réduire nos émissions de gaz à effet de serre, et il est également vrai que l’énergie nucléaire est décarbonée. Mais le nucléaire, ce sont aussi des opérations de maintenance lourdes et complexes qui peuvent réduire la disponibilité du parc.
C’est le cas actuellement : à la suite de la crise sanitaire, 50 % de notre parc nucléaire est aujourd’hui à l’arrêt.
Je le redis : je suis convaincue de la nécessité d’un système électrique plus diversifié et plus résilient. (M. André Gattolin applaudit.)
Et puis le nucléaire, ce sont aussi des déchets. C’est donc en prenant en compte l’ensemble de ces éléments que nous avons défini la trajectoire qui figure dans la loi Énergie-climat, qui n’efface pas le nucléaire, madame la sénatrice (C’est faux ! sur les travées du groupe Les Républicains.), mais qui ramène la part du nucléaire à 50 % – et non pas 0 % – de notre mix en 2035.
Je peux vous assurer que fermer une centrale nucléaire n’est ni simple ni anodin.
Cette étape est nécessaire pour garantir aux Français une production d’électricité décarbonée et résiliente. Nous avons besoin d’un meilleur équilibre entre les différentes sources d’électricité et c’est pour cela que nous développons massivement les énergies renouvelables, que nous avons par exemple augmenté de 20 % la production d’éolien entre 2018 et 2019, que nous voulons doubler cette production dans les dix ans et multiplier par cinq la part du photovoltaïque.
Je suis convaincue que c’est ainsi qu’il faut mener la transition écologique, solidaire et énergétique. Ces décisions fortes vont de pair avec un accompagnement des Français et des territoires.
convention citoyenne pour le climat
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour le groupe La République En Marche. (M. André Gattolin applaudit.)
Mme Françoise Cartron. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Après neuf mois de travaux, la Convention citoyenne pour le climat (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) a présenté ses travaux, riches de nombreuses propositions.
C’est bien ce qu’a souligné le Président de la République aux 150 citoyennes et citoyens réunis avant-hier à l’Élysée.
Cet exercice de grande ampleur, inédit, a été largement salué : un travail collectif de réflexion, de délibération, qui participe de ce nouvel élan démocratique dont notre pays a tant besoin. L’abstention, elle-même inédite, de dimanche dernier nous le rappelle si besoin.
Leurs préconisations touchent à tous les domaines de notre vie quotidienne : promouvoir une alimentation saine et durable – nous en débattions dans cet hémicycle pas plus tard qu’hier soir, en séance publique –, développer les transports propres, rénover les bâtiments, investir dans l’industrie et les technologies de demain, les énergies décarbonées, les réseaux et la préservation de nos ressources en eau.
Quinze milliards d’euros en plus d’ici à 2022 ont d’ailleurs été annoncés pour réussir cette transition énergétique.
La quasi-totalité des mesures adoptées par la Convention devrait être reprise et trouver une traduction réglementaire lorsque cela est possible, mais aussi législative, puis référendaire.
Le Président de la République a également rappelé hier que le plan de relance européen devait être nécessairement conditionné à des « engagements climatiques » de la part des États membres.
C’est donc un agenda national et européen résolument tourné vers l’environnement et sa préservation qui suscite de fortes attentes.
M. Roger Karoutchi. Quand se tiendra le référendum ?
Mme Françoise Cartron. Pourriez-vous nous préciser, madame la ministre, l’agenda des travaux qui viendront mettre en œuvre cette expression citoyenne ? Je pense plus particulièrement à l’agenda législatif. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Cartron, effectivement, le Président de la République s’est exprimé lundi sur les suites réservées aux travaux des 150 citoyens qui ont donné de leur temps personnel pour faire des propositions fortes pour le climat. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Albéric de Montgolfier. Nous aussi !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je pense que cela mérite le respect !
Il a fixé un cap clair et ambitieux, et montré que nous irons au bout de la transformation écologique de notre pays.
D’abord, en étant au rendez-vous des attentes de la Convention, dont il a repris la quasi-totalité des propositions – 146 sur 149.
Ensuite, en fixant un calendrier précis pour que cette proposition se transforme en action. Ainsi, d’ici à la fin du mois, un conseil de défense écologique assurera la mise en œuvre des mesures qui relèvent du Gouvernement, des plans de relance – 15 milliards d’euros supplémentaires vont être consacrés à la transition écologique.
Enfin, un projet de loi sera présenté à la rentrée pour les mesures qui relèvent du niveau législatif.
Ce projet de loi, nous allons le construire en concertation avec les élus, les parlementaires et les citoyens de la Convention.
Mon ministère, avec l’ensemble du Gouvernement, est pleinement mobilisé dans ce sens.
Comme vous l’avez rappelé, agir au niveau européen est aussi essentiel. C’est pourquoi le Président de la République porte une reconstruction économique, écologique et solidaire, sur le plan national comme sur le plan européen, et les propositions de la Convention citoyenne sont au cœur de ce projet. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
transport sanitaire en lozère
M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Sophie Primas applaudit également.)
Mme Guylène Pantel. Monsieur le ministre, il vous aura suffi d’un tweet, lundi soir, pour terrasser le Dragon qui devait être affecté à la Lozère lors de la saison estivale, obtenu chaque année de haute lutte par les élus locaux.
Il vous aura suffi d’un tweet, lundi soir, pour rappeler un peu plus à la Lozère, département hyper-rural à l’altitude moyenne la plus haute de France, qu’il lui est si difficile d’obtenir une couverture par transport sanitaire héliporté, pourtant garantie à la quasi-totalité des territoires métropolitains à l’année.
Il vous aura suffi d’un tweet, lundi soir, pour plonger les Lozériens dans le désarroi, eux qui sont si rassurés de voir l’été leur Dragon porter assistance aux personnes ayant eu des accidents, bloquées dans des canyons ou en difficulté dans des zones inaccessibles par la route.
Monsieur le ministre, en Lozère, les chances de survie lors d’un accident ou d’une maladie ne sont déjà pas les mêmes que sur le reste du territoire métropolitain. Cela est encore plus insupportable quand nos routes sont impraticables à cause des intempéries, comme c’est le cas avec la route nationale 106, seul axe routier majeur désenclavant le sud de la Lozère, fermée jusqu’à mi-juillet au moins.
Alain Bertrand rappelait sur ces travées qu’il ne peut y avoir de sous-territoires ni de sous-citoyens. La Lozère ne devrait pas avoir à quémander un équipement dont les autres départements sont dotés, voire surdotés.
Nous ne voulons pas, bien évidemment, priver l’Auvergne de son Dragon et encore moins entrer dans une guerre des territoires en raison de votre tweet malheureux. Nous demandons, pour cet été, un appareil capable de remplir les mêmes missions que le Dragon, et, à terme, des engagements forts du Gouvernement pour mutualiser les appareils et permettre une couverture de notre territoire à l’année.
L’égalité républicaine est un dû, pas un caprice.
Monsieur le ministre, quelles garanties pouvez-vous nous apporter ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, je veux immédiatement vous rassurer. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Mais je veux aussi replacer les choses dans leur contexte.
Au mois de décembre, un hélicoptère de la sécurité civile a eu un accident à proximité de l’aéroport de Marignane, et je pense à ces trois personnes qui sont décédées à cette occasion.
Au mois de juin, un autre hélicoptère a été accidenté, sans que celui-ci, heureusement, fasse de blessés. De fait, il manque deux hélicoptères à la sécurité civile.
Je prends un premier engagement devant vous : si vous votez, dans quelques jours, le projet de loi de finances rectificative porté par Gérald Darmanin (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), nous pourrons immédiatement passer commande de deux nouveaux hélicoptères.
Je rappelle que, la dernière fois qu’on a parlé d’hélicoptères pour la sécurité civile, il s’agissait, en 2012, de les vendre ! Et on en a vendu quelques-uns ! Depuis lors, aucun hélicoptère n’a été acheté et nous engageons cette procédure d’achat.
Madame la sénatrice, ce qui compte, c’est effectivement de pouvoir garantir la sécurité de nos concitoyens, en particulier en Lozère et dans la zone concernée, pour laquelle je sais combien la montée en puissance de la saison touristique implique la présence d’un hélicoptère.
Il avait été envisagé de déplacer Dragon 63, basé à Clermont-Ferrand, vers la Lozère. Mais cela créait des tensions en termes d’interventions sur la région et sur le territoire de Clermont-Ferrand. J’ai donc pris la décision non pas d’empêcher la Lozère d’être équipée, mais d’y affecter, cette semaine, un hélicoptère de la Gendarmerie nationale disposant des mêmes capacités d’intervention, notamment en matière d’hélitreuillage – je sais que c’est un sujet particulièrement important dans votre département –, qui sera armé par des gendarmes professionnels du secours en montagne.
Cet hélicoptère sera présent, pendant les deux mois initialement prévus, sur la base de Mende. Au lieu d’un hélicoptère de la sécurité civile, ce sera un hélicoptère de la gendarmerie.
Madame la sénatrice, je puis vous garantir que l’élu rural que je suis sait l’importance de ces moyens d’intervention et de cette montée en puissance pendant la saison estivale. Il y aura donc bien un hélicoptère opérationnel à Mende, armé par des gendarmes et totalement équipé pour garantir l’ensemble des interventions nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
rejet de la taxe de 4 % sur les dividendes pour financer la transition écologique
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre de l’économie et des finances, le Président de la République a pris acte des propositions formulées par la Convention citoyenne pour le climat, dans un cérémonial quasi monarchique. (Mme Sophie Primas et M. Bruno Sido applaudissent. – Exclamations sur diverses travées.)
Comment a-t-on pu passer d’un exercice de participation directe à une telle incarnation du pouvoir et de la décision politique ?
Sur le fond, et c’est le plus important, le rejet a priori de la proposition d’un prélèvement annuel à hauteur de 4 % sur les dividendes des grosses entreprises envoie un message politique très clair : on ne touchera pas au portefeuille de ceux qui ont le plus de moyens !
Pourtant, le mouvement des gilets jaunes nous l’a bien montré : aucune justice environnementale ne sera possible sans justice sociale et, donc, sans justice fiscale.
Refuser un prélèvement de 4 % des dividendes, c’est se priver de 2 milliards d’euros par an, et c’est la cohérence de l’ensemble des 149 propositions qui est remise en cause, condamnant cet exercice à une simple opération de communication malheureusement sans lendemain.
Monsieur le ministre, pourquoi un tel rejet ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SOCR.)
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, pour une raison simple : nous avons déjà fait l’erreur une fois, nous avons été condamnés au niveau aussi bien national qu’européen, et il a fallu ensuite récupérer le montant de cette taxe jugée comme contraire à l’égalité devant l’impôt, m’obligeant à présenter devant vous une surtaxe de 3 % à l’impôt sur les sociétés pour récupérer le montant de cette taxe sur les dividendes, jugée illégale.
Nous avons fait l’erreur une fois ; ne la faisons pas deux fois !
En revanche, qu’il faille plus de justice fiscale, j’en suis le premier convaincu ! (Rires sur les travées du groupe CRCE.)
Qu’il faille une fiscalité plus verte, nous sommes tout à fait prêts à aller dans ce sens dans le cadre du plan de relance ! Mais si vous voulez une fiscalité plus juste, aidez-moi, monsieur le sénateur – et je sais que votre groupe y est prêt –, à mettre en place une taxation digitale au niveau non seulement national, mais aussi européen.
Vous voulez aller chercher la richesse là où elle se trouve ? Ce sont les géants mondiaux du numérique qui ont fait les plus grands profits pendant cette crise économique ! Ce sont eux qu’il faut aller taxer et c’est cette taxation digitale qui sera juste.
Vous voulez une taxation verte ? Aidez-nous à mettre en place une taxation carbone aux frontières de l’Union européenne ! En effet, rien ne sert de décarboner notre industrie française si nous ne sommes pas capables de récupérer une taxation carbone sur les produits importés de l’extérieur. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE, UC et Les Républicains.)
Vous voulez une taxation plus juste ? Aidez-nous à étendre, au niveau européen, la taxation sur les transactions financières qui a été mise en place en France ! Étendons-la, plutôt que de la limiter au strict plan national !
Vous voulez une taxation juste ? Aidez-nous à lutter contre l’évasion fiscale… (Rires sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi. Ne nous dites pas ça à nous !
M. Bruno Le Maire, ministre. … et contre l’optimisation fiscale ! Je pense, ici, à l’instauration d’une taxation minimale à l’impôt sur les sociétés, pour laquelle nous nous battons au niveau international et avons déjà trouvé un accord avec l’Allemagne.
M. Fabien Gay. Grand numéro !
M. Bruno Le Maire, ministre. Comme vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, les chantiers à mettre en œuvre sont nombreux pour disposer d’une fiscalité plus juste, que ce soit à l’échelon national ou à l’échelon international. Pour cela, plus que réitérer les erreurs du passé, il faut inventer la fiscalité du futur ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre, je comprends bien la difficulté qui est la vôtre… Mais reprocher aux élus communistes républicains citoyens et écologistes de ne pas être à vos côtés dans la lutte contre l’évasion fiscale, c’est manquer de sérieux ! Franchement ! (Exclamations sur les travées du groupe LaREM.)
Vous pouvez sourire, monsieur le ministre ; l’opinion publique ne sourit pas, elle. On ne peut pas balayer d’un revers de main la question. Ainsi, il serait impossible de toucher à 4 % des dividendes des entreprises les plus importantes… Au cours des dix dernières années, les dividendes ont augmenté de 70 % ! Connaissez-vous une personne, mes chers collègues, un salarié ou un paysan, dont la rémunération a crû de 70 % au cours des dix dernières années ?
Ce n’est pas sérieux ! Chaque fois que l’on vous présente des propositions, dans le domaine social ou environnemental, impliquant un effort fiscal des plus riches, la réponse est toujours la même : non !
Vous faites là une opération de communication : c’est du capitalisme vert ! Je vous le dis, monsieur le ministre, je le dis au Gouvernement et je pourrais le dire de la même manière au Président de la République, vous pratiquez un populisme extrêmement dangereux ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SOCR.)
bilan des élections municipales
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Laurence Rossignol. « Et de droite, et de gauche » : c’était le mantra du candidat Macron en 2017 ! Le candidat devenu Président de la République, les Français ont vite constaté que son gouvernement – le vôtre, monsieur le Premier ministre – s’inspirait plutôt du principe « ni de gauche ni de gauche »,…
M. Emmanuel Capus. Très bien !
Mme Laurence Rossignol. … et ce jusqu’au second tour des élections municipales où il est clairement passé à « et de droite, et de droite » ! (Exclamations sur plusieurs travées.)
Tout cela a pu sembler un peu confus aux Français. En revanche, le message qui vous a été envoyé dimanche dernier est assez clair. C’est : « ni en marche ni en marche » ! (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
Même si les élections intermédiaires sont souvent difficiles pour les gouvernements en place, celles de 2020 constituent une cuvée assez spectaculaire.
À quelques exceptions près, et pas des moindres – je profite de cette intervention, monsieur le Premier ministre, pour saluer de manière républicaine votre élection au Havre, d’autant que la dimension personnelle de cette élection est probablement importante –, la majorité ne conquiert aucune ville importante.
Elle en perd même certaines, qu’elle avait obtenues auparavant grâce à des transfuges, souvent issus, d’ailleurs, de nos propres rangs. Je pense à Lyon, Besançon ou encore Strasbourg. C’est arrivé, aussi, dans mon département…
C’est sans parler, bien sûr, des échecs de vos ministres, qui comptaient bien faire main basse sur la ville de Paris et qui, comme chacun le sait, ont eux aussi échoué.
Le taux d’abstention inédit, malgré vos promesses de réconcilier les Français et la démocratie, ne relativise pas pour autant la clarté du message adressé au Président de la République et à sa majorité.
Monsieur le Premier ministre, en campagne au Havre, vous avez dit aux Havrais que vous reviendriez en 2022. Ma question est simple : souhaitez-vous continuer à diriger la France, et avec quelle orientation politique ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement. (Protestations sur des travées du groupe SOCR.)
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Vous avez l’air déçue, madame Rossignol…
Mme Laurence Rossignol. Ma question s’adresse au Premier ministre…
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. La porte-parole du Gouvernement est inscrite sur le dérouleur, mais, comme c’est une question sérieuse, sans doute fallait-il que ce soit un homme qui y réponde…
M. Marc Fesneau, ministre. Je voudrais d’abord saluer toutes celles et ceux qui ont décidé, à l’occasion de ces élections municipales, comme de toutes les autres élections, de défendre leurs idées. Il n’y a rien de plus sain et de plus honorable en démocratie ! C’est pourquoi il convient de saluer toutes ces personnes ayant fait le choix de s’engager, qu’elles aient gagné ou perdu – gagner ou perdre, ainsi va le jeu démocratique ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mais un autre point devrait nous alerter, dont vous avez assez peu parlé, madame Rossignol. Il s’agit de l’abstention, une question importante pour nous. Alors que le maire est sans doute l’élu le plus apprécié, c’est au cours de cette élection que l’on a enregistré la plus forte abstention. Cela doit nous interroger !
Vous avez l’air, par ailleurs, de vouloir en faire un test national.
Si tel est le cas, alors permettez-moi de saluer les victoires de Gérald Darmanin, à Tourcoing, et d’Édouard Philippe, au Havre – je n’ose parler de ma propre élection dans ma commune… (MM. Martin Lévrier, Emmanuel Capus, Alain Cazabonne et Franck Menonville applaudissent.)
En tout cas, soit c’est un test national, soit c’est une élection locale ! Comme l’équation personnelle compte – vous l’avez dit vous-même –, faisons-en plutôt une élection locale !
Enfin, d’expérience, les batailles électorales invitent à la modestie et à la lucidité.
Comme moi, mesdames, messieurs les sénateurs du groupe socialiste et républicain, il vous est arrivé de gagner des élections et d’en perdre !
Vous en avez perdu en 1997, en 2002, en 2007 ; moi aussi, j’en ai perdu… Des élections locales, des élections nationales… Tout cela devrait nous inviter à la modestie ! Certaines victoires ne sont pas vraiment ce qu’elles paraissent être et certaines défaites privent, parfois, de lucidité. Dans toutes les situations, ce travail de lucidité est à faire !
Mme Laurence Rossignol. C’est au Premier ministre que j’ai posé ma question !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Vous ne répondez pas à la question !
M. Marc Fesneau, ministre. Enfin, madame la sénatrice Rossignol, les résultats sont variables d’un département à l’autre, car, vous le savez comme moi, l’équation locale a compté.
La seule exigence que nous devons avoir, conformément à notre engagement d’élu, sur le plan national ou local, c’est de faire prévaloir l’intérêt national ou l’intérêt local. Maintenant qu’il y a des élus, il faut nous en féliciter et travailler avec eux pour faire avancer le pays. Les défis sont nombreux ; ensemble, nous pourrons les relever ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants et UC.)
situation du secteur automobile et de l’entreprise borgwarner en particulier
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants et sur des travées du groupe UC.)
M. Daniel Chasseing. Monsieur le ministre de l’économie et des finances, la crise économique frappe le secteur automobile. Le Gouvernement a déjà annoncé un plan conjuguant relance économique et transition écologique. Malgré tout, de nombreuses suppressions d’emplois sont à venir.
Je vais parler, en particulier, du département de la Corrèze, où nous apprenions brutalement, le 25 juin dernier, une très mauvaise nouvelle : l’entreprise BorgWarner, qui emploie 368 salariés, fermera son usine en 2022.
BorgWarner a racheté l’entreprise séculaire de Tulle en 1995, avant de transférer sa production sur une zone industrielle réalisée par le conseil départemental en 2005. Pendant plusieurs années, près de 700 salariés ont travaillé dans l’entreprise pour la fabrication de boîtes de vitesses à double embrayage, process abandonné dans les voitures électriques. La production est, à 95 %, destinée aux marques Volkswagen-Audi.
Malgré les alertes réitérées des syndicats, la direction n’a pas souhaité enclencher de diversification, préparant ainsi la délocalisation de l’entreprise.
Après la tristesse des employés, des familles et des responsables politiques devant cette catastrophe économique, les élus du bassin de Tulle – les parlementaires, dont mon collègue Claude Nougein, et le président du conseil départemental Pascal Coste – viennent aujourd’hui, par ma voix, vous demander d’aider la Corrèze et ce bassin de Tulle, sinistré, afin de trouver ensemble une solution de reprise du site et de ses employés.
La transition écologique devrait, dit-on, entraîner le développement de nouvelles productions… Cette entreprise avait été créée, en 1895, pour produire des cycles. Aujourd’hui, nous ne produisons en France que 700 000 vélos par an, soit un quart de notre consommation, alors que cette production atteint 2 millions d’exemplaires en Allemagne, en Italie et, même, au Portugal !
Dans un tel contexte, ma question est simple : comment pensez-vous, monsieur le ministre de l’économie et des finances, assurer une transition écologique véritablement solidaire, qui ne sacrifie pas les emplois et permette la survie de cette entreprise corrézienne ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Chasseing, la transition écologique est une nécessité absolue – je pense que tout le monde, ici, en est convaincu –, mais le défi auquel elle nous confronte est tout aussi considérable : il faut accompagner cette transition écologique d’une transition de l’industrie et des emplois.
Le site de BorgWarner à Tulle – je pourrais citer d’autres sites industriels du secteur de l’automobile, qui produisent des injecteurs diesel ou des pièces pour les véhicules thermiques – en est une illustration parfaite.
Avec 368 emplois, c’est le premier site industriel de Corrèze. L’annonce de sa fermeture – j’ai eu l’occasion d’appeler le président du conseil départemental de Corrèze, Pascal Coste, pour en parler – est donc un drame pour la ville de Tulle, mais aussi pour d’autres bassins d’emploi, comme la vallée de l’Arve et tous ses décolleteurs qui produisaient des pièces pour BorgWarner.
On voit bien comment cette transition écologique et ce passage du moteur thermique au moteur électrique ont un effet en cascade sur l’emploi, nous obligeant à trouver des solutions innovantes.
La solution est-elle de préserver, à tout prix, tous les emplois liés à la production de moteurs thermiques ? Certainement pas ! C’est l’assurance d’un drame social et économique encore plus important, à une vitesse que personne ne mesure ici.
La bonne solution, en revanche, consiste à trouver d’autres possibilités industrielles, à diversifier ces sites industriels, à former et qualifier les salariés.
Je demande donc aux responsables de BorgWarner, dans les deux ans qu’ils ont devant eux, de faire tout le nécessaire pour accompagner chaque salarié. Je prends l’engagement devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’avec les élus locaux, notamment le président du département, nous ferons tout – je dis bien : tout – pour trouver des solutions industrielles innovantes, permettant de garantir, non pas dans le domaine du véhicule thermique, mais sur d’autres activités, un avenir industriel à ce site de Tulle, en Corrèze. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants. – M. Pierre Louault applaudit également.)
parquet national financier
M. le président. La parole est à M. Pierre Charon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Charon. Ma question s’adresse à Mme la garde des sceaux.
La semaine dernière, un journal révélait que, pendant plusieurs années, les portables d’avocats de renom avaient été surveillés dans le cadre d’une enquête préliminaire ordonnée par le parquet national financier (PNF).
Cette enquête, décidée pour une prétendue violation du secret professionnel, a été ordonnée alors que, quelques jours avant, le 26 février 2014, une information judiciaire avait été ouverte sur des faits connexes. Malgré l’absence de preuves, le parquet national financier l’a relancée en octobre 2016, sans succès non plus. En décembre 2019, un classement sans suite pour « infraction insuffisamment caractérisée » est même prononcé.
Les conditions de cette enquête sont troublantes. Elle n’a pas été jointe au reste de la procédure pendant longtemps et ses résultats ont été cachés à la défense. Le PNF a agi comme une juridiction d’exception, qui nous rappelle les pires errements d’une justice livrée à elle-même.
L’autorité judiciaire ne saurait être hors contrôle ! Veiller à l’intégrité des comptes publics ou privés est une chose ; régler des comptes avec les hommes politiques en est une autre ! « La cour rend des arrêts, et non pas des services », disait un grand magistrat du XIXe siècle.
Cette imbrication malsaine du parquet national financier dans le jeu politique nous a même valu, voilà trois ans, une élection présidentielle insolite, où le favori n’a même pas été qualifié pour le second tour.
À la suite de propos tenus par l’ancienne procureure du PNF, le Président de la République a saisi le Conseil supérieur de la magistrature et vous, madame la garde des sceaux, avez demandé timidement un rapport circonstancié sur la nature précise de l’enquête qui a été menée. Il était temps de saisir l’inspection générale de la justice, car c’est l’existence même du PNF qui pose problème.
Madame la garde des sceaux, qu’entendez-vous faire face à cette crise de confiance envers la justice, pour que, après le « mur des cons », ne s’érige pas le « mur de la honte » ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Alain Cazabonne et Franck Menonville applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Charon, je comprends l’émotion qu’ont suscitée les propos de Mme Éliane Houlette, lors de son audition devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale.
Comme vous l’avez rappelé, le Président de la République, qui est le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, a sollicité un avis du Conseil supérieur de la magistrature.
Pour ma part, j’ai partagé l’émoi et les interrogations suscitées par les révélations de l’hebdomadaire Le Point. C’est pourquoi j’ai demandé – et sans timidité aucune – un rapport à Mme la procureure générale de Paris, qui me l’a rendu hier soir.
À la lecture de ce rapport, j’ai immédiatement décidé de saisir l’inspection générale de la justice, afin que celle-ci puisse déterminer l’étendue et la proportionnalité des actes d’investigation, ainsi que le cadre procédural de l’enquête ayant été effectuée.
Pour autant, je crois important de ne pas faire d’amalgame, monsieur le sénateur, et je voudrais à cet égard rappeler trois points.
Premier point, si des dysfonctionnements sont révélés par l’inspection générale de la justice, il faudra les reconnaître, mais le parquet national financier est une institution garante de la souveraineté judiciaire de notre pays. Dans des dossiers tels que celui de HSBC ou de Google, il a vraiment montré son expertise et sa compétence, qui lui valent une reconnaissance internationale.
Deuxième point, dans aucune affaire, le Gouvernement n’a donné d’instruction individuelle à aucun magistrat. C’est important à redire, car c’est le gage de la confiance que les Français doivent avoir dans la justice. Nous donnons des instructions générales parce que la structuration hiérarchique du parquet à la française nous l’autorise, mais nous ne donnons pas d’instructions individuelles.
Troisième point, des réponses adaptées à ces situations seront apportées. Il est effectivement essentiel de ne pas laisser le doute s’installer. Comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai confiance dans la justice française ! (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)
convention citoyenne pour le climat
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Luc Fichet. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Le Président de la République recevait lundi les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat. Notre groupe tient à saluer la qualité des travaux menés par ce panel de citoyens, qui se sont engagés en faveur d’une transition écologique ambitieuse pour notre pays.
Le chef de l’État a indiqué reprendre 146 des 149 propositions formulées et souhaiter les transmettre « sans filtre » au Parlement pour ce qui relève de la loi. Un texte comprenant diverses mesures est ainsi annoncé pour la rentrée.
Nous aurions besoin d’éclaircissements sur ce point et, surtout, de l’assurance que ces mesures seront bien accompagnées des financements nécessaires sur le court terme, et pas seulement dans un cadre pluriannuel.
Sur le sujet, par exemple, de l’agriculture et de l’alimentation durables, qui me tient particulièrement à cœur, les enjeux économiques sont effectivement indissociables des enjeux environnementaux.
Il faut renforcer la lutte contre les inégalités sociales face à l’alimentation ; les agriculteurs doivent être accompagnés dans la transition agroécologique en termes d’aide financière, mais aussi de formation. Sans engagement résolu de l’État en la matière, les propositions formulées risquent de rester lettre morte.
« Il faut maintenir […] des usines partout sur le territoire, ne pas concentrer celles-ci dans les métropoles les mieux desservies » : je cite là les propos que le Président de la République a tenus, le 29 juin dernier, devant la Convention citoyenne pour le climat. Parallèlement, à Morlaix, dans le Finistère, la compagnie Hop !, compagnie régionale d’Air France, informe de la fermeture d’un site de maintenance aéronautique de 276 employés.
Monsieur le Premier ministre, comment pouvez-vous agir ? Il est encore temps d’éviter ce genre de désastres, dans des territoires en difficulté, et d’être véritablement en cohérence avec les engagements de la Convention citoyenne pour le climat. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le sénateur, le Président de la République a reçu, lundi, les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat et il a été au rendez-vous, en reprenant en quasi-totalité – 146 sur 149 – leurs propositions.
Au-delà de cet engagement, il a annoncé un certain nombre de calendriers précis, avec, à la fois, un conseil de défense écologique organisé d’ici à la fin du mois pour prendre les mesures relevant du niveau réglementaire, donc du Gouvernement, et l’annonce de l’intégration dans le plan de relance d’un montant de 15 milliards d’euros supplémentaires destiné à accélérer la transition écologique.
J’espère que cela répond à votre question, car cette transition écologique, effectivement, exige des soutiens financiers, que ce soit pour permettre une transition plus rapide du modèle agricole, pour accentuer le rythme de la rénovation des bâtiments – notamment des passoires thermiques – ou pour accroître les investissements dans le transport ferroviaire.
Ces 15 milliards d’euros supplémentaires, donc, seront bien intégrés au plan de relance.
Enfin, un projet de loi spécifique sera présenté à la rentrée, texte que nous allons naturellement élaborer en concertation avec les élus, les parlementaires et les citoyens.
Je partage évidemment vos propos, monsieur le sénateur : cette évolution engendre des transformations profondes dans les territoires ; elle doit entraîner l’ensemble des Français et l’ensemble de ces territoires. C’est bien, en tout cas, le sens de la transition écologique et solidaire que nous voulons mener.
M. le président. La parole est à M. Jean Sol, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Sol. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Le secteur de la santé, tout particulièrement l’hôpital public, fait face à des difficultés majeures depuis des années. Nous avons légitimement cru, après les grèves des urgences, la démission des chefs de services hospitaliers, la colère des personnels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), mais surtout après cette terrible crise sanitaire durant laquelle tous nos soignants ont été au front, jour et nuit, que vous les aviez enfin entendus et que les problèmes les plus urgents, notamment les dégradations des conditions de travail et les rémunérations insuffisantes, allaient être pris en considération.
Or il n’en est toujours rien aujourd’hui !
Le Ségur de la santé ne répond pas aux questions, car nos soignants sont de nouveau dans la rue. Ces mêmes soignants qui ont risqué, parfois perdu la vie pour nous sortir de la covid-19. Ces mêmes soignants que nous applaudissions tous les soirs à la même heure pour les remercier de leur dévouement et de leur engagement. Ces mêmes soignants qui sont en droit d’attendre mieux, et plus, que des médailles ou quelques primes.
Les faits et les chiffres sont là. En France, nos médecins hospitaliers sont payés 40 % de moins que leurs collègues allemands. Nos infirmiers, comme nos aides-soignants sont rémunérés 20 % de moins que leurs homologues européens. Mais cela va encore plus loin : l’administration a submergé la santé en France, tout particulièrement l’hôpital, où le personnel soignant et sachant a depuis longtemps perdu tout pouvoir. Oui, nous l’affirmons, notre système de santé actuel est d’abord malade de la sur-administration !
Il y a urgence à repenser toute l’organisation du travail des services publics de santé : les charges administratives ne doivent plus entacher leur quotidien ; la gouvernance des hôpitaux doit être reconsidérée ; les moyens humains et logistiques adaptés ; le management et la formation améliorés.
Le Gouvernement va me répondre qu’il vient, au travers du Ségur de la santé, d’annoncer des revalorisations. Ces dernières ne répondent pas aux attentes légitimes des professionnels de santé, qui n’ont pas de mots assez forts pour critiquer ce qui n’est toujours que du saupoudrage.
Pourquoi le Ségur de la santé élude-t-il les problèmes de gouvernance à l’hôpital ? Pourquoi renoncer à « dégraisser le mammouth administratif » ? Qu’attend-on pour remplacer ce qui est un plan de communication par une vraie réforme en profondeur ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Jean Sol, vous interrogez le Gouvernement sur les concertations qui se tiennent à l’occasion du Ségur de la santé. Les objectifs annoncés, tant par le Premier ministre que par le ministre des solidarités et de la santé, sont clairs et nous ferons tout pour qu’ils soient tenus.
Vous avez rappelé les constats. C’est face à ces constats que nous avons, dans le cadre du Ségur de la santé, établi quatre piliers.
Le premier est la revalorisation des rémunérations et des carrières des soignants. Le Gouvernement est prêt à mettre 6 milliards d’euros par an sur la table pour restaurer l’attractivité de ces métiers et améliorer la qualité des soins. Cette proposition a été présentée, voilà quelques jours, aux partenaires sociaux représentant les personnels médicaux, les personnels paramédicaux, les internes et les étudiants.
Le deuxième est la relance de l’investissement et la définition de nouveaux modèles de financement. La reprise du tiers de la dette des hôpitaux, dont vous débattrez cet après-midi, mesdames, messieurs les sénateurs, représente un effort de 13 milliards d’euros pour la Nation. Dans le cadre du Ségur de la santé, nous discutons également d’un nouveau plan d’investissement pour les établissements de santé, les Ehpad et le numérique en santé.
