M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, par une ordonnance du 22 février 1945, la France instaurait un pacte social national.
Les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 fondant la sécurité sociale visaient à créer un modèle social pour les travailleurs salariés qui avaient particulièrement souffert socialement durant la Seconde Guerre mondiale.
Le 15 mars dernier, le président de la République a qualifié de guerre cette crise sanitaire sans précédent qui a aggravé la situation économique déjà très fragile.
Le 25 avril 2019, le Président de la République avait annoncé une série de mesures prises en réponse à la crise des « gilets jaunes » et tenant compte des résultats du grand débat national. La mise en œuvre de ces mesures a été freinée par la crise sanitaire. Il faut désormais les réinvestir politiquement, les faire mûrir et les évaluer.
Tout le monde a subi cette crise. Ce fut un choc symétrique. Certains, il est vrai, l’ont subi plus fortement que d’autres. Mais il ne s’agit pas de prévoir une aide financière conjoncturelle en une seule fois. Il faut envisager la reconstruction sur le long terme, aux côtés des institutions et des entreprises. Ce nouveau paradigme de société passe par trois points : l’alliance des secteurs public et privé pour l’intérêt général, la solidarité entre Français et l’implication de nos collectivités territoriales.
Sur ce dernier point, les mesures du Gouvernement doivent nécessairement être le fruit des remontées du terrain, avec les maires comme premiers interlocuteurs qui enrichissent la réflexion à l’échelle nationale. À l’échelon local, il devient nécessaire de créer une cellule de veille sanitaire et sociale.
Madame la secrétaire d’État, après le grand débat et cette crise sans précédent, quels outils comptez-vous mettre en place auprès des collectivités territoriales pour faire face, de manière pérenne, aux risques sociaux et sanitaires ? C’est une question que beaucoup d’élus se posent.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Dans la relation entre l’État et les collectivités territoriales, tous les échelons s’investissent dans le champ social et médico-social : régions, départements, communes et EPCI. Le ministère de la cohésion du territoire mène ce travail constant avec l’ensemble des représentants des collectivités territoriales dans le partage et les évolutions de compétences.
Je consulte régulièrement l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalités (AMF), l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (Unccas) et l’Assemblée des départements de France (ADF) sur la stratégie de lutte contre la pauvreté et sur les questions de solidarité et de politique de la petite enfance. Sur ces dernières, et bien qu’il s’agisse d’une compétence optionnelle, les caisses d’allocations familiales sont aux côtés des collectivités pour le compte de l’État.
C’est ensemble que nous pourrons amener cet écosystème à travailler par contractualisation, à travers des schémas de réorientation. Nous devons surtout mettre en œuvre concrètement des compétences sans superposition des uns et des autres. Chacun doit pouvoir s’y retrouver, nos concitoyens au premier chef, pour savoir qui fait quoi et où aller dans le champ social et médico-social.
Des travaux ont été amorcés dans ce cadre-là. Je travaille avec l’ADF pour apporter des moyens financiers supplémentaires aux communes et aux régions pour assurer un meilleur accompagnement en matière de lutte contre la pauvreté.
Dans le champ social, je crois que formation, développement économique et accompagnement des demandeurs d’emploi ou des bénéficiaires du RSA forment un triptyque à même d’offrir une vraie visibilité sur un bassin d’emplois, un bassin de vie.
Les formations financées par les régions doivent bien aller aux demandeurs d’emploi et aux bénéficiaires du RSA, accompagnés par les collectivités ou par nos services,…
M. le président. Veuillez conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. … et répondre aux besoins de nos entreprises en termes de recrutement.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le confinement a rendu visible ce que vous ne voulez pas voir : la précarité des travailleurs « ubérisés », dépendants des plateformes de livraison, et les chauffeurs de VTC, dont le droit dit régulièrement qu’ils sont de faux indépendants. La Cour de cassation, dans un arrêt du 4 mars dernier, a même utilisé le terme d’indépendant « fictif » – c’est grave ! – avant de requalifier l’emploi du plaignant en emploi salarié.
Madame la secrétaire d’État, vous bricolez et tergiversez depuis 2017 en cherchant à créer un tiers statut entre ceux de salarié et d’indépendant, avec des chartes et que sais-je encore dont le droit dit également régulièrement qu’elles ne conviennent pas. Ces travailleurs ne peuvent plus attendre. Après la crise, le salariat doit s’imposer dans certains secteurs.
Nous avons proposé une coopérative d’activités et d’emplois pour réguler beaucoup mieux l’activité des plateformes numériques, auxquelles nous ne sommes pas opposés, et apporter de vraies garanties aux travailleurs. Ces plateformes doivent immédiatement assumer leurs responsabilités réelles, qu’elles soient sanitaires ou financières.
Vos chartes et solutions sont de toute part, et notamment dans cet hémicycle, considérées comme aussi précaires que les plateformes que vous tentez de protéger. Il est temps de revoir les choses. Nos collègues du groupe CRCE vont présenter, la semaine prochaine, une autre solution que celle de la coopérative d’activités et d’emplois, mais toujours autour du salariat. Créer de vrais statuts de travailleurs indépendants peut être une autre piste, comme le souligne un rapport de la commission des affaires sociales.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, Muriel Pénicaud a lancé une mission sur les travailleurs numériques en mars dernier, à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation que vous évoquiez. Nous nous sommes pleinement saisis de cette question.
Le statut d’autoentrepreneur et d’indépendant est parfois le premier pas vers une réinsertion sociale et professionnelle. Certaines structures comme l’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE), par exemple, accompagnent des autoentrepreneurs dans leur création d’entreprise. Je pense encore à un dispositif comme « Lulu dans ma rue » qui va aider des autoentrepreneurs à trouver quelques heures de travail et à commencer un parcours d’insertion. Il ne faut pas généraliser et qualifier nécessairement tous ces parcours de « précaires ». Il s’agit aussi de parcours d’insertion.
Ces autoentrepreneurs qui déclarent leurs revenus peuvent bénéficier de la prime d’activité, ce qui nous permet aussi de mieux les accompagner.
Peut-être faut-il encore améliorer certains dispositifs. Muriel Pénicaud y travaille. Certaines personnes souhaitent continuer à profiter de ce statut qui constitue un premier pas vers une reprise d’activité avant de pouvoir d’évoluer, notamment grâce aux dispositifs que j’ai cités.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour la réplique.
M. Olivier Jacquin. J’ai bien entendu votre réponse en deux temps, madame la secrétaire d’État.
Vous évoquez la fameuse mission Frouin qui est bien en peine, avec cette crise, d’avancer sur les sujets qui lui ont été confiés. Du peu que je sache, ses membres sont parfaitement dubitatifs, en raison de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 mars dernier qui met en l’air toute une partie de la stratégie que vous envisagiez.
L’autre partie de votre réponse consiste à dire que ces plateformes offrent petits boulots et parcours d’insertion à certains. Des études encore rares montrent que les livreurs à vélo étaient bien souvent, au début, des étudiants sympathiques qui arrondissaient leurs fins de mois ou des personnes qui cherchaient un revenu complémentaire. Mais on est passé aujourd’hui aux précaires de Seine-Saint-Denis, par exemple, ou aux migrants qui utilisent des comptes détournés.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Olivier Jacquin. Cette situation n’est pas acceptable. Il faut mettre les gens devant leurs responsabilités, et vous en premier !
Mme Laurence Rossignol. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, crise financière, crise écologique, crise démocratique et aujourd’hui crise sanitaire : nous sommes bien devant une crise durable.
D’un côté, les plus forts d’entre entre nous, une minorité très qualifiée, de mieux en mieux payée ou vivant de la spéculation et non du travail ; de l’autre, les plus faibles qui fournissent, dans le meilleur des cas, des biens et des services locaux ou qui vivent de l’assistance apportée par l’État- providence. Entre les deux, une solidarité qui s’effrite inexorablement.
L’addition est lourde : mécontentement généralisé des citoyens vis-à-vis de la démocratie représentative, accusée d’être impuissante ; sécession sociale et morale des élites ; sécession territoriale des pays ou régions les plus riches.
Mais voilà qu’aujourd’hui tout doit être sacrifié sur l’autel du sacro-saint pragmatisme : il n’est plus nécessaire de parlementer indéfiniment pour savoir si une politique est bonne ou mauvaise, il faut seulement savoir si elle est efficace ou non. Une fois cela posé, il n’y a plus de débat idéologique possible, mais seulement des questions techniques qui ne concernent alors plus les citoyens, mais les experts, ceux qui savent comment fonctionne la machine d’État. Ainsi la démocratie s’achève-t-elle en technocratie. Nous y sommes précisément !
L’heure n’est plus au bricolage et à l’accumulation de dispositifs incompréhensibles. Il est maintenant extrêmement urgent de définir enfin ce que nous considérons comme une priorité à respecter, une ressource à préserver et comme un bien à conserver. Dans ce contexte, réhabiliter la Nation peut paraître contre-intuitif aux bonnes consciences humanistes, progressistes, sociales-démocrates, écologistes, et j’en passe… Il nous faut pourtant non seulement réhabiliter la Nation, mais la réinventer. Nous devons redéfinir le pacte social national afin de le mettre tout entier au service d’une pratique sobre et apaisée de la conversation civique et de la décision publique.
C’est à ce prix que l’on réconciliera l’économie mondialisée avec la promesse démocratique et la sobriété écologique. Partagez-vous cette ambition, madame la secrétaire d’État ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Je partage l’ambition d’un équilibre entre le partage et la redistribution des richesses. C’est la redistribution des richesses qui est importante et qui constitue le socle de notre pacte de solidarité. Je l’ai dit et le redis, face à la crise, notre système de solidarité a tenu. Les filets de protection, qui ont joué le rôle d’amortisseur – je pense à l’activité partielle, au maintien des droits, aux arrêts de travail pour garder les enfants, à la sécurisation des personnes en longue maladie par rapport à une épidémie qui peut être fatale – ont fonctionné.
Pour autant, nous ne devons pas nous arrêter là. Il convient en effet d’analyser les failles du système. C’est l’objet du travail en cours, notamment pour ce qui concerne les solidarités avec la question de la précarité des jeunes, de l’accès et du maintien à l’emploi et de l’accompagnement. Quelle place pour l’ensemble de nos concitoyens, qu’ils soient jeunes, moins jeunes ou seniors – je pense à la création d’une cinquième branche pour couvrir le risque lié à la dépendance ?
Le Président de la République a évoqué une protection du XXIe siècle. La crise en révèle les failles et, à ce titre, permettra d’introduire des réformes, conformément à notre ambition concernant le pacte de solidarité nationale.
Nous avons commencé à construire cette protection du XXIe siècle, en particulier dans le cadre du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale. Mais nous devons aller plus loin pour ce qui concerne les familles et les modes de garde. C’est un ensemble qu’il faut construire, pour que tous nos concitoyens, quels que soient leur situation ou leurs besoins, se retrouvent dans cette solidarité.
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.
M. Jean-Raymond Hugonet. Je vous entends, madame la secrétaire d’État. Je vois que le Gouvernement a mis en place, dans une situation très critique, des éléments qu’il fallait mettre en place. Ma réflexion va bien plus loin. Vous devez mettre les 67 millions de Français devant leurs responsabilités : ont-ils encore envie de vivre ensemble, grâce à quelque chose que l’on appelle la solidarité, mais qui dépasse de loin les bricolages technocratiques ? Sur ce point, il faut un vrai grand débat. (M. Jean-François Husson applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Madame la secrétaire, pour illustrer la suite de mon propos, j’évoquerai tout d’abord deux entrepreneurs de Boulogne-Billancourt.
Le premier, Patrice Kretz, est le dirigeant de la chaîne Chantelle. Il a répondu très rapidement à l’appel du Gouvernement, en réorientant ses outils de production pour fabriquer des masques dans ses usines de Cachan et des blouses dans ses usines d’Épernay.
Le second, Emmanuel Nizard, atteint du Covid-19, s’est rendu compte qu’il était impossible de se procurer des masques en France. Il s’est donc décidé à changer de métier et à devenir lui-même fabricant. Aujourd’hui, à Meudon, dans une usine créée de toutes pièces pour répondre à l’urgence sanitaire, on sort 50 000 masques par semaine, l’objectif étant fixé à 200 000 d’ici au mois de septembre.
Ces deux exemples se résument en deux mots : réactivité et proximité, caractéristiques du « produire en France » ou made in France, qui répond à trois objectifs : il permet de s’éloigner d’une trop forte dépendance des autres économies, notamment dans le domaine alimentaire, risque mis en avant par la crise sanitaire ; il répond aux besoins d’emplois, alors même que notre pays connaît une crise économique sans précédent – l’Insee annonçait hier que le PIB pourrait chuter de 20 % au deuxième trimestre de cette année – ; il répond aussi aux souhaits de nos concitoyens, qui ont envie de consommer localement et durablement. Ainsi l’usine installée à Meudon permet-elle de produire des masques dont le bilan carbone est inférieur de 98 % à ceux qui, fabriqués en Chine, arriveraient en France.
Au regard de ces éléments, que compte faire le Gouvernement pour renforcer le made in France, alors même que nos propres coûts de production sont très élevés ? Les produits fabriqués en France doivent bénéficier à l’ensemble de nos concitoyens.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. En effet, le made in France est une révélation de la crise, mais le phénomène était déjà sous-jacent. Dans ce domaine, on le voit, il est nécessaire de lever certains freins, dans le cadre d’actions combinées du public et du privé. Il ne semble pas opportun d’opposer l’un à l’autre, pas plus que les producteurs historiques aux nouveaux entrants.
Sur la question de la production de masques, nous avons pu répondre aux besoins de nos concitoyens. Nous atteindrons, d’ici à octobre, 50 millions d’unités.
Le made in France fait partie du made in Europe et n’est pas opposé à la mondialisation. En effet, la production française doit songer à l’export, car il n’est pas possible de « s’autosuffire ». C’est dans ce cadre que nous devrons travailler ensemble.
Je prendrai l’exemple de la politique de l’aide alimentaire et du travail que j’ai commencé à mener avec les associations pour cesser d’acheter des produits européens, alors que nous pourrions avoir une production locale.
Notre production d’aide alimentaire permettra de répondre aux besoins des agriculteurs et offrira aux personnes les plus précaires la possibilité de manger local et, parfois, bio ou, au moins, en respectant le développement durable. Sur tous ces sujets, il convient de mener une réflexion. Si certaines thématiques sont plus faciles que d’autres, c’est l’intelligence des consommateurs et des producteurs qui fera coïncider l’offre et la demande, à des coûts raisonnables. Ces travaux à venir sont importants. Ils font écho à la loi Égalim, qui prévoyait en substance de mieux rémunérer et d’acheter local. C’est ainsi que notre société deviendra souveraine.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.
Mme Christine Lavarde. Je vois que nous partageons la même volonté. Ma question portait également sur le coût du travail, qui freine aujourd’hui l’industrie française.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains.
M. Jean-François Husson. Après la crise inédite des « gilets jaunes » et la réforme tumultueuse des retraites, nous sommes entrés dans une crise sanitaire également inédite, qui, si elle révèle les ressources profondes de notre pays, n’en menace pas moins son unité.
Cette crise a souligné des carences : pénurie de masques, incapacité de tester massivement les populations, dysfonctionnements dans la chaîne de commandement entre les agences régionales de santé et les préfectures, appels dans l’urgence aux collectivités territoriales.
Néanmoins, nous pouvons être fiers du sens civique manifesté par les Français et de l’esprit de responsabilité des élus locaux. Notre République, lorsqu’elle traverse des crises ou est prise de convulsions, a toujours su puiser dans ses ressources pour en ressortir plus forte. Si nos institutions ont été et demeurent solides, l’esprit qui les fait vivre doit être renouvelé. Le pacte social qui nous maintient unis malgré nos différences ne peut plus fonctionner avec les recettes d’hier.
J’entends donc savoir comment le Gouvernement entend concilier urgence sociale, redressement économique, protection et sécurité sanitaire et impératifs écologiques. Compte-t-il s’appuyer concrètement sur l’ensemble des corps intermédiaires, bien malmenés depuis 2017 ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, votre question est double.
S’agissant de notre système de santé, il est toujours loisible de critiquer. Pour autant, j’estime que nous n’avons pas à rougir des actions mises en œuvre pour gérer cette crise inédite. Nous le voyons, notre système de santé a fonctionné et nous avons trouvé et apporté ensemble des solutions.
Pour ce qui concerne la gestion de la crise, je rappelle que celle-ci n’est pas encore achevée. Le virus continuant de circuler, il convient d’être prudent. Nous ne sommes pas encore à l’heure du bilan. Dans la mesure où nous commencerons à avoir quelques aperçus des conséquences, nous préparerons, dans un cadre interministériel, l’après-crise. Ce travail est d’ores et déjà en cours, quels que soient les sujets : solidarités, éducation, logement et finances.
L’État ne pourra pas répondre seul à toutes ces questions. En matière de santé, il faut analyser le maillage du territoire et l’écosystème que constitue l’ensemble des activités des collectivités publiques et du privé. L’État ne peut qu’interagir dans un écosystème. C’est ensemble que nous pourrons apporter les réponses.
C’est en respectant les compétences des uns et des autres, en ne superposant pas les dispositifs et en n’ajoutant pas une couche dans la couche que nous trouverons la bonne réponse. Ce qu’attendent nos concitoyens, c’est d’avoir une lisibilité et une visibilité sur ce qu’il est possible de faire, à leur niveau, pour s’intégrer dans notre société et faire nation.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.
M. Jean-François Husson. En effet, madame la secrétaire d’État, ce qui doit nous rassembler, c’est de faire France ensemble. Cela signifie prendre appui sur les collectivités dans le cadre d’une politique de décentralisation conjuguant compétences, moyens et responsabilités.
Ensemble, cela veut dire retrouver le goût du dialogue social, qui ne peut plus être vu comme un reste de l’ancien monde. Ce dialogue, comme l’activité du Parlement, est non pas un obstacle aux réformes et à leur rapidité, mais un passage utile et obligé pour que les réformes proposées puissent être enrichies et marquées d’une légitimité plus grande.
Ensemble, cela veut dire aussi conjuguer une politique écologique qui ne pénalise pas les plus modestes,…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-François Husson. … mais vise, à l’inverse, à offrir une valeur ajoutée écologique à de nouvelles dynamiques économiques.
Ensemble, cela veut dire oser le débat, souffrir la contradiction, reconnaître avec humilité que l’on s’est trompé et préférer à la disruption jupitérienne la concorde républicaine, socle incontournable de la reconstruction de notre pays, pour autant qu’elle soit le fruit d’un pacte de confiance scellé au préalable.
Conclusion du débat
M. le président. Pour clore ce débat, la parole est à Mme Laurence Rossignol, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Laurence Rossignol, pour le groupe socialiste et républicain. Je formulerai plusieurs remarques.
Tout d’abord, je veux saluer, madame la secrétaire d’État, l’introduction de votre propos. Vous avez en effet indiqué que, grâce à notre système de protection sociale, nous avions pu amortir les effets de la crise pour les plus fragiles. Je me réjouis de cet hommage que vous rendez à notre système de protection sociale. Pour tout vous dire, je préfère que vous en parliez ainsi plutôt que d’entendre le Président de la République évoquer un « pognon de dingue » à propos des allocations familiales.
Nous sommes au moins d’accord sur le fait qu’il faut un système de protection sociale fort pour protéger les plus fragiles. Ce système doit d’ailleurs être tellement fort que vous avez dû revenir sur vos propres décisions, en suspendant l’application de la réforme de l’indemnisation du chômage. Vous vous êtes en effet rendu compte que cette réforme, sans doute acceptable dans un pays ayant atteint un taux de chômage résiduel, était néfaste dans un pays encore soumis à la pauvreté, à la crise et à la fragilité.
On peut également se réjouir que la crise sanitaire vous ait amené à suspendre, pour une durée que nous espérons définitive, votre réforme du système d’assurance vieillesse, que vous estimiez trop généreux et que vous avez si souvent discrédité depuis trois ans.
Je souhaite faire une remarque sur un sujet qui n’a pas été évoqué, à savoir la suspension d’une nouvelle phase du déploiement de l’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa). Nous en parlerons peut-être tout à l’heure à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire.
Vous aviez annoncé, avec une communication importante, un service public des pensions alimentaires. Pour ma part, j’ai toujours pensé qu’une telle appellation était un peu exagérée, dans la mesure où il ne s’agit que d’une intermédiation entre le débiteur et le créancier des pensions alimentaires. Ce n’est pas l’État qui paie les pensions alimentaires !
Cette intermédiation, qui prolongeait la création, en 2017, de l’Aripa, aurait dû se mettre en place au 1er juin. Elle concerne les familles monoparentales, c’est-à-dire celles qui ont été le plus touchées par la crise, leur pauvreté s’accroissant et leurs difficultés de vie augmentant. Pourtant, vous avez décidé de reporter cette mesure ! Comment avez-vous pu accepter une telle décision, extrêmement préjudiciable, vous qui avez la charge de ce dossier ? Comment avez-vous pu dire « oui » à Bercy s’agissant de cette agence ?
Les familles monoparentales souffriront six mois de plus, puisqu’elles ne pourront pas faire appel à l’intermédiation de l’Aripa.
On le sait bien, les effets de la crise sont à venir. Les chiffres du chômage en témoignent : ceux qui paient cash la crise sanitaire, ce sont les intermittents du travail. Pour eux, le chômage sera plus douloureux.
On vous a demandé à plusieurs reprises d’anticiper les effets de la pauvreté. Dans les éléments que vous avez donnés jusqu’à présent, vous ne nous avez pas dit que vous renonciez à la réforme de l’assurance chômage. C’est pourtant ce qu’attendent de nombreuses personnes, en particulier les salariés intermittents, les précaires du monde du travail, qui sont déjà les plus durement frappés par cette réforme.
Enfin, comme les effets sont à venir, il faut aussi penser aux 700 000 jeunes qui arriveront sur le marché du travail dans des conditions dramatiques, alors même que la situation est déjà compliquée en temps normal pour un certain nombre d’entre eux. Il faut aller vite pour leur garantir un revenu minimum d’existence, un « RSA jeune », quelque chose qui soit plus que la garantie jeunes, mais pas non plus la prime d’activité, qui n’est pas adaptée à des jeunes qui sont intermittents.
Enfin, la crise nous l’a appris, le travail au noir est une réalité en France. Ainsi, on a vu dégringoler tous ceux qui ont des petits boulots payés au noir. Il faudra s’en occuper, madame la secrétaire d’État, après l’état d’urgence et après les mesures provisoires que vous avez prises.
Il y a donc encore beaucoup à faire. J’espère que vous renoncerez à ce qui a été votre dogme au cours des deux dernières années, c’est-à-dire l’idée selon laquelle nous vivrions dans un pays dans lequel les personnes précaires, les personnes âgées et les jeunes sont trop protégés. Il suffirait, pour trouver un travail, de « traverser la rue ».
Or il n’y a pas de rue à traverser, mais des mains à tendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Les conditions de la reconstruction du pacte social national dans le cadre de la sortie de la crise sanitaire. »
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.