Sommaire
Présidence de M. David Assouline
Secrétaires :
Mme Françoise Gatel, M. Michel Raison.
2. Remplacement de deux sénateurs
3. Candidature à une commission
4. Revalorisation des pensions de retraite agricoles. – Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure de la commission des affaires sociales
M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales
Clôture de la discussion générale.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure
M. René-Paul Savary, rapporteur
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État
Adoption de l’article.
Article 2 (suppression maintenue)
Article 5 (suppression maintenue)
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure
M. René-Paul Savary, rapporteur
Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État
Nomination d’un membre d’une commission
compte rendu intégral
Présidence de M. David Assouline
vice-président
Secrétaires :
Mme Françoise Gatel,
M. Michel Raison.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 25 juin 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Remplacement de deux sénateurs
M. le président. M. Christophe Chaudun a fait connaître à M. le président du Sénat qu’il se démettait de son mandat de sénateur de la Sarthe à compter du jeudi 25 juin 2020, à minuit.
En application de l’article L.O. 320 du code électoral, il est remplacé par Mme Muriel Cabaret, dont le mandat de sénatrice a commencé vendredi 26 juin, à zéro heure.
En application des articles L.O. 151 et L.O. 297 du code électoral, M. le président du Sénat a pris acte de la fin de plein droit, à compter du samedi 27 juin, à minuit, du mandat de sénateur de l’Ardèche de M. Jacques Genest.
En application de l’article L.O. 319 du code électoral, il est remplacé par Mme Catherine André, dont le mandat de sénatrice a commencé dimanche 28 juin, à zéro heure.
En votre nom à toutes et tous, je souhaite la plus cordiale bienvenue à nos nouveaux collègues.
3
Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires sociales a été publiée.
Elle sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
4
Revalorisation des pensions de retraite agricoles
Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer (proposition n° 539, texte de la commission n° 550, rapport n° 549).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites et auprès de la ministre du travail, chargé de la protection de la santé des salariés contre l’épidémie de covid-19. Monsieur le président, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd’hui pour que vous puissiez examiner et, je l’espère, adopter cette proposition de loi revalorisant les pensions de retraite agricoles, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale sur la proposition du député André Chassaigne.
Ce texte nous concerne tous ; tout d’abord, parce qu’il s’agit d’une question de justice sociale ; ensuite, parce que le travail et la production des agriculteurs sont essentiels pour notre pays et pour chacun d’entre nous ; enfin, parce que le niveau des pensions agricoles n’est pas digne du travail de ces acteurs indispensables pour nos territoires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le système de pensions agricoles est issu d’une longue et riche histoire. Il illustre l’évolution des activités dans notre pays. Il pose la question de notre engagement, en tant que société, vis-à-vis de cette profession universelle.
Nos agriculteurs ne nous demandent pas l’aumône : ils ont droit à la reconnaissance de chacun d’entre nous. Et ils ont surtout le droit d’avoir la garantie d’une vie digne quand l’âge ne rend plus possible la poursuite de l’activité professionnelle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la situation des retraités agricoles nous parle aussi d’universalité et de solidarité.
Je voudrais souligner qu’il y a là comme un paradoxe : le système de retraite agricole est catégoriel. Mais ce système ne peut fonctionner seul, avec les ressources issues des cotisations. Le régime de base repose largement sur des points et le régime complémentaire, je veux le rappeler, est lui intégralement en points. Ces régimes à points fonctionnent grâce à la solidarité nationale, car les deux sont bien compatibles, pour ceux qui en douteraient…
Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, votre engagement pour introduire plus d’équité dans notre système de retraite. Vous avez toujours voulu un débat riche et transpartisan. Dès 2018, le Sénat s’est mobilisé pour travailler sur une réforme globale du système de retraite, avec plusieurs colloques et travaux auxquels j’ai eu le plaisir d’assister.
Je cite la présentation qu’en faisait votre institution : « Simplification. Équité. Équilibre financier. Ces trois objectifs sont au cœur des recommandations du Sénat sur les retraites depuis plus de vingt ans. »
Je ne puis qu’être d’accord avec ces trois objectifs. Et je veux saluer les travaux, toujours d’une grande qualité, produits par votre assemblée ; je pense notamment aux rapports de M. René-Paul Savary, dont chacun connaît ici l’investissement et la maîtrise du sujet.
Les petites pensions de retraite sont une préoccupation du Gouvernement. Je veux rappeler que la réforme adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture, avant la crise sanitaire, prévoyait ces mesures de justice sociale. Je veux aussi rappeler que j’avais pris l’engagement d’aller plus loin sur ce sujet. C’est pour cela que le Premier ministre a demandé aux députés Turquois et Causse de produire un rapport et des propositions.
Ces travaux sont en cours. Ils nous permettront, j’en suis sûr, d’avoir une meilleure vision d’ensemble : conjoints collaborateurs, aides familiaux, mais aussi artisans et indépendants, salariés précaires, autant de nos concitoyens qui, eux aussi, perçoivent généralement des petites retraites après un parcours professionnel souvent difficile. Le texte qui vous est soumis n’est pas exhaustif, et soyez convaincus que le Gouvernement a bien l’ensemble du sujet en tête.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen à l’Assemblée nationale a permis d’aboutir à un texte équilibré.
L’article 1er porte sur la revalorisation des pensions agricoles. Il s’agit du cœur de cette proposition de loi. Il reprend la garantie d’une pension totale équivalente à au moins 85 % du SMIC net agricole pour les chefs d’exploitation ayant effectué une carrière complète. Il prend en compte l’ensemble des pensions du bénéficiaire, dans un objectif d’équité. Il prévoit l’application du dispositif aux futurs et aux actuels pensionnés et une mise en œuvre au plus tard au 1er janvier 2022.
Je sais que certains souhaiteraient que cette mesure s’applique encore plus vite (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRCE.), et c’est compréhensible. Je veux donc rappeler quelques éléments, comme je l’ai fait à l’Assemblée nationale.
Notre devoir, c’est de ne pas trahir la confiance du citoyen. En 2014, il a fallu seize mois pour la mise en place de la garantie à 75 % du SMIC. Et vous savez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, que cette garantie figurait déjà dans la loi Peiro, en 2002. Plus d’une décennie d’attente !
Aussi, je me refuse à faire voter des textes inapplicables, fussent-ils adoptés à l’unanimité. Voilà pourquoi le texte prévoit une application « au plus tard au 1er janvier 2022 ». Ne trahissons pas les attentes des agriculteurs et des agricultrices avec de fausses promesses.
Cette proposition de loi est un texte de progrès. Plus de 200 000 personnes, en métropole et dans les outre-mer, bénéficieront d’une hausse moyenne d’environ 110 euros de leur pension de retraite chaque mois.
J’ai parlé de l’outre-mer ; c’est le cœur de l’article 3. Le Gouvernement est conscient de la spécificité de l’activité économique sur ces territoires. C’est pourquoi le texte propose une adaptation de l’article 1er aux spécificités de carrière des agriculteurs ultramarins. Son application sera plus souple sur la durée d’affiliation et sur la durée cotisée, ce qui constituera un progrès. Ainsi, tous les retraités agriculteurs ultramarins qui ont liquidé à taux plein bénéficieront de la garantie.
L’article 4 s’inscrit dans cette logique de progrès pour les territoires ultramarins, en élargissant la couverture des salariés agricoles en matière de retraite complémentaire.
Enfin, s’agissant du financement, je veux rappeler aux parlementaires que ces débats auront lieu dans le cadre des lois budgétaires et à la lumière des travaux de la mission Causse-Turquois, que j’évoquais.
Cette proposition de loi nous le rappelle, beaucoup reste à faire pour offrir à tous nos concitoyens un système de retraite juste, pérenne et équitable.
Je voudrais terminer par un rappel, car ce texte s’inscrit dans une histoire, celle d’initiatives parlementaires visant à garantir un meilleur niveau de vie aux pensionnés agricoles. Je pense à la proposition de loi qui permit la création d’un régime de retraite complémentaire obligatoire pour les non-salariés agricoles. C’était au tournant du siècle dernier.
Si bien des choses ont évolué depuis lors, les débats tournaient déjà autour de deux sujets : la faiblesse des pensions de nos agriculteurs au regard de leurs efforts et de leur place dans la société ; les difficultés de financement inhérentes à ce régime.
Cette proposition de loi était issue du travail mené par le député Germinal Peiro. L’apport du Sénat, notamment à travers son rapporteur, le sénateur du Puy-de-Dôme Jean-Marc Juilhard, fut toutefois décisif. C’est lui qui porta l’inscription d’une garantie de pension fixée à 75 % du SMIC.
M. Jean-Marc Boyer. Exact !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Cette proposition de loi fut adoptée à l’unanimité et de façon conforme entre les deux chambres.
En 2017, c’est un autre parlementaire du Puy-de-Dôme, André Chassaigne, qui mit de nouveau ce sujet à l’agenda.
Aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons l’occasion, tous ensemble, de permettre à des centaines de milliers de Françaises et de Français d’améliorer leur quotidien. J’espère, au nom du Gouvernement, que c’est le sens que prendront vos débats.
C’est donc fidèle à cet engagement pour un système de retraite plus juste, équitable et solidaire que le Gouvernement soutient l’adoption de cette proposition de loi. (MM. Martin Lévrier et Franck Menonville applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier les administrateurs de la commission.
En 2016, quand nos collègues députés André Chassaigne et Huguette Bello ont déposé leur proposition de loi, ils prévoyaient son entrée en vigueur au 1er janvier 2018. Le texte que nous nous apprêtons à adopter devrait s’appliquer au 1er janvier 2022. Que de temps perdu pour arriver à cette mesure de justice, qui permettra de porter à 85 % du SMIC le montant garanti de pension pour un chef d’exploitation à carrière complète !
À l’heure où chacun s’attribue les mérites et la parenté de ce texte, nous n’oublions pas que le Gouvernement, ici au Sénat, avait fait échec à l’adoption définitive en première lecture de cette proposition de loi en 2018, en recourant au « vote bloqué ».
Deux ans après, le Sénat reprend donc l’examen de ce texte qu’avait rapporté à l’époque notre ancien collègue Dominique Watrin. Je suis heureuse aujourd’hui de porter ce texte devant vous avec mon collègue René-Paul Savary.
Je l’ai dit devant notre commission des affaires sociales et je le répète ici : ce texte est nécessaire, mais il n’est pas parfait, et, si nous allons le voter, nous n’oublions pas ses faiblesses. Je pense particulièrement à la question des conjoints collaborateurs et des aidants familiaux, qui ne sont pas concernés par ce dispositif. Ce sont souvent des femmes avec de faibles pensions : il faudra que nous travaillions sur ce sujet, car c’est aussi un combat d’égalité, une question de justice et de reconnaissance du travail effectué.
Je pense également au mécanisme d’écrêtement ajouté à l’Assemblée nationale, sur lequel nous avons une appréciation divergente avec mon collègue rapporteur. Je regrette qu’un tel dispositif vienne affaiblir cette avancée.
Ces manques ne doivent cependant pas nous empêcher de voter ce texte et d’assurer au plus vite ce progrès social pour les exploitants agricoles retraités, actuels et futurs.
Je vous parle d’avancées et je tiens à en souligner d’autres, que ce texte permet également. Nous sommes au Sénat et, vous le savez, nous nous devons de veiller à la bonne application de la loi sur l’ensemble de nos territoires. Or, dans les départements d’outre-mer, la « garantie 75 % » n’était pas encore une réalité.
Alors que les critères d’éligibilité prévus ne correspondent pas aux réalités des exploitations agricoles ultramarines, ce texte vient apporter des adaptations nécessaires, en aménageant notamment la prise en compte de la durée d’assurance. La « garantie 85 % » que nous allons adopter trouvera donc à s’appliquer dans l’ensemble des départements.
