M. le président. La parole est à M. Jean Bizet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sanitaire que nous traversons fait cruellement apparaître les conséquences de la délocalisation de certaines productions et de la dépendance croissante de l’Europe à l’égard de chaînes de valeur stratégiques cruciales qu’elle ne maîtrise plus.
Les évolutions du secteur du médicament sont à cet égard particulièrement préoccupantes. En effet, 80 % des principes actifs pharmaceutiques utilisés en Europe sont désormais fabriqués hors de l’espace économique européen, une grande partie en Asie, plus particulièrement en Chine et en Inde.
Dès lors, il suffit d’une catastrophe naturelle ou sanitaire, d’un événement géopolitique ou d’un accident industriel pour entraîner des ruptures d’approvisionnement pouvant conduire à priver les patients européens des traitements indispensables.
Incontestablement, la maîtrise de la fabrication des matières premières à usage pharmaceutique apparaît aujourd’hui comme un enjeu stratégique national et européen, tout comme la synthèse des substances actives, voire de certains excipients indispensables à la formulation pharmaceutique.
La stratégie pharmaceutique sur laquelle travaille la Commission européenne s’inscrit dans cette logique de relocalisation en Europe des antibiotiques ou des anticancéreux. Elle devra s’assurer de la disponibilité, du caractère abordable, de la durabilité et de la sécurité de l’approvisionnement en la matière.
La situation de dépendance de notre pays et de nos voisins que la crise sanitaire a mise en lumière n’est pas nouvelle, mais elle s’est accrue au cours des années récentes. Elle est loin, en outre, de ne concerner que le secteur de la santé.
Il est donc urgent de réagir et de s’assurer que l’Europe est en mesure de maîtriser effectivement les chaînes de valeur essentielles, au moment même où l’environnement économique, qui est fragilisé, risque de faciliter des comportements prédateurs à l’égard des entreprises européennes. Le règlement européen sur le filtrage des investissements directs étrangers (IDE) est là pour apporter des réponses.
Pour autant, cela a été dit, il ne s’agit pas de chercher à relocaliser systématiquement en Europe tous les types de productions ; cela irait d’ailleurs à l’encontre de l’un des principes fondateurs de l’Union européenne, à savoir son ouverture au commerce international, cette dernière étant vitale pour son économie.
L’Union européenne – dois-je le rappeler ? – est en effet la première puissance économique et commerciale du monde, devant la Chine et les États-Unis. Elle aurait beaucoup à perdre d’une fermeture des marchés internationaux. En revanche, il convient de souligner les notions de réciprocité de l’ouverture des marchés, de concurrence équitable et de taxation équitable, au travers des productions décarbonées, sur lesquelles nos entreprises font de gros efforts, ce qui n’est pas le cas, loin de là, dans d’autres parties du monde.
La question clé qui est au cœur de notre débat cette après-midi est celle de la détermination des productions stratégiques pour la souveraineté économique européenne.
Avant d’agir, il est en effet essentiel de procéder à une analyse fine des secteurs identifiés comme stratégiques. J’avoue que nous ne pouvons que nous réjouir de la détermination et de l’engagement de notre commissaire européen Thierry Breton, qui, lors de ses différentes auditions par la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes, a identifié très exactement quatorze écosystèmes prioritaires ; je ne les listerai pas tous, ils sont essentiels.
Par ailleurs, je souligne que nous sommes à quelques jours d’une décision cruciale du couple franco-allemand et de la Commission concernant une relance européenne, que j’aimerais voir encore plus digitale, résiliente et innovante, mais aussi plus sécurisée, au travers de la lutte contre un risque majeur qui peut poindre demain : nous ne sommes pas à l’abri, tant s’en faut, d’une autre pandémie, de nature informatique cette fois, malgré l’excellence, je dois le souligner, de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information.
Madame la secrétaire d’État, permettez-moi de vous inviter à accélérer, contre l’avis de certains acteurs, le déploiement de la 5G à l’échelon tant national qu’européen, mais aussi à accroître la sécurité de l’ensemble du processus et la cohérence entre les différents États membres sur ce sujet.
Valérie Létard a dit un certain nombre de choses avec beaucoup d’enthousiasme. Pour ma part, je retiendrai un point et un seul : il faut changer le tempo habituel. L’Europe travaille bien en général, mais à son rythme. Il faut aller plus vite, tout simplement parce que le temps économique est beaucoup plus rapide aujourd’hui que le temps politique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Valérie Létard. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Laurence Rossignol. Je vais essayer de répondre aux questions posées par nos collègues du groupe Union Centriste. Quelles productions stratégiques relocaliser ? Pour ma part, je parlerai du médicament. Où ? En France. Comment ? En créant un pôle public du médicament.
Ce faisant, je porterai également la voix de notre collègue Yves Daudigny, qui, dans des conditions de fonctionnement normal de notre assemblée, aurait été présent aujourd’hui et serait intervenu sur la question du médicament.
Deux dysfonctionnements majeurs affectent aujourd’hui l’accès aux médicaments : l’accroissement des pénuries de médicaments et, bien entendu, notre dépendance à l’égard de la Chine et de l’Inde. Ces deux dysfonctionnements conduisent à nous interroger sur un troisième, à savoir le prix de certains médicaments, qui est totalement déconnecté des coûts de production.
La France fait partie des pays dont les dépenses pharmaceutiques sont les plus élevées. Celles-ci représentent 38 milliards d’euros, dont 34 milliards d’euros sont remboursables par la sécurité sociale. D’un certain point de vue, l’industrie pharmaceutique est sans doute l’industrie la plus subventionnée dans notre pays. Le rapport entre les dépenses de la sécurité sociale et l’industrie du médicament nous conduit à réfléchir sur ce que devrait être une politique publique du médicament.
L’industrie pharmaceutique n’a pas totalement disparu en France, mais nous nous situons aujourd’hui au quatrième rang européen, alors que nous étions leaders dans ce secteur jusqu’en 2008.
Dans le secteur des principes actifs, la France s’est fait ravir tout le marché du paracétamol, par exemple, par l’Inde et la Chine. Il ne reste plus qu’une centaine de sites de production dans notre pays. Dans le domaine de la production de médicaments innovants, le bilan n’est pas meilleur. Sur 254 nouveaux médicaments autorisés entre 2016 et 2018, seulement 20 sont fabriqués en France. Et le retard est encore plus considérable pour la production de médicaments biologiques.
Parler de l’industrie pharmaceutique, c’est aussi évoquer les récentes pénuries de médicaments subies par les Français et les Européens. La pénurie de curare ou de morphine a été portée à la connaissance de tous par neuf grands hôpitaux européens en pleine pandémie ! Au quotidien, en 2019, quelque 1 450 médicaments étaient en rupture, dont 14 vaccins.
Ces pénuries sont la conséquence directe de la perte d’indépendance et de souveraineté productive de la France, en particulier en ce qui concerne les principes actifs.
Enfin, ces pertes de souveraineté, les suppressions d’emplois qui les accompagnent chaque fois que nous fermons un site et ces pénuries ont un coût social et sanitaire pour les patients, qui sont privés de leurs médicaments. Ce coût est donc très élevé pour la collectivité, mais ce n’est pas si grave, puisqu’il est pris en charge par la sécurité sociale !
Alors que de nombreux médicaments ont des coûts de production très faibles, leur prix est élevé, ce qui permet la réalisation de fortes marges. L’argument de la recherche, souvent avancé, n’est pas totalement honnête. En effet, les résultats en termes de recherche ne sont pas à la hauteur de l’argent public investi dans l’industrie pharmaceutique. La sécurité sociale finance la recherche privée au profit d’entreprises qui ne se sentent nullement engagées à l’égard de la France.
Ainsi, tout le monde a en mémoire les propos du directeur général de Sanofi, qui ont choqué tout le monde, mais dont la franchise et la crudité ne sont pas totalement surprenantes non plus : ceux qui paient recevront le vaccin en premier. Peu lui importe que son entreprise soit souvent désignée comme l’un des fleurons de l’industrie pharmaceutique française !
La recherche publique court perpétuellement après trois francs six sous, chacun le sait. Nous finançons largement la recherche privée, par la sécurité sociale, et, de ce fait, notre dépendance au marché mondialisé comme système économique, donc aux autres pays.
L’engagement de l’État est donc très attendu dans le secteur de l’industrie pharmaceutique, tout d’abord dans le cadre du comité stratégique de filière, bien sûr. Soyons honnêtes toutefois, retrouver notre souveraineté exigera d’explorer diverses voies, classiques ou originales.
Il pourra s’agir d’une simple relocalisation de la production de médicaments anciens, d’investissements modernes dans des produits innovants, de prises de participation, voire peut-être de nationalisations, ou encore de dispositifs aussi innovants que les médicaments que nous souhaitons promouvoir.
À cet égard, je pense, par exemple, aux coopératives de production imaginées par Arnaud Montebourg, lesquelles réuniraient industries pharmaceutiques, mutuelles et sécurité sociale. Cette proposition n’a, à mon sens, rien perdu de sa pertinence, comme d’ailleurs, et j’élargis à cet instant mon propos, les trente-quatre plans industriels qu’il avait lancés en 2014, lesquels ont malheureusement été abandonnés par son successeur, le ministre Macron.
Je vous invite donc, madame la secrétaire d’État, à les retrouver dans les tiroirs de Bercy. Vous verrez qu’ils n’ont pris ni une ride ni la poussière ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin.
M. Cédric Perrin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le début de la crise sanitaire, notre processus de production concentré, fragmenté, a montré sa grande fragilité. Était-ce prévisible ? D’après les travaux parlementaires, notamment ceux qu’a effectués le Sénat, la réponse est évidente : oui, nous avons systématiquement sous-estimé la question industrielle.
L’industrie n’a pas été défendue ; la France n’a plus de politique industrielle depuis bien trop longtemps. Le Gouvernement dit aujourd’hui vouloir redresser la barre en repensant notre modèle économique et en assurant la pérennité de notre maillage industriel. Le ministre de l’économie et des finances plaide même pour une relocalisation de l’industrie automobile française. Mais, comme en amour, les preuves sont préférables aux belles déclarations… (Sourires.)
La première garantie de cette mue en État stratège pourrait se situer sur le terrain de la lucidité. Dans mon département, le Territoire de Belfort, 43 % des emplois sont industriels, contre 12 % à l’échelon national.
Lorsque le site belfortain de General Electric, en pleine épidémie de Covid-19, a demandé à ses 240 sous-traitants de réduire de 20 % leur prix à partir du 1er mai, sous peine de ne plus être considérés comme des partenaires de l’entreprise, un rappel à l’ordre de l’État aurait peut-être été salutaire.
Lorsque la direction de General Electric, deux jours après le déconfinement, a convoqué à Belfort un comité social et économique pour annoncer aux représentants du personnel un programme de délocalisation de l’ingénierie, des activités commerciales, de maintenance et de réparation des turbines, une réaction de l’État n’aurait-elle pas été souhaitable ?
L’entreprise invoque le retard accumulé pendant la période du confinement pour justifier ces délocalisations. Sans céder à la paranoïa, je pense que nous pouvons légitimement nous interroger sur les véritables intentions de l’entreprise, au regard de ses précédentes manœuvres dolosives, mais aussi sur la volonté de l’État face à General Electric, six mois seulement après la signature des accords d’octobre 2019.
L’exécutif clame haut et fort sa volonté de sauver l’appareil productif français. Qu’attend-il pour intervenir et rappeler ses engagements à la direction de General Electric ?
La seconde preuve qui témoignerait de la volonté de changement du Gouvernement pourrait se situer sur le terrain du pragmatisme. Comme bon nombre de mes collègues, j’ai été sollicité dès le début de la crise par des entreprises et des bénévoles, tous démunis face à la complexité de notre réglementation.
À titre d’exemple, j’évoquerai le cas d’une PME de mon département, qui s’est lancée au début du confinement dans la fabrication de visières de protection grâce à son imprimante 3D.
Pendant près de deux mois, ce fabricant a offert ses visières aux personnels soignants et les a vendues à prix coûtant aux artisans et aux commerçants, mais, depuis la mi-mai, il a cessé d’en produire. En effet, pour que les visières puissent porter la mention « garantie de protection contre le Covid », une instruction ministérielle impose qu’elles résistent – tenez-vous bien – à une bille d’acier de 22 millimètres et de 43 grammes, projetée à une hauteur de 1,30 mètre…
Les normes et les lourdeurs de la technostructure ne doivent pas provoquer plus de dégâts que le Covid-19. Dans ce cas précis, le remède est simple : un peu de pragmatisme et beaucoup de bon sens.
Si j’évoque ces quelques exemples, c’est pour demander au Gouvernement de mieux nous défendre en simplifiant les normes et en les faisant respecter aux industriels étrangers, en formant les jeunes aux métiers de l’industrie et en valorisant ces métiers importants, en développant les politiques publiques territoriales en faveur de l’industrie, en favorisant une meilleure diversification des processus productifs, enfin, en renouvelant la vision stratégique et prospective des pouvoirs publics, cela a été dit par ma collègue.
Cela pourrait se traduire par la nomination – enfin ! – d’un ministre de l’industrie de plein exercice, qui s’appuierait sur une direction d’administration centrale dédiée. Nous n’avons plus de politique industrielle depuis des années, ni même de ministre de l’industrie.
Madame la secrétaire d’État, mettez vos actes en accord avec vos paroles. Il y a urgence ! L’industrie n’est pas un gros mot. C’est elle qui crée la richesse, non les services. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Mesdames, messieurs les sénateurs, je constate que vous partagez sur l’ensemble de ces travées la conviction forte que l’industrie doit être au cœur de notre modèle économique. Cette conviction, qui est également la nôtre, nous la portons depuis trois ans, la reconquête industrielle étant l’un des éléments centraux de notre politique économique.
Certains l’ont dit, souveraineté économique et industrie ne sont plus des mots tabous. Il est vrai que, en 2000, d’après une vision économique assez largement partagée, il fallait délocaliser la fabrication dans des pays à bas coûts et ne conserver en France que la R&D et toutes les activités à valeur ajoutée.
Cette vision était probablement naïve, mais aussi quelque peu présomptueuse, car elle ne tenait pas compte du fait que ces fameux pays à bas coûts avaient eux aussi entamé leur mutation et qu’ils remontaient progressivement leurs chaînes de valeur vers des productions à plus forte valeur ajoutée. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés sans usines et avec une R&D un peu moins compétitive.
À cet égard, heureusement que le crédit d’impôt recherche, qui a traversé toutes les mandatures, a été mis en place, car il a été un élément central pour protéger cette partie située en amont de l’industrie.
M. Jean Bizet. C’est vrai !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Je partage nombre des convictions qui ont été exprimées sur ces travées.
Je tiens d’ailleurs à rappeler que, en 2017, en 2018 et en 2019, nous avons recréé environ 30 000 emplois industriels. Ce nombre n’est pas énorme, mais nous avons ainsi mis un terme à une très forte saignée industrielle. Je rappelle en effet que ce sont non pas 500 000 emplois qui ont été perdus entre 2000 et 2016, mais un million ! Ce n’est pas rien, même si une partie de ces emplois a peut-être été transférée aux services industriels.
Depuis trois ans, nous avons recréé non seulement des emplois industriels, mais aussi des sites industriels. Nous avons attiré des investissements étrangers en France et nous sommes ainsi progressivement remontés de marche en marche sur le podium. Je vous laisserai découvrir notre classement pour l’année 2019, même s’il peut sembler cruel compte tenu de la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Tous nos efforts d’attractivité industrielle ont porté leurs fruits.
Je vais maintenant revenir sur vos différentes interventions, répondre à vos questions ou réagir à vos convictions affirmées.
Monsieur le sénateur Perrin, permettez-moi tout d’abord de préciser certains points, sur lesquels nous n’avons peut-être pas suffisamment communiqué. Nous sommes évidemment intervenus auprès de General Electric à la suite du courrier, très général, envoyé par le siège américain à l’ensemble de ses sous-traitants. Nous leur avons dit que leur demande ne serait pas appliquée en France. Ce courrier a dès lors vite été rangé dans un tiroir. Par ailleurs, nous avons évidemment réagi aux délocalisations évoquées à l’issue du déconfinement et entamé des discussions.
Ce que vous dites sur les visières de protection est en fait infondé. Nous avons allégé le processus de validation de ces visières dans le milieu du travail. Aucun marquage particulier n’est requis pour les visières que tout un chacun peut porter dans la rue, mais un certain nombre de précautions doivent en revanche être respectées pour les équipements individuels utilisés en milieu professionnel.
Je le redis, nous avons non pas renforcé, mais allégé le processus ; nous avons même travaillé avec les makers. À cet égard, je vous invite à consulter le site de l’Association nationale des tiers-lieux, qui l’explique très bien, même si de fausses informations ont effectivement circulé sur internet.
Vous avez par ailleurs évoqué le rôle des territoires. Je rappelle que nous avons mis en place 146 territoires d’industrie en France. Les collectivités locales, les régions, qui ont la compétence du développement économique, portent aujourd’hui des milliers de projets, avec l’aide des opérateurs de l’État et l’accompagnement des industriels. Nous avons donc déployé une politique industrielle dans les territoires.
Enfin, monsieur Perrin, je vais vous rassurer : il y a bien une administration dédiée à l’industrie. Elle s’appelle la direction générale des entreprises, que je veux d’ailleurs saluer ici, car elle a effectué ces dernières semaines un travail absolument remarquable d’accompagnement des industriels.
M. Cédric Perrin. Il faut un ministre !
Mme Valérie Létard. Ou une ministre !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. J’entends ce besoin d’incarnation ! Néanmoins, je ne me prononcerai pas sur ce point : il y a des choses qui ne dépendent pas de moi… (Sourires.)
Mme Valérie Létard. Pas seulement d’incarnation : il faut aussi des moyens. Nous voulons vous aider à renforcer cette politique !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur Longeot, les relocalisations supposent de la compétitivité, je partage évidemment votre point de vue. L’enjeu est de la développer. Pour cela, une stratégie industrielle avec l’Union européenne est nécessaire, c’est l’un de nos axes très clairs. Nous sommes d’ailleurs récemment intervenus en faveur du plan de relance européen de 750 milliards d’euros, qui constitue une avancée importante.
À cet égard, vous aurez noté la détermination du commissaire Breton concernant les chaînes de valeur stratégiques, les écosystèmes, y compris le système académique, la R&D publique, les PME et les TPE. Nous soutenons évidemment très largement les propositions du commissaire Breton, que nous alimentons d’ailleurs en idées diverses.
Nous défendons l’idée d’un IPCEI, pour Important Project of Common European Interest, ce type de projet permettant de soutenir des filières industrielles à l’échelon industriel. J’ai eu une réunion du Conseil « compétitivité » il y a deux semaines avec mes homologues européens. Deux IPCEI semblent se dessiner : un premier sur la santé, un second sur l’hydrogène. Il faut maintenant cristalliser les choses.
Vous avez ensuite évoqué, comme plusieurs de vos collègues, la question des impôts de production et de leur impact sur la productivité. Le pacte productif visait à réduire les écarts de compétitivité liés à ces impôts, lesquels peuvent également orienter les choix d’installation sur de nouveaux sites.
Différentes démarches sont possibles. Ainsi, selon le Conseil d’analyse économique, la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) est l’un des impôts les plus nuisibles à l’économie. J’accepte ce diagnostic. Cet impôt étant porté par l’État, c’est à lui qu’il appartiendra de prendre une décision le concernant en temps utile.
Mme Valérie Létard. C’est vrai !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Par ailleurs, vous avez raison, les impôts financent des actions d’aménagement économique, mais les EPCI, notamment, pourraient aussi avoir des leviers et, sans baisser massivement les impôts, faire l’effort d’exonérer les jeunes entreprises les premières années, afin de leur permettre de roder leur modèle.
Aujourd’hui, les entreprises bénéficient d’exonérations durant leurs deux premières années – 100 % la première, 50 % la deuxième. On pourrait imaginer un échelonnement de ces exonérations sur cinq ans. Au fond, ce serait un pari pour une collectivité locale, dans l’attente d’un retour sur investissement cinq ans plus tard, puisque l’entreprise paierait alors ses impôts locaux.
Enfin, les hausses des impôts locaux sont des sujets très sensibles pour les entreprises industrielles, ce que je comprends, car j’ai travaillé dans ce secteur. Il faut veiller à ce que ces hausses ne soient pas plus rapides que la capacité des entreprises à augmenter leur chiffre d’affaires, au risque de créer un effet ciseaux. Nous devons collectivement prendre en compte cet aspect et en discuter avec les collectivités locales.
Madame Rauscent, vous soulignez qu’il ne faut pas se précipiter pour relocaliser des productions à faible valeur ajoutée.
De manière générale, il est vrai que nous sommes moins compétitifs sur les productions à faible valeur ajoutée, compte tenu du coût de nos intrants. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il ne serait pas intéressant de relocaliser en France certaines d’entre elles, qui sont en fait des éléments importants d’une chaîne de valeur. À cet égard, madame Primas, vous avez évoqué certaines productions, notamment alimentaires. Je partage assez votre avis.
C’est vrai aussi dans le domaine de l’électronique. Je partage d’ailleurs l’analyse du président de la région Nouvelle-Aquitaine. Nous sommes dans un état de dépendance pour certains composants électroniques très simples.
Un patron d’entreprise m’a encore récemment indiqué qu’il avait 117 fournisseurs en France il y a dix ans, contre 11 aujourd’hui. Ces composants, qui permettent de réaliser de très fortes marges quand ils sont fabriqués en Chine, pourraient être produits en France avec de faibles marges, afin de nous permettre d’être indépendants et de bien mieux maîtriser l’ensemble d’une chaîne de valeur.
Je pense également que nous devons relocaliser la production des principes actifs. À cet égard, nous avons accompagné Sanofi en ce sens. Vous avez été plusieurs à évoquer la communication de cette entreprise, qu’elle a du reste rapidement corrigée, ce qui a été utile et important… Au-delà, Sanofi va implanter une filiale de principes actifs en Europe.
Nous avions commencé à travailler sur la réimplantation de principes actifs importants en Europe dès le mois de février dernier. Il n’est pas absurde d’avoir une approche régionale. Tout ne peut pas être relocalisé en France. En revanche, il est important que nous disposions de diverses sources d’approvisionnement, réparties sur l’ensemble de la planète, afin que nous ne soyons pas bloqués pour la fourniture de certains éléments de base en cas de cybercrise, de crise géopolitique, climatique ou sanitaire – désormais, nous connaissons cela – susceptible de bloquer un pays. Une telle approche ne fait pas injure au commerce international.
Je partage également votre intérêt pour la 5G et la voiture autonome, sujets que plusieurs d’entre vous ont évoqués. Dans son programme, le commissaire Breton pointe un certain nombre de technologies clés. Nous l’avons fait aussi dans le cadre du pacte productif. Benoît Potier a lui identifié dix marchés technologiques clés dans lesquels nous devrions accroître nos investissements. Ces éléments nourrissent nos réflexions actuelles et seront pris en compte dans les propositions que nous formulerons dans le cadre du plan de relance.
Monsieur Ravier, vous avez évoqué la désindustrialisation, je n’y reviens pas, car j’en ai parlé.
Je ne pense pas qu’il faille opposer souveraineté française et Europe. Je crois au contraire que l’Europe a bien montré, par des actes forts, qu’elle avait rompu avec une tradition de fort ordolibéralisme, selon laquelle il faut veiller à ce que les interventions ne perturbent pas trop le fonctionnement du marché.
Ces dernières semaines, grâce à notre forte implication, nous avons marqué des points avec le plan d’urgence et avec le plan de relance européen. Nous sommes en train d’avancer. C’est d’autant plus indispensable, certains d’entre vous l’ont souligné, que la Chine et les États-Unis ne restent pas les bras croisés et que leur conception de la libre concurrence et du marché sert surtout leurs propres intérêts ; on ne saurait le leur reprocher, car nous aurons la même attitude.
J’en viens au chômage partiel. Nous travaillons sur une décélération, afin d’inciter à la reprise du travail, l’objectif n’étant surtout pas de briser les compétences, qui sont des éléments essentiels de l’industrie.
La semaine prochaine ou dans les prochains jours, nous annoncerons un plan en faveur du secteur aéronautique. On met dix ans à former un ingénieur aéronautique, mais une journée à le licencier ! L’enjeu est donc de préserver les compétences aéronautiques, afin de permettre à ces professionnels de continuer de travailler sur les projets du futur.
Monsieur Gay, je partage complètement votre intérêt pour les relocalisations, mais je n’établirai pas de lien direct, et vous ne m’en voudrez pas, entre nationalisations et relocalisations.
Je pense que l’on peut relocaliser des productions sans nécessairement les nationaliser, comme nous en avons apporté la preuve ces derniers mois. Sans faire injure aux équipes de l’administration, dont les qualités et les compétences ne sont pas en cause, il vaut mieux parfois qu’un industriel soit aux commandes d’une entreprise, plutôt que l’État, ce dernier ayant une culture plus administrative.
Je veux vous rassurer : les 7 milliards d’euros qui ont été prêtés…