Le troisième est le travail sur le système, notamment sur la gouvernance, pour apporter plus de souplesse et de simplicité. En effet, les soignants doivent soigner, et non crouler sous l’administration : c’est bien le cœur de la problématique traitée dans ce troisième pilier.
Le quatrième est la mise en place d’organisations plus proches des territoires et impliquant de manière plus collective l’hôpital, la médecine de ville et le secteur médico-social. Il s’agit donc de penser l’accès aux soins, au plus près des territoires, et de faire en sorte que tous les professionnels travaillent ensemble. C’est notre boussole !
Vous nous dites que tout cela prend du temps… Nous nous sommes donné 50 jours ; les négociations sont en cours. Actuellement, le ministre de la santé se trouve même avec l’ensemble des représentants et partenaires sociaux pour continuer à discuter et, d’ici à quelques jours, les annonces seront faites. (M. François Patriat applaudit.)
sommet du g5 au sahel
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Indépendants.)
M. Olivier Cadic. Ma question s’adresse à Mme la ministre des armées.
Le sommet du G5 Sahel, qui s’est tenu hier à Nouakchott, s’inscrit dans la suite du sommet de Pau, voulu, voilà six mois, par le Président de la République pour refonder notre action au Sahel. Cette rencontre avait permis d’établir deux objectifs pour gagner cette guerre : d’abord, combattre les terroristes ; ensuite, former et équiper les armées nationales.
N’oublions jamais que, chaque jour, nos soldats livrent un âpre combat contre les djihadistes dans le Sahel. Ainsi, depuis 2013, 41 militaires français y ont fait le sacrifice de leur vie.
Depuis Pau, des succès spectaculaires ont été enregistrés par nos forces armées ; elles font notre fierté. Le groupe Union Centriste entend donc leur témoigner toute sa gratitude.
La mobilisation européenne à nos côtés se confirme, même si elle reste encore trop lente. La task force Takuba est, à cet égard, aussi importante que représentative. Madame la ministre, l’Estonie sera-t-elle le seul pays européen à nous rejoindre ?
Mais, après avoir gagné la guerre, le plus dur est souvent de gagner la paix. Vous l’avez dit vous-même, une opération telle que Barkhane n’a pas vocation à être pérenne. L’action militaire est, non pas une fin en soi, mais un moyen au service d’un objectif global, qui a motivé notre présence : permettre à des États de demeurer libres et de fonctionner normalement, de manière indépendante, au service de leur population.
C’est pourquoi deux objectifs avaient été fixés à Pau pour gagner la paix : le retour des États dans les territoires ravagés par le djihadisme et l’aide au développement de la région. Toutefois, le Président de la République l’a admis lui-même à son arrivée à Nouakchott, hier, il faut en faire davantage dans ce domaine.
Ma question est donc simple : où en est l’Alliance Sahel et sommes-nous sur la bonne voie ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des armées.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Au Sahel, nous avons trois mots d’ordre : la détermination, la coopération et la complémentarité.
Oui, nous sommes déterminés à continuer de lutter contre le terrorisme dans cette région, et nous devons à la détermination du Président de la République d’avoir, par le lancement du sommet de Pau, créé un mouvement. Cela nous a permis, tous ensemble, d’engranger des succès, notamment militaires, et de donner un nouvel élan à notre action.
Ce nouvel élan, c’est celui de la coopération. Au Sahel, la victoire est effectivement possible si nous restons unis, si nous unissons nos forces avec les pays du G5 Sahel et avec les Européens. Il faut le faire pour accompagner au combat les forces armées locales. La remobilisation de ces forces armées sahéliennes est visible. Des camps militaires ont été repris et le niveau de coopération s’est grandement amélioré.
Comme vous l’avez souligné, monsieur Cadic, la task force Takuba va pouvoir démarrer dans quelques jours. Dans un premier temps, elle regroupera des forces spéciales françaises et estoniennes, qui seront rejointes par des forces spéciales tchèques, puis suédoises, peut-être italiennes. Les Grecs sont également en train d’examiner la question de leur participation.
Je voudrais souligner que, en général, les processus européens sont lents. Or, en moins d’un an, ce sont 13 pays, dont 11 pays européens, qui auront contribué à construire cette force.
Enfin, la complémentarité est la dernière condition du succès. À cet égard, l’action militaire n’est effectivement pas une fin en soi : il faut pouvoir aider les pays du Sahel à faire face aux défis sécuritaires, économiques et sociaux. C’est pourquoi, sur le terrain, les militaires de l’opération Barkhane continuent d’accompagner le retour de l’État, comme ils l’ont fait encore récemment à Labbezanga – eh oui, les populations reviennent !
Bien sûr, il faudra faire plus, mais les premiers signaux sont là. Nous sommes sur la bonne voie ! (M. Claude Haut applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour la réplique.
M. Olivier Cadic. Nous sommes à vos côtés, madame la ministre, pour gagner cette guerre. Continuez sur cette voie collective, et l’Europe apportera au monde la preuve qu’elle est bien une force de paix ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Indépendants.)
soutien aux français de l’étranger en difficulté
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacky Deromedi. Les conséquences de la double crise sanitaire et économique affectent considérablement un grand nombre de Français résidant hors de France.
Le 30 avril dernier nous a été présenté un dispositif de soutien aux Français de l’étranger de 220 millions d’euros, auxquels viennent de s’ajouter 35 millions d’euros. C’est mieux, mais cela reste malheureusement très insuffisant !
J’ai conscience de la difficulté d’ouvrir, sur le budget de l’État, des aides aux Français de l’étranger, mais nous n’avons pas le choix. La France n’a pas le droit d’abandonner ses enfants, où qu’ils soient. Il s’agit là d’un appel au secours de personnes qui n’ont jamais tendu la main, mais qu’il faut soutenir pour quelques mois.
Il faut un plan d’urgence à la hauteur de la situation ! Il doit inclure, outre l’aide sociale et le soutien à l’enseignement français, le soutien aux entrepreneurs. Certains d’entre eux connaissent de graves difficultés financières, en particulier dans les secteurs impactés directement par la crise. Ils contribuent aussi au développement économique de la France, mais ne bénéficient pas, la plupart du temps, d’aides dans leur pays d’accueil.
Comment le Gouvernement accueillera-t-il les familles ou les retraités qui n’arrivent plus à vivre à l’étranger, ceux que les familles ne peuvent pas prendre en charge ? Le coût n’en sera-t-il pas plus élevé s’il faut les rapatrier, les loger, leur permettre de trouver un travail, de scolariser leurs enfants ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice Jacky Deromedi, je tiens vraiment à saluer tous les conseillers des Français de l’étranger, les parlementaires représentant les Français établis hors de France et nos postes, consulats et ambassades : tous sont mobilisés depuis le début de la crise pour apporter aide, soutien et appui à nos compatriotes de l’étranger.
Ces 3,5 millions de Français ont été les premiers touchés. Souvenez-vous : dès le mois de janvier dernier, à Wuhan, nous avons dû procéder à un certain nombre d’évacuations de ressortissants.
Les opérations de ce type se poursuivent : si, en France, nous avons endigué et fait reculer l’épidémie, elle continue à toucher nos compatriotes dans d’autres pays. C’est pourquoi, le 30 avril dernier, avec Jean-Yves Le Drian et Gérald Darmanin, j’ai présenté un plan d’action massif pour les soutenir, à hauteur de 220 millions d’euros.
Sur cette somme, 20 millions d’euros sont affectés au volet sanitaire : très concrètement, des plans sanitaires ont été établis dans 81 pays, avec de la téléconsultation, 4 tonnes de médicaments ont été préacheminées pour faire face à d’éventuelles ruptures de stocks dans le système commercial local et un système d’évacuation sanitaire, reposant sur 3 avions, est disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept – 18 de nos compatriotes en ont déjà bénéficié.
Le volet social, quant à lui, bénéficie de 50 millions d’euros. À cet égard, comme je l’ai expliqué hier lors de la discussion de la proposition de loi du sénateur Le Gleut relative à la création d’un fonds d’urgence, un texte que je salue et qui a été adopté à l’unanimité, 2 727 Français ont bénéficié de ces aides sociales, pour 390 000 euros. Au regard des crédits mis en place, nous disposons encore de capacités pour faire face.
En particulier, je souhaite mettre en place un volet complémentaire, à destination des entrepreneurs, dont certains ne bénéficient pas d’aides locales ; je suis en train d’y travailler avec mes collègues de Bercy.
Continuons ensemble à être aux côtés de nos compatriotes de l’étranger !
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi.
Mme Jacky Deromedi. Monsieur le secrétaire d’État, pour 67 millions de Français, on a débloqué 500 milliards d’euros. Pour les 3,5 millions de Français expatriés, on en débloque 255 millions. Le rapport est de un à cent – certes, les situations ne sont pas les mêmes.
Les Français résidant hors de France ne souhaitent pas rentrer, si vous leur donnez la possibilité de rester dans leur pays d’accueil. Il s’agit de les aider pour quelques mois. Ou bien il faudra les rapatrier, dans des conditions qui ne feront pas honneur à la cinquième puissance mondiale… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
plan de relance pour les commerçants et les artisans
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour le groupe La République En Marche.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le ministre de l’économie, avec plus de 3 millions d’entreprises, le commerce de proximité, l’artisanat et les indépendants représentent une part majeure de l’économie française ; ils sont, pour nos territoires et nos concitoyens qui y vivent, source de lien social et de richesse.
De fait, nos commerces sont des lieux d’échanges qui contribuent à l’attractivité et au dynamisme de nos communes. En étant au plus près des attentes de nos concitoyens et en leur offrant des produits et services de qualité, ils sont, en quelque sorte, l’âme de nos territoires.
Mais aujourd’hui, monsieur le ministre, nos commerçants, artisans et indépendants souffrent.
Ils souffrent car, du fait de la crise sanitaire qui frappe notre pays, bon nombre d’entre eux ont été privés de toute activité durant près de trois mois. Malgré les aides dont ils ont bénéficié, nombre d’entre eux craignent de ne pas pouvoir se relever, d’autant qu’ils étaient déjà fragilisés par la crise des gilets jaunes et les autres mouvements sociaux que nous avons récemment connus.
Ils souffrent car, nous le savons, l’activité économique est bien loin d’avoir retrouvé son niveau d’avant-crise, et le retour à la normale sera très long.
Voilà deux jours, vous avez annoncé, monsieur le ministre, un plan de soutien à hauteur de 900 millions d’euros pour aider les commerçants, artisans et indépendants. Ce plan prolonge les dispositifs existants, notamment l’activité partielle, le fonds de solidarité, les prêts garantis par l’État et le report des charges fiscales et sociales. Destiné à renforcer leur trésorerie, il constitue une réponse concrète aux attentes de nos commerçants, artisans et indépendants, dont le chiffre d’affaires a déjà considérablement baissé.
La redynamisation du commerce de proximité est une exigence pour nos centres-villes et centres-bourgs, chère à Rémy Pointereau et Martial Bourquin ; gage d’attractivité pour nos territoires, elle est une véritable richesse pour nos concitoyens qui y vivent.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous fournir plus de précisions sur ce plan, qui permettra, je l’espère, de répondre à un secteur gravement touché ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, je vous rejoins totalement : je considère que les commerçants, artisans et indépendants sont, probablement, ceux qui ont le plus souffert de ces mois de crise. Tout simplement parce qu’ils étaient fermés et qu’ils ont vu leur chiffre d’affaires baisser de 50 %, 60 %, parfois 80 %, sans aucune solution disponible.
C’est la raison pour laquelle le Premier ministre, le ministre de l’action et des comptes publics et moi-même avons déployé toute une série d’instruments très puissants : le fonds de solidarité, les exonérations ou reports de charges sociales et fiscales, le chômage partiel, toutes mesures qui leur ont permis de passer ces quatre mois de crise avec le moins de dégâts possible.
Maintenant, nous voulons faire plus. Nous voulons faire plus pour revitaliser un certain nombre de centres-bourgs et de centres-villes, et pour aider les commerçants, indépendants et artisans dans les mois qui viennent.
D’abord, nous allons prendre des mesures nouvelles de trésorerie, parce que c’est dans ce domaine que l’attente est la plus forte. Ainsi, nous allons supprimer la majoration de 25 % pour les indépendants et commerçants qui n’adhèrent pas à un organisme de gestion agréé. Cela fait des années qu’ils le demandent : nous allons le faire !
Nous allons aussi prolonger le fonds de solidarité au mois de juin, pour l’ensemble des artisans, commerçants et indépendants éligibles. Nous leur permettrons aussi de débloquer des contrats Madelin, à hauteur de 8 000 euros, dont 2 000 euros défiscalisés.
Ensuite, nous allons créer 100 foncières, qui pourront, partout sur le territoire, racheter 6 000 fonds de commerce, les rénover énergétiquement et les louer à tarifs préférentiels, pour que des commerces nouveaux s’installent dans les centres-villes, les centres-bourgs et les communes de taille moyenne. Il s’agit d’un dispositif totalement nouveau, efficace et qui permettra de voir des commerces rouvrir dans les centres-villes et les communes rurales.
Enfin, nous allons engager un plan de numérisation et de digitalisation de tous les commerces. En effet, la crise a montré que ceux qui sont digitalisés s’en sortent le mieux.
Vous le voyez, nous avons fait beaucoup. Nous ferons davantage encore pour les indépendants et les commerçants !
police
M. le président. La parole est à M. Henri Leroy, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Henri Leroy. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Hier, à Paris, la police a procédé à des contrôles d’identité. Tout s’est bien passé : les citoyens avaient leur document d’identité, ils n’étaient ni arrogants ni irrespectueux, ils n’ont pas tenté de fuir, aucun d’entre eux n’était recherché, il n’y eut aucune esclandre et les policiers n’ont pas été filmés ni insultés ; ceux-ci ont été courtois et polis, comme ils le sont toujours dans l’exercice de leurs nombreuses missions au contact. Bravo !
Pourtant, la police manque cruellement de moyens matériels et d’équipements techniques ; ses véhicules, insuffisants, sont usés ; la formation de nos policiers est incomplète, leurs locaux sont vétustes, parfois insalubres, et leur moral est au plus bas. Nos policiers se sentent abandonnés, peu soutenus, ni écoutés ni compris. Bref, ils sont en grande souffrance.
Nous n’avons cessé de le souligner avec force ces trois dernières années dans nos rapports sénatoriaux sur les programmes 176 et 152 des projets de loi de finances, issus des commissions des finances et des lois, mais surtout dans le rapport de la commission d’enquête sur l’état des forces de sécurité, que nous vous avons remis à la fin de 2018. Tout y est dit ! Sans résultats concrets en réponse…
Alors que notre édifice sécuritaire craque de toutes parts, monsieur le Premier ministre, nos forces de l’ordre continuent à accomplir un travail constant remarquable, tout en étant à bout de souffle – et ce n’est pas, loin de là, un mouvement d’humeur.
Lorsque l’un des piliers de l’ordre vacille, la santé de la République est bien en danger !
Ma question est donc simple, très simple : après le Ségur de la santé, à quand le Beauvau de la sécurité ? Le livre blanc annoncé est déjà obsolète… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Comme vous, monsieur le sénateur Leroy, je salue l’engagement constant de nos forces de sécurité.
Elles sont confrontées, quelquefois, à des difficultés, mais, très généralement, à Paris et partout sur le territoire national, à des citoyens qui savent ce qu’ils doivent à nos forces de sécurité intérieure et à leur capacité d’intervention, ainsi que le respect qu’ils leur doivent.
Certes, il y a des tensions, qui augmentent. Elles prennent notamment la forme de violences contre les policiers, d’ailleurs pas seulement en France : le ministre de l’intérieur allemand, Horst Seehofer, avec lequel j’échangeais la semaine dernière, m’expliquait que, dans son pays, les violences contre l’équivalent, selon l’organisation spécifique de l’Allemagne, de nos policiers et gendarmes avaient augmenté l’année dernière de 46 %. Telle est la réalité à laquelle nous devons faire face.
Le Livre blanc de la sécurité intérieure doit permettre, à partir de l’ensemble des constats, de définir une nouvelle sécurité, à hauteur d’hommes : une sécurité dont les femmes et les hommes de la police, de la gendarmerie et de toutes nos forces de sécurité intérieure seront le cœur.
Pour cela, nous devons les équiper et les protéger. Dans cet esprit, nous avons lancé un plan de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes : nous aboutirons à la fin du quinquennat à ce niveau de renforts. Nous avons aussi décidé d’augmenter très fortement le budget de la sécurité intérieure, de 10 % depuis le début du quinquennat, soit plus de 1 milliard d’euros.
Cela est-il suffisant ? Non. Nous devons poursuivre ce renforcement, non seulement sur le plan budgétaire, mais aussi en matière d’organisation et de moyens de défense au quotidien de nos forces de sécurité intérieure – leur protection naturelle pour leur permettre d’agir au mieux.
Nous avons ouvert des chantiers qui avaient été ignorés depuis de trop longues années. Je pense en particulier aux heures supplémentaires, dont certaines étaient dues depuis 2005 ; l’année dernière, pour la première fois, nous avons commencé à payer cette dette.
Nous devons apporter d’autres réponses, y compris de protection fonctionnelle et de protection au quotidien, notamment avec le développement massif des caméras-piétons.
Autant d’outils qui trouvent toute leur place dans le Livre blanc. À nous de les mettre en œuvre collectivement !
situation des personnes âgées pendant le confinement
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Schoeller, pour le groupe socialiste et républicain. Je salue sa première prise de parole dans notre hémicycle ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Marie-Noëlle Schoeller. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Monsieur le ministre, en 2003, le pays mesurait la part, le poids et la gravité de l’isolement dans la surmortalité de nos anciens. Il y eut un plan canicule.
En 2020, la pandémie induit des mesures drastiques de sécurité sanitaire : nos aînés sont, où qu’ils soient, isolés et même mis sous cloche. S’il était impératif de les protéger, comme les soignants, d’un virus pernicieux, convenait-il de le faire au détriment de toute humanité, au point d’oublier les enseignements de 2003 ?
Dans les structures médico-sociales, dès le 7 mars, il n’y a plus eu ni visites, ni journaux, ni livres, ni animations partagées, ni repas en commun ; la kinésithérapie a été réduite, les vêtements personnels parfois retirés. Reste le téléphone, pour qui n’est pas sourd, et Skype, s’il est du personnel pour assurer les liaisons…
En ville, l’aide à domicile se concentre sur les plus dépendants. Pour les autres, la solitude devient abandon : plus d’aide-ménagère, de visites, de kiné. Les accueils de jour sont fermés : tout s’arrête, et les repas sont déposés sur le seuil de la porte.
Tous les personnels ont fait le maximum pour que, en l’absence des familles, nos anciens soient entourés – sans protection d’abord, car oubliés du système, et sans les nécessaires renforts de personnel.
Reste que le coût humain est lourd : privés, sans le comprendre, de la présence de leurs proches, certains se sont laissés mourir de chagrin et d’ennui ; d’autres subissent des pertes irréversibles d’autonomie, sur le plan de la motricité – faute d’entraînement physique – ou de la mémoire – faute de repères et de stimulation. De vieux couples ont attendu trois mois pour se voir. Des familles ont eu la douleur d’enterrer leur mort à la sauvette, sans un dernier regard…
Monsieur le ministre, envisagez-vous d’établir pour l’avenir un plan Pandémie qui prenne mieux en compte les aînés et leurs proches ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, les personnes âgées constituent un public particulièrement fragile et vulnérable, à plus forte raison pendant la crise. De fait, l’âge est un facteur aggravant face au virus : en France, plus de neuf personnes sur dix décédées du covid étaient âgées de plus de 65 ans.
Notre responsabilité était donc de protéger les personnes les plus âgées.
Pour celles qui sont à domicile, nous avons enclenché le plan, fondé sur des registres, créé à la suite de la canicule de 2003. Ce plan, auquel vous avez fait référence, repose sur les communes et les associations, mais nous sommes allés plus loin en croisant ces fichiers avec les données des départements, notamment pour les bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie et de la prestation de compensation du handicap. Ainsi, nous avons été chercher les personnes les plus isolées, que certaines mairies ne pouvaient pas connaître.
Nous avons aussi renforcé le numéro vert de la Croix-Rouge, à destination des personnes isolées et âgées vivant chez elles, pour que cet isolement et cette rupture soient vécus avec le moins de difficultés possible et laissent le moins de traces possible.
Par ailleurs, nous avons engagé 30 000 jeunes en service civique à destination des personnes en établissement – Ehpad ou foyer résidence – et à domicile. Dans le même temps, 300 000 bénévoles se sont mobilisés sur la plateforme « jeveuxaider.gouv.fr ».
Je ne puis donc pas vous laisser dire, madame la sénatrice, que nous n’aurions rien fait !
Oui, nous avons été obligés de prendre des décisions difficiles, quand il a fallu isoler les personnes en établissement, pour les protéger. Nous avons émis des recommandations sanitaires au niveau national, que chaque établissement a adaptées, dans le cadre d’une concertation avec les équipes soignantes, en fonction des besoins et de la situation de chaque personne, atteinte ou non du covid.
Notre objectif était d’apporter une réponse circonstanciée en fonction d’éléments circonstanciés, tout en ayant le souci de protéger les plus âgés d’entre nous. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Schoeller, pour la réplique.
Mme Marie-Noëlle Schoeller. Madame la secrétaire d’État, les situations que j’ai décrites sont du vécu, de l’observation de terrain, au moins dans mon territoire. Avec davantage d’équipements de protection, sans doute aurait-on pu faire beaucoup mieux avec les bénévoles dont vous avez parlé ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur des travées du groupe CRCE.)
hypothèse du report des élections régionales
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le ministre de l’intérieur, si le report des élections régionales est à l’ordre du jour, on parle assez peu des élections départementales.
Or, afin de lutter contre l’abstention, un consensus se dégage depuis de nombreuses années pour regrouper les élections locales ; ce fut d’ailleurs l’objet de la loi de 2015.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, l’éventuel report des élections régionales serait-il couplé avec un report identique des élections départementales ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Masson, votre question, précise, s’appuie sur deux faits. Le premier est lié à la situation économique et sociale de notre pays à la suite de la gestion de la crise du covid-19, qui se poursuit.
M. Jean-Pierre Sueur. Cela ne justifie pas le report des élections !
M. Christophe Castaner, ministre. Le second est institutionnel, et sa gestion territoriale a peut-être montré toute son efficience.
Le fait politique, vous le connaissez. Il s’agit de faire en sorte que toute la France soit totalement tournée vers un seul objectif : la reconstruction économique et sociale de notre pays. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE. – Mme Cécile Cukierman proteste vivement.)
Pour cela, nous avons besoin de nous appuyer sur des collectivités territoriales puissantes, notamment pour réaliser la reconstruction économique. C’est là un autre enseignement de la crise que nous avons connue : il nous faut des collectivités locales, des régions et des départements puissants, capables de se mobiliser aussi pour l’accompagnement social dont chacune et chacun a besoin sur les territoires.
C’est la raison pour laquelle une réflexion – je dis bien : une réflexion – a été engagée sur cette ambition que nous devons construire tous ensemble, y compris, évidemment, avec les sénateurs, pour se projeter vers l’avenir d’une réorganisation institutionnelle dont notre pays a besoin.
S’agissant de votre question précise, monsieur le sénateur, s’il y avait, après discussion avec l’ensemble des acteurs, une décision de report des élections régionales – décision qui passerait forcément par une loi –, la question se poserait légitiment des élections départementales, la concomitance étant aujourd’hui de règle. Si la question se posait, il appartiendrait au législateur de décider de lier ou de délier ces deux élections. (Murmures sur de nombreuses travées.)
Mme Cécile Cukierman. La magouille électorale ! Scandaleux !
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réplique.
M. Jean Louis Masson. Voilà quelques mois, monsieur le ministre, nous avons adopté une proposition de loi émanant d’un parlementaire de votre majorité, aux termes de laquelle on ne doit pas modifier les modalités d’un scrutin moins d’un an avant l’élection. Nous sommes en pleine contradiction avec ce texte… Je trouve tout à fait regrettable qu’on s’assoie ainsi sur une loi votée à la quasi-unanimité : monsieur le Premier ministre, ce n’est pas normal !
Mme Cécile Cukierman. Ils ne sont pas à ça près…
M. Jean Louis Masson. Je regrette cette opération, menée un peu à la sauvette et dont on ne comprend pas très bien la logique.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Au contraire !
M. Jean Louis Masson. On a pu tenir les élections municipales. On n’a pas voulu reporter le second tour. Pourquoi donc faudrait-il, tout d’un coup, reporter une autre élection, alors même que l’épidémie a tendance à s’éloigner ? Ce n’est pas parce qu’il y a un scrutin qu’on n’est plus capable de gérer les affaires régionales et départementales ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Indépendants – Mme Claudine Kauffmann applaudit également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 8 juillet 2020, à quinze heures.
5
Souhaits de bienvenue à deux sénatrices
M. le président. Mes chers collègues, je tiens à saluer deux nouvelles sénatrices.
Mme Muriel Cabaret, sénatrice de la Sarthe, remplace Mme Grelet-Certenais. (Applaudissements.)
Mme Catherine André, sénatrice de l’Ardèche, remplace M. Jacques Genest. (Applaudissements.)
Je leur souhaite la bienvenue, au nom du Sénat tout entier !
Je vous rappelle que, dans le cadre des règles sanitaires, il convient de laisser un siège vide entre deux sièges occupés ou, à défaut, de porter un masque – cet après-midi, ce n’est pas du 100 %…
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de M. David Assouline.)
PRÉSIDENCE DE M. David Assouline
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des lois a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – quinze voix pour, une voix contre – à la nomination de M. Jean-Philippe Vachia aux fonctions de président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
7
Candidatures à une commission d’enquête
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des trente-six membres de la commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion.
En application de l’article 8 ter, alinéa 5, de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
8
Dette sociale et autonomie
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi organique et d’un projet de loi dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion commune du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la dette sociale et à l’autonomie (projet n° 517, texte de la commission n° 557, rapport n° 556, avis n° 551) et du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la dette sociale et à l’autonomie (projet n° 518, texte de la commission n° 558, rapport n° 556, avis n° 551).
Candidatures à d’éventuelles commissions mixtes paritaires
M. le président. J’informe le Sénat que les candidatures pour siéger au sein des éventuelles commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer les textes sur les dispositions restant en discussion de ces projets de loi ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Discussion générale commune
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je sais combien votre assemblée est attentive au contrôle des finances sociales. Le ministre des solidarités et de la santé l’a dit sans ambages devant vous en audition : le Sénat demandait depuis plusieurs années une reprise de dette. C’est ce que permettent ces deux textes, dans des circonstances certes particulières, il faut le reconnaître.
Cette nouvelle reprise de dette par la Cades est une nécessité de court terme au regard de la situation que nous traversons et qui nous inquiète tous ; mais c’est aussi un outil nous permettant de regarder en face les grands défis de notre temps.
Le temps court et le temps long sont les deux aspects de ces textes : le temps court, du fait des circonstances, c’est celui de l’urgence ; le temps long, celui des ambitions.
Il y a quelques mois, le retour à l’équilibre des comptes sociaux était proche, et nous débattions pour savoir à quel moment de l’année 2024 la dette sociale reprise par la Cades arriverait à échéance. La crise sanitaire, devenue crise économique, rebat désormais les cartes. Nous assistons à la reconstitution de déficits importants. Nous le regrettons tous, évidemment, mais c’est aussi le prix à payer d’une politique extrêmement volontariste, de la part du Gouvernement, pour faire face à la crise : la protection dont ont bénéficié les Français a peut-être été la plus forte du monde.
Ces précisions étant apportées, pourquoi déposer ces deux textes et pourquoi maintenant ?
Premièrement, il est indispensable d’assurer le financement de la sécurité sociale. Je ne vous apprends rien : la trésorerie de la sécurité sociale est gérée par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss). Une contrainte porte sur la maturité des emprunts, qui ne peuvent excéder douze mois. Cette trésorerie, grevée par 30 milliards d’euros de déficits passés, a été soumise à de très fortes tensions du fait des mesures mises en œuvre pendant la crise.
Même dans la perspective d’un rebond de l’économie, que nous attendons tous et auquel nous travaillons, les déficits sont inéluctables. En conséquence, seul un transfert important peut permettre à la Cades des placements à horizon long, qui sont les plus sécurisants ; et seule cette reprise nous protégera contre le risque de devoir décaler un jour le paiement des prestations, faute de financement.
Avec ce projet de loi, nous proposons donc une opération de bonne gestion de la sécurité sociale ; nous renouvelons l’engagement de rembourser les dettes de la sécurité sociale, dont une partie découle de la crise actuelle.
Agir ainsi, c’est respecter les principes de 1996, selon lesquels la dette sociale est gérée vertueusement et apurée au principal. Concrètement, cela signifie que nous devons prolonger la durée pendant laquelle nous mobilisons des recettes pour rembourser la dette pour neuf années supplémentaires, de 2024 à 2033.
Je devance sans doute une partie des débats en formulant ce rappel : le Gouvernement tient à ce que cette reprise de dette sociale inclue 13 milliards d’euros pour les hôpitaux. En effet, le déficit de l’assurance maladie et celui de nos hôpitaux sont liés : les économies de la première ne peuvent se transformer en déficit pour les seconds. En supprimant cette reprise, la commission prive ainsi les hôpitaux d’une bouffée d’air. (M. le président de la commission manifeste sa circonspection.) Or ce financement est très fortement attendu.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà pour le premier aspect des textes dont vous allez débattre. Avec cet engagement, nous posons la première pierre d’une réforme attendue : celle de la perte d’autonomie.
En 1945, il a été décidé de créer une assurance sociale publique contre le risque de maladie ou d’accident du travail : nous faisons aujourd’hui le choix d’une nouvelle assurance publique, contre ce qui est devenu un nouveau risque, auquel tous les Français peuvent être confrontés.
Les chiffres sont sans appel, et vous les connaissez. En 2040, près de 15 % des Français, soit 10,6 millions de personnes, auront soixante-quinze ans ou plus : c’est deux fois plus qu’aujourd’hui. L’Assemblée nationale a entrepris un travail important au sujet de la cinquième branche. Je sais que les débats dédiés à ces textes ont été largement consacrés à cette question. Le Gouvernement s’est rangé à la volonté des députés : ne pas attendre le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale pour créer la branche. Ce choix révèle notre volonté de donner aux parlementaires, dès le PLFSS, toute la visibilité quant à l’équilibre financier de cette branche.
Une mission vient de commencer. Elle rendra son rapport en septembre prochain, pour que, lors de l’examen des prochains PLFSS, toutes les conséquences pour la branche puissent être tirées, qu’il s’agisse de son financement ou de sa gouvernance, au bénéfice de débats parlementaires éclairés.
À cet égard, je salue les amendements qui ont permis de clarifier les modalités de consultation pour élaborer ce rapport. En effet, il est essentiel que la concertation associe l’ensemble des acteurs, afin de trouver une solution de consensus pour dégager au moins 1 milliard d’euros dès 2021, comme s’y est engagé le ministre des solidarités et de la santé devant l’Assemblée nationale. (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les deux textes que nous examinons aujourd’hui sont courts, mais ils sont lourds d’enjeux.
Monsieur le secrétaire d’État, vous en avez détaillé le contenu, un peu rapidement à mon goût ; mais le débat nous permettra de revenir en détail sur les différents points. Je centrerai donc mon intervention sur la manière dont la commission des affaires sociales les a analysés et amendés, en commençant par le volet relatif à la dette sociale.
Les chiffres donnent presque le vertige : les nouveaux transferts à la Cades atteindraient 136 milliards d’euros et la durée d’amortissement de la dette est prolongée jusqu’au 31 décembre 2033. En quelque sorte, nous voici revenus à la case départ. Lorsque la Cades a été créée, en 1996 – il y a vingt-quatre ans ! –, nous nous étions fixé pour objectif d’amortir la dette sociale en treize ans. L’image de Sisyphe revenu au pied de sa montagne, que j’avais employée avant même la crise actuelle, s’est tristement vérifiée.
Dès lors, je l’ai indiqué à la commission, il est temps de se poser les mêmes questions fondamentales qu’en 1996. Est-il nécessaire d’amortir la dette sociale ? Est-ce possible ? Le cas échéant, comment faire pour y parvenir ? À l’inverse, ne serait-il pas préférable d’employer dès à présent à un autre usage les moyens dédiés à l’amortissement de cette dette ?
Dans sa majorité, la commission a considéré que nous devions conserver pour objectif l’extinction totale de cette dette. En effet, la sécurité sociale est fondamentalement un système d’assurance sociale et de répartition. Par nature, les dépenses de sécurité sociale ne sont pas, comme certaines dépenses de l’État, un investissement dont bénéficieront les Français de demain : elles constituent une protection immédiate pour toutes les générations successives. Il faut donc que chaque génération assume le coût de sa propre protection sociale sans en transférer, via la dette, le coût aux générations suivantes.