Nous nous apprêtons également à renforcer les droits à la retraite complémentaire pour les salariés agricoles de la Guadeloupe et de La Réunion, pour qui elle n’existe pas encore.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce texte est important. Aussi, au nom de la commission des affaires sociales, nous vous invitons à le voter et à contribuer ainsi à compenser, pour les exploitants agricoles retraités, l’impact sur leurs pensions des faibles revenus qu’ils connaissent trop souvent durant leur carrière. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR et UC.)
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est en effet une avancée que nous allons soutenir aujourd’hui. En revalorisant les petites retraites des chefs d’exploitation et d’entreprise agricole qui ont fait leur carrière à temps complet, nous ne devons pas oublier que ce sont aussi les revenus des agriculteurs qu’il faut travailler à améliorer.
Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, dans un système à points, de faibles revenus débouchent sur de faibles retraites. Ne l’oublions pas !
Nous ne devons pas oublier non plus que si nous créons ici un nouveau dispositif de solidarité, il existe par ailleurs l’allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA), un dispositif du régime commun auquel les agriculteurs ne font pas forcément appel, malgré la limitation des recours sur les actifs successoraux. C’est toutefois un dispositif complémentaire au minimum contributif qui nous réunit aujourd’hui.
Ce texte garantit donc une pension équivalente à 85 % du SMIC au 1er janvier 2022 et concerne à la fois le flux et le stock, c’est-à-dire ceux qui sont déjà à la retraite comme ceux qui toucheront leur pension après 2021. Il permet tout de même un relèvement substantiel des retraites agricoles, qui devraient passer de 904 euros à 1 025 euros.
Parce qu’il s’agit d’une attente forte des agriculteurs, la commission des affaires sociales, comme en 2018, soutient cette proposition de loi. Toutefois, notre commission a été vigilante sur plusieurs points.
Nous aurions bien évidemment préféré que l’entrée en vigueur ait lieu dès le 1er janvier 2021, mais nous avons eu comme priorité de ne pas retarder l’adoption de ce texte. C’est pourquoi nous souhaitons un vote conforme, d’autant que la CMP n’avait pas été inscrite à l’ordre du jour de la prochaine session extraordinaire et risquait donc d’être reportée aux calendes grecques – mieux vaut tenir que courir !
Le Gouvernement prétend que des problèmes techniques d’application seraient responsables de ce délai. Toutefois, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, en 2014, il a fallu seize mois pour organiser véritablement les choses. On peut penser que, en 2020, on mettra deux fois moins de temps, ce qui nous amène à janvier 2021. S’il y a une réelle volonté de part et d’autre, on doit pouvoir accélérer le processus !
De cette hésitation gouvernementale ressortent plusieurs lacunes sérieuses de rédaction du texte – ma collègue rapporteure et moi-même reviendrons sur cette question lors de la discussion des articles.
Nous nous sommes également interrogés sur le financement du dispositif, dont le surcoût est estimé à 261 millions d’euros. À l’origine, quand la loi a été déposée en 2018, elle concernait beaucoup plus de personnes – près de 300 000 – et son coût était évalué à 400 millions d’euros. Cette question méritera donc d’être posée lors du PLF.
En réalité, mes chers collègues, ce qui nous est présenté aujourd’hui, c’est un texte comme on ne les aime pas ! (Sourires.)
Tout d’abord, il nous est difficile de le modifier au Sénat, car, si nous ne le votons pas conforme, nous ne savons pas ce qu’il deviendra. Ensuite, pour l’instant, il n’est pas financé. On nous promet qu’il le sera lors du PLF 2021, nous serons vigilants sur ce point. En outre, il ne concerne pas tous les agriculteurs, seulement les chefs d’exploitation à temps complet qui ont eu une carrière complète ; les conjoints et les aidants familiaux sont oubliés. Enfin, la date d’application ne nous convient pas.
Néanmoins, nous vous demandons, mes chers collègues, de soutenir cette loi attendue de longue date, en espérant qu’elle réponde tout de même à la préoccupation d’un certain nombre d’agriculteurs – 196 000, en principe –, et le plus tôt possible. C’est la raison pour laquelle nous n’étions pas trop de deux rapporteurs pour cette proposition de loi (Sourires.), qui est importante, même si elle n’a fait l’objet d’aucun amendement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 21 décembre 2016, quelques mois avant l’élection présidentielle, donc dans un contexte budgétaire bien particulier, Huguette Bello et André Chassaigne déposaient à l’Assemblée nationale la proposition de loi que nous allons examiner aujourd’hui. Cosignée par les membres du groupe GDR, elle avait pour ambition de revaloriser les petites pensions de retraite des agriculteurs et de pointer la situation des retraités ultramarins.
Cette proposition de loi s’articule autour de deux piliers.
D’un côté, les articles 1er et 2 garantissent un niveau minimum de pension à l’ensemble des retraités, par une augmentation de leur montant à 85 % du niveau minimum du SMIC et par la création d’une nouvelle contribution sur les revenus financiers des sociétés financières et non financières liées au secteur agricole, affectée au régime de retraite complémentaire obligatoire.
De l’autre, les articles 3 à 5 contiennent des dispositions en faveur de la revalorisation des pensions des retraites agricoles dans les départements et régions d’outre-mer, en facilitant l’accès des chefs d’exploitation ou d’entreprise agricole ultramarins à la garantie « 75 % du SMIC », mais aussi en garantissant la couverture des salariés agricoles par les régimes d’assurance vieillesse complémentaire sur l’ensemble du territoire national.
La commission des affaires sociales du Sénat a adopté le 24 juin dernier, à l’unanimité et sans modification, cette proposition de loi de revalorisation des petites retraites agricoles. C’est bien là l’essentiel. Et cela démontre que, quel que soit notre bord politique, quel que soit notre territoire, quelle que soit l’époque, notre assemblée a toujours tenu en grande estime le monde agricole. Nous savons tous ce que la France leur doit et quel pilier ils constituent dans notre république.
D’aucuns voudront nous rappeler le chemin chaotique de cette proposition de loi…
M. François Bonhomme. Eh oui !
M. Martin Lévrier. … et transformer cette belle conclusion avec un regard politique qui me semble malvenu aujourd’hui, voire essayer de nous reprocher de voter aujourd’hui ce que nous aurions fait échouer hier…
« À chacun sa vérité », aurait dit Luigi Pirandello. Mais il est essentiel malgré tout de rappeler ici quelques éléments factuels, qui permettront à chacun de bien comprendre nos décisions.
Le texte, porté par le chef de file des élus communistes André Chassaigne, avait été adopté à l’unanimité en première lecture en février 2017, sous la précédente législature. En mai 2018, via une procédure de vote bloqué, le Gouvernement a demandé au Sénat un report de la date d’application de cette proposition. Le groupe CRCE a préféré retirer ce texte plutôt que de voter cette modification. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE et Les Républicains.)
Mme Céline Brulin. Et voilà que c’est de notre faute !
M. Martin Lévrier. Conscients des difficultés pour nos agriculteurs, nous avions une ambition et un engagement forts auprès d’eux. Nous sortions des états généraux de l’alimentation, qui s’étaient clôturés seulement deux mois avant et avaient pour principal objectif de permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail. (Mêmes mouvements.)
Mme Éliane Assassi. Vous inversez tout !
M. Martin Lévrier. Nous étions en pleine préparation d’une réforme systémique des retraites, dont l’ambition, en particulier pour le monde agricole, allait bien au-delà de la proposition que nous examinons aujourd’hui.
M. François Bonhomme. Et avec quel succès ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Martin Lévrier. Nous étions convaincus que cette proposition de loi, à l’époque, ne répondait pas à la nécessité d’agir avec réalisme, équité et l’assurance d’un financement pérenne.
Dès lors, comment voter un texte qui ne revalorisait qu’un seul type de pensions, à l’exclusion de toutes les autres, en particulier de celles des indépendants ou des artisans, tout aussi faibles, alors que nous travaillions sur un système universel des retraites ? N’était-ce pas mettre la charrue avant les bœufs ? (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE, SOCR et Les Républicains.)
M. François Bonhomme. L’expression est bien choisie !
M. Olivier Jacquin. Vous êtes gonflé !
M. Martin Lévrier. Au regard de cette réalité de l’époque, nous avions donc l’impression d’une loi construite dans l’urgence, qui entrait en collision avec les travaux du Gouvernement et qui risquait d’apporter plus de confusion que de solutions.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas vrai !
M. Martin Lévrier. Je vous rappelle également, mes chers collègues, que la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs étaient alors opposés à cette proposition de loi non financée, non pérenne et bien moins ambitieuse pour eux que les engagements vers lesquels nous allions dans la réforme systémique de notre système de retraite.
M. Fabien Gay. Vous voulez parler de la réforme qui faisait baisser les pensions ?
M. Martin Lévrier. La crise de la covid-19 vient de frapper de plein fouet notre pays. Une crise économique sans précédent s’abat sur nous. Même si nombre de décisions pour en limiter l’ampleur ont été prises avec justesse par le Gouvernement, le pragmatisme doit aujourd’hui l’emporter sur toute considération, que celle-ci soit idéologique ou centrée sur la certitude d’avoir raison.
Il était donc de bon sens de suspendre notre réforme systémique des retraites. Comme il est d’évidence de dire et rappeler que l’urgence pour les agriculteurs est toujours la même.
C’est pourquoi nous nous réjouissons que cette proposition de loi revienne en discussion dans notre assemblée. Nous saluons l’accord qui a eu lieu à l’Assemblée nationale. Nous sommes conscients, et devons le rappeler, que cette avancée constitue un petit pas, qui ne résout pas tout, en particulier la situation des conjoints des chefs d’exploitation ou des employés agricoles.
Pour autant, ce texte permet une avancée essentielle et urgente, et c’est donc tout naturellement que nous appelons à voter cette proposition de loi sans amendement. Bien évidemment, nous garderons un œil attentif sur le prochain PLF pour le financement de cette réforme, dont nous souhaitons qu’elle s’applique au plus vite, si possible avant le 1er janvier 2022.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, depuis la Seconde Guerre mondiale, nos agriculteurs ont contribué à construire notre autonomie et notre souveraineté alimentaire. Je veux à ce titre saluer leur mobilisation sans faille durant la crise que nous traversons. Sans eux, la continuité de la chaîne alimentaire n’aurait pas été garantie.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture était très attendue, tant en métropole que dans les territoires ultramarins. Elle vise à revaloriser le montant des pensions agricoles des retraités actuels et futurs de 75 % à 85 % du SMIC net pour une carrière complète.
Cette mesure correspond à une demande formulée depuis 2003 par la profession agricole. Le Gouvernement a néanmoins souhaité reporter l’entrée en vigueur de cette disposition à janvier 2022, tout en restreignant le nombre des bénéficiaires potentiels – ils passent de 292 000 à 196 000. Même si nous déplorons ce report et cette restriction, notre esprit de responsabilité nous invite à voter ce texte.
Pour des raisons de justice sociale, il me semble que nous devons procéder à la revalorisation des retraites agricoles, et cela le plus tôt possible. En effet, le montant moyen des retraites s’élève actuellement à 905 euros – quelque 953 euros pour les hommes et 852 euros pour les femmes. Le texte que nous examinons aujourd’hui le porterait à 1 025 euros.
Depuis près de cinquante ans, le monde agricole a contribué à l’essor économique de notre pays. Force est de constater qu’il n’en a pas toujours tiré les bénéfices. Ce métier est beau, mais difficile. La fatigue est plus que réelle et les heures de travail ne se comptent pas. Est-il nécessaire de rappeler que l’élevage nécessite un investissement de 365 jours par an ?
