M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Nathalie Delattre. Nos jeunes seront-ils les victimes collatérales de la crise sanitaire que nous traversons ? Ils sont 800 000 à s’apprêter à entrer dans la vie active, mais ils craignent d’être une génération sacrifiée, la variable d’ajustement d’un marché de l’emploi totalement déstructuré.
Les difficultés économiques qui touchent nombre de nos TPE et PME, qui sont les premiers employeurs, par contrats d’apprentissage ou de professionnalisation, de notre pays, fragilisent ces voies d’insertion professionnelle. Aussi l’annonce par le Gouvernement d’une aide à l’embauche d’un montant variant entre 5 000 et 8 000 euros selon l’âge de l’apprenti, disponible jusqu’en février 2021, est-elle bienvenue.
Toutefois, cette béquille financière ne garantit pas le maintien dans l’emploi des jeunes ; au contraire, elle risque de créer un effet d’aubaine en trompe-l’œil.
Il faut donc assortir ces aides d’une promesse de contrats plus sécurisants. Il faut également que les entreprises puissent bénéficier des mêmes aides quand elles concluent des contrats de professionnalisation avec des personnes de plus de 26 ans. Enfin, celles qui parviendront à embaucher nos jeunes de moins de 30 ans via des contrats plus classiques doivent pouvoir bénéficier de l’exonération des charges.
Il faut aussi lever les freins à l’embauche par des mesures complémentaires de celles concernant l’emploi. Je pense notamment à l’examen du permis de conduire. J’ai écrit vendredi au ministre de l’intérieur pour l’alerter sur la situation catastrophique qui se profile dans plusieurs départements. En Gironde, le confinement a créé un stock de plus de 6 000 examens en attente, qui s’accroît chaque jour. Le nombre d’examinateurs absents pour vulnérabilité, les mesures d’hygiène et l’absence de sessions complémentaires amènent aujourd’hui des jeunes à refuser des offres d’emploi, faute de permis de conduire : la responsabilité de cette situation incombe à un système en panne qui montre là toutes ses failles. Les jeunes ne peuvent pas passer le permis en temps et en heure, et ils le paient cash !
Madame la ministre, si nous ne pouvons pas nous serrer la main, nous devons du moins nous serrer les coudes pour nos enfants et construire avec l’ensemble des partenaires de l’emploi un plan ambitieux pour l’insertion professionnelle des jeunes. Le temps presse ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice Delattre, nous partageons tous ici, me semble-t-il, une conviction très forte : il n’est pas question d’accepter qu’une génération soit sacrifiée ! Ce n’est pas possible humainement, pour nos enfants et nos petits-enfants. Ce n’est pas possible économiquement, eu égard à la perte de compétences que cela représenterait. Ce n’est pas possible socialement, du point de vue du pacte intergénérationnel qu’évoquait Gabriel Attal à l’instant. Enfin, ce n’est pas possible politiquement.
Il nous faut donc agir, sauf à courir un grave risque, compte tenu de la crise économique et sociale qui suit la crise sanitaire.
Un pays qui n’investit plus pour sa jeunesse n’investit plus dans son avenir. Nous n’investissons pas seulement pour les jeunes : nous le faisons pour tous les Français. Il importe de prendre conscience que l’investissement dans la jeunesse que le Président de la République a appelé de ses vœux concerne tout le monde.
Alors, que faire ? Vous avez évoqué la première étape de notre action : des mesures en faveur de l’apprentissage ont été prises en urgence. En effet, la concertation que j’avais menée avec les partenaires sociaux à la demande du Premier ministre et du Président de la République avait déjà porté ses fruits et il fallait aller vite, dans la mesure où la signature des contrats d’apprentissage répond à une certaine saisonnalité. Le montant de cette prime à l’embauche en apprentissage – 5 000 euros pour un jeune de moins de 18 ans, 8 000 euros pour un jeune majeur – correspond, à quelques euros près, au coût d’un contrat d’apprentissage. Nous envoyons ainsi aux entreprises le message suivant : dans le contexte actuel, il faut continuer à former, à investir dans la jeunesse, à créer les compétences de demain ; nous comprenons la difficulté de la situation et l’État assumera donc, pour la première année d’apprentissage, la quasi-intégralité des coûts.