La logique d’une poursuite de l’équilibre des comptes sociaux n’est pas une obsession de comptable : c’est fondamentalement une affaire de solidarité entre générations. C’est pour cela que nous devons sortir de cette histoire apparemment sans fin, en nous donnant les moyens d’y parvenir, à la date fixée et selon les objectifs définis.
À ce titre, deux conditions nous ont paru nécessaires : d’une part, s’assurer que la dette transférée à la Cades est bien légitime ; d’autre part, couper, quand ce sera possible, le robinet des déficits de la sécurité sociale, qui alimente les futurs transferts de dette sociale.
S’agissant de la légitimité de la dette transférée, la commission a approuvé le transfert des dettes passées des différents régimes de sécurité sociale : elle en souligne la nécessité depuis plusieurs années déjà. Elle a également adopté le transfert des déficits prévus pour les exercices 2020 à 2023, en espérant qu’ils soient inférieurs aux 92 milliards d’euros provisionnés.
À cet égard, la part conjoncturelle de ces déficits constitue bien de la dette sociale. En revanche, il est indispensable que toute perte de recettes de la sécurité sociale résultant de mesures de sauvegarde ou de relance de l’économie soit compensée par l’État. Il me semble que le Gouvernement s’y engage : nous y serons particulièrement attentifs dans les semaines et les mois à venir.
Cela étant, monsieur le secrétaire d’État, la commission n’a pas accepté la prise en charge par la Cades de l’amortissement d’un tiers de la dette hospitalière, pour un coût de 13 milliards d’euros. Il s’agit là des bâtiments hospitaliers, et non des hôpitaux comme entités juridiques. Ces immeubles ne relèvent pas de la sécurité sociale – ils n’appartiennent pas à l’assurance maladie – et leur dette n’a pas été créée non plus par la sécurité sociale.
Comme l’ont souligné la Cour des comptes, puis, plus récemment, l’IGF et l’IGAS, comme beaucoup d’entre nous ont pu le voir en exerçant un mandat local, cette dette est très largement due à des investissements immobiliers surdimensionnés ou, en tout cas, mal maîtrisés, réalisés sur l’initiative de l’État et sous la tutelle parfois défaillante du même État, notamment dans le cadre des plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012.
Dans ces conditions, un tel transfert à la Cades constituerait un précédent dangereux. Nous avons tous lu l’inquiétant article que Les Échos ont consacré à cette question : qui, sur cette base, ne serait pas tenté de mettre, demain ou après-demain, n’importe quoi à la charge de cette caisse, au risque de prolonger indéfiniment son existence…
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. … et, surtout, de maintenir indéfiniment la CRDS, c’est-à-dire la recette associée ?
C’est pourquoi la commission a supprimé ce transfert. Elle appelle l’État à assumer lui-même le coût de sa promesse faite au monde hospitalier.
Enfin, pour couper le robinet des déficits, la commission a inséré une « règle d’or » à l’article 1er bis du projet de loi organique. Cette règle d’or s’appuiera sur les éléments de pluriannualité qui existent déjà dans les PLFSS. Il est ainsi proposé que le cumul des soldes consolidés des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du FSV des années n à n+4 soit toujours positif ou nul à compter du PLFSS pour 2025 – nous prenons ainsi en compte la crise actuelle –, soit pour la période de 2024 à 2028.
Cette règle est à la fois contraignante et souple. Elle est contraignante, parce que, jusqu’à présent, le législateur ne s’est jamais doté d’un tel encadrement : à l’avenir, il devra faire de véritables choix en matière sociale sans plus céder à la tentation d’offrir davantage de prestations, en en léguant le coût à nos enfants. Elle est souple, parce que, dans ce cadre, les déficits ponctuels resteront permis, l’équilibre étant constamment apprécié sur un moyen terme, celui d’un cycle économique. De plus, en cas de survenance de circonstances exceptionnelles comme celles que nous vivons, l’échéance pour retrouver un équilibre global pourrait être étendue jusqu’à dix ans.
Je serai beaucoup plus bref pour ce qui concerne le volet « autonomie » des deux textes, non du fait de son importance, qui est grande, mais parce que la commission ne l’a que peu amendé par rapport au texte de l’Assemblée nationale.
Ainsi, la commission a conservé les apports de l’Assemblée nationale relatifs à la création d’un nouveau risque et d’une nouvelle branche « autonomie » au sein de la sécurité sociale, que le ministre des solidarités et de la santé a qualifiée de « première pierre ».
Pour autant, de fortes interrogations subsistent à l’adresse de nos collègues députés.
N’est-il pas étrange de demander un rapport « fondateur » au Gouvernement et d’en anticiper toutes les conclusions, notamment en termes d’organisation et de financement ?
En outre – je m’adresse directement à vous, monsieur le secrétaire d’État –, quelle serait la place, dans le cadre de cette branche, des différentes parties prenantes dans le secteur de l’autonomie, en particulier celle des départements ? Pouvez-vous nous éclairer quant aux intentions du Gouvernement ? Ces indications nous seraient précieuses.
Dans l’immédiat, sur l’initiative de MM. Théophile et Mouiller, la commission a veillé à ce que l’élaboration du rapport du Gouvernement associe toutes les parties prenantes, notamment les différents acteurs du grand âge et du handicap, les collectivités territoriales et les aidants.
Enfin, soyons conscients que le plus dur reste à faire. Au fond, ce dont nous avons le plus besoin, c’est de nouveaux moyens financiers, comme l’a souligné le rapport Libault, et d’une nouvelle culture de la prise en charge du grand âge. Il faut revoir l’organisation de la prise en charge de l’autonomie. L’Ehpad ne doit plus en être l’alpha et surtout l’oméga, car le maintien à domicile et sa prise en charge sont plébiscités par nos aînés. (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – MM. Daniel Chasseing et Jean-Paul Émorine applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, en remplacement de M. le rapporteur pour avis.
Mme Christine Lavarde, en remplacement de M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je rends à César ce qui lui appartient : les éléments que je vais présenter résultent du travail de notre collègue Alain Joyandet.
Les deux textes dont nous sommes appelés à débattre cet après-midi sont destinés à répondre à une urgence : la crise sanitaire, qui est venue grever les comptes des régimes sociaux. Finalement, les trois séries de remarques que je vais développer ci-après viennent illustrer l’adage : « Vite et bien ne s’accordent guère. »
Premièrement, comme l’a dit M. le rapporteur, la reprise d’une partie de la dette de l’Acoss par la Cades relève du mélange des genres. On constate une confusion entre les mesures devant être prises, d’une part, par l’État et, d’autre part, par la sécurité sociale. En effet, sur les 136 milliards d’euros de dette transférés, 50 milliards d’euros relèvent de la pandémie de covid, mais certains coûts inclus dans cette enveloppe ne sont pas des dépenses d’assurance maladie stricto sensu. Je citerai, par exemple, la fourniture de dispositifs médicaux pour le personnel soignant ou encore la revalorisation des traitements. Quant à la dette des hôpitaux, elle relève avant tout d’une logique d’investissement immobilier.
Nous sommes donc face à une conception très large de la dette sociale : la commission des finances avait déjà formulé cette critique lors de l’examen du dernier PLFSS, en dénonçant le transfert injustifié des crédits de Santé publique France et de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé vers la sécurité sociale.
Deuxièmement, ce transfert massif met en cause la durée d’amortissement. Depuis que la Cades a été créée, 260 milliards d’euros de dette ont été transférés vers elle. Il en restait 89,1 milliards d’euros à amortir à la fin de l’année 2019. Avec le transfert opéré par ces textes, l’encours progresse de 65 milliards d’euros, ce qui représente une hausse de 90 % pour la seule année 2020. En découle une prorogation logique du mandat de la Cades au-delà de 2025.
Le Gouvernement table sur une extinction en 2033 ; toutefois, certaines hypothèses sous-tendant ce résultat nous semblent optimistes. En particulier, la dégradation du contexte économique est plus sévère qu’escompté dans l’étude d’impact : les ressources de la Cades s’en trouveront nécessairement réduites.
On peut aussi supposer une dégradation des conditions d’emprunt de la Cades sur les marchés financiers. Depuis 2016, on observe un renchérissement des taux consentis à cette institution, et les taux proposés à la Cades sont très loin de ceux accordés à l’État, alors même que leurs dettes sont toutes deux gérées par l’Agence France Trésor.
De surcroît, la durée de vie de la Cades serait prolongée de huit ans, voire plus : cette prolongation remet en cause l’engagement pris envers les générations futures – M. le rapporteur l’a également rappelé. On ne leur demanderait pas de rembourser des investissements dont ils profiteraient, mais bien des dépenses courantes bénéficiant à ceux qui les ont précédés.
L’allongement de la durée de vie met également en cause la diminution des prélèvements obligatoires, attendue à partir de 2024 avec la disparition de la CRDS.
Troisièmement, si la création de la cinquième branche, « autonomie », est une première pierre, il me semble que nous sommes encore assez loin du mur… En effet, les modalités de financement des prises en charge ne sont pas modifiées dans l’immédiat ; il n’y a pas non plus de création de prestations nouvelles, et le financement prévu à compter de 2024, via l’affectation d’une fraction de la CSG initialement dédiée à la Cades, paraît insuffisant face à la montée en charge du risque. Les recettes nouvelles seraient environ de 2,3 milliards d’euros, alors même que le risque « dépendance » a été estimé entre 6 milliards et 9 milliards d’euros par an.
Enfin – je le dis pour l’information de tous –, la commission des finances ne pouvait manquer de souligner que l’affectation à une dépense nouvelle d’une ressource initialement dédiée à l’apurement d’une dette va dégrader, au sens de la comptabilité nationale et des critères de Maastricht, le solde public.
Sous toutes ces réserves, et dans l’attente de réponses de la part du Gouvernement au cours des débats, la commission des finances a émis un avis, certes favorable, mais que je qualifierai de timide sur les deux textes. Elle espère surtout que cette nouvelle reprise de dette sociale, entendue dans un sens très large, ne va pas conduire au gel de toute réforme quant au financement des régimes sociaux. En 2018, c’est uniquement un retournement de conjoncture qui a laissé entrevoir un rapide retour à l’équilibre.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Très bien !
M. le président. Nous passons à la discussion des motions déposées sur le projet de loi organique.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 8.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l’autonomie (n° 557, 2019-2020).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la motion.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis trente ans, les gouvernements successifs soutenus par le patronat n’ont eu de cesse de stigmatiser le « trou abyssal de la dette de la sécurité sociale ».
Cette dette, sciemment entretenue, quelle est-elle et surtout d’où vient-elle ?
La dette sociale est le résultat des politiques de diminution des ressources de la sécurité sociale davantage que de l’augmentation des dépenses.
La crise du covid-19 a entraîné une augmentation des dépenses publiques, avec la prise en charge de l’activité partielle pour les entreprises, les reports de charges financières et les exonérations de cotisations sociales.
Cette dette correspond en réalité au coût des décisions prises par le Gouvernement durant l’épidémie de covid-19 et à ses conséquences pour les années à venir.
Plutôt que d’en assumer la responsabilité, le Gouvernement a préféré transférer la facture des politiques publiques au budget de la sécurité sociale. Pour le dire autrement, l’État, qui pioche déjà chaque année dans le porte-monnaie de la sécu, a décidé d’inscrire directement en haut de la facture du covid-19 le nom de la sécurité sociale. Non seulement un tel procédé contrevient à la répartition des missions régaliennes et de la sécurité sociale, mais ce transfert de dette est une mauvaise opération comptable.
Le Gouvernement aurait pu faire assumer la dette sociale par l’État : il s’agit d’une dette exceptionnelle résultant, non pas d’une mauvaise gestion de la sécurité sociale, mais de décisions prises par le Gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire.
La prise en charge par l’État de la « dette covid » serait une meilleure opération sur le plan financier, puisque la dette de l’État est gérée à très long terme à un taux avantageux. À l’inverse, la Cades rembourse les déficits cumulés par les organismes de sécurité sociale à moyen terme et dans des conditions moins avantageuses.
Ainsi, selon l’économiste Michaël Zemmour, si l’État prend en charge la « dette covid », il lui en coûtera de l’ordre de 1 milliard d’euros par an, et cette dette pourra être gérée comme une dette exceptionnelle appuyée par la politique monétaire de la Banque centrale européenne. Or le Gouvernement préfère transférer à la Caisse d’amortissement de la dette sociale une dette de 136 milliards d’euros, dont 31 milliards d’euros viennent de la reprise de déficits passés et 92 milliards d’euros sont destinés à couvrir les déficits des années futures. Les 13 milliards d’euros restants ne correspondent à aucun déficit, mais à la prise en charge d’un tiers de la dette des hôpitaux.
On a tant mélangé les circuits de financement entre l’État et la sécurité sociale, en compensant les exonérations de cotisations par des ponctions de TVA, que les parois des deux budgets ne sont plus étanches.
Le Gouvernement utilise la confusion des dépenses sociales pour faire discrètement payer à la sécurité sociale les décisions prises durant la crise du covid-19. Pourtant, la « dette covid » concerne toute la Nation. En ce sens, elle doit être gérée par l’État. Nous ne sommes pas les seuls à le dire : le Haut Conseil du financement de la protection sociale et la Fédération hospitalière de France suggèrent que l’État assume cette dette dans un dispositif spécifique à long terme.
Le projet de loi organique remet en cause l’autonomie financière de la sécurité sociale, l’autonomie de sa gouvernance, l’autonomie de son mode de fonctionnement et enfin l’autonomie de son mode de financement.
Le Gouvernement remet en cause l’autonomie financière de la sécurité sociale en refusant de compenser les pertes de recettes dues aux exonérations de cotisations sociales des entreprises qu’il a lui-même décidées. Ainsi, ce sont 30 milliards d’euros de pertes de recettes, qui, du fait des reports de cotisations et contributions sociales, sont transférés à la sécurité sociale. Il faut y ajouter entre 15 milliards et 20 milliards d’euros de recettes en moins, en raison de la diminution des cotisations sociales engendrée par la baisse d’activité et le recours au chômage partiel. Enfin, 8 milliards d’euros de l’assurance maladie sont transférés, alors qu’il s’agit du budget de l’agence Santé publique France pour reconstituer ses stocks stratégiques, du versement de primes au personnel des établissements publics de santé comme des Ehpad et de l’augmentation des indemnités journalières, étendues aux personnes contraintes de garder leurs enfants.
En résumé, l’autonomie financière de la sécurité sociale est remise en cause après le transfert d’une dette dont près de la moitié devrait être affectée au budget de l’État.
La droite sénatoriale est allée plus loin dans la logique uniquement comptable de la sécurité sociale, car, sous prétexte de préserver les équilibres de la sécurité sociale, elle a proposé d’inscrire dans la loi organique une « règle d’or ». Cette règle d’or est la même qui justifie au niveau européen les politiques d’austérité depuis trente ans.
Avec votre règle d’or, les futures lois de financement de la sécurité sociale ne seront plus autorisées à alimenter la Cades par de nouveaux déficits. Vous pensez ainsi supprimer les déficits en les interdisant, un raisonnement simpliste qui va à contre-courant de la crise qui vient de se produire et qui devrait nous conduire à davantage de modestie en matière de certitudes économiques.
En réalité, votre objectif est d’inscrire l’austérité dans le marbre, alors que les personnels hospitaliers demandent actuellement que les hôpitaux soient enfin financés à la hauteur des besoins. C’est vous qui serez responsables, demain, des lits supprimés et des services fermés avec votre règle d’or !
Ce projet de loi est dangereux, car il remet en cause l’autonomie de la gouvernance de la sécurité sociale. En effet, cette réforme n’a pas été présentée devant l’ensemble des instances de la sécurité sociale.
Alors que nous examinons ces deux projets de loi, la commission des comptes de la sécurité sociale n’a pas encore été saisie, et le Haut Conseil du financement de la protection sociale a rendu un avis contraire.
L’affaiblissement des instances de la sécurité sociale n’est malheureusement pas nouveau, mais, avec cette réforme, le Gouvernement affiche une absence totale de prise en considération de celles-ci.
Le Gouvernement remet en cause également l’autonomie du mode de fonctionnement de la sécurité sociale, fonctionnement assis sur le paritarisme. En effet, la création de la nouvelle branche de la sécurité sociale que vous prévoyez serait assurée par le financement exclusif des assurés sociaux – travailleurs, chômeurs ou ayants droit –, sans aucune participation financière des employeurs. Or notre système trouve ses fondements dans son financement à partir de la cotisation sociale, qui est la part socialisée du salaire mutualisé entre les salariés.
Enfin, le Gouvernement remet en cause l’autonomie du mode de financement de la sécurité sociale, celui-ci étant assuré par des cotisations et des contributions sociales. Du fait de la création de la CSG et de la progression incessante des transferts de recettes fiscales visant à compenser les exonérations de cotisations patronales, la part des cotisations sociales dans le budget de la sécurité sociale ne représentait plus que 50,7 % des recettes en 2020.
Nous assistons donc à une étatisation forcée de la sécurité sociale, qui devient une variable d’ajustement du budget de l’État, le social étant mis à contribution des orientations austéritaires du libéralisme européen. Il faut dire qu’agiter le « trou de la sécurité sociale » permet de justifier la baisse des prestations et de préparer le terrain pour réduire les pensions de retraite lors de la future réforme !
La seconde partie de ce projet de loi concerne la perte d’autonomie. Vaste sujet ! Les députés de La République En Marche ont estimé possible de créer ex nihilo une nouvelle branche dédiée à la perte d’autonomie, alors que le texte initial prévoyait seulement d’établir le diagnostic de son éventuelle faisabilité. Il s’agit donc d’un coup de communication du Gouvernement, qui a mis la charrue devant les bœufs. Le rapport Libault de mars 2019 prônait la création d’un cinquième risque, mais s’opposait à la création d’une cinquième branche, considérant que confier sa gestion à une branche de sécurité sociale « impliquerait l’effacement du département et le transfert de la gestion des prestations à un des réseaux existants de caisses locales ». Nous nous étonnons que la droite sénatoriale soit favorable à une telle disposition, puisqu’elle n’est pas revenue dessus en commission des affaires sociales.
Nous proposons pour notre part que le service public de l’autonomie soit intégré dans un grand service public de santé et de l’action sociale, dont le financement serait assuré par l’arrêt des exonérations de cotisations sociales ainsi que par la création d’une contribution de solidarité sur les actionnaires – c’est une proposition de notre groupe depuis 2015, visant à faire contribuer les revenus financiers au financement de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), afin de revaloriser les salaires de l’aide à domicile.
Je rappelle que les services d’aide à domicile ont été exemplaires durant cette crise, alors que les personnels connaissent des conditions de travail extrêmement difficiles et pénibles ainsi qu’une faible rémunération. Le Gouvernement a renvoyé aux départements la responsabilité d’assurer le paiement d’une prime aux personnels de l’aide à domicile, alors que les dotations aux collectivités ont diminué de 30 milliards d’euros en 2020.
Avec votre projet de loi, vous bafouez le principe d’autonomie organique et financière reconnu par notre législation républicaine, je veux parler notamment de l’article 13 de la déclaration de 1789 et du huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Sophie Taillé-Polian applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande la parole contre la motion ?…
Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur tous les arguments qui vous font vous opposer à ce texte, madame Apourceau-Poly. Je n’en prendrai qu’un : les mesures de non-compensation. Effectivement, il n’y en a aucune. Sur ce point, la commission aurait pu vous suivre. Cependant, malgré les manques et les imprécisions de ce texte et les arguments que vous avez avancés, qui légitimement vous appartiennent, la commission a émis un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je ne vais pas revenir sur l’ensemble de vos arguments, madame la sénatrice, car nous aborderons un certain nombre de ces sujets lorsque nous examinerons les amendements que vous avez déposés. Ce sera pour moi l’occasion d’y répondre sur le fond. Pour l’heure, et sans grande surprise, j’émets un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Nous avons déjà eu cet intéressant débat sur le modèle sur lequel repose notre système social. Dans le modèle bismarckien, les cotisations permettent de s’assurer contre des risques et donnent droit à des prestations qui constituent en quelque sorte des salaires différés, tandis que le système beveridgien est financé entièrement par l’impôt. De ce point de vue, on ne peut être que sensible aux arguments avancés, car ils soulèvent des questions pertinentes.
Une autre question est celle de l’amortissement de la dette. Or l’État confond capital et intérêts. Cette dette doit-elle être amortie par l’État ou par la Cades, cette dernière étant véritablement une caisse d’amortissement, c’est-à-dire qu’elle différencie capital et intérêts ? Au fond, cela revient au même, parce qu’il faudra de toute façon la rembourser.
Vous n’avez pas répondu à l’interpellation du rapporteur, monsieur le secrétaire d’État : sur les 136 milliards d’euros que vous proposez de transférer à la Cades, la commission des finances estime que 50 milliards sont imputables au covid-19. D’après un article publié dans Les Échos, il resterait toutefois encore 150 milliards d’euros à amortir.
Quel est véritablement le coût de la crise sanitaire ? Est-il de 150 milliards plus 50 milliards, soit 200 milliards d’euros, c’est-à-dire l’équivalent du budget de l’assurance maladie ou des deux tiers de celui des retraites, qui s’élève à 316 milliards d’euros ? Qu’en est-il exactement et quelles sont les intentions du Gouvernement face à cette situation catastrophique ? (Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit.)
M. le président. Je ne veux pas commenter le contenu des interventions, mais je rappelle que les explications de vote doivent porter sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Vous aurez l’occasion de prendre la parole tout au long du débat, que ce soit sur les articles ou dans le cadre d’explications de vote.
Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix la motion n° 8, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi organique.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 127 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Pour l’adoption | 86 |
Contre | 251 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Daudigny, Mmes Meunier et Taillé-Polian, M. Kanner, Mmes Cabaret, Féret et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, d’une motion n° 2.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l’autonomie (n° 557, 2019-2020).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la motion.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons déposé cette motion, car nous estimons que le choix politique opéré par le Gouvernement va rendre déficitaire et fragiliser la sécurité sociale pour de nombreuses années. Une telle décision n’est pas responsable, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, parce qu’elle fait mentir le chef de l’État, qui, dans son discours solennel du 14 juin dernier – il y a quinze jours –, annonçait que la France ne financerait pas les dépenses de la crise sanitaire en augmentant les impôts. Mes chers collègues, force est de constater que transférer à la Cades 136 milliards d’euros de dette va se traduire par l’extension de la durée de vie de cette caisse de 2024 à 2033 et, en conséquence, par le maintien de la CRDS, impôt qui était censé s’éteindre.
En commission des finances, nous l’avons très tôt dénoncé : il s’agit bien de la création d’un impôt. Et pas n’importe quel impôt : un impôt particulièrement injuste, puisqu’il ponctionne l’intégralité des salaires sans aucune progressivité ! Et pas n’importe quand : l’impôt créé sera appliqué entre 2024 et 2033, c’est-à-dire intégralement après la présente mandature, ce qui n’est pas sans poser une question démocratique !
Il vous faut désormais l’assumer, monsieur le secrétaire d’État : plutôt que de rétablir l’impôt sur la fortune, de solliciter les plus aisés, le capital, les dividendes, vous avez décidé de créer un impôt qui, en pratique, va pénaliser davantage les plus modestes.
Au-delà même de cette décision injuste, nous trouvons la logique de transfert de dette aux comptes sociaux très contestable en termes de gestion. En effet, cette décision va grever nos comptes sociaux, qui risquent de ne plus pouvoir jouer leur rôle d’amortisseurs sociaux et, ainsi, accompagner nos concitoyens que la crise sanitaire et sociale a déjà pourtant mis en grande difficulté. Grever nos comptes sociaux revient, à terme, à baisser la protection sociale.
Ce choix, nous le condamnons. Ce qui est dramatique, c’est qu’il ne nous surprend pas : il s’inscrit dans la logique politique des dernières lois de financement de la sécurité sociale, celle qui vous a poussés à faire la réforme du chômage. En effet, c’est en vous basant sur la dette que vous avez décidé de réduire les droits des chômeurs et des plus précaires.
Aujourd’hui, la dette de l’État est transférée. Or cette dette exceptionnelle résulte majoritairement de choix politiques visant à répondre à un événement lui-même exceptionnel et mondial. Elle ne relève donc pas d’une anomalie structurelle des comptes sociaux.
Malgré vos efforts pour rendre floue et quasiment illisible la séparation entre projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui deviennent des vases communicants, nous persistons à penser que la sécurité sociale doit financer les dépenses sociales et qu’on ne doit pas lui faire porter les choix politiques du Gouvernement.
Mes chers collègues, à quoi correspondent ces 136 milliards d’euros de dette que le Gouvernement entend transférer à la Cades ? Ils correspondent notamment à de l’investissement dans les hôpitaux. Or on ne peut pas investir dans les hôpitaux de cette façon ! En outre, on le sait, il est bien plus avantageux de faire gérer la dette par l’État. On risque donc fort de mettre les comptes de la sécurité sociale en difficulté, ce que nous ne pouvons accepter.
Parmi les dépenses transférées qui ne relèvent pas de la sécurité sociale, je citerai également l’aide à la garde d’enfants.
La Cades est maintenue avec une part de CSG plus importante, alors que nous pouvons anticiper à la fois une augmentation et une diminution des ressources de la sécurité sociale. Concrètement, que va-t-il se passer au cours de ces dix ans de remboursement de la dette ?
Michael Zemmour, économiste au centre d’économie de la Sorbonne et spécialiste du financement de la protection sociale, précise que, « si nous constituons en 2020 plus d’une centaine de milliards d’euros de dette “sociale”, portée par la Cades et l’Unédic, cela signifie que, pour une décennie supplémentaire, des ressources sociales – issues notamment de la CSG, de la CRDS et des cotisations chômage – de l’ordre d’une dizaine de milliards devront être consacrées chaque année au remboursement de cette dette et non à répondre aux besoins sociaux. À l’inverse, si l’État prend en charge cette “dette covid”, il lui en coûtera de l’ordre de 1 milliard d’euros par an […], et cette dette pourra être gérée comme une dette exceptionnelle, appuyé en cela par la politique monétaire non conventionnelle de la Banque centrale européenne. »
De même, le Haut Conseil du financement de la protection sociale nous indique que la dette de l’État et la dette sociale ne sont pas du tout gérées de la même manière.
Le choix que vous faites revient à rembourser plus rapidement une dette qui ne relève pas de la sécurité sociale et, donc, à grever, à terme, ses comptes. Nous pourrions au contraire « faire rouler cette dette » comme nous le faisons pour celle de l’État, de sorte qu’elle ne grève pas les comptes de la sécurité sociale et qu’elle n’amoindrisse pas a posteriori les droits des assurés sociaux.
Pourquoi cette décision que personne ne peut comprendre en termes de gestion a-t-elle été prise ? L’expérience nous apprend malheureusement que la politique des caisses vides justifie ensuite des réformes qui, chaque fois – nous n’en sommes plus surpris –, entraînent la baisse des droits pour les plus fragiles.
Vous souhaitez mettre la pression sur les dépenses de protection sociale afin de les transférer au privé. C’est ce que vous faites toujours, et ce sont toujours les mêmes qui en subissent les conséquences.
On nous dit que le taux de prélèvements obligatoires est beaucoup plus important dans notre pays que dans les autres pays d’Europe. Mais il faut tenir compte du fait que nous socialisons ces dépenses, qui, sinon, seraient réalisées dans la sphère privée de manière moins équitable, moins juste socialement.
Arrêtons cette logique, qui n’est pas humaine. Alors que, dans ce monde d’après, nous devrions revenir à une logique de service public, vous nous faites au contraire courir droit vers la logique de privatisation.
Quant à la création du cinquième risque, il y a de quoi être inquiet, et nous ne sommes pas dupes : il vous a été utile de communiquer sur la mise en œuvre d’une telle réforme pour faire passer la pilule de la dette sociale !
À la lecture de l’intitulé du projet de loi, nous avons tous cru qu’enfin le cinquième risque, que nous appelons de nos vœux depuis plusieurs années avec les associations, les familles et les départements, allait être mis en œuvre. En réalité, vous prévoyez la remise d’un rapport portant sur les conditions de création d’un nouveau risque ou d’une nouvelle branche. Le Gouvernement, qui s’oppose souvent à nos demandes de rapport sur de nombreux sujets, sait bien qu’il n’a pas besoin d’un vote du Parlement en la matière. Il s’agit d’un artifice de communication visant à montrer qu’il agit, alors qu’il n’en est rien et que le financement n’y est pas.
Nos inquiétudes sont donc majeures, monsieur le secrétaire d’État, et le fait que vous n’ayez pas pris la peine de nous exposer ces projets pendant plus de quatre ou cinq minutes dans votre introduction liminaire n’est pas fait pour nous rassurer, car vous mettez ces sujets sous le tapis. En somme, vous n’êtes pas à la hauteur de cet acte politique très fort. Quand les Français se rendront compte que vous avez grevé le budget de la sécurité sociale en lui imputant des dépenses de la dette qui n’en relèvent pas, ils verront l’inanité de cette politique.
Le flou, l’inanité de cette politique et cette absence de cohérence dans la gestion nous ont conduits à déposer cette motion tendant à opposer la question préalable, que nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. le président. Personne ne demande la parole contre la motion ?…
Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable. Elle estime qu’il est nécessaire de débattre des mesures contenues dans ces projets de loi.
J’ai bien entendu vos arguments, madame Taillé-Polian. Tous sont recevables, mais nous pensons qu’une grande partie de cette dette – nous reviendrons ultérieurement sur la dette hospitalière – est de nature sociale et que son transfert à la Cades est naturel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Le Gouvernement émet également un avis défavorable. Tout comme la commission, nous pensons que, indépendamment du fond, il est important de débattre des dispositions de ces textes.
En 2012, il y a déjà huit ans – vous étiez alors dans la majorité, madame la sénatrice Taillé-Polian –, François Hollande avait promis la création de cette cinquième branche. Nous allons la créer !
Mme Sophie Taillé-Polian. Vous prévoyez la remise d’un simple rapport ! Sans financement !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Peut-être êtes-vous passée à côté, mais ce n’est pas juste un rapport, puisque l’Assemblée nationale a adopté un amendement visant à la création de cette cinquième branche. Vous aurez ainsi l’occasion, dans le cadre de vos débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, puis d’un projet de loi dédié qui a été promis avant la fin de l’année, de donner une réalité à cette cinquième branche.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Si nous partageons à 90 % l’objet de la motion, déposée cette fois-ci par le groupe socialiste, je tiens à exprimer notre désaccord avec le paragraphe qui précise qu’il serait « de bonne politique au cours des cinq ou dix prochaines années de se servir des recettes sociales, dont la CSG, pour bâtir un nouvel équilibre de la sécurité sociale ».
Cela étant dit, nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi organique.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 128 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Pour l’adoption | 86 |
Contre | 251 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale commune (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens d’abord à exprimer mon sentiment de perplexité devant une séquence législative qui, au hasard d’un amendement sur une proposition de remise d’un rapport et la mise en place en 2024 d’une dérivation de tuyauterie de CSG, nous conduira à approuver ou refuser en même temps la création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale – rien que cela ! – et le traitement de 136 milliards d’euros de dette.
Ma collègue Michelle Meunier abordera le sujet de l’autonomie. « L’occasion fait le larron », nous a dit M. le ministre des solidarités et de la santé lors d’une audition, mais ce sont un financement pérenne, une gouvernance bien établie et la définition des prestations qui transformeront – peut-être – la secousse médiatique en événement historique dans l’histoire de la sécurité sociale.
J’affirmerai pour ma part notre opposition au transfert de 136 milliards d’euros à la Cades, correspondant à une reprise de dettes passées, de dettes en cours de constitution et même futures, auxquelles s’ajoutent, hors de tout lien avec les missions de la Cades, 13 milliards d’euros de dette hospitalière.
Je tiens également à exprimer mon désaccord avec des décisions financières qui relèvent de choix politiques fondamentaux quant à la philosophie de la sécurité sociale. L’autonomie est un pilier fondateur de celle-ci, conforté par la loi Veil de juillet 1994.
Certes, la création de la CSG et l’évolution vers le caractère universel ont bousculé les principes de 1945, mais, surtout, monsieur le secrétaire d’État, vous avez, ces dernières années, par la suppression de cotisations et par la non-compensation d’exonérations, accentué la confusion entre les périmètres de la protection sociale et du budget de l’État.
Au moment où un événement mondial sans précédent affecte la santé publique, multiplie situations précaires et pauvreté, augmente le chômage, met en danger des pans entiers de notre économie, vous réaffirmez la stricte autonomie de la dette sociale et vous portez à la charge des assurés sociaux des milliards de dettes non liées à leurs comportements ou à une mauvaise gestion des caisses – c’est un deuxième point d’incompréhension. La sécurité sociale ne peut pas être autonome quand elle est en déficit et ne plus l’être quand des excédents sont espérés.
Relativisons à ce stade l’argument du report de la dette sur nos enfants. De 1996 au 31 décembre 2019, la Cades a amorti 271 milliards d’euros. La dette de la France, elle, dépasse 2 400 milliards d’euros, plus de 120 % du PIB, alors qu’elle s’élevait à 700 milliards d’euros à la fin de 1996. C’est bien l’État, qui finance les charges courantes et rembourse le capital de ses emprunts en contractant de nouveaux emprunts, qui l’a majoritairement aggravée.
Comment donc ne pas voir dans votre choix la persistance d’une dramatisation des seules finances sociales, qui fait peser sur l’avenir la charge morale de chiffres vertigineux ? Vous allez me répondre que c’est faux, qu’il y a le Ségur et que vous créez une cinquième branche. Mais, justement, monsieur le secrétaire d’État, il y avait une autre solution : mutualiser la « dette covid » et la dette publique. Cette option est défendue par des économistes, des organisations syndicales, ainsi que par le Haut Conseil du financement de la protection sociale. Elle n’est pas magique – encore que… –, mais elle a le mérite de la cohérence, permet d’affirmer une forte solidarité nationale et, en même temps, de préparer l’avenir.
Dans une « crise comme aucune autre » – je cite le FMI –, l’État a toute légitimité pour jouer son rôle d’assureur de dernier recours. Comme certains l’ont déjà dit, il emprunte plutôt moins cher, car il peut le faire sur de longues durées. Les décisions de la BCE garantissent certainement des taux très bas pour les dix ans à venir.
Surtout, on libérerait ainsi, et sans conséquence pour le budget de l’État, une source de recettes de l’ordre d’une dizaine de milliards d’euros chaque année, qui permettrait de construire enfin un nouvel équilibre réel de la sécurité sociale, prenant en compte les besoins des hôpitaux, les nouvelles thérapies et la création tellement attendue d’une cinquième branche.
Au contraire, le dispositif que vous proposez recréera inévitablement, comme depuis trente ans, les conditions de nouveaux déficits et de nouveaux allongements de la durée de vie de la Cades, qui avait été fixée en 1996, rappelons-le, à treize ans.
En refusant toute nouvelle fiscalité spécifique à caractère progressif, en privilégiant l’impôt proportionnel, ce qui traduit une forme d’obsession conduisant à mettre à contribution les comptes sociaux, vous conjuguez moindre efficacité, inégalité et perte de chance pour l’avenir, alors que la crise a montré à quel point notre système de protection sociale était précieux.
Vous l’avez compris, le groupe socialiste et républicain ne vous suivra pas. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Jean-Claude Requier. C’est son grand retour !
M. Guillaume Arnell. Quel plaisir de retrouver l’hémicycle et de vous retrouver, mes chers collègues, après trois mois d’absence !
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ampleur inédite de la crise sanitaire qui nous frappe a fortement impacté les finances sociales et a mis notre système de sécurité sociale à rude épreuve.
Au début du mois de juin, le ministre de l’action et des comptes publics estimait que le déficit de la sécurité sociale s’établirait à 52,2 milliards d’euros en 2020, contre une prévision initiale de 5,4 milliards d’euros. Il est donc dix fois plus important que prévu.
Afin de répondre à l’aggravation du déficit, le Gouvernement nous présente ces projets de loi, qui visent deux objectifs : transférer une partie de la dette à la Cades et créer une cinquième branche de la sécurité sociale relative à l’autonomie.
Sur le transfert de la dette, dans l’ensemble, les coûts considérables engendrés par l’épidémie de covid-19 résultent notamment de la contraction de la masse salariale du secteur privé, des reports de cotisations accordés aux entreprises pour soulager leur trésorerie, des dépenses pour combattre la propagation du virus et rémunérer les personnels hospitaliers.
Si ces sommes colossales vont peser sur les finances publiques, elles n’en étaient pas moins nécessaires. Elles sont la résultante de mesures d’urgence, qui ont été prises en période de crise et que l’État se doit d’assumer.
Quant à savoir qui va les prendre en charge, vous avez décidé, monsieur le secrétaire d’État, de transférer la dette sociale héritée de l’épidémie de covid-19, non pas à l’État, mais à la Cades. Ce choix peut prêter à débat, mais est somme toute logique, puisque l’objectif de la Cades est d’apurer les déficits de la sécurité sociale, que la crise a aggravés.
En revanche, parmi les 136 milliards d’euros transférés figurent les 13 milliards d’euros de dette des hôpitaux que le Gouvernement, par la voix de Mme Agnès Buzyn, s’était pourtant engagé, au nom de l’État, à reprendre en novembre dernier. Ce transfert ne me paraît donc pas justifié. Aussi, je me félicite que la commission des affaires sociales ait suivi la proposition de notre rapporteur de supprimer la reprise de la dette des hôpitaux par la Cades. Comme l’a rappelé notre président Alain Milon, les hôpitaux appartiennent à l’État et non à l’assurance maladie.
J’en viens à présent au deuxième enjeu de ce texte, la création d’une cinquième branche en faveur de la prise en charge de l’autonomie.
En 2060, les personnes de plus de quatre-vingt-cinq ans seront près de 5 millions, contre 1,4 million aujourd’hui. Le nombre de personnes âgées en perte d’autonomie passera de 1,2 million en 2015 à 2,2 millions en 2050.
« Quand on a de l’espoir, la vieillesse même est belle », écrivait Anton Tchekhov. Nous sommes confrontés à un formidable enjeu de société, celui d’accompagner au mieux nos aînés, de leur offrir une qualité de vie digne et épanouissante.
Les sénateurs du groupe du RDSE plaident depuis de très nombreuses années pour la mise en place d’une grande réforme de la dépendance. Nous saluons donc cette mesure. Mais si l’on peut se réjouir que cette réforme soit enfin à l’ordre du jour, nous sommes plutôt réservés quant à la méthode choisie : créer une cinquième branche par le biais d’un amendement dans un projet de loi sur la dette sociale semble pour le moins incongru.
Pour mémoire, le système à quatre branches a été institutionnalisé il y a vingt-six ans par la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale. La création d’une cinquième branche est donc une réforme de grande ampleur, qui aurait mérité de faire l’objet d’un projet de loi à part entière ou, tout du moins, d’être examinée dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale d’autant que, comme l’a rappelé notre président Alain Milon, « son financement n’est pas assuré, ses bénéficiaires ne sont pas connus et sa gouvernance n’est pas définie ».
S’agissant de son financement, justement, si je salue l’affectation de près de 2,4 milliards d’euros à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie pour amorcer le chantier, je crains que cette enveloppe ne soit tout d’abord insuffisante. Selon les estimations du rapport Libault, publié en mars 2019, les moyens supplémentaires nécessaires s’élèveront en effet à environ 6 milliards d’euros en 2024 et à plus de 10 milliards d’euros en 2030.
Nous craignons par ailleurs que ce financement n’intervienne trop tard, à l’instar de la CNSA, qui a émis des réserves sur l’échéance de 2024, la jugeant « incompatible avec l’urgence de la mise en œuvre d’une grande loi Autonomie ». C’est pourquoi un amendement du groupe du RDSE visait à dégager de nouvelles ressources dès 2021 ; malheureusement, celui-ci a été déclaré irrecevable.
Quoi qu’il en soit, soyez assuré, monsieur le secrétaire d’État, que le groupe du RDSE, le moment venu, sera attentif aux modalités de mise en œuvre de cette nouvelle branche pour qu’elle puisse impulser une véritable politique de l’autonomie à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile. (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour l’examen en première lecture des projets de loi organique et ordinaire relatifs à la dette sociale et à l’autonomie. Il s’agit de deux textes ambitieux et nécessaires, alors que la crise sanitaire et économique que nous traversons jette une lumière crue, à peine atténuée par l’engagement sans faille du personnel soignant, sur les limites et les faiblesses de notre système de santé.
Cette crise a balayé d’un revers de main l’espoir de voir se résorber, d’ici à quatre ans, une dette sociale composée des déficits cumulés des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et disparaître avec elle la caisse chargée de son amortissement, la Cades.
Créée par l’ordonnance du 24 janvier 1996 pour une durée initiale de treize ans, la Cades a vu son existence prolongée à plusieurs reprises au rythme des transferts et des reprises de dette. La dernière en date remonte à 2010 après que la crise financière de 2008 a incité le gouvernement d’alors à transférer 130 milliards d’euros de dettes supplémentaires et à retarder son extinction de quatre ans.
La pandémie de covid-19 et les mesures de confinement mises en œuvre pour en limiter la progression ont provoqué à la fois un effondrement des recettes et une hausse des dépenses comme rarement – si ce n’est jamais – auparavant. Pour sécuriser durablement le paiement des pensions et des prestations, une reprise par la Cades de la dette de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’Acoss, qui n’a pas vocation à porter de tels déficits, est donc inévitable.
L’article 1er du projet de loi ordinaire relatif à la dette sociale et à l’autonomie prévoyait ainsi un nouveau transfert de dette pour un total de 136 milliards d’euros : 31 milliards d’euros de déficits cumulés jusqu’en 2019, 92 milliards d’euros au titre des déficits prévisionnels pour les exercices 2020 à 2023 et 13 milliards d’euros au titre de la reprise d’un tiers de la dette des établissements participant au service public hospitalier.
L’article 1er du projet de loi organique, quant à lui, prolonge jusqu’en 2033, c’est-à-dire pour neuf années supplémentaires, la durée de vie de la Cades, ainsi que la mobilisation de ses recettes, à savoir la CRDS, une fraction de la CSG et une contribution du Fonds de réserve pour les retraites.
Les textes adoptés par l’Assemblée nationale ont été partiellement modifiés lors de leur passage en commission. Parce qu’elle estimait que la prise en charge d’une partie de la dette des hôpitaux par la Cades devait incomber à l’État, la commission des affaires sociales est revenue sur cette disposition.
Le débat est évidemment légitime et méritait d’être posé. Il ne nous semble cependant pas incohérent qu’une partie de la dette des établissements de santé soit considérée comme une dette sociale, dès lors que ce sont les caisses primaires d’assurance maladie qui les financent en grande partie.
Il serait faux par ailleurs de considérer que les investissements réalisés ne l’ont été que dans l’immobilier. Pendant des années, en effet, les établissements de santé ont été encouragés à emprunter auprès des banques pour financer leurs besoins en raison d’un Ondam contraint. En effectuant ce transfert de dette dès 2021, les établissements de santé retrouveraient de la visibilité et des marges de manœuvre, ce qui leur fait actuellement défaut.
Notre groupe, attaché à cette opération de bonne gestion financière, a déposé un amendement visant à réaffecter une partie de la dette des hôpitaux à la Cades. Nous aurons, mes chers collègues, l’occasion d’en débattre dans quelques instants.
Ces deux projets de loi ouvrent en outre la porte à la création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale – et d’un nouveau risque donc – consacrée à la prise en charge de l’autonomie. Cette réforme, attendue de longue date par les professionnels de santé, est une avancée sociale majeure qu’il nous faut saluer : elle offrira une ossature aux politiques existantes, favorisera la mise en œuvre de nouvelles mesures et encouragera une approche plus préventive de l’autonomie.
Dès 2024, date à laquelle s’achèvera l’amortissement de la dette reprise par la Cades en 2010, une fraction de la CSG sera réorientée vers la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, majorant ainsi son financement à hauteur de 2,3 milliards d’euros.
Le secrétaire d’État, Adrien Taquet, l’a rappelé : en 2040, près de 15 % de la population, soit environ 10,5 millions de personnes, auront plus de soixante-quinze ans. C’est deux fois plus qu’aujourd’hui.
Les précédents gouvernements avaient esquissé, sous des formes variées et avec des succès divers, les contours de la prise en charge de ce nouveau risque. Nous voici désormais à l’aube d’une réforme d’envergure que viendront compléter à l’automne la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 et, dans le courant de l’année prochaine, un projet de loi consacré au grand âge et à l’autonomie que nous souhaitons ambitieux.
Nous nous félicitons également de l’adoption en commission de notre amendement visant à intégrer les associations de personnes en situation de handicap au sein des concertations que mènera, dans le cadre de sa mission, M. Laurent Vachey. Cette réforme ne doit, en effet, et en aucun cas, omettre la question du handicap.
Les conclusions de cette mission feront l’objet d’un rapport, remis en septembre prochain au Parlement, sur les conditions de création d’un nouveau risque et d’une nouvelle branche de la sécurité sociale. Il précisera notamment les conditions de leur financement à court terme.
Cette réforme, faut-il le rappeler, est scrutée avec attention dans des territoires d’outre-mer vieillissants. En Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, la part des personnes âgées de plus de 65 ans a été multipliée par 1,5 entre 1999 et 2014 et devrait continuer à croître dans les années à venir. Selon l’Insee, cette part devrait ainsi doubler dans les Antilles d’ici à 2030, pour représenter près de 30 % de la population.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parce qu’une meilleure prise en charge de l’autonomie ne saurait attendre, parce qu’il y voit une avancée sociale majeure, le groupe La République En Marche votera en faveur des projets de loi organique et ordinaire relatifs à la dette sociale et à l’autonomie, sous réserve évidemment de l’adoption de son amendement relatif à la prise en charge de la dette des hôpitaux. (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après les différents projets de loi sur l’état d’urgence sanitaire et leur flot d’ordonnances, et alors que nous sortons tout juste d’un épisode particulièrement traumatisant pour nos concitoyennes et nos concitoyens, les deux projets de loi organique et ordinaire qui nous sont soumis vont ni plus ni moins que plomber pour des années notre système de protection sociale.
Alors que la sécurité sociale soldait son déficit, au prix d’une compression de ses dépenses depuis plusieurs années, voilà que vous lui faites porter un nouveau fardeau immensément lourd – 136 milliards d’euros –, et ce de façon totalement injuste. En effet, comment justifier que cette somme, correspondant en grande partie à la dette liée au covid-19, soit transférée à la Cades et pas reprise par l’État ? Comment justifier que ces 136 milliards d’euros vont être, en réalité, supportés et financés par les contribuables à travers la CSG et la CRDS, dont on sait pertinemment que ce ne sont pas des impôts progressifs ?
Le Gouvernement, face à une situation d’ampleur exceptionnelle, fait le choix de se défausser et de confier ce gouffre financier à un organisme social. C’est d’autant plus insupportable que ces 136 milliards d’euros sont dus en grande partie au confinement généralisé de la population pendant deux mois, ce qui ne relève absolument pas de la responsabilité de la Cades.
Si la pandémie explique pour une part ce confinement, la décision prise s’explique, au fond, par la tension qui pesait sur notre système hospitalier et son incapacité à faire face à l’afflux des patients. Or cette réalité douloureuse est la résultante de choix politiques assumés par le Gouvernement et ceux qui l’ont précédé : 10 milliards d’euros de restrictions budgétaires draconiennes en sept ans, réalisées sur le dos des hôpitaux, des milliers de lits fermés, des suppressions d’emplois à tour de bras.
Mais regardons de plus près comment se déclinent ces 136 milliards d’euros de dette : une partie, à savoir 13 milliards d’euros, provient de la dette hospitalière. Or, sur la quasi-totalité des travées de la Haute Assemblée, nous sommes d’accord : les dépenses d’investissement des hôpitaux relèvent de l’État, et non de la sécurité sociale. Certes, notre commission des affaires sociales a supprimé ce dispositif, mais permettez-moi de dénoncer à la fois les mensonges du Gouvernement et son tour de passe-passe. En novembre dernier, le Premier ministre, après plus de neuf mois de grève de l’ensemble des services d’urgence de France, avait annoncé la reprise d’un tiers de la dette des hôpitaux par l’État et non par la sécurité sociale, comme vous vous apprêtez à le faire.
Si je résume : vous transférez aux hôpitaux la dette que vous étiez censé reprendre à ces mêmes hôpitaux ! Encore une fois, alors que la Cades est alimentée par la CRDS et la CSG, nous considérons que ce n’est pas à nos concitoyennes et nos concitoyens de payer la crise liée au covid-19 ni les dettes hospitalières fabriquées par les gouvernements successifs. D’autant que, comme on l’a rappelé, les conditions dans lesquelles la Cades peut emprunter sont bien moins favorables que celles de l’État. C’est donc un choix aberrant économiquement, sauf à justifier de futures restrictions budgétaires. Alors que la crise sanitaire a démontré qu’il était plus que jamais indispensable de consolider notre système de protection sociale, vous lui imposez, une fois encore, une surcharge financière indue et mortifère.
Pour faire passer ce mauvais coup, vous faites semblant de tirer des leçons de la crise vécue par les personnes en perte d’autonomie dans les Ehpad ou à domicile. Vous allez donc créer une cinquième branche de la sécurité sociale. Mais pour quoi faire, monsieur le secrétaire d’État ?
La sécurité sociale a été créée en 1945 par Ambroise Croizat et Pierre Laroque : c’est un système de protection sociale qui couvre toute une vie, de la naissance à la mort, avec tous ses aléas. De notre côté, nous considérons que la perte d’autonomie, que ce soient les personnes en situation de handicap ou les personnes âgées, est liée à l’état de santé et, donc, que les dépenses doivent relever d’une branche existante, celle de l’assurance maladie.
J’en profite d’ailleurs pour redire, ici, que nous soutenons la prise en charge à 100 % de l’ensemble des soins des assurés sociaux, avec les financements nécessaires pour y parvenir. Nous proposons que la branche maladie prenne en charge la perte d’autonomie, d’autant plus que cette branche est financée par les cotisations sociales, et non par l’impôt, comme vous semblez vouloir le faire dans votre projet de loi, même si tout cela est encore très flou.
Nous nous opposons à cette fiscalisation et à cette privatisation de la sécurité sociale, tout comme nous nous opposons à la non-compensation par l’État des exonérations de cotisations. Pour rappel, vous avez voté 66 milliards d’euros d’allégements l’an dernier, soit la moitié pile de la dette que vous appelez « sociale ».
Bien entendu, nous ne sommes pas pour le statu quo. À l’inverse de cette cinquième branche qui dénature notre modèle social, nous proposons, comme l’a expliqué ma collègue Cathy Apourceau-Poly, la création d’un grand service public national de la perte d’autonomie et de l’accompagnement, incluant les établissements médico-sociaux et les aides à domicile. Ce service public national aurait pour vocation de revaloriser tous ces métiers, dont chacun a enfin pris conscience de l’importance durant la pandémie. Tous ces salariés, majoritairement des femmes, d’ordinaire invisibilisés et maltraités par la société, ont fait tourner le pays en étant en première ligne pendant le confinement.
Comment votre cinquième branche, dont nous débattrons à nouveau lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, pourrait-elle prendre réellement en compte l’ensemble des personnels exerçant des métiers d’aide à la personne, quand on voit le faible financement annoncé, à savoir 2,3 milliards d’euros à l’horizon de 2024 ? Permettez-moi de citer le rapport Libault, qui a notamment souligné combien les enjeux liés au grand âge étaient exponentiels et estimé à 10 milliards d’euros le besoin de ressources supplémentaires en 2030.
Pour répondre à ces défis, la sécurité sociale a besoin de financements, de recettes nouvelles.
Monsieur le secrétaire d’État, inspirez-vous des propositions figurant dans notre proposition de loi portant mesures d’urgence pour la santé et les hôpitaux, élaborée avec des professionnels de la santé et du secteur médico-social, des syndicalistes, des usagers et des membres des directions, lors de notre tour de France des hôpitaux et des Ehpad.
Il est temps de changer d’orientation politique et d’écouter celles et ceux qui sauvent des vies, s’occupent de nos aînés. Ils ne réclament ni médailles ni chèques-vacances, mais la reconnaissance de leur métier. Ils veulent qu’on les respecte, ainsi que leurs patients.
Le temps presse, parce que la prise en charge de nos aînés est un marché juteux et que le secteur assurantiel est déjà sur les rangs pour financer cette cinquième branche. Ce n’est pas notre conception, vous l’aurez compris : nous sommes profondément hostiles à la marchandisation des services à la personne et de notre système de protection sociale. Vous ne serez donc pas surpris si notre groupe vote contre ces deux projets de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les projets de loi que nous examinons aujourd’hui visent deux objectifs bien distincts.
Premièrement, il s’agit de trouver une solution de moyen terme aux besoins urgents de financement de la sécurité sociale. Ses comptes ont été gravement déséquilibrés par l’épidémie de covid-19, qui a nécessité d’établir comme traitement un confinement qui a entraîné une baisse des recettes et une hausse des dépenses.
Il convient de sécuriser le fonctionnement de l’Acoss en transférant le montant de 136 milliards d’euros à la Cades. La commission des affaires sociales a souhaité soustraire de ce montant le tiers de la dette hospitalière, c’est-à-dire 13 milliards d’euros, considérant que ces dépenses relevaient de la responsabilité de l’État. C’est vrai que, avec un Ondam à 2 %, l’hôpital ne pouvait pas prendre en charge ses investissements. Comme l’a dit le rapporteur, il s’agit de toute façon d’investissements immobiliers de l’État.
Deuxièmement, il s’agit de préparer l’avenir de la sécurité sociale à travers la création d’une cinquième branche consacrée à l’autonomie. Cette disposition est la première pierre que nous posons pour la prochaine réforme du grand âge, qui permettra à notre société de s’adapter au vieillissement de la population, de prévenir et de traiter la perte d’autonomie, ce qui n’était pas du tout le cas avec la loi ASV de 2015.
Il est d’ores et déjà prévu d’attribuer une fraction de la CSG à la CNSA, soit un total de 2,3 milliards d’euros à compter de 2024. Toutefois, monsieur le secrétaire d’État, il faudra financer la branche dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.
J’aimerais, dans la perspective de la prochaine réforme de l’autonomie, rappeler quelques points importants, ce qui me paraît souhaitable.
Tout d’abord, les politiques de prise en charge de la dépendance relèvent du principe d’égalité territoriale et doivent être financées par la solidarité nationale – je me réjouis donc de la création de cette cinquième branche. Cela permettra de payer la totalité des aides-soignants, dont le salaire était pris en charge jusqu’à présent à hauteur de 30 % par les conseils départementaux.
Ensuite, il conviendrait de fusionner les sections tarifaires de la dépendance et des soins au niveau des Ehpad. Il ne resterait que deux sections : l’une, versée par la sécurité sociale, qui comprendrait le budget « soins » et le budget « dépendance », l’autre consacrée à l’hébergement, contrôlée par le conseil départemental.
Après la fusion des sections tarifaires « soins » et « dépendance », il conviendrait de faire du conseil départemental l’unique responsable de la gestion de l’ensemble de l’offre médico-sociale en Ehpad, avec la conclusion d’une délégation en matière de soins et d’autonomie de l’ARS au conseil départemental.
À domicile, l’ARS aurait pour rôle de contrôler les acteurs médico-sociaux et des missions d’inspection. Le département gérerait les Ssiad en plus des services d’aide et d’accompagnement à domicile, qui relèvent déjà de sa compétence. Tout cela contribuerait à une meilleure coordination entre tous les intervenants à domicile, qui seront alors sous la responsabilité du département.
La mise en place d’un service départemental des aînés et des aidants, avec une déclinaison territoriale par canton, permettrait d’instaurer une équité et un guichet unique de coordination des intervenants à domicile auprès des personnes âgées dépendantes. Cela permettrait de renforcer la prévention, mais aussi de coordonner tous les intervenants à domicile et de prévoir les sorties d’hospitalisation en amont.
Par ailleurs, il convient de veiller à l’amélioration des conditions de travail en établissement, en créant plus d’emplois et en valorisant les professions d’infirmier et d’aide-soignant. Cela passera par la revalorisation des salaires, comme le ministre de la santé l’envisage, à hauteur de 6 milliards d’euros, ainsi que par un grand plan national de formation. En effet, la VAE est insuffisamment connue et l’apprentissage peu développé. Nous allons gravement manquer d’infirmiers et d’aides-soignants.
Vu le manque de personnel et la grande dépendance physique et cognitive des pensionnaires en Ehpad, accentuée par la pandémie de covid-19, il est nécessaire d’accroître le nombre d’emplois pour parvenir le plus rapidement possible à un taux d’encadrement de 0,7 à 0,8 employé par pensionnaire. Ce taux s’élève actuellement à 0,6, ce qui ne permet pas une prise en charge correcte de nos aînés.
L’augmentation de 20 % du personnel doit se faire au niveau des aides-soignants et des infirmiers de manière progressive. Cela doit débuter dès 2021, et non en 2024 avec une enveloppe de 2,3 milliards d’euros seulement, comme le prévoit le projet de loi. Il faut débuter en 2021 pour que le financement atteigne 6 milliards d’euros en 2024. La hausse des effectifs aurait bien sûr dû débuter il y a de très nombreuses années. Je voudrais rappeler que Philippe Bas, ministre de la santé de Jacques Chirac en 2006, préconisait de parvenir à un taux d’encadrement d’un employé par pensionnaire en 2012.
Enfin, la crise sanitaire a encore davantage mis en évidence la très grande fragilité et la précarité du secteur du maintien à domicile. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, serait-il nécessaire de trouver de nouvelles ressources pour pérenniser le personnel des services d’aide à domicile.
Notre groupe votera ces projets de loi.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mes premiers mots iront aux rapporteurs, que je tiens à remercier et à féliciter. J’aurai également un mot particulier pour le rapporteur de la commission des affaires sociales, qui est un expert des questions de financement et qui est aussi toujours à la recherche d’une forme de sagesse et d’équilibre. Qu’il en soit remercié.
Ma collègue Jocelyne Guidez abordera la question de l’autonomie. Pour ma part, je traiterai celle du financement de notre dette sociale, qui est une problématique majeure pour notre pays, une forme de nasse dans laquelle nous nous trouvons et de laquelle nous avons des difficultés à sortir.
Avec ce texte, vous proposez d’alourdir de 136 milliards d’euros la dette de la Cades. C’est une somme considérable qui, naturellement, nous interpelle.
À sa création, en 1996, la Cades avait pour objectif de rembourser la dette accumulée par la sécurité sociale à l’échéance de 2009. Nos prédécesseurs avaient même créé un prélèvement dédié – la contribution pour le remboursement de la dette sociale –, avec promesse à nos concitoyens qu’il serait temporaire.
Nous avons cru, en adoptant le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, que la dette sociale pourrait être remboursée dans les prochaines années et que la CRDS pourrait même être supprimée. Mais, comme l’a souligné le rapporteur, tel Sisyphe avec son rocher, tous nos efforts ont été réduits à néant.
Mes chers collègues, notre système est devenu trop complexe – on parle d’ailleurs de la « tuyauterie » du projet de loi de financement de la sécurité sociale. De nombreux acteurs s’enchevêtrent dont les rôles initiaux n’étaient pas ceux qu’ils sont aujourd’hui : État, assurance maladie, CNSA, conseils départementaux… À cet égard, l’audition du professeur Pellet était très intéressante.
Il faut redonner de la simplicité et de la lisibilité à notre protection sociale. Je suis convaincu que cela lui redonnerait aussi de l’efficacité. C’est la raison pour laquelle notre groupe partage les deux principales orientations proposées par notre rapporteur : le refus du transfert d’une dette immobilière hospitalière de 13 milliards d’euros dont l’État doit assumer la charge et la mise en place d’une « règle d’or » pour couper le robinet alimentant la dette sociale.
La première orientation s’explique simplement : la dette hospitalière a servi à financer des investissements qui appartiennent à l’État. Or la Cades n’a pas été conçue pour cela, mais pour amortir les déficits de financement de la branche maladie. Les dépenses de l’assurance maladie étant des dépenses de transfert, mettre la dette hospitalière à la charge de la Cades aurait pour effet de modifier la nature de cette caisse. Je ne pense pas que ce soit souhaitable.
En outre, comme cela a été souligné, l’État a la possibilité de contracter des emprunts à très long terme, jusqu’à trente ans, ce que ne peut faire la Cades, et à meilleur taux. C’est à lui qu’il revient de prendre en charge la dette hospitalière et non à la Cades. Je soutiens pleinement l’amendement de notre rapporteur en ce sens.
En ce qui concerne la règle d’or, les textes actuels prévoient que le législateur peut autoriser un régime à recourir à des ressources non permanentes, telles que l’emprunt, mais uniquement pour satisfaire des besoins de trésorerie et non pour couvrir des besoins de financement. Il faut appliquer ces dispositions plus strictement.
Cela étant dit, je comprends que la question de l’assouplissement des règles de gestion en cas de crise exceptionnelle comme celle que nous vivons puisse se poser. Toutefois, ce n’est assurément pas à la Cades d’en supporter la charge.
C’est notre rôle de parlementaire que de nous assurer que la règle d’or est respectée et de ne pas faire porter aux générations futures nos dépenses présentes de fonctionnement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si l’on fait un petit retour en arrière, on s’aperçoit que la commission des affaires sociales et la Mecss mettent en garde de manière récurrente depuis plusieurs années leurs interlocuteurs – sécurité sociale, Acoss, Cour des comptes, gouvernement… – sur le risque de maintenir un stock de dette à l’Acoss, eu égard au délai d’expiration de la Cades, et sur les transferts permanents d’exonérations de cotisations et de charges décidées unilatéralement par l’État en matière sociale qu’il fait supporter aux caisses de sécurité sociale. Nous l’avons dit des dizaines de fois.
Ainsi, le 26 juin 2019, lors de son audition, Gérald Darmanin nous annonçait qu’il n’était pas certain que l’État rembourse à la sécurité sociale les 2,5 milliards d’euros de « cadeaux sociaux » consentis à l’occasion de la crise des « gilets jaunes ». L’usage a montré qu’ils n’ont pas été remboursés.
Le 15 octobre 2019, j’appelais de nouveau l’attention de Mme Buzyn et de M. Dussopt sur les risques que nous encourrions. S’ils ne m’opposèrent pas une fin de non-recevoir, ils m’objectèrent que la croissance des années à venir permettrait d’absorber les 40 milliards d’euros de stock de l’Acoss et qu’il serait même possible, comme l’avait dit M. Véran, alors rapporteur général du projet de loi de financement de la sécurité sociale, d’anticiper les choses et de financer l’autonomie avec la CRDS.
Des 136 milliards d’euros que l’État nous demande de transférer à la Cades, on évalue à 31 milliards d’euros, a minima – je pense que le chiffre est beaucoup plus important en réalité –, les « errements » antérieurs. Si l’on nous avait écoutés, on nous demanderait donc aujourd’hui de ne transférer « que » 100 milliards d’euros et non 136. C’est ma première remarque.
Bien évidemment, face à ce constat, il n’était pas question de faire autrement : il fallait accepter ce transfert et la prorogation de la Cades. Cependant, à l’avenir, il faudra faire en sorte d’éviter ce transfert aujourd’hui incontournable. C’est tout le sens de la règle d’or proposée par le rapporteur.
Tout cela aurait pu se résumer en une simple opération d’orthodoxie financière visant à remettre la Cades sur les rails après la crise du covid si le Gouvernement n’avait décidé de faire de la Cades une sorte d’auberge espagnole où l’on trouve tout et n’importe quoi.
Je ne reviendrai pas sur les 13 milliards d’euros de l’hôpital dont on a déjà beaucoup parlé. Peut-être contredirez-vous cette information, monsieur le secrétaire d’État, mais un journal économique national annonce que le Gouvernement envisagerait de transférer 150 milliards d’euros de la « dette covid » à la Cades en repoussant encore le délai – ce n’est plus une auberge espagnole, c’est une grande surface ! Cela paraît inconcevable.
Par ailleurs, on affiche à la sauvette, au détour d’un texte dont ce n’est pas l’objet, la création d’une cinquième branche, consacrée à l’autonomie, en accordant 0,15 point de transfert de CSG en 2024 alors que les projections les plus optimistes flèchent un besoin annuel de financement de 10 milliards d’euros. Un peu de saupoudrage encore : le ministre des solidarités et de la santé nous annonce un petit milliard dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale – une aumône par rapport aux besoins réels.
Notre groupe considère qu’il y a urgence. Cela fait des années que nous parlons de ce cinquième risque – je ne l’appelle pas encore cinquième branche. Il faut y parvenir, mais pas de cette façon, pas au détour d’un texte dont l’objectif initial était l’articulation financière du remboursement de la dette sociale. On ne fait pas passer à la sauvette quelque chose que l’on attend depuis des années.
Quid du financement ? Malheureusement, l’amendement que j’avais proposé n’a pas été retenu au titre de l’article 40 de la Constitution – un amendement identique a pourtant été accepté à l’Assemblée nationale… Il s’agissait d’anticiper dès le 1er janvier 2021 le transfert de 0,15 point de la CRDS : en supprimant 13 milliards de dette des hôpitaux, on reprenait 6 milliards sur trois ans à la Cades, ce qui lui permettait d’être encore « bénéficiaire ». Ce dispositif n’a pas été retenu. Il faut absolument que nous avancions sur cette question du financement. Le Sénat y travaille.
Dans le même temps, force est de constater que la création de cette cinquième branche de la sécurité sociale, de ce cinquième risque, est très compliquée. Un certain nombre d’entre nous pense qu’il est nécessaire d’aller au bout de la réflexion pour savoir si les autres branches de la sécurité sociale – maladie et vieillesse –, dont c’est la vocation première, ne peuvent tenir ce rôle. Je pense aussi à la branche famille, qui concerne certes la petite enfance, mais aussi les personnes hébergées en Ehpad.