Trop nombreux sont encore ceux qui vivent très modestement et dont les revenus sont quelquefois inférieurs aux minimas sociaux. Nous ne pouvons pas différer le moment d’envoyer un signal fort de solidarité nationale. Ce moment est venu ! Pour des raisons d’attractivité économique du métier et plus encore d’accès au foncier, de nombreux jeunes agriculteurs renoncent à s’installer.
Il s’agit d’un véritable enjeu de transmission et de renouvellement des générations. En effet, le niveau des retraites détermine, entre autres, les conditions de cession des exploitations.
Monsieur le secrétaire d’État, ne pouvons-nous pas imaginer pour demain un système incitatif de majoration des points de retraite conditionnée à la transmission au profit d’un jeune agriculteur, notamment hors du cadre familial ? Cette question ne concerne pas directement cette proposition de loi ; il s’agit d’une proposition pour l’avenir.
Ce texte prévoit aussi de faciliter l’accès à la garantie des 75 % du SMIC pour les exploitants agricoles ultramarins, sujet sur lequel mon collègue Jean-Louis Lagourgue avait alerté le ministre de l’agriculture et de l’alimentation en février dernier.
Cette mesure bénéficiera notamment aux retraités agricoles de Guadeloupe et de La Réunion, qui ne bénéficient pas d’accord leur facilitant cet accès, contrairement aux agriculteurs de Martinique et de Guyane. Nous saluons cette avancée importante, notamment pour les chefs d’exploitation.
Très peu d’agriculteurs ultramarins arrivant à l’âge de la retraite peuvent faire état d’une carrière complète et bénéficier du dispositif de garantie de 75 % du SMIC. Les agriculteurs ultramarins retraités perçoivent en moyenne 375 euros de pension et un quart d’entre eux perçoit moins de 100 euros. Aussi, nous accueillons très favorablement cette disposition.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi, qui constitue une véritable mesure de justice sociale et d’équité. (Mme Laurence Cohen et M. Jean-Claude Requier applaudissent.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord dire à M. le secrétaire d’État que le mot « promesse » qu’il a utilisé a de l’importance pour un agriculteur, car il fait aussi référence à la graine déposée en terre. Là, monsieur le secrétaire d’État, vous faites une promesse pour plus tard, alors que, quand une injustice existe, il faut normalement la résorber le plus tôt possible.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Élisabeth Doineau. Deux ans après l’impasse provoquée par l’utilisation du vote bloqué, nous examinons en deuxième lecture la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.
Le report sine die de la réforme des retraites nous offre l’occasion de reprendre là où nous en étions restés. Près de quatre ans après le dépôt de la proposition de loi… Que de temps perdu pour le monde agricole !
La crise sanitaire que nous vivons éclaire d’un jour nouveau cette proposition de loi, en rappelant à l’ensemble des Français l’engagement sans faille des agriculteurs au service d’une production de qualité et de la souveraineté alimentaire de notre pays – Franck Menonville l’a évoqué.
Une nouvelle fois, les agriculteurs ont démontré leur grand sens des responsabilités et leur capacité à s’adapter. Et toujours pour un revenu bien trop faible, ce qui est la source de tous leurs maux ! Le travail de la terre ne paie pas.
Le tiers des agriculteurs perçoit un revenu inférieur à 350 euros par mois, ce qui ne permet pas de produire suffisamment de cotisations pour la retraite – M. le rapporteur en a parlé. Aussi, notre objectif collectif doit être de garantir une rémunération décente aux agriculteurs.
Toutefois – faut-il le préciser ? –, le texte que nous examinons aujourd’hui n’est qu’une étape dans la revalorisation des professions agricoles.
Son article 1er vise à augmenter le niveau de pension de base et complémentaire minimal des chefs d’exploitation ou d’entreprise agricole, en le passant à 85 % du SMIC, soit un peu plus de 1 000 euros, ce qui le rapproche du seuil de pauvreté.
Il s’agit d’une avancée importante, mais qui demeure à mon avis très incomplète. Elle est même quelque peu rabotée par rapport à son ambition initiale à la suite à son passage à l’Assemblée nationale il y a dix jours. En effet, les députés de la majorité ont adopté un mécanisme d’écrêtement en fonction du montant de retraite tous régimes confondus. Un retraité sur trois ne pourra donc pas bénéficier in fine de la garantie minimale de retraite.
L’argument avancé est de permettre l’équité entre les assurés monopensionnés et les assurés polypensionnés. En réalité, cela illustre une nouvelle fois que le travail agricole n’est pas reconnu à sa juste valeur.
À cela, il faut ajouter le report de la mise en œuvre de cette mesure à 2022, alors même que le président de la Mutualité sociale agricole, M. Pascal Cormery, a assuré que son application était possible dès le 1er janvier 2021.
Je regrette par ailleurs que cette proposition de loi ne traite pas de la situation, encore plus précaire, des conjoints collaborateurs ou membres de la famille aidants sur l’exploitation. À la pauvreté s’ajoute en effet, en matière de retraites agricoles, l’inégalité entre les femmes et les hommes : un différentiel de 258 euros par mois en moyenne est constaté au détriment des premières.
Ces femmes ne sont pourtant pas moins méritantes que leurs conjoints. Elles sont même des maillons indispensables au sein des exploitations agricoles.
M. François Bonhomme. Eh oui !
Mme Élisabeth Doineau. Sans remettre en cause l’avancée permise par cette proposition de loi, celle-ci risque de créer, dans le même temps, davantage d’inégalités.
Aussi, j’invite le Gouvernement à combler cette lacune d’ici à la mise en œuvre effective de cette loi. Pour cela, il faudra notamment amorcer la redéfinition du statut et des rémunérations des conjoints et des aidants familiaux.
Enfin, je tiens à saluer les avancées permises par ce texte pour les agriculteurs des départements d’outre-mer qui subissent actuellement plusieurs inégalités. Pour une carrière complète, les non-salariés agricoles ultramarins perçoivent une pension moyenne d’environ 200 euros de moins qu’un retraité en métropole. Moins du quart des monopensionnés ultramarins du régime des non-salariés agricoles a réalisé une carrière complète. Par conséquent, rares sont les bénéficiaires de la garantie des 75 % du SMIC.
Concernant le financement, le Gouvernement a levé le gage de la proposition de loi. L’article 2 qui instituait une taxe additionnelle de 0,1 % à la taxe sur les transactions financières a été supprimé afin de renvoyer la question du financement au prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. Dont acte ! Nous serons au rendez-vous, à l’automne, pour finaliser ce dernier chapitre.
Pour conclure, bien qu’imparfaite et incomplète, cette proposition de loi apporte des avancées salutaires aux retraités agricoles. Je regrette que les mesures adoptées à l’Assemblée nationale tendent à restreindre sa portée et à différer sa mise en œuvre. La situation des conjoints n’est toujours pas réglée ; il faudra s’y atteler urgemment.
Malgré ces réserves, le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi pour enfin clore cette séquence engagée il y a près de quatre ans, c’est-à-dire le temps de plusieurs jachères…
Espérons que ces jachères ont été profitables et qu’elles ne constituent que la première étape d’une avancée réelle pour les agriculteurs et leurs conjoints ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, j’avoue ma surprise, mais aussi ma satisfaction de vous retrouver aujourd’hui dans cet hémicycle, monsieur le secrétaire d’État, pour parler des retraites.
Surprise, parce que je me souviens – je ne suis pas la seule ! – du sort réservé au début de 2018 par le gouvernement auquel vous appartenez à cette proposition de loi d’André Chassaigne. Je ne pensais pas que ce texte prospèrerait !
Satisfaction, parce que nous allons, enfin, pouvoir voter cette augmentation des pensions agricoles, mais uniquement pour les chefs d’exploitations…
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez rappelé l’histoire des retraites agricoles et des propositions de loi, auxquelles les gouvernements de l’époque ne s’étaient pas opposés, bien au contraire.
En matière de retraites agricoles, il y a eu plusieurs périodes, notamment l’augmentation de 16 % des pensions et la création du statut de conjoint collaborateur entre 1997 et 2000, puis le plan pluriannuel, à partir de 2014, permettant d’atteindre 75 % du SMIC.
Ensuite, il n’y a eu plus rien, si ce n’est la proposition de loi de notre collègue député André Chassaigne, que nous allions voter à l’unanimité, mais que le gouvernement auquel vous appartenez a bloqué de manière abrupte et même, disons-le, assez brutale.
J’en profite pour rendre à César ce qui est à César ! En effet, depuis que cette proposition de loi a été votée à l’Assemblée nationale, j’entends ici ou là des députés s’approprier le bénéfice de ce vote, mais nous devons rétablir la vérité et remercier André Chassaigne et nos collègues du groupe CRCE pour leur opiniâtreté. (Mme la rapporteure applaudit.)
Le vote de cette proposition de loi conduira à des avancées essentielles, mais elle comporte trois lacunes importantes.
La première, c’est la date de sa mise en œuvre : le 1er janvier 2022. Pourquoi cette date, monsieur le secrétaire d’État ? Pourquoi votons-nous maintenant une disposition qui ne sera mise en place qu’au 1er janvier 2022, alors que la MSA estime qu’elle peut l’être 1er janvier 2021 ? J’ai très certainement mauvais esprit, mais j’espère que cela n’a rien à voir avec certaines échéances importantes de 2022…
M. René-Paul Savary, rapporteur. Si peu…
Mme Monique Lubin. La deuxième, c’est l’écrêtement pour les polypensionnés. Là, j’avoue que je ne comprends pas bien en vertu de quoi un agriculteur qui est obligé d’aller travailler ailleurs, parce qu’il ne peut pas vivre des fruits de son travail – c’est pour cette raison qu’il existe tant de polypensionnés agricoles – ne pourrait pas cumuler les droits qu’il a acquis.
Est-ce que nous nous opposons au cumul des droits pour les gens qui relèvent du régime général ? Je ne le crois pas. Je ne comprends donc absolument pas les raisons de cette décision.
Vous parlez de justice sociale, mais cette mesure n’est pas un marqueur de justice, bien au contraire. Je suis d’autant plus étonnée que le Président de la République et le Gouvernement parlent de travailler plus et de cumuler emploi et retraite. Or les agriculteurs cumulent déjà, mais ils n’auront pas les droits qui vont avec…
La troisième lacune n’est pas la moindre : les femmes ! Où sont les femmes, monsieur le secrétaire d’État ?
M. François Bonhomme. Et que fait Mme Schiappa ? (Sourires.)
Mme Monique Lubin. Nous avons tous des racines agricoles et nous savons bien comment fonctionnent les exploitations.
Aujourd’hui, la plupart des agricultrices sont des chefs d’exploitation, mais je pense aux autres, notamment à celles qui sont déjà retraitées – je le rappelle, ce texte concerne aussi les actuels retraités – et qui n’avaient pas ce statut, lorsqu’elles travaillaient. Il y a encore quinze ou vingt ans, les femmes qui aidaient à la ferme étaient invisibles : levées très tôt, couchées très tard, elles assumaient l’éducation des enfants, la maison et les travaux à la ferme. Les contraintes et la pénibilité étaient bien plus importantes qu’aujourd’hui.
Selon la rédaction que vous soutenez, monsieur le secrétaire d’État, ces femmes restent invisibles dans cette proposition de loi, ce qui n’est pas acceptable.
Lorsque vous avez présenté votre projet de réforme des retraites, vous n’avez cessé d’affirmer que les femmes en seraient les grandes gagnantes. Vous avez la possibilité de prendre aujourd’hui une décision qui va dans ce sens, mais vous ne le faites pas, alors même que votre collègue Marlène Schiappa clame partout que le sort des femmes s’améliorera.
M. François Bonhomme. Où est-elle, d’ailleurs ?
Mme Monique Lubin. Aujourd’hui, comme d’habitude, les femmes sont les grandes oubliées !
Pour autant, le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de loi en l’état. J’aurais aimé l’amender, mais je respecte le vœu de mes collègues et d’André Chassaigne, parce que nous voulons que les chefs d’exploitation voient leur retraite augmenter au 1er janvier 2021 – nous l’espérons ! – ou au 1er janvier 2022.
Sachez, monsieur le secrétaire d’État, que nous serons très vigilants sur le financement comme sur la date d’entrée en vigueur de ce texte et que, sur la question des polypensionnés, nous ne lâcherons rien – nous reviendrons à la charge ! Nous serons particulièrement vigilants sur le sort des femmes, les invisibles de l’agriculture. Vous savez donc ce qu’il vous reste à faire ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les retraités agricoles d’aujourd’hui sont les agriculteurs d’hier, ceux qui ont accompagné la modernisation de notre agriculture après la guerre, ceux qui ont permis à la France de se hisser au rang de grande nation agricole dans un monde devenu de plus en plus compétitif.
Les retraités agricoles de demain, ce sont les agriculteurs d’aujourd’hui, ceux qui s’engagent dans la transition écologique au service de l’intérêt général, ceux qui se sont investis sans relâche, en pleine crise sanitaire, pour garantir à nos concitoyens des étals fournis, incarnant ainsi une part de la souveraineté alimentaire que notre collègue du groupe du RDSE, Françoise Laborde, encourage fermement. Et il n’est nul besoin dans cet hémicycle de démontrer combien les agriculteurs contribuent à l’aménagement du territoire.
Pour toutes ces raisons et en retour du rôle économique et stratégique incontournable du secteur agricole, toutes les femmes et tous les hommes qui l’animent méritent la garantie d’un revenu décent à la hauteur de leur engagement.
Or le niveau de pension moyen des retraités agricoles est le plus faible de tous les régimes, malgré des ajustements au fil des années. Je pense par exemple à la loi dite « Peiro » du 4 mars 2002, qui, en instaurant le principe d’une pension à 75 % du SMIC par le biais de la retraite complémentaire obligatoire, a amélioré les droits des retraités agricoles sans toutefois parvenir à l’objectif chiffré.
Je rappelle aussi le plan quinquennal de revalorisation mis en œuvre en 2012 qui a mobilisé près de 900 millions d’euros. Plus près de nous, la loi du 20 janvier 2014 sur les retraites a permis de faire bénéficier aux conjoints et aides familiaux des points gratuits de retraite complémentaire de manière rétroactive.
Néanmoins, ces réformes n’ont pas permis de combler l’écart entre les différentes catégories de retraités. Le constat est unanime : voir nos anciens agriculteurs toucher, pour la majorité d’entre eux, une pension inférieure à l’allocation de solidarité aux personnes âgées n’est plus tolérable. En 2017, le montant moyen de la pension de droit direct était de 700 euros ; de surcroît, il existait une inégalité criante entre les hommes et les femmes : 900 euros pour les premiers et 530 euros pour les secondes.
Certes, nous connaissons les raisons structurelles de cette situation : des parcours de carrière discontinus, un effort contributif pas toujours suffisant, un régime d’assurance vieillesse caractérisé par un fort déséquilibre démographique qui complique son financement. Plus globalement, comme l’ont souligné nos collègues rapporteurs, les faibles revenus produisent de faibles pensions.
C’est pourquoi, en marge de ce débat, je souhaitais également souligner une autre nécessité sous-jacente au problème des retraites, celle de poursuivre le travail sur la question des revenus des exploitants. Au Sénat, nous y sommes tous sensibles et nous devons continuer à encourager toutes les mesures allant dans le sens de prix véritablement rémunérateurs.
En attendant, le groupe du RDSE soutiendra la proposition de loi de nos collègues députés. Je rappelle qu’il est depuis longtemps attentif aux retraités : ainsi, deux de ses membres ont déposé en 1998 une proposition de loi allant dans le sens d’une amélioration des pensions. Par conséquent, nous appelons de nos vœux l’instauration d’une pension à 85 % du SMIC. Les chefs d’exploitation ou d’entreprise agricole se verront ainsi garantir un revenu mensuel de 1 000 euros.
La proposition de loi porte également un intérêt à la situation des retraités ultramarins. Nous sommes sensibles à cette mesure d’équité dans des territoires qui ont des spécificités auxquelles il faut répondre afin de ne pas creuser l’écart entre l’hexagone et l’outre-mer.
Parmi les regrets que nous sommes nombreux à partager, je tiens tout d’abord à évoquer les interrogations qui existent sur le sort des retraites en cours. Sans méconnaître les enjeux budgétaires, nous attendons des réponses sur ce que l’on appelle « le stock ».
Ensuite, le texte laisse de côté la situation des conjoints collaborateurs ou aidants familiaux – je pense en particulier à la situation des agricultrices.
Comme vous le savez, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes du Sénat s’est penchée en 2017 sur la situation des agricultrices, qui représentent aujourd’hui un quart des exploitantes et des co-exploitants agricoles. Dans le rapport d’information que Françoise Laborde a présenté avec six de ses collègues, près de quarante recommandations ont été émises, dont quelques-unes visaient à prendre en compte la situation des agricultrices retraitées qui sont placées plus souvent que les hommes dans des situations de précarité financière.
Aussi, j’espère, monsieur le secrétaire d’État, que ce texte ne sera que le début d’une plus large réflexion sur l’avenir de tous les acteurs du monde agricole – salariés, conjoints et aidants.
À ce stade, pour permettre l’adoption d’un texte très attendu – je dirai même trop longtemps attendu, eu égard aux conditions de son examen, que personne n’a oubliées –, il est urgent de mettre en œuvre la réforme générale du système de retraite pour revaloriser les pensions des agriculteurs.
Aussi, nous comptons sur vous, monsieur le secrétaire d’État, pour envisager des mesures dès 2021, plutôt qu’en 2022. Dois-je rappeler que la proposition de loi a été déposée en 2016 ? Le plus tôt sera donc le mieux !
Le monde agricole nous regarde. Nous avons tous suffisamment croisé de retraités en difficulté pour savoir qu’un effort de solidarité nationale à leur égard est une reconnaissance, une obligation et un devoir moral. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Franck Menonville et M. le rapporteur applaudissent également.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui répond à une nécessité et à une urgence sociale. Il est en effet indispensable de revaloriser les retraites des chefs d’exploitation agricole.
Il existe des petites retraites dans d’autres professions, chacun le sait, mais c’est dans le secteur agricole qu’elles sont les plus faibles. Le montant moyen de la pension d’un retraité agricole se situe entre 700 euros et 800 euros en métropole et bien moins encore dans nos territoires ultramarins, ce qui est inférieur au seuil de pauvreté et au montant du minimum vieillesse.
Il n’est pas uniquement question de revenus, même si c’est vital ; il est aussi question de dignité. Cette situation contraint en effet nombre d’agriculteurs à poursuivre leur activité : 15 % de nos agriculteurs sont encore en activité, alors qu’ils ont plus de 65 ans – certains vont au-delà de 70 ans… Cela contribue à retarder l’installation de jeunes, voire à les décourager un peu plus d’exercer ce beau, mais très difficile métier.
Le principal problème des retraites agricoles réside dans la faiblesse des revenus professionnels. Sur ce point, malgré les très fortes attentes exprimées à l’occasion des états généraux de l’alimentation, la loi Égalim n’a malheureusement pas permis d’avancer. L’enjeu d’une meilleure répartition de la valeur entre les producteurs, l’industrie agroalimentaire et la grande distribution reste devant nous, tout comme la nécessité d’une politique agricole commune qui protège les plus petits producteurs et garantit des revenus justes et stables aux agriculteurs.
Néanmoins, sans attendre davantage – trop de temps a déjà été perdu ! –, chaque agriculteur doit pouvoir bénéficier d’une pension décente au moment où il cesse son activité. Il y va de la justice sociale comme de la promotion d’un certain type de modèle agricole.
Si nous voulons une agriculture avec des agriculteurs – je rappelle que le porte-parole de la Commission européenne se demandait il y a quelques mois encore, si nous avions besoin d’autant d’agriculteurs en Europe… –, si nous voulons résister aux phénomènes de financiarisation de l’agriculture et d’accaparement des terres agricoles, si nous voulons une agriculture à taille humaine, garante de qualité et de sécurité alimentaire, alors, il faut soutenir nos producteurs.
Tel est l’objet de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui qui vise à leur garantir un niveau minimum de pension supérieur au seuil de pauvreté. Ainsi, son article 1er porte le montant minimum des retraites agricoles à 85 % du SMIC net.
Cette proposition de loi, portée depuis 2016 avec détermination par notre collègue et ami, le député André Chassaigne, arrive au bout du circuit parlementaire après de nombreuses péripéties. Je rappelle que, en 2017, la commission des affaires sociales du Sénat a adopté ce texte à l’unanimité, mais, par un artifice procédural, le Gouvernement en a finalement empêché l’adoption.
Nous espérions que l’exécutif avait retrouvé le sens de l’intérêt général à la faveur de cette nouvelle occasion. C’était sans compter l’adoption d’un amendement, par La République En Marche à l’Assemblée nationale, qui tend à réduire la portée de ce texte et à en retarder l’application. Je vous ai bien écouté, monsieur le secrétaire d’État. Vous essayez de vous rattraper, en évoquant janvier 2022 « au plus tard », mais je vous le dis clairement : le plus tôt sera le mieux !
La majorité présidentielle a modifié la proposition de loi initiale, en instaurant un dispositif d’écrêtement qui tourne le dos au principe d’universalité des retraites. En introduisant une distinction entre les agricultrices et les agriculteurs polypensionnés et les autres, l’écrêtement est en contradiction avec la logique de garantie minimale. Pis, cette mesure, défendue par la majorité présidentielle, va exclure 100 000 personnes du bénéfice du dispositif, soit le tiers des bénéficiaires potentiels.
Le monde agricole mérite pourtant un geste fort de reconnaissance. Il a encore démontré durant la crise sanitaire son caractère stratégique, et les agriculteurs ont fait preuve d’un dévouement que les Français, eux, ont reconnu.
Cela dit, ce texte est une première étape vers la revalorisation des pensions de retraite du monde agricole. Il nous faudra poursuivre le travail en faveur des conjoints collaborateurs, c’est-à-dire généralement des femmes, ou encore des aides familiaux, car leurs pensions, loin de refléter leur rôle dans les exploitations agricoles, sont toujours parmi les plus faibles de notre système de retraite.
Nous invitons donc l’ensemble du Sénat à voter cette proposition de loi, afin d’améliorer concrètement la retraite des chefs d’exploitation. Comme nous y ont incités les deux rapporteurs, nous devrons aussi poursuivre le travail sur les champs qui ne sont malheureusement pas couverts par ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer.
M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a deux ans déjà, nous débattions dans notre hémicycle de cette même proposition de loi d’André Chassaigne visant à revaloriser les retraites agricoles.
Nous mettions tous unanimement en exergue la nécessité d’une meilleure retraite pour nos agriculteurs. Tous, sauf le Gouvernement qui a préféré nous mettre au pied du mur avec la technique parlementaire du vote bloqué pour ne pas permettre la revalorisation immédiate et nécessaire que nous souhaitions.
Nous voilà enfin de retour aujourd’hui pour reprendre la discussion sur ce texte essentiel pour le niveau de vie de nos retraités, qui n’ont pas aujourd’hui le juste retour du labeur de toute une vie.
Georges Pompidou, Président de la République, qui connaissait bien la ruralité du Cantal et la rudesse de la vie des agriculteurs, en témoignait ainsi : « Mon père et ma mère appartenaient profondément à la famille française, dure au travail, économe, croyant au mérite, aux vertus de l’esprit, aux qualités du cœur. Je n’ai pas eu une enfance gâtée, mais si loin que je remonte je n’ai reçu que des leçons de droiture, d’honnêteté et de travail. Il en reste toujours quelque chose ».
Ce propos résonne toujours fortement pour nous, fils et petit-fils de paysans, car nous sommes plusieurs dans ce cas au sein de la Haute Assemblée. Nous avons tous été marqués par la retraite de misère de nos parents et grands-parents, et nous ne pouvons plus accepter le sort de nos nombreux retraités agricoles.
J’en appelle à la dignité pour nos agriculteurs. J’en appelle à plus de justice pour nos territoires ruraux. J’en appelle à l’équité et à la solidarité des parlementaires pour des hommes et des femmes qui ont travaillé durement toute leur vie et qui se retrouvent, pour certains d’entre eux, sous le seuil de pauvreté !
Après le vote bloqué imposé par le Gouvernement, j’avais, avec mon éminent collègue Laurent Duplomb, déposé une proposition de loi similaire, car nous ne pouvions pas nous résigner. La dignité d’une nation se mesure aussi à l’aune de la considération qu’elle porte à ses aînés.
La ténacité et le pouvoir de persuasion au plus haut niveau du « compagnon Dédé » font que cette proposition de loi est de nouveau discutée dans un contexte où la réforme globale des retraites est suspendue. Je ne puis que saluer ce retour.
Aujourd’hui, un agriculteur sur trois touche une pension de moins de 350 euros par mois. Ce régime offre les pensions parmi les plus faibles en moyenne. Le présent texte propose d’offrir un minimum que tout un chacun est en droit d’attendre après une vie de travail, sans avoir jamais sollicité d’aides sociales diverses ni la solidarité nationale, alors que les enfants accompagnent bien souvent leurs parents et leurs grands-parents en fin de vie à domicile.
Cette préoccupation a été celle de gouvernements successifs depuis 2002. En 2011, notamment, le régime de retraite a été élargi, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, grâce à Jean-Marc Juilhard, alors sénateur du Puy-de-Dôme. Toutefois, 75 % du SMIC, c’est assurément insuffisant ; 85 %, c’est un minimum vital !
Il est essentiel que cette revalorisation à 85 % s’applique pour tous les retraités dès à présent. Le texte prévoit une revalorisation pour les actifs au 1er janvier 2021, et pour tous les retraités actuels en 2022.
La nécessité d’une application immédiate pour tous, exprimée voilà deux ans, est toujours la même. Nos retraités ne peuvent pas attendre 2022 ! L’urgence était déjà présente hier, et elle s’est même renforcée avec la crise financière de la covid, durant laquelle nos agriculteurs ont répondu présents en assurant notre approvisionnement et notre indépendance alimentaires durant toute la période de confinement.
Monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes engagé devant l’Assemblée nationale en tenant les propos suivants : « Si nous pouvons le faire plus tôt, nous le ferons plus tôt ». Néanmoins, vous avez mis en avant des difficultés techniques, alors que le président de la Mutualité sociale agricole, la MSA, a précisé la semaine dernière que la chose était possible dès janvier 2021. Alors, allons-y !
Par ailleurs, les épouses et conjointes collaboratrices des agriculteurs doivent être incluses dans la réforme. Il serait totalement injuste que leur investissement au côté de leur conjoint ne soit pas pris en compte et considéré.
Enfin, j’appelle votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur un financement juste de cette revalorisation, financement actuellement projeté dans le PLFSS.
Bien entendu, notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Bertrand.
Mme Anne-Marie Bertrand. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, que de temps perdu ! Au Salon international de l’agriculture de 2018, le Président de la République déclarait : « Je ne peux pas, avoir, d’un côté, des agriculteurs qui n’ont pas de retraite, et, de l’autre, un statut de cheminot et ne pas le changer. »
Nous sommes aujourd’hui en 2020 et nous discutons pour la seconde fois de ce texte. Vous ne m’entendrez pas dire qu’une revalorisation peut se faire d’un claquement de doigts. Avouez, néanmoins, que vous n’avez rien fait pour accélérer cette dernière, et ce n’est rien de le dire.
Il y a tout d’abord eu votre amendement reportant à 2020 cette revalorisation, alors que nous souhaitions, ici même au Sénat, qu’elle entre en vigueur dès 2019. Puis, il y a eu un vote bloqué pour nous en empêcher. Aujourd’hui, c’est à 2022, au lieu de 2021, que vous souhaitez reporter cette revalorisation.
Je tiens en cet instant à préciser que nous parlons bien d’une revalorisation de pensions de retraite de 75 % à 85 % du SMIC. Il me faut souligner, et même marteler, que, aujourd’hui, un agriculteur sur trois à une retraite inférieure à 350 euros par mois. S’il y a bien une leçon que nous devons tirer du confinement, c’est que notre indépendance alimentaire est ô combien précieuse. Ces femmes et ces hommes répondent à nos besoins primaires.
Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui ont pris conscience que rien n’apparaît par magie dans les rayons des supermarchés.
Aujourd’hui, personne ne peut ignorer la retraite indécente de nos agriculteurs. Personne ne peut, non plus, ignorer la dureté de ce travail. Rendez-vous compte : alors que notre pays compte plus de 3 millions de personnes sans emploi, les maraîchers des Bouches-du-Rhône ont dû faire appel à des travailleurs détachés, car il n’y avait pas suffisamment de main-d’œuvre.
Comme souvent, je regrette la méthode du Gouvernement, pour des considérations non pas procédurales, mais plutôt politiques. Quand vous vous félicitez, dans les médias, de cette revalorisation, je ne suis pas sûre que vous mesuriez bien l’espérance que vous faites naître.
Je regrette de ne pas avoir beaucoup entendu votre collègue Marlène Schiappa concernant la retraite des conjoints.
M. François Bonhomme. Elle va arriver ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne-Marie Bertrand. En effet, les conjoints sont très souvent des conjointes, et leurs pensions resteront, quant à elles, à 550 euros par mois.
Quand, soudain, après ces belles annonces, les collaborateurs et aides familiaux se rendent compte qu’ils en sont exclus, mesurez-vous leur colère, leur désarroi ? En effet, cette revalorisation ne concerne que les chefs d’exploitation.
Cette autosatisfaction est indécente. Après autant de mobilisation, daigner porter à 85 % du SMIC la retraite d’une partie seulement de ceux qui nous nourrissent devrait vous appeler, je pense, à plus de modestie. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en france continentale et dans les outre-mer
TITRE Ier
GARANTIR UN NIVEAU MINIMUM DE PENSIONS À 85 % DU SMIC ET DE NOUVELLES RECETTES POUR LE FINANCEMENT DU RÉGIME DES NON-SALARIÉS AGRICOLES
Article 1er
(Non modifié)
I. – L’article L. 732-63 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° A Le I est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes mentionnées au présent I ne peuvent bénéficier d’un complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire que si elles ont fait valoir l’intégralité des droits en matière d’avantage de vieillesse auxquels elles peuvent prétendre auprès des régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, de base et complémentaires, français et étrangers, ainsi qu’auprès des régimes des organisations internationales. » ;
1° B Le II est ainsi rédigé :
« II. – Ce complément différentiel a pour objet de porter les droits propres servis à l’assuré par le régime d’assurance vieillesse de base et par le régime de retraite complémentaire obligatoire des personnes non salariées des professions agricoles à un montant minimal lors de la liquidation de ces droits. » ;
1° Le premier alinéa du IV est ainsi modifié :
a) La première phrase est complétée par les mots : « en vigueur le 1er janvier de l’année civile au cours de laquelle la pension de retraite prend effet » ;
b) Les deuxième et dernière phrases sont remplacées par une phrase ainsi rédigée : « Ce pourcentage est égal à 85 %. » ;
2° Il est ajouté un V ainsi rédigé :
« V. – Lorsque le montant des pensions de droit propre servies à l’assuré par les régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, de base et complémentaires incluant le montant du complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire, français et étrangers, ainsi que par les régimes des organisations internationales excède un plafond fixé par décret, le complément différentiel est réduit à due concurrence du dépassement.
« Les modalités de revalorisation du plafond mentionné au premier alinéa du présent V sont fixées par décret. »
II. – A. – Le I entre en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le 1er janvier 2022.
B. – Le I est également applicable aux pensions de retraite ayant pris effet avant le 1er janvier 2022, dans les conditions suivantes :
1° La valeur du salaire minimum de croissance est celle en vigueur le 1er janvier 2022 ;
2° L’application du V de l’article L. 732-63 du code rural et de la pêche maritime ne peut avoir pour conséquence une baisse de la pension de retraite complémentaire.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, la commission n’a pas la même lecture que le Gouvernement de cet article, et particulièrement de son II. Nous l’avons constaté lors de l’audition de M. le secrétaire d’État pour préparer cette deuxième lecture.
L’Assemblée nationale a adopté un amendement pour que l’application du I se fasse au plus tard au 1er janvier 2022, et non plus nécessairement à cette date. Seulement, et j’invite chacun à lire cet article, aucune coordination n’a été faite ni au B du II de l’article 1er ni aux II et III de l’article 3.
Ainsi, soyons clairs, que vous le vouliez ou non, ce que dit le texte de loi dont nous débattons, c’est bien que vous pouvez avancer l’entrée en vigueur du II, et non du I, de l’article 1er. Cela signifie que, dans le cas où le Gouvernement prendrait un décret anticipant la date du 1er janvier 2022, cette disposition n’aurait de valeur que pour les nouveaux retraités de l’Hexagone.
Pour les retraités actuels, comme pour les adaptations retenues pour les agriculteurs des départements d’outre-mer, la date d’entrée en vigueur est précisée clairement dans la loi : ce sera le 1er janvier 2022 ! L’absence de coordination ne vous laisse donc pas la possibilité d’anticiper.
Vous nous avez indiqué que si, d’aventure, vous décidiez d’anticiper l’entrée en vigueur, vous prendriez une circulaire permettant d’intégrer les retraités actuels et les outre-mer. C’est là une bien singulière interprétation de la hiérarchie des normes, que nous ne pouvons pas nous permettre de partager dans cette assemblée.
Monsieur le secrétaire d’État, nous n’avons pas amendé ce texte pour ne pas retarder son adoption définitive. Aussi, notre souhait est de voir ces coordinations assurées dans un texte prochain, peut-être celui qui assurera le financement de cette réforme.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. René-Paul Savary, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi à mon tour d’enfoncer le clou. Les choses sont claires entre ce que l’on appelle le flux et le stock. Ceux qui vont être à la retraite en 2021 pourront bénéficier, si vous prenez les décrets nécessaires, d’une revalorisation, ou plutôt d’une valorisation de leur retraite à hauteur de 85 % du SMIC de 2021. Ils seront ensuite revalorisés en 2022 quand on connaîtra le niveau du SMIC cette année-là.
Pour ce qui est du stock, c’est-à-dire de ceux qui sont déjà à la retraite, comme on ne connaît pas encore le SMIC de 2022, vous aurez beau prendre un arrêté ou une circulaire pour donner des consignes aux caisses de retraite afin d’essayer de tenir compte de ces critères, ce n’est pas ce que la loi dit expressément.
Il faut donc adapter ce texte au travers du B du II de l’article 1er et du II de l’article 4. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, nous comptons sur vous pour trouver le véhicule législatif le plus adapté, si vous avez réellement la volonté de donner satisfaction aux retraités actuels ou à ceux d’outre-mer, et non pas de les bercer d’illusions.
Ce véhicule législatif peut très bien être le PLF. Pourquoi ce texte et non pas le PLFSS, comme cela a pu être évoqué ? Parce qu’il s’agit d’une allocation différentielle qui porte sur les retraites obligatoires, mais complémentaires, et qui ne sont pas dans le champ du PLFSS aujourd’hui.
Vous aviez proposé de le faire dans la loi portant réforme des retraites. Nous en avions parlé en commission des affaires sociales, et c’était tout à fait envisageable pour avoir une vision globale des retraites, mais, aujourd’hui, n’oubliez pas vous allez devoir financer cette mesure, donc le PLF serait assez adapté. En tout cas, vous devez faire un choix, afin de faire passer les adaptations nécessaires pour que ces ressortissants bénéficient de la mesure le plus tôt possible.
À l’époque, la loi n’avait pas été votée, car nous étions censés attendre la réforme des retraites. Les choses n’ont pas changé, et il n’y a toujours pas de loi sur les retraites.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Permettez-moi de conclure, monsieur le président, ou je m’exprimerai sur l’article 2…
Cette loi n’avait pas été votée, non plus, parce qu’il n’y avait pas de financement. Or ce dernier n’est pas davantage prévu dans le présent texte.
Si nous n’y prenons garde, l’issue risque donc d’être identique. C’est la raison pour laquelle nous tenons à donner satisfaction aux chefs d’exploitation en votant ce texte sans délai, mais nous attendons de vous, monsieur le secrétaire d’État, la garantie que le flux et le stock seront bien pris en compte dans la revalorisation des pensions à 85 % du SMIC.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. Très bien !
M. le président. Monsieur le rapporteur, je ne fais qu’appliquer les règles.
M. René-Paul Savary, rapporteur. Merci, monsieur le président !
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, comme beaucoup ici, je viens d’un département où des hommes et des femmes ont participé fortement, et souvent durement, à relever la France, à une époque où l’on croyait encore à l’agriculture pour assurer notre indépendance alimentaire. Et voilà que, enfin, après des manœuvres quelque peu dilatoires – il est nécessaire de le rappeler, monsieur Lévrier –, nous examinons cette proposition de loi, alors que le monde agricole attend des mesures fortes depuis longtemps.
La situation des retraites agricoles n’a que très peu évolué depuis l’arrêt brutal de l’examen de ce texte, au moyen d’un vote bloqué, voilà un peu plus de deux ans. Que de temps perdu ! Que d’atermoiements ! Depuis lors, le mouvement de disparition des petites exploitations familiales s’est poursuivi. Il faut savoir que près de 100 000 emplois d’exploitants et d’ouvriers agricoles ont été perdus dans ma région depuis 1968.
Je rappelle que la pension moyenne des non-salariés agricoles, en tout cas si l’on en croit la caisse centrale de la MSA, est de 953 euros pour les hommes et de 852 euros pour les femmes. Par ailleurs, beaucoup l’ont dit, un tiers des agriculteurs perçoivent moins de 350 euros par mois.
Dès lors, ce dispositif de revalorisation des retraites à 85 % du SMIC, soit un peu plus de 1 000 euros, constitue une avancée juste et nécessaire pour celles et ceux qui ont tant donné pour relever notre agriculture.
Dans ces conditions, la mise en œuvre de cette mesure avant 2022 est très importante, monsieur le secrétaire d’État. Dès lors, quand la majorité repousse l’application d’un an, au 1er janvier 2022, en faisant valoir des « motifs techniques », cela s’apparente à une triste et piètre diversion, d’autant que le président national de la MSA, M. Cormery, a bien indiqué qu’il n’y avait aucun obstacle de ce type qui empêchait une entrée en vigueur du dispositif dès le 1er janvier prochain.
Je rejoins donc les positions de nos rapporteurs, et j’ose espérer que le Gouvernement prendra un décret pour une mise en œuvre dès le 1er janvier prochain.
Si les objectifs visés par ce texte sont bienvenus, ce dernier reste toutefois bien incomplet et partiel. Je regrette notamment qu’il n’y ait pas d’évolution concernant l’absence de prise en compte des conjoints collaborateurs et des aidants familiaux. J’aurais moi aussi souhaité que Mme Schiappa vienne s’expliquer sur la disparité des situations, et je ne m’explique pas son absence. (M. Martin Lévrier s’esclaffe.)
La délégation aux droits des femmes du Sénat avait produit un rapport, voilà trois ou quatre ans, sur ce problème, et nous ne voyons toujours rien venir. J’espère que le rachat ou l’expiation aura fait son œuvre dans la nuit.
Pour conclure, je dirai que ce texte apporte un progrès certes partiel, mais attendu par le monde agricole. Il ne constitue qu’une première étape et il doit être complété et amélioré.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, sur l’article.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le secrétaire d’État, je suis agriculteur et j’ai tenu à faire l’aller-retour cet après-midi pour participer physiquement à ce petit progrès social, largement attendu dans les campagnes et par les plus fragiles de ceux qui tentent de vivre de la terre.
Derrière la question des faibles retraites, par définition, il y a l’évidence des faibles revenus. Monsieur le secrétaire d’État, je vous ai bien écouté, et j’ai pu constater que vous n’aviez pas utilisé l’expression « justice sociale », comme vous l’aviez fait la semaine dernière à l’Assemblée nationale. En effet, vous vous êtes fait étriller en faisant ensuite la démonstration d’une certaine mesquinerie, passez-moi le terme, à ne pas vouloir rendre justice immédiatement pour faire quelques économies.
J’attire votre attention, mes chers collègues, sur les points en question. Vous décidez de faire l’économie d’une année, comme ma collègue Monique Lubin l’a fort bien dit, parce que vous avez besoin de temps. En revanche, pour supprimer l’ISF, vous n’avez pas eu besoin de temps, puisque vous l’avez fait quasi immédiatement ! De même, pour inventer le prélèvement forfaitaire unique, autrement dit la flat tax. Or, là, vous avez besoin de temps, alors que le président de la MSA dit qu’il peut, si vous prenez le bon décret, agir rapidement.
Autre point sensible, vous visez les plus faibles. En disant que les polypensionnés vont être écrêtés, on a l’impression que l’on va agir sur des riches parmi les retraités agricoles. Pensez donc, des polypensionnés… Mais pourquoi le sont-ils ? Parce qu’ils n’ont pas assez de revenus sur leur exploitation et qu’ils sont obligés d’aller chercher des revenus à l’extérieur pour compléter leur pitance, et bien souvent sur des postes de salariés à temps partiel.
S’agissant des femmes, ou plus précisément des conjointes collaboratrices, on a inventé ce sous-statut pour celles qui étaient, Monique Lubin l’a dit, des invisibles sur les exploitations agricoles. Les femmes peuvent encore attendre, puisqu’elles ne manifesteront pas, pense-t-on. Et en même temps, on tient de grands discours sur la parité…
Pour ce petit progrès social, qui est positif et que nous allons voter, des propositions sont venues régulièrement soit de groupes politiques de gauche, soit de gouvernements de gauche. Et eux ne se sont pas contentés d’incantations !
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, sur l’article.
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux revenir sur l’écrêtement des pensions. Comme vient de le dire Olivier Jacquin, tout le monde sait très bien qu’un agriculteur polypensionné est un agriculteur qui est obligé d’aller travailler à l’extérieur. Il n’a pas le choix ! J’ai lu certains chiffres, dont un révélant qu’aujourd’hui 90 % des agriculteurs seraient polypensionnés. C’est tout de même impressionnant.
J’ai bien compris quelle était votre philosophie dans cette histoire d’écrêtement. Le Gouvernement considère qu’il s’agira d’une allocation complémentaire, en quelque sorte de solidarité, et que, comme toute allocation de solidarité, elle doit tenir compte de tous les revenus. Il faut donc qu’il y ait une somme maximale à ne pas dépasser.
Toutefois, ne pourrait-on pas considérer, puisque l’on parle là d’agriculteurs qui auront travaillé et cotisé une carrière pleine, et non pas de personnes qui auraient eu des carrières hachées ou des accidents de parcours, qu’il s’agit d’un droit à retraite plein, lui aussi, donc ne pas appliquer d’écrêtement ? Je le répète, dans aucune autre profession nous ne pratiquons les écrêtements de pension de retraite. Je demande réellement à ce que l’on y réfléchisse, non pas cette fois-ci, nous l’avons bien compris, mais dans des temps très proches.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, sur l’article.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je dirai juste un mot pour évidemment saluer ce texte qui arrive enfin, même si, et ce sont les limites de l’exercice, on attend son financement.
Je veux tout de même vous dire que, dans les départements ruraux comme celui que je représente, franchement, le temps législatif n’est pas le temps des agriculteurs. On a déjà dit dix fois que l’on avait non pas un ministre des agriculteurs, mais un ministre de l’agriculture, et notre débat d’aujourd’hui l’illustre bien. Le moment où nos agriculteurs et nos agricultrices ont besoin de toucher leur retraite n’est pas celui de ce temps législatif, qui n’en finit plus et qui s’est déroulé dans les conditions que l’on sait.
Je veux aussi rappeler, pour appuyer les propos de mon collègue Jacquin, que, la semaine dernière, le P-DG d’Air France a bénéficié d’un bonus de 760 000 euros, et pas seulement parce que son entreprise a touché 7 milliards d’euros de garantie de l’État, plus 4 milliards d’euros de prêts, et qu’il va licencier 10 000 salariés – non, tout cela n’est pas très grave ! (Sourires sur les travées des groupes UC, SOCR et CRCE.)
En revanche, j’ai calculé que ces 760 000 euros représentaient un peu plus de 1 000 mois de retraite agricole, soit 90 ans. On parle de justice ; on parle d’équilibre. On a beaucoup parlé, évidemment, de tous ces problèmes au moment des gilets jaunes, puis on les a un peu oubliés, mais les revoilà à l’occasion d’un texte qui mériterait l’urgence, pour le coup, au lieu de suivre son petit bonhomme de parcours législatif.
Nous nous apprêtons à voter un texte urgent, nécessaire et symbolique, dirai-je, de ce que l’on peut faire en matière d’égalité et de respect du travail d’autrui. Je ne voulais pas manquer cette occasion de vous rappeler de quoi l’on parle, en comparant un certain nombre de salaires ou de bonus avec la situation de nos agriculteurs, qui nous nourrissent et qui ont fait tout ce que l’on sait pendant la crise du covid.
On connaît ces vies et l’âpreté de ce métier. Le minimum que l’on puisse faire est de voter ce texte et de penser, surtout, à son financement, qui ne devrait pas tarder.
On va encore parler de la dette sociale dans quelques jours. Tout cela est lié et nous renvoie à des ruptures d’égalité tellement flagrantes, monsieur le secrétaire d’État, que je me demande combien de temps encore nos concitoyens pourront les supporter. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, sur l’article.
Mme Nathalie Delattre. Mes chers collègues, je pense que nous avons tous les mêmes mots en tête : que de temps perdu !
Nous étions tous prêts à voter à l’unanimité la proposition de loi que nous avait présentée le groupe CRCE en 2017, afin que cette revalorisation puisse se faire sans délai. Par un artifice de procédure, à savoir un vote bloqué, que peu d’entre nous connaissaient, nous n’avons pas pu le faire. Nous avons été empêchés, tous ici, pour des raisons purement politiciennes, parce que, aujourd’hui, c’est votre texte que vous présentez. C’est à votre bénéfice, effectivement, que vous souhaitez que cette loi puisse passer. Que de temps perdu !
Je suis élue d’un département agricole. En Gironde, le plus gros employeur est la viticulture ; je suis moi-même viticultrice. Sur les 25 000 retraités agricoles du département, 8 000 touchent à peine 300 euros par mois. Depuis des années, ils se trouvent sous le seuil de pauvreté dans l’indifférence générale – votre indifférence, monsieur le secrétaire d’État. Il était donc temps que vous réagissiez. Ce n’est pas grand-chose : de 300 euros, nous allons passer à 85 % de SMIC.
Que vont-ils faire de cet argent ? Ils ne vont certainement pas le mettre dans un « bas de laine » : ils vont le consommer, relancer la consommation, ce qui n’est pas inutile après le covid. Ils vont aussi le donner à leurs enfants, qui ont pris leur succession dans les domaines et les exploitations, pour les aider et faire en sorte qu’ils vivent dignement, enfin, du travail de leurs mains, de leur sueur, de tout ce qu’ils nous apportent.
Nous avons vu pendant la crise sanitaire que les agriculteurs étaient indispensables. Ce n’est qu’un juste retour de voter cette loi pour eux aujourd’hui. Et encore, elle est incomplète, puisque, comme l’ont dit tous mes collègues, les conjoints collaborateurs et les aidants familiaux n’en bénéficieront pas encore. Combien d’années va-t-il encore falloir attendre pour qu’il leur soit rendu justice ? (M. Jean-Claude Requier applaudit.)
M. François Bonhomme. Ils seront tous morts !
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, sur l’article.
M. Michel Raison. Monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, je ne reviendrai pas sur les vicissitudes qu’a connues ce texte, mais je voudrais insister sur quelques points.
Tout d’abord, je tiens à dire que les retraités agricoles sont étroitement liés aux actifs agricoles. Pour qu’il y ait des actifs agricoles, il faut que celui qui cesse son activité sacrifie une partie de ses biens, de son patrimoine, afin que son successeur puisse y arriver.
Vous savez tous quelles sont les difficultés des actifs agricoles aujourd’hui, malgré une loi Égalim pleine de promesses, mais qui comporte autant d’imprécisions, sources d’inefficacité. Les retraités agricoles, souvent, lorsqu’ils ont la chance d’avoir des enfants qui leur succèdent, se sacrifient encore un peu, comme vient de le dire ma collègue. Il est très important d’avoir cette réalité à l’esprit. C’est donc la moindre des choses que de leur donner ces quelques euros que nous sommes en train de voter.
Nous ne sommes pas en train de voter quelque chose d’exceptionnel ; nous sommes simplement en train d’offrir une retraite de 1 000 euros à des gens qui ont travaillé toute leur carrière.
Ensuite, monsieur le secrétaire d’État, je vous en conjure, écoutez le président de la MSA – nous avons beaucoup de contacts avec toutes les MSA de nos départements –, qui est prêt à régler ce problème dès le 1er janvier 2021. Pendant la crise du covid, nous avons vu l’administration surmonter de nombreux obstacles, et je l’en félicite. Les 1 500 euros ont été versés vite ; la réaction a été rapide. Aussi, cessons de tergiverser et passons à 85 % du SMIC dès le 1er janvier 2021.
Enfin, réfléchissons dès maintenant aux conjoints collaborateurs. Je sais ce que l’on va me répondre : elles n’ont pas toujours beaucoup cotisé. Certes, il y a eu quelques problèmes de cotisation, mais la tâche a été accomplie. Le revenu était celui du ménage et il était faible. C’est aussi pour cette raison que les cotisations n’ont pas été payées : ils n’en avaient pas la possibilité.
Ces femmes qui, parfois, touchent quelque 150 euros ou 170 euros, ont passé toute leur vie à travailler, aussi bien, comme beaucoup d’épouses, à la maison, à s’occuper du ménage et des enfants, qu’à l’exploitation, se levant de bonne heure le matin pour la traite ou le soin d’autres animaux. Monsieur le secrétaire d’État, pensons-y aussi très rapidement, car cela manque dans ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Nathalie Delattre applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux dire quelques mots, tout d’abord, pour vos rapporteurs, qui ont mené un travail approfondi. Lors des échanges que j’ai eus avec eux avant cette séance, ils m’ont fait part de leurs interrogations sur l’amendement, adopté par l’Assemblée nationale, visant à rendre possible la mise en œuvre des dispositions de l’article 1er avant le 1er janvier 2022 si cela se révèle techniquement possible.
Concernant ces aspects techniques, rappelons que, dans le cadre fixé par cette proposition de loi, il appartiendra à la MSA d’obtenir certaines informations dont elle ne dispose pas. En effet, les agriculteurs peuvent recevoir des pensions d’autres caisses : en réalité, personne à la MSA ne peut garantir le flux d’information qui proviendra des autres caisses. C’est objectif : certes, on est en droit de présupposer que toutes les autres caisses fonctionneront comme la MSA, on peut s’en réjouir d’avance, mais on peut aussi, tout simplement, examiner les choses de façon objective et tranquille.
Ces dispositions seront donc appliquées avant le 1er janvier 2022 si c’est possible. Vous vous interrogiez, madame, monsieur les rapporteurs, sur les aspects techniques et législatifs de l’amendement adopté par l’Assemblée nationale. Son objet était bien d’offrir la possibilité que je viens d’évoquer si la technique allait plus vite que ce qui était envisagé.
Vous avez souligné, monsieur le rapporteur, que si une telle démarche requérait seize mois il y a quelques années, cela pourrait bien n’en exiger que huit ou neuf aujourd’hui. Pourquoi pas ? Je ne remets pas en cause la bonne volonté des équipes informatiques.
Seulement, pour avoir travaillé de nombreuses années dans le secteur privé, je puis vous dire que les développements que connaissent les systèmes d’information sont extrêmement complexes : il y a parfois un écart entre la promesse et qu’on peut vous faire et la réalité de la livraison de l’outil. Il ne s’agit pas de pointer du doigt qui que ce soit ; simplement, c’est souvent très complexe.
Pour en revenir à cet amendement, il ne peut pas y avoir de doute quant à son objet au regard des débats qui se sont tenus dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. L’intention du législateur, comme vous le savez, se voit certes dans le texte adopté, mais on peut aussi en juger au regard des débats parlementaires.
Or ceux-ci montrent bien que les députés présents, qui ont voté cet amendement, voulaient bien, dans leur ensemble, le voir appliqué aussi bien à ceux qui vont liquider leur retraite qu’à ceux qui l’ont déjà fait, pour le dire sans avoir recours aux termes de « flux » et de « stock », qui, quoiqu’ils soient techniquement tout à fait compréhensibles, ne sont tout de même pas très beaux.
Il n’y a donc pas de débat à avoir quant à la volonté des députés ; il n’y en a pas ici non plus, me semble-t-il : j’ai bien senti votre volonté commune, quasi unanime, sur ce sujet.
Je vous confirme que cette volonté du législateur a été bien entendue par le Gouvernement, qui s’engage à la respecter, afin que, si c’est possible, ces dispositions soient appliquées avant le 1er janvier 2022, pour ceux qui ont déjà liquidé leur retraite comme pour ceux qui la liquideront alors.
Il restera à trouver la passerelle technique, si j’ose dire, permettant de faire fonctionner tout cela ; il me semble que, les décrets ayant été pris, une circulaire pourra préciser le point de départ. Si celui-ci est fixé avant 2022, il faudra prendre comme référence le SMIC à son niveau de 2021 ; son niveau de 2022 sera ensuite pris en compte pour les autres liquidations.
À mes yeux, techniquement, tout cela se tient, car il s’agit seulement d’une précision portant sur une période relativement courte : il n’y aurait que quelques mois d’écart si l’on était prêt, par exemple, au 1er mars ou au 1er octobre 2021. Il s’agit non pas de modifier l’essence de la loi, mais d’en préciser un point particulier si elle pouvait être appliquée plus tôt, éventualité qui est prévue.
Voilà les informations que je voulais vous apporter de façon extrêmement transparente. J’entends bien ce que vous avez voulu dire, madame, monsieur les rapporteurs, et je vous en remercie ; je veux aussi offrir dans le débat du Sénat la perspective qu’a entendue l’Assemblée nationale.
Madame Lubin, j’ai bien entendu vos interrogations sur tout ce qui touche à l’écrêtement. Je suis très à l’aise sur cette question : vous faisiez remarquer, monsieur Jacquin, que vous n’aviez pas encore entendu dans ma bouche – les débats ne faisaient que commencer ! – l’expression « justice sociale ». Or, si nous souhaitons collectivement réparer ce qui constitue, en effet, une injustice sociale, n’en créons pas d’autres !
Madame Lubin, vous m’avez déjà interrogé à plusieurs reprises sur les retraites, et je connais donc votre technicité en la matière ; vous devez donc déjà savoir qu’il existe des mécanismes d’écrêtement ailleurs : la pension minimale de référence du régime de base des exploitants agricole est soumise à écrêtement ; le minimum garanti pour les fonctionnaires l’est aussi, de même que le MICO, le minimum contributif pour les salariés. Ce ne sont pas de petits exemples que je vous donne, puisqu’ils concernent les fonctionnaires, tous les salariés et l’ensemble des adhérents au régime de base de la MSA.
Le dispositif prévu vise donc non pas à opérer quelque amputation que ce soit au détriment des chefs d’exploitation agricole, mais simplement à leur appliquer la même règle qu’aux autres. Cette précision devrait vous rassurer sur ces dispositions et vous permettre, si vous le souhaitez, de voter le cœur léger en faveur de cette proposition de loi.
Quant à vous, monsieur Jacquin, vous aurez entendu pourquoi j’estime que nous pouvons nous rejoindre sur ces dispositions de justice sociale.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 1er bis
(Non modifié)
Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard le 1er septembre de chaque année, un rapport où sont exposés de façon exhaustive :
1° L’évolution du montant minimal annuel mentionné à l’article L. 732-63 du code rural et de la pêche maritime et de ses composantes ;
2° En particulier, le calcul annuel de l’évolution de ce montant minimal annuel et de ses composantes, en application du taux de revalorisation du III de l’article L. 136-8 du code de la sécurité sociale. – (Adopté.)
Article 2
(Suppression maintenue)
TITRE II
DISPOSITIONS EN FAVEUR DE LA REVALORISATION DES PENSIONS DE RETRAITE AGRICOLES DANS LES DÉPARTEMENTS ET RÉGIONS D’OUTRE-MER
Article 3
(Non modifié)
I. – L’article L. 781-40 du code rural et de la pêche maritime est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Pour l’application de l’article L. 732-63, les dispositions relatives aux périodes minimales d’assurance accomplies en qualité de chef d’exploitation ou d’entreprise agricole à titre exclusif ou principal, mentionnées au I du même article L. 732-63, ne sont pas applicables. La durée d’assurance pour le calcul du montant minimal mentionnée au III dudit article L. 732-63 est majorée dans des conditions fixées par décret permettant de tenir compte des spécificités des carrières de chef d’exploitation ou d’entreprise agricole dans les collectivités énumérées à l’article L. 781-37.
« L’article L. 732-63 s’applique également aux assurés qui justifient du droit à une pension à taux plein au titre du régime d’assurance vieillesse de base des personnes non salariées des professions agricoles. »
II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2022.
III. – Le I du présent article est applicable aux pensions de retraite ayant pris effet avant le 1er janvier 2022. Pour l’application du présent III, la valeur du salaire minimum de croissance est celle en vigueur le 1er janvier 2022. » – (Adopté.)
Article 4
(Non modifié)
En application de l’article L. 911-4 du code de la sécurité sociale, l’État contribue à l’extension des régimes de retraite complémentaire prévus à l’article L. 921-1 du même code au bénéfice des salariés agricoles dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution.
À défaut d’accord entre les organisations professionnelles d’employeurs et de salariés représentatives dans ces mêmes collectivités dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la présente loi, l’État peut procéder à la généralisation de ces régimes dans lesdites collectivités. – (Adopté.)
Article 5
(Suppression maintenue)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Je tiens tout d’abord à remercier M. le président du Sénat, qui a accepté que cette proposition de loi soit inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée, nos deux rapporteurs, René-Paul Savary et Cathy Apourceau-Poly, qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour atterrir sur un texte qui rencontre le consensus du Sénat, mais aussi mon ami, pour ne pas dire mon camarade, le député André Chassaigne, dont je salue la détermination à faire adopter ce texte par l’Assemblée nationale, puis, aujourd’hui, par le Sénat.
L’adoption de cette proposition de loi, même si elle n’est pas suffisante et même si la version qui nous est soumise est moins percutante que son texte d’origine, va concrétiser une avancée qu’attendent depuis des décennies les retraités agricoles et leurs représentants associatifs et syndicaux.
La portée de ce texte a été réduite par la majorité présidentielle de l’Assemblée nationale ; cela laisse tout de même un goût amer chez les retraités, tant leurs pensions restent faibles : certains d’entre eux ne cotisent même pas suffisamment pour prétendre à la pension que mérite une carrière complète.
Sachez bien, monsieur le secrétaire d’État, que nous ne lâcherons pas l’affaire, si vous me permettez l’expression ! Notre groupe est connu pour sa cohérence, sa détermination et sa capacité à se montrer constant dans ses travaux. Nous continuerons donc à défendre la nécessité d’une revalorisation de toutes les pensions de retraite agricoles, en particulier celles des femmes.
Ce texte est non pas un aboutissement, mais une étape : nous aurons l’occasion d’y revenir. Vous pourrez compter sur notre détermination : notamment, nous serons très attentifs quant à ce que vous nous avez expliqué au sujet de l’entrée en vigueur de ces dispositions, monsieur le secrétaire d’État. Si elle peut être la plus rapide possible, croyez que ce sera une très bonne chose pour la vie de nos retraités agricoles !
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Ma collègue Catherine Conconne, qui s’excuse de ne pouvoir être présente, m’a priée de lire l’intervention qu’elle avait prévu de donner :
« Dans ce que l’on appelle les outre-mer, un chef d’exploitation agricole monopensionné sur deux perçoit une retraite inférieure à 333 euros par mois. Cela s’explique par notre histoire particulière, notamment l’arrivée tardive des caisses de retraite agricole dans nos territoires.
« Le texte que nous nous apprêtons à voter leur offre la garantie d’une pension à 85 % du SMIC. Cela représente une avancée considérable pour eux : à partir de 2022 – enfin ! –, ils passeront au-dessus du seuil de pauvreté.
« Je regrette le temps perdu depuis la première lecture de ce texte, ainsi que l’exclusion des polypensionnés du bénéfice de cette mesure, mais je salue la suppression, pour les agriculteurs desdits outre-mer, de la condition d’affiliation de 70 trimestres.
« Cette décision vient quelque peu réparer l’histoire ; je tiens, même si je ne peux être présente, à avoir une pensée pour tous ces travailleurs besogneux qui ont trop longtemps vécu dans la misère. »
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Tissot. Bien sûr, nous allons voter cette proposition de loi, mais il aura fallu près de vingt ans pour faire passer ces pensions de 75 % à 85 % du SMIC ! C’est en 2002 que Germinal Peiro, alors député socialiste de la Dordogne, avait imposé ces 75 %.
Il aura fallu vingt ans pour une augmentation de 2 euros par jour ! L’augmentation est toute relative, il faut remettre des chiffres en face des pourcentages : 70 euros par mois, c’est à peine plus de 2 euros par jour.
Nous allons la voter, mais on a tout de même le sentiment d’être pris en otage : il faut à l’évidence que ce texte soit voté conforme, c’est-à-dire qu’il corresponde à celui de l’Assemblée nationale ; dès lors, on ne peut pas l’amender, alors que nous aurions bien eu envie de le faire.
Ainsi, pourquoi les polypensionnés sont-ils soumis à un écrêtement ? Pourquoi l’application ne se ferait-elle qu’en 2022 ? Comment sont concernés les pensionnés actuels ? Enfin, pourquoi ce texte porte-t-il seulement sur les chefs d’exploitation ? Que deviennent les conjoints d’exploitants agricoles ?
Moi aussi, je suis paysan ; pendant près de vingt ans, mon épouse est allée travailler à l’extérieur pour faire vivre la maison et bouillir la marmite, car l’exploitation ne fournissait pas assez de revenus ; en plus de cela, elle m’aidait à la ferme. Pour elle, c’est la double peine, voire la triple peine ! Comment agir, afin d’avoir une pensée aussi pour les épouses et les époux des exploitants ? Il faudrait songer à toutes celles qui ont une retraite extérieure, mais qui restent transparentes dans l’exploitation ; pourtant, Dieu sait combien elles y travaillent !
Je remercie encore le groupe communiste et André Chassaigne, à l’Assemblée nationale, d’avoir relevé ce défi. Nous sommes sur la même longueur d’onde !
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. Je voudrais tout d’abord remercier l’ensemble de nos collègues, puisqu’il me semble que notre assemblée s’apprête à adopter cette proposition de loi. On a beaucoup parlé du rôle des femmes ; je tiens à rappeler que cette proposition de loi a été portée à l’Assemblée nationale par André Chassaigne, mais aussi par Huguette Bello, députée de La Réunion.
Ce texte est aujourd’hui une œuvre collective, construite dans l’intérêt de toutes et de tous, mais surtout, bien sûr, des agriculteurs et des agricultrices.
Évidemment, nous aurions tous présenté volontiers des amendements, et nous les premiers. Comme plusieurs d’entre vous l’ont rappelé, cette proposition de loi n’est pas complètement satisfaisante.
Ainsi, les conjoints ne sont pas pris en charge. Demeure aussi le problème de l’écrêtement : rappelons que les agriculteurs qui ont exercé plusieurs professions sont ceux-là mêmes qui ne recevaient pas assez de leur terre et de leur labeur et ont donc été obligés d’aller travailler ailleurs. Aujourd’hui, ces exploitants sont victimes d’avoir travaillé ailleurs, du fait de cet écrêtement ; c’est dommage.
Même si, tous, nous aurions volontiers amendé ce texte, nous faisons aujourd’hui preuve de responsabilité : il s’agit d’une première pierre posée dans le jardin des agriculteurs. Cette proposition de loi aidera chacun, dans son rôle, mais elle n’est pas encore complètement satisfaisante.
Nous regrettons par ailleurs que ce texte ait près de quarante mois de retard : il aurait pu aboutir il y a plus de trois ans !
Quarante mois, pour les agriculteurs, c’est très long. Vous nous parlez aujourd’hui de 2022 : un an et demi se rajoutant à ces quarante mois, il aura donc fallu près de soixante mois pour voir aboutir cette augmentation des pensions agricoles. Il est dommage d’avoir attendu autant de temps pour l’application de ces mesures fort justes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Monique Lubin et M. Jean-Pierre Moga applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. René-Paul Savary, rapporteur. Je formulerai quelques remarques sur ce texte, qui est évocateur des difficultés qu’on peut rencontrer dans notre système de retraites.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez déclaré que ce texte serait appliqué, si possible, avant 2022. À l’impossible, nul n’est tenu, mais vous avez pris des engagements ; j’espère qu’ils seront tenus. Nous serons vigilants, car il y va de la crédibilité de la parole du Gouvernement.
Ce texte représente une avancée pour l’outre-mer, du fait de la bonification des durées. Les exploitants agricoles outre-mer ne touchaient jamais 75 % du SMIC à cause des durées requises ; la bonification que vous avez proposée, monsieur le secrétaire d’État, est tout à fait intéressante.
Au travers de l’article 4, on touche également les salariés agricoles qui pourront bénéficier d’une complémentaire, qui leur manque aujourd’hui, faute d’accord. Cela relèvera de l’Agirc-Arrco et non de la RCO, la retraite complémentaire obligatoire. Cette avancée mérite d’être soulignée.
Par ailleurs, concernant le point de financement, n’oublions pas que, du fait de la crise que nous venons de connaître, le déficit sera en 2025 non pas de 10 à 12 milliards d’euros, comme prévu, mais plutôt de 25 milliards d’euros. Le problème du financement va donc se poser automatiquement.
Les agriculteurs ont fait un effort pour le financement des retraites, monsieur le secrétaire d’État ; on peut même parler de solidarité nationale, puisqu’ils ont augmenté leur taux de cotisation pour faire face à l’allocation différentielle. En outre, leurs recettes seront moindres, du fait de la rentabilité diminuée des taxes sur lesquelles elles reposent.
J’en viens à l’écrêtement, question qui peut se poser pour l’ensemble des régimes, le MICO comme les autres. Le cumul emploi-retraite n’emportait pas ouverture de points et ne permettait donc pas l’amélioration de la retraite future. Il faudra trouver une solution à ce problème à une autre occasion ; les agriculteurs pourront alors en bénéficier.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, autant de mois pour faire des calculs ! Certes, si j’ose dire, il faut « déliquider » les pensions pour les « reliquider » ensuite. On annule, on remet les compteurs à zéro, on reprend, on recompte ! Mais il existe le répertoire de gestion des carrières unique (RGCU), qui est tout de même une avancée considérable : il n’était encore récemment pas mis sur pied, mais il devient maintenant fonctionnel ; c’est l’occasion de mesurer sa pertinence.
Quant aux polypensionnés, les services fiscaux savent bien calculer leur cotisation réduite de CSG !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Ils les connaissent donc. On doit pouvoir, par ce biais, disposer de toutes les disponibilités requises pour aller le plus vite possible. Tout dépend donc de votre volonté, monsieur le secrétaire d’État ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et CRCE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, pour la qualité de nos échanges. Vous avez été nombreux à intervenir, dans la discussion générale ou sur les articles : cela montre l’engagement du Sénat autour de ce sujet, engagement que j’avais déjà relevé dans mon propos liminaire.
La qualité des questions auxquelles j’ai essayé de répondre montre l’envie que vous aviez d’approfondir le texte qui vous était présenté, jusque dans ses aspects les plus techniques, avant de l’adopter.
Ensemble, nous venons de faire œuvre de justice sociale : oui, c’est un vrai progrès social que vous venez d’adopter définitivement. Ce progrès correspond bien à ce que le Président de la République nous a invités à accomplir, quand il a souligné l’importance de tous ceux qui ont permis, pendant cette crise sanitaire, de faire tenir le pays. Plusieurs de vos interventions ont également rappelé cet aspect du vote qui vient d’avoir lieu : c’est une reconnaissance collective que nous offrons à tous ceux qui nourrissent nos concitoyens et entretiennent notre environnement.
Je vous remercie encore de ce vote ; madame, monsieur les rapporteurs, je serai vigilant, car vous savez la volonté qui est la mienne de réaliser ce progrès social, tout en demeurant sûr que ce que nous voulons soit techniquement bien fait. Nous aurons l’occasion d’en reparler.
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 30 juin 2020 :
À quatorze heures trente :
Éloge funèbre d’Alain Bertrand.
À quinze heures quinze :
Proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion, présentée par M. Gérard Larcher, président du Sénat (texte de la commission n° 547, 2019-2020)
Débat sur les conclusions du rapport de la commission d’enquête chargée d’évaluer la gestion des conséquences de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen ;
Proposition de loi portant création d’un fonds d’urgence pour les Français de l’étranger victimes de catastrophes naturelles ou d’événements politiques majeurs, présentée par M. Ronan Le Gleut et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 466, 2019-2020).
À vingt et une heures trente :
Débat sur les conclusions du rapport d’information : « Vers une alimentation durable : un enjeu sanitaire, social, territorial et environnemental majeur pour la France ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures cinquante.)
nomination d’un membre d’une commission
Le groupe socialiste et républicain a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Muriel Cabaret est membre de la commission des affaires sociales.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication