M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le groupe CRCE et Mme Cécile Cukierman, qui nous donnent l’occasion d’avoir ce débat bienvenu en ce moment particulier.
Le logement, et encore plus le logement pour les plus modestes, doit constituer une préoccupation de chaque instant pour les responsables politiques que nous sommes, que l’on se trouve à l’échelon local, en particulier dans les communes et les intercommunalités, ou au plus haut sommet du Gouvernement. Vous êtes, bien évidemment, monsieur le ministre, un des plus concernés par cette question !
La période de confinement que nous venons de traverser nous a démontré, une fois de plus, si c’était nécessaire, à quel point le logement, d’une part, pouvait être source d’inégalités sociales et, d’autre part, constituait un élément essentiel du bien-vivre, voire peut-être demain du bien-travailler.
Je l’ai rappelé en commission, sans logement, on ne peut construire sa vie, sa famille, son travail, sa santé. C’est le cœur, le nid, comme le dit Jean-Louis Borloo !
Différentes problématiques me semblent essentielles à aborder dans nos réflexions actuelles et à venir.
Tout d’abord, le rôle des offices d’HLM dans la création et l’amélioration du logement pour les ménages les plus en difficulté est essentiel.
Malheureusement, les précédents projets de loi de finances, comme l’a rappelé la rapporteur, et certaines mesures de la loi ÉLAN produisent les effets attendus. Beaucoup d’organismes peinent aujourd’hui à construire et à rénover leur parc de logements sociaux.
L’impact de la RLS, concomitante à la diminution de la contribution de l’État aux APL de 3 milliards d’euros depuis trois ans, a contribué tout autant à remettre en cause le modèle économique des bailleurs sociaux qu’à fragiliser certains ménages en difficulté.
Cette équation budgétaire imposée complique fortement l’atteinte des objectifs assignés au secteur du logement social, qu’il s’agisse de l’engagement de poursuivre la construction neuve ou de l’accroissement de 25 % des rénovations.
La vente d’appartements n’est évidemment pas au rendez-vous pour créer de la trésorerie ainsi que vous l’aviez imaginé. On peut craindre que la crise, qui ne fait que commencer, n’améliore pas la situation.
Par ailleurs, comme je l’avais souligné précédemment, on peut légitimement s’interroger sur l’intérêt de vendre des logements locatifs sociaux pour construire d’autres logements locatifs sociaux quand on sait que ce ne sont que très rarement les occupants qui les achètent…
La crise sanitaire dérive aujourd’hui en crise économique et dérivera demain en crise sociale. Cette situation signifie que nous devons protéger et aider ceux qui vont le plus souffrir. Je le rappelais, les questions de logement constituent l’un des principaux freins au retour à l’emploi.
La nécessité de construire plus et mieux, partout en France, est donc importante. Cela doit se faire aussi dans le cadre d’une politique de la ville transversale et puissante. Les ruptures sociales se creusent toujours en période de crise. Nous devrons faire attention et les anticiper.
À ce sujet, monsieur le ministre, j’en profite pour vous signaler de nombreuses remontées des territoires où l’on s’inquiète de l’échéance fixée par la loi au 31 décembre 2024, qui risque de ne pas pouvoir être respectée par les collectivités. C’est un sujet qu’il faudra examiner de près.
Le problème de la construction de logements est lié aussi aux questions d’investissement public : 70 % de l’investissement public est réalisé par les collectivités locales. Ces dernières sont donc un maillon essentiel de la commande publique et de la reprise économique dans les territoires, en particulier pour les entreprises du bâtiment. Elles ont aussi un rôle à jouer dans la construction et la rénovation de logements. Soyez vigilant à ne pas couper les capacités d’investissement des collectivités, comme vous l’avez fait pour les bailleurs sociaux dans le cadre de choix budgétaires.
Votre gouvernement appelle à faire confiance aux maires en cette période de déconfinement progressif. Étendez cette volonté à l’investissement local et aux autres élus locaux. Établissez des relations claires et franches avec tous les niveaux de collectivités. Là encore, j’appelais largement à une telle concertation lors des débats sur la loi ÉLAN.
Vos réformes étaient sans doute calibrées pour des moments où l’on navigue par beau temps. Quand la tempête est là, comme aujourd’hui, elles ne permettent pas d’amortir le choc et de maintenir le cap. Bien au contraire, elles pourraient accentuer les difficultés sociales et compliquer encore davantage l’équation du secteur du logement social. Il faudra donc, monsieur le ministre, comme le rappelait Mme la rapporteur, engager rapidement et en premier lieu le moratoire de la RLS tant attendu par les bailleurs sociaux.
J’en viens maintenant à la proposition de loi présentée par Cécile Cukierman et rapportée par Dominique Estrosi Sassone. Je tiens véritablement à saluer le travail de chacune d’entre elles. Je salue également l’initiative du groupe CRCE, qui pose ce débat essentiel et apporte des solutions concrètes et rapides.
Comme j’ai pu le souligner lors de l’examen de la proposition de loi en commission, ce texte vient à point nommé. Même s’il ne résoudra pas tous les problèmes du monde du logement en général et du logement social en particulier, même s’il n’aidera pas toutes les personnes qui ont des difficultés en fin de mois pour régler leur loyer et leurs charges, il va néanmoins dans le bon sens. Il traite des difficultés réelles et apporte, à son échelle, un peu d’oxygène aux ménages.
Cet oxygène, le Gouvernement a senti qu’il était nécessaire quand il a décidé d’allouer une prime de 150 euros aux ménages les plus modestes qui percevaient le revenu de solidarité active (RSA) ou l’allocation de solidarité spécifique (ASS), ainsi qu’une prime de 100 euros par enfant pour les mêmes ménages et pour ceux qui perçoivent l’APL.
Par ce mécanisme, vous reconnaissez indirectement, monsieur le ministre, que les minima sociaux et les aides publiques aux ménages ne suffisent pas durant cette période de crise sanitaire, mais aussi, sans doute, le reste du temps.
La proposition de loi de mes collègues du groupe CRCE peut vous permettre d’y réfléchir plus précisément. Elle contient des mesures de bon sens que nous soutenons.
La suppression du mois de carence dans la perception des APL est une mesure de justice. À l’heure où le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu est devenu possible et se justifie par sa contemporanéité, à l’heure où les APL, comme vous le souhaitez, sont versées en prenant en compte la situation réelle et immédiate des revenus des foyers, il nous semble logique de ne plus pénaliser les ménages par ce mois d’attente.
De même, la réindexation du montant des APL sur l’indice de référence des loyers permettra de suivre la réalité des évolutions économiques du pays. Elle suit la même logique : à situation donnée à l’instant t doit correspondre une aide juste et équivalente à ce même instant.
Concernant les autres articles, nous soutiendrons les positions de la commission et de Mme la rapporteur, je pense en particulier à l’amendement de suppression de l’article 2 sur le seuil de non-versement.
Pour conclure, je me réjouis que la commission ait toujours veillé à ces questions liées au logement et défendu des positions communes, qui vont bien au-delà de nos différences quand il s’agit de financer nos politiques de logements sociaux et nos ménages les plus modestes. La situation actuelle le justifie, ainsi que celle à venir.
Vous l’aurez donc compris, les sénatrices et sénateurs du groupe Union Centriste voteront en faveur de ce texte, tel qu’il ressortira de nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Guillemot.
Mme Annie Guillemot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme je l’ai rappelé hier lors du débat sur la jeunesse, je pense notamment à la jeunesse des quartiers au sujet de laquelle je suis extrêmement inquiète en ce moment, la situation sociale n’a manifestement pas été suffisamment prise en compte par le Gouvernement dans le plan de déconfinement. Il faut sans doute beaucoup plus anticiper et aider les plus fragiles à traverser la crise.
L’augmentation du chômage nécessite des mesures fortes pour empêcher de nombreux Français de basculer dans la précarité. Il y a urgence pour leur permettre de conserver leur logement – c’est l’objet du texte que nous examinons aujourd’hui – tant dans le parc public que dans le parc privé pour lequel nous avons aussi beaucoup d’inquiétudes.
Les aides personnelles au logement représentent plus de 40 % de l’effort public pour le logement. Elles réduisent la charge de logement de 7 millions de ménages locataires bénéficiaires. Or ces ménages ont subi des baisses de revenus du fait notamment du chômage partiel et de l’arrêt de travail pour de nombreuses professions. Quand on a 1 500 euros de revenus avec deux enfants et un reste à charge de 300 euros, c’est très difficile. Il n’y a qu’à voir comment la baisse de 5 euros des APL a été perçue !
Le montant des aides au logement est donc non seulement indispensable pour les soutenir, mais il ne suffira pas pour de nombreux ménages. Il faut aller plus loin et prévoir sans doute pour une période temporaire de nouvelles mesures d’aide qui permettront aux plus fragiles de surmonter leurs difficultés. Il va falloir, là aussi, faire jouer la solidarité nationale, comme beaucoup d’associations le demandent.
La crise sanitaire que nous traversons se double d’une crise économique et sociale. Le Gouvernement vient malheureusement d’annoncer une récession de plus de 11 %. Dans une étude réalisée en avril dernier, l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) indiquait que plus d’un tiers des actifs avaient déjà vu baisser leurs revenus d’activité. Certains d’entre eux font partie des ménages devant faire face à de lourdes dépenses de logement. Plus de 4 millions de ménages sont soumis à cette double contrainte budgétaire.
Dans une étude de 2018, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) rappelait en effet que le logement représente les deux tiers de la consommation préengagée des ménages pauvres. Il y avait déjà des soucis dans l’avant ; on est par conséquent en droit de se poser des questions pour l’après !
Le plan de sortie du confinement doit donc s’accompagner de mesures d’urgence renforcées pour éviter qu’une crise sociale durable ne s’installe. Il faut aller plus loin dans la protection des personnes. Cette urgence sociale est relayée depuis des semaines par les acteurs de la solidarité que nous avons beaucoup auditionnés avec Mme Estrosi Sassone, mais également par les bailleurs sociaux et les associations d’élus.
Le fonds de solidarité logement (FSL) est particulièrement mobilisé pour venir en aide aux ménages fragilisés, mais les locataires ayant des difficultés à payer leur loyer qui ne sont pas éligibles à ce fonds ne disposent pas d’aide spécifique. Le FSL n’est d’ailleurs pas universel puisqu’il est destiné aux personnes en grande situation de précarité sociale et est attribué selon des critères propres à chaque département.
Les bailleurs sociaux veillent attentivement à soutenir leurs locataires. Ils ont signé une charte en faveur de ceux qui ont connu des problèmes de fragilité économique durant la crise. Mais les informations manquent s’agissant du secteur privé. Dans ce contexte, la question du logement est plus que jamais prioritaire et nécessite des réponses fortes et pratiques.
Afin de répondre plus efficacement à cette situation, plusieurs sénateurs du groupe socialiste et moi-même avons déposé une proposition de loi prévoyant des mesures d’urgence, notamment l’abondement par l’État du FSL, à hauteur de 250 millions d’euros, pour l’aide d’urgence à la quittance, évoquée par Mme la rapporteur. Cette mesure s’adresserait aux locataires du parc locatif social, mais aussi du parc privé, et aux copropriétaires occupants qui ne peuvent plus payer leurs charges de copropriété.
Nous prévoyons aussi de maintenir systématiquement les aides au logement durant la période de la crise sanitaire et de permettre la suspension du paiement des annuités d’un emprunt immobilier pendant une durée maximale de douze mois. Il faut également veiller à ce que des copropriétaires occupants ne soient pas expulsés. Nous demandons, enfin, la création d’une aide de 50 millions d’euros en faveur des associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
Rappelons-le, l’État, qui est garant du droit au logement et de la solidarité nationale, a privé le logement social de près de 3 milliards d’euros, ce qui représente 6 milliards d’euros en moins sur trois ans.
Recentrage du prêt à taux zéro (PTZ) au détriment des zones rurales, baisse des APL, gouvernance de la politique du logement qui s’éloigne des territoires : ces choix politiques ont eu et ont encore des effets irrémédiables qui installent une crise durable de la construction de logements abordables, de la réhabilitation et de la rénovation urbaine, dont les effets seront encore amplifiés par la crise actuelle.
La France doit produire du logement abordable – or, nous le savons, il y aura environ 100 000 logements en moins – et soutenir les familles modestes.
Comment résorber l’habitat indigne si l’on ne peut pas reloger les familles ? Comment mettre en place la politique dite du « logement d’abord » sans offre de logements adaptée et sans financement de l’accompagnement social ? Comment demander aux maires de mettre en œuvre des politiques publiques quand ils n’en ont plus les moyens ? Comment donner confiance à notre jeunesse lorsque la précarité s’installe et que le logement devient inaccessible ?
S’agissant des aides au logement, les décisions successives du Gouvernement durant ces trois dernières années ne sont pas allées dans le bon sens : baisse de 5 euros des APL, gel de leur barème en 2018 et sous-indexation à hauteur de 0,3 % en 2019 et 2020 – maintiendrez-vous cette mesure, monsieur le ministre ? –, suppression de l’APL accession, alors même que le précédent ministre du logement nous avait promis, dans cet hémicycle, que tel ne serait pas le cas, mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS), comme l’a rappelé Mme la rapporteure.
Je n’oublie pas non plus la situation d’Action Logement, sur laquelle certains se posent beaucoup de questions, pas plus que la réforme, prévue en 2020, des modalités de prise en compte des ressources pour le calcul des aides au logement. Cette contemporanéisation ne suscite pas mon optimisme, car, de ce fait, de nombreux jeunes qui vivent chez leurs parents et allaient emménager dans un logement ne toucheront plus l’APL.
Il faut absolument revoir ces mesures. Même si elles peuvent être positives pour certains, nous ne disposons d’aucune étude d’impact. Normalement, 1,2 million de bénéficiaires verront leur APL baisser, tandis que 600 000 personnes n’y auront plus droit.
La Cour des comptes, dont Mme la rapporteur a cité le rapport, a d’ailleurs dénoncé un manque d’anticipation dans l’exécution de la mission « Cohésion des territoires », conduisant à un écart important entre les crédits votés et les crédits exécutés, dû notamment aux quatre reports, en 2019, de la date de mise en œuvre de la réforme de l’APL – une réforme, je le rappelle, qui devait faire économiser 1,4 milliard d’euros en année pleine.
Vous avez mis ces reports sur le compte de la CAF, monsieur le ministre… Or vous avez inscrit dans votre décret la date du 1er janvier 2021, au plus tard. À ce propos, vous m’aviez reproché, lors du débat budgétaire, d’avoir dit que le personnel de la CAF ne pourrait pas appliquer cette réforme. Vous reprenez désormais mon argument !
Je rappelle que le logement rapporte davantage à l’État qu’il ne lui coûte. En 2018, les aides au logement ont certes représenté 40 milliards d’euros, mais le secteur du logement a aussi produit 78 milliards de rentrées fiscales. Il ne faut pas l’oublier !
Le logement doit cesser d’être la variable d’ajustement du budget de l’État, même si vous nous assurez que vos choix politiques ne sont pas purement budgétaires.
Toutes ces mesures frappent de plein fouet les ménages les plus fragiles. En Île-de-France, par exemple, parmi les 700 000 ménages qui demandent un logement social, 71 % sont en deçà des plafonds de ressources.
Il est donc urgent de réorienter la politique du logement, et la question des aides au logement en est l’illustration la plus édifiante. Par conséquent, nous voterons pour cette proposition de loi déposée par Cécile Cukierman, qui traduit cette inquiétude et cette urgence.
Nous la voterons en nous souvenant de l’article 1er de la loi Besson, qui dispose : « Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la Nation.
« Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité, dans les conditions fixées par la présente loi, pour accéder à un logement décent et indépendant ou s’y maintenir […]. »
Le maintien dans le logement est extrêmement important.
La situation que nous vivons a révélé, si besoin en était, la profondeur des inégalités sociales et la fragilité des services publics. La priorité pour mon groupe demeure d’aider les plus fragiles à traverser la crise.
La situation dans les banlieues nous inquiète. C’est avant tout une question politique, au cœur de notre pacte républicain. Il faut prendre en considération les problématiques de l’emploi, du logement, mais aussi du respect – nous le voyons aujourd’hui ! –, de la lutte contre les discriminations et de l’espoir.
J’ai renouvelé, hier, la proposition que j’avais faite de donner une réponse avant le mois de septembre aux jeunes des quartiers, notamment les étudiants qui ne pourront pas s’inscrire pour la prochaine rentrée universitaire, faute de job. On peut relancer 20 000 ou 30 000 emplois aidés !
Il faudrait aussi aller chercher les décrocheurs pour les raccrocher au système scolaire. Dans les quartiers, un seul gamin sur dix est aujourd’hui scolarisé !
Vous me répondrez sans doute, comme vous avez commencé à le faire, que beaucoup a déjà été fait. C’est vrai ! Mais l’aisance de vos propos et la sûreté de vos jugements, monsieur le ministre, ne suffisent pas à me rassurer. Il faut regarder beaucoup plus loin !
Ayant été maire de Bron pendant dix-sept ans, j’ai pu constater combien il fallait de temps pour mettre en œuvre les mesures que nous prenons sur le terrain. Les maires, que je salue, dépensent aujourd’hui beaucoup d’énergie pour aider les quartiers.
La politique, pour moi, ce sont non pas seulement des paroles, mais aussi des actes, qui témoignent de responsabilités. En tant que ministre chargé de la ville et du logement, vous avez beaucoup de responsabilités, car il faut agir très vite ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette crise sanitaire, avec ses répercussions sociales à moyen et long termes, est inédite. Comme l’a indiqué à juste titre le ministre de l’économie et des finances, c’est une affaire non pas de semaines ou de mois, mais d’années. Après avoir favorisé le chômage partiel, la dépense publique ne parviendra pas, malheureusement, à sauver toutes les entreprises qui annonceront leur faillite et les emplois correspondants.
À défaut de revenu universel, les aides sociales constituent un soutien précieux permettant à nos concitoyens d’amortir le choc provoqué par une diminution ou une perte totale de revenus qui risque de compromettre, en particulier lorsqu’ils sont locataires, leur capacité à se loger. Des moyens supplémentaires doivent être pensés pour permettre le maintien dans leur logement actuel, avant que ne s’enclenche l’engrenage de la précarité. Nombreuses sont les associations qui nous alertent sur ce point.
Certes, la vague des impayés n’est pas encore arrivée. Pour autant, elle ne saurait être prématurément écartée. Il est donc fortement souhaitable de l’anticiper et d’éviter les expulsions en cascade.
Vous affirmez, monsieur le ministre, que personne ne peut accepter, en cette période de crise sanitaire, que certains soient expulsés de leur logement. J’ai envie d’ajouter que, au XXIe siècle, personne ne devrait être expulsé de son logement, quel que soit le contexte, lorsque la bonne foi n’est pas en cause, et que tout le monde devrait pouvoir prétendre à un toit.
Permettez-moi, à cet égard, d’ouvrir une parenthèse : je suis choqué de constater que des sans-abri vivent depuis plusieurs années dans une totale précarité tout près du Sénat, sous nos yeux, sous le porche du théâtre de l’Odéon !
Si le prolongement de la trêve hivernale jusqu’au 10 juillet constituait une impérieuse nécessité, je regrette l’absence d’initiative de l’État sur le long terme au profit des locataires, en ces temps incertains marqués par une réelle peur de la perte de logement.
Contrairement à ses voisins européens, la France n’a ni institué de gel sur les prix ou de fonds d’urgence ni décidé d’un abondement du FSL. Par ailleurs, l’encadrement des loyers n’est pas scrupuleusement respecté, a fortiori à Paris. L’association nationale de défense des consommateurs et usagers CLCV constate des abus. Les aides personnelles au logement sont des aides sociales ; elles ne doivent pas servir à financer les surtarifications de loyers.
Aussi, même si elle ne peut tout résoudre au regard des limites de l’initiative parlementaire, la présente proposition de loi prévoit des aménagements en matière de modalités de versement et de détermination du montant des APL que l’on ne peut que soutenir.
Les deux principales mesures proposées auront un effet positif perceptible pour les ménages.
Tout d’abord, la suppression du mois de carence paraît plus que pertinente, car elle contribuera au paiement du premier loyer des personnes nouvellement éligibles aux APL. Ce n’est pas sans intérêt, au vu de la forte probabilité d’une augmentation des demandeurs dans les mois à venir.
De même, la réindexation des APL sur l’indice de référence des loyers (IRL), soit une revalorisation d’environ 1,5 % au lieu de 0,3 %, est socialement juste et cohérente du fait de l’évolution du poids de la dépense de logement sur les budgets des ménages.
En revanche, nous sommes partagés sur la suppression du seuil minimal de non-versement des APL, qui trouve sa justification dans la couverture des coûts de gestion. Des montants aussi faibles d’APL, en deçà de 10 euros, sont incompréhensibles, y compris pour les bénéficiaires. Peut-être faudrait-il revoir les modalités de calcul ? La complexité, que vous avez soulignée, monsieur le ministre, n’a pas échappé aux critiques de la Cour des comptes.
La proposition de loi vise ainsi à renforcer l’efficacité des APL. Elle évoque un débat ancien qui subodorait l’existence d’un potentiel effet inflationniste : le risque de la prise en compte par le bailleur du montant de l’allocation dans la fixation du loyer, notamment en période de pénurie de logements. Or cette pénurie est structurelle dans les zones tendues, et le choc de l’offre n’a pas encore eu lieu.
Si un effet inflationniste est démontré, la réalisation d’économies sur les APL de manière uniforme pénalise cruellement les ménages victimes des défaillances d’un marché aux équilibres fragiles. L’optimisation de l’intervention publique dans le domaine du logement est souhaitable, mais elle ne doit pas manquer son objectif premier, qui est avant tout social.
Parmi ces ménages, nous ne retrouvons pas uniquement ceux qui subissent des accidents de la vie. Dans les zones tendues, les travailleurs percevant un salaire moyen, qui sont souvent ceux qui se sont révélés indispensables au fonctionnement du pays et que tout le monde a remerciés, peinent à payer leur loyer.
Je ne reviendrai ni sur le contexte budgétaire ni sur les économies réalisées dans le cadre de la politique du logement au cours de ces dernières années. Les auteurs de la proposition de loi et d’autres intervenants ont pu le rappeler, la donne a changé. Une crise conjoncturelle s’ajoutant à une crise structurelle, il est impératif de se réinventer pour l’avenir.
Le télétravail, qui s’est imposé après une longue hésitation des entreprises, apportera peut-être du lest et permettra de rééquilibrer notre territoire, certains Français ayant pu goûter à des conditions de vie plus sereines en dehors des milieux urbains.
Nous espérons que ces changements profonds auront un effet positif sur l’accès au logement. Mais cela ne nous exonère pas de la responsabilité de donner un coup de pouce immédiat aux locataires.
Le groupe RDSE votera donc en faveur de la présente proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi part d’un bon sentiment. Nous avons tous eu durant cette crise une pulsion de générosité, qui est bien naturelle.
Gide déclarait : « Ce n’est pas avec de bons sentiments qu’on fait de la bonne littérature. » De même, on peut se demander si ce texte est la bonne façon de tenir compte de la crise et d’un certain nombre de demandes.
On dit souvent qu’il ne faut pas voter la loi sous le coup de l’émotion. (Marques d’indignation sur les travées des groupes RDSE, SOCR et CRCE.)
Mme Éliane Assassi. Une décision sur le coup de l’émotion les 5 euros ?
M. Julien Bargeton. Le débat qui est posé est intéressant, mais la proposition de loi y répond-elle de façon efficace ? Telle est la question que nous devons trancher.
Les APL s’élèvent à peu près à 18 milliards d’euros, dont 75 % bénéficient à 10 % des ménages, ceux qui sont les plus défavorisés. Pour ces ménages, ces aides représentent un tiers de la redistribution. Le sujet est donc extrêmement important.
Le rapport de la Cour des comptes a souvent été cité, mais, comme pour les Saintes Écritures, chacun peut en faire sa propre exégèse. J’en lirai quelques extraits.
Selon la Cour, les APL souffrent d’« une gestion complexe et coûteuse, d’indus importants et de coûts élevés ». Cette histoire est assez ancienne, nous pouvons tomber d’accord sur ce point. La complexité des critères de versement est telle qu’« une volumineuse plaquette décrivant leur mode de calcul » était éditée jusqu’en 2013. Elle ne l’est plus depuis, fort heureusement.
Je poursuis ma lecture : « Le nombre de paramètres de calcul accentue le risque d’oublis ou d’erreurs, la complexité de ce calcul ne permettant pas de repérer immédiatement une éventuelle incohérence. Simplifier le mode de calcul des aides est désormais indispensable : au-delà des coûts de gestion qu’elle génère, la complexité actuelle est une source importante de non-recours – il faut le souligner ! – d’indus et de fraudes. Elle fait aussi perdre de vue à l’allocataire les principes mêmes sur lesquels l’aide est fondée. »
Nous partageons le constat selon lequel il faut réformer le système, le simplifier, le renforcer et le rendre plus accessible.
M. Fabien Gay. Plus efficient !
M. Julien Bargeton. Non pas plus efficient, mais plus efficace !
Les principes et les remarques édictés par la Cour des comptes ont-ils été pris en compte dans la présente proposition de loi ?
Mme Cécile Cukierman. J’essaie de répondre aux besoins de la population, pas à ceux de la Cour des comptes !