Il s’agit d’un problème important. Loin de notre groupe l’idée de ne pas vouloir créer cette cinquième branche. Laissons-nous le temps de la réflexion. Nous savons qu’un rapport sera présenté dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Par ailleurs, au sein de notre commission, un duo composé de Bernard Bonne et de Michelle Meunier, qui fonctionne parfaitement, a déjà des propositions à formuler. Attendons un peu !
Nous devons aussi nous assurer que la CNSA soit le bon outil au service du financement de la perte d’autonomie. Elle a d’abord été créée pour le fameux lundi de Pentecôte, dont la suppression a rapporté, pendant des années, environ 2 milliards par an. Aujourd’hui, La CNSA participe à la distribution des fonds mis à disposition dans le cadre de l’Ondam. Elle a beaucoup évolué. Est-ce le bon outil pour financer la perte d’autonomie ? Peut-être – je n’en sais rien –, mais ce n’est pas aujourd’hui que l’on peut formellement décider de la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale.
Nous proposons de prendre le temps nécessaire. Si mon amendement allant dans ce sens était adopté, cela prouvera que le Sénat n’est pas dans l’affichage, mais dans le travail et la proposition. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il n’y a pas de cohésion nationale sans fraternité, ni de fraternité sans solidarité. Notre héritage républicain, fidèle à la pensée de Victor Hugo, nous exhorte à considérer que rien n’est solitaire, mais que tout est solidaire. Le lien intergénérationnel au cœur de nos discussions est le pivot de tout modèle social qui veut inscrire son action dans l’équité et la justice.
Aussi, la dépendance et le soutien aux personnes âgées ou en situation de handicap constituent un enjeu vital. J’emploie volontairement le mot « enjeu », et non « problématique », car ces questions sont tout sauf une problématique. Elles sont partie intégrante de notre société. À l’aune du vieillissement de la population, notre réponse doit être ambitieuse.
En somme, si la question de l’espérance de vie est importante, celle de l’espérance de vie en bonne santé l’est d’autant plus.
Par ailleurs, répondre aux défis de la dépendance et de l’autonomie, c’est aussi se préoccuper de toute cette chaîne de personnes qui les accompagnent au quotidien. Les proches aidants constituent une pièce centrale du puzzle : ils doivent assumer à la fois des obligations professionnelles et d’autres, censées être plus « naturelles ». Ils doivent parfois faire face à de lourdes maladies comme Alzheimer. Surmenage, épuisement psychologique, manque de répit : les besoins sont immenses. Prenons garde, mes chers collègues, qu’ils ne redeviennent pas les grands oubliés. C’est également se soucier des professionnels, tout aussi indispensables, comme les auxiliaires de vie. Des mesures devront être prises tant sur l’attractivité de leur profession et sur la formation que sur la revalorisation des salaires.
Sur tous ces sujets, il faut espérer que le prochain rapport intègre ces dimensions sociales importantes et que ces dernières aient le plus vite possible une traduction législative et réglementaire. Encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions.
Certes, ce projet de loi prévoit de créer une nouvelle branche au sein du régime général de la sécurité sociale et d’en placer la CNSA à la tête. Toutefois, il me semble important de retenir que nous nous apprêtons à créer la seule branche de la sécurité sociale qui ne réponde pas à une logique de guichet, mais à un risque dont les prestations actuelles sont principalement payées par un tiers : le département.
Par ailleurs, cette mise en place n’entraîne aucune modification des modalités de financement de la prise en charge de la dépendance et aucune nouvelle ressource n’y est substantiellement affectée.
La question de l’opportunité de ces deux textes se pose donc très clairement, en particulier du point de vue des bénéficiaires, lesquels, à ce stade, ne tireront aucun bénéfice de cette nouvelle branche.
Pour autant, au-delà du symbole, la création d’une cinquième branche sera l’occasion, pour le Gouvernement, de porter une politique financière dédiée au grand âge et à l’autonomie qui existera en tant que telle, sans être dépendante de l’évolution de l’Ondam. Mais encore faut-il des financements et une meilleure visibilité quant au calendrier. Or le transfert de 0,15 point de CSG entre la Cades et la CNSA ne satisfait pas les besoins financiers. Cette affectation permettrait de majorer les financements de la CNSA à hauteur de 2,3 milliards d’euros par an, mais pour quelles actions, sachant que le rapport Libault estimait le besoin à 10 milliards d’euros ?
Enfin, ce transfert n’interviendra qu’en 2024. Pourquoi attendre trois ans ? Même si des concertations sur les conditions de financement à court terme devraient avoir lieu, on s’interroge sur ce qui pourra être mis en œuvre prochainement et sur les moyens déployés. Sur ce point, ce texte n’apporte aucune réponse. Cette date permet tout simplement d’assurer le maintien de l’existence de la Cades.
Ainsi, alors que notre pays a besoin de plus d’accompagnement, la prochaine loi de financement de la sécurité sociale offrira-t-elle des mesures suffisantes ? Qu’en est-il également du projet de loi Grand âge et autonomie ? Sans mesures financières associées en loi de financement de la sécurité sociale, ce texte ne sera pas à la hauteur des attentes. À ce stade, nous avons encore beaucoup d’incertitudes.
Le groupe Union Centriste, qui aspire à plus de visibilité, votera tout de même en faveur de ce texte. Il tient toutefois à rappeler la nécessité de déployer des moyens à la hauteur des besoins.
Je terminerai en partageant les propos de la présidente de la CNSA : « La politique de l’autonomie ne peut pas être une politique en solde. » (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ces textes nous arrivent de l’Assemblée nationale avec rien de moins qu’une nouvelle branche de sécurité sociale, consacrée à l’autonomie. Il faut saluer une telle ambition dans le domaine médico-social, si souvent affichée depuis quinze ans et si rarement concrétisée. Elle porte la promesse d’une couverture du risque de perte d’autonomie plus large, plus cohérente, plus juste, financée de manière plus pérenne.
Cette promesse peut-elle être tenue ? Il faut d’abord s’interroger sur la capacité à faire de ceux qui la portent. À cet égard, la méthode qui nous est proposée n’est pas rassurante.
Le texte initial contenait un ensemble de dispositions déjà peu faites pour conjurer le scepticisme : un rapport à la rentrée sur la faisabilité du chantier du cinquième risque, une nouvelle annexe aux lois de financement de la sécurité sociale et un financement devant être pris, dans quatre ans, dans les comptes déjà négatifs de la Cades. Tel était le projet du Gouvernement sur l’autonomie, dans un texte consacré d’abord au remboursement de la dette sociale…
La nouvelle annexe aux lois de financement de la sécurité sociale s’impose : nous ne votons pour l’heure en loi de financement de la sécurité sociale que sur une vingtaine de milliards d’euros de crédits, alors que la dispersion des financeurs porte le montant global des dispositifs existants à près de 66 milliards d’euros. Nous avons donc incontestablement besoin d’une vision des choses un peu plus large.
À l’Assemblée nationale, nos collègues députés ont créé, sans concertation préalable, un cinquième risque et une cinquième branche de la sécurité sociale, et ils ont confié immédiatement sa gestion à la CNSA. C’est à l’évidence prématuré, puisque le rapport censé éclairer la décision ne sera rendu qu’en septembre. Les députés ont d’ailleurs avancé sa date de publication. Comment rédiger un rapport complet sur ce sujet, en si peu de temps, durant l’été, sans oublier la concertation nécessaire avec tous les acteurs de ce secteur ? Je crains que le rapport ne soit incomplet, notamment sur la question des financements.
Mais admettons que l’on encadre le tableau avant de l’avoir peint. Admettons que l’on crée le cadre de gestion avant de savoir ce que l’on financera et comment on le financera. Le plus dur reste à faire : rendre plus efficace notre système d’intervention et lui donner les moyens de fonctionner. Il faudra pour cela répondre à un certain nombre d’interrogations.
La nouvelle branche, intitulée « autonomie », a donc vocation à regrouper les prestations et services destinés aux personnes âgées et aux personnes handicapées. D’après APF France handicap, 35 millions de personnes pourraient à terme être concernées : 12 millions de personnes en situation de handicap, 15 millions de personnes âgées et 8 millions de proches aidants. C’est un défi considérable qu’il nous faut collectivement relever.
Sur la prise en charge du grand âge, tout a été dit ces dernières années. Las, l’épidémie de covid-19 a donné un écho fantastique au silence avec lequel ont été accueillies – pour l’instant – les propositions des rapports Libault, El Khomri ou celles de nos collègues Bonne et Meunier au nom de notre commission des affaires sociales.
Les chantiers sont nombreux : il faudra augmenter le taux d’encadrement des personnes accueillies en établissement, hisser les professionnels du secteur au moins au niveau du SMIC, investir massivement, améliorer la coordination des acteurs, construire une politique de prévention plus efficace… J’en oublie probablement.
Le monde du handicap s’interroge également sur les opportunités qu’ouvrirait une telle innovation. Au premier abord, harmoniser les dispositifs d’aide à l’autonomie permettrait d’exaucer enfin le vœu émis par le législateur en 2005, qui prévoyait la suppression de toutes les barrières d’âge dans un délai de cinq ans. Plus de quinze années ont passé, et il est, par exemple, toujours impossible de faire une demande de PCH si le handicap est survenu après 60 ans, puisque l’on est alors réputé éligible aux prestations destinées aux personnes âgées.
L’extension annoncée de la prestation suscite par ailleurs de grands espoirs qu’il pourra être opportun de concrétiser dans ce nouveau domaine de la sécurité sociale.
Sur le périmètre et le calcul des prestations, mais aussi sur le reste à charge zéro, sur l’accès aux droits et aux aides techniques, sur la simplification des aides à l’aménagement du logement ou au transport, et pour ne rien dire de la gouvernance du secteur du handicap, les marges de progression sont encore nombreuses. Sur tous ces points, notre commission a fait des propositions.
L’inclusion de cette politique dans le périmètre de la sécurité sociale offre d’intéressantes perspectives. Reste à les concrétiser.
De plus, en décloisonnant les dispositifs destinés aux personnes âgées et handicapées, une politique unifiée de l’aide à l’autonomie permettrait d’améliorer la couverture des besoins, de compenser plus adéquatement les pertes d’autonomie, bref de rendre plus universel le soutien de la Nation aux plus vulnérables.
Toutefois, sur tout cela, il nous faudrait des garanties. D’abord, sur le partage des tâches : le rôle des départements dans la politique médico-sociale est quasiment séculaire et n’est contesté par personne. Le dialogue qu’ils entretiennent avec l’État, notamment les ARS, devra être clarifié.
Le rôle des aidants, qui accomplissent un travail informel d’une valeur presque égale aux crédits médico-sociaux votés en PLFSS, devra également être pris en compte. Notre commission a d’ailleurs précisé que le rapport attendu pour septembre devra être précédé d’une consultation de tous les acteurs du médico-social, dont les collectivités locales et les aidants.
Il faudra enfin des garanties sur le financement de cette nouvelle branche, qui nécessitera des ressources cinq fois plus importantes que celles prévues à l’article 2. Là encore, notre commission a fait des propositions qui méritent l’intérêt. Nous serons au rendez-vous des prochaines discussions budgétaires.
À défaut de telles clarifications, les frustrations seront immenses, et cette création apparaîtra pour ce qu’elle est : une promesse de plus. Nous serons vigilants sur l’issue de ces travaux. Le Sénat est prêt à être un acteur bienveillant de cette réforme, dès lors que nous aurons les garanties d’avoir les moyens pour la porter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon collègue Yves Daudigny a exprimé, en début de discussion générale, la ferme opposition de notre groupe à ces projets de loi. Pour ma part, j’évoquerai les questions relatives à la perte d’autonomie.
Ce n’est une surprise pour personne, il existe bien un besoin social concernant la prise en charge de la dépendance liée à l’âge. Le nombre de personnes âgées en perte d’autonomie a déjà été évoqué : il traduit la longévité de notre population, ce dont il faut se réjouir. Mais nous savons que cette ultime période de la vie peut être source d’inquiétude, pour les plus vieux comme pour leurs proches et leur famille.
La survenue des premiers signes de perte d’autonomie frappe la population de façon inégale, à des âges plus ou moins avancés. La prise en charge financière est complexe : l’évaluation du degré de dépendance est fixée par les grilles GIR – les groupes iso-ressources. Elles ne sont, il faut en convenir, qu’un instrument administratif d’affectation du soutien de la compensation que peuvent fournir les secteurs sanitaire et médico-social, à savoir l’aide apportée par les auxiliaires pour les gestes du quotidien au domicile et, pour les aînés les plus dépendants, dans les Ehpad.
Le reste à charge des coûts pour les bénéficiaires est varié. Il dépend du degré de dépendance, des ressources personnelles et du lieu de prise en charge.
Par ailleurs, le vieillissement est une source de fatigue pour les aidants, le conjoint ou les enfants, qui s’usent prématurément, « par porosité », comme le souligne la philosophe Cynthia Fleury.
Nous ne pouvons donc pas nous satisfaire d’un statu quo : la reconnaissance d’une cinquième branche et du risque « autonomie » doit permettre une meilleure couverture des frais nécessaires et une sanctuarisation des moyens.
Il existe un risque de perte d’autonomie lié à l’âge : ne plus pouvoir s’habiller seul, découper sa viande, laver son assiette, remplir son caddie… Décrite ainsi, il est évident que la perte d’autonomie peut survenir à tout âge de la vie, dès lors qu’on est affecté par un handicap. Pour les socialistes, le risque « autonomie » doit intégrer cette dimension. C’est l’occasion de lisser les différences de droit selon que l’on entre ou pas dans l’une ou l’autre des cases.
Ce risque lié au handicap est à ce jour insuffisamment couvert. C’est ce que nous dit le collectif Handicaps, lequel formule des recommandations auxquelles il faudra répondre : droit universel dès la petite enfance, reste à charge zéro, financement assuré par la solidarité nationale, équité sur les territoires, respect des droits et choix des individus concernés… Le secteur associatif devra être associé aux futurs travaux sur toutes ces questions.
Mes chers collègues, l’adaptation de la société au vieillissement n’est pas un enjeu nouveau et n’a pas été laissée de côté par les précédents gouvernements : c’était d’ailleurs l’intitulé de la loi que nous avons portée. Elle a permis de changer de regard sur cette tranche d’âge, a impulsé une dynamique de prévention et de lutte contre l’isolement. La loi a également relevé les plafonds de l’allocation personnalisée d’autonomie à domicile pour près de 700 000 bénéficiaires.
Résolus à poursuivre dans cette voie, les socialistes sont favorables, pour la gestion de ce nouveau risque, à la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale.
Le premier enjeu sera d’assurer une gestion démocratique, paritaire, plaçant les usagers au cœur des décisions.
Le second enjeu est évident : il s’agira d’assurer des recettes suffisantes à cette nouvelle branche. À ce stade, nous sommes réservés : comme cela a été dit et répété, l’abondement de 0,15 point de CSG ne couvre pas les besoins supplémentaires. La préfiguration devra identifier ces ressources.
D’autres pistes devront être évoquées : financement par la branche maladie, avec d’autres cotisations ; quid de la solidarité nationale ? Il faut le dire, monsieur le secrétaire d’État, nous sommes dans le flou face à cette improvisation soudaine du Gouvernement.
Vous profitez d’un transfert de dette sociale inacceptable pour poser la première pierre d’un chantier pharaonique. Nous ne sommes pas dupes de vos intentions. Nous craignons que vous ne bâtissiez que le rez-de-chaussée d’une branche de la sécurité sociale et qu’il revienne aux futurs assurés sociaux d’étayer le financement par des complémentaires « autonomie », sources d’injustice sociale et de creusement d’inégalités.
Pour toutes ces raisons, si la maîtrise d’ouvrage vous revient, sachez que la maîtrise d’œuvre devra compter sur toutes les énergies vigilantes, dont la nôtre. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. J’ai pris bonne note des différentes interventions, à commencer par celles du rapporteur et de la rapporteure pour avis, qui concernent des sujets déjà évoqués lors de l’audition d’Olivier Véran et que nous aurons l’occasion d’approfondir lors de l’examen des articles.
Le Gouvernement a déposé des amendements de suppression visant à revenir sur la question du traitement autonome de la « dette covid ». Il a également déposé des amendements relatifs à la reprise de la dette des hôpitaux – dont j’ai bien noté l’opposition de fond du rapporteur – et à la règle d’équilibre, instaurée en commission, dont nous partageons le caractère vertueux, mais qui nous semble prématurée.
La question du coût de la dette de la Cades par rapport à la dette de l’État a également été évoquée. Il y a un écart de 10 points de base entre les deux types de dette, ce qui est extrêmement faible. Par ailleurs, le raisonnement que j’ai pu entendre fait l’impasse sur l’effet qu’induirait la reprise de la dette sur les conditions de financement de l’État. En outre, si l’État empruntait à plus long terme, cela coûterait mécaniquement plus cher à la collectivité.
Un article de presse publié ce matin a suscité un certain émoi parmi vous, ce que je peux comprendre. Prenez garde à ce qui est écrit dans les journaux en ce moment. Le titre de cet article est relativement trompeur : il ne fait que soulever la question de l’apurement au principal. Je vous invite à regarder les sources de cette information. Si chacun a le droit d’avoir des idées et d’être créatif, le sujet évoqué n’est ni arbitré ni même en discussion au sein du Gouvernement.
Dernier point de fond important : l’autonomie, qui a été évoquée par un certain nombre d’entre vous, notamment par Mme Meunier, M. Chasseing et Mme Guidez.
Nous voulons – nous l’assumons – procéder en plusieurs temps. Certains d’entre vous ont d’ailleurs évoqué « plusieurs étages » ou des « fondations ».
Nous saisissons l’occasion du projet de loi organique pour créer cette branche. Je rappelle que c’est le choix des députés, puisque cette création fait suite à l’adoption d’un amendement du rapporteur Thomas Mesnier. Le Gouvernement s’est rangé à cette proposition. D’ailleurs, sans la création de cette branche, nous ne pourrions pas prévoir des financements dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Tel est le risque et tel est le choix qui se trouvent devant nous !
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale tirera toutes les conséquences de la concertation qui a d’ores et déjà été lancée, sous la responsabilité, vous le savez, de M. Vachey, sur le financement et la gouvernance. Les députés ont demandé que soit quelque peu avancée la remise de ce rapport, afin que vous puissiez l’étudier avant la discussion du PLFSS, qui constitue le deuxième ou le troisième étage de la fusée. Bien évidemment, dans le cadre de cette concertation, la place des collectivités locales sera entière.
Il ne s’agit pas de faire les choses à la sauvette, monsieur Cardoux, mais étape par étape. Je veux d’ailleurs remercier les sénateurs Dominique Théophile et Philippe Mouiller pour la précision dont ils ont fait preuve en commission, ce qui devrait être de nature à rassurer les uns et les autres sur les processus de décision à l’œuvre.
Enfin, le Gouvernement proposera des mesures de fond sur la réforme du grand âge. Vous l’avez pointé, il manque encore un certain nombre de choses. C’est normal, puisque les dispositions en question viendront s’inscrire dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Par ailleurs, le Premier ministre l’a dit lui-même, un projet de loi sera déposé sur ce sujet à l’automne en conseil des ministres et fera l’objet d’un débat ici même. Il traitera les questions des métiers, de leur attractivité, de la transformation de l’offre, notamment des rapports entre les Ehpad et le domicile, sujet que vous évoquiez avec justesse, monsieur le rapporteur.
Oui, madame Meunier, toutes les énergies seront nécessaires pour bâtir cette cinquième branche, attendue depuis longtemps par les Français et promise par les responsables politiques. Nous partageons tous, aujourd’hui, le sentiment de son impérieuse nécessité.
M. le président. La discussion générale commune est close.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous passons à l’examen, dans le texte de la commission, du projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l’autonomie.
projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l’autonomie
Article 1er
(Non modifié)
L’article 4 bis de l’ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale est ainsi rédigé :
« Art. 4 bis. – Tout nouveau transfert de dette à la Caisse d’amortissement de la dette sociale est accompagné d’une augmentation de ses recettes permettant de ne pas accroître la durée d’amortissement de la dette sociale au-delà du 31 décembre 2033.
« Les recettes mentionnées au premier alinéa correspondent au produit d’impositions de toute nature dont l’assiette porte sur l’ensemble des revenus perçus par les contribuables personnes physiques. Des prélèvements sur les fonds des organismes chargés de la mise en réserve de recettes au profit des régimes obligatoires de base de sécurité sociale peuvent également être affectés à l’amortissement de cette dette.
« La loi de financement de la sécurité sociale assure, chaque année, le respect de la règle définie au même premier alinéa. L’annexe mentionnée au 8° du III de l’article L.O. 111-4 du code de la sécurité sociale comporte les informations nécessaires pour le vérifier.
« Pour l’application du présent article, la durée d’amortissement est appréciée au vu des éléments présentés par la caisse dans ses estimations publiques. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 1 est présenté par M. Daudigny, Mmes Meunier et Taillé-Polian, M. Kanner, Mmes Cabaret, Féret et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 3 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Michelle Meunier, pour présenter l’amendement n° 1.
Mme Michelle Meunier. Le groupe socialiste et républicain s’oppose au principe de prise en charge des mesures d’urgence par les comptes de la sécurité sociale et de l’Unédic : celles-ci doivent être assumées par le budget de l’État. C’est la raison pour laquelle il entend supprimer l’article 1er de ce projet de loi organique, dont l’objet est de permettre, dans le projet de loi ordinaire, le transfert de nouvelles dettes à la Cades, sans affectation de nouvelles ressources.
Une telle décision hypothéquerait l’avenir de nos assurances sociales, en leur faisant supporter inutilement et injustement la « dette covid », dont elles ne sont pourtant pas responsables, alors que cette dette pourrait être plus habilement gérée par l’État.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour présenter l’amendement n° 3.
Mme Michelle Gréaume. La crise sanitaire que nous venons de vivre a montré à quel point notre système de protection sociale est précieux pour protéger nos concitoyennes et concitoyens. L’accès universel aux soins, la garantie de prestations sociales permettant de maintenir le niveau de vie et l’assurance d’un revenu de remplacement en cas de perte d’emploi sont autant d’atouts qu’il nous faut renforcer et élargir. Toutefois, la crise sanitaire a également révélé des fragilités, qui sont le fruit d’un sous-financement chronique organisé depuis de longues années, en particulier de nos hôpitaux et de nos Ehpad, en première ligne face à l’épidémie.
L’article 1er du projet de loi organique prévoit le report de la fin du remboursement de la dette sociale prévue en 2033 et, en même temps, le transfert de 136 milliards d’euros de dette à la Cades. On fait ainsi peser le fardeau de la crise sur la sécurité sociale. Cela a été rappelé à l’Assemblée nationale, le Gouvernement reproduit exactement la politique menée en son temps par la droite, laquelle, après la crise de 2008, avait transféré 130 milliards d’euros de dette à la sécurité sociale.
Sous couvert d’impératif budgétaire pour préserver les finances sociales, cette opération permettra demain au Gouvernement de maintenir sous pression pour de longues années les dépenses de santé. En effet, ce sont 17 milliards d’euros de CRDS et CSG qui auraient pu servir à financer des politiques sociales, au moment où nos concitoyennes et concitoyens en ont le plus besoin.
Cette dette est d’autant plus injuste qu’elle sera remboursée uniquement par les salariés, les demandeurs d’emploi et les retraités. Les entreprises, en revanche, ne participeront pas à l’effort collectif. Pourtant, qui a profité de l’activité partielle et des garanties de l’État ?
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 1er du projet de loi organique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
Je n’entrerai pas dans une longue explication, car celle-ci a déjà été donnée. Le report de la date limite d’amortissement de la dette est nécessaire pour permettre de nouveaux transferts, sans alourdir sensiblement les prélèvements obligatoires.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Le Gouvernement est également défavorable à ces deux amendements identiques. Je souhaitais développer un peu ma position, mais j’ai quelques remords à le faire après avoir entendu le rapporteur…
Mme Laurence Cohen. Mais non, allez-y !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Soit !
Depuis 1996, la dette sociale est distincte du reste de la dette publique et tout est mis en œuvre pour assurer son remboursement sur un temps limité, par l’affectation de recettes spécifiques. Ce choix est un pilier fondamental de notre système de sécurité sociale, puisqu’il assure la pérennité de son financement. C’est aussi la contrepartie logique de l’autonomie financière de la sécurité sociale : la dette sociale doit être gérée par la sécurité sociale et non pas transférée à l’État, suggestion que j’ai entendue dans la bouche de certains orateurs au cours de la discussion générale.
Dans cette logique, il avait été décidé en 2011, à la suite de la crise financière et économique de 2008-2009, de procéder à un transfert de 130 milliards d’euros de dette à la Cades. À l’époque, la dette n’avait donc pas été transférée à l’État, vous l’avez dit, madame la sénatrice. Je ne tirerai pas forcément les mêmes conclusions que vous de ce fait, mais je vous en rappelle la réalité.
La situation actuelle est exceptionnelle par la soudaineté et l’ampleur de cette crise. Toutefois, comme en 2011, le déficit sans précédent de la sécurité sociale qui s’annonce pour 2020 résultera principalement, vous le savez, d’une contraction de l’assiette de ses recettes.
Certes, la sécurité sociale n’est pas responsable de la crise du covid, pas plus qu’elle ne l’était de la crise de 2008, mais son rôle est de faire face aux besoins liés à cette crise, avec les moyens dont elle dispose.
Ainsi, plutôt que de continuer à financer ces besoins par des emprunts de court terme, d’augmenter les impôts, comme M. le rapporteur l’a évoqué, ou de réaliser des économies immédiates pour limiter la dette, il a été décidé de procéder à un nouveau transfert de dette vers la Cades, dont les conditions de financement sont proches de celles de l’État, je l’ai dit précédemment.
Transférer cette dette à l’État remettrait en cause le principe vertueux du remboursement de la dette et reviendrait à considérer que l’État doit assurer le financement de la sécurité sociale. Surtout, cela reviendrait à changer les règles du jeu, alors même que nous ne sommes pas encore sortis de la crise et que l’instabilité économique est bien réelle.
Enfin, tout en s’engageant à rembourser la dette, le Gouvernement choisit aussi de financer des priorités telles que la dépendance. Il s’agit d’un choix responsable pour l’avenir, puisqu’il assainit durablement la situation financière de la sécurité sociale.
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Nous sommes face à un dogme qui veut que les déficits sociaux soient transférés à une caisse qui en assure l’amortissement avec des recettes sociales. Ce système, en place depuis 1996, correspond à la volonté, que j’ai moi-même souvent défendue ici, de ne pas transmettre notre dette sociale à nos enfants et petits-enfants. Toutefois, en ces circonstances exceptionnelles, n’est-il pas autorisé de s’interroger ? Vous-même, monsieur le rapporteur, écrivez dans votre rapport, à la page 68 : « En soi, une durée de vie de la Cades, désormais fixée à trente-sept ans (entre 1996 et 2033), constitue un véritable échec. »
Nous l’avons déjà dit, la Cades a été créée en 1996 pour treize ans. Elle devait s’éteindre en 2009, mais sa durée de vie a été régulièrement prolongée. Si l’on continue avec les mêmes recettes et les mêmes dispositifs, dans quelques années, des événements ordinaires ou extraordinaires créeront de nouveau un déficit, que nous transférerons à la Cades, ce qui aura pour conséquence d’allonger son existence.
Nous vous suggérons donc, conformément à l’avis d’un certain nombre d’économistes et d’organisations syndicales tout à fait sérieuses, d’examiner cette situation exceptionnelle et de traiter de façon nouvelle la dette sociale, de façon à libérer des recettes sociales – CSG et CRDS –, pour équilibrer une bonne fois pour toutes, au moins tenter d’équilibrer, les comptes de la sécurité sociale, afin que celle-ci soit en mesure de faire face aux nouveaux défis que vous avez, les uns et les autres, mis en évidence ; je pense à l’hôpital, aux nouvelles thérapies et à la cinquième branche.
Je regrette que l’on ne puisse pas élargir la discussion pour sortir du dogme.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 et 3.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 1er bis (nouveau)
I. – Le I de l’article L.O. 111-4 de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La prévision de solde cumulé de l’ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes concourant au financement de ces régimes pour la période allant de l’année en cours aux quatre exercices à venir est positif ou nul. Le rapport présente les moyens et modalités permettant de parvenir à ce résultat. Toutefois, il peut être dérogé à la règle fixée à la première phrase du présent alinéa si le rapport contient une déclaration de situation de circonstances exceptionnelles, en application du IV de l’article 23 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques ; le cas échéant, le rapport précise à l’issue duquel des dix prochains exercices le solde cumulé de l’ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes concourant au financement de ces régimes pour la période allant de l’année en cours audit exercice redeviendra positif ou nul ainsi que les moyens et modalités permettant de parvenir à ce résultat. » ;
2° À la fin du second alinéa, les mots : « relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques » sont remplacées par le mot : « précitée ».
II. – La loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques est ainsi modifiée :
1° L’article 14 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Au plus tard une semaine avant que le Conseil d’État soit saisi du projet de loi de financement de la sécurité sociale de l’année, le Gouvernement transmet au Haut Conseil les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses par branche des régimes obligatoires de base et du régime général, les prévisions de recettes et de dépenses des organismes concourant au financement de ces régimes ainsi que l’objectif national de dépenses d’assurance maladie pour les quatre années à venir. » ;
b) Le second alinéa est ainsi rédigé :
« Le Haut Conseil rend un avis sur l’ensemble des éléments mentionnés au premier alinéa. Cet avis est joint au projet de loi de finances et au projet de loi de financement de la sécurité sociale de l’année lors de leur transmission au Conseil d’État. Il est joint au projet de loi de finances et au projet de loi de financement de la sécurité sociale de l’année déposés à l’Assemblée nationale et rendu public par le Haut Conseil lors de ce dépôt. » ;
2° Le B du IV de l’article 23 est ainsi rédigé :
« B. ― L’article liminaire du premier projet de loi de finances, autre que la loi de règlement, et le rapport prévu à l’article L.O. 111-4 du code de la sécurité sociale annexé au premier projet de loi de financement de la sécurité sociale suivant la publication de cet avis peuvent déclarer une situation de circonstances exceptionnelles ou constater que de telles circonstances n’existent plus. »
III. – Les I et II s’appliquent à partir du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, pour lequel la règle définie au 1° du I concerne les exercices 2024 à 2028.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 4 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 9 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 4.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Le fait de soumettre la sécurité sociale aux règles de discipline budgétaire imposées par le pacte de stabilité dans la zone euro est évidemment un vieux fantasme des libéraux. Il semble que ce fantasme prenne corps aujourd’hui, par le biais de l’article 1er bis, introduit par la droite sénatoriale en commission des affaires sociales.
Sous couvert de bonne gestion de la sécurité sociale, il s’agit d’interdire tout transfert de dettes complémentaires à la Cades. Désormais, non seulement on ferme le robinet à l’arrivée, en plaçant l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie, l’Ondam, sous le niveau des dépenses, mais aussi on met un couvercle sur la sécurité sociale. Ainsi, on est sûr qu’il y aura toujours la même quantité d’eau dans notre pot commun.
Cependant, vous oubliez de mentionner que le tuyau d’arrivée d’eau est percé, puisque, selon la Cour des comptes, les exonérations et les allégements de cotisations sociales ont atteint 90 milliards d’euros en 2020. Dans ces conditions, comment voulez-vous que la sécurité sociale puisse continuer à fonctionner normalement ?
Les parlementaires qui voteront cet article seront tenus pour responsables, je l’ai déjà dit, des fermetures de lits, des fermetures de services et de la dégradation des soins dans leurs territoires. La droite sénatoriale ne semble pas avoir tiré les enseignements de la pandémie de covid-19, qui peut revenir à tout moment.
Vous allez encore plus loin dans les logiques comptables, alors que les Françaises et les Français attendent que l’on remette sur pied l’hôpital et que l’on finance correctement la santé. Ils l’ont dit hier encore en manifestant dans la rue !
Pour notre part, nous refusons une telle logique et demandons la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour présenter l’amendement n° 9.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Une fois n’est pas coutume, le Gouvernement défend la même position que le groupe communiste, mais pour des raisons probablement différentes.
Sur le fond, je le disais dans le cadre de la discussion générale, cette règle d’équilibre est vertueuse. Toutefois, elle nous semble quelque peu prématurée dans un contexte d’incertitude lié à la crise et à l’après-crise, à un moment où la trajectoire pluriannuelle, incertaine, reste encore à construire. Il nous semble en effet que l’adoption d’une règle aussi contraignante et couvrant un champ aussi large pourrait paraître étrange, paradoxale ou prématurée. D’ailleurs, sauf erreur de ma part, dans cet article introduit par la commission, un système permettant d’assouplir la règle en cas de circonstances exceptionnelles est prévu. Il semblerait étrange de modifier une règle qui viendrait à peine d’être adoptée…
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. La commission est bien évidemment défavorable à ces deux amendements identiques. Si nous avons introduit cet article en commission, c’est parce que vous-même, monsieur le secrétaire d’État, aviez prévu un tel mécanisme dans le projet de loi sur les retraites. Il s’agit presque d’une copie conforme ! Ce dispositif vertueux vise à protéger les générations futures.
