compte rendu intégral
Présidence de Mme Hélène Conway-Mouret
vice-présidente
Secrétaires :
M. Victorin Lurel,
M. Michel Raison.
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Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 4 juin 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
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Protection des victimes de violences conjugales
Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à protéger les victimes de violences conjugales (proposition n° 285, texte de la commission n° 483, rapport n° 482).
Notre séance se déroule dans les conditions de respect des règles sanitaires mises en place depuis le mois de mars. J’invite chacune et chacun à veiller au respect des distances de sécurité. Je rappelle que tous les orateurs, y compris les membres du Gouvernement, s’exprimeront depuis leur place, sans monter à la tribune.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous savez notre volonté de lutter efficacement contre les violences conjugales. Dès le 9 mai 2019, j’ai pu adresser aux procureurs généraux par circulaire une instruction leur demandant de déployer l’ensemble de notre arsenal répressif afin de faire preuve de la plus grande fermeté à l’égard des auteurs de ces violences, mais aussi afin de mieux protéger les victimes, par exemple en utilisant largement les téléphones grave danger. De 300 appareils distribués en février 2019, nous sommes ainsi passés à plus de 1 000 aujourd’hui.
Cette volonté, portée par l’ensemble du Gouvernement, s’est exprimée tout au long de la crise sanitaire que nous venons de traverser. Au-delà des dispositifs de signalement spécifiquement organisés par mes collègues ou de la création d’une plateforme d’hébergement et de suivi des conjoints violents, j’ai pu prendre diverses mesures.
J’ai ainsi tenu à ce que les violences conjugales demeurent un contentieux prioritaire effectivement traité par les juridictions pendant la période de confinement. L’ordonnance de protection a donc figuré parmi les procédures d’urgence inscrites dans les plans de continuation d’activité des tribunaux avec, selon un schéma de procédure fixé par circulaire, un traitement des nouvelles demandes dans un délai de six jours, conformément à la loi du 28 décembre 2019.
J’ai par ailleurs veillé à faciliter les démarches des victimes de violences conjugales en prolongeant toutes les ordonnances de protection dont le terme était prévu entre le 12 mars et la fin de l’état d’urgence sanitaire, ce augmenté d’un mois afin de tenir compte du ralentissement de l’activité des juridictions.
Ainsi, la loi du 11 mai 2020 ayant prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020, une ordonnance de protection qui, par exemple, devait s’achever le 1er avril 2020 continuera à s’appliquer jusqu’au 10 octobre 2020.
Je connais aussi, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’engagement qui est le vôtre dans cette lutte contre les violences commises au sein du couple. Ces enjeux concernent la France et notre société tout entière. Cette volonté d’agir contre les violences au sein de la famille s’est particulièrement traduite dans la loi du 28 décembre 2019, à laquelle je faisais référence, que vous avez adoptée.
Ce texte marque un pas important dans ce combat, car il renforce les moyens de lutte contre ces violences en améliorant le traitement des requêtes en ordonnance de protection, en favorisant l’aménagement de l’autorité parentale en présence d’un crime conjugal, notamment en instituant la suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale d’un parent poursuivi ou condamné pour crime commis sur la personne de l’autre parent, en permettant également le déploiement du bracelet anti-rapprochement et en étendant le champ d’application du téléphone grave danger.
J’ai tenu à présenter l’ensemble de ces dispositions, pour la plupart d’application immédiate, dans une circulaire datée du 28 janvier 2020 adressée aux magistrats. Cette circulaire comporte des instructions de politique pénale issues des travaux du Grenelle contre les violences conjugales, impulsé et piloté par ma collègue Marlène Schiappa. Ces mesures sont relatives à l’accompagnement des victimes, au suivi des auteurs et à l’organisation des juridictions en faveur d’une filière d’urgence dédiée au traitement des violences conjugales.
La loi de décembre 2019 met spécifiquement l’accent sur les ordonnances de protection et sur les nouvelles mesures qui peuvent être prononcées dans ce cadre. On peut citer : l’interdiction de se rendre dans certains lieux où se trouve de façon habituelle la victime ; la prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique de l’auteur ; et la possibilité pour celui-ci de suivre le stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple. Ces nouvelles mesures ont été favorablement accueillies dans les juridictions qui se mobilisent pour construire, sur ce sujet, des projets de juridiction.
Les services du ministère de la justice se sont également mobilisés pour formaliser la nouvelle procédure de délivrance des ordonnances de protection afin de permettre aux juridictions de statuer dans le délai de six jours souhaité par le législateur. Le décret portant application des articles 2 et 4 de la loi du 28 décembre 2019 a ainsi été publié le 28 mai dernier.
Ce décret supprime la convocation des parties par lettre recommandée avec accusé de réception, qui manifestement était devenue incompatible avec le délai de six jours. Il unifie également les modalités de saisine du juge au profit de la requête signifiée. Le décret précise les conditions procédurales nécessaires au respect du délai de six jours tout en garantissant une procédure contradictoire, fondement de notre procédure civile.
Je sais que d’aucuns trouvent ces procédures trop strictes, mais c’est un décret qui tend à garantir la mise en œuvre des engagements du Gouvernement et la volonté du législateur. Des échanges sont en cours afin de faciliter l’accès aux huissiers pour assurer leur signification dans les délais requis. Mes services travaillent en outre à un possible doublement du délai de signification. Dès demain, une rencontre avec des professionnels va nous permettre d’avancer positivement sur ce sujet.
Le décret crée, par ailleurs, une passerelle entre la procédure d’urgence de l’ordonnance de protection et la procédure au fond, relative à l’exercice de l’autorité parentale ainsi qu’à la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Grâce à cette passerelle, le demandeur n’aura pas à former une nouvelle demande en justice en cas de rejet de sa demande d’ordonnance de protection et il pourra obtenir rapidement une décision au fond.
Toujours trop peu délivrée, même si le nombre est en augmentation constante, j’ai souhaité constituer un comité de suivi de l’ordonnance de protection dont j’ai confié la présidence à Ernestine Ronai. Ce comité pourra nous aiguiller sur les améliorations toujours possibles de nos pratiques.
Notre engagement collectif va encore plus loin.
De nombreuses propositions issues du Grenelle contre les violences conjugales, organisé par le Gouvernement, ont été formulées. Elles sont toutes destinées à mieux prévenir et à mieux réprimer ces violences. Certaines exigent des modifications de nature législative, qui trouvent leur expression dans la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales que nous allons examiner aujourd’hui.
Nourries des réflexions et des concertations menées au sein des groupes de travail mis en place par Marlène Schiappa dans le cadre du Grenelle, ces propositions intègrent des notions indispensables à la bonne compréhension et au traitement adapté de ces violences indignes de notre civilisation.
Ainsi, le phénomène d’emprise, ce mécanisme qui place la victime sous la domination et la dépendance de son conjoint, est particulièrement pris en compte. Il permet de comprendre le silence des victimes et leur comportement craintif, qui fait croire à tort à une acceptation de leur sort. C’est pourtant cette emprise qui les cloue auprès de leur bourreau et peut les entraîner vers la mort.
La proposition de loi que vous examinez aujourd’hui modifie le code civil, le code pénal et le code de procédure pénale en complétant la loi du 28 décembre 2019 sur des points importants, en vue de renforcer davantage encore la protection effective des victimes de violences familiales, qu’il s’agisse des parents ou des enfants.
Sur le plan pénal, tout d’abord, la proposition de loi se concentre sur trois axes majeurs.
Le premier axe est de faciliter le signalement des violences conjugales. À cette fin, dans les cas de violences d’une particulière gravité et qui démontrent la situation d’emprise de la victime, la proposition de loi donne la possibilité aux médecins ou aux autres professionnels de santé de porter ces faits à la connaissance du procureur de la République, même s’ils n’ont pas réussi à obtenir l’accord de la victime. Je me réjouis que ces dispositions importantes aient reçu l’accord de votre rapporteur et de votre commission des lois, qui les ont non seulement approuvées, mais également améliorées.
Les modifications apportées au texte, sur l’initiative de votre rapporteur dont je souligne ici la qualité du travail, mettent en effet très utilement en évidence le fait que le médecin appréciera en conscience s’il doit ou non procéder à un signalement. Ces modifications clarifient également la notion d’emprise pour que le médecin puisse plus aisément apprécier si un signalement est ou non justifié.
Le deuxième axe est d’améliorer les procédures pénales concernant ces infractions. Dans ce cadre, est prévue l’interdiction absolue du recours à la médiation pénale en cas de violences conjugales, ce qui répond à une demande ancienne et répétée des associations et se justifie par la situation d’emprise dans laquelle se trouvent le plus souvent les victimes. L’efficacité de la procédure est par ailleurs accrue en permettant au juge d’instruction ou au juge des libertés et de la détention d’ordonner, en cas de violences conjugales, dans le cadre d’un contrôle judiciaire – et donc avant toute condamnation –, la suspension du droit de visite et d’hébergement à l’égard des enfants, y compris en l’absence de violences directes à leur encontre.
Dans le même esprit est renforcée la possibilité pour les enquêteurs de saisir des armes, notamment au cours d’une procédure pour violences au sein du couple, afin d’éviter qu’elles ne soient utilisées par la personne mise en cause.
Le troisième axe, toujours sur le plan pénal, vise à améliorer les incriminations et à renforcer la répression. Cela se traduit notamment par les points suivants.
Tout d’abord, sera réprimé de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende le harcèlement au sein du couple qui aura conduit la victime à se suicider ou à tenter de le faire. Ensuite, les comportements d’espionnage au sein du couple seront plus largement incriminés. Par ailleurs, la lutte contre l’exposition de mineurs à la pornographie, notamment sur des sites internet, sera améliorée par la précision apportée à l’article 227-24 du code pénal selon laquelle le délit sera constitué, y compris si l’accès d’un mineur à des messages pornographiques résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins 18 ans. Enfin, le fait de donner mandat à une personne de commettre des crimes tels que le viol ou le délit d’agression sexuelle sur un mineur sera puni à titre autonome, y compris si le crime ou le délit n’a été ni commis ni tenté. Cela permettra notamment de poursuivre et de condamner des personnes qui visionnent sur internet des sévices sexuels qu’ils ont commandités et qui sont commis sur des mineurs à l’étranger.
Sur le plan civil, la proposition de loi prend en compte les conséquences dévastatrices des violences commises au sein du couple à l’égard de la victime, mais aussi de la famille. Deux propositions sont faites en ce sens.
Concernant l’obligation alimentaire tout d’abord, en cas de violences conjugales graves, le texte exclut toute possibilité de voir les enfants, victimes indirectes, contraints à soutenir financièrement celui qui a été condamné. Comme le propose la commission des lois du Sénat, ce sont l’ensemble des obligés alimentaires qu’il convient de protéger en cas de crime au sein de la famille.
Viennent ensuite des propositions concernant l’indignité successorale puisque la lutte contre les violences au sein du couple, voire plus largement au sein de la famille, se poursuit sur le plan successoral. La proposition de loi engage une réflexion sur l’indignité successorale : le conjoint n’est plus légitime à hériter lorsqu’il a commis des violences graves envers le défunt.
Ainsi que vous l’avez également décidé, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, dans la loi du 28 décembre 2019, le port du bracelet anti-rapprochement, dispositif qui sera déployé à partir de septembre 2020, pourra être non seulement ordonné par un juge pénal, mais aussi prévu par un juge civil. À cet égard, je soutiens l’amendement défendu par le groupe LaREM, tendant à assurer un suivi efficace de la personne à protéger lorsque le porteur du bracelet s’approche ou se maintient dans la zone dangereuse, en violation de la décision civile d’ordonnance de protection.
Je me félicite de nouveau du travail effectué par votre commission, qui a accepté les dispositions proposées en les complétant souvent utilement sur un certain nombre de points.
Je partage également votre remarque sur l’organisation des débats. J’aurais moi aussi préféré un texte unique, mais la proposition du député Aurélien Pradié est arrivée avant la fin du Grenelle, à un moment où de nombreux points faisaient encore l’objet de concertations. Parce que ce texte permettait la mise en œuvre rapide de propositions qui faisaient déjà l’objet d’un consensus, le Gouvernement et la majorité l’ont pleinement soutenu. Tout ce qui peut contribuer, en effet, à lutter contre les violences intrafamiliales que nous combattons en commun ne peut être que positif.