Depuis la réforme de l’apprentissage, une aide à l’obtention du permis de conduire est incluse dans le parcours contractualisé d’accompagnement adapté vers l’emploi et l’autonomie (Pacea). Avec M. le ministre de l’intérieur, nous nous intéressons beaucoup à ce sujet clé pour l’autonomie des jeunes. Il peut être traité au sein d’un plan de relance.
En tout cas, madame la sénatrice, vous avez raison : serrons-nous les coudes ! Investir dans la jeunesse est bien une priorité. (Applaudissements sur des travées des groupes LaREM et RDSE.)
politique de l’emploi face à l’explosion du chômage
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Michelle Gréaume. Le Président de la République a déclaré dimanche dernier, lors de son allocution télévisée, qu’il fallait « bâtir un modèle économique durable, plus fort », « travailler et produire davantage ».
Le propos mériterait d’être éclairci, à l’heure où des centaines de milliers de personnes ont perdu leur emploi, sachant qu’autant vont subir le même sort dans les semaines à venir.
« Travailler plus pour gagner plus » n’est pas une idée neuve pour un nouveau monde, puisque le concept fut créé par Nicolas Sarkozy. (Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains.)
« Travailler plus » est l’objectif du Gouvernement, qui a d’ores et déjà utilisé la crise sanitaire pour multiplier, par ordonnances, les dérogations au droit du travail et à la protection des salariés. Vous encouragez maintenant la multiplication des accords d’entreprise dits « de performance », qui reposent sur un véritable chantage à l’emploi : on demande aux salariés de choisir entre licenciement et diminution de salaire, comme chez Derichebourg ou Ryanair.
Les premières victimes de votre politique sont les salariés peu diplômés et les jeunes, déjà durement touchés par les conséquences du confinement. Pourquoi vous obstinez-vous dans ces choix archaïques qui n’ont pas donné de résultats probants, sauf pour les actionnaires ?
Quand allez-vous faire le choix d’une économie orientée vers l’emploi, au service d’une autre production, qui protège et qui donne du travail au plus grand nombre ?
Allez-vous enfin partager le travail pour permettre l’épanouissement de chacun et cesser de contraindre toujours plus ceux qui ont un emploi tout en précarisant les autres ?
C’est cette voie nouvelle que vous devez explorer, plutôt que de rester arc-boutés sur les vieux dogmes libéraux ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice Gréaume, le Président de la République a effectivement appelé la collectivité nationale à travailler davantage. Je pense que nous serons à peu près tous d’accord pour reconnaître qu’il faut produire de la richesse nationale afin de pouvoir bénéficier du système de solidarité de haut niveau que nous désirons tous. C’est en effet la richesse nationale qui permet à un grand pays non seulement d’être compétitif, mais aussi d’assurer un haut niveau de protection sociale et de solidarité nationale.
Pour produire de la richesse, le travail est l’élément clé ; ce n’est pas vous qui me contredirez sur ce point ! On peut débattre de la part du travail dans la croissance, mais personne ne niera que le travail crée de la richesse.
En France, nous étions en voie de réduire le chômage avant la crise, mais nous revenons de loin, après avoir vécu trente années de chômage de masse. Qu’autant de personnes ne puissent travailler dans notre pays est un drame social pour elles, mais c’est aussi un manque pour la Nation.
C’est pourquoi la priorité d’aujourd’hui est de permettre à tous de travailler. Évidemment, le chômage risque de repartir à la hausse après le fort recul de ces dernières années : il y a quatre mois à peine, on évoquait ici même un taux de chômage de 8,1 %, le plus bas depuis onze ans, et une augmentation de 16 % du nombre d’apprentis. Nous connaissions une dynamique marquée par un fort niveau d’investissements : nous étions même devenus le premier pays d’Europe en matière d’accueil des investissements internationaux et la grande majorité des signaux étaient au vert.
La crise économique et sociale que nous traversons ne remet pas en cause les fondamentaux de la France, que nous avons largement réparés par nos différentes réformes. En revanche, ce facteur exogène contrarie la dynamique que j’évoquais à l’instant.
C’est pourquoi nous devons faire en sorte que le contrat de travail de tous ceux qui bénéficiaient du chômage partiel puisse être réactivé, que ceux qui avaient avant la crise un CDD ou un contrat d’intérim aient des chances de retrouver un travail, que la jeunesse ait des perspectives d’avenir – 700 000 jeunes arrivent sur le marché du travail – et que des parents ne soient plus obligés de rester chez eux faute de solution pour la garde de leurs enfants, mais puissent retourner au travail – c’est le cas grâce à l’action de M. le ministre de l’éducation nationale.
Cette mobilisation pour que tout le monde puisse travailler, et vite, sera essentielle pour maintenir l’activité : l’activité, c’est l’emploi ! Telle est la dynamique que nous voulons favoriser très rapidement : il ne faut pas attendre, car l’emploi n’attendra pas ! (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour la réplique.
Mme Michelle Gréaume. S’il est un chemin nouveau à emprunter, c’est celui d’un partage équitable des richesses produites et d’une nouvelle réduction du temps de travail.
Alors que la moyenne du temps de travail hebdomadaire est actuellement de 39 heures dans notre pays, seule une étape supplémentaire vers sa réduction à 32 heures permettrait le travail de toutes et de tous. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) La France, dont la productivité est l’une des plus fortes au monde, en a les moyens ! Quelle société voulons-nous : celle de la précarité et du chômage de masse, ou celle qui permet à tout le monde de travailler ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
atteintes aux statues et mémoire nationale
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Refusant de faire nation, des minorités hystérisées veulent récrire l’histoire de France. On macule la statue du général de Gaulle. On appelle à déboulonner Louis XIV, Napoléon, Jules Ferry. On crache sur les figures qui ont bâti notre histoire. Des tentations obscurantistes guettent notre société.
Certes, dimanche dernier, le chef de l’État a condamné une « réécriture haineuse ou fausse ». « On ne déboulonnera pas de statues », a-t-il martelé. Ces propos effacent-ils pour autant ceux du candidat qu’il fut, qui déclarait que la colonisation était un crime contre l’humanité, une vraie barbarie pour laquelle il devait présenter ses excuses ?
Sous le buste de Jean-Baptiste Colbert, grand commis d’État qui fit de notre pays une puissance navale, sous les auspices de Jules Ferry, qui présida notre assemblée et fonda notre école républicaine, pouvez-vous nous assurer, monsieur le Premier ministre, que les travaux historiques et scientifiques, qui replacent toujours l’action des femmes et des hommes dans leur époque, seront protégés ? Êtes-vous prêt à ne jamais laisser récrire l’histoire, à ne jamais laisser faire le tri entre zones d’ombre et passages étincelants au gré des émotions du moment ?
Pouvez-vous nous assurer que l’on continuera à écrire et à enseigner l’histoire de France, non sous la dictature d’une pensée militante et largement communautariste, mais avec l’esprit civique et critique et la recherche de l’universalisme qui caractérisent l’héritage des Lumières ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Comme le disait un sénateur éminent, qui siégea près de dix-huit ans sur vos travées, « la Révolution est un bloc ».
M. Bruno Retailleau. Il était vendéen !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. L’histoire de France est un bloc. Dans la Révolution, nous prenons Condorcet et Saint-Just, Danton et Robespierre, Valmy et la Vendée, le général Dumas et le général Bonaparte. Nous prenons tout,…
M. Bruno Retailleau. Pas Turreau !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … parce que, en vérité, nous n’avons pas le choix : c’est notre histoire, avec ses pages glorieuses et ses pages franchement sombres.
Peut-on me désigner, dans quelque période de l’histoire, un homme ou une femme qui, ayant accompli quelque chose, serait, de toute évidence et sous tous les aspects de son action, lumineux, sans part d’ombre ? « Gérard Larcher », me dit-on. (Rires.) Je crains, monsieur le président, que, même vous…
M. le président. Avant moi, il y a eu l’abbé Grégoire ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Même lui, monsieur le président ! (Sourires.)
Notre histoire est glorieuse et compliquée. L’épuration mémorielle me paraît aussi dangereuse, d’une certaine façon, que d’autres types d’épuration. Nous devons regarder notre histoire en face, à l’évidence ; au fond, c’est ce que nous faisons, bien que ce ne soit pas toujours facile.
Monsieur le sénateur Brisson, vous m’avez demandé si je comptais empêcher que l’on récrive l’histoire. C’est peut-être le seul point sur lequel je ne suis pas tout à fait d’accord avec votre propos. La vérité est que l’histoire, processus scientifique, se récrit en permanence.
M. Julien Bargeton. Tout à fait !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. La vision que l’on a aujourd’hui d’un certain nombre de grands hommes, de grandes époques ou de grands événements est évidemment quelque peu différente de celle qui prévalait il y a trente ou deux cents ans. On ne lit plus aujourd’hui le règne de François Ier comme on le faisait dans les décennies qui suivirent.
Nous sommes au Sénat, haut lieu de la République, mais nous travaillons sous les auspices de Saint Louis, parce que c’est l’histoire de la France !
Monsieur le sénateur, comme vous sans doute, j’ai été profondément choqué que l’on déboulonne les statues de Victor Schœlcher à Fort-de-France ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, Les Indépendants, LaREM et SOCR. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
J’ai été profondément déçu que la République – la quatrième d’abord, la cinquième ensuite – ne reconstruise pas le monument au général Dumas que les nazis ont fait fondre en 1942. (M. André Gattolin applaudit.)
La figure de ce général, le père d’Alexandre Dumas, dit beaucoup sur ce qu’est l’idéal républicain ! Je veux à son propos rappeler le mot d’Anatole France, prix Nobel de littérature, parce qu’il montre combien notre histoire est difficile : « Le plus grand des Dumas, c’est le fils de la négresse ! » Aujourd’hui, ce mot est indicible, à juste titre, mais, dans la bouche d’Anatole France, c’était le plus bel hommage républicain que l’on puisse faire.
M. Roger Karoutchi. C’est vrai !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur Brisson, peut-être pourrions-nous, vous et moi, militer pour la reconstruction de la statue du général Dumas ! (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, Les Indépendants, LaREM, UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. Monsieur le Premier ministre, je vous ai demandé de protéger les travaux des historiens et la possibilité pour eux d’écrire l’histoire avec l’esprit critique qui nous caractérise. Marc Bloch rappelait que, entre tous les péchés, au regard d’une science du temps, le plus impardonnable était l’anachronisme.
Or c’est bien l’anachronisme qui anime aujourd’hui des minorités prêtes à de réels autodafés. Au-delà de vos propos, monsieur le Premier ministre, j’exhorte l’exécutif à apporter une réponse qui soit à la hauteur des outrages faits à notre histoire, ainsi qu’aux femmes et aux hommes qui l’ont bâtie. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants.)
relance verte
M. le président. La parole est à Mme Nelly Tocqueville, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Nelly Tocqueville. J’associe à ma question les membres socialistes de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
La crise sanitaire a entraîné une récession économique et sociale qui nous oblige à repenser nos modèles de consommation et de production. Alors que le manque de visibilité des plans de relance inquiète les entreprises et les salariés, de nombreuses voix s’élèvent pour demander que la sortie de crise de 2020 ne ressemble pas à celle de 2008, quand les programmes de soutien à l’économie avaient entraîné une hausse significative des émissions de CO2.
Certes, il faut rapidement soutenir la reprise d’activité et relancer l’emploi, mais ignorer l’impérative nécessité de construire, dès aujourd’hui, le projet d’une économie verte serait irresponsable.
Certes, nous devons soutenir dans l’urgence les secteurs de l’aéronautique et de l’automobile, mais il faut mobiliser, dès maintenant, des aides financières significatives et vite engager une réflexion sur la formation des salariés à de nouveaux métiers pour réussir le verdissement de la production. Or Airbus envisage de couper dans son budget de recherche et développement, alors même que, dans la course à l’hydrogène, l’Allemagne n’a pas attendu pour investir massivement dans l’hydrogène vert.
De même, nous devons construire une politique volontariste de rénovation thermique des bâtiments et des logements : Mme la ministre de la transition écologique l’appelle de ses vœux et le secteur du bâtiment est prêt à la mettre en œuvre.
Enfin, le temps est venu de développer une politique des transports écologiques : nous accusons un retard important dans ce domaine au regard des évolutions que connaissent nos voisins européens.
Tandis que la convention citoyenne pour le climat s’apprête à remettre ses cinquante propositions et que la Commission européenne souhaite une relance verte pourvoyeuse d’emplois, pouvez-vous nous préciser, madame la secrétaire d’État, quels moyens financiers vous comptez engager pour accélérer la transition énergétique et écologique ? Le ministre de l’économie et des finances a reconnu lui-même qu’ignorer celle-ci serait « une erreur historique » ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Vous l’avez dit, madame la sénatrice Tocqueville, il n’y a pas de grande économie sans grande industrie, mais la grande industrie ne sera pas durable si elle n’accomplit pas sa transition écologique et énergétique.
Telle est la conviction qui nous a guidés dans l’élaboration du pacte productif, dont l’un des grands axes est la décarbonation de l’économie : nous avons accompli un travail très précis avec les huit filières les plus émettrices de gaz à effet de serre. Notre soutien à l’innovation découle également de cette conviction : je pense à tous les projets qui préfigurent le travail que nous allons mener sur les technologies vertes, le secteur aéronautique et le recours à l’hydrogène pour les motorisations ferroviaires notamment.
À l’échelon européen, la France a mobilisé ses partenaires et obtenu que soit voté le Green Deal. Un projet de mécanisme d’inclusion carbone devrait prochainement aboutir et la finance verte devrait prendre une ampleur beaucoup plus importante.
La relance verte est également au cœur des plans de soutien que nous avons lancés. Muriel Pénicaud me soufflait qu’elle prenait cette dimension en compte dans le cadre des négociations qu’elle mène avec les organisations syndicales sur le plan de développement des compétences.
Elle est aussi au cœur du plan de soutien au secteur aéronautique, puisque nous mobilisons près de 1,5 milliard d’euros pour investir dans les technologies vertes plutôt que de remplacer les avions actuels par des appareils qui ne pollueraient qu’un tout petit peu moins.
Nous avons enfin travaillé, dans le cadre du plan de soutien à l’industrie automobile, pour relocaliser, à hauteur de près d’un milliard d’euros, des investissements orientés exclusivement vers des motorisations et des technologies vertes : l’objectif est de produire près d’un million de véhicules électriques d’ici à trois ou quatre ans. Voilà des avancées majeures !
En conclusion, la transition écologique et énergétique sera très clairement au cœur du plan de relance que nous allons mettre en œuvre. Nous ferons des annonces fortes. Le Président de la République a tracé le chemin. Que ce soit en matière de rénovation thermique, de mobilités vertes ou d’investissements au service de l’industrie décarbonée, nous serons au rendez-vous ! (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)
prisons
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la justice ; elle sera simple et directe : madame la ministre, mesurez-vous la gravité de la situation ?
Des règlements de comptes en plein centre-ville, des bandes armées qui déferlent pour s’affronter avec une violence inédite et qui narguent la police et la justice : cela ne se déroule pas dans le chaos de pays lointains, mais bel et bien dans un quartier d’une paisible ville de province. L’État n’apparaît assurément plus assez fort pour y faire régner l’ordre public.
La loi de la République est supplantée par la loi du plus fort et du plus violent. C’est la négation même de notre civilisation ; le tribalisme a remplacé la justice. L’impunité est devenue la règle dans ces quartiers ; les témoignages de policiers désespérés devant l’absence de peines ou le prononcé de peines symboliques se multiplient.
Mais il y a pis encore que l’absence de peine ou la peine symbolique : vos récentes décisions, madame la ministre, constituent un véritable blanc-seing pour les voyous et autres délinquants.
Après avoir procédé à près de 14 000 libérations pour cause de crise sanitaire, vous avez diffusé, le 20 mai dernier, une circulaire visant à réduire le plus possible les incarcérations : vous préférez ainsi voir condamner des délinquants insolvables à des peines d’amende, à de la prison avec sursis ou à des travaux d’intérêt général qui, de toute façon, ne seront jamais exécutés.
Il y a deux façons de lutter contre la surpopulation des prisons : en construire de nouvelles – promesse du début du quinquennat passée aux oubliettes – ou vider celles qui existent, quitte à se laisser aller à l’injustice et à faire disparaître le sens même de la peine.
Malheureusement, vous avez choisi cette seconde solution, qui s’accorde avec votre conception de la justice, hélas impuissante pour éviter l’embrasement du quartier des Grésilles. Vous préférez dicter aux juges le choix de la peine en fonction des capacités pénitentiaires.
Quelle justice voulez-vous, madame la ministre ? Pensez-vous que le moment est bien choisi pour mettre en œuvre la « régulation carcérale » que vous appelez de vos vœux, qui n’est ni plus ni moins que l’institutionnalisation d’une totale impunité ? Est-ce le moment de donner le signal que l’État baisse les bras ? Jusqu’à quel niveau de violence faudra-t-il aller avant que vous reconnaissiez faire fausse route ?
Je vous invite, en conclusion, à méditer ces mots de Charles Péguy : « L’ordre, et l’ordre seul, fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Lefèvre, je vous répondrai en trois points.
Premièrement, les mesures que nous avons adoptées pendant la crise sanitaire avaient une visée exclusivement sanitaire : il s’agissait d’éviter la diffusion du virus dans les milieux fermés que sont les prisons. Nous avons bénéficié, d’une part, de la faiblesse de la délinquance de rue pendant le confinement, et, d’autre part, de mesures de libération en toute fin de peine de certains détenus. Ces éléments conjugués font qu’il y a aujourd’hui 13 000 détenus de moins que le 16 mars dernier.
Deuxièmement, je souhaite que nous puissions conduire une politique pénale volontaire, claire et ferme. Cette politique se traduit par le refus d’une loi d’amnistie : comme je l’ai rappelé à plusieurs reprises, alors que beaucoup m’incitaient à en faire adopter une, je souhaite que les libérations soient toujours la conséquence de décisions individuelles prises par des juges.
Par ailleurs, je n’ai pas d’objectif chiffré. Mon propos –celui du Gouvernement – est d’établir des peines justes et efficaces, des peines qui correspondent à l’infraction et à la personnalité de celui qui l’a commise. Je dois dire que les libérations qui ont été prononcées de manière anticipée durant la crise sanitaire ont débouché sur peu d’échecs : nous n’avons relevé qu’une trentaine de réincarcérations, pour 6 600 personnes libérées avant la fin de leur peine. Ces chiffres ne traduisent pas, me semble-t-il, un échec de cette politique.
Troisièmement, monsieur le sénateur, il ne faut pas faire d’amalgame.
M. Bruno Retailleau. Quel amalgame ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ce serait une erreur ; selon moi, de tels propos ne doivent pas être tenus dans cette assemblée. Ce qui se passe à Dijon est grave, dramatique ; nous devons soutenir les forces de l’ordre et combattre les personnes qui sont à l’origine de ces violences. Cela étant, je vous ferai observer qu’aucune des personnes gardées à vue à la suite de ces violences n’était sortie récemment d’incarcération.
M. le président. Il faut conclure.