Selon vous, tout serait déjà inscrit dans les projets de loi de financement de la sécurité sociale. Or les dispositions en vigueur ne sont pas contraignantes. Nous prévoyons un dispositif glissant sur cinq ans. On peut espérer qu’en 2025 nous serons sortis de la crise du financement de la sécurité sociale, c’est du moins ce que, comme nous, vous pensez.
À mes yeux, il n’est ni trop tôt ni trop tard pour mettre enfin en place un système vertueux, assorti d’une règle d’assouplissement à dix ans, au cas où surviendrait de nouveau une crise comme celle que venons de vivre.
Je vous demande, mes chers collègues, de rejeter ces amendements et d’adopter cet article, conforme aux combats menés depuis fort longtemps par la commission et le Sénat.
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Nous n’approuvons pas la mise en place de la règle d’or proposée par la majorité de la commission. Ce dispositif est illusoire.
La sécurité sociale doit être équilibrée par des recettes pérennes, après estimation des dépenses indispensables. Tant que nous n’aurons pas fait collectivement ce travail d’équilibre entre les dépenses et les recettes, nous serons à la merci de déficits nouveaux et d’événements exceptionnels.
L’adoption de la règle d’or ne permettra pas d’éviter de nouveaux déficits. Nous voterons donc les deux amendements identiques de suppression.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je m’étonne que le Gouvernement ne soit pas favorable à notre proposition. Il avait prévu une mesure analogue pour équilibrer le système de retraite, soit plus de 300 milliards d’euros. Or, pour l’assurance maladie, nous parlons de 200 milliards d’euros.
Pourquoi ne pas accepter cette règle vertueuse, qui répondrait en outre aux préoccupations de nos collègues ? En effet, si des déficits peuvent se faire jour certaines années, des gains peuvent apparaître d’autres années. Quand il y a des gains, il convient de ne pas les affecter immédiatement à d’autres dépenses, comme cela a pu être le cas dans le cadre du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui devait être à l’équilibre. Cela signifie donc que ces recettes restent affectées à la branche sur des années glissantes, ce qui permet de dégager des marges de manœuvre.
On le voit bien, même en dehors des périodes de crise, nous ne sommes pas foutus d’équilibrer nos comptes sociaux.
M. Jean-Raymond Hugonet. C’est vrai !
M. René-Paul Savary. Essayons donc de faire des efforts ! Si nous avions fait des économies, sans doute serions-nous moins pénalisés sur le plan financier dans le cadre de la crise mondiale actuelle, qui nous affaiblira beaucoup plus que d’autres pays. À force de jouer les cigales plutôt que les fourmis, nous sommes aujourd’hui contraints d’adopter des règles de conduite un peu plus vertueuses pour l’avenir. C’est la raison pour laquelle nous sommes favorables à la règle d’or.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Ce débat est extrêmement intéressant. Au moment de la sortie de crise, quand le Président Macron déclare que les questions de santé doivent être traitées « quoi qu’il en coûte », la droite sénatoriale répond par l’instauration d’une règle d’or à l’horizon de 2025.
Cette règle est héritée du mécanisme européen de stabilité, qui, on l’a vu, a explosé durant cette crise. S’il ne fonctionne pas, c’est parce qu’il ne répond tout simplement pas aux besoins humains. Tous les pays ont dû investir massivement – vous parlerez d’« endettement » –, pour sauver des vies humaines. Pour la relance économique, il nous faudra encore investir.
Mes collègues Laurence Cohen et Cathy Apourceau-Poly l’ont dit, vous n’évoquez jamais la question des recettes et les 66 milliards d’euros d’exonérations de cotisations. Nous pourrions débattre pendant plusieurs jours du déficit de la sécurité sociale, qui a commencé dans les années 1990, avec les premières exonérations, sous le gouvernement de droite d’Édouard Balladur. Et vous voulez continuer à exonérer, sans jamais vous interroger sur les recettes et les besoins nouveaux de la sécurité sociale !
Le mécanisme que vous souhaitez créer ne fonctionnera de toute façon pas, ou alors, si vous ne voulez pas parler des recettes, il fonctionnera sur le dos des peuples,…
Mme Michelle Meunier. Bien sûr !
M. Fabien Gay. … comme le mécanisme européen, c’est-à-dire à coups de plans d’austérité, de fermetures de lits, de déremboursements. Voilà le débat qu’il faut avoir, jusqu’au bout ! Et voilà à quel prix, nécessairement, vous arriverez à équilibrer les comptes !
Je vous le dis tranquillement : nous avons désormais des débats de comptables et non plus des débats politiques.
Mme Michelle Meunier. Exactement !
M. Fabien Gay. C’est un problème majeur !
Monsieur Savary, il est très intéressant que vous ayez cité l’exemple des retraites. Heureusement que des millions de personnes sont descendues dans la rue pour éviter que nous nous dirigions vers un système universel par points. Dans le cas contraire, que se serait-il passé ? Les pensions de retraite auraient baissé de 11 points pendant cette crise ! Voilà la réalité ! Heureusement que des millions de personnes ont été dans la rue pour éviter ce massacre social !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Sans refaire tout le débat sur les retraites, et au risque de tenir à mon tour un petit discours de comptable – veuillez m’en excuser –, je veux apporter quelques éléments de réponse à M. le rapporteur et à M. le sénateur Savary.
Faire un parallèle ou une comparaison entre la règle que vous proposez et le mécanisme introduit pendant la réforme des retraites ne me semble pas totalement pertinent : il y a une différence de champ et de temps. Ici, le champ est bien plus large. En outre, le mécanisme sur les retraites a été introduit avant cette crise, dont nous ne sommes pas totalement sortis et dont nous savons que les conséquences vont durer plusieurs mois, voire, probablement, plusieurs années. Nous nous retrouvons donc aujourd’hui avec un déficit de 52 milliards d’euros, alors que nous étions à l’équilibre avant la crise. Cela fait quand même des différences assez notables !
Dernier point : vous le savez très bien, pour qu’une règle soit crédible, surtout en matière financière, il faut qu’elle soit stable. Si l’on commence à la remettre en cause le lendemain du jour où on l’a votée, elle ne sera pas considérée comme fiable et ne sera pas viable ; elle perdra toutes ses vertus.
Pour toutes ces raisons, et parce qu’une certaine incertitude règne quant aux trajectoires financières à venir, la proposition du Sénat nous semble un peu prématurée.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. On pourrait dire ça tout le temps !
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.
M. Olivier Henno. Nous voterons cet article. La règle d’or ne préjuge en rien le niveau de protection sociale. Ça n’a rien à voir ! On peut avoir une règle d’or et un très haut niveau de protection sociale, très chers collègues. Il s’agit simplement, quel que soit le niveau de protection sociale, de faire en sorte…
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. … que le budget soit à l’équilibre !
M. Olivier Henno. … que les recettes correspondent aux dépenses. La règle d’or ne veut pas dire que l’on renonce à des recettes, en aucun cas ; elle signifie que l’on renonce à la facilité consistant à transférer sur les générations futures des dépenses qui concernent notre santé, nos soins, nos retraites, notre fonctionnement, facilité qui n’incite pas à faire des choix responsables.
La règle d’or n’est rien d’autre qu’un objectif d’équilibre entre les dépenses et les recettes. Une telle règle, je le répète, ne préjuge en rien un faible niveau de protection sociale. L’argumentaire que vous venez de développer, permettez-moi de le dire, n’a aucun sens.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Je veux dire un mot à l’adresse de mon ami Yves Daudigny.
Nous sommes allés en Allemagne pour regarder comment fonctionnait le système d’assurance maladie. Là-bas, la règle d’or existe : c’est une règle d’équilibre par caisse et, donc, par Land. Regardez l’Allemagne : ça n’a pas si mal fonctionné !
Je sais que l’État va compenser les déficits : leur règle d’or le prévoit. Nous ne pouvons certes pas copier cette organisation, puisque notre décentralisation n’est pas celle de l’Allemagne ; reste qu’une telle règle pourrait être vertueuse pour notre système social.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 et 9.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRCE.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 129 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Pour l’adoption | 109 |
Contre | 228 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’article 1er bis.
(L’article 1er bis est adopté.)
Article 2
La section 1 du chapitre Ier bis du titre Ier du livre Ier du code de la sécurité sociale est ainsi modifiée :
1° L’article L.O. 111-3 est ainsi modifié :
a) À la fin de la dernière phrase du 3° du D du I, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « trois » ;
b) (Supprimé)
2° Le III de l’article L.O. 111-4 est ainsi modifié :
a) L’avant-dernière phrase du 7° est supprimée ;
b) Après le même 7°, il est inséré un 7° bis ainsi rédigé :
« 7° bis Présentant, pour le dernier exercice clos, l’exercice en cours et l’exercice à venir, les dépenses et les prévisions de dépenses de sécurité sociale relatives à l’aide à l’autonomie des personnes âgées et des personnes en situation de handicap, en analysant l’évolution des prestations financées ainsi que celles consacrées à la prévention, à l’apprentissage de l’autonomie et à la recherche. Cette annexe indique également l’évolution de la dépense nationale en faveur de l’aide à l’autonomie ainsi que les modes de prise en charge de cette dépense ; ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 5, présenté par MM. Théophile, Lévrier, Iacovelli, Bargeton et Buis, Mme Cartron, M. Cazeau, Mme Constant, MM. de Belenet, Dennemont, Gattolin, Hassani, Haut, Karam, Marchand, Mohamed Soilihi, Patient, Patriat et Rambaud, Mme Rauscent, M. Richard, Mme Schillinger, M. Yung et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rétablir le b dans la rédaction suivante :
b) Le 5° du B du V est ainsi rédigé :
« 5° Ayant un effet sur la dette des régimes obligatoires de base, l’amortissement et les conditions de financement de cette dernière, ainsi que les mesures relatives à la mise en réserve de recettes au profit des régimes obligatoires de base et à l’utilisation de ces réserves, à la condition que ces dernières opérations aient une incidence sur les recettes de l’année ou, si elles ont également une incidence sur les recettes des années ultérieures, que ces opérations présentent un caractère permanent. » ;
La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Cet article vise à modifier le cadre organique des lois de financement de la sécurité sociale en matière d’information du Parlement et de mesures relatives à la dette. Nous soutenons, je l’ai déjà dit, la reprise d’une partie de la dette des hôpitaux par la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la Cades. Nous considérons en effet que la dette des hôpitaux et la dette sociale ne sont pas antinomiques ; tel est d’ailleurs l’objet d’un amendement que nous avons déposé sur le projet de loi ordinaire, dont nous débattrons dans un instant.
Si la volonté première de la majorité sénatoriale est de circonscrire cette dette à une dette patrimoniale – elle serait constituée en grande partie par des investissements immobiliers –, il faut le dire, ces investissements ne sont pas uniquement immobiliers ; durant des années, les établissements de santé ont été encouragés à emprunter auprès des banques pour financer leurs besoins.
Le Gouvernement a par ailleurs rappelé que cette dette représentait également la conséquence d’un Ondam contraint pendant des années – nous le constatons à chaque exercice – par la maîtrise médicalisée. Aussi, ce transfert intervenant dès 2021, les établissements de santé retrouveront rapidement des marges de manœuvre indispensables pour réinvestir au bénéfice de la santé de nos concitoyens.
Il est donc de bon sens, nous semble-t-il, de réintégrer cette reprise de dette des établissements de santé. Cet amendement vise, à cet effet, à rétablir deux alinéas portant sur une clarification de la nature des dispositions facultatives des lois de financement de la sécurité sociale relatives à la dette sociale, en indiquant que ces dispositions doivent avoir un effet sur la dette des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et sur son amortissement.
Nous restons ainsi dans la cohérence des positions que j’ai développées par ailleurs.
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rétablir le b dans la rédaction suivante :
b) Le 5° du B du V est ainsi rédigé :
« 5° Ayant un effet sur la dette des régimes obligatoires de base, l’amortissement et les conditions de financement de cette dernière, ainsi que les mesures relatives à la mise en réserve de recettes au profit des régimes obligatoires de base et à l’utilisation de ces réserves, à la condition que ces dernières opérations aient une incidence sur les recettes de l’année. » ;
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Ces amendements visent à élargir le périmètre des lois de financement de la sécurité sociale à la prise en charge de la dette hospitalière.
En commission, nous avons exclu de l’article 1er du projet de loi ordinaire des dotations destinées à permettre à la CNAM d’assurer la reprise d’une partie de cette dette. Cette position sera réitérée lors de l’examen du projet de loi ordinaire, dans quelques instants. Par cohérence, il convient de ne pas rétablir l’extension proposée du périmètre des LFSS, qui avait pour justification ces transferts. L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 5 ?
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Le Gouvernement tente de faire payer aux hôpitaux l’effacement de leur dette. Il faut le rappeler, la dette des hôpitaux est liée à leurs dépenses d’investissement, qui peuvent être des dépenses de matériel technologique ou des dépenses immobilières. Cette dette est donc liée aux insuffisances des investissements consentis par les gouvernements successifs, l’actuel gouvernement notamment, pour financer l’hôpital.
Aujourd’hui, le Gouvernement accuse le Sénat, et sa commission des affaires sociales, de remettre en cause la reprise de la dette des hôpitaux. Je lis l’objet de l’amendement n° 7 : « Supprimer la reprise de dette des hôpitaux telle que prévue par ces projets de loi reviendrait à remettre en cause un engagement fort du Gouvernement. » C’est un chantage qui nous est fait !
Le Premier ministre – je l’avais souligné dans mon propos liminaire – s’était engagé, en novembre dernier, à reprendre un tiers de la dette des hôpitaux ; il faut qu’il tienne parole ! Or, aujourd’hui, vous vous défaussez. L’État ne veut pas prendre en charge cette dette. Nous sommes nombreux à aller visiter les établissements hospitaliers de nos territoires et à constater les dégâts, en termes de vétusté notamment.
Il serait d’ailleurs extrêmement intéressant que nous ayons un jour une discussion, dans cet hémicycle, sur la question de savoir s’il est juste que tout ce qui relève des charges immobilières incombe au budget de l’hôpital.
M. Philippe Mouiller. Bonne question !
M. René-Paul Savary. Nous avions proposé de revenir sur cette situation !
Mme Laurence Cohen. Il existe entre nous, me semble-t-il, mes chers collègues, un consensus assez large sur cette question, mais le Gouvernement ne veut pas de ce débat – c’est bien dommage !
Je pose de nouveau la question : pourquoi la sécurité sociale devrait-elle prendre en charge cette dette de 13 milliards d’euros ? À l’heure où nous attendons des réponses fortes pour les personnels soignants et pour le service public hospitalier, qui a pour le moins démontré son efficacité pendant la crise, vous envoyez, monsieur le secrétaire d’État, un très mauvais signal avec cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.
Mme Catherine Deroche. À l’origine, monsieur le secrétaire d’État, votre texte ne prévoyait cette reprise de dette que pour les établissements publics. Le Conseil d’État, le 26 mai dernier, a estimé que les dispositions en cause créaient une inégalité de traitement au détriment des établissements privés exerçant une mission de service public, les Espic. Vous en avez tenu compte, dont acte ! Mais le montant reste inchangé ; en outre, les ARS peuvent flécher librement les crédits et décider quels établissements seront concernés.
Je souhaite relayer les inquiétudes d’établissements comme les centres de lutte contre le cancer, qui m’ont alertée sur ce sujet : ils craignent qu’à montant inchangé les ARS privilégient certains établissements par rapport à d’autres et que la réponse à l’inégalité de traitement observée par le Conseil d’État soit biaisée.
J’avais déposé un amendement sur ce sujet ; il est devenu sans objet, puisque nous avons modifié le système de reprise de dette. Je tenais néanmoins à relayer les inquiétudes qui se sont exprimées.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Sur les 13 milliards d’euros de dette des hôpitaux publics, les deux tiers, soit 10 milliards d’euros, correspondent à des investissements immobiliers. Les 3 milliards d’euros restants sont sans doute dus aux dépenses liées à la gestion de l’épidémie de covid-19 : salaires, achats de masques, de mobiliers… La dette consécutive à ces dépenses peut en effet à bon droit être reprise par la Cades ; mais le reste me semble plutôt du ressort du budget de l’État, comme cela a déjà été dit.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez dit que tout ce qui est du domaine du PLFR doit relever du PLFR et que tout ce qui est du domaine du PLFSS doit relever du PLFSS. Dans ce cas, expliquez-moi pourquoi on intègre dans la dette le déficit d’un régime spécial de retraite des fonctionnaires.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je veux faire un rapide rappel historique. Il y a dix ans, avec le sénateur socialiste d’Ille-et-Vilaine Jacky Le Menn, nous avions commis un rapport sur les ARS, la T2A et la dette des hôpitaux. À l’époque, nous avions proposé que la dette des hôpitaux ne soit plus prise en charge par l’assurance maladie, à l’instar de ce qui se passe pour l’éducation nationale, qui ne paie pas les écoles, les collèges ou les lycées. Depuis lors, une loi de privatisation de la SNCF a été votée, et l’État a repris à son compte l’intégralité de la dette de la SNCF.
Quand j’ai entendu les annonces de Mme la ministre sur la reprise d’un tiers de la dette des hôpitaux, j’ai été particulièrement déçu : c’est l’intégralité de cette dette qu’il faut reprendre. Quand j’ai constaté qu’en définitive cette dette était reprise par la Cades, j’ai été plus déçu encore : ce n’est pas à la politique sociale de rembourser l’immobilier, qui est propriété de l’État ; en la matière, il faudrait suivre la règle qui prévaut pour l’éducation nationale et qui a prévalu pour la SNCF.
Je ne voterai évidemment pas ces amendements, et je suivrai notre rapporteur. Je vous demanderai même, monsieur le secrétaire d’État, d’aller plus loin : ne vous contentez pas de reprendre 11 milliards d’euros de dette ; reprenez l’intégralité de cette dette ! (Mme Catherine Deroche et M. Philippe Mouiller applaudissent.)
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 8, première phrase
Supprimer les mots :
ainsi que celles consacrées à la prévention, à l’apprentissage de l’autonomie et à la recherche
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Le projet de loi organique prévoit qu’une nouvelle annexe au PLFSS permettra d’intégrer au texte la présentation des dépenses relatives à l’aide à l’autonomie des personnes âgées et des personnes en situation de handicap.
La commission des affaires sociales de votre assemblée a adopté un amendement visant à compléter ces dispositions organiques pour que l’annexe fasse figurer les dépenses relatives à la prévention, à l’apprentissage de l’autonomie et à la recherche. Il s’agit évidemment d’enjeux majeurs – nous ne pouvons que vous rejoindre sur ce point –, qui pourront être abordés en tant que de besoin dans cette nouvelle annexe, dont le contenu pourra évoluer.
Mais, d’une part, ces enjeux doivent également être traités de manière transversale ; les dépenses de prévention, par exemple, ne sont pas toujours spécifiques à l’aide à l’autonomie, vous le savez, et il sera très difficile de différencier ces dépenses de prévention de celles qui relèvent du domaine de la santé notamment.
D’autre part, il nous semble peu opportun de prédéterminer aussi précisément au niveau organique le contenu de l’annexe. En effet, le périmètre de l’annexe sera en cohérence avec le périmètre de la branche, qui doit faire l’objet d’un rapport remis au Parlement et d’un débat lors de l’examen du prochain PLFSS.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Avis défavorable.
Il s’agit de précisions qui ont été apportées en commission. Je pense que M. Philippe Mouiller serait mécontent si nous émettions un avis favorable sur cet amendement de M. le secrétaire d’État. (Sourires.)
M. Philippe Mouiller. Tout à fait ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble du projet de loi organique.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 130 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 314 |
Pour l’adoption | 228 |
Contre | 86 |
Le Sénat a adopté.
Nous passons à l’examen, dans le texte de la commission, du projet de loi relatif à la dette sociale et à l’autonomie.
projet de loi relatif à la dette sociale et à l’autonomie
Article 1er
Le II septies de l’article 4 de l’ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale est ainsi rétabli :
« II septies. – A. – La couverture des déficits cumulés au 31 décembre 2019 de la branche mentionnée au 1° de l’article L. 200-2 du code de la sécurité sociale et du fonds mentionné à l’article L. 135-1 du même code est assurée par des transferts de la Caisse d’amortissement de la dette sociale à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale.
« La couverture des déficits cumulés au 31 décembre 2019 de la branche mentionnée au 3° de l’article L. 722-8 du code rural et de la pêche maritime est assurée par des transferts de la Caisse d’amortissement de la dette sociale à la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole.
« La couverture des déficits cumulés au 31 décembre 2019 du régime de retraite géré par la caisse mentionnée à l’article 3 de l’ordonnance n° 45-993 du 17 mai 1945 relative aux services publics des départements et communes et de leurs établissements publics est assurée par des transferts à cette caisse de la Caisse d’amortissement de la dette sociale.
« Les transferts mentionnés aux trois premiers alinéas du présent A assurent la couverture des déficits mentionnées aux mêmes trois premiers alinéas dans la limite de 31 milliards d’euros et sont effectués au plus tard le 30 juin 2021.
« Les dates et montants de ces versements, dont le premier intervient avant le 31 juillet 2020, sont fixés par décret.
« B. – La couverture des déficits cumulés des exercices 2020 à 2023 des branches mentionnées aux 1°, 3° et 4° de l’article L. 200-2 du code de la sécurité sociale et du fonds mentionné à l’article L. 135-1 du même code est assurée par des transferts de la Caisse d’amortissement de la dette sociale à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale.
« La couverture des déficits cumulés des exercices 2020 à 2023 de la branche mentionnée au 3° de l’article L. 722-8 du code rural et de la pêche maritime est assurée par des transferts de la Caisse d’amortissement de la dette sociale à la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole.
« Les transferts prévus aux deux premiers alinéas du présent B assurent la couverture des déficits mentionnés aux mêmes deux premiers alinéas dans la limite de 92 milliards d’euros.
« Les versements interviennent chaque année à compter de 2021. Leurs dates et montants sont fixés par décret.
« Dans le cas où le montant des déficits cumulés des exercices 2020 à 2023 excède 92 milliards d’euros, les transferts sont affectés par priorité à la couverture de la dette ou des déficits les plus anciens et, pour le dernier exercice, dans l’ordre fixé aux mêmes deux premiers alinéas.
« C. – (Supprimé)
« D. – Le montant total des versements réalisés par la Caisse d’amortissement de la dette sociale en application des A et B du présent II septies ne peut excéder 40 milliards d’euros par an. Les transferts couvrent par priorité les déficits mentionnés au A, puis les déficits mentionnés au B, dans les conditions prévues au dernier alinéa du même B.
« E. – (Supprimé)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, sur l’article.
Mme Michelle Gréaume. L’article 1er prévoit un transfert de dette d’un montant global de 136 milliards d’euros à la Cades. Je pense, mes chers collègues, qu’il est temps que le Gouvernement explique aux Français ce qu’est véritablement la dette sociale. Cela évitera des transferts abusifs de dettes qui devraient en réalité être prises en charge par l’État.
Ces 136 milliards d’euros ne représentent pas une dette sociale, en effet, mais une dette en partie liée à la crise sanitaire de la covid-19, crise qui a été gérée par le Gouvernement par le biais d’ordonnances. Cette dette signifie aussi des déficits futurs, puisqu’on y insère l’investissement des établissements de santé, qui aurait dû apparaître dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative. N’oublions pas également que les déficits des branches, qui existaient avant la covid-19, sont les conséquences de choix politiques : primes « gilets jaunes » notamment, mais surtout exonérations de charges sociales non compensées par l’État.
Rétablir clairement la distinction entre la dette sociale et la dette de l’État empêchera ce mécanisme de culpabilisation, avec un « trou de la sécu » qu’il faudrait absolument combler, et ce au prix d’une perte de droits pour les assurés sociaux et d’un affaiblissement de la sécurité sociale.
En transférant ce montant à la Cades, ce sont près de 18 milliards d’euros de recettes par an dont nous nous privons, sommes qui auraient pu être utilisées dès 2024 pour financer les hôpitaux et la dépendance. Il est trop facile d’inclure dans la dette sociale des charges qui devraient être assumées par l’État et de s’en servir ensuite comme justificatif afin de réduire les dépenses de la sécurité sociale sous prétexte que les recettes sont insuffisantes.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 4 est présenté par M. Daudigny, Mmes Meunier et Taillé-Polian, M. Kanner, Mmes Cabaret, Féret et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 5 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Yves Daudigny, pour présenter l’amendement n° 4.
M. Yves Daudigny. En cohérence avec les avis que nous avons exprimés depuis le début de cette discussion, nous sommes contre le transfert de plus de 130 milliards d’euros de dette à la Cades. Nous pensons que ce transfert met en danger la sécurité sociale pour les années à venir et obère sa capacité à relever les nouveaux défis auxquels elle fait face.
Nous insistons également sur le fait que la majeure partie de ce montant n’est pas une dette sociale en tant que telle et ne saurait donc relever du budget de la sécurité sociale. Même si nous avons parfois approuvé certaines des mesures d’urgence, nous ne voulons pas faire payer par la sécurité sociale ces mesures, qui relèvent des choix politiques que le Gouvernement a effectués en lien avec la pandémie de covid-19.
Nous proposons donc la suppression de l’article 1er.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 5.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous venons de discuter de ces dispositions lors de l’examen de l’article 1er du projet de loi organique. Je voudrais néanmoins revenir un instant sur le transfert à la Cades de 136 milliards d’euros, réduits à 123 milliards en retirant 13 milliards de dette de nos hôpitaux. Ce point est, nous semble-t-il, fondamental.
Au-delà de la question de savoir si la bonne gestion devrait conduire à faire porter cette dette par l’État plutôt que par la sécurité sociale, c’est une répartition des responsabilités qui est ici remise en cause. En effet, les travaux immobiliers et les investissements de rénovation afférents ont jusqu’à présent toujours relevé du budget de l’État.
Soit le Gouvernement décide aujourd’hui de transférer cette dette à la sécurité sociale, mais, dans ce cas, il transfère les compétences et surtout les dotations correspondantes ; soit le Gouvernement ne transfère pas ces compétences, mais, dans ce cas, il assume le remboursement de la dette liée aux investissements. Vous ne pouvez pas décider de faire payer à la sécurité sociale les dépenses liées à une mission qui ne relève pas de sa compétence.
Votre projet n’a absolument aucune logique, car nous savons votre cruelle intention : en transférant à la sécurité sociale une dette aussi importante à rembourser, vous faites le pari que les efforts pour rembourser la dette, en réduisant le périmètre de la sécurité sociale, permettront de justifier vos politiques d’austérité futures et, ainsi, vos contre-réformes, celle des retraites par points par exemple, ainsi que les fermetures d’hôpitaux, les fermetures de services et la diminution des prestations sociales.
Alors que s’achève bientôt le Ségur de la santé, j’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous avez eu le courage de dire aux représentants des professionnels de santé que leurs conditions de travail vont encore se dégrader dans les prochaines années en raison de cette dette à rembourser.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 1er.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. La commission est défavorable à ces amendements. Les nouveaux transferts à la Cades de déficits passés et à venir sont nécessaires à court terme pour soulager la trésorerie de l’Acoss, et à moyen terme pour ne pas transmettre notre dette sociale aux générations futures.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Nous avons déjà eu ce débat : avis défavorable, pour les raisons exposées par M. le rapporteur.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 et 5.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Je l’ai indiqué, l’article 1er vise à prévoir un transfert de dette d’un montant global de 136 milliards d’euros à la Caisse d’amortissement de la dette sociale. Sur ces 136 milliards d’euros, 1,2 milliard d’euros proviennent du déficit cumulé de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), qui régit notamment le régime spécial des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers.
La solution proposée par le Gouvernement pour financer ce déficit est donc de le faire reprendre par la Cades. Mais si le déficit de la CNRACL a été aggravé, c’est bien parce que les gouvernements successifs ont décidé de geler le point d’indice des fonctionnaires et de ne pas remplacer les départs à la retraite. Comment renflouer la CNRACL si la masse salariale diminue ? Il suffirait de répondre aux revendications du personnel soignant, qui réclame une augmentation des salaires et davantage d’effectifs.
Là encore, ce n’est pas à la sécurité sociale de prendre en charge ce déficit ; c’est à l’État de l’assumer en projet de loi de finances.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable. La reprise des dettes de la CNRACL s’inscrit parfaitement dans les missions de la Cades.
Cela étant, le Gouvernement pourrait peut-être nous apporter quelques précisions sur la trajectoire financière de la CNRACL et nous dire pourquoi elle n’est pas concernée par les reprises de dettes pour les années 2020 à 2023.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, pour les raisons qui ont été exposées par M. le rapporteur.
En qui concerne la CNRACL, les prévisions de juin 2020 laissent anticiper un déficit de 1,6 milliard d’euros pour 2020 et de 2,2 milliards d’euros pour 2021, soit des niveaux de déficit relativement proches de ce qui était envisagé dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, les projections s’établissant à l’époque à 1,3 milliard d’euros pour 2020 et à 1,6 milliard d’euros pour 2021.
La loi prévoit bien la reprise de la dette antérieure de l’ensemble des régimes, incluant le déficit courant de la CNRACL. La dette de la CNRACL pour les années à venir n’a rien à voir avec la crise du covid-19. Ainsi, avant même cette crise, il était prévu que la dette atteindrait 2,9 milliards d’euros en 2021 et 7,1 milliards d’euros en 2022, selon des projections qui datent de juin 2019.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Tout cela montre bien que ce transfert à la Cades est un fourre-tout, dans lequel vous mettez, monsieur le secrétaire d’État, ce que vous voulez ! (Mme Michelle Gréaume approuve.)
On sait bien que la CNRACL connaît des difficultés en raison de la baisse du nombre de fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. Il y a moins de cotisants, mais toujours plus de retraités.
Ces difficultés sont aussi la conséquence de la politique de non-revalorisation indiciaire et d’attribution de primes ne donnant pas lieu à cotisation pour la retraite et donc n’ouvrant pas de droits à ce titre.
Monsieur le secrétaire d’État, la CNRACL prévoit un déficit estimé à 1,6 milliard d’euros pour 2020. Pourquoi ne reprenez-vous que 1,2 milliard d’euros, sachant que la trajectoire financière de la CNRACL pour 2020-2023 montre que son déficit total s’établira à 11 milliards d’euros sur cette période ?
Mme Michelle Gréaume. Oui !
M. René-Paul Savary. Pourquoi ne pas reprendre l’intégralité de la dette prévisionnelle, puisque, sur les 136 milliards d’euros de dette devant être transférés à la Cades, la dette prévisionnelle représente 92 milliards d’euros ? Il y a une incohérence !
Idem pour la dette des hôpitaux : vous prévoyez son amortissement sur douze ans par le biais de la Cades, mais c’est de l’investissement pour une génération, à l’horizon de vingt-cinq ou trente ans. Les investissements hospitaliers relèvent de l’État, et non de la Cades. Et pourquoi seulement un tiers ? Je suis d’accord avec le président Milon : si votre solution est si avantageuse, si elle permet de donner une bouffée d’oxygène aux hôpitaux, reprenez la totalité de la dette ! Il y a quelque chose qui ne va pas, de même que pour la modification du périmètre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il y a là une terrible confusion !
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. On mesure tout le travail réalisé par la commission des affaires sociales. Il est question ici du transfert de 136 milliards d’euros de dette à la Cades. Comment nos concitoyens peuvent-ils s’y retrouver dans des mécanismes aussi complexes ? L’aspect financier est important, mais le volet humain est fondamental. Nous savons quelle est la situation des hôpitaux et des Ehpad, quels drames vivent les soignants depuis de nombreuses années. Les problèmes ne datent pas d’il y a quelques mois !
La situation des finances publiques est difficile, mais il importe d’avancer des propositions et de trouver des solutions. Faisant confiance au travail de la commission, je me rallie à sa position.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. La reprise de la dette dont nous parlons est liée à la crise du covid-19 et à la situation économique du pays, alors que le déficit de la CNRACL est structurel, monsieur le sénateur Savary.
M. René-Paul Savary. Pourquoi les autres organismes sont-ils pris en compte, alors ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. La question que vous soulevez est réelle et elle doit être traitée, mais pas au travers de ce texte. La cohérence est totale. (M. René-Paul Savary manifeste son scepticisme.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. C’est la règle, monsieur Savary : les régimes déficitaires sont compensés par le régime général ou d’autres régimes. Il y aura des déficits tant que le régime de la CNRACL ne sera pas structurellement équilibré.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 13 est présenté par MM. Théophile, Lévrier, Iacovelli, Bargeton et Buis, Mme Cartron, M. Cazeau, Mme Constant, MM. de Belenet, Dennemont, Gattolin, Hassani, Haut, Karam, Marchand, Mohamed Soilihi, Patient, Patriat et Rambaud, Mme Rauscent, M. Richard, Mme Schillinger, M. Yung et les membres du groupe La République En Marche.
L’amendement n° 16 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I – Alinéa 12
Rétablir le C dans la rédaction suivante :
« C. – La couverture de dotations de la branche mentionnée au 1° de l’article L. 200-2 du code de la sécurité sociale couvrant une partie, qui ne peut excéder 13 milliards d’euros, des échéances des emprunts contractés au 31 décembre 2019 par les établissements de santé relevant du service public hospitalier est assurée par des transferts de la Caisse d’amortissement de la dette sociale à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, à compter de 2021.