Grâce à votre engagement et au travail du Gouvernement, de premiers résultats se dessinent. Le nombre de demandes d’ordonnance de protection est passé de 3 300 en 2018 à 3 930 en 2019, soit une augmentation de plus de 21 %. Elle paraît encore plus importante si l’on note qu’il n’y en avait que 2 975 en 2016. Il reste cependant beaucoup à faire !
Plus significatif encore probablement, même s’il convient d’être extrêmement prudent, on déplore à ce stade 36 homicides conjugaux en 2020, contre 150 sur l’ensemble de l’année 2019. Ce n’est évidemment pas une victoire, et nous ne saurions en aucun cas nous satisfaire de ces chiffres toujours glaçants, mais cette diminution du nombre de faits constatés est sans doute un marqueur de la pertinence des dispositifs qui ne sont pas encore totalement déployés, mais que nous avons construits ensemble et mis en œuvre.
Ces éléments, je le crois, donnent de l’espoir et renforcent notre volonté. C’est bien en ce sens qu’il faut continuer à travailler ensemble, et je vous en remercie ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et SOCR. – Mme le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, chère Marie Mercier, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, des professionnels, des associations, des familles se mobilisent de longue date contre les violences conjugales. Heureusement, depuis quelques années, on observe que cette mobilisation va au-delà des sphères militantes qui, habituellement, luttent contre les violences conjugales.
La société se réveille enfin – médias, politiques, citoyens – et finit par rejeter massivement ces faits que l’on appelle désormais par leur nom : les féminicides.
C’est la raison pour laquelle, dès 2017, le Président de la République a décidé de faire de l’égalité femmes-hommes la grande cause de son quinquennat et d’agir sur ces questions.
Les associations de longue date étaient mobilisées pour demander au Gouvernement d’organiser un Grenelle des violences conjugales. Le Gouvernement a considéré qu’il était temps de rassembler les personnes qui travaillaient jusque-là parfois séparément dans la lutte contre les violences conjugales : les personnels soignants, la police, la gendarmerie, le monde de la justice, les associations, les familles de victimes. Plusieurs d’entre vous ont d’ailleurs participé à ce Grenelle des violences conjugales et se sont réunis à Matignon le 3/9/19, date choisie en référence à la ligne d’écoute du 3919 pour mieux la faire connaître.
Le Premier ministre, Édouard Philippe, a alors lancé un travail inédit à Matignon composé de onze groupes pour formuler des propositions sur des thématiques aussi variées que les violences intrafamiliales, l’éducation, la santé, la sphère professionnelle, les outre-mer, le handicap, l’accueil en commissariat et en gendarmerie, l’hébergement, la justice, les violences psychologiques, l’emprise et, enfin, les violences économiques.
Pendant trois mois, ces groupes de travail se sont réunis et ont avancé ensemble afin de trouver des solutions pour mieux protéger les femmes face aux violences conjugales, pour mieux prévenir ces violences conjugales, pour mieux sanctionner leurs auteurs et pour éviter que nous continuions simplement à battre le décompte des féminicides.
Connu par 9 % seulement de la population avant le Grenelle des violences conjugales, grâce à la mobilisation collective, le numéro du 3919 est désormais connu par plus de 65 % de la population. Le 25 novembre dernier, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes, le Premier ministre, Édouard Philippe, a annoncé les mesures retenues par le Gouvernement dans le cadre du Grenelle des violences conjugales.
L’ensemble des propositions restituées fin octobre par les responsables des groupes ont été alors reprises par le Gouvernement. Ce Grenelle des violences conjugales a donné lieu à plus d’une cinquantaine de mesures de politiques publiques. Certaines ne relèvent pas de la loi directement ; d’autres, oui. Elles sont devenues ou deviendront réalité grâce aux deux propositions de loi évoquée à l’instant par Nicole Belloubet.
La première proposition de loi, vous la connaissez, vous en avez débattu, c’est celle qui a été adoptée sur l’initiative du député Les Républicains Aurélien Pradié. La seconde est celle que nous allons examiner aujourd’hui, vous y avez travaillé et elle a été votée à l’Assemblée nationale sur une initiative des députés La République En Marche Bérangère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha.
Comme nous le disions précédemment, cette mobilisation collective de la société civile, des experts, des préfets, des élus a permis de travailler à des mesures concrètes, dont certaines ont pris effet immédiatement pour agir contre les violences conjugales.
Par exemple, avec Ernestine Ronai et les associations, nous avons mis en place une grille d’évaluation du danger que nous avons présentée avec le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner. Cette grille s’accompagne d’une nouvelle formation, d’une durée de 120 heures en formation initiale, pour les policiers et pour les gendarmes, afin que les femmes soient mieux accueillies encore dans les commissariats et dans les brigades de gendarmerie.
Par ailleurs, l’écoute des victimes est primordiale. Je voudrais remercier ici de son engagement dans cette libération de l’écoute le Conseil national de l’ordre des médecins ainsi, plus généralement, que tous les professionnels de santé qui suspecteraient un danger immédiat pour leurs patientes. Grâce aux dispositions prévues dans cette proposition de loi, ils pourront désormais mieux signaler les violences conjugales subies par les victimes et peut-être parfois même leur sauver la vie.
On entend souvent dire qu’une femme meurt sous les coups de son conjoint tous les trois jours. En réalité, lorsqu’on étudie sérieusement les chiffres et les dossiers, on s’aperçoit que le premier mode opératoire pour les féminicides en France est l’arme à feu. C’est pourquoi il nous a semblé important de saisir ces armes. Cela n’évitera pas tous les féminicides, mais cela pourra sans doute en empêcher.
Grâce à cette action du Grenelle des violences conjugales, grâce à ces nouvelles dispositions législatives, les policiers, les gendarmes pourront désormais saisir les armes des auteurs de violences dès le dépôt de plainte pour empêcher les féminicides.
Comme l’a rappelé la garde des sceaux, Nicole Belloubet, dont je voudrais ici saluer l’engagement total contre les violences conjugales et pour protéger les femmes, nous aurons à déployer le nouveau dispositif des filières de l’urgence, afin que les affaires de violences conjugales soient traitées plus rapidement et plus efficacement.
Enfin, la société tout entière commence véritablement à prendre en compte la situation des enfants dans les cas de violences conjugales. Avec le secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, Adrien Taquet, qui nous rejoindra, nous portons des mesures de protection des enfants, notamment celles qui prévoient d’aménager l’exercice de l’autorité parentale. Je sais à quel point ces mesures vous tiennent à cœur, madame la rapporteure.
Ce texte vise également à prévoir de décharger les descendants de leur obligation alimentaire envers le parent condamné, comme cela est demandé d’ailleurs depuis des années par différentes associations.
Le terreau des violences conjugales est un phénomène de domination d’un membre du couple sur l’autre. Pour la première fois, il vous est proposé de faire entrer la notion d’emprise dans la loi. Je voudrais donc ici saluer notamment le travail et l’engagement de l’ex-avocate Yael Mellul, qui a piloté ce groupe de travail et qui a œuvré pour faire en sorte que ce que l’on appelle le « suicide forcé » soit reconnu désormais comme une circonstance aggravante.
Quand nous avons lancé le Grenelle des violences conjugales, certaines voix se sont élevées pour souligner que l’État n’avait pas encore engagé une vraie politique de prise en charge des auteurs de violences conjugales. Avec la garde des sceaux, nous avons écouté ces voix et nous avons décidé de travailler sur cette question : nous avons donc décidé d’ouvrir d’ici à la fin du quinquennat deux centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales par région. Nous avons d’ores et déjà lancé un appel à projets et plusieurs territoires y ont répondu. Nous souhaitons que, dans chaque territoire, on puisse prendre en charge les auteurs de violences conjugales, comme cela se pratique déjà à Arras. Prendre en charge les auteurs, c’est diminuer la récidive et, donc, c’est in fine protéger les femmes face aux violences conjugales.
Nous avons également pendant le confinement pris l’initiative d’ouvrir un numéro de téléphone avec la Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales & familiales (Fnacav), pour que les hommes s’apercevant qu’ils ne peuvent pas gérer leurs accès de colère et de violence puissent être écoutés, puissent être pris en charge et puissent bénéficier d’un accompagnement psychologique. Je vous l’annonce aujourd’hui, cette ligne d’écoute est en train de passer la barre des 500 appels depuis sa mise en œuvre le 6 avril dernier.
Avec la garde des sceaux, nous l’affirmons, l’éviction du conjoint violent est une mesure fondamentale. Grâce à la mise en œuvre d’une plateforme d’hébergement spécifique avec le Groupe SOS, en liaison avec les parquets, les conjoints sont désormais éloignés en moins de trois heures, contre quarante-huit heures auparavant. Une centaine d’auteurs ont d’ores et déjà, depuis le début du confinement, été écartés du domicile grâce à cette mobilisation et à ce partenariat.
Notre priorité est de mettre fin à la cohabitation entre l’agresseur et la victime. Il importe de sortir l’homme violent du foyer ou de mettre à l’abri toutes les femmes qui en ont besoin. C’est pourquoi une charte a été signée le 27 novembre dernier entre les services intégrés de l’accueil et de l’orientation (SIAO) et le 3919, pour mieux coordonner les recherches d’hébergement dédié et les nouvelles places ouvertes avec le Grenelle des violences conjugales.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, ces quelques mesures phares du Grenelle des violences conjugales sont complétées par des dizaines d’autres qui font l’objet d’un suivi rigoureux et régulier dans leur application et dans leur déploiement. C’est à cet effet, ce matin, que j’ai réuni à Matignon les pilotes des onze groupes de travail du Grenelle des violences conjugales, qui poursuivent leurs efforts. Je tiens à les en remercier et à saluer le travail entrepris par l’ensemble des administrations dans la bonne réalisation des mesures, en coordination avec l’ensemble des ministères concernés et le service des droits des femmes et de l’égalité.
Grâce à leur implication, un tiers des mesures du Grenelle des violences conjugales est d’ores et déjà réalisé. Un autre tiers est en cours de déploiement. Le dernier tiers poursuit sa préparation, notamment en ce moment même, ici, avec vous, avant de pouvoir être déployé.
Le confinement a été une épreuve collective qui est venue percuter l’histoire personnelle et familiale de chacun. Vous le savez, il y a eu cinq fois plus de signalements de violences conjugales sur le portail « arretonslesviolences.gouv.fr » et 36 % de signalements en plus auprès des forces de l’ordre. Nous nous sommes mobilisés et la magistrate Élisabeth Moiron-Braud me remettra en juillet les résultats de sa mission sur l’évaluation de la prévalence des violences conjugales pendant le confinement.
Nous notons d’ores et déjà que, s’il y a eu davantage de signalements, il y aurait eu – je parle au conditionnel et avec prudence – moins de féminicides qu’habituellement.
Je voudrais également ici remercier les partenaires privés de leur engagement auprès des associations, puisque des partenariats nous ont permis d’ouvrir 90 points d’écoute et d’orientation avec les associations pour les femmes victimes de violences conjugales. Je pense, notamment, au centre d’entraînement du club de football de l’OM, qui a été un exemple d’engagement pendant le confinement puisqu’il a mis ses locaux et une partie de son personnel à disposition pour loger les femmes victimes de violences conjugales, en partenariat avec les services de l’État.
Vous le savez, le signalement par SMS au 114 a été rendu possible et nous avons créé un fonds d’urgence de 1 million d’euros afin de soutenir davantage les associations et financer 20 000 nuitées pour les victimes de violences conjugales.
Pour finir, je salue ici l’engagement des parlementaires de tous les bords pour mener à bien ces travaux lors de la tenue du Grenelle des violences conjugales. Vous êtes nombreuses et nombreux sur ces travées à avoir participé aux quelque 180 événements locaux qui se sont tenus partout en France et qui ont réuni plus de 4 500 personnes. Je voudrais particulièrement remercier les sénatrices et les sénateurs de la commission des lois, notamment Mme la rapporteure, Marie Mercier, ainsi que les sénatrices et les sénateurs de la délégation aux droits des femmes du Sénat pour les enrichissements qu’ils ont pu apporter au texte.
Même si nous ne nous retrouverons pas sur tous les amendements de la commission, il est heureux de constater que, ensemble, nous avons le même but : lutter contre les violences conjugales et ne rien laisser passer, ce dont je vous remercie ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)