II. – Alinéa 13
1° Première phrase
Remplacer les mots :
A et B
par les mots :
A, B et C
2° Seconde phrase
Après le mot :
puis
insérer les mots :
les dotations mentionnées au C, dans la limite de 5 milliards d’euros par an, et enfin
La parole est à M. Dominique Théophile, pour présenter l’amendement n° 13.
M. Dominique Théophile. Cet amendement vise à rétablir le transfert à la Cades d’une partie de la dette des hôpitaux, pour les raisons que j’ai déjà évoquées. La dette des hôpitaux n’est pas que patrimoniale. Ce transfert serait une bouffée d’oxygène pour les hôpitaux, qui se trouvaient contraints d’emprunter ces dernières années, du fait notamment d’un Ondam contraint. Il y a une « fenêtre de tir », dont il importe de profiter. Sortons de la dialectique État-Cades.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour présenter l’amendement n° 16.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Avis défavorable. Tout a déjà été dit sur la dette hospitalière.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 13 et 16.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 1er bis
(Non modifié)
Au plus tard le 31 décembre 2020, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les opportunités pour la Caisse d’amortissement de la dette sociale ainsi que pour tout organisme ou établissement public concerné de contracter des emprunts à impact social. Ce rapport précise les conditions juridiques et financières nécessaires pour émettre de tels emprunts dans le respect des standards internationaux les plus exigeants ainsi qu’un état des lieux sur la situation du marché et l’appétence des investisseurs pour ce type de produits financiers. – (Adopté.)
Article 2
(Non modifié)
I. – L’article L. 131-8 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Le 3° est ainsi modifié :
a) Au c, le taux : « 0,60 % » est remplacé par le taux : « 0,45 % » ;
b) Le f est ainsi rédigé :
« f) À la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, pour la part correspondant à un taux de :
« – 0,38 %, pour la contribution mentionnée au 1° du I de l’article L. 136-8 ;
« – 0,15 %, pour les contributions mentionnées aux II, III et III bis du même article L. 136-8 ; »
2° Le 3° bis est ainsi modifié :
a) À la fin du b, le taux : « 0,60 % » est remplacé par le taux : « 0,45 % » ;
b) Il est ajouté un c ainsi rédigé :
« c) À la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, pour la part correspondant à un taux de 0,15 % ; ».
II. – Le présent article entre en vigueur le 1er janvier 2024.
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par Mmes Apourceau-Poly et Cohen, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. L’article 2 vise à transférer 0,15 point de CSG, jusqu’ici affecté au remboursement de la dette sociale, à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) pour financer la perte d’autonomie. Cela pose plusieurs problèmes à nos yeux.
La contribution sociale généralisée remet en cause les fondements du financement de notre système de protection sociale par la cotisation sociale. La philosophie originelle de la sécurité sociale telle qu’elle a été créée en 1945 voulait qu’une part socialisée du salaire soit mutualisée entre les salariés pour répondre aux besoins sociaux : prise en charge des dépenses nécessaires pour se soigner ou demeurer en bonne santé, versement des allocations familiales ou des pensions de retraite. Voilà pourquoi nous sommes opposés, depuis sa création, à la CSG, qui a connu un développement exponentiel.
Selon l’annexe 4 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, le rendement de la CSG sera de 102 milliards d’euros en 2020, dont près de 68 milliards d’euros prélevés sur les salaires et 22 milliards d’euros sur les pensions de retraite, les 10 milliards d’euros restants provenant essentiellement des placements financiers et des prélèvements sur le patrimoine. On voit donc bien l’injustice du recours à la CSG, qui revient à faire financer la future branche perte d’autonomie uniquement par les salariés et les retraités. Il s’agit d’une véritable question de justice sociale.
Pour notre groupe, améliorer la prise en charge de la perte d’autonomie suppose de mobiliser les moyens nécessaires en trouvant de nouvelles recettes pour la sécurité sociale. Or la majorité sénatoriale et le Gouvernement rejettent nos propositions.
En l’état, ce projet de loi va aggraver la déstabilisation de la sécurité sociale, dégrader les prestations sociales et augmenter le reste à charge pour les familles.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Avis défavorable. Comme vous, nous attendons plus de moyens pour la prise en charge de la dépendance. Ici, il s’agit d’y affecter 0,15 point de CSG à partir de 2024, tout en assurant l’amortissement de la dette de la Cades. Il y a un équilibre à trouver, mais je suis totalement d’accord avec vous, madame Cohen, sur le fait qu’il nous faudra trouver d’autres moyens pour assurer le financement de la nouvelle branche.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Avis défavorable. En supprimant cet article, on supprimerait le financement de la branche autonomie à partir de 2024.
Je m’étonne de vos propos, madame Cohen, car la CSG porte également sur le capital, et pas uniquement sur le travail.
L’article 2 vise à affecter 0,15 point de CSG à la CNSA à compter de 2024 de façon pérenne, soit plus de 2 milliards d’euros. Comme je l’ai souligné lors de la discussion générale, une conférence de financement a été mise en place afin d’identifier les sources de financement devant être mobilisées pour couvrir les besoins liés à l’accompagnement de la perte d’autonomie à compter de 2021 et jusqu’à 2024. À ce stade, toutes les options sont sur la table. Olivier Véran s’est d’ores et déjà engagé à consacrer dès 2021 une ressource supplémentaire de 1 milliard d’euros au financement de la prise en charge de l’autonomie, mais je ne veux pas anticiper sur l’issue de la conférence de financement ni sur les débats que vous aurez lors de l’examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Nous abordons la question majeure de la prise en charge de la perte d’autonomie au détour d’un amendement qui a été présenté à l’Assemblée nationale. Tout cela se fait de manière extrêmement précipitée, avec un refus de discuter au fond.
Notre amendement est cohérent avec la position que j’ai rappelée lors de la discussion générale : nous ne sommes pas pour la création d’une cinquième branche, nous sommes contre un financement par la CSG ou quelque impôt que ce soit, nous sommes pour un pôle public de la prise en charge de la dépendance financé par les cotisations sociales.
Il existe entre nous un désaccord de fond, mais il n’en demeure pas moins que nos amendements sont cohérents : c’est projet contre projet. La prise en charge de la perte d’autonomie relève d’un projet de société.
M. le président. La parole est à M. Bernard Bonne, pour explication de vote.
M. Bernard Bonne. Je voterai contre cet amendement, mais je regrette que ce 0,15 point de CSG ne soit pas affecté dès 2021 à la prise en charge de la perte d’autonomie. Il est question d’y consacrer 1 milliard d’euros supplémentaires à partir de 2021 : c’est notoirement insuffisant. Pourquoi attendre 2024 ? Interrogé à ce propos, le président de la Cades nous a répondu que cela repousserait d’une année supplémentaire l’apurement de la dette. Mais, eu égard au montant de celle-ci, à ce que l’on y ajoute aujourd’hui et à ce que l’on y ajoutera demain, on se demande jusqu’à quelle échéance s’étendra son remboursement ! Il risque fort de peser sur plusieurs générations…
Il aurait peut-être été souhaitable de prolonger le remboursement d’une année supplémentaire, jusqu’à 2034, et d’affecter immédiatement 0,15 point de CSG, voire un peu plus, à la prise en charge de la perte d’autonomie.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article additionnel après l’article 2
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 14-10-4 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Le 1° bis est abrogé ;
2° Le 4° est rétabli dans la rédaction suivante :
« 4° Une contribution de solidarité des actionnaires d’un taux de 2 % sur l’ensemble des dividendes des entreprises ; ».
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Les aînés sont de plus en plus nombreux et les besoins en matière de prise en charge de la perte d’autonomie croissent mécaniquement.
Toutefois, le Gouvernement ne cherche pas à élargir l’assiette des contributions pour financer cette prise en charge, si ce n’est en ponctionnant les premiers intéressés, comme avec la CSG, qui grève les revenus des retraités eux-mêmes, au rebours de toute solidarité intergénérationnelle. Or aujourd’hui, plus que jamais, le système, qu’il s’agisse des aides à domicile, des Ehpad ou des familles des personnes âgées, est à bout de souffle.
Si, sur le principe, le groupe CRCE a toujours été opposé à la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (CASA), c’est parce que nous estimons que ce n’est pas aux seuls retraités de payer. De l’argent, il y en a : il suffit de se donner les moyens d’aller le chercher !
Par cet amendement, nous réclamons donc la création, en lieu et place de la CASA, d’une contribution de solidarité des actionnaires, représentant 2 % des dividendes perçus. Cette contribution viendrait abonder la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie à hauteur de près de 1 milliard d’euros. Cette somme permettrait d’assurer une revalorisation des tarifs de l’aide à domicile, pour tendre vers 25 euros de l’heure. Les structures de soins et d’aide à domicile connaissent une véritable situation de crise et nous appellent au secours. Il y a urgence, sachant que la proportion des plus de quatre-vingts ans dans la population quadruplera d’ici à 2030. La solidarité n’existe que si elle est intergénérationnelle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable. Il faut un plan d’ensemble, beaucoup plus global que la simple instauration d’une contribution des actionnaires, pour le financement de la dépendance. Ce sera l’enjeu du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale et, auparavant, du rapport.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 3
I. – L’article L. 135-6 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Le I est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« À compter de 2025, le fonds verse chaque année à la Caisse d’amortissement de la dette sociale, dans la limite des réserves du fonds et de la durée nécessaire à l’apurement de la dette afférente aux déficits des organismes mentionnés au deuxième alinéa du présent I, 1,45 milliard d’euros au titre du financement de l’amortissement de cette dette résultant des exercices postérieurs à 2018. Ce versement est réalisé dans les conditions prévues au troisième alinéa du présent I. » ;
1° bis (nouveau) Au II, les mots : « au dernier alinéa » sont remplacés par les mots « aux deux derniers alinéas » ;
2° Le III est abrogé.
II. – Un montant égal à la partie de la contribution mentionnée au III de l’article L. 135-6 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction antérieure à la présente loi est versé, au plus tard le 31 juillet 2020, à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale pour le compte de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Le montant versé est communiqué sans délai aux commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des affaires sociales et des finances.
Le montant versé en application du présent II constitue, pour son montant total, un produit de l’exercice 2020 de la Caisse nationale d’assurance vieillesse.
III. – Au 4° de l’article 6 de l’ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale, les mots : « au dernier alinéa » sont remplacées par les mots : « aux deux derniers alinéas ».
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote sur l’article.
M. René-Paul Savary. Je voterai l’article 3, mais je souhaite attirer votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur le Fonds de réserve pour les retraites, le FRR, objet d’un véritable détournement de fonds…
À l’origine, ne l’oublions pas, le FRR a été créé pour assurer la couverture des déficits anticipés des régimes de retraite à l’horizon de 2020-2030 en raison de la bosse démographique – le fameux papy-boom. Il a déjà été largement ponctionné, puisqu’il alimente tous les ans la Cades à hauteur de 2 milliards d’euros, afin de compenser le déficit du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, ce qui peut se comprendre. Et là, on continue ! Certes, le prélèvement sera ramené à 1,45 milliard d’euros à partir de 2025, mais il n’empêche que, en 2033, à l’extinction de la Cades, il ne restera qu’entre 6,4 milliards et 10 milliards d’euros des 34 milliards d’euros actuels, qui génèrent des rendements et ne sont alimentés par aucune recette !
Il faudra donc équilibrer les régimes de retraite. Le déficit prévisionnel pour 2025 s’élevait, avant la crise, à 12 milliards d’euros. Il est passé aujourd’hui à 25 milliards d’euros, mais on utilise les réserves destinées à faire face aux évolutions démographiques ou aux aléas économiques à d’autres fins. Cela montre bien que l’on met décidément ce que l’on veut dans la Cades !
M. le président. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4
I. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° A L’article L. 111-1 est ainsi modifié :
a) Le deuxième alinéa est complété par les mots : « et d’autonomie » ;
b) Au dernier alinéa, après le mot : « santé, », sont insérés les mots : « du soutien à l’autonomie, » ;
1° B L’article L. 111-2-1 est complété par un III ainsi rédigé :
« III. – La Nation affirme son attachement au caractère universel et solidaire de la prise en charge du soutien à l’autonomie, assurée par la sécurité sociale.
« La prise en charge contre le risque de perte d’autonomie et la nécessité d’un soutien à l’autonomie sont assurées à chacun, indépendamment de son âge et de son état de santé. » ;
1° Après le 4° de l’article L. 200-1, il est inséré un 5° ainsi rédigé :
« 5° Au titre du soutien à l’autonomie, les personnes mentionnées au 4° du présent article. » ;
2° L’article L. 200-2 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, le mot : « quatre » est remplacé par le mot : « cinq » ;
b) Il est ajouté un 5° ainsi rédigé :
« 5° Autonomie. »
I bis. – Au premier alinéa du I de l’article L. 14-10-1 du code de l’action sociale et des familles, après le mot : « autonomie », sont insérés les mots : « gère la branche mentionnée au 5° de l’article L. 200-2 du code de la sécurité sociale et ».
II. – Au plus tard le 15 septembre 2020, le Gouvernement remet au Parlement, après consultation des différents financeurs, des collectivités territoriales ainsi que des associations de retraités et de personnes en situation de handicap et de représentants d’usagers et d’aidants, un rapport sur les modalités de mise en œuvre d’un nouveau risque et d’une nouvelle branche de sécurité sociale relatifs à l’aide à l’autonomie des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Ce rapport présente les conséquences de la création de cette branche en termes d’architecture juridique et financière et en termes de pilotage, gouvernance et gestion de ce nouveau risque.
M. le président. L’amendement n° 8, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Nous avons déjà expliqué pourquoi nous sommes opposés à la création d’une cinquième branche et nous avons avancé des propositions alternatives : c’est une question de projet de société.
Il peut exister une confusion dans l’esprit de nos concitoyens quand on parle d’un cinquième risque : la perte d’autonomie n’est pas un risque supplémentaire ; il s’agit ici de la prise en charge des soins à la personne et, le cas échéant, de l’hébergement. Il importe d’avoir une vision globale de cette prise en charge, que ce soit en établissement ou à domicile, et de développer un certain nombre de services aujourd’hui quasiment inexistants. Les professionnels demandent des moyens et des formations.
Il n’y a pas de risque supplémentaire. Par conséquent, il s’agit non pas de créer une branche supplémentaire, mais d’assurer la prise en charge de l’individu, de la naissance à la mort, par la branche maladie de la sécurité sociale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. La commission est évidemment contre la suppression de cet article, et favorable à la création d’un cinquième risque. Elle souhaite surtout pouvoir étudier le plus vite possible le rapport qui précisera les contours de la cinquième branche. Une très importante annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale détaille l’ensemble des risques pris en charge non seulement par l’assurance maladie, mais également par l’ensemble des services de l’État et par les collectivités territoriales. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
dans le cadre d’un système public, collectif et solidaire
II. – Après l’alinéa 13
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° La sous-section 1 de la section 1 du chapitre 2 du titre 4 du livre 2 est complétée par un article L. 242-… ainsi rédigé :
« Art. L. 242-…. – Les revenus financiers des sociétés tenues à l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés conformément à l’article L. 123-1 du code de commerce, entendus comme la somme des dividendes bruts et assimilés et des intérêts bruts perçus, dont l’activité relève de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles sont assujettis à une contribution dont le taux est égal à la somme des taux des cotisations sociales patronales assises sur les rémunérations ou gains perçus par les travailleurs salariés ou assimilés. »
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous proposons d’inscrire dans la loi la couverture du risque de perte d’autonomie par un système public, collectif et solidaire.
Nous avons déjà rappelé les enjeux de la perte d’autonomie pour aujourd’hui et pour les années à venir. Pour y faire face, nous pensons qu’il est indispensable de disposer d’un service public et d’un financement public pour assurer une couverture intégrale de la perte d’autonomie. À défaut, les familles continueront à acquitter de lourds restes à charge et les assureurs privés pourront s’enrichir au détriment des assurés sociaux.
Nous proposons donc que le risque de perte d’autonomie soit obligatoirement couvert au travers d’un système public, assurant des prestations sociales au moyen d’un financement exclusivement public, collectif – à l’exclusion d’une couverture individuelle et privée de ce risque – et solidaire, le coût de la couverture étant déconnecté du montant de la contribution financière de chacun.
À ces fins, nous avons gagé notre amendement par un prélèvement sur les revenus financiers des Ehpad privés à but lucratif. Il semble juste de mettre à contribution des groupes tels que Korian, lequel a réalisé plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2020 et dont la gestion de l’épidémie de covid-19 a été dramatique dans certains établissements.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. On peut effectivement s’interroger sur les Ehpad privés à but lucratif. Les groupes Korian et Orpea réalisent chacun à peu près 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires, et de l’ordre de 200 millions à 300 millions d’euros de résultat net. Cela étant, Korian a renoncé à verser 54 millions d’euros de dividendes cette année. Je rappelle en outre que les dividendes sont taxés.
Néanmoins, je sais d’expérience que l’hébergement est beaucoup plus cher dans ces établissements que dans les Ehpad gérés par la sécurité sociale. Le reste à charge y est dès lors bien plus important.
Est-il normal que des établissements de cette nature, financés pour partie par l’assurance maladie, fassent des bénéfices ? La question est légitime, mais la commission a, quoi qu’il en soit, émis un avis défavorable sur l’amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Avis défavorable.
La volonté du Gouvernement est bien évidemment de mieux prendre en compte la couverture de la perte d’autonomie. Cela implique de reconnaître que la solidarité nationale, qui constitue le fondement de la sécurité sociale, s’étend à ce champ. Le présent projet de loi inscrit la couverture du risque de perte d’autonomie parmi les principes de la sécurité sociale et son financement solidaire est garanti. L’amendement est donc satisfait à cet égard.
J’ajoute que le dispositif proposé ne permettrait pas de mettre en place le système de prise en charge entièrement public que vous appelez de vos vœux, madame la sénatrice. La modification envisagée des principes de la sécurité sociale est inutile, car la prise en charge est d’ores et déjà publique et solidaire. En outre, la participation des acteurs privés contribue à la diversité de notre système de prise en charge. Il ne faut donc sûrement pas l’exclure, mais l’organiser, c’est vrai, tout en veillant à une prise en charge globale et équitable. Pour que votre amendement ait une réelle portée, il vous faudrait prévoir également la suppression des complémentaires santé, qui couvrent pourtant les dépenses de santé de nombre de nos concitoyens.
Par ailleurs, vous proposez de créer une contribution sur les revenus financiers des Ehpad privés à but lucratif. Or, comme le rappelait le rapporteur à l’instant, ces revenus sont déjà taxés au titre de l’impôt sur les bénéfices, tout d’abord, puis au titre de l’imposition des dividendes.
Enfin, le projet de loi prévoit que le Gouvernement remettra au Parlement un rapport qui permettra d’identifier les sources de financement. Je ne saurais préempter les conclusions de ce rapport.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. À titre personnel, je m’abstiendrai sur cet amendement.
Lors de la crise du covid-19, la presse a relayé des témoignages de directeurs d’Ehpad privés affirmant subir des pressions de leur employeur pour réaliser des bénéfices au détriment de la sécurité des résidants. Il nous faudra, à l’avenir, examiner de très près comment sont gérés les Ehpad privés.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 1 rectifié ter, présenté par MM. Cardoux, Bonne, Bascher, Cuypers, Sol et Vial, Mme Gruny, MM. Lefèvre, Grand, Calvet et Kennel, Mme Delmont-Koropoulis, MM. Savary, D. Laurent et Bouchet, Mme Bruguière, M. Pellevat, Mmes Micouleau et de Cidrac, M. Mouiller, Mme Imbert, M. Rapin, Mmes Richer et Lopez, M. Schmitz, Mme Puissat, MM. Pierre et Saury, Mme Berthet, M. Chatillon, Mmes Deroche et Lassarade, M. Mayet, Mme Lamure, M. Danesi, Mme Procaccia, MM. Gremillet, Brisson et Morisset, Mme Ramond, MM. Vaspart, Sido, Retailleau, Allizard et Babary, Mmes Deseyne et Sittler, M. Milon, Mme Chain-Larché, MM. Piednoir et de Legge, Mme Malet, MM. Bonhomme et Duplomb, Mmes Garriaud-Maylam, Lanfranchi Dorgal, Primas et Chauvin et MM. Laménie, Mandelli, Pointereau et B. Fournier, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 10 à 14
Supprimer ces alinéas.
II. – Alinéa 15
1° Première phrase
Remplacer les mots :
et d’une nouvelle branche de sécurité sociale relatifs
par le mot :
relatif
2° Seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Ce rapport analyse, le cas échéant, la création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale si l’articulation des financements des branches existantes ne permet pas de répondre aux objectifs affichés.
La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
M. Jean-Noël Cardoux. Contrairement à ce que l’on a voulu nous faire dire, le groupe Les Républicains n’est pas opposé à la création d’un cinquième risque. Nous disons simplement que l’on ne traite pas d’un sujet aussi important au détour d’un texte qui ne devrait concerner que le transfert des déficits à la Cades. C’est une question d’orthodoxie financière. Vous nous avez dit, monsieur le secrétaire d’État, que ce sont les députés qui ont proposé d’aborder ce sujet, mais, si vous y aviez été opposé, nous ne doutons pas que vous auriez su les convaincre.
Nous souhaitons que l’on travaille à des propositions d’ici à la fin de l’année et à l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il sera alors temps de déterminer ce que nous devons faire, en fonction des réflexions menées, des conclusions du rapport et des contributions des uns et des autres – on le voit, les approches sont extrêmement diverses. Nous n’aurons pas perdu de temps au regard de l’échéance du 1er janvier 2021.
Ce matin, en commission, des collègues ont dit qu’il ne fallait surtout pas retirer le pied que nous avions mis dans la porte. Mais cette porte, soit on l’ouvre totalement, comme nous le souhaitons, soit elle nous claque au nez ! Afficher dès maintenant la volonté de créer une cinquième branche peut nous conduire à des surprises quelque peu désagréables…
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, votre propos selon lequel il n’y aura pas de financement si nous ne votons pas dès aujourd’hui les dispositions relatives à la création de la cinquième branche me paraît un peu surprenant ! On nous a annoncé, en pointillé, un financement de 1 milliard d’euros. À ma connaissance, la création et le financement d’une cinquième branche ne relèvent pas d’une loi organique. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale peut donc très bien à la fois créer la cinquième branche et assurer son financement.
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 10 à 14
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Si le rapport Libault de mars 2019 prône la création d’un cinquième risque, il s’oppose à la création d’une cinquième branche, considérant que confier la gestion de ce nouveau risque à une branche de la sécurité sociale « impliquerait l’effacement du département et le transfert de la gestion des prestations à un des réseaux existants de caisses locales ».
De même, dans le projet de loi initial relatif à la dette sociale et l’autonomie, il n’était question que d’un rapport sur la pertinence de la création d’une cinquième branche associée au cinquième risque.
Or nous voici en présence de quatre alinéas qui créent directement cette cinquième branche ! Une telle démarche est contraire aux principes mêmes de la sécurité sociale.
Je passe sur le fait que la perte d’autonomie serait plutôt le neuvième risque… En effet, elle relève, selon nous, de la branche maladie. Les séparer, c’est créer une nouvelle strate fragilisant l’ensemble, avec des transferts de crédits, et tourner le dos à l’expertise des départements.
Notre opposition à la création d’un cinquième risque tient également au fait qu’il existe un risque très réel que les assureurs et les marchés financiers investissent un secteur stratégique pour les années à venir.
Enfin, sortir la perte d’autonomie et la dépendance de la branche maladie conduit à substituer de nouveaux prélèvements fiscaux aux cotisations sociales assises sur la richesse créée par le travail. Comme pour la CSG, la fiscalisation casse la dynamique de solidarité intergénérationnelle, ce qui isole les différents bénéficiaires des aides de la société.
Au-delà des slogans, il y a des réalités. La prise en charge de la perte d’autonomie mérite un véritable contenu, et non un simple affichage. Créer une branche ad hoc, c’est casser les moyens nécessaires.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par M. Mouiller, Mme Lavarde, MM. Calvet, Karoutchi et Daubresse, Mme Morhet-Richaud, M. Cuypers, Mme Deromedi, M. D. Laurent, Mme Bruguière, MM. Brisson, Pellevat et Milon, Mme Imbert, MM. Le Gleut, Bascher, Perrin, Raison et de Legge, Mme Berthet, M. Morisset, Mmes M. Mercier et Puissat, MM. Laménie et de Nicolaÿ, Mmes Richer et Dumas, MM. Piednoir, Bonne, Savary, Bazin et Chatillon, Mme L. Darcos, MM. Sido, Bouchet, Pointereau, Vogel et Babary, Mmes Gruny et Lamure, MM. Rapin, Hugonet et Kennel et Mmes Deroche et Lassarade, est ainsi libellé :
Alinéa 15, seconde phrase
Après le mot :
branche
insérer les mots :
sur le périmètre des prestations et services concernés ainsi qu’
La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Cet amendement a été élaboré en concertation avec les associations du monde du handicap, qui se posent beaucoup de questions sur le contenu du rapport. Nous souhaitons obtenir des précisions sur le périmètre des prestations et des services concernés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur l’amendement n° 1 rectifié ter visant à supprimer la cinquième branche, et un avis défavorable sur l’amendement n° 10.
Monsieur Mouiller, votre amendement n° 3 rectifié bis est en contradiction avec l’amendement n° 1 rectifié ter.
M. Philippe Mouiller. Je le retire.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié bis est retiré.
Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 1 rectifié ter et 10 ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. L’avis est défavorable sur les deux amendements.
La crise sanitaire a mis particulièrement en lumière les limites de nos systèmes de prise en charge des personnes âgées. C’est pourquoi le Gouvernement a souhaité engager une réforme en profondeur de la prise en charge de perte d’autonomie. Il a, d’une part, procédé à une réaffectation d’une fraction de CSG à la CNSA, et, d’autre part, proposé la remise d’un rapport sur les conditions de création d’un nouveau risque ou d’une nouvelle branche de sécurité sociale relative à l’aide à l’autonomie des personnes âgées et des personnes en situation de handicap.
Les députés ont souhaité aller plus loin que le projet initial du Gouvernement, en élargissant dès à présent le champ des risques couverts par la sécurité sociale à la perte d’autonomie et en créant une cinquième branche de sécurité sociale. Le Gouvernement endosse cette initiative et s’en félicite.
Choisir de couvrir le risque dépendance par une branche spécifique distincte des autres permet d’identifier les recettes, les dépenses et un solde financier, de mettre en évidence l’effort national qui y est consacré et de garantir un équilibre. Au-delà du pilotage financier, c’est aussi et surtout le moyen de mieux définir les règles de pilotage et de gestion propres à ce risque.
C’est donc une étape indispensable pour assurer un réel pilotage et une bonne couverture de ce risque social, ce qui est précisément l’objectif du Gouvernement pour garantir une meilleure prise en compte de la perte d’autonomie. Rien n’est préempté quant au financement et à la gouvernance de cette nouvelle branche. La concertation sur le pilotage et la gouvernance a été lancée. Vous aurez l’occasion de débattre du financement, à la lumière des résultats de la concertation et des conclusions du rapport, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Par ailleurs, un projet de loi spécifique, dédié, a été promis : le Gouvernement s’est engagé à ce qu’il soit déposé en conseil des ministres d’ici à la fin de l’année. Une telle promesse avait déjà été formulée en 2007 sous le mandat de Nicolas Sarkozy. Avec la création de cette cinquième branche, nous sommes à l’orée d’un moment historique !
(M. Thani Mohamed Soilihi remplace M. David Assouline au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. La parole est à M. Bernard Bonne, pour explication de vote.
M. Bernard Bonne. Monsieur le secrétaire d’État, quel est l’intérêt de mettre en place dès aujourd’hui une branche dédiée à la perte d’autonomie ? Décider immédiatement, par anticipation, qu’il s’agit d’une cinquième branche plutôt que d’un cinquième ou neuvième risque, a pour effet de limiter le problème de la gouvernance, ce qui risque de créer, au niveau des départements, un sentiment de dépossession de leurs responsabilités.
Par ailleurs, ne s’agit-il pas d’une coquille vide ? En effet, vous prévoyez la création d’un cinquième risque ou d’une cinquième branche, mais aucun financement n’est aujourd’hui prévu, hormis le milliard d’euros annoncé pour 2021 et, à partir de 2024, 0,15 point de CSG, soit environ 2,5 milliards d’euros par an. Or le rapport Libault, qui date de près de deux ans, prévoyait qu’il faudrait y consacrer 10 milliards d’euros par an à l’horizon 2030. Comment croyez-vous que les acteurs de la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées ou handicapées recevront cette annonce, en l’absence de financements suffisants ? Ils ont besoin de visibilité : dès l’année prochaine, il faudra leur apporter des solutions !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le rapporteur, vous avez donné un avis favorable à l’amendement de M. Cardoux,…
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Non, c’est la commission !
Mme Laurence Cohen. … qui vise notamment à supprimer les alinéas 10 à 14, et un avis défavorable à l’amendement du groupe communiste républicain citoyen et écologiste ayant le même objet. Une telle distinction partisane n’est pas dans les habitudes du Sénat ! J’aurais préféré, à la rigueur, que vous nous demandiez de retirer notre amendement, au motif que celui de M. Cardoux présente une rédaction nouvelle pour l’alinéa 15 et est ainsi plus complet. Je vous le dis en toute amitié, monsieur le rapporteur, nous ne sommes pas habitués, au Sénat, à un traitement aussi partisan d’amendements analogues. Même si nous n’aboutissons pas forcément à la même conclusion que notre collègue Cardoux, nous souhaitons que la question soit approfondie.
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, pour explication de vote.
M. Dominique Théophile. L’amendement de M. Cardoux vise à revenir sur la création d’une nouvelle branche, privilégiant la création d’un risque porté par les branches existantes.
M. Jean-Noël Cardoux. Non !
M. Dominique Théophile. Le groupe LaREM est résolument en faveur de la création d’une nouvelle branche dédiée à la perte d’autonomie. Cela permettra de donner une ossature à l’ensemble des mesures actuellement mises en œuvre en la matière. La nouvelle branche aura ainsi la faculté de piloter des politiques d’aide à l’autonomie et de développer une approche préventive.
L’argument selon lequel il convient de renoncer à créer cette nouvelle branche eu égard à la situation des finances publiques ne tient pas, non plus, à mon avis, que celui du mélange des genres lié à un texte à la fois financier et sociétal. Nous devons être à la hauteur de l’enjeu. Nos aînés, nos concitoyens en situation de handicap et les aidants nous regardent. La création d’une nouvelle branche peut être décidée dès aujourd’hui : « chiche », suis-je tenté de dire. Ce sera un levier supplémentaire pour exiger les financements nécessaires à cette prise en charge. Nous en débattrons cet automne, durant l’examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais également lors de la discussion du projet de loi de réforme du grand âge et de l’autonomie.
Mes chers collègues, votons pour la création de cette nouvelle branche consacrée à la perte d’autonomie. Cela fait une trentaine d’années qu’on en parle : passons à l’action !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur Théophile, l’amendement présenté par M. Cardoux n’a pas du tout l’objet que vous lui prêtez ! Je ne voudrais pas que l’on se méprenne ou que l’on exploite le fait que nous n’acceptons pas ce qui est proposé au travers de ce projet de loi.
Au détour d’un article du présent texte, qui concerne la dette sociale, on introduit la possibilité de mettre en place une cinquième branche dédiée à la perte d’autonomie. Le Sénat, dans son intégralité, est favorable à la mise en place rapide d’un cinquième risque ou d’une cinquième branche – le Gouvernement veut un cinquième risque, l’Assemblée nationale une cinquième branche –, afin de traiter entièrement le sujet de la prise en charge des personnes dépendantes. Mais, pour l’heure, on nous indique que cette création interviendra à la suite de la remise d’un rapport au Parlement et que les premières dispositions seront inscrites dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous ne sommes pas d’accord avec cette démarche : ce que nous souhaitons, c’est une vraie loi, complète, sur la perte d’autonomie, qui déterminera les modalités de la gouvernance, les moyens de financement, la répartition des responsabilités, les critères de choix entre hébergement en Ehpad et maintien des personnes âgées dépendantes au domicile. Comme me le disait M. le rapporteur, il faut non pas sanctuariser la prise en charge en Ehpad, mais essayer au contraire de trouver d’autres solutions, plus adaptées à l’évolution normale de la personne âgée. Voilà le vrai sujet !
J’ai suffisamment d’ancienneté pour rappeler que cette création avait déjà été envisagée du temps du président Sarkozy. J’y avais travaillé, mais la crise financière nous avait empêchés d’aller jusqu’au bout. Du temps de M. Hollande, Mme Delaunay m’avait vivement interpellé, nous reprochant de n’avoir rien fait, mais sa loi sur le vieillissement ne traitait pas de la dépendance.
Cette fois, nous avons la possibilité d’aller jusqu’au bout ; allons-y ensemble, mais avec une vraie loi, pas un article d’un texte relatif à la dette sociale !
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. J’irai dans le même sens que M. le président de la commission.
Que les choses soient claires : nous sommes favorables à la prise en charge du risque de perte d’autonomie, qui n’est pas le cinquième risque, mais plutôt le dixième, venant après les risques maladie, invalidité, maternité, paternité, vieillesse, veuvage, décès, accidents du travail et maladies professionnelles !
En l’occurrence, en concluant d’emblée qu’il faut créer une cinquième branche pour couvrir ce risque, vous mettez la charrue devant les bœufs. Nous disons, quant à nous, qu’il faudra peut-être en arriver là, mais en respectant en tout cas ceux qui financent déjà la prise en charge de la perte d’autonomie : l’État a montré l’exemple avec l’allocation aux adultes handicapés (AAH), mais les départements jouent un rôle essentiel et l’assurance maladie finance en partie la prise en charge de la perte d’autonomie.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous invite à la cohérence : vous vous êtes opposé à un amendement relatif à la prévention de la perte d’autonomie, au motif qu’il était déjà très compliqué de déterminer à qui incombe le financement ; puis, quelques minutes plus tard, on crée un silo supplémentaire, ce qui, loin de permettre la prise en charge de la personne dans son entièreté, la découpe en tranches selon qu’elle est malade, en perte d’autonomie, etc.
Il importe de se concerter avec l’ensemble des acteurs. On ne peut pas, à l’occasion d’un discours, cajoler les élus locaux, et, au détour de l’élaboration d’une loi, mépriser les conseils départementaux, qui prennent en charge la perte d’autonomie dans des conditions particulièrement difficiles ! Consultez largement les partenaires sociaux, les élus locaux et les usagers, qu’il faut replacer au cœur du dispositif. Ensemble, nous pourrons alors bâtir une branche solide d’un arbre respectable !
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.
M. Olivier Henno. Je reconnais la rigueur intellectuelle de l’argumentation de notre collègue Jean-Noël Cardoux. Ce débat est tout à fait intéressant, même si sa forme est quelque peu insatisfaisante : nous l’aurions souhaité plus solennelle.
Le président de la commission se dit favorable à la création d’une cinquième branche, mais pas de cette façon, pas dans ces conditions. Sa position est tout à fait respectable, mais, pour le groupe Union Centriste, il n’y a pas de conflit de paternité qui tienne : cette création tellement attendue vaut bien une messe !
Aujourd’hui, il ne s’agit nullement, pour nous, de signer un chèque en blanc : la loi de financement de la sécurité sociale tranchera la question du financement, la loi relative à l’autonomie celle de l’architecture. Cependant, nous voterons contre l’amendement n° 1 rectifié ter, car nous souhaitons entériner la création de la cinquième branche.
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Historiquement, le groupe socialiste et républicain est favorable à la création d’une cinquième branche, mais, ce soir, je me sens quelque peu gênée aux entournures, et même franchement amère.
Le président Milon l’a rappelé, Mme Delaunay, lorsqu’elle était ministre déléguée aux personnes âgées et à l’autonomie, n’était pas allée au bout de ses intentions : je le regrette.
Ce sujet aurait mérité d’être traité à un autre moment. Vous l’avez abordé au travers d’un texte où il n’a rien à faire. Vous auriez dû nous permettre d’avoir un vrai débat sur le grand âge,…
Mme Monique Lubin. … sujet qui sera extrêmement prégnant dans les années à venir. Certes, on en parle beaucoup, mais je me demande si l’on mesure réellement l’ampleur qu’il prendra.
Une fois n’est pas coutume, je fais miens les arguments du président Milon. Il faut traiter le sujet dans son intégralité et ne s’interdire aucun débat sur le financement de ce risque. Cela ne peut pas se passer ainsi, en catimini.
Je le répète, nous sommes historiquement favorables à l’instauration de cette cinquième branche, donc nous ne nous y opposerons pas, mais je n’ai absolument pas confiance : je pense que cela en restera à un effet d’annonce ; ce texte demeurera une coquille vide, et il fera « pschitt ! »
Mme Laurence Cohen. Absolument !
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Je suis un peu désarçonné. Je suis, pour ma part, favorable à l’instauration de cette cinquième branche. En 2015, nous avons eu un débat sur l’adaptation de la société au vieillissement, qui a apporté peu de choses pour les groupes iso-ressources 1 (GIR 1) à domicile et rien s’agissant des Ehpad.
En ce qui concerne les personnes handicapées, il manque des établissements et des structures de maintien à domicile. Cependant, dans les établissements pour personnes handicapées, le ratio d’encadrement est d’un pour un ; il n’y a donc pas de pénurie de personnel comme dans les Ehpad.
De gros problèmes se posent aussi pour les personnes âgées maintenues à domicile ; la situation est très précaire, comme on a pu le voir pendant la crise de la covid-19. Il faut soutenir le maintien à domicile.
Je l’ai dit, je suis favorable à l’instauration d’une cinquième branche de la sécurité sociale. Cela étant, faudrait-il attendre ? Mme Montchamp, lors de son audition, a indiqué qu’il était bien de créer cette branche et que l’on verrait ensuite pour le financement. À cet égard, le milliard d’euros annoncé ne suffira pas du tout : il faudra beaucoup plus, monsieur le secrétaire d’État ! En outre, il sera nécessaire de travailler avec les conseils départementaux. Je l’ai indiqué lors de mon intervention liminaire, je suis favorable à ce qu’on leur confie, en matière de dépendance, la gestion du volet soins, sous le contrôle de l’ARS, bien entendu. C’est ainsi que l’on sera efficace, tant pour le maintien à domicile que pour les établissements.
En tout état de cause, je suis favorable à ce que l’on inscrive le plus vite possible dans la loi ce cinquième risque.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote.
M. Jean-Noël Cardoux. Je voudrais revenir sur les propos de M. Théophile, même si Alain Milon l’a déjà très bien fait, ce dont je le remercie.
Comment avez-vous pu imaginer, mon cher collègue, que je souhaitais revenir, au travers de mon amendement, sur la création d’une cinquième branche ? Il y a peut-être un problème de compréhension…
Par ailleurs, M. Chasseing a dit être, comme beaucoup, favorable à la création d’une cinquième branche. C’est tout à fait respectable, mais il a conclu son propos en parlant du cinquième risque : ce n’est pas exactement la même chose ! Cela montre bien que les notions ne sont pas encore tout à fait claires dans les esprits.
Enfin, monsieur Henno, j’ai apprécié votre louange de ma rigueur intellectuelle, mais j’attire l’attention sur le fait que l’alternative est la suivante : soit on accepte maintenant, pour une foule de raisons, notamment idéologiques ou d’affichage, de voter pour la création d’une coquille vide,…
Mme Laurence Cohen. Exactement !
M. Jean-Noël Cardoux. … soit on attend quelques mois pour remplir cette coquille, en réunissant tous les interlocuteurs autour de la table et en trouvant les financements nécessaires. Je préconise la seconde option.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Une fois n’est pas coutume, monsieur Savary, je suis en phase avec vous : on ne peut pas écarter les départements de la réflexion sur la gouvernance, et d’ailleurs ils sont associés à la concertation que nous avons lancée.
Messieurs Henno et Chasseing, je vous rejoins totalement : il vous est effectivement proposé, par vos collègues députés, d’entériner le principe de la création d’une cinquième branche, de mettre en regard des dépenses et des recettes. Il vous est également proposé de suivre un chemin comportant différentes étapes : une concertation portant sur la gouvernance et le financement, la remise d’un rapport que vous aurez le temps d’étudier afin d’en intégrer les préconisations dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. D’ailleurs, chaque PLFSS sera l’occasion de débattre de la politique de l’autonomie. En outre, il y aura bien, d’ici à la fin de l’année, un grand projet de loi, monsieur le président Milon. Vous pourrez débattre du fond : l’attractivité des métiers, à la suite du rapport de Myriam El Khomri, l’évolution de l’offre de soins, son impact sur le logement…
Ce n’est donc pas une question de confiance, madame la sénatrice Lubin. Pour ma part, je vous fais entièrement confiance pour veiller à ce que cela ne reste pas une coquille vide et faire des différentes étapes proposées par le Gouvernement autant d’occasions de nourrir notre politique de l’autonomie et de lui donner une portée réelle dans le quotidien de nos concitoyens.
En tout état de cause, je ne puis envisager que, demain, les journaux titrent sur le rejet, par le Sénat, de la création de la cinquième branche de la sécurité sociale. (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE.)
Mmes Laurence Cohen et Cathy Apourceau-Poly. C’est du chantage !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je m’attendais à cela de votre part, monsieur le secrétaire d’État ; c’est logique, d’ailleurs…
Bien que je vous fasse confiance, j’ai peur que cette création ne soit purement déclarative. En annonçant, à la télévision ou ailleurs, la création d’une cinquième branche, vous allez susciter un espoir considérable dans le pays.
M. Philippe Mouiller. C’est sûr !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Lorsqu’un autre membre du Gouvernement a annoncé, voilà un an, la suppression du numerus clausus en faculté de médecine, tout le monde a considéré que, dès le lendemain, un médecin s’installerait au coin de sa rue.
Mme Laurence Cohen. Exactement !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Cela n’a jamais été démenti, sauf ici au Sénat, où nous avons bien expliqué que le nombre de médecins formés chaque année passerait simplement de 3 800 à 4 000. Ces précisions n’ont d’ailleurs pas été véritablement reprises dans les médias, qui semblaient considérer que la suppression du numerus clausus était largement suffisante pour satisfaire tout le monde.
Nous sommes dans la même situation ce soir. Vous faites une déclaration extrêmement importante, avec laquelle nous sommes complètement d’accord, mais nous voulons que cette cinquième branche ne soit pas une coquille vide. Il ne faudrait d’ailleurs pas non plus que le sujet soit traité uniquement au détour d’un PLFSS : il faut une vraie loi, complète, que vous vous engagerez peut-être à élaborer, à moins que ne survienne une nouvelle crise sanitaire…
Sincèrement, nous sommes extrêmement favorables à la création d’une cinquième branche, mais à condition que ce ne soit pas une coquille vide. Pour l’instant, elle est purement déclarative. (MM. Philippe Mouiller et René-Paul Savary applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Je n’ai a priori aucune raison d’accorder une très grande confiance au Gouvernement pour la suite ; j’ai beaucoup de points de désaccord avec lui.
Néanmoins, j’ai tellement milité, pendant des années, pour la création de cette cinquième branche de la sécurité sociale – je siégeais à la CNSA lorsqu’elle a publié un rapport qui a fait référence en matière de lutte conte la perte d’autonomie – que je ne peux pas voter aujourd’hui en faveur de l’adoption de l’amendement de M. Cardoux.
Je suis tenté de dire moi aussi « chiche » au Gouvernement. Je suis en complet désaccord avec cette séquence parlementaire où nous votons en même temps pour la création d’une cinquième branche au détour d’un amendement et pour le transfert de 137 milliards d’euros de dettes, ce qui n’a aucun sens, mais la porte a été entrouverte et la cinquième branche peut naître.
Compte tenu de mon passé militant sur ce sujet, je ne peux voter l’amendement de M. Cardoux.
Mme Laurence Cohen. Eh bien nous, nous le voterons !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié ter.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public, émanant l’une du groupe Union Centriste, l’autre du groupe La République En Marche.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 131 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l’adoption | 156 |
Contre | 179 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’amendement n° 10.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 132 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 314 |
Pour l’adoption | 16 |
Contre | 298 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 11, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 15
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ce rapport s’attache également à évaluer les mesures alternatives répondant au même objectif, notamment la création d’un service public de l’autonomie et de l’accompagnement au sein de la branche maladie de la sécurité sociale.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Nous avons voté pour l’amendement de M. Cardoux, mais le nôtre, pourtant presque identique, n’a pas bénéficié de la réciproque. C’est ainsi…
L’amendement n° 11 a trait au contenu du rapport prévu à l’article 4. La remise d’un tel rapport est une bonne chose, mais que certains de nos collègues témoignent d’une grande foi en ce gouvernement malgré les promesses non tenues me laisse admirative ! Ils reconnaissent qu’il s’agit d’une coquille vide, mais font confiance au Gouvernement, tout en ignorant, d’ailleurs, qui sera ministre demain, un remaniement étant prévu…
Mme Laurence Cohen. Il est vrai que cela ne changera probablement rien…
Cela étant dit, nous souhaitons que ce rapport soit le plus étayé possible. Puisque l’on peut toujours espérer que, de temps en temps, les choses bougent, ne serait-ce qu’un tout petit peu, il serait bon que soient évaluées, dans ce rapport, des mesures alternatives répondant aux mêmes objectifs. En particulier, nous aimerions que soit étudiée la création d’un service public de l’autonomie et de l’accompagnement de la personne au sein de la branche maladie de la sécurité sociale. Si l’on veut approfondir la réflexion, il faut se montrer ouvert aux propositions alternatives. Nous souhaitons que le champ de ce rapport soit élargi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. L’avis est défavorable. Le périmètre du rapport prévu est suffisamment large. Il devra inclure, entre autres, la question soulevée au travers de l’amendement ; il ne me paraît pas nécessaire de le préciser. (Mme Laurence Cohen s’esclaffe.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Nous sommes beaux joueurs et nous allons donc retirer cet amendement, qui n’a aucune chance d’être adopté. Cela étant, nous ne croyons pas une seconde aux assurances de M. le rapporteur…
M. le président. L’amendement n° 11 est retiré.
L’amendement n° 15 rectifié, présenté par MM. Requier, Cabanel et Castelli, Mme Costes, M. Gold, Mme Guillotin, MM. Jeansannetas, Roux, Arnell, Collin et Corbisez et Mmes N. Delattre et Laborde, est ainsi libellé :
Alinéa 15
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il examine les conditions d’une réforme de la tarification des établissements médico-sociaux visant à réduire le reste à charge.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. L’article 4 crée un nouveau risque et une nouvelle branche de la sécurité sociale, consacrés à l’aide à l’autonomie.
Cette nouvelle branche doit permettre la mise en place d’une véritable politique d’accompagnement des personnes en situation de dépendance, afin qu’elles puissent conserver leur autonomie le plus longtemps possible. Cela doit notamment passer par une réforme de la tarification des établissements médico-sociaux, tout particulièrement des Ehpad.
En effet, si l’espérance de vie augmente, le gain se réduit souvent, malheureusement, à des mois passés en mauvaise santé. De plus en plus de personnes âgées se retrouvent en situation de perte d’autonomie à leur domicile, parce qu’elles n’ont pas les moyens de financer leur hébergement en établissement. Il est donc nécessaire de résoudre la question du reste à charge, qui est beaucoup trop lourd pour de nombreuses familles.
Dans cette perspective, nous proposons que le rapport que le Gouvernement remettra le 15 septembre prochain examine les conditions d’une réforme de la tarification des établissements médico-sociaux, en vue de la réduction de ce reste à charge.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, même si ce que dit M. Requier peut parfaitement s’entendre.
Le rapport prévu à l’article 4 doit nous éclairer sur les modalités de prise en charge du cinquième risque. Il ne s’agit toutefois pas de revoir tous les modes de prise en charge, sauf à ce que vous décidiez, monsieur le secrétaire d’État, de fournir beaucoup plus de précisions que le rapport ne doit en comporter, notamment lors de l’examen du prochain PLFSS. En effet, la prise en charge de l’hébergement dans les Ehpad n’est pas la seule question qui nous occupe ; il y a aussi celle de l’aide à domicile. Il n’est tout de même pas normal que des femmes qui ont accompli au domicile des personnes, pendant la crise sanitaire, un travail tout aussi admirable que celui du personnel des Ehpad ne gagnent, en moyenne, que 900 euros par mois, compte non tenu de leurs éventuels frais de déplacement.
Mme Laurence Cohen. Exactement !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Il y a véritablement urgence. J’ai entendu M. le ministre Véran indiquer qu’il en avait tout à fait conscience ; il faut maintenant passer aux actes.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Nous souhaitons que le rapport reste centré sur les modalités de la création de la nouvelle branche et du nouveau risque, qui doivent faire l’objet d’une analyse approfondie pour accompagner cette transformation historique de l’architecture de la sécurité sociale. Ce rapport n’a pas vocation à couvrir l’ensemble des sujets de la politique de l’autonomie.
Le rapport de mars 2019 de Dominique Libault, issu de la concertation sur le grand âge et l’autonomie, avait déjà permis d’aborder un très grand nombre de questions relevant de la politique de prise en charge de la perte d’autonomie, dont celle de la tarification des établissements sociaux. La création d’une nouvelle branche et d’un nouveau risque relatifs à la prise en charge de la perte d’autonomie s’accompagnera de différentes réformes de fond, qui ont vocation à être précisées dans les prochaines semaines et à figurer, pour l’essentiel, en loi de financement de la sécurité sociale. Ces réformes font l’objet d’une concertation avec les représentants du secteur. Le rapport prévu à l’article 4 doit être centré sur l’architecture et la gouvernance de la future cinquième branche.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Requier, l’amendement n° 15 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Claude Requier. Nous voulions lancer un appel ; c’est fait. Je retire l’amendement, monsieur le président. (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. L’amendement n° 15 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Vous avez évoqué, monsieur le secrétaire d’État, le caractère historique du vote qui va intervenir et de la création de cette cinquième branche. Il est vrai que, depuis deux semaines, un peu partout sur le territoire, les associations représentant les personnes âgées, les personnes handicapées ou les aidants parlent beaucoup de ce texte, qui a fait naître de grands espoirs en matière de prise en charge de la dépendance et de prestations de compensation du handicap. Or nous définissons aujourd’hui un cadre sans en connaître précisément le contenu, et encore moins le financement.
Je l’ai dit lors de mon intervention en discussion générale, cette méthode est particulière ; elle vous oblige et nous oblige. Surtout, il faudra être en mesure d’apporter, en septembre prochain, toutes les explications et les précisions que nous attendions pour pouvoir nous prononcer de façon plus éclairée sur le texte que vous proposez aujourd’hui.
Dans les territoires, les personnes qui auront entendu vos propos devant l’Assemblée nationale et le Sénat attendent beaucoup de vous. Je puis vous l’assurer, vous êtes attendu. Si vous décevez les attentes, la chute sera terrible.
M. le président. La parole est à M. Bernard Bonne, pour explication de vote.
M. Bernard Bonne. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai été quelque peu contrarié de vous entendre dire que vous ne voudriez pas que l’on annonce, demain, que le Sénat a voté contre la création du cinquième risque ou de la cinquième branche de la sécurité sociale.
Je le répète, cela fait des années que l’on cherche à créer un cinquième risque ou une cinquième branche – on verra ce que cela recouvre – concernant la perte d’autonomie des personnes handicapées et des personnes âgées. Cela arrive un peu rapidement aujourd’hui, au détour d’un texte relatif à un règlement de dette. Alors que des réflexions sont conduites depuis des années sur ce qu’il conviendrait d’inclure dans une loi sur l’autonomie, on ne nous propose pas le moindre début de financement. C’est cela qui nous inquiète ; il faut aller un peu plus loin…
Mme Laurence Cohen. Beaucoup plus loin !
M. Bernard Bonne. … que le milliard d’euros promis pour 2021, et même que les 2,5 milliards d’euros par an prévus à partir de 2024.
C’est pour cette raison que nous avions proposé que la diminution de la dette des hôpitaux ne soit pas mise à la charge de la Cades, dans laquelle on met un peu tout et n’importe quoi.
Nous demandons donc que l’on trouve rapidement des financements. Le contenu, nous l’avons : le rapport Libault, le rapport El Khomri et les rapports sénatoriaux ont permis de déterminer tout ce qui est nécessaire à une meilleure prise en charge de la perte d’autonomie. Monsieur le secrétaire d’État, à vous, maintenant, de proposer rapidement des sources de financement.
Mme Laurence Cohen. Ce sera l’impôt !
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. On a bien vu, cette discussion a été l’occasion d’un débat projet contre projet. De fait, au-delà de la question de la dette sociale ou de l’autonomie, ce sont bien des projets de société qui s’affrontent. Le nôtre est évidemment complètement différent de celui du Gouvernement ou de celui de la droite sénatoriale.
Nous regrettons que vous soyez restés complètement sourds après la crise du covid-19. Pendant la crise, tout le monde applaudissait le personnel soignant, on voulait distribuer les médailles à tour de bras, mais quand il faut renforcer les services publics et s’opposer aux politiques d’austérité, il n’y a plus personne… Les votes ne correspondent pas aux paroles.
L’échec de trente années de libéralisme durant lesquelles le service public s’est réduit comme peau de chagrin ne semble pas encore suffire aux partisans de la baisse des dépenses publiques.
L’urgence est à la relance de notre pays par le renforcement des services publics, mais vous préférez poursuivre dans la voie des exonérations de cotisations sociales, qui ont fait perdre 90 milliards d’euros à la sécurité sociale cette année, en ajoutant les allégements généraux. C’est quasiment le montant de la dette que l’État essaie de refiler à la sécurité sociale…
Il faut bien le dire, ces deux textes préparent un avenir désastreux pour notre système de protection sociale, avec une contraction supplémentaire des dépenses de santé, demain, pour rembourser la dette et une branche perte d’autonomie complètement vide, financée par les assurés sociaux eux-mêmes.
Bref, comme l’a dit notre collègue Pierre Dharréville à l’Assemblée nationale, il s’agit d’une « belle opération publicitaire, loin de l’histoire de la sécurité sociale », qui est celle d’un grand mouvement d’appropriation et de construction communes.
Nous allons donc voter contre ce projet de loi. C’est un immense gâchis. Hier encore, nous participions aux manifestations. Les attentes sont énormes, les salaires très bas. Les soignants espéraient autre chose de votre part. Vous n’êtes vraiment pas à la hauteur des attentes de nos populations ! (Mme Laurence Cohen applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Nous voterons contre ce texte, comme nous avons voté contre le projet de loi organique, parce que nous sommes farouchement opposés au transfert de 136 milliards d’euros de dette à la Cades.
Nous pensons que cette décision va priver la sécurité sociale, dans les années à venir, des moyens nécessaires pour relever les défis qui sont devant nous. Il y avait une autre solution, argumentée et défendue par des économistes, des scientifiques et les organisations syndicales. Vous faites aujourd’hui un mauvais choix, qui porte atteinte aux capacités de la sécurité sociale.
Il s’agit d’un texte piège, dans la mesure où les socialistes sont favorables à la création de la cinquième branche. D’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, le vote de nombreux membres de notre groupe a permis qu’un amendement tendant à la supprimer du texte ne soit pas adopté.
Au Sénat, nous connaissons bien la Journée des dupes : elle a commencé dans une salle non loin d’ici. Il ne faudrait pas qu’il y ait aujourd’hui un vote des dupes… Il conviendra maintenant de mettre en place une concertation avec tous les partenaires, des financements suffisants – ce n’est pas le cas pour l’heure – et une gouvernance à la hauteur des attentes pour que l’annonce débouche sur un moment de l’histoire de la sécurité sociale.
Cette journée très particulière aura été marquée par une forte opposition au sein de l’hémicycle et une création plus symbolique que réelle, contre laquelle nous n’avons néanmoins pas voulu voter. En revanche, nous voterons contre le texte, pour la raison que j’ai indiquée précédemment.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.
Mme Michelle Gréaume. Je voterai contre ce projet de loi pour deux raisons.
Premièrement, je trouve que les deux textes auraient dû être disjoints. Monsieur le secrétaire d’État, la création d’un cinquième risque est tellement importante à vos yeux que vous la glissez dans un fourre-tout financier : cela me choque !
Deuxièmement, vous profitez de cette occasion pour faire un pas vers la fusion des régimes de retraite : je ne suis pas d’accord.
D’un côté, on intègre au projet de loi de financement de la sécurité sociale les dettes des régimes spéciaux, les primes liées à la crise des « gilets jaunes » ; de l’autre, on traite de l’autonomie, sujet important s’il en fût, dans un texte relatif à la dette de la sécurité sociale. Le cinquième risque méritait une loi spécifique.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Je suis très favorable à la création de la cinquième branche, que nous attendions depuis longtemps. Le Président de la République et Mme Buzyn, alors ministre des solidarités et de la santé, l’avaient annoncée voilà déjà un certain temps. De ce fait, nous étions un certain nombre à penser qu’elle interviendrait avant la réforme des retraites.
J’y suis favorable, parce qu’il y a vraiment un manque d’encadrement en Ehpad comme à domicile. Il faut sécuriser les intervenants à domicile, accroître l’encadrement en Ehpad, réfléchir à des hébergements innovants, entre le domicile et la maison de retraite. Ces éléments devront figurer dans le rapport.
Il convient de renforcer le maintien à domicile, ainsi que l’action des départements, pour qu’ils deviennent les collectivités de proximité gérant complètement la prise en charge de la dépendance.
S’il avait été maintenu, j’aurais voté l’amendement de M. Requier, qui soulevait le problème du reste à charge pour les familles.
En ce qui concerne le déficit prévisionnel de 92 milliards d’euros, la baisse des recettes de la sécurité sociale et l’augmentation des dépenses sont bien dues à l’épidémie de covid-19. Faute de traitement efficace, le confinement était nécessaire, entraînant une diminution des recettes.
Je voterai ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Monsieur le secrétaire d’État, vous ne pourrez pas dire que le Sénat n’a pas voté la création de la cinquième branche. Cependant, si les personnes concernées vont sauter de bonheur sur leur chaise, demain, quand elles liront la une des journaux, elles en tomberont en s’apercevant qu’il n’y a pas de financement…
Pour notre part, gens prudents qui connaissons les difficultés, nous avons proposé la mise en place d’un financement dès 2021. Cela témoigne de notre attachement à la prise en charge de la perte d’autonomie. Vous proposez une organisation, nous proposions un financement, mais le couperet de l’article 40 est tombé sur notre amendement. Vous auriez pu lever le gage, monsieur le secrétaire d’État : cela aurait démontré votre volonté d’instaurer à la fois une organisation et un financement.
Nous regrettons que le dispositif ne soit pas complet. Néanmoins, nous voterons ce texte, compte tenu des modifications opérées. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE.) À texte confus, réponse confuse : mélanger dispositions budgétaires et traitement d’une question sociétale ne permet pas de recueillir l’unanimité.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Nous avons dit que nous ne soutenions pas l’article créant la cinquième branche, mais nous allons voter le texte. M. Daudigny, lui, a dit qu’il souhaitait la création de la cinquième branche, mais il ne votera pas le texte… La démarche des politiques est parfois difficile à comprendre, mais je n’y reviendrai pas.
À partir du 15 juillet, nous examinerons le troisième projet de loi de finances rectificative de l’année, dont l’article 18 a trait à toutes les dépenses concernant la sécurité sociale. Je sais que cela répond à une demande forte de certains ministres, en particulier de M. Darmanin, qui considère que la loi de financement de la sécurité sociale doit désormais être intégrée à la loi de finances et qu’il doit y avoir une seule loi financière, puisque c’est toujours le contribuable qui paie. Nous ne sommes absolument pas d’accord avec cette vision des choses. L’article 18 du projet de loi de finances rectificative à venir aurait pu, à nos yeux, constituer un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative. Je compte sur vous, monsieur le secrétaire d’État, pour faire passer ce message aux ministres concernés.
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour explication de vote.
Mme Jocelyne Guidez. Je comprends les deux points de vue en présence dans ce très intéressant débat. Une cinquième branche sans moyens financiers s’apparente à une coquille vide, mais, comme l’a dit mon collègue Philippe Mouiller, sa création répond à des attentes fortes. Quand une porte s’entrouvre, j’ai tendance à vouloir y mettre le pied, pour qu’elle ne se referme pas tout de suite… Quoi qu’il en soit, j’ai envie d’y croire.
Monsieur le secrétaire d’État, faites attention à ne pas donner de faux espoirs, parce que, derrière tout cela, il y a des êtres humains, des personnes handicapées, des aidants, des aides à domicile qui attendent énormément de la création de la cinquième branche.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Bien évidemment, je voterai ce texte.
En tant que rapporteur, je me suis évertué à canaliser mes opinions personnelles, notamment sur la création de la cinquième branche. Néanmoins, je me réjouis que nous ayons pu entériner celle-ci, à la condition que nous puissions lui donner rapidement un réel contenu. Il y a déjà des financements – 22 milliards d’euros au titre de la sécurité sociale et 66 milliards d’euros pour la couverture de l’ensemble des risques –, mais il en faut un peu plus… Le rapport Libault était très précis sur ce point.
Nous attendons donc des avancées. Plus vite celles-ci interviendront, mieux ce sera, pour toutes les raisons que nous venons d’évoquer. Je pense ici aux hommes et aux femmes qui souffrent, qu’ils soient malades ou soignants. Il importe de progresser sur ce point.
Sur la règle d’or, nous nous sommes largement accordés. Les conditions que nous avons posées sont tout à fait compatibles avec la reprise lente de l’économie que l’on observe actuellement. La mise en œuvre du dispositif s’étalera sur cinq ans, de 2024 à 2029. C’est un appel à être plus vertueux dans la gestion de la sécurité sociale, ce qui, je m’empresse de le dire, ne signifie pas qu’il faille réduire les financements de la sécurité sociale. Au contraire, nous devons trouver d’autres moyens de financement, mais c’est un autre débat.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. J’ai entendu former beaucoup de vœux. Nombre de collègues déclarent faire confiance au Gouvernement. On se croirait le 1er janvier…
Je veux tout de même rappeler que l’hôpital a connu un an et demi de luttes très fortes, menées par toutes les catégories de personnel, qu’il s’agisse des soignants ou des personnels techniques ou administratifs. Le Gouvernement n’a pas répondu à leurs revendications.
L’épidémie de covid-19 a mis les hôpitaux en tension. Le personnel a fait face de manière remarquable. Aujourd’hui, il réitère ses demandes d’augmentation des salaires et de revalorisation des carrières. Un hommage a été rendu ce soir au personnel des Ehpad et à celui de l’aide à domicile. Nous aurions également pu évoquer les aidants familiaux. Mais ce qu’attendent ces personnels et notre groupe politique, ce sont des actes, des augmentations de salaires, et non des promesses vaines.
Mes chers collègues, la création de la cinquième branche au travers de ce texte est une sorte de cavalier législatif !
Mme Catherine Deroche. C’est vrai !
Mme Laurence Cohen. Le Parlement est méprisé, mais, pour nombre d’entre vous, mes chers collègues, cela ne fait rien : on passe l’éponge, on fait confiance… Pour notre part, nous ne faisons pas confiance, non pas a priori, mais parce que les exemples que j’ai donnés prouvent que, pour l’instant, le Gouvernement n’est pas au rendez-vous. Les recettes employées ne sont pas adaptées à la situation des hôpitaux, de notre système de santé, des Ehpad et des soins à domicile. Visiblement, rien ne change !
Le groupe CRCE votera contre ce projet de loi, comme il a déjà voté contre le projet de loi organique, conformément à ses prises de position, plutôt que de plaindre les personnels concernés avant de voter pour. Il faut avoir le courage d’assumer ses paroles et ses actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble du projet de loi relatif à la dette sociale et à l’autonomie.
(Le projet de loi est adopté.)
9
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 2 juillet 2020 :
À dix heures trente et quatorze heures trente :
Nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire (texte n° 578, 2019-2020).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt et une heures vingt.)
nomination de membres d’une mission d’enquête
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, la liste des candidatures préalablement publiée est ratifiée.
Commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion (trente-six membres)
M. Philippe Adnot, Mme Éliane Assassi, MM. David Assouline, Arnaud Bazin, Mme Céline Boulay-Espéronnier, M. Emmanuel Capus, Mme Laurence Cohen, M. Vincent Delahaye, Mmes Annie Delmont-Koropoulis, Catherine Deroche, Jacky Deromedi, Marie-Pierre de La Gontrie, Jocelyne Guidez, Annie Guillemot, Véronique Guillotin, MM. Olivier Henno, Jean-François Husson, Mme Victoire Jasmin, M. Bernard Jomier, Mme Muriel Jourda, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Martin Lévrier, Claude Malhuret, Mme Michelle Meunier, MM. Alain Milon, Olivier Paccaud, Mme Angèle Préville, MM. Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Damien Regnard, Jean-Claude Requier, René-Paul Savary, Jean Sol, Jean-Marie Vanlerenberghe et Mme Sylvie Vermeillet.
nomination de membres d’éventuelles commissions mixtes paritaires
La liste des candidats désignés par la commission des affaires sociales pour faire partie des éventuelles commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l’autonomie et du projet de loi relatif à la dette sociale et à l’autonomie a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, ces listes sont ratifiées. Les représentants du Sénat à ces commissions mixtes paritaires sont :
Titulaires : MM. Alain Milon, Jean-Marie Vanlerenberghe, Philippe Mouiller, René-Paul Savary, Yves Daudigny, Mme Michelle Meunier et M. Dominique Théophile ;
Suppléants : Mmes Catherine Deroche, Chantal Deseyne, Pascale Gruny, M. Olivier Henno, Mme Monique Lubin, M. Guillaume Arnell et Mme Cathy Apourceau-Poly.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication