Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Yves Daudigny, Mme Patricia Schillinger.
2. Questions d’actualité au Gouvernement
plan de relance franco-allemand pour l’europe
M. Richard Yung ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances.
conséquences de la décision de la cour constitutionnelle de karlsruhe
M. Yvon Collin ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances.
situation des professionnels de la culture et du spectacle face à la crise sanitaire
M. Pierre Ouzoulias ; M. Franck Riester, ministre de la culture.
réforme de l’assurance chômage
Mme Claudine Lepage ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.
fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée
M. Alain Marc ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics.
M. François Bonhomme ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. François Bonhomme.
détection du sars-cov2 par le biais des réseaux d’assainissement
M. Jean-Paul Prince ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; M. Jean-Paul Prince.
Mme Laure Darcos ; M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; Mme Laure Darcos.
Mme Annie Guillemot ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail ; Mme Annie Guillemot.
extension du dispositif des prêts garantis par l’état
M. Pierre Médevielle ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances ; M. Pierre Médevielle.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
Conclusions de la conférence des présidents
4. Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
5. La crise du Covid-19 : révélateur de la dimension cruciale du numérique dans notre société. Quels enseignements et quelles actions ? – Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste
Mme Anne-Catherine Loisier, pour le groupe Union Centriste
6. La crise du Covid-19 : relocalisation des productions stratégiques pour assurer notre souveraineté. Lesquelles, où, comment ? – Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste
M. Jean-François Longeot, pour le groupe Union Centriste
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty
7. Innovations numériques dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19. – Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé
M. Cédric O, secrétaire d’État
M. Pierre Ouzoulias ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; M. Pierre Ouzoulias.
M. Dany Wattebled ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
Mme Catherine Morin-Desailly ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; Mme Catherine Morin-Desailly.
M. Philippe Bas ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
Mme Corinne Féret ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
M. Jean-Claude Requier ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
M. Martin Lévrier ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
M. Olivier Henno ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
M. Alain Milon ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
Mme Angèle Préville ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; Mme Angèle Préville.
Mme Sophie Primas ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
Vote sur la déclaration du Gouvernement
Approbation, par scrutin public n° 105, de la déclaration du Gouvernement.
Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Yves Daudigny,
Mme Patricia Schillinger.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement, sous le format adapté que nous avons défini depuis le mois de mars et qui est d’ailleurs destiné à évoluer à partir du 2 juin prochain. Je laisse le soin à chaque président de groupe d’en informer ses collègues.
Je salue ceux de nos collègues qui ont accepté de participer à cette séance en tribunes, dont un président de groupe. (Sourires.) Cela démontre leur engagement. Ils seront naturellement comptabilisés comme présents.
Notre séance se déroule dans les conditions de respect des règles sanitaires en vigueur depuis le mois de mars. J’invite chacune et chacun à respecter les gestes barrières. Je rappelle que les sorties de la salle des séances devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle.
Je rappelle également que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
plan de relance franco-allemand pour l’europe
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour le groupe pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)
M. Richard Yung. Le plan de 500 milliards d’euros proposé la semaine dernière par la Chancelière allemande et le Président de la République française doit permettre aux pays de l’Union européenne de relancer leurs économies, gravement touchées par la pandémie. Cette initiative, exceptionnelle par son ampleur, a une signification profonde : elle traduit la solidarité entre les pays de l’Union, et nous devons saluer l’engagement courageux de Mme Merkel dans cette démarche.
L’une des difficultés, pour la Commission et sa présidente, Mme von der Leyen, est de trouver l’articulation entre ce fonds de relance et la finalisation du cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027. Ce plan de relance ne devra pas être un prétexte pour diminuer le budget européen et il devra respecter les priorités que sont l’Europe verte et le numérique. Il appelle aussi des propositions fortes en matière de ressources propres.
Certains pays, dits « frugaux », y sont hostiles. Ils ne veulent pas de mutualisation ni de solidarité, seulement des prêts remboursables, alors même que leur situation économique n’est guère plus florissante que la nôtre et qu’ils dépendent très largement des exportations. D’ici au prochain Conseil européen, les négociations pour les convaincre de se ranger derrière un plan de relance réellement solidaire vont être rudes. La Commission européenne, l’Allemagne, la France doivent les persuader de participer à ce plan, et il reste de nombreux problèmes à résoudre quant aux clés de répartition, aux secteurs concernés, aux modalités de remboursement.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous présenter un état des discussions en cours ? Quelle première analyse faites-vous de la proposition de la Commission européenne, qui vient d’être rendue publique, de mettre sur la table 750 milliards d’euros ? Constitue-t-elle une bonne base pour bâtir un compromis fructueux ? (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Richard Yung, avec cette proposition, la Commission européenne frappe fort et juste. Elle se montre à la hauteur des responsabilités historiques qui sont les siennes : engager la relance économique de l’ensemble des pays européens, confrontés à la crise économique la plus grave de leur histoire, et ce sur la base d’un plan de relance verte.
Ce plan reprend l’intégralité des propositions avancées par la Chancelière Angela Merkel et le Président de la République ; cela doit être un motif de fierté pour nous tous. Il mobilisera 500 milliards d’euros sur la base d’une levée de dette commune – c’est une première dans l’histoire européenne –, nous garantissant un taux d’intérêt des plus raisonnables. À cela, la présidente de la Commission européenne ajoute 250 milliards d’euros de prêts, outre les 540 milliards d’euros prévus par l’accord conclu entre les ministres des finances le 9 avril dernier, soit, au total, un plan de relance verte de 1 300 milliards d’euros pour l’ensemble des pays européens. C’est une proposition majeure, qui montre que l’Union européenne est au rendez-vous de l’histoire.
Ces 1 300 milliards d’euros comprennent 500 milliards d’euros de dépenses budgétaires directes, dont la France devrait bénéficier à hauteur d’environ 40 milliards d’euros, qui l’aideront à financer les plans de relance sectoriels : le plan de relance du tourisme annoncé par le Premier ministre il y a quelques semaines, le plan de relance du secteur automobile annoncé hier par le Président de la République, le plan de relance de l’aéronautique que nous présenterons dans quelques jours. Cela va nous aider à financer les indispensables dépenses de santé et de rénovation de l’hôpital, cela aidera tous les États européens à financer leur propre relance, l’investissement dans l’innovation et les nouvelles technologies.
J’appelle donc tous les États européens, sans exception, y compris les quatre « frugaux », à soutenir ce plan de la Commission européenne ! (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
conséquences de la décision de la cour constitutionnelle de karlsruhe
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Yvon Collin. La semaine dernière, la France et l’Allemagne ont dévoilé une proposition de mise en œuvre d’un plan de relance de 500 milliards d’euros sur la base d’un emprunt communautaire.
Dans le contexte de récession dramatique qui menace nos économies, cette initiative franco-allemande est une nécessité, et tout doit être mis en œuvre pour qu’elle aboutisse. Elle est nécessaire pour l’Europe, car, soyons honnêtes, le plan de relance de la Commission européenne, dont une partie est fondée sur des prêts et des effets de levier, ne suffira pas à amortir la récession.
Ne soyons pas dupes : ce plan est aussi une nécessité pour l’Allemagne, qui, on le sait, tire sa croissance de ses exportations vers les États-Unis et la Chine, à hauteur de 200 milliards d’euros, mais aussi et surtout de ses 500 milliards d’euros annuels d’exportations vers les autres pays de l’Union européenne. Comme le dit Jean-Pierre Chevènement, il n’y a pas d’inquiétude à avoir : les Allemands ne scieront pas la branche sur laquelle ils sont assis ! Cet accord franco-allemand est donc bienvenu, d’autant que la décision de la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe sur la légalité de la politique monétaire de la Banque centrale européenne avait jeté un grand froid. Je rappelle que cette décision remet en cause la solidarité des dettes par le biais monétaire. Le choix franco-allemand d’une approche budgétaire pour soutenir les pays endettés pourrait marquer un tournant.
Ce plan traduit-il la solidarité tant attendue par les États membres les plus fragilisés par les conséquences économiques de la crise du Covid-19 ? Ouvre-t-il enfin la voie à la mutualisation des dettes, que Berlin avait toujours refusée jusque-là ? Est-il une réponse à la décision de la Cour constitutionnelle allemande, qui aurait pu affaiblir la politique économique européenne et mettre en péril la zone euro ?
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Yvon Collin, cette proposition de la Commission européenne est historique et marque une avancée majeure dans l’affirmation de l’Union européenne sur la scène internationale, d’abord par l’ampleur des sommes mises sur la table : 540 milliards d’euros au titre de l’accord conclu entre les ministres des finances, 500 milliards d’euros au titre de la proposition franco-allemande et 250 milliards d’euros de prêts, soit, au total, 1 300 milliards d’euros pour la relance. Chaque citoyen européen va comprendre que l’Union européenne nous permet de nous sauver de la crise économique sans précédent que nous connaissons.
La proposition de la Commission européenne est historique, ensuite, parce que le couple franco-allemand en est à l’origine. Je pense que nous sommes tous ici convaincus que le moteur de l’Union européenne, qui permet de faire avancer les choses, de casser les plafonds de verre, de progresser dans l’intégration européenne, et donc de nous protéger face aux menaces internationales, ce sont les propositions franco-allemandes, c’est l’accord qui a été conclu entre le Président de la République française et la Chancelière allemande.
Elle est historique, enfin, parce que, pour la première fois, nous acceptons une mutualisation des dettes sur un projet de financement de dépenses budgétaires. C’est intéressant financièrement, parce que cela permet d’obtenir le taux d’intérêt le plus faible possible et d’étaler le remboursement sur une trentaine d’années, et c’est un geste politique majeur, un geste de solidarité.
Oui, nous allons donner plus à ceux qui ont été le plus touchés par la crise du coronavirus ; oui, nous allons donner plus à l’Espagne et à l’Italie. Ce devrait être un motif de fierté pour nous tous, parce que cela signifie que nous savons aider les États les plus en difficulté. Oui, les États rembourseront en fonction de leurs capacités financières, économiques ; il y aura bien un transfert budgétaire. Au lieu de pousser de hauts cris en se scandalisant d’un tel transfert budgétaire pour faire face à la crise, on devrait plutôt en être fier et dire : « Chapeau bas ! » Enfin la solidarité en Europe n’est plus seulement un mot, mais un principe et un acte ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe RDSE.)
situation des professionnels de la culture et du spectacle face à la crise sanitaire
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre Ouzoulias. Le Gouvernement a demandé au préfet de la Vendée d’organiser, avec ses responsables, la réouverture du parc de loisirs du Puy du Fou, le 2 juin. Cette décision aurait été prise lors d’un conseil de défense et de sécurité nationale. Le choix de cette instance tient sans doute à la nature des manifestations qui se déroulent dans ce parc ; je pense par exemple aux combats de gladiateurs ! (Rires.)
Nous sommes très heureux que l’État, depuis son sommet, donne ainsi la possibilité de retravailler aux nombreux professionnels de la culture du Puy du Fou. Notre peine est en revanche immense pour les artistes, les intermittents du spectacle, les auteurs, les compositeurs, tous ces professionnels sur lesquels repose le rayonnement culturel de notre pays, qui se sentent totalement abandonnés, vivent avec angoisse l’incertitude du lendemain et attendent du Gouvernement une aide vigoureuse face à la crise qui menace de les emporter.
Avec eux, ce sont des milliers de structures culturelles qui risquent de disparaître. Tout ce réseau patiemment construit pendant des décennies a fait de notre pays la première destination touristique mondiale. Son activité économique mobilise 2,4 % de la population active et près de 50 milliards d’euros. Il a fait de la culture un service public et donné à nos concitoyens les moyens de leur élévation artistique et de leur émancipation intellectuelle. Ce réseau, d’une grande fragilité, risque aujourd’hui d’être emporté par la crise, alors que nous aurions tellement besoin de culture pour la surmonter.
Il ne se passe pas une semaine sans que votre gouvernement n’annonce des plans de sauvetage de plusieurs milliards d’euros. La culture doit, elle, se contenter de proclamations lyriques et de vaines promesses. Monsieur le ministre, à quand un plan de sauvetage de la culture ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SOCR. – M. Gérard Longuet et Mme Catherine Troendlé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture.
M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, je ne peux pas vous laisser dire que le Gouvernement n’est pas au rendez-vous pour aider le secteur de la culture !
Dès le début de la crise, qui touche en effet avec beaucoup de dureté le monde de la culture, le Gouvernement a fait en sorte que les mesures transversales annoncées par le ministre de l’économie et des finances, sous l’autorité du Premier ministre, puissent être accessibles à ce secteur : fonds de solidarité, prêts garantis par l’État, exonérations de charges sociales, dispositifs de report de certaines charges fiscales, chômage partiel…
Le Président de la République a très clairement souligné, voilà un peu plus de deux semaines, que les arts et la culture étaient pour lui une priorité. Il a affirmé sans ambiguïté aucune que nous devions protéger celles et ceux, artistes et techniciens de l’audiovisuel, du cinéma et du spectacle vivant, qui constituent le ciment de la vie culturelle dans les territoires, en prolongeant leurs droits jusqu’à fin août 2021. Il a annoncé qu’il souhaitait réarmer financièrement le Centre national de la musique, qui vient d’être créé grâce notamment au vote du Sénat, en faisant en sorte de doter l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles de près de 105 millions d’euros, dont 85 millions d’euros provenant de l’État et 20 millions d’euros de la Banque des territoires.
Nous avons donc pris un ensemble de mesures, à la fois d’urgence et d’accompagnement à la reprise, pour protéger ce secteur si durement touché. La reprise passe par des aides financières, mais aussi par la possibilité, pour les artistes, de retrouver leur public. C’est la raison pour laquelle nous travaillons à faire en sorte que puissent être prises, demain, un certain nombre de décisions pour aller plus loin dans le déconfinement pour le spectacle vivant, les cinémas, les grands musées ou les monuments historiques. Bref, le Gouvernement est mobilisé pour accompagner le secteur si important pour tous des arts et de la culture. (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)
réforme de l’assurance chômage
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
Mme Claudine Lepage. Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail.
La crise sanitaire que nous traversons entraîne dans son sillage une crise sociale et économique sans précédent. Si le mécanisme de chômage partiel a jusque-là servi de filet social à la crise économique, votre décision de le diminuer, conjuguée au durcissement de l’accès à l’indemnisation imposé par la réforme de l’assurance chômage entrée partiellement en vigueur à la fin de 2019, laisse craindre une précarisation grandissante de nombreux travailleurs.
Les travailleurs les plus fragiles, ceux qui, avant la crise, occupaient un emploi précaire, et les travailleurs des secteurs le plus sévèrement touchés par la crise sanitaire, déjà durement affectés par les conséquences économiques de l’épidémie de Covid-19, le seront davantage encore avec la réforme de l’assurance chômage. Je pense notamment aux extras de la restauration, aux travailleurs de l’événementiel, aux ex-auxiliaires de vie et aides-soignantes auprès des personnes âgées…
La décision de reporter au mois de septembre le deuxième volet de la réforme de l’indemnisation du chômage n’est donc pas suffisante, car c’est l’ensemble de la réforme qui pose problème et qu’il faut définitivement abroger.
Madame la ministre, la seule volonté qui sous-tend cette réforme est d’atteindre un double objectif comptable, en réalisant des économies budgétaires au détriment de l’indemnisation des chômeurs et en agissant artificiellement à la baisse sur les statistiques du chômage. C’est cette même logique comptable qui a conduit l’hôpital public à la situation alarmante que nous connaissons.
Eu égard à l’ampleur de la crise, cette réforme, comme celle des retraites, doit être abandonnée. Madame la ministre, quand allez-vous enfin annoncer l’abrogation pure et simple de la réforme de l’assurance chômage ? (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice Claudine Lepage, je vous remercie d’avoir salué l’importance du dispositif d’activité partielle, qui a permis de protéger 12 millions de salariés et 1 million d’entreprises, d’éviter les défaillances, de conserver les compétences et de sauvegarder l’emploi.
Néanmoins, nous sommes tous conscients que la crise sanitaire se prolonge par une crise économique et sociale d’une ampleur imprévisible. Voilà seulement trois mois, nous pouvions nous réjouir d’une baisse du chômage à 8,1 %, son taux le plus bas depuis onze ans, et d’une progression de 16 % de l’apprentissage. Ce temps semble lointain…
Dans le contexte de la crise et du confinement, outre le chômage partiel, nous avons pris des mesures d’urgence immédiates pour protéger les plus vulnérables. Dès le 14 avril, un décret a permis de prolonger les droits de tous ceux qui arrivaient en fin de droits à l’assurance chômage. Vous aurez d’ailleurs l’occasion d’amplifier cette mesure demain en votant, je l’espère, un amendement du Gouvernement prolongeant les droits des intermittents du spectacle jusqu’au 31 août 2021. Nous avons également prévu que la période d’affiliation pour calculer les droits passe de vingt-quatre à vingt-sept mois. La disposition est déjà opérationnelle. Nous avons en outre ouvert les cas de démission légitime à ceux qui avaient démissionné juste avant le confinement, suspendu la dégressivité des droits, modifié le calcul du salaire journalier de référence.
Nous prenons les choses dans l’ordre. Notre boussole, c’est le pragmatisme, l’efficacité économique, la justice sociale. La suite de la réforme de l’assurance chômage sera décidée après discussion avec les partenaires sociaux dans les semaines qui viennent.
fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et territoires.
M. Alain Marc. Monsieur le ministre de l’action et des comptes publics, vous qui êtes maire (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.), vous savez l’importance des communes et le poids de leurs investissements dans l’économie. Afin de pouvoir accélérer ces derniers, beaucoup de maires souhaitent une modification de l’attribution du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), pour permettre la récupération de la TVA dès la première année. Actuellement, le FCTVA est versé deux ans après la réalisation de la dépense aux collectivités territoriales n’ayant pas conventionné avec l’État au titre du plan de relance. Pour celles qui ont respecté les engagements du plan de relance, le versement est effectué un an après. Enfin, pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre et les communes nouvelles, le remboursement intervient l’année même de la réalisation de la dépense.
Or, nombreuses sont les communes qui ne disposent pas d’une trésorerie suffisante pour assurer le financement de certains investissements. Aussi doivent-elles contracter des prêts relais qui leur permettront en particulier de couvrir les dépenses de TVA, d’où un coût supplémentaire pour ces collectivités. Cela constitue un véritable frein à l’initiative locale et s’avère pénalisant, dans la mesure où les élus risquent, à long terme, de s’interdire tout projet de développement des équipements locaux, ce qui entraînera une dévitalisation, notamment dans les campagnes.
Monsieur le ministre, il apparaît indispensable de préserver la capacité financière de nos communes, afin qu’elles soient en mesure non seulement de continuer d’assurer les services essentiels à la population, mais également de relancer les investissements indispensables au soutien au tissu économique local.
Afin d’atténuer le choc financier subi par les collectivités locales, les modalités relatives au versement du FCTVA pourraient être modifiées pour permettre une récupération de la TVA dès la première année, notamment pour les communes ayant effectué un investissement au-delà d’un seuil qui reste à définir, par exemple de 100 000 euros.
Pouvez-vous nous indiquer quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour aller dans le sens souhaité par ces élus de terrain ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’action et des comptes publics.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez raison, les collectivités locales sont celles qui investissent le plus et soutiennent l’économie sur l’ensemble du territoire. Malgré la crise qui touche durement le pays, il ne faut pas reproduire les erreurs du passé en baissant les dotations, au moment où nous devons rétablir les finances publiques et assurer une solidarité nationale au travers des divers textes financiers que nous avons présentés. C’est pourquoi le Premier ministre a pris la décision de ne pas s’engager dans la voie d’une baisse des dotations. Jacqueline Gourault, Sébastien Lecornu, Olivier Dussopt et moi-même avons déjà tenu plusieurs réunions avec les associations d’élus, et M. le Premier ministre réunira vendredi à l’hôtel Matignon les représentants des communes, des intercommunalités, des départements et des outre-mer, dont la situation est évidemment spécifique.
Devant les difficultés, les collectivités locales ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Seulement 30 % de leurs recettes sont sensibles à l’activité économique. Les communes touristiques, celles qui perçoivent des redevances, les collectivités ultramarines sont plus touchées ; ce sera aussi le cas, l’année prochaine, des départements, avec les droits de mutation.
Nous devons résoudre ces problèmes. Le Premier ministre a donc souhaité que le troisième projet de loi de finances rectificative comporte des dispositions relatives aux collectivités locales, comme je m’y étais engagé devant la Haute Assemblée lors de l’examen des deux premiers. Il rendra les derniers arbitrages après avoir entendu les associations d’élus et reçu le rapport du député Jean-René Cazeneuve. Le FCTVA, établi à 6 milliards d’euros dans la loi de finances pour 2020, pourrait faire partie des pistes à explorer, mais c’est du one shot. Or la question de l’investissement se posera plus encore en 2021, me semble-t-il, qu’en 2020. (M. François Patriat applaudit.)
agriculture
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Ces derniers mois, la crise sanitaire a été un révélateur de nos faiblesses. Je pourrais évoquer notre dépendance à l’égard des pays étrangers en matière de médicaments ou de matériel médical, ou encore la course à l’échalote à laquelle l’État s’est livré pour se fournir en masques et en médicaments, mettant ainsi à nu notre dépendance sanitaire. Les pays producteurs se servent les premiers, c’est ainsi, et le coronavirus nous l’a rappelé parfois avec cruauté.
Des voix se sont élevées pour dire que plus rien ne sera jamais comme avant, selon une formule rituelle et quasiment liturgique. Cela étant, monsieur le ministre, il y a un domaine dans lequel notre pays a gardé une réelle capacité à produire : l’agriculture et l’agroalimentaire. Bien que mal considérés et souvent mal rémunérés, nos agriculteurs assurent notre indépendance alimentaire, et ce en dépit d’une concurrence déloyale qui nous fait perdre du terrain année après année.
Comme si les erreurs du passé n’avaient pas servi, la Commission européenne vient à la fois de proposer de réduire de 10 % la superficie des terres cultivables en Europe, et donc en France, et de conclure, après le CETA, un accord de libre-échange avec le Mexique, qui concerne précisément les produits agricoles. Le Mexique pourra ainsi exporter en Europe ce que les terres européennes ne pourront plus produire.
Tout cela est parfaitement absurde. Est-ce ainsi, en faisant venir par avion des produits alimentaires, que l’on pourra assurer notre souveraineté alimentaire et permettre aux agriculteurs de vivre de leur métier ? Sûrement pas !
La France, monsieur le ministre, fera-t-elle jouer son droit de veto pour s’opposer aux accords de libre-échange qui se profilent ? Ferez-vous obstacle à la réduction de la superficie des terres agricoles, afin de privilégier la production locale ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué la signature par le commissaire européen Phil Hogan d’un accord commercial entre l’Union européenne et le Mexique qui était en préparation depuis des années. Cette signature intervient à un mauvais moment, en pleine crise du Covid-19. De toute manière, le texte en autorisant la ratification devra être soumis au Parlement, qui sera, je n’en doute pas, très vigilant.
À l’occasion de cette crise, nous avons toutes et tous souligné que la souveraineté alimentaire est indispensable et qu’une certaine relocalisation est nécessaire. Le Président de la République l’a dit au mois de janvier : nous devons travailler sur une exception agricole et agroalimentaire dans le cadre des échanges internationaux.
Concernant la proposition de la Commission européenne de porter de 5 % à 10 % les surfaces d’intérêt écologique, elle n’a pas encore été validée par les États membres.
Je souhaite rappeler l’importance des surfaces d’intérêt écologique. Les haies, les murets, les lacs, les retenues d’eau font la richesse et la biodiversité de nos campagnes. Nous ne devons pas avoir peur du verdissement de la politique agricole commune, dans la mesure où la France est très en avance sur ce plan.
En tout état de cause, si augmentation des surfaces d’intérêt écologique il doit y avoir, la France défendra de toutes ses forces une idée sur laquelle vous avez beaucoup travaillé –je pense notamment au groupe socialiste et républicain et à M. Montaugé –, celle des paiements pour services environnementaux. Les agriculteurs doivent être rémunérés lorsqu’ils agissent pour la biodiversité et la transition agroécologique !
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour la réplique.
M. François Bonhomme. Monsieur le ministre, j’aurais souhaité une réaction plus rapide. La France a été très discrète sur un sujet qui concerne pourtant un secteur extrêmement important pour notre pays. Les agriculteurs n’ont malheureusement plus confiance. Ils se demandent même parfois si votre ministère n’est pas une succursale du ministère de l’environnement ou, pis encore, s’il n’est pas à la remorque de la vision technocratique de la Commission de Bruxelles !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cela fait toujours plaisir !
détection du sars-cov2 par le biais des réseaux d’assainissement
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Prince, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Paul Prince. Dans la lutte contre le coronavirus qui mobilise notre pays, localiser l’épidémie et surveiller ses déplacements sont des enjeux cruciaux, pour des raisons en premier lieu sanitaires, en second lieu économiques, notamment dans les zones touristiques. Le combat contre la Covid-19 serait plus efficace avec une meilleure connaissance de la diffusion du virus sur le territoire et de l’intensité de l’épidémie selon les régions.
À cet égard, un avis de l’Académie des technologies publié le 19 avril dernier attire l’attention sur les renseignements que peuvent fournir les eaux usées. En effet, la mesure de la concentration du génome du virus dans les eaux usées pourrait permettre de mieux évaluer le nombre de malades dans une zone donnée, car le suivi prend en compte les virus rejetés par la totalité des personnes porteuses, qu’elles soient saines, asymptomatiques ou malades.
L’information récoltée permettrait aux collectivités locales et aux agences régionales de santé (ARS) d’évaluer avec plus de précision l’état sanitaire du territoire dont elles ont la responsabilité et d’apporter une réponse adaptée. En outre, le coût de telles mesures de suivi serait relativement modeste.
Des mesures de surveillance des eaux usées ont déjà été annoncées à l’étranger. En France, le Comité analyse, recherche et expertise (CARE) mis en place par le Président de la République a apporté son soutien à une telle pratique.
Le Gouvernement prévoit-il d’effectuer des prélèvements de ce type dans le cadre de la lutte contre l’épidémie ? Compte-t-il autoriser les collectivités locales à le faire ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, la circulation du virus suscite effectivement, à juste titre, beaucoup d’interrogations, ainsi que la mobilisation de nombreux acteurs issus de différents champs. Nos connaissances sur le virus sont encore parcellaires ; nous le constatons chaque jour. Il est nécessaire d’explorer toutes les pistes.
Vous avez évoqué l’avis de l’Académie des technologies. Une étude française dont les conclusions ont été publiées dans la revue Science a aussi montré que la quantification de la présence du SARS-CoV-2 dans les eaux usées pouvait effectivement être un marqueur de circulation du virus. En outre, le projet Aubépine, qui permet depuis 2015 de déceler la circulation du virus de la gastro-entérite à partir de l’examen des eaux de la Seine, pourrait également être utilement mobilisé.
Pour autant, un tel indicateur permet seulement de constater la circulation à un niveau déjà élevé du virus dans la communauté desservie par le système d’évacuation des eaux, et non de l’empêcher. Cet outil serait simplement annonciateur d’un flux potentiel de malades, mais n’apporterait rien en matière de prévention. Il ne contribuerait pas à la stratégie de contact tracing que nous mettons en œuvre depuis plusieurs jours. Celle-ci nous semble bien plus efficace, grâce notamment à l’action des professionnels libéraux, de l’assurance maladie et des ARS, ainsi que, demain, à l’application StopCovid, si elle peut être déployée à la suite du débat que vous aurez bientôt.
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Prince, pour la réplique.
M. Jean-Paul Prince. Voilà trois semaines, les relevés indiquaient la présence de 5 millions de génomes par litre à Paris. Apparemment, c’est nettement moins ces jours-ci. Le virus tend donc à disparaître.
municipales
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laure Darcos. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Mes collègues Philippe Bas, Bruno Retailleau et Hervé Marseille viennent de déposer une proposition de loi pour permettre l’organisation dans des conditions irréprochables du second tour des élections municipales. Elle a été intégrée à celle de notre collègue Cédric Perrin, déposée voilà plusieurs semaines et adoptée ce matin par la commission des lois. Ce texte a deux ambitions : adapter les opérations de vote à un contexte épidémique persistant et faciliter l’établissement des procurations.
Adapter les opérations de vote, c’est garantir aux électeurs qu’ils pourront exercer leur droit de vote sans risque pour eux-mêmes ni pour leurs proches. C’est aussi permettre aux candidats, à leurs représentants et aux membres des bureaux de vote de participer au déroulement et au dépouillement du scrutin en toute sécurité. Je ne sollicite ici aucune faveur ; je demande seulement la considération élémentaire que la République doit à ses citoyens.
Faciliter l’établissement des procurations, c’est permettre à chaque électeur de détenir deux procurations, de voter pour un de ses parents proches dans une autre commune que celle où il réside. C’est aussi donner à une personne fragile, âgée, isolée ou malade la possibilité d’établir une procuration à son domicile. Là encore, il ne s’agit que de respecter l’équité républicaine.
Il n’y a pas de société démocratique sans vote citoyen. Le freiner ou le tronquer serait un sacrilège. Après l’abstention et les frustrations du premier tour, ce second tour est attendu depuis de nombreuses semaines. Nous devons, vous devez permettre la participation du plus grand nombre d’électeurs. Nous devons, vous devez faire la loi qui le garantira.
Nous avons tout mis en œuvre pour adopter en moins d’une semaine les textes sur l’état d’urgence sanitaire et sa prorogation. Le Gouvernement est-il prêt à utiliser tous les moyens constitutionnels à sa disposition pour faire aboutir ces mesures électorales indispensables avant le 15 juin, afin qu’elles puissent être mises en œuvre dans de bonnes conditions le 28 juin ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, le décret de convocation des électeurs pour le second tour des élections municipales, qui se tiendra le 28 juin, figurait effectivement à l’ordre du jour du conseil des ministres d’aujourd’hui.
Le second tour concernera un peu plus de 16 millions d’électeurs, dans un peu moins de 5 000 communes. La décision a été prise par le Premier ministre après avis du Conseil scientifique, lequel a prévu, le 18 mai dernier, un certain nombre de conditions sanitaires pour la tenue du scrutin, s’agissant tant de la campagne électorale que de l’organisation des opérations de vote.
En ce moment même, le ministre de l’intérieur reçoit, avec d’autres ministres, les responsables des principales formations politiques de notre pays. Je rejoindrai cette réunion dès que cette séance de questions d’actualité au Gouvernement sera terminée. Nous en aurons ensuite une autre avec les associations d’élus afin d’évoquer les modalités qui permettront d’organiser ces élections dans des conditions irréprochables, pour reprendre vos termes, madame la sénatrice, d’un point de vue tant juridique que sanitaire.
Plusieurs pistes seront évoquées : facilitation des procurations, port du masque, aménagement des bureaux de vote. Le Conseil scientifique a formulé d’autres préconisations encore. Nous travaillons à leur mise en œuvre.
Vous souhaitez une extension du champ juridique des procurations. La question sera étudiée, je puis vous le garantir, dans un esprit d’ouverture, mais aussi avec le souci de la sécurité juridique. Pour les procurations, le principe juridique qui s’applique est que l’on puisse vérifier l’identité du mandant et s’assurer de son consentement.
C’est à l’aune de ces principes que nous examinons, dans un esprit de grande ouverture, les différentes mesures dont nous sommes saisis dans le cadre des discussions en cours.
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour la réplique.
Mme Laure Darcos. Il y a urgence : nous sommes à un mois de l’échéance ! Les procurations sont essentielles. Il faut qu’un plus grand nombre de nos concitoyens puissent y recourir pour voter. Envoyer des officiers de police judiciaire récupérer les procurations à domicile ou mettre en place des permanences à cette fin dans certaines communes nous aiderait beaucoup, et aiderait la démocratie ! (Très bien ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
emplois aidés
M. le président. La parole est à Mme Annie Guillemot, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Annie Guillemot. Ma question s’adressait à M. le ministre chargé de la ville…
Il y avait 497 000 contrats aidés en 2017, mais plus que 130 000 en 2019. La remise en cause drastique et brutale de ces contrats, jugés trop coûteux et peu utiles par certains, a signifié non seulement le retour à la précarité pour beaucoup de jeunes, mais aussi la fragilisation du monde associatif.
Aujourd’hui, plus de 9 millions de personnes, soit 15 % de notre population, vivent sous le seuil de pauvreté. Or cette triple crise, sanitaire, économique et sociale, frappe durement les quartiers où se concentre la pauvreté – pertes d’emplois plus fortes, fractures et inégalités exacerbées –, alors que des besoins vitaux en matière d’alimentation, de logement, d’emploi ou de numérique sont apparus au grand jour.
L’urgence est de répondre aux conséquences de la crise sur les plus fragiles. La réactivation des contrats aidés peut constituer un levier de soutien fort et rapidement mobilisable. Ce sont des milliers de jeunes qui pourraient travailler dans nos communes et associations et trouver une première insertion dans l’emploi, sous le tutorat d’adultes. Au regard de la fracture numérique, qui pénalise lourdement les enfants des milieux modestes, les emplois aidés seraient bien utiles à ceux qui ne savent pas maîtriser un outil devenu indispensable.
Étant donné les besoins existants dans les écoles et les collèges et la nécessité de donner un avenir aux jeunes de ces quartiers, le Gouvernement compte-t-il réactiver les contrats aidés ? (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice, depuis trois ans, nous mettons en œuvre une stratégie claire afin de permettre aux plus vulnérables d’accéder à l’emploi, dans un contexte – jusqu’à il y a peu – de création de nombreux emplois. Il faut évidemment s’adapter à la nouvelle donne, mais sans perdre notre objectif de vue : nul n’est inemployable, et chacun doit pouvoir accéder à l’emploi !
Notre stratégie repose sur la mobilisation de quatre leviers.
Premièrement, la transformation des contrats aidés en parcours emploi-compétences permet un meilleur accès à l’emploi. Un parcours emploi-compétences est un contrat aidé dans une association ou une collectivité locale, mais appuyé sur le triptyque situation de travail-formation-accompagnement social. Cette année, 90 000 parcours emploi-compétences sont prévus, les zones les plus fragiles étant évidemment prioritaires.
Deuxièmement, nous consacrons des sommes considérables au plan d’investissement dans les compétences. Cette année, 150 000 jeunes et 150 000 demandeurs d’emploi de longue durée pourront bénéficier du dispositif. Parmi eux, 16 % sont issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville – ce qui est bien supérieur au poids de ces quartiers dans la population française –, autant des outre-mer, et 8 % sont en situation de handicap. Nous veillons, au côté des régions, avec lesquelles nous avons négocié et contractualisé la moitié des contrats, à faire en sorte que les personnes concernées accèdent à l’emploi et que les plus vulnérables soient bien intégrés.
Troisièmement, nous mettons l’accent sur l’insertion par l’activité économique (IAE). Vous avez inscrit 1 milliard d’euros de crédits dans le projet de loi de finances pour 2020 –on n’avait jamais investi autant dans l’IAE – pour multiplier les structures adaptées, comme les chantiers ou entreprises d’insertion. Vous aurez d’ailleurs demain l’occasion de conforter cette démarche en permettant, au travers de la loi relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, que la durée des contrats d’insertion puisse être portée de vingt-quatre à trente-six mois pour les bénéficiaires actuels. C’est très important, car la crise va rendre leur accès à l’emploi plus difficile.
Quatrièmement, les emplois francs visent à lutter contre les discriminations raciales ou sociales dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, où elles sont très fréquentes. Depuis la généralisation du dispositif, le 1er janvier de cette année, on compte plus de 26 000 bénéficiaires, dont 80 % sont embauchés en CDI.
Nous maintenons le cap et poursuivons notre action : nul n’est inemployable !
M. le président. La parole est à Mme Annie Guillemot, pour la réplique.
Mme Annie Guillemot. Madame la ministre, je vous remercie de ces précisions, mais ma question, adressée au ministre chargé de la ville, portait sur la situation d’ensemble de ces quartiers. Vous me répondez en évoquant des procédures qui existent déjà, mais ce que je demande, c’est que des jeunes des quartiers puissent bénéficier d’emplois aidés pour s’occuper d’élèves décrocheurs : en ce moment, dans les quartiers défavorisés, un élève sur dix se rend à l’école ! Des étudiants qui ne pourront travailler cet été en septembre ni recommencer une année universitaire en septembre pourraient aider les élèves décrocheurs dans nos communes ; ce serait faire coup double. Il y a urgence !
Je me demande s’il y a une politique de la ville aujourd’hui. Les ministres nous donnent tous des réponses liées à leur champ d’action. Or il faut une vision globale. C’est l’ancienne maire de Bron, n’ayant jamais cumulé les mandats, même quand la loi le permettait, qui vous le dit : aujourd’hui, la pauvreté et la désespérance s’étendent dans les quartiers. Les maires des villes de banlieue ont lancé un appel ; il faut y répondre ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
extension du dispositif des prêts garantis par l’état
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre Médevielle. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances. Elle concerne l’intégration des plateformes de financement participatif, ou crowdlending, dans le dispositif des prêts aux entreprises garantis par l’État (PGE).
Si le Gouvernement s’appuie uniquement sur les banques, aujourd’hui, pour injecter les 300 milliards d’euros de prêts garantis dans l’économie, beaucoup d’entreprises risquent de subir un « effet de ciseaux » cruel, entre échéances à court terme et manque de trésorerie pour redémarrer la machine économique post-confinement. De plus, les demandes excéderont les capacités de traitement des banques. Il faudra donc bien diversifier l’offre.
À ce stade, seuls les particuliers et les fonds européens d’investissement de long terme (Eltif) peuvent souscrire des prêts émis par des plateformes dans le dispositif des prêts garantis par l’État. Les personnes morales ont été exclues de cette possibilité, alors qu’elles ne sont pas moins averties que les personnes physiques et les fonds Eltif.
Dans la filière agroalimentaire, en particulier, des groupes de la grande distribution ou de la coopération agricole se sont portés volontaires pour ce type de financements auprès de certains de leurs partenaires habituels. L’intérêt de les intégrer paraît donc évident. Pour éviter des faillites en cascade, il pourrait être utile d’élargir le dispositif de la garantie de l’État aux entreprises qui financeraient une partie du prêt, via des plateformes, à des entreprises de leur filière qu’elles connaissent parfaitement.
Est-il envisageable que, comme en Italie, les entreprises prêtant à leurs partenaires au sein de leur filière puissent bénéficier de prêts garantis de l’État au même titre que les banques, les fonds Eltif ou les particuliers ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, 78 milliards d’euros de prêts garantis par l’État ont déjà été accordés à plus de 400 000 entreprises. C’est donc un immense succès. Une telle mesure était voulue par le Premier ministre et le Président de la République. Nous pouvons monter jusqu’à 300 milliards d’euros d’encours pour répondre aux besoins de trésorerie des entreprises.
Nous avons ajusté le dispositif. À l’origine, seules les banques pouvaient distribuer ces crédits. Désormais, les plateformes de financement participatif le peuvent également. Vous avez parfaitement raison d’estimer que ce sera utile.
Si nous avons amélioré le dispositif, c’est aussi pour tenir compte des besoins de certains secteurs spécifiques. La semaine passée, le Premier ministre a annoncé un plan pour le tourisme, l’hôtellerie et la restauration, avec notamment la mise en place d’un prêt spécifique, saisonnier, pour les entreprises de ce secteur. Celles-ci pourront solliciter un nouveau prêt de trésorerie, à hauteur du chiffre d’affaires des trois meilleurs mois de l’année 2019. Ainsi, un restaurateur qui fait 80 % de son chiffre d’affaires entre les mois de juin et d’août pourra demander un prêt de ce montant, alors que le plafond est normalement de 25 %. En outre, ce prêt ne sera remboursé qu’un an plus tard, c’est-à-dire après la saison 2021.
C’est donc une aide très concrète qui est apportée aux secteurs de l’hôtellerie, de la restauration et du tourisme. Il s’agit de leur permettre d’anticiper et de faire face aux difficultés auxquelles ils sont confrontés.
Nous avons également augmenté la possibilité pour l’État d’apporter des prêts directs. J’ai sur mon bureau le dossier d’une entreprise qui a vu toutes ses demandes de prêt rejetées, alors qu’elle me semble saine. Nous lui accorderons un prêt direct de l’État, via le Fonds de développement économique et social.
Nous avons donc diversifié les outils, afin que, face à une crise d’une ampleur sans précédent, chaque entreprise puisse trouver une réponse en matière de prêts et de trésorerie.
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour la réplique.
M. Pierre Médevielle. Monsieur le ministre, j’entends votre réponse. J’avais d’ailleurs salué l’adoption par le Sénat, la nuit du 22 avril, de l’amendement du Gouvernement tendant à intégrer les plateformes de financement participatif de type crowdlending au dispositif des prêts garantis par l’État. Toutefois, le champ de cet amendement est limité aux plateformes dotées du statut intermédiaire en financement participatif. Il n’inclut pas les entreprises non financières personnes morales intervenant en tant que financeur.
Or, pour faire face à la crise actuelle, toutes les forces comptent pour relancer l’économie. Les entreprises qui prêtent à leurs partenaires au sein de leur filière – j’ai fait référence à la filière agricole – ne comprennent pas pourquoi elles ne pourraient pas bénéficier aussi de garanties de l’État, ou de l’Europe par le biais de la Banque européenne d’investissement (BEI), au même titre que les banques, les fonds Eltif ou les particuliers.
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu mercredi 3 juin 2020, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Conférence des présidents
M. le président. Les conclusions adoptées par la conférence des présidents, réunie ce jour, sont consultables sur le site du Sénat.
Conclusions de la conférence des présidents
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mercredi 27 mai 2020
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
De 16 h 15 à 20 h 15
(Ordre du jour réservé au groupe UC)
- Débat sur le thème : « La crise du Covid-19 : révélateur de la dimension cruciale du numérique dans notre société. Quels enseignements et quelles actions ? »
• Temps attribué au groupe UC : 10 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
- Débat sur le thème : « La crise du Covid-19 : relocalisation des productions stratégiques pour assurer notre souveraineté. Lesquelles, où, comment ? »
• Temps attribué au groupe UC : 10 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
À 21 h 30
- Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat et d’un vote sur cette déclaration, en application de l’article 50-1 de la Constitution, relative aux innovations numériques dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19
• Temps attribué aux orateurs des groupes, à raison d’un orateur par groupe : 7 minutes pour les groupes Les Républicains, socialiste et républicain et Union Centriste, 5 minutes pour les groupes La République En Marche, Rassemblement Démocratique et Social Européen, communiste républicain citoyen et écologiste, Les Indépendants - République et Territoires et 3 minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de onze questions-réponses (trois questions pour le groupe Les Républicains, deux questions pour les groupes socialiste et républicain et Union Centriste, une question pour les groupes La République En Marche, Rassemblement Démocratique et Social Européen, communiste républicain citoyen et écologiste, Les Indépendants - République et Territoires) :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
En application de l’article 39, alinéa 6, du règlement, le vote sur cette déclaration donnera lieu à un scrutin public ordinaire et aucune explication de vote ne sera admise.
Jeudi 28 mai 2020
De 9 heures à 13 heures
(Ordre du jour réservé au groupe RDSE)
- Proposition de loi visant à apporter un cadre stable d’épanouissement et de développement aux mineurs vulnérables sur le territoire français, présentée par Mme Josiane Costes et plusieurs de ses collègues (texte n° 311, 2019-2020)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois avec une saisine pour avis de la commission des affaires sociales.
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 27 mai à 15 heures
- Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, visant à encourager le développement de l’assurance récolte, présentée par MM. Yvon Collin, Henri Cabanel, Mme Nathalie Delattre et plusieurs de leurs collègues (texte n° 708, 2018-2019)
• Temps attribué à l’auteur de la proposition de résolution : 10 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 27 mai à 15 heures
• Les interventions des orateurs vaudront explications de vote
De 14 h 30 à 18 h 30
(Ordre du jour réservé au groupe SOCR)
- Proposition de loi visant à rendre effectif et à renforcer le plafonnement des frais bancaires, présentée par MM. Patrick Kanner, Claude Raynal, Vincent Éblé, Mme Laurence Rossignol et M. Jacques Bigot et plusieurs de leurs collègues (n° 339, 2019-2020)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 27 mai à 15 heures
- Débat sur le thème : « Les conditions de la reconstruction du pacte social national dans le cadre de la sortie de la crise sanitaire »
• Temps attribué au groupe socialiste et républicain : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de quinze questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 27 mai à 15 heures
À l’issue de l’ordre du jour de l’après-midi et, éventuellement, le soir :
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (texte de la commission n° 454, 2019-2020)
SEMAINE SÉNATORIALE
Mardi 2 juin 2020
À 14 h 30 et le soir
- Proposition de loi tendant à définir et à coordonner les rôles respectifs des assurances et de la solidarité nationale dans le soutien des entreprises victimes d’une menace ou d’une crise sanitaire majeure, présentée par MM. Jean-François Husson, Vincent Segouin, Mme Catherine Dumas et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 460, 2019-2020 ; demande du groupe Les Républicains)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 29 mai à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 2 juin matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 29 mai à 15 heures
- Proposition de loi tendant à sécuriser l’établissement des procurations électorales, présentée par M. Cédric Perrin (texte de la commission n° 468, 2019-2020 ; demande du groupe Les Républicains)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mardi 2 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 2 juin début d’après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 29 mai à 15 heures
Mercredi 3 juin 2020
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mardi 2 juin à 18 heures
De 16 h 15 à 20 h 15
(Ordre du jour réservé au groupe SOCR)
- Débat sur le thème : « Quelles nouvelles politiques publiques à destination de la jeunesse afin d’aider ces publics particulièrement exposés dans la prise en charge des conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire actuelle ? »
• Temps attribué au groupe socialiste et républicain : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de quinze questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 2 juin à 15 heures
- Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, demandant au Gouvernement de mettre en œuvre une imposition de solidarité sur le capital afin de renforcer la justice fiscale et sociale et de répondre au défi de financement de la crise sanitaire, économique et sociale du Covid-19, présentée par MM. Patrick Kanner, Vincent Éblé, Claude Raynal, Jacques Bigot et plusieurs de leurs collègues (texte n° 457, 2019-2020)
• Temps attribué à l’auteur de la proposition de résolution : 10 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 2 juin à 15 heures
• Les interventions des orateurs vaudront explications de vote
Jeudi 4 juin 2020
De 9 heures à 13 heures
(Ordre du jour réservé au groupe CRCE)
- Proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques, présentée par M. Pascal Savoldelli et plusieurs de ses collègues (texte n° 717, 2018-2019)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mardi 2 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 3 juin matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 3 juin à 15 heures
- Proposition de loi visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement, présentée par Mme Cécile Cukierman et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 470, 2019-2020)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires économiques.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mardi 2 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 3 juin matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 3 juin à 15 heures
De 14 h 30 à 18 h 30
(Ordre du jour réservé au groupe UC)
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à répondre à la demande des patients par la création de Points d’accueil pour soins immédiats (texte de la commission n° 462, 2019-2020)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mardi 2 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 3 juin matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 3 juin à 15 heures
- Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux (texte de la commission n° 464, 2019-2020)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mardi 2 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 3 juin matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 3 juin à 15 heures
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 9 juin 2020
À 14 h 30 et, éventuellement, le soir
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à protéger les victimes de violences conjugales (texte n° 285, 2019-2020)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : mardi 2 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 3 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 8 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 9 juin matin
• Temps attribué à la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes : 5 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 8 juin à 15 heures
Mercredi 10 juin 2020
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mardi 9 juin à 18 heures
À 16 h 15 et le soir
- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (procédure accélérée) ou nouvelle lecture
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 9 juin à 15 heures
En cas de nouvelle lecture :
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 8 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mardi 9 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mercredi 10 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 10 juin début d’après-midi
- Sous réserve de son dépôt et de sa transmission, projet de loi portant annulation du second tour du renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris, et des conseillers de la métropole de Lyon de 2020, organisation d’un nouveau scrutin dans les communes concernées, fonctionnement transitoire des établissements publics de coopération intercommunale et report des élections consulaires (procédure accélérée)
Ce texte sera envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 8 juin à 17 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mardi 9 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mercredi 10 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 10 juin après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 9 juin à 15 heures
Jeudi 11 juin 2020
À 10 h 30, 14 h 30 et, éventuellement, le soir
- Suite de l’ordre du jour de la veille
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 16 juin 2020
À 9 h 30
- Questions orales
À 14 h 30 et, éventuellement, le soir
- Sous réserve de sa transmission, proposition de loi permettant le don de congés payés sous forme de chèques-vacances aux membres du secteur médico-social en reconnaissance de leur action durant l’épidémie de Covid-19 (procédure accélérée ; texte A.N., n° 2978)
Ce texte sera envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 8 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 10 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 15 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 16 juin début d’après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 15 juin à 15 heures
Mercredi 17 juin 2020
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mardi 16 juin à 18 heures
À 16 h 15 et le soir
- Sous réserve de son dépôt, projet de loi organique portant report des élections sénatoriales et des élections législatives partielles (procédure accélérée)
Ce texte sera envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 8 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 10 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 15 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 17 juin matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 16 juin à 15 heures
Jeudi 18 juin 2020
À 10 h 30, 14 h 30 et, éventuellement, le soir
- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant annulation du second tour du renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris, et des conseillers de la métropole de Lyon de 2020, organisation d’un nouveau scrutin dans les communes concernées, fonctionnement transitoire des établissements publics de coopération intercommunale et report des élections consulaires ou nouvelle lecture
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 17 juin à 15 heures
En cas de nouvelle lecture :
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : mercredi 17 juin à 9 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 17 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 18 juin à l’ouverture de la discussion générale
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : jeudi 18 juin à l’issue de la discussion générale
SEMAINE DE CONTRÔLE
Mardi 23 juin 2020
À 14 h 30
- Débat sur la situation du logement et du bâtiment (demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de quinze questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 22 juin à 15 heures
À 17 h 30
- Débat sur le bilan de l’application des lois (en salle Clemenceau)
• Présentation du rapport sur l’application des lois : 10 minutes
• Réponse du Gouvernement : 5 minutes
• Débat interactif avec les présidents des commissions permanentes et le président de la commission des affaires européennes : 2 minutes maximum par président avec possibilité d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Débat interactif avec les groupes à raison d’un orateur par groupe : 2 minutes maximum par orateur avec possibilité d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Délai limite pour les inscriptions des auteurs de questions : lundi 22 juin à 15 heures
À 21 h 30
- Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 juin 2020 (demande de la commission des affaires européennes)
• Intervention liminaire du Gouvernement
• 5 minutes attribuées respectivement à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la commission des finances et à la commission des affaires européennes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Conclusion par la commission des affaires européennes : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 22 juin à 15 heures
• Réunion préalable de la commission des affaires européennes ouverte à tous les sénateurs : jeudi 11 juin à 8 h 45
Mercredi 24 juin 2020
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mardi 23 juin à 18 heures
De 16 h 30 à 20 h 30
(Ordre du jour réservé au groupe RDSE)
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au droit des victimes de présenter une demande d’indemnité au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (texte n° 320, 2019-2020)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 15 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 17 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 22 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 24 juin matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 23 juin à 15 heures
- Débat sur le thème : « La crise du Covid-19, révélatrice d’un besoin renforcé de déconcentration et de décentralisation »
• Temps attribué au groupe RDSE : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de quinze questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 23 juin à 15 heures
Jeudi 25 juin 2020
De 9 heures à 13 heures
(Ordre du jour réservé au groupe SOCR)
- Proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes du Covid-19, présentée par Mme Victoire Jasmin et plusieurs de ses collègues (texte n° 425, 2019-2020)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : vendredi 12 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 17 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 22 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 24 juin matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 24 juin à 15 heures
De 14 h 30 à 18 h 30
(Ordre du jour réservé au groupe LaREM)
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne (texte n° 317, 2019-2020)
Ce texte a été envoyé à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 15 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 17 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 22 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 24 juin matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 24 juin à 15 heures
- Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l’arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent (texte n° 316, 2019-2020)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 15 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 17 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 22 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 24 juin matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 24 juin à 15 heures
À 18 h 30
- Débat sur les conclusions du rapport : « Comment faire face aux difficultés de recrutement des entreprises dans le contexte de forte évolution des métiers » (demande de la délégation aux entreprises)
• Temps attribué à la délégation aux entreprises : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de quinze questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 24 juin à 15 heures
SEMAINE SÉNATORIALE
Mardi 30 juin 2020
À 14 h 30
- Éloge funèbre d’Alain Bertrand
À 15 h 15
- Proposition de loi portant création d’un fonds d’urgence pour les Français de l’étranger victimes de catastrophes naturelles ou d’événements politiques majeurs, présentée par M. Ronan Le Gleut et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 466, 2019-2020 ; demande du groupe Les Républicains)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 25 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 30 juin en début d’après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 29 juin à 15 heures
En l’absence d’observations, je considère que ces conclusions sont adoptées.
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Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
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La crise du Covid-19 : révélateur de la dimension cruciale du numérique dans notre société. quels enseignements et Quelles actions ?
Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Union Centriste, sur le thème : « La crise du Covid-19 : révélateur de la dimension cruciale du numérique dans notre société. Quels enseignements et quelles actions ? »
Dans le débat, la parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Anne-Catherine Loisier, pour le groupe Union Centriste. Depuis plus de vingt ans, le numérique s’inscrit dans nos vies, transformant notre quotidien, notre travail, notre façon de communiquer, d’acheter, de consulter l’administration, les services…. Pour certains, il est devenu essentiel, tandis que d’autres l’ignorent ou le tiennent à distance. Nous l’utilisons sans forcément bien comprendre ce qu’il y a derrière, comment tout cela fonctionne. Nous subissons les débordements et les excès des réseaux sociaux, parfois avec un certain fatalisme. Pourtant, nous en voulons toujours plus : plus d’appareils connectés, plus de débit, plus de services en ligne…
La crise du Covid-19 a fait exploser les besoins. Le numérique est devenu l’outil quotidien, du télétravail aux leçons des enfants en passant par les courses en ligne ou la visite virtuelle aux grands-parents confinés.
Le confinement a mis en évidence notre extraordinaire dépendance au numérique, toujours plus présent, toujours plus nécessaire, toujours plus demandé… Nous avons pris conscience de ses formidables potentialités pour rompre l’isolement, maintenir le lien et poursuivre les activités, mais aussi de notre vulnérabilité et de la spoliation de notre souveraineté par des réseaux pilotés de l’étranger, qui ne nous garantissent plus la confidentialité de nos données personnelles.
Nous avons regretté, une fois de plus, notre incapacité à faire émerger des champions du numérique, nous conduisant à renoncer à notre souveraineté alors que les Français se ruaient en masse vers des solutions américaines.
Nous avons pris conscience de l’insoutenabilité d’une fracture muée en gouffre numérique, qui laisse de côté près de 13 millions de nos concitoyens, exclus par choix, par appréhension ou faute de connexion.
L’intérêt et les enjeux stratégiques du numérique sont désormais évidents et devant nous. L’accélération des investissements dans les infrastructures, la formation, la recherche sera une priorité incontournable pour le prochain plan de relance. C’est pourquoi que le groupe Union Centriste a souhaité ce débat. Il doit nous permettre d’identifier les carences et les « trous dans la raquette » apparus de manière flagrante pendant cette crise : maillage territorial insuffisant, numérisation des entreprises balbutiante, illectronisme excluant 13 millions de Français, cybersécurité insuffisamment prise au sérieux, protection des données personnelles encore aléatoire, assujettissement à quelques géants mondiaux peu solidaires, manque de compétences et de formation aux métiers, faiblesse des fonds alloués aux start-up, absence de grands industriels capables de soutenir la recherche, de promouvoir la dynamique d’intelligence artificielle et les investissements qui vont avec…
Fondamentalement, ce débat est d’abord un échange sur la société numérique que nous voulons pour demain, au regard de ce que nous pouvons observer tout autour de la planète, où se dessinent différents types de sociétés du numérique.
Les discussions sur l’application StopCovid qui suivront ce débat nous amènent à nous interroger : devrons-nous choisir entre sécurité et libertés individuelles ? Sommes-nous prêts à accepter un traçage numérique de notre quotidien et à livrer des données personnelles pour une plus-value sanitaire qui reste d’ailleurs à démontrer, au vu des conditions de sa mise en œuvre ?
Définir le numérique de demain impose donc de mener une réflexion de fond sur le cadre pertinent – national ou européen ? –, sur les engagements financiers et industriels pour s’équiper, sur le soutien massif à l’innovation pour s’adapter, sur les valeurs et l’éthique de régulation qui commencent à émerger avec le Digital Services Act européen ou Tech for Good France, réseau d’entrepreneurs et d’investisseurs acteurs d’une transition durable et responsable. Cette nécessaire régulation doit encore être approfondie, s’agissant notamment des plateformes structurantes et des places de marché. Le Sénat a d’ailleurs déjà fait des propositions en matière d’interopérabilité.
Dans un monde numérique sans frontières physiques, dont certains se jouent avec des lois à portée extraterritoriale, comme le Cloud Act américain, bâtir un modèle de société numérique axé sur son utilité et ses externalités, tant sociales qu’environnementales, réfléchir sur le rôle et l’usage de l’innovation sont, on le voit bien, autant de jalons essentiels, reposant en partie sur une politique de la donnée et du partage entre acteurs économiques qui reste encore à construire. Peut-être pourrons-nous alors gagner la bataille des données stratégiques, après avoir perdu celle des données personnelles…
Dans ce monde numérique où l’intelligence artificielle fait aujourd’hui sa révolution quantique, on parle 5G et nanotechnologies, on réfléchit blockchain, tandis que bon nombre de Français peinent à manipuler leur tablette, voire s’effraient de toutes ces perspectives. Le numérique et l’internet ont certes permis de surmonter les obstacles de la distance, mais sans devenir totalement inclusifs. C’est là un des points d’achoppement majeurs aujourd’hui, après les échecs partiels des initiatives des vingt dernières années. Ni les cybercafés, ni les cyberespaces, ni les pass numériques et autres n’ont réussi à raccrocher les 13 millions de Français exclus du numérique.
La méthode employée n’était peut-être pas la bonne, monsieur le ministre. Par exemple, le Parlement n’a pas été associé à l’élaboration du new deal mobile en 2018. C’est pourtant ensemble, et pourquoi pas au travers d’une loi de programmation numérique, que nous devons penser le numérique des territoires et de la relance.
Nous allons devoir appréhender, avec tout autant de vigilance que d’indulgence, les retards liés à la crise du Covid-19 concernant les dispositifs de couverture ciblée, de passage à la 4G ou de couverture des zones blanches, autant d’enjeux industriels et technologiques stratégiques pour l’avenir.
Monsieur le ministre, comment aiderez-vous les entreprises, grands acteurs et sous-traitants, à retrouver le rythme exceptionnel de déploiement de prises – près de 5 millions par an – qu’elles soutenaient en 2019 ? Pensez-vous diffuser le numérique sur tout le territoire, au-delà des smart cities, pour qu’il existe aussi des opérations de revitalisation de territoire numériques et des smart villages ? La couverture en très haut débit de 100 % du territoire sera-t-elle effective en 2022 comme promis ? Dans cette perspective, accompagnerez-vous les territoires en manque de financements, comme nous vous y invitions lors de l’examen du dernier projet de loi de finances en abondant les crédits dédiés aux réseaux d’initiative publique ? Pensez-vous mobiliser les crédits encore disponibles du Fonds pour la société numérique ? La société du gigabit pour 2025 promue par la Commission européenne est-elle aujourd’hui une utopie ? Comment pensez-vous favoriser la numérisation des entreprises françaises, aujourd’hui parmi les plus mal loties d’Europe, notamment après la disparition du fournisseur d’accès Kosc ? Pensez-vous mobiliser les fonds privés en faveur des entreprises du numérique, créer un crédit d’impôt à la numérisation des TPE et des PME, renforcer le suramortissement ? Et que faire pour favoriser l’innovation et l’émergence de champions numériques ? Comptez-vous mobiliser la commande publique ?
Sur le sujet stratégique de la formation et des compétences numériques, qu’envisagez-vous, monsieur le ministre ? Nous savons que la France manque cruellement d’ingénieurs, tous secteurs confondus. Au-delà, quelles formations faut-il instituer, de l’école à l’université, pour une meilleure maîtrise de l’outil, du codage, afin qu’un nombre toujours plus grand de Français ne soient plus seulement des utilisateurs, mais deviennent aussi des concepteurs de services numériques, assurant une ingénierie et une intelligence collective sur tout le territoire.
Le virage du numérique exige la confiance dans le numérique. Trop souvent, nous le voyons, le numérique effraie. Les derniers débats liés à la 5G et à l’utilisation du numérique dans la crise sanitaire en témoignent. Plus concrètement, la recrudescence de la cybermalveillance et des cyberattaques atteste de risques et de menaces bien réels. Comment pensez-vous sécuriser notre modèle et mobiliser davantage les systèmes de sécurité informatique (SSI) ? Pensez-vous transposer rapidement dans le droit français le règlement Platform to business ? Où en sont les offres de cloud européen ? Comment adapter, enfin, notre droit aux lois extraterritoriales, qui permettent le pillage des données ? Pensez-vous revenir sur la loi de blocage de 1968 et étendre l’application des principes protecteurs du règlement général sur la protection des données (RGPD) aux données non personnelles des personnes morales, comme le préconise le rapport Gauvain ?
Les questions sont nombreuses ; mes collègues y reviendront certainement. Les enjeux liés au numérique sont immenses. Ils fondent, nous l’avons vu, beaucoup de craintes, mais aussi d’énormes espoirs.
Cette terrible crise du Covid-19 peut être l’occasion d’une prise de conscience salvatrice de l’impérieuse nécessité de créer une société numérique inclusive et sécurisée ; une société numérique de la confiance, que les individus maîtrisent et grâce à laquelle ils pourront « libérer » leurs initiatives, qui ne crée pas de nouvelles fractures ; une société numérique qui se concilie aussi avec les enjeux environnementaux – je pense notamment à la consommation d’énergie et de métaux rares.
Certains prétendent même que, à terme, grâce au numérique, cette période de confinement pourrait changer les aspirations et les modes de vie des Français, beaucoup d’urbains s’installant dans les territoires ruraux, comme semble l’indiquer la profession immobilière, qui croule sous la demande.
Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, que, dans cette Haute Assemblée des territoires, on imagine aussi un numérique pouvant changer le destin des territoires, transformer le visage de la France et faire renaître des provinces jusque-là délaissées !
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Essor du télétravail, enseignement à distance, émergence de la télémédecine, traçage de la transmission du virus : la crise du Covid-19 a donné une place encore plus importante au numérique dans notre quotidien.
Au fil des jours, notre pays s’est transformé en véritable start-up internet, le taux de connexion, durant ces derniers mois, ayant atteint des niveaux largement supérieurs à ceux constatés l’année dernière à la même époque.
Bien entendu, une telle tendance se faisait déjà jour au sein des entreprises, dans les pratiques domestiques ou encore au sein des services de l’État. S’agissant en particulier de l’administration, elle a accéléré sa mue depuis quelques années, avec la dématérialisation croissante des démarches administratives. À cet égard, le Gouvernement souhaite rendre, d’ici à 2022, 100 % des services publics accessibles en ligne. C’est un objectif auquel on ne peut bien entendu que souscrire.
Cependant, il y a des obstacles à franchir, le principal étant de permettre à tous nos concitoyens d’accéder à internet et d’avoir un minimum d’aptitudes numériques. En effet, lorsque la transition numérique en laisse un certain nombre au bord de la route ou pose question quant au respect des libertés publiques, c’est notre pacte républicain qui est abimé.
Aussi est-il urgent de tirer les enseignements de l’extension actuelle de la société numérique, comme le souhaitent nos collègues ayant pris l’initiative de ce débat.
J’évoquerai tout d’abord le défi de la fracture numérique territoriale. Zones blanches, zones grises sont encore trop nombreuses sur le territoire français. Plus de 500 communes sont totalement dépourvues de réseau. Les opérateurs poursuivent le déploiement, mais il est indispensable que, comme le recommande l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), ils ne reproduisent pas, pour l’installation de la 5G, les schémas de déploiement de la 3G et de la 4G, trop défavorables aux territoires ruraux.
Bien entendu, atteindre cet objectif suppose de mobiliser des moyens. Le plan France Très haut débit est-il toujours à la hauteur des enjeux pour tous nos territoires ? Est-il suffisamment bien doté ?
L’inclusion numérique, c’est l’autre grand défi à relever pour réussir la transition. Si la période de confinement a permis d’enrichir les compétences numériques de beaucoup de nos concitoyens, elle a pu aussi fragiliser encore un peu plus les familles en situation de précarité. À l’école, assurer la continuité pédagogique par le biais d’internet était sans doute la seule option pour permettre au plus grand nombre d’enfants possible de continuer à suivre les cours, mais les dégâts pourraient être irréversibles pour ceux qui n’ont pu s’inclure dans le système.
Bien sûr, là aussi, la crise du Covid-19 n’a fait que souligner un phénomène connu, qui mobilise déjà les pouvoirs publics. J’en profite pour rappeler le travail réalisé par le Sénat à travers la mission d’information sur la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique que le groupe RDSE a souhaité mettre en place pour apporter des réponses à l’exclusion numérique.
En tant que président de la Commission supérieure du numérique et des postes, je voudrais souligner l’action de la Banque postale, qui conduit un programme national d’accompagnement des publics en difficulté à travers 300 bureaux de poste. Par ailleurs, beaucoup de collectivités locales mettent en œuvre des stratégies d’inclusion, avec la création de tiers lieux dédiés aux usages numériques.
Malgré cette mobilisation, il reste d’importants efforts à mener pour réduire cette fracture sociale. Cela pourrait passer par un développement des aides à l’achat d’équipements informatiques, par davantage de soutien à la formation numérique gratuite, ainsi que par une simplification des applications pour les démarches publiques.
Enfin, mes chers collègues, une autre conséquence inattendue de l’épidémie, c’est l’accélération de l’entrée de la santé dans le monde numérique. Sur ce point, je n’évoquerai qu’un seul enjeu, celui des libertés publiques, qui est au cœur des débats sur l’application StopCovid. Nous aurons l’occasion d’en reparler ce soir, mais je rappellerai ici les précautions qui doivent entourer l’usage d’une application numérique de traçage. Le retour à la libre circulation des citoyens et la reprise économique sont des priorités qui doivent mobiliser tous les moyens disponibles, dont la technologie de traçage, sous réserve que celle-ci respecte le RGPD, la loi Informatique et libertés ou le secret médical.
Tout cela va de soi, monsieur le ministre, mais il convient aussi de garantir le respect de quelques principes : liberté du consentement des usagers et citoyens, anonymat des usagers et des données collectées, respect des règles de proportionnalité, sécurité renforcée des technologies employées, caractère provisoire du dispositif, caractère ouvert, c’est-à-dire auditable, de la technologie employée.
Mes chers collègues, si la crise du Covid-19 a accéléré la transition numérique, en particulier dans les foyers, elle a aussi révélé une France à plusieurs vitesses. Toute révolution est une fracture ; nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour contribuer à la réparer.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. En préambule, je tiens à remercier le groupe Union Centriste d’avoir inscrit à notre ordre du jour ce débat ambitieux sur l’importance cruciale du numérique dans notre société à l’heure de la crise du Covid-19.
Répondre en quelques minutes, de manière pertinente et panoramique, à cette vaste et complexe question relève de la gageure ! On aurait pu espérer, en cette période de déconfinement progressif du travail parlementaire, un sujet un peu plus facile, du style du bac ou du grand oral de Sciences Po, eu égard aux moments parfois difficiles que nous venons de traverser… Dans la situation absolument inédite qui est la nôtre, il n’existe malheureusement pas d’annales des sujets des années précédentes pour nous éclairer un peu !
À défaut, j’ai attentivement écouté les interventions de nos collègues Anne-Catherine Loisier et Yvon Collin. Leurs propos ont été riches, mais, il faut bien le dire, riches surtout de questionnements et de suppositions, plus que de réponses assurées… Ce n’est évidemment pas une critique, mes chers collègues, mais simplement un constat : bien malin celui ou celle qui serait capable, à ce stade de la crise, ou plutôt des crises provoquées par la pandémie du Covid-19, de tirer aujourd’hui des enseignements sinon définitifs, tout au moins objectivement et quantitativement évaluables, de l’impact de cet événement dans tous les domaines de la société aujourd’hui pénétrés par la numérisation.
Bien sûr, le roi n’est pas nu, et nous disposons de quelques données sur des aspects aussi importants que le recours significatif au télétravail par les entreprises et les salariés au plus fort du confinement, l’usage accru des grandes plateformes de distribution de services et de produits, tant physiques que dématérialisés, la progression singulièrement forte des enseignements à distance dans le domaine de l’éducation et de la formation, l’usage prononcé du numérique en substitution à la consommation en physique et en présentiel de l’information, du divertissement et de la culture… Que sais-je encore ?
Mais ces données nous permettent-elles de savoir si nous sommes véritablement à un tournant de la numérisation de la société ? Sont-elles prédictives, secteur par secteur, de ce que seront les usages et les pratiques à venir, ou sont-elles conjoncturelles et circonstancielles, strictement liées à un effet de substitution temporaire dû à un confinement forcé de la population durant plus de deux mois sans précédent dans notre histoire, sans compter l’assez longue période de déconfinement progressif que nous venons d’entamer ? Autrement dit, assistons-nous à un mouvement au long cours affectant les manières de faire ou de vivre, ou va-t-on progressivement revenir à une tendance antérieure à la numérisation de la société, observée bien avant la crise du Covid-19 ? La réponse à ces questions n’est pas simple.
Je prendrai deux exemples pour illustrer mon propos : ceux du livre numérique et du travail à distance.
Le livre numérique est un cas particulier, mais très intéressant, qui me tient à cœur. Le livre est en effet le seul secteur des industries culturelles à avoir jusqu’à présent résisté à la dématérialisation massive des contenus qui a, bien avant la crise, transformé l’industrie phonographique, en France comme à l’étranger. La dématérialisation a également transformé l’industrie cinématographique, celle du jeu vidéo ou encore la presse écrite et l’information en général. Ce que l’on note, concernant le livre numérique, c’est que, après un début de décollage, il y a une quinzaine d’années, il n’y a pas eu par la suite de véritable envol, contrairement à ce que l’on a pu observer pour la presse écrite. Il y a une résistance profonde des lecteurs, pas seulement en France, mais partout en Europe et dans le monde.
Pourtant, à l’occasion du confinement et de la fermeture des librairies et des bibliothèques au public, nous avons assisté à un engouement nouveau pour le livre numérique. Que va-t-il se passer à présent ? Depuis leur réouverture, les librairies semblent retrouver leur clientèle, et c’est une bonne chose. Les lecteurs semblent encore très attachés au livre physique, par nature délinéarisable, annotable, exhibable, donnable, prêtable ou échangeable…
Pour autant, nombre de librairies indépendantes, de petits et de moyens éditeurs sont aujourd’hui dans une situation économique des plus précaires. S’ils disparaissent, que deviendront la lecture ainsi que le livre et ses modes de diffusion classiques ? L’offre numérique ne risque-t-elle pas de prendre économiquement le dessus sur le livre physique, et la distribution par l’entremise des grandes plateformes numériques ne va-t-elle pas menacer les plateformes physiques et les librairies ?
Par ailleurs, nécessité faisant loi, le télétravail a explosé en France durant la période de confinement et il semble perdurer assez fortement actuellement, car la pandémie est loin d’être éradiquée. Nous avons pu, grâce au télétravail, écarter le risque d’une « activité zéro » qui aurait ruiné notre économie. Nous avons, à cette occasion, découvert des ressources nouvelles que nos entreprises comme leurs salariés n’imaginaient pas auparavant. En la matière, du côté tant des entreprises que de celui des actifs, il ne faut pas idéaliser cette nouvelle forme de travail, ni la rejeter de manière doctrinaire
Le télétravail a ses avantages et ses bénéfices, mais aussi ses défauts et ses coûts. Gardons-nous surtout d’en théoriser les bienfaits ou les méfaits – hors période de peur généralisée de la pandémie – avant d’avoir étudié de manière plus approfondie ce qui s’est passé au cours des derniers mois dans notre pays et chez nos voisins.
Une chose est certaine : si nouvelle forme de travail il doit y avoir, il sera indispensable de fonder un nouveau contrat social ou, en tout cas, un nouveau contrat de travail entre employeurs et salariés, afin que ces derniers ne soient pas les dindons de la farce d’une telle évolution. En effet, le risque d’ubérisation des rapports sociaux est réel, même s’il n’est pas inévitable.
En guise de conclusion, je dirai que, à l’aune de la crise actuelle, nous entrons peut-être dans une troisième phase de la relation des citoyens au numérique et à internet. La première phase, ce fut la période des débuts, la période utopique où internet symbolisait finalement les rares bienfaits qu’apportait la mondialisation : la bibliothèque ouverte, l’élargissement des recherches sur les données. La deuxième phase fut celle d’un rapport plutôt dystopique : la menace sur l’emploi, sur la vie privée, l’emprise des grands groupes internationaux, résumées par l’image de Big Brother. Peut-être entrons-nous dans une phase de rapports plus équilibrés entre gains et désavantages. Qu’aurait été le déconfinement sans le numérique, il y a vingt ou trente ans ? Sans doute la situation n’aurait-elle pas été meilleure qu’aujourd’hui… (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Le numérique est la nouvelle donne du XXIe siècle. En 2020, nous n’en sommes encore qu’au début de sa révolution. L’accès à internet sur l’ensemble du territoire est devenu un véritable droit prioritaire pour chacun. Une enquête de l’association de consommateurs UFC-Que Choisir de l’an dernier nous apprend que 6,8 millions de personnes, soit 10 % de la population française, sont privées d’un accès minimal à internet, à savoir 3 mégabits par seconde. Quant au haut débit performant, il n’est accessible qu’à 12,8 millions de consommateurs, soit moins de 20 % de notre population. Ces chiffres confirment une accessibilité inégalitaire d’internet selon les territoires. On observe dès lors une fracture entre deux mondes, chacun vivant à la vitesse de ses capacités de connexion : les métropoles branchées d’un côté, la France profonde, enracinée mais déconnectée, voire oubliée, de l’autre.
À cette fracture numérique s’ajoute la crise sanitaire actuelle. Elle révèle les promesses, les insuffisances et les dérives du numérique. Le numérique a permis aux familles séparées de se voir, au monde du travail de poursuivre son activité à distance et en sécurité, à nos commissions parlementaires de continuer à se réunir. Avec le télétravail, les entreprises ont adopté de nouvelles habitudes pour l’avenir.
Mais il y a aussi ceux qui ont vécu un confinement compliqué, sans possibilité de recourir à la visioconférence pour leur travail et privés de tout contact visuel avec leurs proches, à cause d’un mauvais accès à internet. Et combien d’enfants ont été privés des cours dispensés par leurs professeurs via internet ?
Cependant, il faut également savoir mettre des limites à l’hubris du numérique, qui s’installe partout dans nos vies.
Les risques en matière de cybersécurité, ou plutôt de cyberinsécurité, doivent être pris au sérieux, et un principe de précaution doit prévaloir. Ici même, au Sénat, nous avons utilisé l’application Zoom pour tenir nos réunions de commission. Cette application n’est pourtant pas du tout sécurisée, et le contenu de nos échanges pourrait très bien avoir été intercepté.
Une deuxième dérive consisterait à croire qu’une entreprise n’est qu’une somme de travailleurs et qu’elle peut fonctionner entièrement en télétravail. Nous ne devons pas oublier l’importance de la vie en équipe, de la cohésion, du partage, qui sont les clés d’une vraie dynamique d’entreprise et ne sont possibles qu’en travaillant physiquement, humainement ensemble.
Par ailleurs, le tout-numérique ne doit pas amener à brader nos libertés. On a parlé du traçage et du partage des informations personnelles, dont le Gouvernement entendait faire une solution de facilité pour sortir du confinement. C’est une dérive. Il y a également la menace que fait peser le télétravail sur nos libertés, par la remise en cause des conditions de travail. Il y a un risque de glissement, sur lequel il faut rester vigilant. Le fameux « métro-boulot-dodo » ne doit pas devenir « boulot-boulot-boulot ». Une mauvaise séparation entre vie privée et vie professionnelle pourrait conduire à une multiplication des risques psychosociaux. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles : le télétravail ne doit pas devenir la règle imposée ; il doit garder son caractère exceptionnel et relever d’un choix personnel. Le télétravail doit rester une nouvelle possibilité de flexibilité ponctuelle pour les travailleurs.
J’ai entamé mon propos en évoquant une révolution du numérique : nous le savons, toute révolution produit des excès. Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour que le numérique prenne sa place, toute sa place, mais rien que sa place dans notre société ? Le numérique doit rester un moyen : le havre de paix de la vie privée doit être sacralisé.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Je remercie nos collègues du groupe Union Centriste pour la tenue de ce débat, qui soulève de multiples enjeux et touche principalement et intrinsèquement au lien entre l’individu et la collectivité, à l’heure où le droit à la mobilité et la liberté d’aller et venir se sont trouvés restreints.
Comment continuer à apprendre, à comprendre, à travailler alors que l’on est assigné à résidence ? Les fractures et les inégalités se sont indéniablement trouvées renforcées.
À l’heure de la mondialisation libérale, une telle situation a bousculé nos certitudes et nos habitudes. Il convient de dresser un inventaire et de proposer des pistes d’action.
Tout d’abord, il est clair que le numérique, ou plutôt l’accès au numérique, est apparu pour ce qu’il est : un pan essentiel du service public de la communication et de l’information. Pour cette raison, nous demandons, malheureusement sans succès jusqu’à présent, l’intégration du très haut débit au service universel. Nous espérons que, à la lumière de cette expérience, la définition du service universel pourra évoluer.
L’ensemble de nos concitoyens doivent pouvoir accéder au numérique. C’est un droit qui conditionne l’accès à l’enseignement, au travail, à la santé, aux loisirs, à la culture et à l’information. Pourtant, aujourd’hui, les progrès restent trop faibles en matière de raccordement, puisque près de 15 % du territoire est mal couvert. Les objectifs définis par les opérateurs sont rarement respectés, faute de véritables sanctions. Les collectivités territoriales, qui assument une part majeure de l’investissement dans les réseaux d’initiative locale, ne sont pas suffisamment soutenues.
Mes chers collègues, lorsque je veux « démontrer » la faillite des politiques de privatisation, je prends toujours cet exemple : en privatisant France Télécom, l’État s’est privé de la rente du cuivre, qui aurait permis de financer le déploiement de la fibre sur l’ensemble du territoire.
L’investissement public a, une nouvelle fois, été détourné au profit d’actionnaires, à contresens de l’intérêt général. Cela devrait nous interpeller et nous conduire à placer sous protection publique les réseaux à très haut débit, dont l’accès est si important pour nos concitoyens. Toutes les infrastructures de communication, qu’elles soient routières, aériennes ou numériques, doivent être sous maîtrise publique ; cela comprend les aéroports, les autoroutes, mais aussi la fibre.
Cette crise doit également nous amener à nous interroger sur nos modèles d’aménagement urbain. Le logement, structure de base de l’habitat, mais aussi, et de plus en plus, du travail, ne peut plus être à ce point le parent pauvre des politiques publiques. Puisque les liens sont plus forts que les lieux, la structure première qu’est le logement doit redevenir une priorité des politiques publiques, au même titre que l’enseignement.
Sur ce sujet, nous avons pu voir comment le numérique a renforcé les fractures à l’école. Lors de l’annonce de la fermeture des établissements d’enseignement, Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal ont promu la « continuité pédagogique ». Deux mois et demi plus tard, on ne peut que voir les failles d’une telle démarche.
En voulant simplement transposer l’enseignement de la classe à la maison par le biais de l’ordinateur, sans donner les outils nécessaires aux enseignants, l’éducation nationale n’a fait que creuser les inégalités entre les élèves : inégalités d’accès aux outils informatiques et à un débit convenable, inégalités de maîtrise des outils et du travail en autonomie, inégalités d’environnement de travail et d’accompagnement.
Le retour à l’école n’a pas profité aux jeunes en difficulté, alors que c’était l’objectif affiché. À ce titre, il est impératif que la rentrée de septembre serve à rattraper le retard et à raccrocher les 5 % à 8 % d’élèves totalement « perdus », soit entre 600 000 et 960 000 jeunes.
Le numérique, indispensable outil d’apprentissage à l’école lorsqu’il s’appuie sur un véritable encadrement pédagogique, ne pourra remplacer ni la présence dans les établissements scolaires ni l’apprentissage de la vie sociale et collective. Il serait dangereux d’utiliser cette crise pour déshumaniser le service public de l’enseignement.
Enfin, l’un des faits les plus marquants de cette crise est la généralisation du télétravail.
La violence de l’épidémie a entraîné une évolution immédiate des méthodes de travail pour des milliers de salariés, de travailleurs indépendants et de professionnels libéraux. Rappelons toutefois que nombreux sont celles et ceux qui ont continué, sans se protéger, à se rendre sur leur lieu de travail pour assurer, en particulier, la continuité du service public ou maintenir la chaîne alimentaire. Il faut les saluer une nouvelle fois.
Le télétravail a longtemps été plébiscité et souhaité par de nombreux travailleurs, quand leur métier pouvait s’y adapter, mais ils ont souvent et rapidement déchanté au vu des conditions imposées depuis le 16 mars. La permanence du télétravail, la nécessité de garder les enfants, l’impréparation en termes de formation et de matériel ont parfois transformé cet épisode de travail à la maison en un cauchemar.
Comme l’indiquait un expert dans un article récent, « les salariés parlent d’abandon, de solitude, de surcharge cognitive liée au trop grand nombre d’informations à traiter, de surcharge de travail, d’un sentiment d’être surveillé à l’excès par les managers, des difficultés à coopérer avec les collègues et de l’impossibilité de concilier vie privée et vie professionnelle ». D’ailleurs, de nombreux cas de détresse psychologique sont recensés.
Les salariés confrontés à des difficultés de transport et au stress de la vie urbaine aspirent à passer moins de temps au travail. Dans cet objectif, le télétravail doit être organisé dans le respect des droits et selon des plages horaires précises, avec des remparts contre le harcèlement numérique.
Mais ne faut-il pas se dégager de cette problématique en promouvant le partage du travail, comme en Nouvelle-Zélande tout récemment, et en développant la semaine de quatre jours et de trente-deux heures ? La véritable nécessité, pour l’humanité, est non pas de maintenir ou de renforcer le temps de travail sous des formes renouvelées, comme le télétravail, mais de le partager et de le réduire.
Pour conclure, s’il a permis de maintenir dans une mesure significative le fonctionnement de notre société, le numérique a aussi révélé des inégalités criantes. C’est sur ce point que je voulais insister dans mon propos. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Je voudrais tout d’abord remercier à mon tour le groupe Union Centriste d’avoir permis l’inscription de ce débat à notre ordre du jour.
Le 5 mars dernier, Margrethe Vestager, vice-présidente de la Commission européenne chargée du numérique, appelait à faire des choix clairs pour notre futur. La crise que nous traversons exacerbe la nécessité de penser la place du numérique dans la société non pas demain, mais dès aujourd’hui. Le numérique n’est pas entré dans nos vies en mars 2020, mais il est devenu incontournable dans plusieurs pans de notre société et de notre quotidien. Le Parlement doit s’emparer de ce sujet majeur, car, si les avancées sont notoires, les limites le sont tout autant, et une adaptation de notre système est primordiale.
Beaucoup d’enseignements, propres à chaque sujet, ont pu être tirés pendant la crise sanitaire.
Je parlerai d’abord de l’éducation, sujet qui me tient particulièrement à cœur.
Je souhaite saluer le travail impressionnant fourni par la majorité du corps professoral pour s’adapter, durant la crise et encore aujourd’hui, et réorganiser la vie scolaire. Ce travail, parfois bien compliqué, a permis à notre jeunesse d’avoir accès à l’enseignement à distance, et ce fut un succès dans beaucoup de cas.
Cependant, comme nombre d’entre nous, j’ai aussi noté des limites, et même des fractures profondes dans notre société. Cette période a révélé les inégalités existant dans notre pays. L’accès à un ordinateur, à une tablette ou à un smartphone ne va pas de soi, par exemple lorsque plusieurs enfants doivent suivre simultanément un enseignement à distance, lorsque parents et enfants ont besoin d’un accès au numérique ou, dans le pire des cas, lorsqu’aucun accès n’est possible.
Tous les enfants n’ont pas les mêmes besoins en matière d’éducation. Les parents ne peuvent pas encadrer les enfants comme le font les professeurs, dont c’est le métier. Tous les élèves ne disposent pas d’un espace suffisant pour se concentrer et suivre de manière assidue un enseignement en ligne.
Enfin, nous ne sommes pas égaux devant l’outil informatique, et cela vaut aussi pour les élèves et les professeurs. Ainsi, quelque 13 millions de Français rencontrent des difficultés pour utiliser l’outil numérique.
Les états généraux du numérique éducatif annoncés pour la rentrée permettront de réfléchir à une nouvelle flexibilité dans l’enseignement. Nous devons capitaliser sur le travail fourni durant cette crise.
Cependant, l’enseignement ne peut pas se faire uniquement à distance et via des supports numériques. L’humain doit rester au centre de la transmission. Les deux approches, loin d’être incompatibles, doivent être appréhendées comme complémentaires. L’enseignement à distance peut être très utile, par exemple pour les enfants malades, qui peuvent continuer de participer à la classe grâce au tableau blanc interactif, ce qui est extrêmement important.
Le second sujet que je voudrais aborder est celui du télétravail. Depuis le début de cette crise, pas un jour ne passe sans qu’il soit évoqué dans les médias.
Avec 7 % de télétravailleurs réguliers en 2019, selon les chiffres d’Eurostat publiés en mars 2020, la France est en retard. À titre d’exemple, la Finlande compte 14 % de télétravailleurs réguliers et la Bulgarie 0,5 %. Les causes de cette situation sont diverses.
Des différences sont également visibles au sein même de notre pays, entre territoires et secteurs d’activité. D’après les chiffres de l’Insee, 1,2 % des employés et 0,2 % des ouvriers pratiquaient le télétravail en France en 2017, contre plus de 11 % des cadres. De manière générale, les entreprises, grandes ou petites, étaient quelquefois réticentes à le mettre en place.
Depuis mars, notre regard sur le sujet a évolué et chacun a pris conscience des avantages que le télétravail pouvait apporter aux entreprises et aux salariés, si bien que, des grandes entreprises aux start-up, les adaptations ont été rapides et de nouvelles organisations sont apparues.
Les avantages du télétravail sont nombreux, d’abord pour l’environnement : d’après une étude de l’Ademe, la réduction des transports entre domicile et lieu de travail diminuerait de 30 % les impacts environnementaux de ces déplacements. Je préciserai que cette question doit être envisagée de manière globale et qu’il reste à connaître l’impact du numérique sur l’environnement – le Sénat s’est d’ailleurs saisi de cette question.
Dans les territoires, le télétravail profitera aux villes moyennes proches des grandes agglomérations. Quand on travaille deux jours par semaine à domicile, il devient intéressant de s’installer à une heure d’une métropole. Enfin, les entreprises y trouvent aussi leur intérêt, en réduisant les coûts grâce à une réorganisation des locaux.
Pour autant, beaucoup de questions se posent ; je n’en évoquerai que quelques-unes : l’isolement social de la personne en télétravail, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, le volet juridique du télétravail ou encore l’accès à internet. Toutes ces interrogations nous incitent à envisager un système hybride, donnant sa juste place au numérique.
Je voudrais rappeler qu’environ 20 % des Français n’ont pas accès à internet ou sont reliés à un réseau de mauvaise qualité. Il reste encore des citoyens vivant en zone blanche, même si des progrès sont à l’œuvre. Pour eux, pouvoir accéder au numérique est vraiment essentiel, son absence étant synonyme de difficultés et d’isolement.
Le numérique est donc bien crucial dans notre société. De nombreuses facettes positives ont été dévoilées. Il reste maintenant à mener une large réflexion, au regard tant de la place du numérique avant la crise que des expériences importantes vécues depuis le mois de mars. De nombreux chantiers étaient déjà engagés, notamment au niveau européen ; il s’agira de les approfondir, de les penser ensemble. L’expérience a enrichi notre réflexion.
Enfin, nous devrons aussi prendre en compte les dimensions de l’indépendance et de la sécurité, notamment en ce qui concerne la protection des données ; ce sera essentiel pour sortir de cette crise en instaurant une relation mature avec le numérique, qui doit encore trouver sa juste place dans notre société !
M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.
Mme Denise Saint-Pé. La période de confinement que nous venons de traverser a mis en évidence la place incontournable du numérique dans notre société. Ses usages n’ont cessé de se diversifier pour répondre aux différents besoins des Français : le recours au télétravail s’est massifié, la téléconsultation s’est répandue, l’enseignement à distance s’est généralisé. Autant de changements nécessaires, mais adoptés dans la précipitation du fait de la pandémie.
Alors que le déconfinement est bien engagé, il paraît approprié de dresser un premier bilan des évolutions radicales qu’ont connues les Français dans leur rapport au numérique durant ces derniers mois. Pour ma part, si je crois cette démarche essentielle, je crains toutefois qu’elle n’occulte la priorité en la matière, à savoir résorber la fracture numérique pour que tous les Français soient égaux devant ce qui devrait relever du service public.
Cette carence a généré un nouveau fléau, l’illectronisme. Malheureusement, ce phénomène n’est pas marginal, puisque, selon le Défenseur des droits, un quart de la population française n’a toujours pas accès à internet ou ne sait pas utiliser les outils numériques. De même, dans 75 % de nos communes de moins de 1 000 habitants, la couverture par le réseau n’est pas suffisante pour équiper 100 % des foyers. Ce n’est pas acceptable !
Le plan France Très haut débit vise à corriger partiellement cette situation, par la couverture de 80 % du territoire d’ici à 2022, mais la crise sanitaire va causer de nombreux retards, empêchant de tenir cet objectif. Dans ce contexte, je tiens à saluer l’ordonnance prise par le Gouvernement le 20 mai afin que les assemblées générales de copropriété puissent se tenir de manière dématérialisée, pour prendre des décisions telles que celle d’installer la fibre, dont le déploiement pourra ainsi se poursuivre dans les zones urbaines.
Quant aux territoires ruraux, des plans pour la couverture en très haut débit sont mis en œuvre dans de nombreux départements, avec des projets de déploiement de la fibre optique jusqu’à l’habitation. Pour des raisons économiques, la desserte par la fibre des zones rurales ne s’opèrera pas en souterrain, mais en aérien, en utilisant les lignes des réseaux préexistants.
Or on constate, sur certains territoires, le déploiement de la fibre sur les réseaux aériens téléphoniques d’Orange, des réseaux privés non entretenus et tombant en désuétude, ce qui induit à terme un risque de desserte de mauvaise qualité, souvent interrompue. Le bon sens voudrait pourtant que le recours aux réseaux électriques, propriété des collectivités territoriales, entretenus par Enedis et régulièrement rénovés par les syndicats d’énergie, soit privilégié, et que la convention ad hoc signée entre l’Association des maires de France, Enedis et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) soit appliquée. À mon sens, cela limiterait le retard du déploiement de la fibre dans le monde rural et permettrait à ce dernier de connaître les changements sociétaux suscités par le numérique.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a dit que le numérique serait un pilier de la relance économique, mais comment comptez-vous accompagner concrètement les différents acteurs de la filière, privés comme publics, de manière que tous les Français puissent avoir accès au numérique dans des conditions optimales ? (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – M. Yvon Collin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize.
M. Patrick Chaize. La crise sanitaire et le confinement ont constitué un test grandeur nature de l’état des réseaux numériques de notre pays. Quel bilan doit-on tirer de ce test ? La réponse n’est pas univoque.
Côté pile, les moyens de communication numérique se sont affirmés, pour la première fois à grande échelle, comme de formidables outils de résilience et de garantie de la continuité de pans essentiels de la vie de notre nation. Les réseaux ont tenu, alors qu’au début du confinement on pouvait légitimement craindre des engorgements, voire des saturations. Cela n’a pas été le cas, et nous pouvons nous en réjouir.
Côté face, la crise sanitaire a révélé les failles et les injustices de notre société numérique. Des millions de Français ont ainsi subi une double peine : en plus du confinement, beaucoup ont connu un isolement numérique intolérable, les coupant parfois de leur travail, de l’éducation, de la santé et de leurs proches.
La fracture est double. Certains sont déconnectés faute de compétences numériques ou de terminaux pour communiquer – on parle alors d’illectronisme –, d’autres n’ont pas accès à des réseaux fixes ou mobiles de qualité.
Ainsi, plusieurs milliers de zones blanches mobiles doivent encore être résorbées. Près de la moitié du territoire n’est pas couvert en très haut débit fixe. Pis encore, une connexion en « bon » haut débit, permettant de réaliser des recherches internet de base, est encore attendue par des milliers de nos concitoyens, alors que le Gouvernement a promis un accès à ce « bon » haut débit pour tous les Français d’ici à la fin de l’année.
Il revient aux pouvoirs publics de gagner la bataille de l’aménagement numérique du territoire, au travers des programmes France Très haut débit pour le fixe et New Deal pour le mobile. Le premier vise une couverture intégrale du territoire en très haut débit en fixe pour 2022 et en fibre optique pour 2025. Le second a notamment pour ambition de faire basculer l’ensemble des antennes mobiles existantes en 4G d’ici à la fin de l’année et de résorber des milliers de zones blanches d’ici à 2025, par le déploiement d’un dispositif de couverture ciblée.
Malheureusement, la crise sanitaire menace la tenue de ces objectifs. On peut certes se féliciter que certains chantiers aient pu se poursuivre pendant la période de confinement, quand d’autres secteurs étaient à l’arrêt – je voudrais, à cet instant, saluer les acteurs de la filière. Il est cependant probable que certaines échéances ne pourront pas être tenues. C’est ce qui ressort des auditions que j’ai menées pendant le confinement pour la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable avec mes collègues Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte.
Il faut tirer plusieurs leçons de ces constats.
Premier enseignement, la crise ne doit pas empêcher le régulateur – l’Arcep – d’exercer son pouvoir de contrôle et de sanction en cas de non-respect des objectifs assignés aux opérateurs, en adaptant, s’il le faut, les échéances au contexte. Une chose est certaine : il faudra étudier les demandes de report des échéances formulées par les opérateurs au cas par cas et ne pas accepter n’importe quel retard justifié par la crise, d’autant plus que des doutes avaient été émis, avant même le début du confinement, sur le respect de certaines échéances, tant pour le fixe que pour le mobile.
Deuxième enseignement, l’État doit absolument se donner les moyens de son ambition. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2020, le Sénat avait proposé de doter le plan France Très haut débit de 322 millions d’euros supplémentaires – ces crédits étaient nécessaires pour couvrir intégralement le territoire par la fibre –, ce qui avait été refusé par le Gouvernement. La crise sanitaire démontre pourtant par les faits l’incroyable effet de levier des réseaux numériques sur les activités économiques et la modestie d’un tel investissement au regard de ses effets positifs. Il est certain que l’épidémie du Covid-19 impliquera des surcoûts pour les programmes de déploiement. La rallonge de 322 millions d’euros votée par le Sénat en décembre dernier et rejetée par le Gouvernement ne serait donc peut-être plus suffisante… Nous attendons aujourd’hui un engagement fort du Gouvernement à faire du déploiement de la fibre un des axes prioritaires du plan de relance.
J’en viens à mon troisième et dernier point. Il semble évident que certains freins non financiers devront être levés pour soutenir le déploiement des réseaux dans les territoires. À cet égard, certaines simplifications ont déjà été apportées, notamment sur l’initiative du Sénat, dans le cadre de la loi ÉLAN (loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique), et grâce à votre engagement, monsieur le ministre. Je pense, par exemple, à l’amélioration de l’accessibilité des poteaux du réseau électrique afin de faciliter le déploiement de la fibre en aérien. Je suis convaincu que nous pouvons, sur certains sujets techniques, trouver de nouveaux leviers de simplification.
Nous devons aussi accélérer le déploiement de la base adresse nationale. Aujourd’hui, 30 % des foyers français ne sont pas couverts par la base adresse, ce qui occasionne des difficultés de raccordement à la fibre. Ce taux est encore plus fort dans les territoires ruraux. Nous devons remédier à cela, par exemple en donnant très clairement la compétence aux maires pour la dénomination des voies et l’adressage et en confiant à l’Agence nationale de la cohésion des territoires la responsabilité d’accompagner les collectivités territoriales dans l’élaboration de leur base adresse locale.
Les chantiers sont donc nombreux. Vous pourrez compter, monsieur le ministre, sur la contribution du Sénat pour les faire avancer. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Viviane Artigalas. La crise sans précédent que nous traversons a bouleversé nos usages et nos habitudes de vie. Ces deux mois de confinement, d’autant plus difficiles à vivre que la situation était inédite, ont été rendus en grande partie supportables grâce au numérique.
À la faveur de la crise, l’accès de tous au numérique est apparu comme un nouveau droit fondamental, celui de bénéficier, quel que soit le territoire, d’une connexion internet suffisamment opérationnelle pour pouvoir travailler, se soigner et accéder aux services publics dans de bonnes conditions.
Si le numérique a été un amortisseur social de la crise, les inégalités liées à son accessibilité se sont trouvées aggravées. Sur ce plan, tous les Français ne sont pas égaux. Le Défenseur des droits a d’ailleurs alerté récemment sur les risques de perte de droits ou de non-accès aux droits qu’emporte la méconnaissance de l’outil numérique.
La fracture numérique soulève la question centrale de l’inclusion des territoires et des usagers. J’ai déjà alerté le Gouvernement sur le sentiment d’abandon et d’insécurité ressenti par les habitants des territoires ruraux et montagnards. La crise a clairement illustré les inégalités territoriales en matière de numérique. Certains cumulent les handicaps en termes de réseau, de matériel, de capacités d’utilisation. Mon collègue Jean-Michel Houllegatte complètera mon propos, qui est centré sur l’inclusion numérique.
La fracture numérique peut, chez nos concitoyens, se manifester par un manque de maîtrise des usages et des outils du web, que ce soit à cause de l’âge, du niveau de formation, d’un handicap ou, tout simplement, de difficultés de lecture. Monsieur le ministre, vous avez ainsi évalué à 13 millions le nombre de Français qui ne savent pas se servir d’internet ; 20 % de la population a ainsi un accès limité ou inexistant aux procédures dématérialisées.
La crise a encore renforcé l’urgence de s’interroger sur la pertinence des politiques de dématérialisation engagées depuis le début du quinquennat. La dématérialisation généralisée des agences de service public – préfectures, trésoreries, agences Pôle emploi, agences de l’habitat… – plaçait déjà nombre de nos concitoyens dans une situation de grande fragilité technologique.
Si la dématérialisation peut permettre une simplification et un gain de temps, elle doit être accessible à tous, ce qui n’est pas le cas actuellement. En effet, elle s’est parfois faite dans l’urgence et de manière radicale, sans aucune préparation, sans formation ni accompagnement à l’usage des nouveaux outils, qui sont complexes. Cela limite l’accès aux aides de l’État pour certains de nos concitoyens, particulièrement les plus fragiles.
Ces difficultés concernent également les entreprises, notamment les plus petites d’entre elles – je pense par exemple à la dématérialisation des marchés publics.
Or ces difficultés d’accès aux services publics mettent à mal l’égalité républicaine, et la crise a considérablement accentué ce phénomène. C’est d’autant plus dommageable qu’internet est un outil de résilience qui peut nous aider à relancer l’économie et à améliorer le quotidien de nos concitoyens.
Si l’accès au numérique devient un droit fondamental pour tous les Français, il faut que l’État le garantisse au même titre que le droit à un logement digne ou la liberté d’expression. Cela passe par la reconnaissance d’un véritable service public de la médiation numérique et le déploiement de moyens massifs pour accompagner les publics les plus éloignés du numérique.
Nous formulons à ce titre plusieurs propositions, dont je ne citerai que les principales : conditionner l’objectif de 100 % des services publics dématérialisés en 2022 à la couverture numérique complète du territoire et à l’inclusion numérique ; coconstruire les plateformes numériques avec les usagers ; faire en sorte que l’inclusion numérique passe nécessairement par l’échelon local, en créant un maillage de médiation numérique qui s’appuiera sur les communes ; mettre en place un accompagnement personnalisé d’ultraproximité qui permette d’aller vers les exclus du numérique ; équiper chaque foyer d’un matériel informatique performant d’ici à 2022 et optimiser le recyclage des équipements informatiques obsolètes ; enfin, pour servir ces quelques objectifs, redéployer le fonds pour la société numérique de la Caisse des dépôts et consignations, qui représente tout de même 4,5 milliards d’euros.
Le numérique a un rôle capital à jouer pour contribuer à forger une société plus égalitaire, sobre et durable. La sortie de crise ne pourra faire l’économie d’une nouvelle stratégie en matière numérique, et nous savons tous à quel point nous n’avons pas le droit de manquer ce tournant, sauf à prendre le risque que nos droits fondamentaux, nos libertés publiques et notre équilibre économique et social payent un lourd tribut. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Marie Mizzon. L’usage du numérique est devenu vital pour notre économie et notre société : chacun en convient, singulièrement en ces temps de crise sanitaire.
Or la fracture numérique que nous connaissons n’est pas seulement technologique et liée à l’insuffisante couverture du territoire en haut débit ; elle est également culturelle. Rechercher des informations, accéder à ses comptes en ligne, consommer, communiquer mobilise désormais des ressources nouvelles et la maîtrise des outils et langages numériques.
Dès lors, la formation au numérique n’est pas une option, et la lutte contre l’illectronisme doit devenir une grande cause nationale. C’est le constat que la mission d’information sur l’illectronisme, que j’ai l’honneur de présider, a dressé dès le début de ses travaux, en tirant les leçons de cette terrible épidémie qui a désorganisé nos vies et anesthésié notre économie.
Il y a urgence à lutter contre la fracture numérique. L’administration se dématérialise à très grande vitesse. Il y a vingt ans, 4 500 contribuables seulement déclaraient leurs revenus en ligne, contre plus de 20 millions de foyers en 2017.
L’État, toujours à la recherche d’économies, a massivement réduit les points de contact physiques avec l’administration et basculé nombre de procédures vers le numérique. Trop vite, trop fortement, a d’ailleurs estimé le Défenseur des droits, que nous avons entendu lundi et qui avait alerté, dès avril 2018, sur les conséquences d’une dématérialisation trop rapide des services publics. Une minorité significative de la population française ne maîtrisant pas le numérique risque de voir ses droits reculer.
Pour prévenir une telle situation et réussir l’inclusion numérique, tout doit être fait pour embarquer le plus grand nombre.
Il faut d’abord des financements à la hauteur des enjeux, et donc importants. À côté des 20 milliards d’euros du plan France Très haut débit, les financements publics alloués à la résorption de l’illectronisme de 13 millions de Français éloignés du numérique sont-ils à la hauteur ?
Il faut ensuite une mobilisation de tous les acteurs, soutenue par une volonté politique forte, évitant une dispersion et concentrant les énergies. L’inclusion numérique est l’affaire de tous. Dans ce domaine, l’État intervient, comme souvent, de manière sans doute trop dispersée ; la mission d’information devra d’ailleurs se pencher sur ce problème. Les rôles respectifs des opérateurs des réseaux de communication, des associations et, plus encore, des collectivités territoriales, notamment des intercommunalités, agissant chacun dans son champ de compétences, devront être fortement coordonnés. Une coconstruction de stratégies locales est souhaitable pour lutter efficacement contre l’illectronisme.
L’école doit apprendre aux élèves à comprendre la Toile dès le collège. Elle doit construire l’égalité des savoirs numériques, notamment au regard des genres, alors que le numérique exprime trop souvent une suprématie masculine.
Il faut enfin que l’illectronisme soit pris en considération dans toutes les politiques publiques de manière transversale. Pour éduquer nos concitoyens au numérique, l’école doit approfondir les apprentissages des usages du numérique. Pour les salariés, la formation professionnelle devra intégrer cette dimension. Pour mettre en œuvre leurs actions, les administrations doivent prendre en compte la non-maîtrise du numérique.
Déployer des infrastructures, dématérialiser les procédures, enrichir sans cesse les plateformes de e-commerce de nouveaux produits et services : ce monde d’après que nous préparons doit tenir compte de l’illectronisme. Ayons l’ambition collective d’éradiquer celui-ci, afin de ne pas laisser un trop grand nombre de nos concitoyens hors connexion, et donc hors du pacte national et républicain ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. La crise sanitaire a eu un impact majeur et soudain sur la place du numérique dans la vie quotidienne de nos concitoyens et de nos entreprises.
À cet égard, j’admire la réactivité des entreprises, qui, quelle que soit leur taille, se sont adaptées au choc du confinement et à l’arrêt brutal d’activité. Nous avons tous des exemples, dans nos territoires, d’initiatives prises dans les entreprises pour trouver des solutions ingénieuses, adapter leur production, la commercialisation, leurs modes de travail et de management. Production de matériels sanitaires, vente par internet, drive, click and collect, télétravail, visioconférences : la créativité et l’agilité des Français ont trouvé à s’exprimer.
Le Sénat se bat depuis longtemps pour l’accès à la fibre pour tous, et la délégation aux entreprises du Sénat travaille depuis près de dix-huit mois sur la question cruciale de la numérisation des entreprises, en particulier des PME et TPE.
Au travers du rapport de notre collègue Pascale Gruny intitulé « Accompagnement de la transition numérique des PME : comment la France peut-elle rattraper son retard ? », adopté en juillet 2019, la délégation aux entreprises du Sénat a montré que, malgré le succès de ses start-up, la France se caractérise par le retard pris par les TPE et PME pour opérer leur transformation numérique : le classement européen DESI place la France au quinzième rang en 2019. Or la crise amplifie le coût de ce retard dans la numérisation.et l’usage de la fibre par les entreprises. Il est donc impératif d’accompagner celles-ci pour combler ce handicap, tant le numérique joue un rôle crucial pour la reprise et la croissance.
À ce titre, je rappellerai quelques-unes des quatorze propositions de notre rapport qui pourraient être utilement mises en œuvre dans le contexte actuel : créer un crédit d’impôt à la formation et à l’équipement numérique pour les artisans et les commerçants de détail ; pérenniser le dispositif de suramortissement pour les investissements de robotisation et de transformation numérique des PME-TPE et permettre l’inscription à l’actif du bilan de l’ensemble des investissements matériels ou immatériels concernés ; donner à l’Arcep les moyens d’agir avec réactivité pour contrôler le respect des engagements pris par les opérateurs de télécommunications et prendre éventuellement des sanctions ; renforcer l’efficacité de l’Autorité de la concurrence en transposant dans les meilleurs délais la directive ECN+ du 11 décembre 2018.
Cependant, nous avons souhaité aller plus loin. C’est pourquoi j’ai proposé à notre collègue Patrick Chaize, président du groupe numérique du Sénat, de mener des travaux conjoints dès l’automne 2019. Ils ont donné lieu à un rapport d’information, adopté en décembre dernier, dont le titre est révélateur : « Accès des PME à la fibre : non-assistance à concurrence en danger ? ».
En effet, au-delà des services de télécommunications, les services numériques et les innovations associées doivent demeurer compétitifs. Pour cela, deux éléments sont essentiels : l’accès au très haut débit et l’accompagnement de l’écosystème numérique. Dans cette perspective, les opérateurs doivent avoir accès au réseau FTTH, afin de pouvoir offrir des conditions économiquement viables pour les PME-TPE en développant une concurrence effective et loyale sur le marché de gros des télécommunications d’entreprise. Or, malgré la volonté des pouvoirs publics, les résultats ne sont pas à la hauteur.
Nous déplorons aussi que les PME soient les victimes de défaillances en matière de complétude.
Ce retard provient largement d’un manque de dynamisme de l’écosystème des services numériques aux entreprises, dû notamment aux restrictions dans le dégroupage des infrastructures fibre pour le marché des télécommunications d’entreprise par rapport au marché résidentiel. La concurrence par ce dégroupage existe en effet seulement dans les zones « réseau d’initiative publique » (RIP), où les entreprises bénéficient d’un meilleur niveau de services, à des conditions tarifaires favorables. Dans les autres parties du territoire, la régulation de la concurrence sur le marché des télécommunications d’entreprise doit être améliorée afin de favoriser une réelle concurrence sur le marché de la fibre à destination des TPE et PME. Ainsi, nous défendons l’« intérêt général numérique », sujet sur lequel nous alertons le Gouvernement depuis près d’un an.
C’est pourquoi nous déposerons dans quelques jours, avec Patrick Chaize, une proposition de loi en ce sens. Elle visera à renforcer la concertation entre les deux autorités de régulation et à conforter la finalisation de l’ouverture à la concurrence du marché des télécommunications d’entreprise par la régulation.
Ce sujet technique recouvre des enjeux stratégiques majeurs pour l’adaptation de nos PME aux défis d’aujourd’hui. Nous n’avons plus d’autre choix que d’agir vite pour soutenir nos entreprises et leurs salariés, où qu’ils soient. Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour soutenir notre démarche. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Michel Houllegatte. À la faveur de la crise, le numérique s’est affirmé comme un formidable outil de continuité de la vie de notre pays, un facteur de résilience de notre société, un bien essentiel, un nouveau droit, un service de base, au même titre que l’eau et l’électricité. Aussi devons-nous saisir l’occasion de la transcription en droit français de la directive européenne concernant le service numérique universel pour engager un débat au Parlement, afin de définir les contours et les modalités de ce service.
Les réseaux ont tenu face à l’accroissement significatif des usages : le trafic internet a en effet augmenté de 20 % à 30 % et le trafic voix a été multiplié par deux ! Mais la crise a mis aussi en relief les fragilités liées aux fractures numériques, qu’elles soient territoriales ou sociales, comme l’a souligné avant moi Viviane Artigalas. Les naufragés du Net, dont on estime le nombre à 13 millions, ont, pour certains, bénéficié de quelques bouées de sauvetage, dont la distribution à titre caritatif n’a pas manqué d’être médiatisée… Ce n’était pas à la hauteur de l’enjeu, à savoir rétablir une égalité de droits.
De même, le télétravail a créé une nouvelle barrière sociale entre ceux qui avaient la possibilité d’y recourir et les autres, entre les protégés et les exposés.
Concernant la fracture territoriale, nous devons poursuivre et accélérer le déploiement des réseaux, dont le rythme s’est ralenti. Certes, les opérateurs, hormis la fermeture des boutiques commercialisant produits et services, ont été peu impactés, à l’inverse des entreprises de BTP ou de maintenance, qu’il faut continuer à soutenir, sauf à perdre les compétences durement acquises ces derniers temps, qui ont permis à la filière de livrer 4 millions de prises en 2019. Les réseaux d’initiative publique, qui démontrent chaque jour que les infrastructures sont un bien commun, doivent être soutenus par le biais du guichet numérique afin de boucler les plans de financement.
Dans le même ordre d’idées, les leçons de l’expérimentation menée pour fluidifier les procédures administratives doivent être tirées en ce qui concerne les permissions de voirie, l’accès aux colonnes montantes des copropriétés ou les appuis communs sur les réseaux électriques. Enfin, concernant la téléphonie mobile, les engagements du New Deal doivent être tenus.
Mais cette crise a aussi mis en relief la vulnérabilité du Net et, sans doute, la nécessité de nouvelles régulations.
La ruée vers le numérique a fait que les noms d’applications comme Webinaire, Zoom ou BlueJeans sont passés dans le langage commun. Dans la précipitation, nous avons produit de la donnée, entrouvert les portes de nos systèmes d’information, alors que la cybercriminalité individuelle ou organisée, y compris étatique, n’a cessé de progresser.
Nous devons, au plan national, renforcer notre action pour la production de services numériques sécurisés en gérant les données comme une ressource précieuse, constituant le carburant qui alimente la nouvelle économie numérique, et ne pas laisser aux Gafam la possibilité d’accroître leurs monopoles.
La régulation doit concerner également les flux, pour éviter les embouteillages sur les nouvelles autoroutes de l’information. D’ailleurs, les opérateurs ont appelé les consommateurs à faire preuve de « civisme numérique ». Même si les principaux acteurs, comme Netflix, ont réduit de 25 % l’intensité de trafic et si YouTube a paramétré ses vidéos, par défaut, sur une qualité d’image standard, voire dégradée, la crise met en évidence le poids considérable pris par le streaming vidéo dans les usages numériques : il représente environ 50 % du trafic internet en France ! Elle met aussi en lumière notre dépendance aux grands acteurs du streaming, presque tous américains, et nous incite à revisiter, certes avec précaution, le principe de neutralité du web pour canaliser les flux liés à ces usages vidéo.
Enfin, n’oublions pas que le numérique a une empreinte environnementale, même si ses externalités sont largement positives. Les flux de données à stocker, les terminaux, dont la fabrication consomme des matières premières, ont un impact grandissant sur l’environnement.
Monsieur le ministre, cette crise démontre la nécessité de construire une stratégie numérique républicaine englobant les infrastructures, les services et les usages, pour un numérique durable au service de tous nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (M. Patrick Chaize applaudit.)
M. Guillaume Chevrollier. Référent, aux côtés de Patrick Chaize et de Jean-Michel Houllegatte, de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable sur les questions d’aménagement numérique du territoire en cette période de crise sanitaire, je m’associe aux propos tenus par mes collègues concernant les inégalités territoriales en matière d’accès au numérique.
La crise confirme malheureusement la pertinence des positions défendues par notre commission et notre assemblée depuis tant d’années. « Malheureusement », car on ne peut pas se réjouir d’avoir raison, alors que confinement a rimé avec isolement pour des millions de Français éloignés du travail, de l’éducation, de la santé, faute d’un accès satisfaisant aux infrastructures numériques. J’appelle donc le Gouvernement à prendre acte de ces constats et à placer l’aménagement numérique du territoire en bonne position dans les priorités pour la relance à venir.
Je m’exprime également en tant que corapporteur de la mission d’information relative à l’empreinte environnementale du numérique, lancée par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable en janvier dernier. Je rappelle que le numérique représente environ 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Ce chiffre pourrait doubler d’ici à 2025. La croissance de l’empreinte environnementale du numérique est extrêmement inquiétante : inquiétante pour notre capacité à respecter les objectifs de l’accord de Paris, inquiétante pour le maintien du caractère d’outil de résilience du numérique dans la perspective des crises futures. Je considère que le numérique ne continuera à être un facteur de continuité des activités essentielles de notre nation qu’à condition d’être plus sobre.
Cela devra être une exigence de la relance. Il ne fait pas de doute que, dans nos territoires, les projets « smart », comme les projets de ville intelligente, vont se développer. Ces projets visent parfois à réduire la consommation énergétique des bâtiments et à diminuer la pollution urbaine en fluidifiant le trafic. Il convient de systématiser les évaluations environnementales préalables à ces opérations de numérisation, en intégrant notamment une analyse du cycle de vie des équipements numériques installés. Pour cela, il faut donner aux acteurs les moyens de quantifier les impacts environnementaux associés à certains usages et à certains équipements. Notre mission d’information préconisera de mettre à disposition du public une base de données afin de permettre aux entreprises et aux administrations d’évaluer les incidences environnementales de leurs programmes de numérisation.
L’information environnementale doit également être disponible pour les consommateurs. À titre d’exemple, nous avons parfois observé, pendant le confinement, un report de la connexion à l’internet vers les réseaux mobiles, pourtant beaucoup plus énergivores et fragiles que les réseaux fixes. Dans certains cas, les réseaux mobiles sont trop largement sollicités via les smartphones, malgré la disponibilité des réseaux fixes. Il existe donc des pratiques non optimales, qui menacent la résilience des réseaux et dégradent le bilan environnemental du numérique. Nous sommes convaincus qu’une meilleure information du consommateur sur l’impact environnemental de sa connexion mobile est nécessaire. Dans certaines zones, en revanche, le report vers les réseaux mobiles démontre l’insuffisant déploiement de la fibre : on se connecte via son smartphone à la 3G ou à la 4G faute de mieux. Atteindre les objectifs du plan France Très haut débit, visant à une généralisation de la fibre dans notre pays, relève donc autant d’une nécessité au regard de l’aménagement numérique du territoire que de la mise en œuvre d’un levier pour réduire l’empreinte environnementale du numérique.
Enfin, je tiens à rappeler qu’un numérique plus sobre, c’est également un numérique plus accessible. À titre d’exemple, une page internet lourde est d’autant plus longue à charger que la qualité de la connexion est limitée : de nombreux concitoyens en ont fait l’expérience pendant le confinement. Nous devons donc aujourd’hui tendre vers une plus grande sobriété des services numériques. Plusieurs pistes sont d’ores et déjà étudiées par la mission d’information. Ainsi, le lancement automatique de vidéos, qui ralentit considérablement le chargement de certaines pages, pourrait être interdit, ou du moins encadré. L’écoconception des sites des administrations ou des grandes entreprises pourrait être rendue obligatoire, un pouvoir de sanction étant confié à l’Arcep.
Voilà quelques premières pistes que notre mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique a explorées. Nous ne manquerons pas, monsieur le ministre, de vous détailler dans les semaines et les mois à venir les résultats de nos travaux. Une chose est certaine : nous avons aujourd’hui l’occasion de bâtir une société numérique plus inclusive, plus durable et plus résiliente face aux crises. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord m’associer aux nombreux remerciements qui ont été adressés au groupe Union Centriste, et plus particulièrement à vous, madame Loisier, pour avoir inscrit à l’ordre du jour ce débat sur une question ô combien importante.
Je vous prie d’excuser Cédric O, retenu à l’Assemblée nationale par le débat sur StopCovid, qui se tiendra ce soir dans votre hémicycle.
Je souhaiterais vous faire part d’un certain nombre de convictions.
Ma première conviction, exprimée par beaucoup d’entre vous, c’est que pouvoir accéder au numérique, à internet, à la téléphonie mobile, est aujourd’hui non pas un luxe, mais un droit. Ce n’est pas un luxe, parce que c’est une nécessité, et c’est un droit, parce que l’égalité est l’un des principes fondamentaux de notre République. Or l’égalité n’est pas assurée lorsque l’on ne bénéficie pas du même accès au numérique et à la téléphonie mobile selon le territoire où l’on vit.
Ma deuxième conviction, c’est qu’on a eu trop tendance à présenter le numérique comme le remède miracle à beaucoup de maux, notamment en matière d’aménagement du territoire. On a trop souvent dit à certains de nos concitoyens : « Ne vous inquiétez pas, si cet aménagement n’est pas réalisé, c’est parce que le numérique arrive. » En fait, année après année, on constatait des suppressions de services, mais le numérique n’arrivait pas dans tous les territoires… Il est donc extrêmement important de souligner que, bien loin de combler les inégalités territoriales, le numérique les a plutôt accentuées pendant nombre d’années. Cela rend d’autant plus impérieuse la nécessité de couvrir le territoire de manière massive, tout en accompagnant les usages.
Voilà trois ans, quand j’ai pris mes fonctions, au cours d’un tel débat, nous ne parlions que des infrastructures, très peu des usages. Aujourd’hui, on parle beaucoup plus des usages, ce qui veut dire que le débat a évolué, parce que, précisément, beaucoup de choses ont été faites en matière d’infrastructures, et pas uniquement par le Gouvernement : je n’oublie jamais que le donneur d’ordres, in fine, en matière de déploiement du numérique ou de téléphonie mobile, c’est la collectivité territoriale. En fait, ma troisième conviction est que c’est l’action d’une équipe du numérique réunissant les collectivités territoriales, les opérateurs et l’État, intervenant en appui, qui a permis que l’on parle désormais beaucoup plus des usages, les infrastructures se déployant de manière beaucoup plus rapide qu’il y a trois ans.
Comme l’ont souligné les sénateurs Chaize et Houllegatte, le premier constat est que les réseaux ont tenu pendant toute la période du confinement. Nous pouvons être fiers de nos opérateurs du numérique. Je salue l’action du secrétaire d’État au numérique et de ses équipes, qui se sont fortement mobilisés.
Mmes Loisier, Assassi et Saint-Pé, MM. Collin, Chaize, Houllegatte et Chevrollier m’ont interrogé sur la progression du déploiement des infrastructures.
Nous avons d’abord opéré un changement de paradigme en janvier 2018, avec ce que l’on a appelé le New Deal. En fait, on se plaignait depuis des années d’un système coconstruit en premier lieu par l’État, qui organisait tous les deux ans des enchères et demandait beaucoup d’argent aux opérateurs. Ces derniers, pour rentabiliser leurs investissements, s’attachaient à couvrir prioritairement les zones denses. Nous avons donc changé les choses avec le New Deal : désormais, on demande moins d’argent aux opérateurs, mais on leur impose des obligations en termes de développement des infrastructures dans les territoires.
Fin 2019 a été lancée la couverture de 1 361 zones blanches. Dans les tout prochains jours, je publierai un décret pour en ajouter 481 nouvelles. Cela fera près de 1 800 zones blanches en voie de couverture, avec obligation de mise en service. Lors du précédent quinquennat – je suis bien placé pour le savoir, puisque j’y travaillais au côté d’Emmanuel Macron –, le programme « mobile » avait identifié 600 zones blanches, dont bon nombre, in fine, n’avaient pas été couvertes, faute d’obligation de résultat. L’un des éléments fondamentaux du New Deal est qu’il y a une obligation de résultat, avec un pouvoir de sanction dévolu à l’Arcep.
Plusieurs d’entre vous l’ont dit, en 2019 ont été installées 4,8 millions de prises raccordables, soit deux fois plus qu’en 2017. Là aussi, c’est grâce à la grande équipe du numérique constituée des collectivités territoriales, donneurs d’ordres et premiers financeurs, des opérateurs et de l’État, qui accompagne.
Les opérateurs ont été touchés par la crise. Que fait-on pour retrouver le niveau d’avant celle-ci ?
Tout d’abord, nous poursuivons le soutien au titre du FSN, le fonds de solidarité numérique. Nous disposons aujourd’hui d’une enveloppe de 280 millions d’euros. Un cahier des charges a été présenté en février 2020. Le retour des collectivités territoriales est attendu jusqu’au 15 septembre.
Ensuite, nous allons permettre le versement d’acomptes au titre du FSN, pour faire en sorte que les choses aillent plus vite.
Par ailleurs, nous serons très attentifs au respect par les opérateurs des engagements calendaires, sauf s’il est justifié d’en décaler certains. Cependant, nous continuerons à « mettre une bonne pression dans le tube », pour reprendre une expression que j’ai employée hier devant votre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Enfin, nous avons annoncé la création d’un guichet « cohésion des territoires », aux fins de donner un coup de pouce de 150 euros à ceux de nos concitoyens qui ont besoin d’une technologie autre que filaire. Le dispositif n’étant pas utilisé à plein, nous allons élargir les critères d’éligibilité pour pouvoir accompagner plus de personnes.
Nous avons beaucoup travaillé avec Enedis, madame Loisier, pour faire en sorte que, lorsque des difficultés apparaissent ici ou là, on puisse adresser directement les bons messages au bon endroit. Une plateforme recensant les incidents a ainsi été créée : plus de deux cents signalements de difficultés de raccordement électrique ou autres ont été faits.
Concernant la méthode, nous avons mis en place une sorte de comité de pilotage depuis maintenant deux ans. Je l’ai réuni en début de semaine avec Agnès Pannier-Runacher et Jacqueline Gourault. Y sont représentés toutes les associations d’élus, y compris celles d’élus de montagne, madame la sénatrice Artigalas, les opérateurs et, bien évidemment, l’État. Ce comité de pilotage permet un suivi très précis.
Nous allons continuer à travailler sur la base adresse nationale avec vous, monsieur le sénateur Chaize, en lien avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires, l’ANCT.
En définitive, les deux objectifs d’un « bon » débit pour tous en 2020 et du très haut débit pour tous en 2022 doivent être tenus ; décaler ces échéances n’est pas du tout à l’ordre du jour.
Mme Artigalas, MM. Collin et Mizzon ont fait observer que beaucoup de nouveaux usages du numérique sont apparus pendant la crise que nous avons traversée.
Je pense par exemple au maintien du lien social et éducatif. En tant que père de quatre enfants, j’ai pu mesurer tout l’intérêt des cours à distance, de la « Nation apprenante », mais, parallèlement, en tant que ministre de la ville, je me suis aussi rendu compte que c’était terriblement inégalitaire. Ainsi, le taux de décrochage des élèves était très élevé dans un certain nombre de quartiers prioritaires de la politique de la ville. J’ai rencontré à Trappes, voilà quelques jours, des mères de famille qui m’ont expliqué toutes les difficultés qu’elles avaient rencontrées, pendant la période de confinement, pour assurer la continuité éducative. Nous avons donc mis en place un fonds de 10 millions d’euros pour acheter du matériel informatique et rendre possible cette continuité éducative sur un certain nombre de territoires ; il est déjà plus qu’à moitié consommé un mois après sa création.
Cet exemple montre très bien en quoi le numérique peut à la fois jouer un rôle très positif et contribuer à creuser les inégalités.
Un deuxième usage du numérique qui s’est développé à l’occasion de la crise, c’est la télémédecine : le nombre de consultations selon cette modalité est passé de 10 000 avant la période de confinement à 500 000 fin mars, puis à un million début avril, soit une multiplication par 100.
Pour les responsables politiques que nous sommes, c’est un élément qui doit absolument être pris en compte. Comment aller plus loin ? Le Gouvernement avait déjà commencé à travailler sur ce sujet, notamment en permettant un certain nombre de remboursements au titre de la télémédecine. Puisque vous aurez tout à l’heure un débat sur l’application StopCovid, je n’en parlerai pas ici.
On a également constaté des usages de solidarité, avec un développement incroyable du recours aux réseaux pour maintenir le lien social. Je me bornerai à citer l’exemple des plateformes mettant en relation les associations recherchant des bénévoles et les personnes souhaitant s’engager. Le numérique peut permettre à la solidarité de s’organiser. C’est un point très important à souligner.
J’en viens à la question de la formation. Beaucoup d’entre vous l’ont dit, dans notre pays, 13 millions de personnes déclarent aujourd’hui être en situation d’illectronisme. Ce sont autant de personnes qui voient le TGV passer en bas de chez eux sans pouvoir y monter ! C’est l’autre grand facteur de creusement des inégalités. Pour y remédier, le Gouvernement a déployé un certain nombre de dispositifs, en lien avec les collectivités territoriales. Je pense évidemment au pass numérique, à la structuration de lieux de médiation et de formation, ainsi qu’aux plus de 1 800 tiers lieux en voie de déploiement sur notre territoire, autant dans les zones urbaines qu’en milieu rural. Je remercie le sénateur Collin d’avoir mentionné ce dispositif, pour lequel le Gouvernement a lancé un grand plan de développement, que nous avons annoncé, avec Jacqueline Gourault, quelques semaines avant le début du confinement : il s’agit de créer 300 nouveaux tiers lieux, dont 150 dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, le numérique étant un vecteur d’excellence pour ces territoires.
J’évoquerai enfin la plateforme Solidarité numérique, créée sur l’initiative du secrétaire d’État Cédric O, qui a été beaucoup utilisée pendant la période de confinement.
Je prends bonne note des propositions formulées à la fois par Mme Artigalas et M. Mizzon, qui en appellent à une volonté politique d’aller encore plus loin en matière d’usages du numérique pour la formation. C’est aussi l’objet de la proposition de loi évoquée par Mme la sénatrice Lamure.
Sur le plan économique, la priorité a été de soutenir des acteurs du numérique. Je pense au plan de soutien aux start-up de 3 milliards d’euros qui a été mis en place immédiatement pour aider ces futurs fleurons de l’économie française.
Au-delà de ce plan, au-delà des préfinancements, au-delà de l’utilisation du programme d’investissements d’avenir (PIA), il y a tout ce que nous faisons depuis maintenant trois ans en faveur du développement de cette économie. Je ne citerai qu’un exemple à cet égard : la création du Next40.
Enfin, à propos du télétravail, beaucoup de bonnes questions ont été posées, auxquelles je n’apporterai aucune réponse certaine.
Le constat qui a été rappelé par l’un d’entre vous est très juste : avant la crise, le recours au télétravail était en France moitié moindre que la moyenne européenne. Le télétravail a bouleversé l’ensemble de notre société pendant la période de confinement. Cela va-t-il conduire à beaucoup de changements durables ? En tout cas, ce qui est sûr, c’est que le regard de beaucoup d’entre nous sur le télétravail a évolué.
Le gouvernement auquel j’appartiens croit beaucoup au télétravail. D’ailleurs, les ordonnances prises par Mme la ministre du travail le favorisent grandement, puisqu’elles permettent à des salariés de demander sa mise en place à leurs employeurs.
Cependant, certaines questions très justes ont été soulevées au cours de ce débat, comme celle du lien entre télétravail et inégalités sociales. Il ne faudrait pas qu’il y ait, d’un côté, une France de cols blancs pouvant accéder au télétravail, et, de l’autre, une France de cols bleus privés de cette possibilité, comme cela a parfois pu être observé pendant la crise sanitaire. L’isolement social est un autre vrai sujet, qu’il nous faut aussi aborder.
À ces questions, nous n’avons pas de réponses préconçues. Cela doit nous amener à travailler pour appréhender les conséquences de l’ampleur nouvelle prise par le télétravail à la suite de la crise que nous avons traversée. Comme l’a rappelé Mme Assassi, le télétravail produit des effets sur d’autres considérants. Ainsi, on observe que, depuis la sortie du confinement, beaucoup de demandes de nos concitoyens en matière de logement ont changé. Le logement devient un nouveau lieu d’usage du numérique : il est très important de le prendre en compte.
Enfin, plusieurs d’entre vous, en particulier Mme Loisier et M. Houllegatte, ont évoqué la question de la régulation des plateformes numériques, notamment à l’échelle européenne. Après plusieurs années de discussions, la Commission européenne a adopté, à l’été 2019, un règlement, dit « Platform to business », qui entrera automatiquement en vigueur dès le 12 juillet 2020 et contribuera à renforcer la protection des consommateurs sur les grandes plateformes numériques. Un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne, qui doit être présenté prochainement au Parlement, permettra d’adapter notre droit aux nouvelles dispositions qui s’appliqueront dans le cadre de ce règlement européen, au travers notamment d’un renforcement des pouvoirs de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
En conclusion, je tiens d’abord à vous remercier une nouvelle fois, madame Loisier, ainsi que l’ensemble des membres de votre groupe, d’avoir pris l’initiative de ce débat. On ne doit jamais oublier que c’est toujours l’humain qui doit être placé au centre du numérique. C’est selon moi essentiel. Contrairement à ce que l’on a beaucoup dit jusqu’à présent, le numérique a trop souvent constitué un facteur de creusement des inégalités. C’est pourquoi nous devons complètement inverser la donne : avec le New Deal, nous avons changé de paradigme. Le numérique doit bien évidemment être un élément essentiel d’une relance économique qui soit à la fois inclusive, durable et résiliente, pour reprendre les mots de M. le sénateur Chevrollier. (Applaudissements sur des travées des groupes LaREM et RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La crise du Covid-19 : révélateur de la dimension cruciale du numérique dans notre société. Quels enseignements et quelles actions ? »
6
La crise du Covid-19 : relocalisation des productions stratégiques pour assurer notre souveraineté. Lesquelles, où, comment ?
Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Union Centriste, sur le thème : « La crise du Covid-19 : relocalisation des productions stratégiques pour assurer notre souveraineté. Lesquelles, où, comment ? »
La parole est à M. Jean-François Longeot, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-François Longeot, pour le groupe Union Centriste. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Union Centriste est ravi que ce débat sur la relocalisation des productions stratégiques puisse se tenir. Un tel débat ne peut, bien entendu, laisser de côté la crise actuelle, mais nous voulons le rendre plus aigu, en interrogeant la mondialisation telle que nous la connaissons et telle que nous la souhaitons.
En tant qu’Européens convaincus, nous avons la chance de pouvoir influer sur le cours de cette mondialisation, même si beaucoup en doutent, au premier rang desquels les Européens eux-mêmes. Le virus qui sévit aujourd’hui nous a démontré notre dépendance envers la Chine et a mis en lumière que la mondialisation actuelle, synonyme d’interdépendances sans solidarités, se caractérise en réalité par des chaînes de production mondiales fonctionnant en flux tendu : les vulnérabilités de notre approvisionnement apparaissent au grand jour en situation de crise.
Voici donc la question légitime qui se pose : comment faire en sorte que la France et, plus largement, l’Union européenne s’assurent une indépendance stratégique, notamment en matière sanitaire ?
Dans un premier temps, il nous faut comprendre les ressorts de la localisation des entreprises. À ce titre, croire que la mondialisation se limite à la suppression des droits de douane serait un leurre, tout comme vouloir expliquer les délocalisations par les seuls avantages comparatifs des différents territoires au sens de Ricardo. En réalité, les délocalisations nous ont permis d’accéder à des marchés émergents à croissance rapide tout en faisant baisser nos coûts. À titre d’exemple, seuls 4 % des investissements directs français à l’étranger correspondent à des délocalisations motivées par des différences de coûts salariaux et impliquant la réimportation des produits finaux.
Néanmoins, le mouvement de délocalisation conduit à des spécialisations régionales qui font émerger un modèle économique opposant les activités de conception, dans les pays du Nord, à celles de production, dans les pays du Sud. La crise actuelle a démontré qu’une telle situation n’était pas viable du point de vue stratégique : toute activité de production ne peut et ne doit pas être abandonnée. C’est pourquoi notre groupe appelle de ses vœux un taux minimum de production sur le territoire européen, notamment pour les laboratoires pharmaceutiques, ainsi que la constitution systématique de stocks.
Dans certains cas, la délocalisation est réversible : on parle alors de relocalisation. Les relocalisations ont connu quatre vagues depuis la fin des années 1970 ; elles étaient justifiées par des problèmes de qualité des produits, des augmentations des coûts de personnel ou encore des coûts de coordination et de suivi. Souhaitons-nous, dès lors, envisager une nouvelle vague de relocalisations ? Si le constat semble unanime, quels en seraient alors les ressorts ?
De fait, la plupart des entreprises qui ont décidé de relocaliser leur production l’ont fait indépendamment des aides publiques. Ainsi, sur la centaine de relocalisations relevées en France depuis le milieu des années 2000, seules six entreprises témoignent avoir bénéficié d’une aide pour y procéder. En effet, de telles aides risquent surtout d’attirer des chasseurs de primes, ces entreprises nomades ou volatiles qui quittent le territoire à l’approche de la fin de la période d’exonération. En réalité, les relocalisations pérennes s’expliquent par des motifs de compétitivité par l’innovation, et non par les prix.
Dès lors, si nous souhaitons relocaliser une partie des productions stratégiques, privilégions donc les relocalisations néo-schumpetériennes d’innovation plutôt que les relocalisations tayloriennes visant à une baisse des coûts. Je pense, bien sûr, à la recherche médicale, mais également à l’hydrogène en tant qu’énergie de rupture technologique propre non seulement à conforter notre souveraineté, mais également à nous donner une avance technologique.
Dans un second temps, il nous faut comprendre les limites des relocalisations et définir des ambitions industrielles renouvelées.
Depuis les années 1990, les investisseurs américains comme européens se sont plutôt tournés vers la semi-périphérie asiatique que vers le voisinage proche ; il nous faut en partie inverser la tendance. Ne confondons pas pour autant vision stratégique et discours souverainiste ! Ce dernier fait le constat que la souveraineté économique ne coïncide plus avec la souveraineté politique. C’est le diagnostic lucide, quoique tardif, d’une fragmentation des chaînes de valeur, mais prôner un retour en arrière s’opérant uniquement sous les injonctions d’un État-nation fantasmé est totalement vain.
Face à la régionalisation caractérisant actuellement la mondialisation, nous avons une chance à saisir : celle d’une souveraineté industrielle européenne.
À cet égard, la nouvelle stratégie industrielle présentée par la Commission européenne en mars dernier représente un bon point de départ : une réflexion bienvenue a été engagée en matière de concentrations pour mieux tenir compte de la concurrence à l’échelle mondiale. Cette démarche pourrait, très prochainement, nous permettre de créer un « Airbus du rail », grâce à l’acquisition par Alstom des activités ferroviaires du groupe canadien Bombardier, ainsi qu’un « Airbus naval », à l’issue des discussions menées entre les Chantiers de l’Atlantique, à Saint-Nazaire, et l’italien Fincantieri. De même, les projets importants d’intérêt européen commun (PIEEC) permettent aux États membres de soutenir des projets transnationaux d’importance stratégique, qu’il s’agisse de la microélectronique ou, plus récemment, des batteries électriques.
Ne nous exemptons pas pour autant d’une réflexion nationale sur notre industrie, que nous devons impérativement moderniser ! À ce titre, l’industrie du futur constitue une occasion unique de rendre l’industrie française plus attractive et compétitive. Si la France possède des atouts pour accélérer son déploiement, les efforts à cette fin doivent être rationalisés au regard de la trop grande fragmentation des dispositifs de financement, d’accompagnement et de formation.
Que l’on veuille produire sur notre sol des produits de première nécessité, quand c’est indispensable, ou surtout des produits stratégiques à forte valeur ajoutée, la question des coûts de production et de la nécessaire baisse de la fiscalité de production se pose toujours. Ces impôts, similaires à une taxe sur la taxe, constituent en effet un facteur d’explication de l’écart de compétitivité-coût entre la France et ses partenaires commerciaux : cette fiscalité est en effet chez nous sept fois plus élevée qu’en Allemagne et deux fois supérieure à la moyenne de la zone euro.
Mes chers collègues, il ne s’agit pas d’être pour ou contre la mondialisation : le sujet qui nous occupe est bien celui de son amélioration du point de vue de l’intérêt général. L’intégration économique n’est pas une fin en soi : il revient au politique de lui donner un sens afin de relativiser les bienfaits de la main invisible smithienne.
La relocalisation des productions stratégiques passe alors par l’identification des secteurs essentiels à notre pays, ainsi que par des mesures ciblant les défaillances spécifiques du marché, comme l’illustre l’impérative nécessité de faire de tout vaccin un bien public mondial.
Enfin, alors que la lutte contre le coronavirus nous a fait découvrir notre vulnérabilité et, par effet de miroir, notre trop forte dépendance à la Chine, nous tenons à saluer la démarche franco-allemande de relance européenne. Si nous refusons le confort idéologique consistant à prôner un protectionnisme aveugle et vain, nous appelons en revanche de nos vœux une souveraineté européenne renouvelée et l’esquisse d’une Europe de la santé, car nous sommes convaincus qu’il est ainsi possible de remettre en cause le constat amer de Paul Valéry, selon lequel l’Europe risque de devenir « un petit cap du continent asiatique ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Jean Bizet et Joël Labbé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent.
Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il aura fallu une pandémie sans précédent pour que l’organisation industrielle mondiale soit ouvertement contestée. La crise sanitaire que nous vivons a remis sur le devant de la scène la question de la localisation des processus de production des biens considérés comme stratégiques.
Comme le Président de la République l’a annoncé au début de la crise sanitaire, celle-ci nous enseigne que le caractère stratégique de certains biens et produits nous impose d’instaurer une souveraineté nationale et européenne. Il nous faut produire davantage sur notre sol pour réduire notre dépendance.
La forte demande de masques, de respirateurs ou de certains médicaments nous a conduits à nous interroger sur la localisation de certaines productions que l’on juge devoir absolument faire revenir sur notre territoire, pour des raisons d’indépendance et de souveraineté. L’industrie pharmaceutique s’est plus que jamais révélée être un secteur stratégique pour permettre aux États de protéger leur population en cas de besoin.
Comme nous le savons tous, la mondialisation a engendré une fragmentation croissante des chaînes de valeur à travers le monde, en permettant que chaque élément de ces chaînes soit fabriqué dans le pays où les avantages comparatifs sont les plus importants.
Cette logique a conduit nos pays industrialisés à se concentrer sur la production de biens et services à haute valeur ajoutée, à se spécialiser dans le haut de gamme. Nos coûts de production étant deux fois plus élevés que ceux des pays émergents, les délocalisations ont permis de réduire de 15 % à 20 % le prix du bien industriel consommé en France.
Dans les pays riches, où les compétences sont disponibles, mais les salaires élevés, la relocalisation exigerait une forte automatisation de la production, ne créerait pas beaucoup d’emplois et pourrait faire baisser le pouvoir d’achat.
Ainsi, concernant la production de médicaments, la France jouit d’un excédent commercial extérieur de taille envers les pays émergents. Nous continuons de gagner des parts de marchés, alors que nous importons la majeure partie des principes actifs basiques, comme le paracétamol, dont la production ne nécessite pas un niveau élevé de qualification des ingénieurs.
Aujourd’hui plus que jamais, l’opinion publique souhaite un retour massif de la production industrielle sur le sol national. Mes chers collègues, je crains que la crise ne nous amène à imaginer de fausses bonnes mesures. Je ne crois pas à l’idée selon laquelle un certain nombre de productions à faible valeur ajoutée, mais considérées comme stratégiques, devraient être relocalisées. La France n’a pas vocation à relocaliser la production de principes actifs basiques ou de masques. Comment pourrait-on produire à des prix décents des principes actifs à faible valeur ajoutée ? Relocaliser ce type de production n’est pas la bonne stratégie. L’industrie pharmaceutique française doit se concentrer sur les produits biotechnologiques les plus innovants.
Mes chers collègues, le manque de masque durant la crise est lié non pas à notre dépendance à l’égard des pays étrangers, mais plutôt au manque de stocks en France. La France doit non pas relocaliser ses productions industrielles, mais se réindustrialiser. La nuance est de taille ! L’effort de réindustrialisation doit porter sur des biens à haute valeur ajoutée et s’inscrire dans un agenda européen. Nous savons d’ailleurs que la France est en retard pour le développement des industries de demain : je pense à la 5G, aux voitures autonomes, aux batteries, aux énergies renouvelables ou à l’hydrogène. Elle doit donc tout mettre en œuvre pour encourager, développer et inventer nos industries stratégiques de demain. (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour entrer dans ce débat, il faut de l’honnêteté.
Tout d’abord, parler de souveraineté sans parler des traités européens qui empêchent le patriotisme économique, cela manque d’honnêteté.
Aujourd’hui, l’État ne peut pas défendre nos entreprises, car le droit communautaire l’en empêche. C’est l’Union européenne qui a ouvert la porte à la désindustrialisation de notre pays et à l’exode de nos fleurons vers les pays émergents. Nous avons été les grands naïfs de la mondialisation malheureuse, et nous le sommes encore ! Avant de parler de relocaliser, il faudrait déjà penser à protéger les quelques entreprises qui survivent encore chez nous et à les soutenir.
La souveraineté économique de la France n’est possible que si nous engageons avec détermination un bras de fer avec la Commission de Bruxelles. Si nous avons manqué de masques, de gel et de tests, c’est parce que nous avions eu l’aplomb de penser – par idéologie ! – que nous pouvions nous passer de notre industrie. Les dirigeants politiques ont appris à leurs dépens – ce n’est pourtant pas faute d’avoir tiré la sonnette d’alarme ! – que l’on n’est jamais si bien servi que par soi-même. La loi du marché ne fait pas de cadeau : les Américains nous l’ont rappelé en rachetant un stock de masques qui nous était destiné sur le tarmac d’un aéroport chinois.
Il faut que toutes les industries, tous les savoir-faire, puissent s’implanter ou se réimplanter dans notre pays. Dans cette perspective, nous ne pouvons nous contenter des propos contradictoires de l’exécutif.
D’un côté, le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, déclare que « notre objectif est la souveraineté économique de la France » ; le Premier ministre, Édouard Philippe, affirme quant à lui que l’Union européenne n’a pas « été à la hauteur de la crise ».
De l’autre, le président Macron vit toujours dans le monde des idées. Il a toujours plus d’ambitions, mais pour l’Union européenne ! Ce qui importe à ses yeux, ce n’est pas l’intérêt de notre économie, mais le fait que le « manque de solidarité pendant la pandémie risque d’alimenter la colère populiste »… On le voit, ses intérêts sont idéologiques et électoralistes !
De plus, il faut une réforme fiscale profonde, notamment de l’impôt de production, qui est actuellement le plus élevé en Europe, pour encourager les entreprises à rester en France. Il faut soutenir les entreprises en continuant de les accompagner par des dispositifs de chômage partiel, car c’est maintenant qu’elles vont subir les conséquences de la crise sanitaire. Il est enfin urgent d’alléger les charges qui pèsent sur elles.
J’entendais hier le président de Danone déclarer que nous devions penser notre souveraineté alimentaire « à l’échelle européenne », en rejetant toute tentation d’« autarcie » de la France. Que la souveraineté ne soit pas la tasse de thé des patrons du CAC 40 ne m’étonne pas ! La souveraineté ne peut être que nationale, elle ne saurait être diluée ! Là où la mondialisation ultralibérale soumet à l’interdépendance, le localisme et la souveraineté procurent la liberté : liberté face aux puissances, liberté face au marché, autonomie en cas de crise.
En février, au Parlement européen, la droite de M. Bellamy et les marcheurs de Mme Loiseau ont voté main dans la main un accord de libre-échange avec le Vietnam. Rien n’a changé, malgré les promesses de la campagne des élections européennes. Relocaliser les productions stratégiques exige de la cohérence, mais la classe politique continue à croupir dans les eaux usées du libre-échange forcené.
M. Jean Bizet. Caricature !
Mme Sophie Primas. Amen !
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis trente ans, nous constatons la désindustrialisation de la France. En quinze ans, nous avons perdu plus d’un demi-million d’emplois industriels !
Les libéraux nous fredonnaient leur petite musique : cette évolution était inéluctable, la faute à la compétition internationale et à ce que vous appelez « le coût du travail ». D’autres faisaient l’éloge de la déréglementation, de la dérégulation et de la privatisation des entreprises et des monopoles publics. Musique macabre, de fait, car, en dépit du vote des peuples d’Europe, vous avez gravé en lettres d’or ces mots dans le marbre des traités européens et internationaux. Ce marbre est aujourd’hui friable !
Pour vous, la partition était jouée d’avance. Le capitalisme financiarisé avait gagné et la fin de l’histoire était actée. Chaque pays devait se spécialiser à raison de ses avantages comparatifs, puis échanger sur le grand marché mondial à l’aide des traités de libre-échange qui mettent à bas les normes et les barrières douanières, et tant pis si la main invisible du marché, avec son cortège d’aberrations sociales et écologiques, mettait en compétition les peuples entre eux : seul comptait l’accaparement des richesses et des profits par la minorité qui détient le capital.
Chaque fois que nous osions remettre en question ce système, on nous riait au nez. Lorsque nous parlions nationalisation ou monopoles d’État, souveraineté coopérante ou projets industriels, nous n’étions pas entendus.
Depuis 1986, cette politique a conduit à privatiser près de 1 500 entreprises en France, dans tous les secteurs, jusqu’à la récente loi Pacte, qui a permis la privatisation d’Engie et de la Française des jeux, sans oublier votre volonté de vous attaquer à Aéroports de Paris.
Pour vous, tout doit être marché, tout doit être profit, tout doit être précaire, comme le disait la patronne du Medef il y a quelques années.
Pour rivaliser avec les autres pays, vous nous répétiez qu’il n’y avait qu’une solution : casser le code du travail, allonger la durée du temps de travail, faire sauter le SMIC, étouffer les syndicats, bloquer les salaires, faire travailler les salariés plus longtemps et, surtout, aider les entreprises.
M. Michel Canevet. Et les salariés !
M. Fabien Gay. Des aides, beaucoup d’aides, trop d’aides : crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, crédit d’impôt pour la recherche, exonérations de cotisations sociales… tout cela sans contreparties sociales ni environnementales. On a vu le résultat, jusqu’à l’aberration : un groupe tel que Michelin reçoit des dizaines de millions d’euros au titre du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) pour une usine en France, mais s’en sert pour acheter des machines destinées à ses unités de production du sud ou de l’est de l’Europe.
Mais voilà, malheureusement, il y a eu la crise du Covid-19. Outre les milliers de victimes qu’elle a causées, à qui vont nos pensées, cette crise a révélé nos insuffisances. Nous ne savons plus produire certains biens, y compris des biens de première nécessité. Imaginons un seul instant notre réaction si l’on nous avait dit, il y a seulement quelques semaines, que, dans la sixième puissance mondiale, des équipes soignantes seraient réduites à découper des sacs poubelles pour s’en servir en guise de surblouses… Oui, la « start-up nation » a montré son incapacité à protéger les Français !
Alors que des questions se posent à nouveau avec force, nous voulons prendre toute notre place dans ce débat. Nous proposons un autre chemin : il s’agit de s’appuyer sur la relocalisation et la nationalisation de pans entiers des secteurs stratégiques, afin d’amorcer la nécessaire transition écologique et de sécuriser ainsi nos vies et la planète.
Commençons donc par ne pas renouveler les erreurs du passé. Pourquoi, madame la secrétaire d’État, prêter sans contrepartie 7 milliards d’euros à Air France, qui annonce en même temps un plan de restructuration faisant planer une sérieuse menace sur sa filiale Hop ? Trouverons-nous normal de prêter 5 milliards d’euros à Renault sans prise de participation dans cette entreprise, qui laisse planer une menace de fermeture sur quatre usines représentant 3 200 emplois, sans parler des dégâts auxquels cela conduirait dans la sous-traitance ?
Nous proposons donc d’interdire en urgence les licenciements, comme en Espagne, pour éviter un massacre social. Mais, vous nous l’avez dit, vous ne souhaitez pas le faire. Alors, mettons-nous d’accord a minima : il est urgent de revenir sur l’autorisation administrative de licenciement en période de crise, mesure qui n’a jamais créé les centaines de milliers d’emplois annoncés. Il est aussi urgent de revenir sur les décrets Macron de 2017 pour aboutir à une conception plus protectrice des licenciements économiques.
Nous vous proposons ensuite de prolonger d’urgence le dispositif de chômage partiel pour tous les secteurs jusqu’au 31 décembre et de soumettre les aides et les prêts garantis par l’État à des critères sociaux et environnementaux. Les prêts aux grandes entreprises doivent être convertis en montées au capital ou en nationalisations.
Ensuite, à court terme, il faudra renforcer le décret Montebourg et étendre la liste des secteurs stratégiques, par exemple au secteur du médicament ou à celui des banques et des assurances, dont on a vu le rôle dans cette crise.
À l’occasion du renouvellement ministériel qui s’annonce, il faudra nommer un ou une ministre de l’industrie, ayant pour mission de mener une réflexion sur les relocalisations à moyen et long terme. Cela doit s’accompagner d’un changement de paradigme : le prix ne peut plus être le seul critère. Il faut inclure un critère social, lié au niveau de vie, en prenant en compte les services publics, ainsi qu’un critère environnemental. Des outils de régulation – quotas d’importation, barrières douanières et taxe carbone aux frontières européennes – doivent être discutés sereinement entre nous.
La crise sanitaire a mis en évidence la nécessité absolue de produire en France du matériel médical et sanitaire. Alors, agissons dès à présent pour construire le pôle public du médicament et posons la question de la nationalisation de Sanofi, entreprise dont le chiffre d’affaires dépend, en France, à 80 % de la sécurité sociale et qui bénéficie de dizaines de millions d’euros d’aides. Si une crise sanitaire ressurgit, il faut que nous puissions produire de quoi sauver des vies en France et en Europe ; ce sujet ne peut plus être tabou.
En conclusion, deux secteurs nous apparaissent prioritaires : ceux de l’énergie et des transports.
Il faut revenir sur la privatisation d’Engie, annuler le projet Hercule, qui vise à scinder EDF en deux entités, réfléchir à la création d’un pôle public de l’énergie qui garantirait un prix à l’usager et amorcer ainsi la transition écologique.
Enfin, nous sommes heureux que l’on reparle du fret ferroviaire. Il importe de revenir sur le pacte ferroviaire adopté ici même il y a deux ans, de renoncer à vendre Alstom à Siemens pour des raisons financières et de réfléchir à un projet industriel du XXIe siècle en vue de construire le train du futur, un train plus rapide, plus efficace, plus écologique.
Voilà les quelques pistes que nous soumettons au débat : nous allons continuer, avec vous, à construire un véritable plan de relance incluant nationalisations et relocalisations. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le dire est désormais un lieu commun : la crise du coronavirus constitue un choc d’une rare violence. La crise n’est pas seulement sanitaire ; elle est aussi économique et géopolitique. Tous ces aspects sont étroitement liés.
Le choc de la crise a obligé tous les pays à réagir très vite, rarement de façon coordonnée, en mobilisant leur système de santé et leur tissu économique. Nul n’était prêt à faire face à ce virus. Tous les gouvernements ont été confrontés à une même réalité : le monde est interdépendant.
Des crispations sont apparues, car le temps est passé où l’État disait et l’administration suivait. Nous n’avons pas renoncé à notre souveraineté ; simplement, les temps ont changé. On ne peut pas construire la souveraineté nationale au XXIe siècle comme on le faisait au siècle dernier.
Le débat d’aujourd’hui porte sur la relocalisation des productions stratégiques.
Je veux commencer mon propos par une clarification : la crise du Covid-19 n’est pas une crise de la mondialisation. La mondialisation n’est pas la cause de la crise ; celle-ci n’en a pas non plus montré les limites. Ne cédons pas aux discours simplistes !
La mondialisation des échanges profite aux producteurs comme aux consommateurs. Ce n’est pas l’interdépendance qui pose problème, mais la seule dépendance.
De ce point de vue, la théorie économique et le bon sens paysan convergent : il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
Nous ne devons pas jouer l’économie de marché mondialisée contre la souveraineté nationale : la seconde ne s’acquiert que par la première. L’histoire l’a déjà prouvé et le prouvera encore. Pour ceux qui en douteraient encore, il suffit de penser aux deux plus grandes économies mondiales. Les États-Unis comme la Chine ont acquis leur puissance par l’économie de marché et le commerce international. Dans les deux cas, malgré des trajectoires totalement différentes et même opposées, l’ouverture à l’international constitue la clé de la puissance.
Toutefois, ces deux exemples nous incitent aussi à ne pas faire preuve de naïveté en matière de souveraineté. Il faut confronter la théorie économique au principe de réalité. Ici encore, les exemples des États-Unis et de la Chine sont révélateurs. D’un côté, la Chine, le plus libre-échangiste des pays communistes, se développe par un capitalisme d’État qui veille surtout aux intérêts nationaux, quitte à verrouiller son marché intérieur. De l’autre, les États-Unis, le plus interventionniste des pays libéraux, n’hésitent pas à lancer des offensives contre certains pays, parfois même alliés, pour assurer leur souveraineté nationale.
Dans les deux cas, de grands groupes privés agissent comme les bras armés d’un pouvoir politique. Je ne pense pas que nous devions suivre leur modèle, mais je sais aussi que nous ne devons pas en subir les conséquences. Nos valeurs doivent non pas nous affaiblir, mais nous renforcer.
En effet, nos entreprises sont l’objet de convoitises étrangères. C’est le cas de nombreux fleurons industriels français. Nous devons faire preuve de lucidité, car un rachat par une entreprise étrangère peut nuire à nos intérêts stratégiques. Je pense au rachat de la branche énergie d’Alstom par General Electric au regard de la maintenance de nos réacteurs nucléaires.
Je tirerai de ces exemples trois leçons pour la préservation de nos intérêts stratégiques.
D’abord, la souveraineté passe par le maintien sur le territoire national des centres de décision plus que des unités de production. Il faut miser sur les activités à forte valeur ajoutée pour peser sur les décisions stratégiques.
Ensuite, pour défendre nos valeurs de liberté et d’innovation, mieux vaut miser sur les forces du marché que sur une économie administrée. C’est dans cette logique que doit s’inscrire notre politique économique.
Enfin, pour peser face aux géants, la France a besoin de l’Europe. La révolution numérique a fluidifié les échanges et les communications. Nous devons miser sur notre capital humain et encourager la circulation des talents et des idées à l’échelle européenne.
Il s’agit donc d’adapter le projet humaniste qui se trouve au fondement du rêve européen à la réalité du XXIe siècle. Cela passe notamment par la révision de nos règles de concurrence, afin de favoriser l’émergence de géants européens. Nous avons besoin de nouveaux groupes du type d’Airbus dans plusieurs secteurs.
Mes chers collègues, l’esprit français est toujours tiraillé entre des instincts contraires. Comme nous avons eu Voltaire contre Rousseau, nous avons eu Turgot contre Colbert. L’un et l’autre peuvent nous inspirer utilement, les deux continuent de nous tirailler.
Nous avons besoin d’entreprises françaises aussi fortes qu’indépendantes. Cela nous oblige à faire preuve de réalisme et de détermination face aux puissances étrangères prédatrices de nos fleurons industriels.
Des solutions existent pour protéger nos entreprises sans que l’État contrôle l’économie. Par exemple, instaurer la taxe carbone aux frontières permettrait à nos entreprises d’être sur un pied d’égalité avec leurs concurrentes étrangères, et ce sans nuire à la dynamique du marché.
Notre souveraineté ne passera pas par le recours à une économie administrée. Laissons les énergies s’exprimer dans tous les territoires. Laissons parler Turgot !
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avec la crise sanitaire, les Français ont pris conscience de la faiblesse de notre industrie, dont ils n’imaginaient pas l’extrême fragilité, entraînant une dépendance de la France dans des secteurs essentiels à notre société. Cette situation concerne le monde entier, et pas uniquement la France, mais regardons ce qui se passe chez nous : là est le sujet d’aujourd’hui.
La crise du Covid-19 a mis en lumière de façon plus nette les constats que nous faisions dans cet hémicycle, il y a à peine quelques mois, sur la sidérurgie, la politique industrielle française et la nécessité de réindustrialiser les territoires.
La crise du Covid-19 a agi comme un révélateur de l’urgence de repenser notre organisation, afin de disposer d’outils efficaces pour que la France et, plus largement, l’Union européenne puissent s’assurer une indépendance stratégique industrielle.
Jusqu’à présent, une vision économique prudente consistait à multiplier les fournisseurs pour ne pas faire dépendre son approvisionnement d’une seule entreprise. Or la crise sanitaire a mis en lumière que, au-delà des fournisseurs, il pouvait être dangereux que l’approvisionnement dépende d’une seule zone géographique.
La crise a mis en évidence la nécessité de contrôler certaines activités stratégiques, particulièrement la chaîne de production et d’approvisionnement de matériel médical, de principes actifs, de produits anesthésiants comme le curare. Notre dépendance en la circonstance s’est révélée problématique, dans la mesure où les décisions ont malheureusement dû être prises en fonction de la disponibilité des stocks. Notre collègue Catherine Fournier ne dirait pas autre chose…
Dès lors, le principe de souveraineté commande non pas d’étudier la nécessité même de relocaliser certaines productions – elle s’est imposée d’elle-même –, mais de travailler dès maintenant sur les modalités de la démarche : quelles relocalisations ? Où et comment ?
Si la crise sanitaire a servi de catalyseur à l’examen de la question des relocalisations, il faut élargir le spectre, car la lutte contre la prochaine crise mondiale ne mobilisera peut-être pas les mêmes productions. En effet, si nous voulons que la réflexion sur la souveraineté ait une réelle portée, il faudra identifier l’ensemble, ou du moins l’essentiel, des « productions stratégiques », lesquelles ne peuvent être circonscrites aux seuls produits médicaux et pharmaceutiques.
Il s’agit d’abord des produits de première nécessité, ceux qui sont liés à l’idée que l’on se fait de l’indépendance et de la souveraineté. À ce titre, outre celui des produits médicaux, plusieurs secteurs devront à notre sens être examinés de près : l’agroalimentaire, l’énergie, les transports, ainsi que l’amont des chaînes de valeur, telle la production d’acier.
Toutefois, cette approche fondée sur les productions de première nécessité correspond à une conception défensive des relocalisations et de la souveraineté, nécessaire mais pas suffisante.
La stratégie industrielle doit aussi être pensée de manière prospective, en prenant en considération des produits à très forte valeur ajoutée et essentiels à la transition écologique – les batteries, les piles à hydrogène… – ou au numérique –microprocesseurs, internet des objets… Il faudra nécessairement prendre en compte, dans l’analyse, tous les diagnostics environnementaux et numériques pour accompagner ces mutations industrielles, que Thierry Breton nous avait présentées lors de son audition devant la commission des affaires économiques voilà peu.
Il faudra mener un grand travail d’identification et de définition des productions stratégiques. Madame la secrétaire d’État, quelles modalités le Gouvernement envisage-t-il pour cela ? Il faut en outre évaluer les risques liés aux relocalisations.
Tout d’abord, ôter de l’activité industrielle à des pays développés ou en voie de développement, c’est prendre le risque que leurs populations s’appauvrissent, avec les conséquences que cela implique.
Un deuxième risque tient à la prise de mesures de rétorsion face à ce qui pourrait être analysé comme du protectionnisme.
Enfin, il faut avant tout déterminer pourquoi des productions ont été délocalisées, analyser les coûts de production en France et leur répercussion sur le prix du produit fini. Le citoyen français et le consommateur ne regardent pas toujours dans la même direction !
Pointer ces risques, ce n’est pas renier la position que je viens de défendre, c’est prendre en compte l’ensemble des enjeux pour définir les outils à mettre en place.
Il faudra répondre à la question : où relocaliser ? La complexité de l’identification des secteurs stratégiques ne pourra être surmontée sans aborder la question de la relocalisation au sein de l’Union européenne : le marché intérieur français ne suffit pas. La crise doit amener un sursaut de l’Union européenne. Celle-ci ne pourra se relancer qu’en élaborant une réflexion sur la production industrielle au sortir de la crise sanitaire.
La notion de mondialisation va évoluer. Les attentes des populations vont changer. Pour que les chaînes de production ne soient plus mises en péril, il faudra passer d’une localisation unique – à titre d’exemple, la Chine produit 90 % de la pénicilline mondiale – à une multilocalisation de la production industrielle. Le système multirégional permettra de se rapprocher des marchés de proximité et des lieux de consommation, de réduire l’empreinte carbone des produits et, par là même, d’être plus compétitif.
Afin de déterminer où relocaliser les productions stratégiques, il faudra mener une démarche multipartite avec le monde industriel, France Industrie, l’État, en lien avec l’Europe, les régions, les intercommunalités. Madame la secrétaire d’État, comment le Gouvernement entend-il engager ce chantier de la relocalisation industrielle et selon quels modes de coopération avec tous ces acteurs ?
Il faudra répondre à la question des moyens à mettre en œuvre pour faciliter ce tournant industriel. La stratégie industrielle post-crise sanitaire commande que l’Union européenne préserve sa souveraineté, mais aussi maintienne et développe son poids économique avec des outils adéquats. Instaurer la taxation carbone aux frontières de l’Union européenne est une nécessité.
Pour restaurer des conditions de concurrence équitables, il faut une politique volontariste de la Commission européenne, qui doit se saisir pleinement de nouveaux outils de défense commerciale, ceux existant aujourd’hui étant insuffisants et peu adaptés. Il faut absolument les réviser, à un rythme différent du tempo européen habituel.
Par ailleurs, quels moyens l’État entend-il mettre à disposition des entreprises ? Quel plan d’investissement prévoit-il pour les accompagner dans la mise en œuvre de leur stratégie de relocalisation ou de réorientation de leur activité économique vers la production de biens à forte valeur ajoutée ? La question des fonds propres se posera avec acuité.
La question de la fiscalité de production sera inévitablement posée. Attention aux fausses bonnes idées ! La cotisation foncière des entreprises (CFE) et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) sont les instruments des communautés d’agglomération – j’en ai présidé une pendant huit ans – pour conduire l’aménagement économique des territoires, développer des zones d’activités, l’immobilier d’entreprise, des infrastructures de desserte. Comment feront-elles si elles n’ont plus accès à ces recettes ? On ne peut pas suspendre les entreprises en l’air !
Quels seront les dispositifs incitatifs destinés aux entreprises ? Quelles contreparties l’État pourra-t-il leur demander ? Le recours aux outils financiers que l’État mobilisera pour renforcer la recherche, l’innovation, l’investissement devra être assorti de contreparties. En la matière, l’exemple de Sanofi est éloquent et le cas de Renault interroge. D’ailleurs, madame la secrétaire d’État, nous comptons sur le Gouvernement pour que l’État, s’il accompagne et donne généreusement, ait en retour des exigences : pas de suppressions d’emplois s’il apporte des financements, c’est bien le minimum ! L’économie doit être au service des citoyens, des hommes et des femmes de notre pays.
Il faudra que l’État engage une simplification des obligations administratives. Il faudra sans doute aussi inventer de nouveaux outils financiers, à l’instar des partenariats public-privé, peut-être autoriser les régions à émettre des obligations convertibles, faire émerger des groupements d’acheteurs publics…
Enfin, la formation est évidemment un enjeu majeur pour nos concitoyens, en particulier les jeunes. Qualification et industrie du futur sont indissociables. L’inadéquation entre offre et demande nous menacerait si nous n’avions pas ce principe à l’esprit.
Madame la secrétaire d’État, je ne saurais conclure mon propos sans réaffirmer une position que je défends de longue date : il faut un État stratège. La situation actuelle nous montre que, pour renforcer le pilotage de la politique industrielle, il faut mettre en place un véritable ministère de l’industrie, non pas symbolique, mais doté de moyens humains et budgétaires appropriés et capable d’anticipation, afin d’élaborer une vision stratégique d’avenir. Ses équipes devront travailler à des projets en lien avec les territoires, qui seront à même d’accompagner des entreprises dans leur démarche de relocalisation, selon une approche territoriale partenariale.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Valérie Létard. Madame la secrétaire d’État, vous pourriez être cette ministre de l’industrie. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut que cette ambition soit clairement incarnée : elle ne peut être l’addition de petites initiatives venant de tous les ministères. La France a été un grand pays d’industrie, elle doit le redevenir. Faisons en sorte qu’il en soit ainsi ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je partage l’enthousiasme débordant de Valérie Létard et je fais miens, presque en tous points, les propos qu’elle vient de tenir.
Madame la secrétaire d’État, il est des crises qu’il ne faut pas gâcher, des crises qui sont occasion de progrès. J’ai le sentiment que c’est le cas de celle que nous vivons.
Cela a été dit, l’un des principaux enseignements de cette crise est qu’elle nous rappelle le rôle structurant de l’industrie et sa nécessaire revalorisation dans notre politique économique.
La réorientation, voire le tarissement de certains flux de produits industriels, qui ont résulté de la pandémie sont un rappel à l’ordre : il est certains produits, certaines activités dont la Nation ne peut se passer. Le risque est trop grand pour la santé publique, pour l’activité de notre pays ou pour sa souveraineté.
C’est pourquoi la gaulliste que je suis se félicite que « souveraineté » ne soit plus un gros mot. La leçon à tirer de la crise ne serait-elle pas, finalement, que nous avons plus que jamais besoin, à côté du marché, d’un État stratège ? (Mme Valérie Létard approuve.)
Bien sûr, nous ne pourrons pas tout relocaliser, tout produire sur notre territoire national. Cela n’est d’ailleurs pas nécessaire ni possible, mais nous devons conduire une réflexion stratégique sur nos priorités industrielles. Il faut en tout cas faire renaître le débat sur une plus grande proximité entre le lieu de production et le consommateur : outre l’enjeu stratégique, c’est également un enjeu environnemental, un enjeu de société, car il y va du lien entre les Français et leurs territoires.
Madame la secrétaire d’État, c’est sur ces objectifs et les moyens de cette relocalisation que je souhaite vous interroger.
Vous avez évoqué, à l’Assemblée nationale, une relocalisation des activités à forte valeur ajoutée. Concernant les masques, que les choses soient claires : c’est un produit à faible valeur ajoutée dont nous avons un besoin vital. Comment allez-vous traiter ce sujet-là ? La même question se pose pour notre sécurité alimentaire. Comment fait-on pour des productions à faible valeur ajoutée, mais vitales pour le pays ? Abandonne-t-on ces marchés ? On ne cesse de répéter que nous n’allons faire que des produits à forte valeur ajoutée, mais je pense que cela ne peut que nous fragiliser. Pensez-vous que les autres, la Chine, l’Asie, les États-Unis, l’Amérique du Sud, ne sont pas capables d’introduire de la valeur ajoutée dans leurs productions ?
Vous avez déclaré que la fiscalité doit être l’un des outils de la relocalisation. Quelles pistes étudiez-vous, alors que le pacte productif aurait dû traiter de ce sujet cet été ? Vous nous parlerez probablement vous aussi des impôts de production, mais qu’en est-il de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), dont la suppression est étudiée depuis plusieurs années ? Selon vous, un effort fiscal suffira-t-il à sécuriser les activités les plus essentielles ?
Parlons de l’Europe. Les règles européennes encadrent strictement les aides que l’État peut dédier à la relocalisation, alors que le Japon offrira près de 2,2 milliards d’euros de subventions aux entreprises rapatriant leur production. Pour que l’Europe ne soit pas de nouveau à la traîne, allons-nous pouvoir gagner en flexibilité et être autorisés, vous l’État, nous les régions, à aider directement nos entreprises ?
L’Europe est bien sûr une solution, mais il ne faut pas pour autant négliger, dans la relocalisation, l’espace méditerranéen, plus proche de nous et avec qui nous sommes historiquement, géographiquement, économiquement liés.
Mme Valérie Létard. Très bien !
Mme Sophie Primas. Il offre tout autant d’opportunités pour sécuriser et diversifier notre approvisionnement. Le Gouvernement entend-il relancer et approfondir cette coopération économique ? Il me semble que c’est un bon moment pour l’envisager.
Enfin, la première étape de la relocalisation ne consiste-t-elle pas à empêcher la destruction de l’industrie existante ? L’effort colossal consenti par la Nation au titre du soutien d’urgence aux entreprises et du plan relance doit aussi être un outil de non-délocalisation. La semaine dernière, le Premier ministre me répondait que le Gouvernement serait « intransigeant » sur le maintien des sites français du groupe Renault. Bruno Le Maire a déclaré lundi que vous ne demanderiez pas de contreparties, en termes de relocalisation, à Renault, à qui nous nous apprêtons pourtant à consentir un prêt garanti de 5 milliards d’euros, sur les 8 milliards d’euros du plan automobile. Madame la secrétaire d’État, je pense qu’il ne faut pas reculer.
Relocaliser n’est pas si simple. Il ne suffit pas, pour paraphraser quelqu’un parlant d’un autre sujet, de bondir sur son siège comme un cabri en répétant « relocalisations, relocalisations, relocalisations »… Mais, il faut que le Gouvernement, le Parlement et les partis politiques répondent « présent », car nous n’avons pas le droit de gâcher les enseignements de cette crise. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, la crise due au Covid-19 a jeté une lumière crue sur notre dépendance à l’égard d’acteurs lointains. Elle nous invite ainsi à reconsidérer en profondeur notre système économique, avant de le relancer.
La France, sixième puissance économique mondiale, qui possédait le meilleur système de santé du monde il y a encore quelques années, s’est pourtant trouvée fort démunie face à cette épidémie. Au nom d’un modèle présenté comme « l’horizon indépassable de l’humanité », notre pays a été progressivement réduit à l’impuissance : système hospitalier et recherche publique affaiblis, tissu industriel démantelé, entreprises et savoir-faire délocalisés…
Avec la crise engendrée par cette pandémie, on se rend finalement compte que ceux qui ont privilégié une logique de rentabilité immédiate plutôt que de soutenir l’investissement dans les secteurs stratégiques étaient davantage les cigales que les fourmis de la fable.
La prise de conscience de la nécessité de retrouver de la souveraineté est désormais largement partagée et transcende certains clivages politiques, comme le démontre le débat aujourd’hui.
Au sein du groupe socialiste et républicain, nous avons travaillé, ces dernières semaines, selon une démarche prospective, pour préparer le « monde d’après », et pouvons ainsi apporter quelques réponses aux questions posées à l’occasion de ce débat sur la relocalisation des productions stratégiques.
Quelles sont ces productions ? Les secteurs clés que nous identifions sont la santé, l’alimentation, l’énergie, les transports, le numérique, sans bien sûr oublier les productions industrielles qui se sont révélées indispensables dans la crise.
Où faut-il relocaliser ? La présence d’entreprises industrielles dans nos territoires conditionne de fait le maintien de nos emplois. Aussi la reconquête industrielle ne doit-elle pas se réaliser au détriment des territoires ruraux. Ceux-ci doivent profiter des plans de relance et de relocalisation industrielle.
Comment ? En assumant une rupture claire avec les politiques d’austérité menées ces dernières années et en prenant systématiquement en compte la préoccupation environnementale pour la reconstruction de notre système de production.
À la vision idéologique du « tout marché », nous proposons de substituer une vision pragmatique et d’analyser la faisabilité d’une relocalisation secteur par secteur.
Plus largement, notre assemblée a déjà produit de nombreuses réponses à ces questions, à travers différents travaux conduits ces dernières années. Mme Létard l’a mentionné : voilà un an, la mission d’information sur l’avenir de la sidérurgie préconisait un engagement fort de l’État pour soutenir cette filière, symbolique du déclin de l’industrie dans notre pays, pallier les défaillances du marché et relever les grands défis, comme celui de la décarbonation.
La crise a encore révélé d’autres faillites de notre appareil productif, particulièrement insupportables dans le secteur sanitaire. Dans de tels cas, la reprise de contrôle doit passer par une nationalisation. C’est dans ce sens que notre groupe a déposé une proposition de loi portant nationalisation des entreprises Luxfer, Famar et Peters Surgical. Madame la secrétaire d’État, je vous ai déjà interrogée sur ce sujet. Vous m’avez indiqué prendre l’attache des dirigeants de Famar. Mon collègue Gilbert-Luc Devinaz les a rencontrés voilà quelques jours : apparemment, aucun travail n’a encore été engagé avec le Gouvernement. Qu’en est-il ?
La proposition de résolution de notre collègue Françoise Laborde sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale, présentée au mois de décembre dernier, s’est révélée particulièrement visionnaire ! Même si elle mettait plutôt l’accent sur le risque de catastrophe climatique, elle nous alertait sur la grande dépendance alimentaire de nos territoires et le ballet de camions qu’elle induit. Le degré d’autonomie alimentaire de nos territoires n’est que de 2 % en moyenne, alors même qu’ils disposent d’actifs agricoles permettant de couvrir 54 % des besoins de leurs habitants. Il ne manque donc que la volonté politique pour organiser la reconnexion entre production et consommation.
Dans tous les cas, la relocalisation de nos productions doit s’accompagner d’une reconversion écologique de notre industrie et de notre agriculture.
Cela implique, d’une part, un engagement massif de l’État dès le prochain plan de relance, et, d’autre part, un conditionnement des aides d’État à un engagement véritable des entreprises dans la transition écologique, ainsi qu’au maintien de l’emploi et des investissements en France.
Bien entendu, la reconversion écologique de notre industrie et la réindustrialisation de nos territoires doivent pouvoir s’appuyer sur l’Union européenne, notamment sur son « pacte vert ». Il faudra cependant aller plus loin et réorienter la construction européenne en faisant le pari de la coopération plutôt que de la concurrence libre et non faussée, et doter l’Union européenne d’un véritable budget, abondé par exemple par une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne. Bien sûr, il faudra tourner le dos aux traités commerciaux, tels que le Tafta et le CETA, qui mettent à mal nos normes protectrices.
Enfin, cette reconquête industrielle doit être socialement inclusive, pour que l’on puisse véritablement s’attaquer à l’extrême pauvreté révélée par la crise, mais présente depuis des décennies en raison du creusement des inégalités.
Pour atteindre ces objectifs ambitieux, nous devons disposer d’indicateurs autres que le PIB, qui n’est que purement quantitatif et monétaire. Le groupe de réflexion sur les nouveaux indicateurs de richesse, créé sur l’initiative de notre collègue Franck Montaugé, a déjà produit deux propositions de loi particulièrement bienvenues pour penser le « monde d’après ».
De même, nous devons nous emparer de la notion de biens communs, qui questionne les limites de la marchandisation de la nature et du travail. C’est que vient de faire notre collègue Nicole Bonnefoy en déposant une proposition de loi visant à inscrire dans la Constitution les principes de protection du sol et de garantie de la souveraineté alimentaire.
Ainsi, les outils et les moyens pour relocaliser nos productions stratégiques ont, pour beaucoup, déjà été pensés sur ces travées.
Le Covid-19 et la crise qu’il a induite ont joué un rôle de révélateur de la trop grande dépendance de notre pays dans plusieurs secteurs clés. Pour que cette prise de conscience ne soit pas sans lendemain, il faut que de premiers jalons soient très vite posés afin de préparer une relocalisation durable, demain, des secteurs clés de notre économie. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe Union Centriste d’avoir permis la tenue de ce débat sur un sujet dont la crise du Covid-19 a révélé toute la pertinence.
La relocalisation des productions était déjà présente dans le débat avant cette crise sanitaire, mais les récents événements ont agi comme un coup de projecteur sur nos vulnérabilités : pénurie de matériel médical, tensions dans l’approvisionnement en médicaments ou en intrants agricoles, tensions dans la chaîne logistique de l’industrie agroalimentaire…
La crise du Covid-19 nous invite donc à penser la construction de notre indépendance dans de nombreux secteurs essentiels à la Nation. Avoir dans cet hémicycle un débat sur la relocalisation des productions stratégiques pour assurer notre souveraineté est fondamental à cet égard.
Avant d’évoquer la relocalisation des moyens de production, il convient de s’interroger sur le maintien des outils existants afin de préserver ces outils et d’éviter la poursuite des délocalisations : l’annonce de la possible fermeture de la Fonderie de Bretagne, filiale de Renault implantée près de Lorient, a suscité une énorme et légitime crispation. Il est incompréhensible que cette usine qui emploie près de 380 personnes, dont l’outil de production est neuf et la qualité de production reconnue, ferme au moment même où l’on se soucie de relocalisation et où la puissance publique soutient fortement le groupe Renault par l’apport de gros moyens financiers. Il en est de même pour trois autres filiales de Renault.
De manière générale, il convient de réfléchir collectivement aux conditions de la relocalisation. Comment garantir un retour en France des industries sans rentrer dans la course au moins-disant social et environnemental ? Comment garantir l’accessibilité, pour les plus pauvres, des biens produits en France, qui seront souvent plus coûteux, du fait de normes plus exigeantes ? Relocaliser signifie aussi repenser nos politiques de lutte contre les inégalités.
Enfin, je pense que, à plus long terme, la souveraineté ne passe pas uniquement par une relocalisation de la production ou la constitution de stocks stratégiques : elle passe aussi par une réduction de nos besoins, donc de notre dépendance. Bien sûr, nous ne pouvons pas nous passer de médicaments, mais combien de maladies pourraient-elles être évitées grâce à une politique de santé axée sur la prévention ? En matière énergétique également, les gisements d’économies sont particulièrement importants.
Je consacrerai la suite de mon propos au secteur de l’alimentation. S’il est une production stratégique, c’est bien celle-ci. La souveraineté alimentaire des territoires, dont on parle de plus en plus, passe par un certain nombre de ruptures.
Même si la France reste une puissance agricole, la vulnérabilité de notre modèle a également été mise en lumière pendant cette crise. Notre groupe a d’ailleurs présenté, sur l’initiative de notre collègue Françoise Laborde, une proposition de résolution sur le lien entre résilience alimentaire des territoires et sécurité nationale. Les analyses sur les tensions et les risques de rupture d’approvisionnement en cas de crise qui le fondent ont montré toute leur pertinence.
J’ajoute que la crise du Covid-19 ne doit en aucun cas être dissociée de l’urgence climatique, qui pèse aussi grandement sur la résilience de notre modèle alimentaire. Relocaliser l’agriculture, ce n’est surtout pas revenir sur nos exigences environnementales pour produire plus. Ce n’est pas poursuivre dans la voie d’un modèle agroindustriel responsable de près d’un quart des émissions de gaz à effet de serre et participant à l’effondrement de la biodiversité, à la déforestation, à la dégradation de la qualité des sols, de l’air, de l’eau. Ce n’est pas poursuivre dans la voie d’un modèle qui, on le sait, détruit des emplois agricoles et la vie dans les territoires ruraux, via l’agrandissement sans fin des exploitations ; un modèle qui engendre de la détresse chez celles et ceux qui parviennent, non sans peine, à se maintenir à flot.
La transition agricole et alimentaire est attendue par une partie grandissante de notre population ; elle passe à la fois par une relocalisation des productions et par une transition vers l’agroécologie, en vue d’assurer la souveraineté alimentaire de nos territoires.
Les solutions sont déjà amorcées localement via l’agriculture biologie diversifiée, qui approvisionne les circuits courts, mais de nouvelles filières doivent être organisées sur les territoires pour garantir une autonomie à l’échelle locale. Les pistes pour assurer cette souveraineté alimentaire des territoires sont nombreuses. Je voudrais évoquer celles contenues dans un tout récent rapport produit par Les Greniers d’abondance.
Pour ce collectif de chercheurs, d’enseignants et de citoyens travaillant sur la résilience alimentaire, réussir la souveraineté alimentaire des territoires nécessitera d’augmenter la population agricole et le nombre de fermes, de préserver totalement les terres agricoles, de favoriser l’autonomie technique et énergétique des fermes, de diversifier les variétés cultivées, avec des semences adaptées aux terroirs pour pouvoir affronter les crises qui nous attendent, d’adopter une gestion intégrée de la ressource en eau pour faire face aux menaces de sécheresse, de diversifier les productions pour satisfaire localement aux besoins de la population, de sortir, via l’agroécologie, de la dépendance aux pesticides, de développer des outils locaux de stockage et de transformation pour traiter la production sur place, de simplifier la logistique et l’achat alimentaire pour réduire notre dépendance aux transports et à la grande distribution et nous alimenter grâce aux filières locales, d’adopter une alimentation plus végétale, d’en finir avec la spécialisation de l’agriculture dans les territoires pour revenir au système polyculture-élevage et de sortir de la dépendance aux engrais chimiques.
Ces principes devraient être appliqués sur l’ensemble de nos territoires, mais aussi sur toute la planète. Cela n’implique bien sûr en aucun cas la fermeture aux échanges, mais ceux-ci doivent se réaliser dans le cadre d’un commerce juste et équitable, respectueux du droit fondamental à l’alimentation des populations, au rebours de la logique des accords de libre-échange.
Pour parvenir à la relocalisation de l’alimentation sur les territoires, un vaste plan est nécessaire, assorti de financements pour accompagner la transition agricole, l’organisation des filières de proximité, ainsi que la généralisation des projets alimentaires territoriaux, outils qui ont fait leurs preuves pour assurer l’ancrage territorial de l’alimentation. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sanitaire que nous traversons fait cruellement apparaître les conséquences de la délocalisation de certaines productions et de la dépendance croissante de l’Europe à l’égard de chaînes de valeur stratégiques cruciales qu’elle ne maîtrise plus.
Les évolutions du secteur du médicament sont à cet égard particulièrement préoccupantes. En effet, 80 % des principes actifs pharmaceutiques utilisés en Europe sont désormais fabriqués hors de l’espace économique européen, une grande partie en Asie, plus particulièrement en Chine et en Inde.
Dès lors, il suffit d’une catastrophe naturelle ou sanitaire, d’un événement géopolitique ou d’un accident industriel pour entraîner des ruptures d’approvisionnement pouvant conduire à priver les patients européens des traitements indispensables.
Incontestablement, la maîtrise de la fabrication des matières premières à usage pharmaceutique apparaît aujourd’hui comme un enjeu stratégique national et européen, tout comme la synthèse des substances actives, voire de certains excipients indispensables à la formulation pharmaceutique.
La stratégie pharmaceutique sur laquelle travaille la Commission européenne s’inscrit dans cette logique de relocalisation en Europe des antibiotiques ou des anticancéreux. Elle devra s’assurer de la disponibilité, du caractère abordable, de la durabilité et de la sécurité de l’approvisionnement en la matière.
La situation de dépendance de notre pays et de nos voisins que la crise sanitaire a mise en lumière n’est pas nouvelle, mais elle s’est accrue au cours des années récentes. Elle est loin, en outre, de ne concerner que le secteur de la santé.
Il est donc urgent de réagir et de s’assurer que l’Europe est en mesure de maîtriser effectivement les chaînes de valeur essentielles, au moment même où l’environnement économique, qui est fragilisé, risque de faciliter des comportements prédateurs à l’égard des entreprises européennes. Le règlement européen sur le filtrage des investissements directs étrangers (IDE) est là pour apporter des réponses.
Pour autant, cela a été dit, il ne s’agit pas de chercher à relocaliser systématiquement en Europe tous les types de productions ; cela irait d’ailleurs à l’encontre de l’un des principes fondateurs de l’Union européenne, à savoir son ouverture au commerce international, cette dernière étant vitale pour son économie.
L’Union européenne – dois-je le rappeler ? – est en effet la première puissance économique et commerciale du monde, devant la Chine et les États-Unis. Elle aurait beaucoup à perdre d’une fermeture des marchés internationaux. En revanche, il convient de souligner les notions de réciprocité de l’ouverture des marchés, de concurrence équitable et de taxation équitable, au travers des productions décarbonées, sur lesquelles nos entreprises font de gros efforts, ce qui n’est pas le cas, loin de là, dans d’autres parties du monde.
La question clé qui est au cœur de notre débat cette après-midi est celle de la détermination des productions stratégiques pour la souveraineté économique européenne.
Avant d’agir, il est en effet essentiel de procéder à une analyse fine des secteurs identifiés comme stratégiques. J’avoue que nous ne pouvons que nous réjouir de la détermination et de l’engagement de notre commissaire européen Thierry Breton, qui, lors de ses différentes auditions par la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes, a identifié très exactement quatorze écosystèmes prioritaires ; je ne les listerai pas tous, ils sont essentiels.
Par ailleurs, je souligne que nous sommes à quelques jours d’une décision cruciale du couple franco-allemand et de la Commission concernant une relance européenne, que j’aimerais voir encore plus digitale, résiliente et innovante, mais aussi plus sécurisée, au travers de la lutte contre un risque majeur qui peut poindre demain : nous ne sommes pas à l’abri, tant s’en faut, d’une autre pandémie, de nature informatique cette fois, malgré l’excellence, je dois le souligner, de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information.
Madame la secrétaire d’État, permettez-moi de vous inviter à accélérer, contre l’avis de certains acteurs, le déploiement de la 5G à l’échelon tant national qu’européen, mais aussi à accroître la sécurité de l’ensemble du processus et la cohérence entre les différents États membres sur ce sujet.
Valérie Létard a dit un certain nombre de choses avec beaucoup d’enthousiasme. Pour ma part, je retiendrai un point et un seul : il faut changer le tempo habituel. L’Europe travaille bien en général, mais à son rythme. Il faut aller plus vite, tout simplement parce que le temps économique est beaucoup plus rapide aujourd’hui que le temps politique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Valérie Létard. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Laurence Rossignol. Je vais essayer de répondre aux questions posées par nos collègues du groupe Union Centriste. Quelles productions stratégiques relocaliser ? Pour ma part, je parlerai du médicament. Où ? En France. Comment ? En créant un pôle public du médicament.
Ce faisant, je porterai également la voix de notre collègue Yves Daudigny, qui, dans des conditions de fonctionnement normal de notre assemblée, aurait été présent aujourd’hui et serait intervenu sur la question du médicament.
Deux dysfonctionnements majeurs affectent aujourd’hui l’accès aux médicaments : l’accroissement des pénuries de médicaments et, bien entendu, notre dépendance à l’égard de la Chine et de l’Inde. Ces deux dysfonctionnements conduisent à nous interroger sur un troisième, à savoir le prix de certains médicaments, qui est totalement déconnecté des coûts de production.
La France fait partie des pays dont les dépenses pharmaceutiques sont les plus élevées. Celles-ci représentent 38 milliards d’euros, dont 34 milliards d’euros sont remboursables par la sécurité sociale. D’un certain point de vue, l’industrie pharmaceutique est sans doute l’industrie la plus subventionnée dans notre pays. Le rapport entre les dépenses de la sécurité sociale et l’industrie du médicament nous conduit à réfléchir sur ce que devrait être une politique publique du médicament.
L’industrie pharmaceutique n’a pas totalement disparu en France, mais nous nous situons aujourd’hui au quatrième rang européen, alors que nous étions leaders dans ce secteur jusqu’en 2008.
Dans le secteur des principes actifs, la France s’est fait ravir tout le marché du paracétamol, par exemple, par l’Inde et la Chine. Il ne reste plus qu’une centaine de sites de production dans notre pays. Dans le domaine de la production de médicaments innovants, le bilan n’est pas meilleur. Sur 254 nouveaux médicaments autorisés entre 2016 et 2018, seulement 20 sont fabriqués en France. Et le retard est encore plus considérable pour la production de médicaments biologiques.
Parler de l’industrie pharmaceutique, c’est aussi évoquer les récentes pénuries de médicaments subies par les Français et les Européens. La pénurie de curare ou de morphine a été portée à la connaissance de tous par neuf grands hôpitaux européens en pleine pandémie ! Au quotidien, en 2019, quelque 1 450 médicaments étaient en rupture, dont 14 vaccins.
Ces pénuries sont la conséquence directe de la perte d’indépendance et de souveraineté productive de la France, en particulier en ce qui concerne les principes actifs.
Enfin, ces pertes de souveraineté, les suppressions d’emplois qui les accompagnent chaque fois que nous fermons un site et ces pénuries ont un coût social et sanitaire pour les patients, qui sont privés de leurs médicaments. Ce coût est donc très élevé pour la collectivité, mais ce n’est pas si grave, puisqu’il est pris en charge par la sécurité sociale !
Alors que de nombreux médicaments ont des coûts de production très faibles, leur prix est élevé, ce qui permet la réalisation de fortes marges. L’argument de la recherche, souvent avancé, n’est pas totalement honnête. En effet, les résultats en termes de recherche ne sont pas à la hauteur de l’argent public investi dans l’industrie pharmaceutique. La sécurité sociale finance la recherche privée au profit d’entreprises qui ne se sentent nullement engagées à l’égard de la France.
Ainsi, tout le monde a en mémoire les propos du directeur général de Sanofi, qui ont choqué tout le monde, mais dont la franchise et la crudité ne sont pas totalement surprenantes non plus : ceux qui paient recevront le vaccin en premier. Peu lui importe que son entreprise soit souvent désignée comme l’un des fleurons de l’industrie pharmaceutique française !
La recherche publique court perpétuellement après trois francs six sous, chacun le sait. Nous finançons largement la recherche privée, par la sécurité sociale, et, de ce fait, notre dépendance au marché mondialisé comme système économique, donc aux autres pays.
L’engagement de l’État est donc très attendu dans le secteur de l’industrie pharmaceutique, tout d’abord dans le cadre du comité stratégique de filière, bien sûr. Soyons honnêtes toutefois, retrouver notre souveraineté exigera d’explorer diverses voies, classiques ou originales.
Il pourra s’agir d’une simple relocalisation de la production de médicaments anciens, d’investissements modernes dans des produits innovants, de prises de participation, voire peut-être de nationalisations, ou encore de dispositifs aussi innovants que les médicaments que nous souhaitons promouvoir.
À cet égard, je pense, par exemple, aux coopératives de production imaginées par Arnaud Montebourg, lesquelles réuniraient industries pharmaceutiques, mutuelles et sécurité sociale. Cette proposition n’a, à mon sens, rien perdu de sa pertinence, comme d’ailleurs, et j’élargis à cet instant mon propos, les trente-quatre plans industriels qu’il avait lancés en 2014, lesquels ont malheureusement été abandonnés par son successeur, le ministre Macron.
Je vous invite donc, madame la secrétaire d’État, à les retrouver dans les tiroirs de Bercy. Vous verrez qu’ils n’ont pris ni une ride ni la poussière ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin.
M. Cédric Perrin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le début de la crise sanitaire, notre processus de production concentré, fragmenté, a montré sa grande fragilité. Était-ce prévisible ? D’après les travaux parlementaires, notamment ceux qu’a effectués le Sénat, la réponse est évidente : oui, nous avons systématiquement sous-estimé la question industrielle.
L’industrie n’a pas été défendue ; la France n’a plus de politique industrielle depuis bien trop longtemps. Le Gouvernement dit aujourd’hui vouloir redresser la barre en repensant notre modèle économique et en assurant la pérennité de notre maillage industriel. Le ministre de l’économie et des finances plaide même pour une relocalisation de l’industrie automobile française. Mais, comme en amour, les preuves sont préférables aux belles déclarations… (Sourires.)
La première garantie de cette mue en État stratège pourrait se situer sur le terrain de la lucidité. Dans mon département, le Territoire de Belfort, 43 % des emplois sont industriels, contre 12 % à l’échelon national.
Lorsque le site belfortain de General Electric, en pleine épidémie de Covid-19, a demandé à ses 240 sous-traitants de réduire de 20 % leur prix à partir du 1er mai, sous peine de ne plus être considérés comme des partenaires de l’entreprise, un rappel à l’ordre de l’État aurait peut-être été salutaire.
Lorsque la direction de General Electric, deux jours après le déconfinement, a convoqué à Belfort un comité social et économique pour annoncer aux représentants du personnel un programme de délocalisation de l’ingénierie, des activités commerciales, de maintenance et de réparation des turbines, une réaction de l’État n’aurait-elle pas été souhaitable ?
L’entreprise invoque le retard accumulé pendant la période du confinement pour justifier ces délocalisations. Sans céder à la paranoïa, je pense que nous pouvons légitimement nous interroger sur les véritables intentions de l’entreprise, au regard de ses précédentes manœuvres dolosives, mais aussi sur la volonté de l’État face à General Electric, six mois seulement après la signature des accords d’octobre 2019.
L’exécutif clame haut et fort sa volonté de sauver l’appareil productif français. Qu’attend-il pour intervenir et rappeler ses engagements à la direction de General Electric ?
La seconde preuve qui témoignerait de la volonté de changement du Gouvernement pourrait se situer sur le terrain du pragmatisme. Comme bon nombre de mes collègues, j’ai été sollicité dès le début de la crise par des entreprises et des bénévoles, tous démunis face à la complexité de notre réglementation.
À titre d’exemple, j’évoquerai le cas d’une PME de mon département, qui s’est lancée au début du confinement dans la fabrication de visières de protection grâce à son imprimante 3D.
Pendant près de deux mois, ce fabricant a offert ses visières aux personnels soignants et les a vendues à prix coûtant aux artisans et aux commerçants, mais, depuis la mi-mai, il a cessé d’en produire. En effet, pour que les visières puissent porter la mention « garantie de protection contre le Covid », une instruction ministérielle impose qu’elles résistent – tenez-vous bien – à une bille d’acier de 22 millimètres et de 43 grammes, projetée à une hauteur de 1,30 mètre…
Les normes et les lourdeurs de la technostructure ne doivent pas provoquer plus de dégâts que le Covid-19. Dans ce cas précis, le remède est simple : un peu de pragmatisme et beaucoup de bon sens.
Si j’évoque ces quelques exemples, c’est pour demander au Gouvernement de mieux nous défendre en simplifiant les normes et en les faisant respecter aux industriels étrangers, en formant les jeunes aux métiers de l’industrie et en valorisant ces métiers importants, en développant les politiques publiques territoriales en faveur de l’industrie, en favorisant une meilleure diversification des processus productifs, enfin, en renouvelant la vision stratégique et prospective des pouvoirs publics, cela a été dit par ma collègue.
Cela pourrait se traduire par la nomination – enfin ! – d’un ministre de l’industrie de plein exercice, qui s’appuierait sur une direction d’administration centrale dédiée. Nous n’avons plus de politique industrielle depuis des années, ni même de ministre de l’industrie.
Madame la secrétaire d’État, mettez vos actes en accord avec vos paroles. Il y a urgence ! L’industrie n’est pas un gros mot. C’est elle qui crée la richesse, non les services. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Mesdames, messieurs les sénateurs, je constate que vous partagez sur l’ensemble de ces travées la conviction forte que l’industrie doit être au cœur de notre modèle économique. Cette conviction, qui est également la nôtre, nous la portons depuis trois ans, la reconquête industrielle étant l’un des éléments centraux de notre politique économique.
Certains l’ont dit, souveraineté économique et industrie ne sont plus des mots tabous. Il est vrai que, en 2000, d’après une vision économique assez largement partagée, il fallait délocaliser la fabrication dans des pays à bas coûts et ne conserver en France que la R&D et toutes les activités à valeur ajoutée.
Cette vision était probablement naïve, mais aussi quelque peu présomptueuse, car elle ne tenait pas compte du fait que ces fameux pays à bas coûts avaient eux aussi entamé leur mutation et qu’ils remontaient progressivement leurs chaînes de valeur vers des productions à plus forte valeur ajoutée. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés sans usines et avec une R&D un peu moins compétitive.
À cet égard, heureusement que le crédit d’impôt recherche, qui a traversé toutes les mandatures, a été mis en place, car il a été un élément central pour protéger cette partie située en amont de l’industrie.
M. Jean Bizet. C’est vrai !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Je partage nombre des convictions qui ont été exprimées sur ces travées.
Je tiens d’ailleurs à rappeler que, en 2017, en 2018 et en 2019, nous avons recréé environ 30 000 emplois industriels. Ce nombre n’est pas énorme, mais nous avons ainsi mis un terme à une très forte saignée industrielle. Je rappelle en effet que ce sont non pas 500 000 emplois qui ont été perdus entre 2000 et 2016, mais un million ! Ce n’est pas rien, même si une partie de ces emplois a peut-être été transférée aux services industriels.
Depuis trois ans, nous avons recréé non seulement des emplois industriels, mais aussi des sites industriels. Nous avons attiré des investissements étrangers en France et nous sommes ainsi progressivement remontés de marche en marche sur le podium. Je vous laisserai découvrir notre classement pour l’année 2019, même s’il peut sembler cruel compte tenu de la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Tous nos efforts d’attractivité industrielle ont porté leurs fruits.
Je vais maintenant revenir sur vos différentes interventions, répondre à vos questions ou réagir à vos convictions affirmées.
Monsieur le sénateur Perrin, permettez-moi tout d’abord de préciser certains points, sur lesquels nous n’avons peut-être pas suffisamment communiqué. Nous sommes évidemment intervenus auprès de General Electric à la suite du courrier, très général, envoyé par le siège américain à l’ensemble de ses sous-traitants. Nous leur avons dit que leur demande ne serait pas appliquée en France. Ce courrier a dès lors vite été rangé dans un tiroir. Par ailleurs, nous avons évidemment réagi aux délocalisations évoquées à l’issue du déconfinement et entamé des discussions.
Ce que vous dites sur les visières de protection est en fait infondé. Nous avons allégé le processus de validation de ces visières dans le milieu du travail. Aucun marquage particulier n’est requis pour les visières que tout un chacun peut porter dans la rue, mais un certain nombre de précautions doivent en revanche être respectées pour les équipements individuels utilisés en milieu professionnel.
Je le redis, nous avons non pas renforcé, mais allégé le processus ; nous avons même travaillé avec les makers. À cet égard, je vous invite à consulter le site de l’Association nationale des tiers-lieux, qui l’explique très bien, même si de fausses informations ont effectivement circulé sur internet.
Vous avez par ailleurs évoqué le rôle des territoires. Je rappelle que nous avons mis en place 146 territoires d’industrie en France. Les collectivités locales, les régions, qui ont la compétence du développement économique, portent aujourd’hui des milliers de projets, avec l’aide des opérateurs de l’État et l’accompagnement des industriels. Nous avons donc déployé une politique industrielle dans les territoires.
Enfin, monsieur Perrin, je vais vous rassurer : il y a bien une administration dédiée à l’industrie. Elle s’appelle la direction générale des entreprises, que je veux d’ailleurs saluer ici, car elle a effectué ces dernières semaines un travail absolument remarquable d’accompagnement des industriels.
M. Cédric Perrin. Il faut un ministre !
Mme Valérie Létard. Ou une ministre !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. J’entends ce besoin d’incarnation ! Néanmoins, je ne me prononcerai pas sur ce point : il y a des choses qui ne dépendent pas de moi… (Sourires.)
Mme Valérie Létard. Pas seulement d’incarnation : il faut aussi des moyens. Nous voulons vous aider à renforcer cette politique !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur Longeot, les relocalisations supposent de la compétitivité, je partage évidemment votre point de vue. L’enjeu est de la développer. Pour cela, une stratégie industrielle avec l’Union européenne est nécessaire, c’est l’un de nos axes très clairs. Nous sommes d’ailleurs récemment intervenus en faveur du plan de relance européen de 750 milliards d’euros, qui constitue une avancée importante.
À cet égard, vous aurez noté la détermination du commissaire Breton concernant les chaînes de valeur stratégiques, les écosystèmes, y compris le système académique, la R&D publique, les PME et les TPE. Nous soutenons évidemment très largement les propositions du commissaire Breton, que nous alimentons d’ailleurs en idées diverses.
Nous défendons l’idée d’un IPCEI, pour Important Project of Common European Interest, ce type de projet permettant de soutenir des filières industrielles à l’échelon industriel. J’ai eu une réunion du Conseil « compétitivité » il y a deux semaines avec mes homologues européens. Deux IPCEI semblent se dessiner : un premier sur la santé, un second sur l’hydrogène. Il faut maintenant cristalliser les choses.
Vous avez ensuite évoqué, comme plusieurs de vos collègues, la question des impôts de production et de leur impact sur la productivité. Le pacte productif visait à réduire les écarts de compétitivité liés à ces impôts, lesquels peuvent également orienter les choix d’installation sur de nouveaux sites.
Différentes démarches sont possibles. Ainsi, selon le Conseil d’analyse économique, la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) est l’un des impôts les plus nuisibles à l’économie. J’accepte ce diagnostic. Cet impôt étant porté par l’État, c’est à lui qu’il appartiendra de prendre une décision le concernant en temps utile.
Mme Valérie Létard. C’est vrai !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Par ailleurs, vous avez raison, les impôts financent des actions d’aménagement économique, mais les EPCI, notamment, pourraient aussi avoir des leviers et, sans baisser massivement les impôts, faire l’effort d’exonérer les jeunes entreprises les premières années, afin de leur permettre de roder leur modèle.
Aujourd’hui, les entreprises bénéficient d’exonérations durant leurs deux premières années – 100 % la première, 50 % la deuxième. On pourrait imaginer un échelonnement de ces exonérations sur cinq ans. Au fond, ce serait un pari pour une collectivité locale, dans l’attente d’un retour sur investissement cinq ans plus tard, puisque l’entreprise paierait alors ses impôts locaux.
Enfin, les hausses des impôts locaux sont des sujets très sensibles pour les entreprises industrielles, ce que je comprends, car j’ai travaillé dans ce secteur. Il faut veiller à ce que ces hausses ne soient pas plus rapides que la capacité des entreprises à augmenter leur chiffre d’affaires, au risque de créer un effet ciseaux. Nous devons collectivement prendre en compte cet aspect et en discuter avec les collectivités locales.
Madame Rauscent, vous soulignez qu’il ne faut pas se précipiter pour relocaliser des productions à faible valeur ajoutée.
De manière générale, il est vrai que nous sommes moins compétitifs sur les productions à faible valeur ajoutée, compte tenu du coût de nos intrants. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il ne serait pas intéressant de relocaliser en France certaines d’entre elles, qui sont en fait des éléments importants d’une chaîne de valeur. À cet égard, madame Primas, vous avez évoqué certaines productions, notamment alimentaires. Je partage assez votre avis.
C’est vrai aussi dans le domaine de l’électronique. Je partage d’ailleurs l’analyse du président de la région Nouvelle-Aquitaine. Nous sommes dans un état de dépendance pour certains composants électroniques très simples.
Un patron d’entreprise m’a encore récemment indiqué qu’il avait 117 fournisseurs en France il y a dix ans, contre 11 aujourd’hui. Ces composants, qui permettent de réaliser de très fortes marges quand ils sont fabriqués en Chine, pourraient être produits en France avec de faibles marges, afin de nous permettre d’être indépendants et de bien mieux maîtriser l’ensemble d’une chaîne de valeur.
Je pense également que nous devons relocaliser la production des principes actifs. À cet égard, nous avons accompagné Sanofi en ce sens. Vous avez été plusieurs à évoquer la communication de cette entreprise, qu’elle a du reste rapidement corrigée, ce qui a été utile et important… Au-delà, Sanofi va implanter une filiale de principes actifs en Europe.
Nous avions commencé à travailler sur la réimplantation de principes actifs importants en Europe dès le mois de février dernier. Il n’est pas absurde d’avoir une approche régionale. Tout ne peut pas être relocalisé en France. En revanche, il est important que nous disposions de diverses sources d’approvisionnement, réparties sur l’ensemble de la planète, afin que nous ne soyons pas bloqués pour la fourniture de certains éléments de base en cas de cybercrise, de crise géopolitique, climatique ou sanitaire – désormais, nous connaissons cela – susceptible de bloquer un pays. Une telle approche ne fait pas injure au commerce international.
Je partage également votre intérêt pour la 5G et la voiture autonome, sujets que plusieurs d’entre vous ont évoqués. Dans son programme, le commissaire Breton pointe un certain nombre de technologies clés. Nous l’avons fait aussi dans le cadre du pacte productif. Benoît Potier a lui identifié dix marchés technologiques clés dans lesquels nous devrions accroître nos investissements. Ces éléments nourrissent nos réflexions actuelles et seront pris en compte dans les propositions que nous formulerons dans le cadre du plan de relance.
Monsieur Ravier, vous avez évoqué la désindustrialisation, je n’y reviens pas, car j’en ai parlé.
Je ne pense pas qu’il faille opposer souveraineté française et Europe. Je crois au contraire que l’Europe a bien montré, par des actes forts, qu’elle avait rompu avec une tradition de fort ordolibéralisme, selon laquelle il faut veiller à ce que les interventions ne perturbent pas trop le fonctionnement du marché.
Ces dernières semaines, grâce à notre forte implication, nous avons marqué des points avec le plan d’urgence et avec le plan de relance européen. Nous sommes en train d’avancer. C’est d’autant plus indispensable, certains d’entre vous l’ont souligné, que la Chine et les États-Unis ne restent pas les bras croisés et que leur conception de la libre concurrence et du marché sert surtout leurs propres intérêts ; on ne saurait le leur reprocher, car nous aurons la même attitude.
J’en viens au chômage partiel. Nous travaillons sur une décélération, afin d’inciter à la reprise du travail, l’objectif n’étant surtout pas de briser les compétences, qui sont des éléments essentiels de l’industrie.
La semaine prochaine ou dans les prochains jours, nous annoncerons un plan en faveur du secteur aéronautique. On met dix ans à former un ingénieur aéronautique, mais une journée à le licencier ! L’enjeu est donc de préserver les compétences aéronautiques, afin de permettre à ces professionnels de continuer de travailler sur les projets du futur.
Monsieur Gay, je partage complètement votre intérêt pour les relocalisations, mais je n’établirai pas de lien direct, et vous ne m’en voudrez pas, entre nationalisations et relocalisations.
Je pense que l’on peut relocaliser des productions sans nécessairement les nationaliser, comme nous en avons apporté la preuve ces derniers mois. Sans faire injure aux équipes de l’administration, dont les qualités et les compétences ne sont pas en cause, il vaut mieux parfois qu’un industriel soit aux commandes d’une entreprise, plutôt que l’État, ce dernier ayant une culture plus administrative.
Je veux vous rassurer : les 7 milliards d’euros qui ont été prêtés…
M. Fabien Gay. Seulement 4 milliards d’euros ! Les 3 autres milliards vont aux actionnaires !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Il s’agit de 4 milliards d’euros, plus 3 milliards d’euros sous la forme d’une avance en compte courant. Ce prêt n’est pas sans contrepartie, puisque des engagements en faveur de la transition écologique et énergétique figurent très clairement dans les contrats, vous le savez.
De même, le prêt garanti par l’État de 5 milliards d’euros à Renault, qui est sur le point d’être signé, fait l’objet de contreparties, notamment en matière de relocalisation de la filière électrique, avec l’objectif d’un triplement de la production de véhicules électriques en France par Renault.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Des sites vont pourtant fermer !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. De même, pour vous répondre indirectement – Renault réunit ses représentants du personnel demain, nous suivrons cela de près –, je veux vous indiquer que les délocalisations sont à distinguer des ajustements structurels auxquels doit procéder Renault en raison de la diminution de l’ordre de 40 % de son chiffre d’affaires, sa production étant passée de 5 millions de véhicules à 3 millions, soit une baisse massive.
Ce qui est au cœur du problème de Renault, c’est bien cette réduction du volume global de production, en France, en Europe et dans le monde. Là où je vous rejoins, c’est que cela ne doit pas se traduire par des délocalisations.
Le train du futur est un élément du contrat stratégique de filière du ferroviaire. La réflexion sur le critère prix environnemental et social est notamment un élément pris en compte dans les marchés publics. Depuis juillet dernier, nous travaillons avec le groupe des acheteurs publics et privés à y insérer obligatoirement une clause environnementale et une clause sociale.
Aux termes de la clause sociale, une partie des marchés publics portant notamment sur des fournitures de travaux et de services seraient destinés à des publics éloignés de l’emploi ; aux termes de la clause environnementale, nous pourrions prendre en compte par exemple les émissions de CO2 ou le cycle de vie du produit.
L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) doit nous aider à développer des outils qui puissent être utilisés aisément par les acheteurs publics, tant il n’est pas très simple de mesurer l’empreinte environnementale de certains biens.
Monsieur Wattebled, effectivement, il convient de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Je crois avoir répondu au sujet du capitalisme d’État chinois et du caractère intrusif des politiques américaines. Il ne faut pas être naïf : vous avez vu que nous avons renforcé, au travers du décret relatif aux investissements étrangers en France, les règles en la matière, que l’Europe est en train de faire de même, ce qui constitue un signal important, et qu’un certain nombre de pays s’inspirent de notre démarche. Ce mouvement atteste d’une prise de conscience collective très importante sur ce sujet.
La révision des règles de concurrence est également un élément essentiel, et ce à double titre.
S’agissant du numérique, l’enjeu est d’éviter qu’une très grosse plateforme rachète une petite pépite qui, bien que réalisant un modeste chiffre d’affaires, a en réalité une très grande valeur. C’est à l’aune de la politique relative aux concentrations que cette question doit être étudiée.
À cet égard, nous devons adopter en la matière une approche dynamique. Prenons le cas, au hasard, d’un dossier relatif au transport ferroviaire – vous voyez celui auquel je fais référence… Il nous a semblé, dans l’analyse que nous avons faite de l’environnement concurrentiel, que le sujet n’était celui des parts de marché à la date de soumissionnement, mais plutôt celui de la manière dont se matérialisait cette concurrence au moment des appels d’offres, certaines propositions émanant de groupes, notamment chinois, particulièrement agressifs sur le plan commercial.
De même, le marché pertinent n’est pas nécessairement le marché européen ; ce peut être des marchés plus lointains sur lesquels se retrouvent ces groupes. Il est donc nécessaire de ne pas être trop centré sur ce point. Ce sont autant d’éléments que nous portons dans le cadre de notre politique industrielle.
Madame Létard, vous avez dit énormément de choses, et je partage la quasi-totalité de vos propos. M’exprimant depuis déjà dix-huit minutes, je ne sais pas comment je vais pouvoir vous répondre ! (Sourires.)
Mme Valérie Létard. Vous m’avez déjà en partie répondu !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Il est nécessaire de contrôler certaines activités stratégiques, particulièrement la chaîne de production et d’approvisionnement du matériel médical.
Il ne faut pas s’en tenir à une conception « défensive » des relocalisations et de la souveraineté, c’est vrai. L’enjeu des fonds propres est absolument essentiel ; c’est l’enjeu auquel nous allons être confrontés notamment pour abandonner les prix garantis par l’État, l’essentiel étant de ne pas fragiliser la structure de nos entreprises.
Je rejoins également vos propos relatifs au consommateur, dont les préoccupations ne sont pas forcément celles du citoyen, d’où les enjeux de compétitivité et de durabilité, pour un meilleur rapport qualité-prix ; bien sûr, il faut relocaliser Euromed, c’est-à-dire que, outre les chaînes de valeur en Europe, on peut également jouer entre l’Est et l’Ouest, entre le Sud et le Nord, et la France devrait porter cette vision. (Mme Valérie Létard approuve.)
La démarche multipartite est celle que nous avons portée dans le pacte productif, et nous réunissons les représentants des régions vendredi prochain. Nous portons le mécanisme d’inclusion carbone et tout ce qui a trait à une concurrence loyale.
Enfin, je rejoins plusieurs d’entre vous, qui ont estimé qu’il fallait accélérer le tempo de ces processus ; je compte d’ailleurs sur vous pour porter ce message auprès de vos collègues européens.
Quelles contreparties demandons-nous aux industriels ? C’est la transition écologique, ce sont les relocalisations, c’est l’investissement et c’est l’innovation.
S’agissant de la formation, j’insiste sur un point : l’usine du futur, c’est aussi la question des data, qui est aujourd’hui est sous-estimée et dont personne n’a parlé ici. Or les data, en B to B, sont essentielles, et nous sommes confrontés à deux enjeux.
Le premier, c’est de les considérer comme un élément de souveraineté, en tant que données de l’ensemble du processus de production. Il faut définir comment ces données seront optimisées : si elles sont détenues par de grandes plateformes américaines ou d’autres, elles perdront de la valeur.
Le second enjeu, c’est qu’il nous faut des jeunes extrêmement bien formés, notamment en mathématiques. De ce point de vue, nous avons des progrès à faire.
Mme Sophie Primas. Rendez Villani aux mathématiques ! (Sourires.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Monsieur Tissot, c’est l’État qui a sauvé Famar. Ce sont Mme Pannier-Runacher et M. Le Maire qui sont intervenus pour restructurer son bilan et faire en sorte que cette usine continue à produire. Voilà la réalité ! Nous recherchons des investisseurs et des repreneurs et c’est un dossier que suit la délégation interministérielle aux restructurations d’entreprises.
Sans l’intervention du ministère de l’économie et des finances, Famar aurait fermé l’année dernière. Je me permets de le rappeler.
Mme Sophie Primas. Et ne laissez pas fermer Renault Flins !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Concernant Renault Flins, le ministre l’a dit fermement : l’usine ne doit pas fermer. La question est celle de la surcapacité des fonderies, tant françaises qu’européennes, qui sont aujourd’hui en grande difficulté. Nous devons accompagner et étayer ce processus, ce que nous avons commencé à faire avec la mission Guyot.
En ce qui concerne les cyberrisques, je rejoins complètement ce qui a été dit : ce sujet mérite toute notre attention.
Madame Rossignol, le prix du médicament en France est l’un des plus faibles qui soient, et il est négocié au plus serré par rapport aux prix pratiqués dans les autres pays. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons divisé par deux notre empreinte industrielle pharmaceutique en France.
Il faut être vigilant : outre les coûts de production, il faut aussi prendre en compte les coûts de recherche.
Mme Laurence Rossignol. J’en ai parlé !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. C’est ce qui explique le prix élevé des traitements des maladies orphelines, compte tenu du faible nombre de patients. C’est ce qui explique aussi que l’on peine, pour certaines technologies, à valoriser le coût du médicament. Tout l’enjeu est d’avoir une approche industrielle du coût du médicament, et je sais qu’Olivier Véran partage cette vision.
Dans le cadre du Conseil stratégique des industries de santé, nous avons veillé à bien préciser tous ces éléments et à faire faire en sorte de prendre des mesures permettant de réimplanter des activités de santé en France.
Je puis d’ores et déjà vous dire que, dans les prochains jours, dans les prochaines semaines, nous enverrons des signaux forts dans cette direction. Et puisque vous évoquez les 34 plans industriels, je vous renvoie aux 18 contrats stratégiques de filière, qui sont vivants, bien vivants, et qui avancent. (M. Julien Bargeton, Mme Valérie Létard, M. Franck Menonville et M. Jean Bizet applaudissent.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La crise du Covid-19 : relocalisation des productions stratégiques pour assurer notre souveraineté. Lesquelles, où, comment ? »
L’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Marc Gabouty.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
Innovations numériques dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19
Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat et d’un vote, relative aux innovations numériques dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
En préambule, je rappelle que notre séance se déroule dans les conditions de respect des règles sanitaires mises en place depuis le mois de mars.
L’hémicycle fait l’objet d’un nettoyage et d’une désinfection avant et après chaque séance, et les micros seront désinfectés après chaque intervention. J’invite chacune et chacun à veiller au respect des distances de sécurité. Les sorties de la salle des séances devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle.
Je rappelle également que les orateurs s’exprimeront depuis leur place, sans monter à la tribune.
Notre séance s’organisera en trois temps : après la déclaration du Gouvernement, la parole sera donnée à un orateur de chaque groupe ; ensuite, après l’éventuelle réponse du Gouvernement, se déroulera une séance de onze questions-réponses ; enfin, nous procéderons au vote par scrutin public sur cette déclaration, en application de l’article 39 de notre règlement.
La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la crise sanitaire que nous vivons et qui frappe le monde entier a une dimension inédite.
Cette situation, qui est exceptionnelle par sa gravité, par les deuils et les sacrifices qu’elle a imposés à beaucoup de nos concitoyens, nous oblige à apporter des réponses adaptées.
Nous avons le devoir d’envisager toutes les solutions possibles et de mobiliser toutes les ressources pour mettre un terme à cette situation.
La volonté – et l’obligation – du Gouvernement est que son action s’inscrive dans ce domaine, sans exception possible, dans le cadre des valeurs de notre démocratie, c’est-à-dire le respect de l’État de droit et des libertés individuelles. C’est en nous conformant à cette exigence que nous pourrons conserver la confiance de nos concitoyens.
Les services numériques offrent évidemment d’immenses opportunités, vous le savez. Durant la crise, ils ont démontré leur intérêt et leur potentiel dans le domaine des consultations en télémédecine, qu’il s’agisse également du télétravail ou bien de l’école à distance.
Encore faut-il que ces outils numériques soient utilisés dans un cadre protecteur et respectueux des droits de chacun.
Cet encadrement a été bâti, adapté et perfectionné progressivement, afin de garantir à chaque personne la protection de ses droits fondamentaux, ainsi que le respect de sa vie privée et de ses données à caractère personnel.
La France, vous le savez puisque vous avez été des acteurs dans ce domaine, a toujours été à l’avant-garde de la protection des données et de la garantie des libertés individuelles dans ce domaine. La loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978 nous a permis d’être le premier pays en Europe à se doter d’un texte général, fondateur, protégeant les données à caractère personnel. Et c’est cette loi qui a créé la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), dont nous savons aujourd’hui encore combien elle est indispensable.
L’Union européenne, pour sa part, a élaboré, d’ailleurs sous l’impulsion de la France, entre autres, un cadre juridique harmonisé et protecteur pour les citoyens européens, pour l’utilisation de leurs données à caractère personnel.
Ainsi, la directive Vie privée et communications électroniques du 12 juillet 2002 permet de garantir la protection de la vie privée lorsque des correspondances empruntent des moyens de communication électroniques.
L’adoption du règlement général sur la protection des données de 2016 (RGPD) a fait l’objet de débats nourris dans votre assemblée en 2018, et ce texte a désormais une portée tout à fait considérable.
Ces textes nationaux et européens n’interdisent d’aucune manière l’utilisation des données personnelles dans le cadre d’une stratégie sanitaire, mais ils ont posé de grands principes auxquels doit se conformer tout traitement de données à caractère personnel.
Ces grands principes constituent des garanties pour le respect de notre vie privée et de nos libertés individuelles.
Trois d’entre eux, définis à l’article 5 du RGPD, constituent une base, un socle essentiel qui doit être ici mentionné.
Le premier principe, c’est celui dit « de la limitation des finalités ». Principe cardinal de la protection des données à caractère personnel, il établit que ces dernières ne doivent être utilisées que pour un objectif précis et déterminé à l’avance. Selon les termes mêmes du RGPD, le traitement doit répondre à une finalité déterminée, explicite et légitime.
Déterminée, parce qu’il n’est pas possible de collecter des données sans but ou à des fins préventives ; explicite, parce que les personnes concernées doivent savoir pourquoi et comment leurs données sont traitées ; légitime, parce que le traitement doit être en rapport avec l’activité de celui qui en est responsable.
Le deuxième principe est celui de la licéité : un traitement doit en effet se fonder sur l’une des bases juridiques limitativement énumérées par le RGPD, que ce soit le consentement des personnes, l’exécution d’un contrat ou l’exécution d’une mission d’intérêt public – et ce sera le cas ici.
Enfin, le troisième principe est celui dit « de minimisation des données » ou « principe de proportionnalité ». Cela signifie que l’on ne peut traiter que les données pertinentes et strictement nécessaires au regard de la finalité du traitement.
Ces principes ont été respectés pour chacun des outils numériques mis en place par le Gouvernement pour lutter contre l’épidémie de la Covid-19, qu’il s’agisse de Contact Covid ou du système d’information national de dépistage, le Sidep, deux traitements autorisés par le décret du 12 mai dernier. Ils permettent d’identifier les personnes infectées, les personnes qu’elles sont susceptibles d’avoir contaminées et les chaînes de contamination.
Ces traitements visent également à assurer la prise en charge sanitaire et l’accompagnement des personnes atteintes du virus ou susceptibles de l’être, ainsi que la surveillance épidémiologique du virus.
L’application StopCovid a respecté les mêmes principes posés par le RGPD. Elle complète les outils développés dans le cadre de la stratégie de déconfinement progressif que le Gouvernement a souhaité mettre en place.
Ces trois dispositifs, qui utilisent des données à caractère personnel et qui s’inscrivent donc dans une politique sanitaire globale, ont été soumis à l’avis de la CNIL, qui a donné un avis favorable.
Cette application a d’ailleurs fait l’objet de deux avis de la CNIL : l’un du 24 avril et l’autre du 25 mai. La CNIL s’est félicitée dans son dernier avis que ses premières recommandations aient été suivies par le Gouvernement.
M. Loïc Hervé. Encore heureux !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cela a aussi été le cas pour l’avis rendu par le Conseil national du numérique.
StopCovid répond aux exigences posées par notre droit et, me semble-t-il, apporte les garanties nécessaires au respect de la vie privée et des libertés individuelles. Cela résulte à la fois de ce qu’est l’application StopCovid et de ce qu’elle n’est pas.
Je commencerai peut-être par dire ce qu’elle n’est pas. Ma collègue Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, et le secrétaire d’État chargé du numérique, qui sont ici à mes côtés et que je salue, exposeront précisément ces questions, mais il me paraît d’emblée primordial de préciser qu’il ne s’agit en aucun cas de procéder à la géolocalisation des personnes ou à un suivi intrusif de leurs déplacements.
La technologie Bluetooth, qui est utilisée, conformément à la recommandation de la Commission européenne dans sa communication du 16 avril dernier, est à la fois d’être plus précise que la géolocalisation tout en étant moins intrusive, en ce qu’elle ne permet pas le pistage des personnes.
Nul ne sait où la personne est allée ni où elle a rencontré d’autres personnes susceptibles d’avoir été infectées ; on sait seulement que des personnes ont croisé l’utilisateur de l’application.
StopCovid n’a d’ailleurs pas non plus vocation à permettre un quelconque fichage des Français ou à contrôler leur respect des mesures sanitaires. Le décret créant cette application sera très clair, en précisant expressément ce à quoi elle peut servir.
J’ai dit ce que n’était pas StopCovid ; j’ajouterai quelques mots maintenant sur ce qu’est cette application. Il apparaît nécessaire, dans le cadre de la stratégie globale de déconfinement du Gouvernement, non seulement d’être capable d’identifier ceux que l’on appelle les « cas contacts », qui sont les proches des personnes infectées, connus de ces dernières, mais aussi d’être en mesure d’alerter tous les autres, ces inconnus croisés dans les transports ou dans les magasins et qui ont pu être contaminés sans le savoir.
Il s’agit ainsi de juguler aussi rapidement que possible et aussi efficacement que possible les chaînes de contamination. C’est là l’objectif de cette application. Et c’est donc bien sur le fondement de l’exécution d’une mission d’intérêt public que ce traitement sera mis en œuvre, sous la responsabilité du ministère des solidarités et de la santé.
De nombreuses autres garanties entourent ce traitement, conformément aux préconisations de la CNIL. J’en citerai quatre.
La première, c’est l’utilisation volontaire de cette application. À chaque étape, le consentement des personnes est requis et leur choix est garanti. Le téléchargement de l’application résulte d’une démarche volontaire de l’utilisateur ; son installation est libre et gratuite ; les fonctionnalités ne pourront être activées que si l’utilisateur le souhaite ; la désinstallation sera possible à tout moment.
Si un test nasopharyngé permet à l’utilisateur de savoir qu’il est potentiellement contaminant, il ne le notifiera dans l’application que s’il le souhaite.
Recourir ou non à l’application est donc un choix que chacun d’entre nous pourra faire. Notre liberté est ainsi préservée et garantie.
Précision capitale pour que cette liberté soit garantie : aucune conséquence négative n’est attachée au choix de ne pas recourir à cette application. L’accès aux tests et aux soins, la liberté d’aller et de venir, l’accès aux transports en commun ne sont pas conditionnés à l’installation et à l’utilisation de l’application. Il ne saurait non plus y avoir de conséquences sur la vie professionnelle.
De même, ni son installation ni son utilisation ne donnent droit à aucun droit ou avantage spécifique. Le consentement est donc libre, conformément à notre droit national et à la réglementation européenne que j’ai citée tout à l’heure.
La deuxième garantie, c’est la pseudonymisation.
L’installation de l’application ne requerra pas la fourniture de données directement identifiantes comme le nom ou l’adresse. Seuls des pseudonymes éphémères seront utilisés, et ni l’État ni personne d’autre n’aura accès à une liste de personnes diagnostiquées positives ou à une liste des interactions sociales entre les utilisateurs.
La troisième garantie est la conservation des données pour une durée extrêmement limitée. Les données ne pourront être gardées que pendant la durée de fonctionnement de l’application. Le caractère de l’appréciation est temporaire – j’y insiste. Sa mise en œuvre est fixée à six mois, une durée qui correspond à celle qui est prévue pour les traitements Contact Covid et Sidep, l’application n’ayant en réalité d’utilité qu’en lien avec le cadre plus général de conduite des états sanitaires.
Plus encore, les historiques de proximité ne pourront être conservés que quinze jours, durée strictement nécessaire au regard de la durée d’incubation du virus.
Plus important encore, l’utilisateur pourra à tout moment demander la suppression de ces données tant de son ordiphone que du serveur central.
Enfin, la dernière garantie est la transparence. L’application StopCovid s’inscrit dans une démarche de transparence. Les utilisateurs seront informés des principales caractéristiques du traitement et de leurs droits au moment de l’installation de l’application.
StopCovid respecte donc strictement la législation applicable en matière de protection des données à caractère personnel, ainsi que les préconisations de la Commission européenne, du Comité européen de la protection des données et de la CNIL, avec laquelle, d’ailleurs, le Gouvernement a étroitement collaboré à plusieurs reprises.
En résumé, StopCovid repose sur la base du volontariat ; il s’agit d’une application temporaire, non identifiante et transparente. Toutes les garanties me semblent donc prises pour que la vie privée des Français soit respectée.
Enfin, cette application n’a pas vocation à devenir l’élément central de la lutte contre la Covid-19. Elle n’est pas davantage un moyen déguisé d’ériger un État policier, contrôlant les faits et gestes de nos concitoyens.
À juste titre, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) souligne qu’« il s’agit de sujets de préoccupation majeurs dans une société démocratique, nécessitant une transparence accrue et des garanties suffisantes pour pallier les risques d’atteinte transversale aux droits et libertés fondamentaux ».
À l’ensemble des garanties que j’ai évoquées s’ajoutent notre vigilance collective et le débat démocratique, qui se déroule notamment avec vous. Dans ces conditions, nous pouvons envisager cette application comme un outil précieux pour nos concitoyens, permettant d’agir au service de leur santé sans nier leur liberté ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – MM. Jean-Pierre Leleux et Franck Menonville applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la dangerosité du coronavirus n’est plus à prouver et la France, comme tous les pays du monde, paie encore le lourd tribut de cette crise.
Le 11 mai, nous avons engagé une nouvelle phase : celle du déconfinement. Toutefois, le combat n’est pas terminé, et nous devons étudier tous les outils permettant de vaincre le virus.
Le débat qui nous réunit ce soir est celui de la pertinence et de la juste mesure. À cet égard, la première question est la suivante : l’application StopCovid est-elle efficace ?
De nombreuses études épidémiologiques montrent l’intérêt que présentent, pour les autorités sanitaires, les applications de suivi de contacts, en appui au suivi manuel de propagation des chaînes de transmission. De tels outils permettent d’alerter les contacts anonymes, croisés par exemple dans les transports ou dans les commerces ; ils offrent ainsi un gain de temps et de ressources.
Nombre d’experts soutiennent l’utilité d’une telle application dans le cadre de la stratégie de contact tracing, qui, désormais, se trouve au centre de la stratégie de déconfinement : c’est le seul instrument permettant de rompre les chaînes de transmission.
Conformément au vote que vous avez émis il y a quelques semaines, le suivi des contacts est réalisé manuellement, au moyen d’une enquête auprès de la personne malade, qui transmet la liste des personnes avec qui elle aurait été en contact et celle des lieux publics qu’elle a visités durant sa période de contagiosité.
L’action de traçage n’est pas nouvelle : cette méthodologie est largement utilisée en veille sanitaire, pour bon nombre de pathologies infectieuses à transmission interhumaine.
Le contact tracing repose sur les professionnels de santé, les médecins de ville et les biologistes, pour la réalisation des tests, et sur les infirmiers, pour les prélèvements. Il fonctionne également grâce à l’appui des agents de l’assurance maladie. Ces équipes d’anges gardiens sont indispensables pour intervenir rapidement et casser les chaînes de contamination.
Les dernières données le prouvent : près de 45 % des transmissions du virus se font à partir de personnes asymptomatiques. L’enjeu est, partant, de repérer très précocement les cas contacts. C’est l’une des possibilités que nous offrent les solutions numériques élaborées. Ces dernières ne viennent pas se substituer au contact tracing mis en œuvre par l’assurance maladie ; elles viennent en appui.
L’application StopCovid permet ainsi de repérer plus précocement de potentiels cas contacts, qui, avec vingt-quatre ou quarante-huit heures d’avance, auront dès lors les bons réflexes : s’isoler, consulter un médecin et se faire tester.
Arrivons-nous trop tard ?
M. Loïc Hervé. Oui !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Je ne le pense pas. En effet, notre stratégie de contact tracing ne repose pas uniquement sur les outils numériques, comme c’est le cas dans certains pays asiatiques.
L’Académie de médecine a émis un avis favorable à l’utilisation d’une application de type StopCovid, dans le cadre du déconfinement. Ce dispositif permet une participation active de la population à la lutte contre la pandémie, tout en respectant l’anonymat et cette réglementation européenne et nationale que constitue le règlement général sur la protection des données, le RGPD.
J’en viens à la question éthique : de fait, un moyen efficace n’est pas nécessairement un moyen légitime.
Au sein du Gouvernement comme sur ces travées, nous avons tous le même but : protéger les Français. Or je rejoins plusieurs d’entre vous, selon lesquels nous ne les protégerons pas bien si, en parallèle, nous portons atteinte aux libertés qui préservent leur vie privée.
Pour concilier ces deux protections, il faut assumer la transparence. Vous le savez, StopCovid a été développé sous la supervision du ministère des solidarités et de la santé et du secrétariat d’État chargé du numérique. Dans un avis datant d’avril dernier, le Conseil national de l’ordre des médecins a précisé ses recommandations en matière d’utilisation du numérique dans la période d’épidémie. Ces préconisations ont été suivies.
L’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) a été chargé de développer un prototype d’application et d’instruire les différentes questions techniques. L’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) a quant à elle été sollicitée pour garantir la résilience et la sécurité des solutions étudiées.
Enfin, comme vient de le rappeler Mme la garde des sceaux, la CNIL a été étroitement associée à ce travail, dans le respect de son indépendance. (M. Loïc Hervé s’exclame.) Ainsi, toutes les garanties nécessaires sont apportées pour protéger la vie privée.
Dès sa phase de construction, le projet a impliqué des équipes d’épidémiologistes de Santé Publique France et de la direction générale de la santé. De plus, nous avons veillé à ce qu’il s’inscrive pleinement dans la stratégie sanitaire de déconfinement élaborée par le Gouvernement.
La transparence est une clé essentielle de StopCovid. La protection de la vie privée est un principe avec lequel nous ne transigerons pas. L’application StopCovid ne doit pas passer pour autre chose que ce qu’elle est fondamentalement : un simple outil de lutte contre une épidémie redoutable ; un outil efficace et – j’en suis profondément convaincue – un outil légitime.
Avant de conclure, j’évoquerai brièvement la place qu’occupe le numérique depuis le début de cette crise.
Le ministère des solidarités et de la santé a ouvert un service officiel de prévention et de conseil personnalisé : le site « mesconseilscovid.sante.gouv.fr », qui permet à chacun de nos concitoyens de bénéficier d’informations utiles pour se protéger et pour protéger les autres. Cet outil intervient en amont de l’entrée dans le parcours de soins. Les conseils qu’il dispense sont personnalisés selon la situation médicale, familiale, professionnelle et géographique de l’utilisateur, sans stockage de données sur un serveur central.
Je le dis et je le répète : au cours de la période de déconfinement, notre stratégie consiste à tester, tester encore et toujours tester. Ainsi, sur le site « sante.fr », nous avons mis en ligne une carte géolocalisée de tous les lieux de prélèvement des tests virologiques pour le dépistage de la Covid. Les informations sont renseignées directement par les laboratoires de biologie médicale, que je remercie de leur réactivité dans ce projet mené avec la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la Drees.
Depuis le lancement du service, il y a quelques jours, la carte a été consultée plus de 400 000 fois. Elle répertorie quelque 3 100 sites de prélèvement.
Enfin, c’est la société française tout entière qui s’est mobilisée : ses start-up et ses éditeurs de e-santé ont rivalisé d’innovations pour lutter contre la Covid-19.
Afin de soutenir ce formidable élan et d’accompagner à la fois les citoyens, les professionnels et les établissements de santé dans leurs choix d’outils numériques, le Gouvernement a lancé une plateforme de référencement, véritable guichet de l’innovation numérique dédié à la Covid. À ce jour, plus de deux cents services y sont déjà référencés. Plusieurs outils de téléconsultation et d’aide à l’orientation pour les citoyens sont ainsi répertoriés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la période que nous traversons, et dont nous sortirons, je l’espère, progressivement, prouve que notre pays est capable d’utiliser toute son ingéniosité, toute son inventivité et toute sa créativité pour combattre cette pandémie mondiale, tout en conservant, bien ancrés, ses principes fondateurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – MM. Jean-Pierre Leleux et Franck Menonville applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la première fois qu’un logiciel mobilise ainsi, à lui seul, le Parlement pour un débat et pour un vote.
Certes, la Haute Assemblée a déjà eu l’occasion de débattre de l’utilisation des outils numériques, de leur impact et des limites qu’il convient de leur assigner. Mais jamais le Gouvernement et le Parlement ne se sont retrouvés pour traiter d’un tel sujet, qui, malgré son caractère très restreint, soulève des questions très profondes.
Il s’agit donc d’une première, mais probablement pas d’une dernière. Ce que nous savions, et que le confinement a confirmé de manière paroxystique, c’est que le numérique est devenu la colonne vertébrale de notre économie, de notre société et même de nos institutions.
Or cette dorsale a ses propres déterminants et ses propres règles, que le champ législatif et l’action politique méconnaissent trop souvent. Les langages du droit et de la loi ont, à nos yeux, une noblesse que le code informatique n’a pas encore, même s’il tend souvent à les supplanter.
L’intelligence artificielle et les algorithmes décident de plus en plus à notre place : si nous n’y prenons garde, ils risquent de reproduire ou d’amplifier les inégalités du monde réel, par exemple les inégalités de genre.
Les réseaux sociaux ancrent, malheureusement, notre quotidien dans la culture et le droit anglo-saxons.
Les moteurs de recherche hiérarchisent l’accès à l’information et formatent notre débat démocratique.
Enfin, mille autres exemples témoignent de cette urgence : inscrire le numérique au cœur du travail de nos institutions, non comme une matière en soi, mais comme une grammaire déterminant l’ensemble de notre action.
À l’aune de ces débats ontologiques, l’application StopCovid n’est en soi que peu de chose. Au reste, la polémique qui l’a accompagnée en dit probablement un peu plus de nous que de l’application elle-même – j’y reviendrai.
Avant toute chose, il convient donc de préciser ce qu’est StopCovid. Cette application, présentée à de multiples reprises, obéit à un principe simple : dès lors que vous l’aurez installée, volontairement bien sûr, elle « historisera » sur votre téléphone portable la liste des personnes utilisatrices de l’application avec qui vous avez été en contact pendant plus de quinze minutes et à moins d’un mètre, sans que vous connaissiez jamais leur identité.
Si vous êtes testé positif, StopCovid vous permettra de notifier volontairement et instantanément ces mêmes personnes : elles sauront qu’elles ont été en contact avec une personne contaminée par le Covid. En conséquence, elles pourront s’isoler, appeler un médecin et, le cas échéant, être testées.
De même, l’application vous préviendra si l’un de vos contacts est testé positif, mais de manière anonyme ; vous ne saurez jamais qui est le contact en question.
Vous l’avez compris : la logique est la même que pour les équipes sanitaires, citées par Christelle Dubos. Le résultat d’une notification positive est d’ailleurs en ligne avec la doctrine relative aux cas contacts : une fois notifié, vous devrez vous isoler, prendre contact avec un médecin et, le cas échéant, être testé. L’urgence est de circonscrire les départs de feu et d’éteindre les résurgences de l’épidémie le plus vite possible.
Les équipes d’enquête sanitaire sont le fer de lance de ce combat contre l’épidémie : elles ont fait, ici même, l’objet de multiples débats il y a quelques semaines. En quelque sorte, elles sont notre assurance vie. Mais leur efficacité est limitée par deux facteurs.
Tout d’abord, certains cas de transmission échappent au travail des enquêteurs sanitaires : il en est ainsi des personnes croisées dans le bus ou dans le métro, ou encore dans une file d’attente, devant un supermarché. En pareil cas, si vous avez été un peu trop proche, un peu trop longtemps, d’une personne malade testée a posteriori, personne ne pourra vous prévenir.
Ensuite, la rapidité d’intervention peut se révéler insuffisante. Plusieurs heures, voire plusieurs jours, peuvent s’écouler entre le moment où une personne est testée positive et celui où ses contacts sont appelés. Or, comme le prouvent de nombreux travaux scientifiques, ces heures et ces jours sont décisifs : plus de la moitié des contaminations sont le fait de personnes en période d’incubation ou asymptomatiques. Elles contaminent leurs proches et d’autres individus sans le savoir.
Dans ce contexte, StopCovid n’est en aucun cas la solution magique. Mais l’application apporte une réponse à ces difficultés. Elle offre un complément utile et nécessaire au travail, central, des équipes d’enquête sanitaire.
Cela étant, ses avantages sont-ils décisifs ? Justifient-ils d’y consacrer tant de moyens ? C’est ma conviction ; c’est la conviction du gouvernement français et celle de la quasi-totalité des gouvernements européens, qui sont tous en train de développer un tel projet d’application. C’est, surtout, la conviction des épidémiologistes et des médecins.
À cet égard, je tiens à rappeler les nombreux avis du conseil scientifique – le dernier date du 20 avril dernier –, qualifiant d’« indispensable » le déploiement d’un tel outil, même si la prévalence de l’épidémie est basse. L’Académie de médecine a également donné un avis favorable à l’utilisation de smartphones pour le suivi du déconfinement.
Enfin, avec soixante autres scientifiques et professionnels de médecine, Pierre-Yves Boëlle, Simon Cauchemez, Vittoria Colizza, Dominique Costa-Guyola, Jean-Claude Désenclos, Arnaud Fontanet, Chiara Poletto, Alfred Spira ou encore Alain-Jacques Valleron, tous épidémiologistes reconnus au sein de nos plus prestigieux instituts de recherche, l’ont affirmé dans une tribune au Monde : cette application est un moyen parmi d’autres, mais elle est un atout incontestable pour identifier de nombreux contacts de manière instantanée. En effet, elle permet de gagner du temps. « Si nous voulons éviter une seconde crise sanitaire, nous devons nous en donner les moyens. D’un point de vue sanitaire, l’application StopCovid, dûment encadrée, doit faire partie d’une stratégie nationale de contrôle de l’épidémie. » (M. Loïc Hervé s’exclame.)
StopCovid n’est pas une coquetterie technologique. C’est un outil sanitaire au service de la protection des Françaises et des Français. Mais l’efficacité sanitaire ne se paye pas à n’importe quel prix ; et je sais combien la Haute Assemblée est attachée à la défense des libertés.
Nicole Belloubet l’a rappelé : parce que notre culture et les valeurs de notre pays le commandent, parce que c’est une condition indépassable de l’acceptation de StopCovid par la population française, le Gouvernement s’est attaché à offrir le maximum de garanties pour protéger la vie privée des Françaises et des Français.
À cet égard, je tiens à répondre aux interrogations et aux critiques qui ont jalonné la route de cette jeune application. Je sais les questions légitimes que beaucoup se sont posées et les projections dystopiques qu’a suscitées ce projet. Comme l’a fait Nicole Belloubet au cours des dernières semaines, il fut même parfois plus simple de commencer par dire, non pas ce que faisait cette application, mais ce qu’elle ne faisait pas ; de dessiner, en quelque sorte, son portrait, non pas en plein, mais en creux.
Certains redoutent une société de la surveillance, dénoncent le tracking et la géolocalisation, demandent à ceux de leurs proches qui téléchargeraient l’application de les supprimer de la liste de leurs contacts.
Je veux les rassurer : de tout cela, il n’est en aucun cas question. La seule technologie utilisée est le Bluetooth. La seule information disponible est la notification anonyme reçue, et reçue par vous seul, lorsque vous avez été en contact prolongé avec une personne testée positive depuis lors.
La géolocalisation n’est en aucun cas utilisée ; nul n’a accès à vos contacts ou à la liste des personnes que vous avez croisées ; nul ne peut savoir de qui vient l’information pour qui que ce soit, ni vous, ni les autres, ni l’État.
Toutes les informations sont cryptées, hébergées sur votre téléphone ou sur un serveur de la direction générale de la santé, et personne ne peut y accéder.
D’autres évoquent un chantage et redoutent que le libre arbitre ne soit édulcoré par la pression sociale. Ces préventions sont elles aussi légitimes, mais elles sont sans objet : l’installation de l’application StopCovid est entièrement volontaire. Nul ne pourra contraindre quiconque à installer l’application. En agissant ainsi, l’on s’exposerait à des poursuites judiciaires. (Mme Éliane Assassi ironise.)
D’autres encore mettent en doute l’utilité de l’application, en affirmant que, pour être efficace, elle devrait atteindre 60 % de la population. Ils auront mal lu l’étude menée par l’université d’Oxford et l’Imperial College, qui, la première, a modélisé l’impact d’un outil numérique de cette nature.
Dans un bassin de vie, sans autres gestes barrières, la diffusion de l’application auprès de 56 % de la population suffirait, à elle seule, à juguler l’épidémie : c’est ce qu’indiquent ces travaux. Ce qu’ils établissent aussi, c’est que, dès les premières activations, l’application sauve des vies, car elle couvre certains angles morts des enquêtes sanitaires. Ce qu’ils révèlent au surplus, c’est que son efficacité est systémique et linéaire à partir de quelques points d’activation.
D’autres, enfin, évoquent les dérives ataviques des gouvernements, leur tendance pavlovienne à détourner les nouvelles technologies pour en faire des outils de surveillance. Cette vision déterministe n’est pas la mienne. J’en suis convaincu : les nouvelles technologies ne sont ni bonnes ni mauvaises par essence. Il nous revient de bâtir les contre-pouvoirs et les institutions qui nous protègent des tentations et des dérives que peuvent subir nos sociétés.
Pour cette raison, la première garantie apportée par le Gouvernement, c’est la transparence totale de StopCovid : la publication du code en source ouverte par l’Inria permettra à tout informaticien de confirmer que cette application fait bien ce que le Gouvernement dit qu’il fait, et rien d’autre.
En outre – MM. Bas et Retailleau, je le sais, y tiennent beaucoup à cœur –, en vertu des articles 6 et 11 du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, que vous avez voté, le Gouvernement a créé un comité de liaison et de contrôle composé non seulement de spécialistes de la santé, des questions d’éthique et du numérique, mais aussi de parlementaires. Ce comité pourra diligenter tous les audits nécessaires sur le serveur central, afin de vérifier que celui-ci fait bien ce que le Gouvernement dit qu’il fait, et rien d’autre.
Le décret instituant ce comité de liaison et de contrôle a été signé le 15 mai. Il précise sa composition, en indiquant qu’il a vocation à évaluer, auditer et surveiller l’ensemble des outils numériques de traçage mis en place par le Gouvernement, dont StopCovid.
C’est bien simple : l’intérêt du Gouvernement et des autorités sanitaires, c’est de faire la transparence totale sur le fonctionnement de cette application, afin que chacun soit rassuré et que son adoption soit la plus large possible.
Ces garanties étant posées, ce serait mentir que d’affirmer que StopCovid échappe à la règle selon laquelle le risque zéro n’existe pas.
En ce sens, et parce qu’il touchera potentiellement des millions de Françaises et de Français, ce projet n’est pas anodin. Aussi, nous assumons le fait que StopCovid n’est pas destiné au temps de paix. Cet outil répond à une crise historique, sans laquelle il n’existerait pas et au-delà de laquelle il n’existera pas : celle du Covid-19.
L’alternative face à laquelle nous nous trouvons est donc simple : ou bien tout faire pour éviter que l’épidémie ne reprenne, pour limiter le nombre de nouvelles victimes et réduire le risque de reconfinement, notamment en déployant un tel outil, jugé nécessaire par les médecins, adapté par la CNIL, et dont – je le rappelle une nouvelle fois – l’utilisation ne sera que volontaire ; ou bien choisir, pour des raisons politiques et philosophiques qui sont légitimes, de priver les personnes volontaires d’une telle protection.
Toutefois, dans ce cas, il faut accepter le risque qui en découle ; pour le dire plus crûment, il faut assumer les contaminations, les malades et les morts supplémentaires, ainsi que le risque accru de reconfinement.
Cette dernière formulation est presque violente, mais elle n’en est pas moins vraie. C’est, ni plus ni moins, ce que nous dit la science, de manière plus statistique, mais non moins cruelle. À ce titre, je vous invite à lire les études épidémiologiques parues encore hier. (M. Loïc Hervé s’exclame.)
Si l’on refuse de se doter de tous les outils, il faut le faire les yeux ouverts, comme dirait Marguerite Yourcenar.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la question qui se pose et que, ce soir, nous vous posons tout spécialement tient donc en un seul terme : la proportionnalité.
La politique, le droit, la vie, tout est affaire de proportions. Ce qui compte, c’est l’équilibre. Telle est la question en balance : y a-t-il un plus grand risque sanitaire, social, économique, voire démocratique que la perspective du reconfinement ?
C’est cette proportionnalité qui a conduit le Comité national pilote d’éthique du numérique, au sein du Comité national consultatif d’éthique, à insister sans délai sur l’importance d’une telle application de suivi numérique de contacts, dont le contrôle souverain doit être garanti aux citoyens français, voire européens, dès lors que l’on aura statué sur ses qualités éthiques.
C’est cette proportionnalité encore qui a conduit la CNIL, laquelle s’est prononcée deux fois en faveur de l’application, à déclarer on ne peut plus clairement que « l’application peut être déployée conformément au RGPD » – ce règlement est, je le rappelle, le régime de gestion des données personnelles le plus protecteur au monde.
C’est cette proportionnalité, enfin, qui conduit le Gouvernement à solliciter, aujourd’hui, votre approbation pour le déploiement de l’application StopCovid.
Avant de conclure, je tiens à vous livrer une réflexion personnelle, dépassant le seul sujet qui nous réunit aujourd’hui. Il s’agit, plus largement, de l’avenir de notre pays.
S’il y a une caractéristique de StopCovid que je souhaite souligner devant vous, c’est qu’il s’agit d’un projet français. Ce projet a le goût de l’excellence et du panache – d’aucuns diraient même de l’entêtement – qui distinguent notre pays. Bien sûr, il a des échos et des ramifications européennes, mais ne nous y trompons pas : ce qui tiendra, demain, derrière une petite icône sur chaque téléphone est le fruit de milliers d’heures de travail et de nuits courtes, en faveur d’un projet emblématique du savoir-faire des chercheurs, des industriels et des entrepreneurs français.
À ce jour, vingt-deux pays ont choisi de développer une solution de protection des contacts s’appuyant sur l’interface développée par Apple et Google. Nombre de ces vingt-deux pays se trouvent en Europe, mais ni la France ni le Royaume-Uni ne figurent sur la liste. Est-ce le fruit du hasard ? Ce sont, en parallèle, les deux seuls États européens disposant de leur propre outil de dissuasion nucléaire, ce qui est finalement l’acmé de la souveraineté nationale.
Ce refus n’a rien de dogmatique. Il n’est pas opposé, en soi, parce qu’il s’agit d’Apple et de Google ; mais parce qu’une grande entreprise, si performante et innovante soit-elle, n’a pas à contraindre les choix de politique sanitaire d’une nation souveraine ; parce que, pour garantir la sécurité des données des Français et l’efficacité sanitaire du dispositif, la France a fait le choix de l’indépendance.
Nous ne sommes pas au bout du chemin, loin de là ; vous pourriez du reste décider que la route s’arrête là. Mais, à ce stade, j’ai une pensée pour toutes les équipes qui, en un temps record, auront permis cette indépendance, car il s’agit déjà d’une victoire technique et politique.
Ce projet a été mené de main de maître par l’Inria et par l’équipe resserrée qui s’est formée autour de lui : Capgemini, Dassault Systèmes, Lunabee Studios, Orange, Withings, sans oublier tous les autres industriels qui ont choisi de travailler gratuitement à ce projet, ainsi que l’Anssi, la direction interministérielle du numérique, la Dinum, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’Inserm, l’Institut Pasteur, Santé publique France, de même que l’armée de terre, qui a mis à disposition ses soldats pour mener à bien les tests des derniers jours. Que tous ces partenaires soient remerciés.
Cette aventure n’est pas terminée. Si vous en décidez ainsi, le plus dur commencera même mardi prochain. Elle continue aussi sur le plan technique, puisque nous travaillons au déploiement d’un support hors téléphone : il s’agit de pourvoir, à partir de l’été prochain, les personnes qui ne disposent pas de cet équipement ou sont éloignées du numérique.
Cette attention à la fracture numérique – il s’agit, je le sais, d’un sujet qui vous tient à cœur – a guidé l’équipe projet depuis le début. Elle nous a conduits à travailler jusqu’au bout pour rendre StopCovid le plus facile d’utilisation et le plus accessible au plus grand nombre, notamment aux personnes en situation de handicap.
À l’heure où le monde du numérique et, parfois, le monde tout court, tend à être dominé par une poignée d’entreprises quasi oligopolistiques, c’est cette même alliance de la recherche, des grandes entreprises, des start-up et des institutions qui doit permettre à la France de tirer son épingle du jeu et de conserver son indépendance sanitaire et technologique.
Cette histoire, celle de nos relations à la technologie et aux sciences, plonge profondément ses racines dans le roman national français, avec Lavoisier, Marie Curie, les frères Lumière ou encore Louis Pasteur. (Exclamations ironiques.)
M. Jean-Pierre Sueur. Vous ne citez pas Platon ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. C’est le choix de l’indépendance et de la souveraineté nationales, garanties par les décisions du général de Gaulle, immuablement prolongés par ceux qui lui ont succédé. (M. Martin Lévrier applaudit. – Nouvelles exclamations ironiques.)
M. Loïc Hervé. Quel œcuménisme !
M. Patrick Kanner. J’aime quand vous dites du bien de François Mitterrand !
M. Cédric O, secrétaire d’État. C’est le choix de la modernité, qui a longtemps transcendé les différences partisanes ; le choix d’une modernisation libérale, qui – vous ne pourrez qu’approuver, monsieur Kanner ! –, par le progrès et l’émancipation qu’elle permet, s’inscrit au cœur du récit historique de la gauche.
M. Pierre Ouzoulias. Dressez donc une statue à la gauche !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Ne perdons pas le fil de cette histoire. Le progrès, aujourd’hui, n’a plus si bonne presse. Des OGM à la 5G, de l’intelligence artificielle aux cellules CAR-T, une partie de la France n’ose plus regarder l’innovation en face. Sondage après sondage, le pessimisme semble gagner du terrain. La science recule au rythme où progressent les fausses informations et les prophètes autoproclamés.
M. Jean-François Husson. Maintenant, c’est de la lévitation…
M. Cédric O, secrétaire d’État. Bien sûr, le réchauffement climatique est là pour nous rappeler chaque jour que le progrès n’est pas bon en soi, qu’il doit être maîtrisé et piloté.
M. Loïc Hervé. On s’éloigne du sujet !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Toutefois, un pays qui a peur d’innover, qui se défie de ceux qui prennent ce risque, qui fait du principe de précaution l’alpha et l’oméga de tous ses débats, est un pays qui se contente de gérer son déclin.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il est rare de défendre un projet avec tant de vigueur et d’y travailler si ardemment tout en espérant, du fond du cœur, qu’il ne sera pas utile, parce que l’épidémie finira avec l’été. Mais l’espoir n’a jamais fait une stratégie. Notre responsabilité, c’est de faire en sorte que tous les outils soient déployés, dès lors qu’ils respectent nos valeurs, pour mieux combattre l’épidémie.
C’est pourquoi je vous demande, sans jamais croire qu’il s’agit là d’une solution magique, mais avec la certitude que cet outil est utile et nécessaire, de nous autoriser à déployer l’application StopCovid. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – MM. Pierre Louault et Franck Menonville applaudissent également.)
Mme Éliane Assassi. L’application est déjà déployée !
M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Nous en venons aux orateurs des groupes politiques.
Dans le débat, la parole est à M. Philippe Adnot, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, chacun, dans cette assemblée, connaît mon esprit d’indépendance absolue et ma volonté farouche de défendre notre espace de liberté.
À mes yeux, l’utilisation des technologies à des fins à de traçage ne peut que remettre en cause nos libertés fondamentales.
En outre, même si j’ai beaucoup de sympathie pour nos amis chinois, le système de reconnaissance faciale, avec l’attribution de points pour bon comportement, n’est pas le modèle que je souhaite pour notre pays.
Pour autant, j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt les développements du projet d’application StopCovid. En effet, j’en suis également convaincu : on ne peut pas nier la nécessité de sortir au plus vite, et dans les meilleures conditions, de cette pandémie qui a déjà fait beaucoup de dégâts.
Je regrette profondément que le projet qui regroupait 135 chercheurs issus de 8 pays européens ait achoppé sur l’opposition entre centralisation et décentralisation invoquée par nos amis suisses.
Je suis certain que l’irruption des sociétés Apple et Google, qui se sont alliées sur ce sujet d’une manière un peu improbable, mais sûrement pas innocente,…
M. Loïc Hervé. Et surtout opportuniste !
M. Philippe Adnot. … a contribué à faire voler en éclats le consensus européen. J’approuve donc la volonté du Gouvernement de faire en sorte que ces sociétés ne puissent pas s’approprier encore un peu plus nos données.
J’espère que les talents que vous avez réunis autour de l’Inria dans le cadre d’un partenariat public-privé ont élaboré une application dans laquelle nous pourrons avoir confiance, mais qui permettra aussi l’interopérabilité avec les pays européens.
Dans la mesure où vous serez en capacité de nous garantir la limitation dans le temps de l’usage de cette application, dans la mesure où vous pouvez nous garantir que cette technologie reposera sur le volontariat et l’anonymat des personnes, dans la mesure où cette pratique sera assortie d’une politique de tests massive indispensable, politique qui n’a pas encore été pratiquée jusqu’à présent, je voterai en faveur de la mise en œuvre de cette technologie, car l’essentiel est que nous puissions sortir rapidement de cette pandémie dont nous n’avons pas fini de payer les dégâts humains, sociaux et économiques.
Soyez toutefois certain que vous serez en liberté surveillée, car la contrepartie sera une exigence sans faille de respect des engagements ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame, monsieur les secrétaires d’État, nous sommes finalement amenés à débattre, ou plutôt à donner notre avis et à procéder à un vote sur un dispositif au parcours quelque peu chaotique.
Un premier débat avait été annoncé à la fin du mois d’avril dernier et repoussé in extremis par Édouard Philippe, qui avait alors jugé que l’application StopCovid n’était pas assez prête pour être présentée. L’est-elle aujourd’hui ?
Monsieur le secrétaire d’État, vous affirmez que son déploiement commencerait dès ce week-end, dans l’attente du feu vert du Parlement, mais soyons francs : quelle valeur accordez-vous au vote du Sénat ? N’est-il pas symbolique ? Restera-t-il, comme le vote sur le plan de déconfinement, lettre morte ?
La réalité est que nous n’avons pas notre mot à dire, puisque la validation, déjà acquise par la majorité gouvernementale à l’Assemblée nationale, vous suffit pour clore le parcours semé d’embûches de cette application.
Un renoncement à sa mise en œuvre aurait été préférable, d’autant que, même si vous vous montrez catégorique quant aux précautions prises en matière de respect des libertés publiques, de nombreuses questions d’ordre éthique, politique, mais aussi technique subsistent. Surtout, l’inquiétude est grande, selon nous, que l’usage de ce genre de dispositif ne s’accompagne d’une dérive idéologique.
Pour ce qui est des difficultés techniques, on peut s’interroger sur la technologie Bluetooth choisie, qui, bien qu’elle permette d’éviter la géolocalisation, pose tout de même de nombreux problèmes de sécurité. Selon les spécialistes, cette technologie est une véritable passoire, le maillon faible des smartphones par lequel les pirates peuvent pénétrer dans nos mobiles.
Par ailleurs, alors que vous estimez avoir eu l’assentiment de la CNIL, qui pour sa part a effectivement noté le respect des principes fondamentaux, vous omettez de relever une des failles soulevées dans son avis rendu public cette semaine : en l’état du projet de décret – car nous n’avons pas à cette heure la totalité du dossier –, la commission estime que les droits d’accès, d’effacement ou d’opposition ne s’appliquent pas. Or ils le devraient, dès lors que le traitement est basé sur le volontariat. Comment allez-vous remédier à ce défaut technique majeur ?
De plus, si l’on en croit la chercheuse de l’Inria Anne Canteaut, auditionnée ce matin par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, en temps normal une telle application est développée en cinq ans. Or StopCovid a été développée en trois mois. Quelles que soient les ressources mobilisées, il y aura des failles. Anne Canteaut n’est d’ailleurs pas la seule à l’affirmer.
Ainsi, un collectif de chercheurs spécialisés en cryptographie rappelle sur leur site relatif au traçage numérique un principe essentiel en sécurité informatique : l’innocuité d’un système ne doit en aucun cas être présumée en comptant sur l’honnêteté de certains de ses acteurs. Ils alertent sur le fait que, outre les pouvoirs publics, d’autres acteurs collectifs ou individuels sauront tirer profit des propriétés de ces systèmes, comme autant de failles mettant à mal les libertés individuelles.
En outre, parmi les craintes de glissement subsiste l’idée paradoxale que l’usage d’une application pourrait être volontaire, mais que son non-usage pourrait toutefois vous être reproché. Dites-moi donc quel usage en fera par exemple tel ou tel employeur ou organisme privé, et quid alors du consentement de celles et ceux qui se verraient fortement incités à l’installer ?
J’en viens donc aux questions éthiques. L’implication de grands groupes privés dans la mise en œuvre de l’application et, demain, dans son développement, n’est pas pour nous rassurer, sans parler des bénéfices que cela générera par voie publicitaire pour les Gafa, qui sont incontournables sur le marché.
Ainsi, dans une tribune du Monde du 25 avril, trois spécialistes du numérique alertaient sur l’ombre d’intérêts privés et politiques qui pèseraient sur le projet StopCovid : « Le modèle de gouvernance qui accompagnera StopCovid sera manifestement concentré dans les mains d’une poignée d’acteurs étatiques et marchands. Une telle verticalité n’offre aucune garantie contre l’évolution rapide de l’application en un outil coercitif, imposé à tout le monde. »
Vous vous appuyez aujourd’hui sur les demandes des médecins et des épidémiologistes, qui seraient tous favorables au développement de cette application. Je pourrais en citer qui y sont opposés, mais le Parlement est seul juge de la défense des libertés publiques ! En outre, il aurait été préférable de s’appuyer sur l’avis des savants, avant et pendant la crise, concernant les moyens des hôpitaux.
Cette application n’assure pas l’équilibre entre liberté individuelle et efficacité sanitaire. Elle ouvre la voie à des usages futurs et à l’adoption de dispositifs très intrusifs. Nous sommes face au risque de créer un précédent. Ce qui paraît acceptable pour StopCovid le sera demain dans d’autres domaines et pour d’autres finalités. Lesquelles ? L’avenir nous le dira.
Pour l’heure, pour notre part, nous ne serons définitivement pas moteurs dans l’engrenage redoutable de la surveillance généralisée, qui sera activé avec le lancement d’un tel dispositif. Madame la garde des sceaux, madame, monsieur les secrétaires d’État, vous l’aurez compris, nous sommes résolument opposés au projet qui nous est présenté. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, traçage, pistage, suivi des contacts, historique des rencontres, signalement des contaminations : à ces mots, certains ont pu se demander si Big Brother n’était pas en train de faire son entrée dans le domaine de la santé,…
M. Alain Milon. C’est déjà fait !
M. Emmanuel Capus. … et je les comprends.
Si l’intitulé de notre débat vise les innovations numériques dans la lutte contre l’épidémie, il n’aura échappé à personne que la star en la matière est bien l’application StopCovid.
Les questions relatives à sa pertinence, aux risques qu’elle emporte et à son fonctionnement on fait couler beaucoup d’encre. Deux points principaux cristallisent les débats : l’atteinte possible aux libertés individuelles, et l’efficacité sanitaire d’une telle application.
À l’ère du traçage numérique, il est parfaitement compréhensible, et peut-être même sain, qu’une application visant à retracer les rencontres entre les individus suscite des interrogations.
Plusieurs pays plus ou moins démocratiques travaillent à des dispositifs plus ou moins liberticides. Certains d’entre eux s’appuient sur la géolocalisation des individus, d’autres imposent l’installation de l’application, d’autres encore s’en remettent à Google et à Apple.
Le Gouvernement a fait l’effort, malgré les pressions, de développer une solution française en refusant d’accroître la dépendance de la France à l’égard des Gafam. Nous espérons qu’il s’agit des premiers pas vers une souveraineté numérique, si essentielle à nos yeux.
L’approche en code source ouvert nous semble également une bonne idée. Elle permettra, d’une part, de vérifier que l’application est conforme aux annonces, et, d’autre part, d’augmenter le niveau de sécurité de l’application. Il faudra veiller en particulier à ce que personne n’ait accès aux identifiants des malades ou à des cas contacts, et à ce que personne ne soit contraint d’installer l’application.
Nous nous réjouissons que le Gouvernement soit parvenu à proposer, en un temps très court, une solution qui est probablement la plus respectueuse possible des libertés. La CNIL a rendu hier un nouvel avis sur la question, dans lequel elle indique que ses recommandations ont été entendues. Elle a précisé à cette occasion que la création de StopCovid avait respecté le concept dit « de protection des données dès la conception ».
Certains ont déploré cette approche libérale, en faisant rimer autorité avec efficacité. Mais nous ne devons pas sacrifier les principes qui sont les nôtres : les libertés individuelles sont essentielles à notre démocratie ; elles ne sont pas une option. Si des restrictions apparaissent nécessaires, nous devons veiller à ce qu’elles soient les plus limitées possible.
La responsabilité des individus, à laquelle notre groupe croit beaucoup, implique d’ailleurs que ces derniers disposent de leur liberté de choix. Aussi, si elle n’est pas obligatoire, StopCovid est-elle encore utile ? Études à l’appui, nous avons entendu des voix s’élever pour affirmer qu’elle serait en fait dépourvue d’effets. Nous n’avons pas de telles certitudes.
Vous avez, madame la garde des sceaux, madame, monsieur les secrétaires d’État, rappelé les situations dans lesquelles les enquêteurs sanitaires sont démunis. C’est notamment le cas dans les zones urbaines denses, mais aussi dans les transports en commun. Nous ne connaissons pas l’identité des personnes que nous croisons dans la rue, et c’est heureux. Nous ne savons pas avec qui nous voyageons dans les trains et les métros. Il est donc impossible de prévenir ces personnes si nous tombons malades. Les enquêteurs sanitaires ne le pourront pas non plus. À ce jour, seule une application permet de remédier à ces cas de figure.
Les garanties apportées par le Gouvernement nous semblent suffisamment solides. Nous serons cependant très attentifs à l’utilisation de StopCovid. La technologie n’est pas une panacée : elle est utile dans la lutte contre l’épidémie, mais elle ne nous dispensera jamais de l’humain. Nous sommes ainsi particulièrement vigilants quant aux moyens dont disposent les enquêteurs sanitaires. Il est indispensable qu’ils soient suffisamment nombreux pour retrouver et accompagner l’ensemble des personnes susceptibles d’avoir été infectées.
La France continue de vivre avec le risque de Covid-19. Dès lors qu’ils ne contreviennent pas à nos principes, tous les outils qui contribueront à faire reculer le virus bénéficieront du soutien du groupe Les Indépendants.
Mes chers collègues, la pire des privations de liberté que nous ayons connue, c’est le confinement. Les outils qui, dans le respect de nos principes démocratiques, pourront éviter un nouveau confinement bénéficieront donc du soutien du groupe Les Indépendants. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour le groupe Union Centriste.
M. Jean-François Husson. Le ton va changer !
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, le débat et le vote de ce soir n’ont d’existence que par la volonté de l’exécutif de consulter le Parlement sur la mise en place d’une application numérique de traçage social appelée « StopCovid ».
Ce débat et ce vote revêtent à mes yeux un caractère beaucoup plus politique et philosophique que technique et juridique. Si l’on ne peut négliger le contexte dans lequel nous débattons, alors qu’un virus a tué 30 000 de nos compatriotes et mis notre économie à genoux, nous devons être vigilants à ne pas passer d’une société de la bienveillance à une société de la surveillance.
Monsieur le secrétaire d’État, je ne méconnais ni votre bonne foi ni les efforts que vous avez fournis pour rendre cette application conforme au droit national et communautaire en tenant compte des deux avis de la Commission nationale informatique et libertés.
Je sais aussi que vous vous employez à rassurer ceux qui, comme moi, ont de fortes réserves sur ce dispositif. Toutefois, au sein du Parlement de notre République, où s’exprime la volonté populaire, je dois vous dire que lorsque je fais rationnellement le calcul des coûts et des avantages de cette application, je lui trouve tellement de défauts et si peu de mérites qu’il m’est impossible, comme à un certain nombre de membres de mon groupe, de vous donner mon accord.
Tout d’abord, sur le plan des principes, je combats fermement cette idée du « solutionnisme » technologique à tous crins, qui peut voir les principes de protection de la vie privée comme des freins au progrès, et peut même s’accommoder d’atteindre aux libertés publiques pour satisfaire une cause aussi noble que celle de la santé publique.
Par ailleurs, mes chers collègues, qui n’a pas déjà entendu dire que la loi de 1978, la CNIL ou le RGPD étaient des contraintes trop lourdes, qui empêchent la croissance de la nouvelle économie ? Qui n’a jamais entendu dire que notre cadre législatif français et européen nous privait de toute perspective de victoire dans la compétition internationale ?
Monsieur le secrétaire d’État, vous nous demandiez ce matin en commission des lois quel pourrait être le gain politique recherché par la mise en œuvre de cette application. À la lumière de ce que je viens de vous dire, je me pose également la question, mais je suis sûr que je n’y apporterais pas les mêmes réponses que vous.
En termes de temporalité, ensuite, si cette application avait dû être mise en œuvre, en toute logique, elle aurait dû l’être comme un outil de confinement, au moment même où nombre de nos libertés étaient si lourdement atteintes : la liberté d’aller et de venir, la liberté du commerce et de l’industrie, le droit de vote. Ce qui aurait pu être une application de confinement est mis en œuvre environ un mois après le début du déconfinement, ce qui lui donne beaucoup moins d’efficience, alors que l’on sait que l’acceptabilité sociale risque d’en être trop faible.
Permettez-moi de relayer ici l’inquiétude de certains maires et présidents de collectivités locales, qui s’étonnent que l’on évoque un consensus de leurs associations à ce stade du débat.
Enfin, je ne puis passer sous silence la question de la souveraineté numérique. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez annoncé il y a quelques semaines une application souveraine et européenne. On nous a vanté le travail collaboratif entre l’Inria, la Fraunhofer Gesellschaft en Allemagne et l’École polytechnique fédérale de Lausanne en Suisse. L’argument était particulièrement vendeur et convaincant. Je me suis même demandé comment je pourrais ne pas soutenir une telle initiative, qui unissait les instituts de recherche publics européens les plus réputés.
Or, à l’heure où nous parlons, il n’en reste plus rien : nos voisins ayant opté pour des applications décentralisées, reprenant souvent le système proposé par l’application promue par Apple et Google, ils ont abandonné ce projet commun. Ce renoncement est d’autant plus regrettable que les systèmes sont difficilement ou pas interopérables – c’est un frontalier qui vous le dit. Je pourrai citer d’autres exemples à travers le monde d’abandons et d’échecs relatifs à des applications plus ou moins proches du projet que vous nous présentez ce soir.
À la faveur de la crise sanitaire, cette application nous fait à mes yeux franchir deux lignes rouges. La première est l’expérimentation massive d’une application de traçage social avec la construction d’une architecture numérique centralisée. La seconde est l’alliance des plus grands acteurs du numérique mondial et la mise en commun de leurs moyens sur un même projet. Leur application fonctionnera par défaut sur les systèmes d’exploitation respectifs de leurs appareils, qu’il s’agisse de smartphones ou de montres connectées.
Nous ne sommes qu’au début d’un basculement. Des digues auront rompu, car les nouvelles fonctionnalités offertes ouvriront naturellement le champ à d’autres finalités.
Madame la garde des sceaux, madame, monsieur les secrétaires d’État, j’ai bien conscience que les garanties apparemment apportées sont nombreuses, mais elles sont très mineures par rapport au pas de géant que StopCovid risque de nous faire franchir. Nous devrions placer le curseur entre la liberté et la responsabilité. Or nous le plaçons entre la liberté et la sécurité.
Je sais bien que l’enfer est toujours pavé des meilleures intentions, et c’est pourquoi je voudrais conclure en citant le Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie : « Il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu’il est assujetti, tombe soudain dans un profond oubli de sa liberté qu’il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien, et si volontiers, qu’on dirait à le voir qu’il n’a pas seulement perdu sa liberté, mais bien gagné sa servitude. »
Pour moi et pour un certain nombre de membres de mon groupe, StopCovid, c’est non ! (Applaudissements sur des travées du groupe UC, ainsi que sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, tant que nous n’aurons pas vaincu cette épidémie, tant que nous n’aurons pas de vaccin, tant que nous n’aurons pas de traitement absolument décisif, la lutte contre le virus devra concentrer ses efforts et ses moyens sur la façon dont nous pouvons casser les reins de cette épidémie.
C’est pourquoi la stratégie – dès le début du confinement, je l’ai souvent rappelé au Gouvernement – doit reposer sur le dépistage, le traçage et l’isolement. C’est la stratégie gagnante de tous les pays qui ont obtenu de meilleurs résultats que le nôtre.
Au sein de ce triptyque, le traçage est essentiel, parce qu’il est fondamental, quand une personne tombe malade, de pouvoir retrouver celles et ceux qu’elle a pu croiser et possiblement contaminer, pour les alerter.
Le Gouvernement nous soumet donc un nouvel outil, digital et complémentaire de celui que nous avons voté, à l’article 6 de la loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, il y a seulement quelques jours.
Cette application a fait couler beaucoup d’encre et de sueur. Je salue à mon tour les entreprises françaises qui, bénévolement, ont participé à la mise au point de l’application. J’ai suivi ce travail de près, et je sais qu’il a été difficile.
Il nous faut éviter deux écueils, tous deux parfaitement excessifs : d’un côté, celui qui revient à dire que la technologie est le remède, la panacée – ce « solutionnisme » technologique n’est absolument pas mon parti ; de l’autre, celui qui revient à dire, au nom des libertés publiques, que le remède est pis que le mal. Je pense que nous n’avons pas à choisir, mes chers collègues, entre, d’un côté, la liberté, et de l’autre, le sanitaire.
Nous sommes des législateurs, et en permanence – c’était déjà le cas au moment des dernières attaques terroristes –, nous devons trouver ce juste équilibre – je préfère ce terme à celui de proportionnalité. Nous n’avons le droit et le devoir de n’écarter aucune solution nous permettant de lutter contre une épidémie et de sauver des vies, mais pas au prix du reniement de ce que nous sommes et de nos propres valeurs démocratiques et républicaines.
Il y a deux mois – le 8 avril, ce n’était pas hier – j’ai écrit au Président de la République pour lui demander deux types de garanties. La réponse m’est parvenue seulement ces dernières heures, mais je sais qu’il y a loin de l’Olympe à la terre. (Sourires.)
Je lui ai tout d’abord demandé quatre garanties en termes de liberté.
La première portait sur l’anonymisation le volontariat. La CNIL a confirmé le libre consentement des utilisateurs à chaque étape, du téléchargement à la notification. Jamais l’État ne pourra connaître la liste des personnes contaminées ni des interactions sociales.
La deuxième garantie était le caractère temporaire des données : au-delà d’un délai de quatorze jours, un mécanisme – législatif – d’autodestruction des données interviendra.
La troisième garantie était la transparence. Dans mon courrier, j’indiquais au Président de la République que le code source devait être ouvert, et c’est le cas, de manière à ce qu’il puisse être discuté et débattu, pour que d’éventuelles failles puissent être dépistées.
Enfin – c’est la dernière garantie, relative aux libertés –, il faut un contre-pouvoir. Avec Philippe Bas et d’autres, j’ai beaucoup insisté sur ce point, car j’estime que l’on ne peut déployer les nouvelles technologies que si nous sommes en mesure de renforcer les moyens de contrôle et de contre-pouvoir pour qu’ils soient à la mesure de la puissance de ces technologies. La commission des lois y veillera.
Le deuxième type de garanties auxquelles j’en appelais dans mon courrier est relatif à l’efficacité. L’application fonctionnera-t-elle avec l’environnement Apple ? Il semble que ce soit le cas. Est-elle utile ? Il est vrai qu’elle arrive tard. Sera-t-elle téléchargée par suffisamment de personnes ? Si 60 % des Français s’y montrent favorables et si 49 % d’entre eux pensent qu’ils pourraient la télécharger, je pense que ce pourcentage sera bien moindre. Toutefois, les épidémiologistes s’accordent à dire qu’un peu vaut mieux que rien du tout pour briser les reins de cette épidémie.
Je pense n’avoir jamais fait preuve de complaisance vis-à-vis du Gouvernement dans cet hémicycle.
M. Julien Bargeton. C’est vrai !
M. Bruno Retailleau. J’ai assumé la critique lorsqu’il a fallu le faire, sans ménager les ministres. Aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, au-delà des doutes qu’il est légitime d’avoir, j’ai choisi, avec une grande majorité de membres de mon groupe, de donner une chance à cette application.
En effet, je pense que l’écarter serait prendre le risque d’oublier des moyens, notamment digitaux, de lutter contre l’épidémie. Pis encore, ce serait prendre le risque du renoncement et de la soumission aux Gafam, comme l’a fait l’Allemagne, sans doute l’Italie, et peut-être l’Espagne.
M. Julien Bargeton. Tout à fait !
M. Bruno Retailleau. C’est pourquoi, à mes yeux, la raison la plus forte de donner une chance à cette application est celle de la souveraineté numérique.
Depuis le début de la crise, nous parlons beaucoup de la souveraineté, celle-ci se déclinant dans tous les domaines. Mes chers collègues, si vous ne voulez pas être tracés ou géolocalisés, n’utilisez pas votre smartphone. Objectivement comme l’a rappelé la CNIL, l’application que l’on nous propose est autrement plus protectrice !
Ne rien tenter par nous-mêmes, avec nos entreprises, ce serait écarter une solution française, et demain, je l’espère encore, européenne. Mais ce serait surtout abdiquer notre statut de citoyens pour un statut médiocre de consommateurs dociles, ma chère Catherine Morin-Desailly, au sein d’une colonie numérique américaine.
Ce serait aussi renoncer au modèle français et européen d’éthique numérique, qui, depuis 1978, nous permet de concilier technologie et respect des données personnelles et de la vie privée, au travers notamment du règlement e-privacy ou du RGPD. Ce modèle condense ce que nous sommes et ce que nous voulons être dans notre civilisation, dans le respect absolu de la personne.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai combattu la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite « loi Avia ». Je suis fier que mon groupe ait saisi le Conseil constitutionnel contre celle-ci, car j’estime que nous devons préserver notre indépendance vis-à-vis des moyens de censure.
C’est aujourd’hui au nom de cette indépendance que, au nom de mon groupe, je veux donner sa chance à une application française qui pourrait être utile aujourd’hui ou demain – je ne sais pas encore dans quelle mesure. Je ne voudrais pas que, en cas de résurgence de cette épidémie ou pour d’autres épidémies, nous ayons de nouveau un temps de retard. Ne cédons pas aux sirènes des Gafa. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jérôme Durain. Monsieur le secrétaire d’État, le groupe socialiste a suivi avec intérêt vos prises de parole, que ce soit au Parlement, dans la presse ou à travers les différents documents transmis aux parlementaires. Nous vous en remercions et nous pouvons d’ores et déjà noter que le débat sur cette question sensible se déroule, du moins dans cette assemblée, dans un climat plutôt apaisé.
Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, nous avons eu de nombreux débats moins sereins. Aussi, je tâcherai, pour éviter ces écueils, de ne pas exprimer de position trop dogmatique concernant le destin de l’application StopCovid que vous êtes chargé de nous vanter.
La solution que vous nous proposez poursuit des objectifs utiles, et il faudrait être de mauvaise foi pour affirmer que rien n’est fait pour résoudre les différentes problématiques auxquelles elle est confrontée. J’aborderai toutefois plusieurs des dilemmes qui se sont présentés à vous, car vous avez fait des choix techniques discutables qui ne peuvent pas tous être balayés d’un revers de la main.
Fallait-il, par exemple, opter pour une architecture centralisée ou pour des données décentralisées sur les téléphones des utilisateurs ? Je ne suis pas spécialiste de sécurité informatique, mais on peut comprendre que ces deux solutions ont des arguments en leur faveur.
Vous avez retenu une ossature centralisée, suffisamment sécurisée d’après vous. Nous pouvons l’entendre, même s’il subsiste des doutes sérieux sur l’inviolabilité du fichier centralisé. Par ailleurs, la solution décentralisée permet souvent de créer plus de confiance chez les utilisateurs.
Le choix de cette solution vous a fait perdre la participation – loin d’être anecdotique –, de nos voisins allemands – ce n’est pas à vous que j’apprendrai leur exigence en matière de protection des données. Si le protocole Robert était un embryon de coopération européenne, nous regrettons vivement que la France se retrouve de facto isolée, parce qu’elle a retenu une solution peu populaire chez ses voisins. Cela a des implications pour nos compatriotes qui souhaiteraient utiliser le dispositif lors de déplacements à l’étranger.
Deuxième exemple : fallait-il choisir le GPS ou le Bluetooth ? Le choix du Bluetooth peut se justifier, du point de vue notamment de la géolocalisation des personnes, mais tous ceux qui utilisent du matériel Bluetooth, par exemple dans leur voiture, savent à quel point la mise en route de cette technologie peut être aléatoire et faillible.
Concernant la sécurité des données centralisées, je veux bien entendre que d’autres fichiers seraient moins bien protégés, mais je ne sais pas si cela suffit à me rassurer. Je tiens toutefois à saluer la démarche, que vous avez engagée, de soumettre votre solution à Bug Bounty, via l’Anssi.
Revenons sur la question centrale des libertés fondamentales. Nous sommes peut-être à un tournant de la société : avec la vidéo surveillance, les écoutes téléphoniques et le tracking, notre monde est aujourd’hui fondé sur une méfiance généralisée entre les individus. Nous avons aujourd’hui le sentiment d’aller encore plus loin, si ce n’est trop loin : une application dont on ne sait pas si elle sera utile, des drones qui volent sans y être autorisés, des attestations de sortie…
Je connais le contexte sanitaire, mes chers collègues, mais il faut savoir dire stop, et je crains que, avec les collègues de mon groupe, nous ne soyons obligés de dire stop à StopCovid.
Certes, l’avis rendu par la CNIL n’a pas été aussi tranché que certains opposants à votre projet l’attendaient. Vous l’utilisez habilement dans vos démonstrations.
Pour autant, la CNIL ne vous donne pas de blanc-seing. Elle note que l’application utilisera un service de captcha qui permet de vérifier, lors de l’installation, que l’application est utilisée par un être humain, et que ce service sera dans un premier temps fourni par « un service tiers », susceptible « d’entraîner la collecte de données personnelles non prévues dans le décret » ou « des transferts de données hors de l’Union européenne ».
La CNIL recommande donc des développements ultérieurs de l’application qui permettent rapidement l’utilisation d’une technologie alternative. En effet, il a été découvert, dans le code source que vous avez continué de rendre public, que c’est bien Google qui fournit l’outil captcha. Je reviendrai sur l’avis de la CNIL.
Je souhaiterais maintenant évoquer quelques éléments de comparaison internationale.
Je comprends que les choix du Gouvernement soient différents de ceux de la Corée du Sud, par exemple. Toutefois, je veux revenir sur la situation de ce pays, car il nous instruit sur l’utilisation imprévue que l’on peut faire des applications. J’imagine que personne n’avait envisagé en Corée du Sud qu’une personne soit scrutée à l’aune de l’orientation sexuelle des individus qu’elle fréquente. Nous ne pouvons pas savoir si certaines personnes voudront faire fuiter telle ou telle concentration de contacts Bluetooth dans quelques mois.
Autre exemple asiatique : à Singapour, pays pourtant discipliné, seuls 20 % des habitants ont téléchargé l’application. Je citerai aussi un exemple européen, l’Autriche, pays de 8,8 millions d’habitants, où une application a été développée, mais n’a été téléchargée que 500 000 fois. Les Autrichiens nous disent que cet outil ne sert finalement à rien et qu’ils se débrouillent très bien avec leurs brigades humaines.
M. Loïc Hervé. Voilà !
M. Jérôme Durain. Dans son avis, la CNIL précise qu’il faudra évaluer l’efficacité de l’application après son lancement. Mais, monsieur le secrétaire d’État, nous aimerions en être convaincus avant !
Nos concitoyens ne vont pas rejeter la solution que vous proposez, parce qu’ils craignent pour leurs données personnelles – on peut le regretter d’ailleurs.
Aujourd’hui, ces données sont déjà trop facilement accessibles pour des raisons commerciales. J’espère d’ailleurs que, à l’avenir, nous serons aussi exigeants vis-à-vis des Gafam que nous le sommes aujourd’hui avec vous, mais, pour la plupart, nos concitoyens n’en sont pas là. Il y a bien des militants des libertés fondamentales éclairés, qui protestent avec raison contre cette initiative publique, parce qu’elle constitue effectivement un précédent, mais la réalité est que la majorité de nos concitoyens, elle, considère que cette application arrive bien trop tard et ne changera rien.
Si j’osais, monsieur le président, je demanderais un scrutin public ou un vote par assis et levé pour savoir combien, parmi nos collègues, installeraient l’application… (Sourires.)
M. Loïc Hervé. Bonne idée !
M. Jérôme Durain. Je pense que le résultat serait décevant.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, le groupe socialiste et républicain attend les réponses aux questions qui vous seront posées même si, d’ores et déjà, je peux vous annoncer que nous ne sommes pas convaincus.
Nous espérons nous tromper et souhaitons que votre application rencontre un grand succès. La vérité est que nous n’y croyons pas. Surtout, nous ne voulons pas de fausses promesses : votre foi dans la technologie – votre dernier élan rhétorique était éloquent – s’apparente à du « solutionnisme » technologique.
Nous sommes admiratifs de la compétence et de la virtuosité technologique de nos scientifiques, de nos centres de recherche, de nos industriels et de nos start-up. Nous vous sommes reconnaissants de vous soucier de notre souveraineté numérique dans ce dossier, mais ce n’est pas parce que nous savons et que nous pouvons le faire que nous devons le faire.
La fascination exagérée, selon nous, du « nouveau monde » pour la « start-up nation » ne doit pas nous aveugler. Votre logiciel – il faut le répéter – n’est pas StopCovid, mais au mieux AntiCovid : il ne dispense pas des gestes barrières. Il ne justifie pas non plus que l’on oublie en chemin le respect des libertés individuelles ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, la pandémie de Covid-19 nous rappelle que les crises interrogent nos consciences sur les libertés fondamentales, que nous sommes enclins à sacrifier, de manière provisoire ou non.
Je regrette les conditions dans lesquelles ce débat se déroule et la publication tardive du décret qui encadrera l’application StopCovid. La confrontation de ce logiciel avec la communauté informatique ne commence qu’aujourd’hui. La publication du décret dans un délai raisonnable aurait pu rassurer davantage, en permettant la détection d’éventuelles failles de sécurité.
L’expérience de la plateforme APB – Admission post-bac –, avec ses 1 582 violations critiques détectées lors des audits commandés par la Cour des comptes, vient alimenter cette inquiétude.
Les épidémiologistes et la CNIL considèrent que cette application peut être utile en contribuant à briser rapidement les chaînes de contamination. Le traçage des contacts est bien à la base de l’épidémiologie. C’est la raison pour laquelle nous avons accepté de voter l’article 11 de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire, nettement plus intrusif que StopCovid.
Le Gouvernement s’appuie sur l’avis favorable des épidémiologistes, qui constatent un relâchement de la population. Mais ce constat ne concerne qu’une minorité de personnes, la grande majorité de nos concitoyens ayant compris l’enjeu sanitaire qu’ont révélé les multiples expertises diffusées par les médias, en complément de l’information fournie par l’État.
Ce n’est pas en les culpabilisant que nous convaincrons nos concitoyens de consentir au traçage pour éviter une deuxième vague et un reconfinement. La clé de la réussite consiste, me semble-t-il, à établir la confiance de la population dans la décision publique. C’est pourquoi je me satisfais du suivi qui sera réalisé par le comité de contrôle et de liaison Covid-19, dans un souci de transparence du traitement des données.
S’agissant du public visé, je regrette qu’une adaptation de l’application sous forme de boîtier ne puisse être disponible rapidement pour les personnes âgées, qui pourraient se retrouver exposées dans les transports en commun, les commerces ou les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ces lieux où les contaminations ont été nombreuses.
La délibération qu’a publiée la CNIL m’a rassurée, car elle a confirmé l’utilité et la proportionnalité du dispositif, même si elle a soulevé des interrogations sur l’exactitude des données. Prévoyez-vous un paramétrage pour éviter à un utilisateur de recevoir des notifications récurrentes le conduisant à se faire dépister de manière excessive ?
La proportionnalité des atteintes à nos libertés individuelles s’apprécie également en fonction de la sécurité apportée à la préservation de nos données personnelles. Fallait-il que le traçage soit numérisé et centralisé ? Quel sera le devenir de ces données ? Ce sont autant de questions importantes.
Aussi, alors que la CNIL reconnaît la complémentarité entre StopCovid, Contact Covid et le système d’information national de dépistage populationnel, le Sidep, je regrette que le Gouvernement ait demandé au Parlement de trancher ces questions séparément. Nous aurons donc l’application, d’un côté, et les bases de données, nettement plus intrusives, sur lesquelles on a déjà voté, de l’autre, avec dans les deux cas des enjeux sensibles en matière de sécurité.
Concernant l’architecture centralisée du protocole, vous affirmez que le risque d’une dérive est faible, mais il n’est pas nul. La question a été soulevée dans les États ayant choisi une architecture décentralisée, laissant la France et le Royaume-Uni seuls à privilégier la centralisation. Aucun État, même démocratique, n’est à l’abri d’une dérive et d’un détournement de l’application pour tracer les déplacements des citoyens.
StopCovid, reconnaissons-le, apporte des garanties en matière de sécurité : anonymisation, volontariat total, caractère temporaire déterminé par décret, exclusion de données sensibles, telles que le recensement des personnes infectées, et des zones dans lesquelles les personnes se sont déplacées, suivi des interactions sociales et non-surveillance du respect des mesures de confinement.
Madame la garde des sceaux, madame, monsieur les secrétaires d’État, j’aurais une garantie supplémentaire à vous demander. Elle va un peu plus loin que le point 51 de l’avis rendu par la CNIL, puisque je souhaite, lors de la désinstallation de l’application, la suppression automatique des données présentes sur le serveur central.
L’infiltration du numérique dans tous les pans de l’administration et de notre vie privée n’est pas sans danger. Ce n’est pas parce qu’on peut le faire qu’on doit le faire et qu’on a le droit de le faire. Ce n’est pas parce que l’on vous fait visiter une pièce que l’on accepte de vous donner les clés du logement. Pour les innovations numériques comme pour le reste, le facteur humain demeure central en toutes circonstances. La confiance est également un élément incontournable pour garantir l’adéquation des dispositifs à nos principes.
Pour conclure, une partie de mon groupe soutiendra la mise en place de StopCovid. Nous nous réjouissons de ce débat qui permet au Parlement, comme c’est son rôle, de se prononcer en toute conscience à un moment aussi important pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Pierre Louault et Bruno Retailleau applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe La République En Marche.
M. Julien Bargeton. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, comme l’écrivait Benjamin Constant, « l’arbitraire n’est pas seulement funeste lorsqu’on s’en sert pour le crime. Employé contre le crime, il est encore dangereux ». (M. Loïc Hervé s’exclame.) Cela veut dire que, pour nous, il n’y a absolument rien d’arbitraire dans la mise en œuvre de cette application. Nous ne justifierions pas un vote qui mettrait en cause les libertés publiques.
StopCovid a suscité des interrogations et des doutes, parce que cet outil touche à l’équilibre entre le respect de la vie privée et l’intérêt général, notamment au nom de la santé publique. Ceux-ci nous semblent maintenant pouvoir être levés.
Pourquoi le curseur est-il placé au bon endroit ? Parce que trois principes sont respectés : l’application est à la fois temporaire, anonyme et fondée sur le volontariat.
Premier sujet, StopCovid est-il utile ? Les scientifiques nous répondent qu’il l’est et qu’il l’est encore. Il est juste de dire que l’avis des scientifiques n’oblige pas le Parlement à adopter ce dispositif. Mais, en sens inverse, s’il n’y avait pas cette réponse affirmative, nous ne serions pas là et nous n’apporterions évidemment pas notre soutien. Il s’agit donc d’une condition préalable à remplir.
Deuxième sujet, celui des libertés individuelles, si important dans la construction de l’identité politique du Sénat. Là encore, la CNIL, après avoir posé un certain nombre de conditions, a donné son feu vert. Le critère des libertés est donc lui aussi rempli.
Par conséquent, on pourrait presque dire que l’État n’a pas simplement le droit de mettre en place une telle application, mais qu’il en a le devoir impérieux. (M. Loïc Hervé proteste.) Des recours ont déjà été déposés. Les mêmes qui critiquent l’application seraient peut-être prompts à attaquer l’État s’il ne la mettait pas en place, avec les responsabilités afférentes.
Surtout, StopCovid soulève une question extrêmement importante : je me réjouis que cette application ait été développée dans un cadre public, parce qu’il ne faut pas laisser les Gafam instaurer un monopole sur notre bien le plus précieux : le lien social, la vie sociale. Or Apple et Google, pour citer ces entreprises, se sont déjà montrés prêts à le faire ; et, dans certains pays, ils le font déjà.
Il y a quelque part une forme de naïveté, qui nous conduit finalement à baisser les bras, à baisser la garde face à des géants du numérique qui seraient très contents de constater qu’un État s’abstient d’agir dans ce domaine.
À partir du moment où le dispositif n’a rien d’arbitraire et que ce critère d’indépendance est rempli – c’est un préalable –, les personnes qui étaient réticentes au départ à le voter ont aussi le droit d’évoluer. J’observe d’ailleurs que, à l’Assemblée nationale comme ici bientôt peut-être, certains collègues avaient des doutes et des interrogations avant de cheminer. C’est aussi parce que les ministres se sont employés à les convaincre, et j’aimerais essayer de convaincre de même les derniers sénateurs réticents.
Dans les propos que j’ai entendus, j’ai du mal à comprendre comment une application pourrait être à la fois inefficace et dangereuse : il faut choisir ses arguments avant d’attaquer un système ! Cela me fait penser à cette fameuse fable du chaudron dans L’Interprétation des rêves de Freud. Un individu prête un chaudron qui est ébréché à son voisin. Celui-ci répond que le chaudron n’est pas ébréché, qu’on ne lui a jamais prêté et qu’il était déjà ébréché avant qu’on le lui prête…
Dès lors, il ne faut être ni trop frileux ni trop fougueux sur le sujet : ce n’est évidemment pas du tout Big Brother qui est proposé ici. Je le dis à mes collègues : le principe de précaution n’est pas un présupposé de l’inaction. On nous la reprocherait, comme certains le font d’ores et déjà.
L’équilibre atteint en matière de libertés publiques, l’ensemble des garanties fournies et l’utilité démontrée de cette application dans des avis extrêmement réfléchis et précis montrent que, malgré certaines préventions initiales, on peut tout à fait évoluer, si l’on fait appel à son entendement, jusqu’à soutenir la mise en œuvre de cette application. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Certaines questions très précises ont été posées ; je veux y répondre.
Une question importante a été soulevée par la présidente Assassi et la sénatrice Laborde. Si le droit d’accès n’est pas applicable, comme la CNIL l’a fait observer, c’est pour une raison simple : nous n’avons pas accès aux données et nous ne voulons pas que l’on puisse y avoir accès. On ne peut pas dire dans le même temps que l’État ne doit pas avoir accès aux données ni pouvoir faire le lien entre les contacts et les individus, et que l’on est capable de retrouver ces contacts si on nous le demande.
Après avoir précisé que ce serait préférable, la CNIL estime, dans son point 60, que le ministère peut écarter l’application du droit d’accès. Je rappelle tout de même que, grâce à l’application, il est possible d’effacer ses données du serveur. En tout cas, on ne peut pas demander l’accès à ces données à un responsable de leur traitement.
Pour répondre à la question du président Retailleau, je ne désespère pas de trouver une voie commune avec nos partenaires européens. Comme vous le savez, nous travaillons à un nouveau protocole dénommé Désiré. Une première réunion avec les Italiens, les Espagnols et les Allemands s’est tenue hier au sein de la Commission européenne. Si les choses avancent, nous pourrions peut-être atteindre notre but – je reste encore très prudent – au début du mois de juillet prochain, ce qui serait effectivement une belle victoire pour la construction européenne. Cela nécessitera probablement d’autres discussions avec les Gafam, mais nous n’en sommes pas encore là.
Monsieur le sénateur Jérôme Durain, monsieur le sénateur Loïc Hervé, je veux vous garder de cette impression que je verserais dans le solutionnisme technologique. J’ai eu l’occasion de dire ce matin devant la commission des lois que, si vous deviez avoir le choix entre les brigades d’enquête sanitaire et StopCovid, je vous enjoignais à choisir les brigades, mais qu’il ne me semblait pas nécessaire, en l’espèce, de choisir. Les études épidémiologiques montrent, en effet, que ces deux outils sont à la fois complémentaires et nécessaires.
S’agissant de la centralisation de l’application, sans trop entrer dans le détail, vous avez en réalité le choix entre un serveur centralisé, sous la responsabilité de la direction générale de la santé, et, pour ce qui concerne une solution décentralisée, une liste de contacts positifs sur un serveur de Google. Je vous laisse seuls juges de la meilleure solution à adopter.
Vous avez cité l’exemple, intéressant, de la Corée du Sud. Ce pays a effectivement été confronté à une difficulté, puisqu’il a découvert de nouveaux foyers de contamination parmi des individus qui n’avaient pas du tout envie que l’on sache avec qui ils étaient en contact.
Je développerai l’argumentation inverse : ce que l’expérience des enquêteurs sanitaires nous montre aujourd’hui, c’est que certains Français, alors qu’ils n’y sont pas autorisés, participent à des rassemblements de plus de dix personnes, assistent à des enterrements, à des mariages, parfois même à des matchs de football. (Sourires.)
Il est alors très difficile pour les enquêteurs sanitaires de faire leur travail, parce que personne n’a envie de dire avec qui il se trouvait. Au début, on leur explique que la réunion rassemblait moins de dix personnes, simplement parce que, au-delà, elles sont interdites.
Pendant les premières vingt-quatre heures, les enquêteurs se contentent d’appeler ces dix personnes. Puis, en tirant le fil jusqu’au bout, ils s’aperçoivent que la réunion concernait vingt, trente, quarante ou cinquante individus ! Les enquêteurs sont confrontés à ce type de situation tous les jours : il se passe parfois une semaine avant qu’ils ne puissent contacter toutes les personnes concernées, dont une partie est asymptomatique et continue de transmettre la maladie.
Le problème que posent les gens non coopératifs, pour des raisons dont on ne débattra pas ici, nous pousse au contraire à déployer StopCovid. Avec l’application, en effet, personne ne les trace et ne va les chercher.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Les personnes non coopératives ne vont pas télécharger l’application !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Je tenais à apporter ces quelques précisions, qui me semblent utiles au débat.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif sous la forme d’une série de onze questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la garde des sceaux, madame, monsieur les secrétaires d’État, la chronique de cette application, c’est l’histoire du renoncement de votre gouvernement à notre souveraineté numérique. Je prendrai trois exemples.
Tout d’abord, je rappelle que la plateforme des données de santé est hébergée par Microsoft.
Ensuite, les données collectées par l’application que vous nous proposez ne seront pas toutes conservées sur des serveurs installés en France – c’est ce que nous dit la CNIL. Isolés en Europe, vous avez échoué à imposer vos choix technologiques à Apple et à Google, et vous subissez ce qu’ils vous imposent.
Enfin, et c’est le point le plus important, pour être efficace, l’application devra être ouverte en permanence pour recevoir des informations du flux Bluetooth. Cette perméabilité continuelle est déconseillée par les constructeurs, car il s’agit d’une faille importante de sécurité des terminaux – nous le savons tous ici.
L’utilisation de cette application repose sur la confiance : quelles garanties pouvez-vous apporter aux utilisateurs en ce qui concerne la sécurité des données stockées sur les serveurs dont certains, je l’ai dit, ne sont pas en France ? Surtout, comment pouvez-vous les prémunir contre les risques de piratage résultant d’une utilisation permanente du Bluetooth ?
Mme Esther Benbassa. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, vous évoquez la question des serveurs : cela me semble faire référence à un reproche que nous a fait La Quadrature du Net sur l’utilisation des captchas.
Je m’en excuse par avance, nous allons aborder un sujet un peu compliqué. Les captchas, ce sont ces systèmes de sécurité qui permettent de vérifier que vous êtes bien un être humain ; on les trouve sur certains sites, où l’on vous demande de reconnaître des feux rouges ou des voitures. Or, aussi étrange que cela puisse paraître, il n’existe pas de captcha français sur les portables.
Il s’agira d’ailleurs de l’un des acquis, certes collatéral, mais essentiel, de cette opération : Orange a développé un captcha français pour portable. Un tel captcha est très compliqué à développer, si bien que nous ne l’aurons ni aujourd’hui ni le 2 juin, mais dans deux semaines.
À la suite à l’avis rendu par la CNIL – en fait, cela fait un mois que nous étudions le sujet –, nous avons travaillé avec l’Anssi pour « encapsuler » – pardonnez-moi d’utiliser cet anglicisme, mais je ne connais pas de meilleur terme – les captchas dans une webview – encore une fois, je suis désolé du caractère ésotérique de ma réponse, mais le sujet est technique –, afin d’éviter toute fuite de données problématique. Avec l’Anssi, nous avons pris en charge cette question, qui, à dire vrai, m’a donné beaucoup de souci, et avons trouvé une solution.
Concernant les garanties apportées en termes de sécurité informatique, comme je l’ai dit, nous prenons toutes les mesures possibles : nous avons par exemple autorisé des « hackers éthiques » à attaquer nos serveurs. Ils vont trouver des failles, car l’on en trouve toujours. C’est la meilleure manière d’obtenir le maximum de garanties.
Il est impossible d’affirmer qu’il n’y a aucune faille : il y en a même dans les plus importants fichiers informatiques, y compris ceux des agences de renseignement. Ce serait un peu présomptueux de ma part de vous dire le contraire s’agissant du fichier StopCovid.
Dernier point, l’application n’a pas besoin d’être ouverte en permanence. Effectivement, le Bluetooth doit être activé, mais, je le dis au passage, la plupart des Français gardent aujourd’hui leur Bluetooth allumé, ce qui accroît effectivement les risques d’attaque. Toutefois, je ne pense pas que ceux qui, dans cet hémicycle, gardent constamment leur Bluetooth ouvert aient été attaqués. Là encore, il s’agit d’une question de proportionnalité : si c’est utile, cela en vaut la peine.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le secrétaire d’État, la confiance n’y est pas. Pour répondre au sondage de notre collègue Jérôme Durain, je n’installerai pas l’application ! (Sourires.) Vous ne m’avez absolument pas convaincu.
Je vous ai posé une question très précise, à laquelle vous n’avez pas du tout répondu, puisque vous m’avez parlé des captchas. Je vous ai demandé si toutes les données utilisées par l’application seraient stockées sur des serveurs français.
M. Pierre Ouzoulias. Vous ne m’avez pas répondu : je n’ai pas confiance.
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, concernant l’application de traçage des cas contacts, la France a fait le choix d’une architecture centralisée. Les informations issues des téléphones remonteront à un serveur, qui sera chargé de les traiter, afin de notifier aux personnes concernées qu’elles ont été en contact avec une personne qui s’est déclarée malade de façon anonyme.
Cette solution, également retenue par le Royaume-Uni, a cependant fait l’objet d’une opposition de la part de Google et d’Apple. Ces entreprises, qui détiennent ensemble le monopole des systèmes d’exploitation des smartphones, ont fait pression pour que les applications de traçage utilisent une architecture décentralisée, c’est-à-dire que les informations restent sur les téléphones et ne soient pas stockées sur un serveur centralisé.
L’Allemagne, suivie notamment par la Suisse et l’Italie, a accepté de recourir à la solution préconisée par les géants du numérique. Tous les pays européens n’auront donc pas la même structure d’application, au premier rang desquels la France et l’Allemagne. Cette division au sein du couple franco-allemand nous interpelle, car ces applications ont vocation à être utilisées à travers l’Europe, dès que les frontières seront rouvertes, au sein de l’espace Schengen.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question est double et porte sur ces différences d’architecture : ne seront-elles pas un obstacle à l’interopérabilité des différentes applications nationales ? Par ailleurs, pouvez-vous nous dire quelles sont les différences en matière de cybersécurité ? Y a-t-il une architecture plus vulnérable que l’autre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, tout d’abord, je partage votre regret. Il est vrai que les chemins européens ont divergé sur la question et que, pour des raisons politiques, et non techniques, l’Allemagne a préféré retenir la solution développée par Apple et Google plutôt que la solution française.
Je ne vais pas vous mentir : la possibilité que les solutions décentralisées et centralisées soient interopérables est très limitée. Il sera très compliqué d’avoir une solution interopérable au niveau européen, et je le regrette.
Je le regrette surtout pour le principe, d’ailleurs, parce que, vous en conviendrez avec moi, les frontaliers téléchargeront deux applications différentes lorsqu’ils se déplaceront d’un pays à l’autre. Je pense qu’ils survivront… De même, si vous souhaitez partir en vacances en Espagne, vous téléchargerez l’application espagnole pour être couvert. Simplement, en termes d’image, il est dommage pour la souveraineté numérique de l’Europe qu’un tel choix ait été fait par un certain nombre de nos partenaires.
Je ne pense pas du reste que l’histoire soit totalement écrite. Hier, j’ai signé avec mes collègues allemands, espagnols, italiens et portugais une tribune sur la souveraineté numérique européenne qui était particulièrement agressive, en tout cas pugnace à l’égard d’Apple et de Google.
Nous travaillons à cette deuxième ou troisième voie que j’évoquais avec le président Retailleau pour aboutir à des systèmes interopérables. Nous ferons tout pour trouver une solution européenne.
S’agissant de l’intérêt comparé des deux solutions, ma religion n’est pas faite : ce qu’expliquent l’Anssi et l’Inria, ce que révèle un papier signé par des chercheurs opposés au traçage, qui ne sont donc pas partie prenante, c’est que la solution décentralisée est significativement plus facile à attaquer que la solution centralisée.
Encore faut-il, dans une démocratie, faire confiance à l’État sur le fait qu’il utilisera bien le serveur central pour ce à quoi il doit servir et pas pour autre chose.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Mes chers collègues, cela fait près d’une heure que nous discutons de l’application StopCovid. Qui est pour ? Qui est contre ? Quel sera son niveau d’efficacité ? Est-elle au point techniquement ? Sera-t-elle efficace si elle n’est pas interopérable avec les systèmes des pays voisins ? N’y a-t-il pas des failles de sécurité ? À cet égard, je vous renvoie à l’excellente audition que nous avons eue ce matin à la commission de la culture avec des chercheurs du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, et de l’Inria.
En réalité, pour moi, l’enjeu est ailleurs : la question essentielle réside dans la centralisation des données sur la plateforme Health Data Hub – au passage, merci pour la francophonie – créée par le ministère de la santé en vertu de l’article 6 du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, dont nous avons largement débattu il y a quelques jours.
Cette plateforme rassemblera les données de santé recueillies par les brigades sanitaires, certes pas a priori par StopCovid, mais on pourrait imaginer à terme certaines interconnexions…
Le véritable paradoxe, monsieur le secrétaire d’État, c’est que vous revendiquez à juste titre de faire de la souveraineté un enjeu.
Dans le dossier StopCovid, vous mettez en avant le fait que nous renonçons à la solution prônée par les Suisses et les Allemands, parce qu’elle a été développée par Google et Apple. Dont acte ! Mais la gestion de la plateforme Health Data Hub est bien confiée à un Gafam, cher Bruno Retailleau.
Je sais que vous étiez conseiller à l’Élysée à l’époque, monsieur le secrétaire d’État, et que vous avez pesé dans le choix de confier la gestion de la plateforme à Microsoft. Voilà le vrai sujet !
C’est une décision lourde de conséquences, parce que, si l’application StopCovid est une péripétie dans l’histoire des innovations numériques, la plateforme, elle, va durer, car elle a vocation à durer ! Cette décision sera à l’origine de choix irréversibles dans le traitement de nos données de santé.
M. Pierre Ouzoulias. Très juste !
Mme Catherine Morin-Desailly. Aussi, pourquoi n’a-t-on pas choisi une entreprise française, de dimension européenne, puisque je crois savoir qu’il y en avait ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Madame la présidente, je serai extrêmement direct avec vous : effectivement, j’étais conseiller à l’Élysée à l’époque, mais je n’ai pas pesé dans cette décision. En revanche, j’ai eu connaissance des déterminants qui ont présidé à ce choix.
La réponse à votre question est simple. La solution française ne nous permettait pas, et je le regrette, de mener les recherches scientifiques sur les données de santé que nous souhaitions ; l’évaluation technique était très claire sur ce point. Quand je parle de recherches scientifiques, ce sont les recherches de comorbidité et d’interactions médicamenteuses que nous avons dû entreprendre pendant la crise.
Étant donné le retard européen dans le cloud, que je regrette profondément – je rappelle que les investissements d’Amazon dans ce domaine représentent 22 milliards de dollars par an –, nous n’avions pas la possibilité de faire tourner des algorithmes d’intelligence artificielle suffisamment développés sur des infrastructures françaises. Ce n’était possible que sur des réseaux américains.
M. François Bonhomme. Il fallait demander aux PTT ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric O, secrétaire d’État. Dès lors, nous étions confrontés à un choix cornélien : devait-on privilégier l’efficacité sanitaire et un certain nombre de garanties – à ce sujet, je le répète, je ne crois pas qu’il existe des fuites de données – ou notre souveraineté ?
Cette question nous a occupés très longtemps. Finalement, après avoir discuté avec un certain nombre de scientifiques et de chercheurs en intelligence artificielle, pour comprendre jusqu’au bout ce que nous pouvions faire et ne pas faire, nous avons choisi de passer un contrat avec la société Microsoft, qui était la mieux-disante en termes technologiques (M. Pierre Ouzoulias ironise.) et qui présentait un certain nombre de garanties techniques et, bien entendu, juridiques, sur lesquelles je ne reviendrai pas.
J’aurais évidemment préféré que l’on choisisse une société européenne, ne serait-ce que pour soutenir l’industrie européenne, mais je pense que la seule leçon qu’il faut tirer de cette affaire, c’est que dans l’après-crise la question du cloud, pour toutes les entreprises et les institutions françaises, sera absolument primordiale.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.
Mme Catherine Morin-Desailly. Ne me faites pas croire, monsieur le secrétaire d’État, qu’il n’existait pas de solution française, européenne ou internationale ! OVH aurait très bien pu candidater, si le cahier des charges avait été élaboré en fonction des acteurs européens dont nous disposons.
En effet, tout est en train de se construire dans ce domaine, mes chers collègues, et Microsoft fait de même ! D’ailleurs, son directeur général a bien étudié la question : si le marché européen l’intéresse tant, c’est qu’il sait qu’il y aura, à la clé, des développements dans le cadre de l’économie de la santé, là où les données sont si importantes et si convoitées.
Or aucun marché n’a réellement été passé pour la gestion de cette plateforme ; il s’est agi, d’après ce que j’ai compris, d’une extension d’un marché préalable. Je le répète, OVH aurait très bien pu candidater si un tel marché avait été lancé.
Je regrette l’absence de patriotisme, français ou européen, à cet égard. Pourquoi ne met-on pas le paquet sur nos politiques industrielles, justement pour se donner les moyens du développement au moment où tout se construit ?
Tout se construit ! Nous pourrions ainsi élaborer nos solutions et, comme le préconisait Cédric Villani en matière d’intelligence artificielle, ancrer en Europe un écosystème qui nous est propre.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Catherine Morin-Desailly. C’est un choix, non pas technique, mais politique que vous avez fait, monsieur le secrétaire d’État : celui de confier aux Gafam la gestion de notre plateforme de santé. (Applaudissements sur des travées du groupe UC, ainsi que sur les travées des groupes SOCR et CRCE)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.
M. Philippe Bas. Comme vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, nous avons beaucoup travaillé sur cette application, qui était en devenir. Nous l’avons vue prendre forme progressivement. Nous vous avons auditionné plusieurs fois ; nous avons également entendu le président du conseil scientifique Covid-19 sur la question, ainsi que la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Nos deux rapporteurs spéciaux, Loïc Hervé et Dany Wattebled, se sont beaucoup investis sur le dossier.
L’impression que j’en retire, c’est que, progressivement, les garanties se sont accumulées et les ambitions ont été revues à la baisse. Sans doute en arrive-t-on à ce genre de conclusions lorsque l’on quitte le domaine des idées générales et de l’apesanteur pour entrer dans l’atmosphère et définir concrètement l’architecture d’un dispositif…
Les garanties, donc, sont sérieusement améliorées : transparence, volontariat, sécurité des données, supervision par une autorité indépendante et, enfin, souveraineté, puisque nous n’avons pas transigé avec la volonté d’un système français ne dépendant pas des Gafam. Mais, en même temps, le dispositif voit ses ambitions revues à la baisse, avec, demain, un nombre élevé de fausses alertes ou d’absences d’alerte alors qu’il y aura eu contact avec des personnes contaminées. Le système finit par ressembler étrangement, dans ses potentialités, à ce que l’on a vu à Singapour.
Dès lors, je me dis qu’il faut laisser sa chance à ce dispositif, mais je me dis aussi que, pour que le jeu en vaille vraiment la chandelle, il faudrait tout de même mettre sur la table la dimension financière. Quel est le coût de StopCovid, monsieur le secrétaire d’État ?
M. Jean-Pierre Sueur. C’est une bonne question ! Nous attendons la réponse avec impatience.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Je crains, monsieur le président Bas, de ne pas pouvoir être beaucoup plus précis que je ne l’ai été, ce matin, en commission des lois.
Jusqu’ici, l’application n’a rien coûté, mis à part les salaires, pris sur le budget de l’État, des quelques dizaines de chercheurs et de fonctionnaires ayant travaillé dessus. Les entreprises françaises que j’ai eu l’occasion de citer et les autres – au total, plus de 100 personnes sont intervenues sur le projet – ont travaillé gracieusement, et je profite de cette intervention pour les en remercier. Point important à souligner, elles n’ont pas non plus de propriété intellectuelle sur l’application.
À partir de la semaine prochaine, nous entrons dans une autre phase, puisque nous passons du développement au fonctionnement normal.
Je ne suis pas capable de répondre précisément à la question du coût de ce fonctionnement, car les négociations avec les entreprises concernées ne sont pas achevées. Mais je puis néanmoins vous rassurer sur le montant global de l’opération : comme je l’ai indiqué, nous parlons de quelques centaines de milliers d’euros, au maximum, par mois. C’est donc extrêmement limité.
Je faisais remarquer ce matin – au sénateur Loïc Hervé, me semble-t-il – que j’aurais pu éluder la question en disant que la santé n’a pas de prix…
M. Loïc Hervé. « Quoi qu’il en coûte ! »
M. Cédric O, secrétaire d’État. Oui, quoi qu’il en coûte ! Mais, si l’on pousse l’intérêt pour cette question jusqu’à chercher à évaluer le rapport coût-efficacité du dispositif, je crois que ce rapport est largement positif au regard du coût des séjours en réanimation évités par l’application. (Murmures sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Corinne Féret. Pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, le Gouvernement a décidé de mettre en place un système de traçage des contacts des malades, à l’aide d’une application mobile et, de par sa nature, forcément intrusive dans la vie privée.
Je regrette que l’urgence que nous ressentons tous, collectivement, face à la crise sanitaire actuelle fasse oublier que le numérique doit être au service de chaque citoyen, qu’il ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques.
Dans ce contexte, il est légitime de s’interroger sur l’opportunité de lancer l’application StopCovid, alors même que nous connaissons un début de baisse épidémique et que nous ne pratiquons toujours pas une politique massive de tests. Et c’est sans compter que les Français les plus affectés, les plus fragiles, en l’espèce les plus âgés, sont aussi les moins sensibilisés aux nouvelles technologies et aux applications téléchargeables sur téléphone portable.
De plus, alors que 77 % des Français possèdent un smartphone, il faudrait que plus de 80 % de la population utilisent l’application pour qu’elle soit efficace. Vous reconnaissez vous-même, monsieur le secrétaire d’État, qu’il y a une incertitude technologique à cet égard.
Dans ces conditions, il serait préférable d’admettre que l’application StopCovid présente un intérêt limité dans la lutte contre le Covid-19 et, surtout, qu’elle porte une atteinte manifestement disproportionnée aux droits et libertés des citoyens.
Je souhaite aussi insister sur la situation particulière des mineurs équipés de smartphone, qui pourront, demain, télécharger l’application. Comme le rappelle la CNIL dans son avis rendu hier, il conviendra de veiller au contenu de l’information diffusée et de s’assurer que StopCovid soit utilisée à bon escient et que le message d’alerte susceptible d’être adressé à ces adolescents soit adapté et bien interprété.
Ma question est donc la suivante : monsieur le secrétaire d’État, avez-vous prévu que soient intégrés, dans l’information fournie aux utilisateurs, des développements spécifiques, à la fois pour les mineurs adolescents et pour leurs parents ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Effectivement, la CNIL nous a demandé d’intégrer une information aux mineurs, et cela même si, sur un plan juridique, aucune base légale ne nous oblige à le faire.
Par conséquent, au moment de l’initialisation de l’application, apparaîtra une fenêtre concernant les conditions générales d’utilisation, qui seront assez simples, et il sera spécifié, dans ces dernières, la nécessité d’une autorisation parentale pour une utilisation par une personne mineure.
Nous ne pouvons pas aller plus loin que l’information, pour une raison simple : comme nous ne sollicitons aucune information concernant la personne, nous ne pouvons pas vérifier son âge. La CNIL, avec laquelle nous avons discuté, a jugé cette approche équilibrée et nous a donc seulement demandé d’informer, ce que nous ferons.
Je profite également de cette réponse pour rebondir sur le thème de la fracture numérique – c’est un sujet d’importance.
D’une part, ce n’est pas parce que certaines populations n’ont pas accès à l’application à ce jour – seulement environ 40 % des plus de 70 ans possèdent un smartphone – qu’elles ne seront pas protégées. Les brigades sanitaires vous protègent, sans préjudice de savoir si vous avez l’application ou pas !
D’autre part, la population que nous visons prioritairement est celle des urbains actifs, qui se déplacent en transport en commun, qui vont dans les bars et les restaurants, qui se rendent dans les supermarchés à des heures de forte affluence. Le virus est très dangereux pour les personnes âgées, mais, d’après les travaux épidémiologiques, et on peut facilement le comprendre, ce ne sont pas elles qui font circuler le virus : ce sont les urbains actifs dont je viens de parler.
Nous cherchons donc à couvrir en priorité cette catégorie de personnes, tout en faisant en sorte, à terme, de protéger toute la population. C’est pourquoi nous travaillons pour disposer, à l’horizon de cet été, je l’espère, d’un objet connecté pouvant être distribué ou acquis par nos concitoyens non équipés de smartphone, afin qu’ils ne se retrouvent pas sans solution.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Au détour de la dramatique crise sanitaire du Covid-19, le numérique entre à grands pas dans le monde de la santé.
En particulier, le projet d’une application de traçage des personnes touchées par le virus a suscité de nombreuses réflexions et discussions publiques. Le Gouvernement a finalement décidé de lancer l’outil StopCovid, dont nous parlons ce soir, pour compléter sa politique de lutte contre la propagation de l’épidémie.
Je ne reviendrai pas sur la question de la protection des données, si ce n’est pour rappeler que mon groupe, comme l’a précédemment souligné Françoise Laborde, est bien entendu attaché au respect des libertés individuelles et qu’il prend acte des dernières recommandations de la CNIL, en particulier sur les précautions à renforcer autour du volet concernant les destinataires et les accédants aux données de l’application.
Dans le cadre de ce débat, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais vous poser, au nom d’Yvon Collin, une question d’ordre technique.
La France a choisi le protocole Robert ; les groupes Apple et Google développent également leurs propres applications, qu’ils considèrent comme étant plus respectueuses de la vie privée que les applications existantes.
Je ne jugerai pas le choix de l’application Robert. Celle-ci s’inscrit dans le cadre de l’initiative européenne Pan European Privacy-Preserving Proximity Tracing ; c’est donc une bonne chose, d’autant que l’on peut comprendre, et même partager, l’enjeu de souveraineté qui se noue autour de cet outil de traçage.
Néanmoins, Apple ne permettant pas l’accès au Bluetooth en continu en arrière-plan d’une application, l’outil StopCovid ne pourrait pas, semble-t-il, être utilisé sur un iPhone. Il pourrait donc être installé sur peu de téléphones. Or nous savons que l’efficacité d’une application de traçage repose sur son adoption par un nombre critique de nos concitoyens – idéalement au moins 20 % d’entre eux.
Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d’État, quelle est votre cible d’utilisateurs ? Par ailleurs, quel impact aura l’application, si elle reste ouverte à l’arrière-plan, sur la batterie du téléphone ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. La question que vous posez, monsieur le sénateur Requier, a été au cœur des tests réalisés au cours des deux dernières semaines. Pour rappel, nous avons testé les 100 portables les plus utilisés par les Français, de 17 marques différentes.
Effectivement, une des complexités à laquelle nous nous heurtions était de faire en sorte que l’application, une fois en arrière-plan sur l’iPhone, ne soit pas éteinte automatiquement.
La solution technique que nous avons trouvée – la même que celle que les Anglais utilisent – est la suivante : quand vous aurez votre iPhone dans la poche et qu’il s’éteindra graduellement, le fait de croiser une personne ayant un Android le réveillera. Je rappelle que la part de marché des iPhone est légèrement inférieure à 20 %, quand celle des Android dépasse 80 % ; vous croiserez donc très régulièrement des gens ayant un Android.
C’est un moyen détourné, qui n’est pas totalement satisfaisant ni ne fonctionne à tous les coups. Mais les tests des derniers jours ont pu montrer, d’une part, qu’il n’y avait pas d’effet dirimant sur la batterie – on constate une petite hausse de la consommation, de l’ordre de quelques pour cent, donc sans que cela vide la batterie du téléphone –, et, d’autre part, que ce mécanisme de contournement fonctionnait bien néanmoins. Pour vous donner une idée globale, nous sommes aujourd’hui en mesure de dire que nous captons entre 75 % et 80 % des gens que nous devons capter.
Évidemment, nous ne pouvons nous en satisfaire et nous allons continuer à améliorer le protocole. D’ailleurs, nous travaillons au niveau européen sur cette question du Bluetooth, avec les Allemands et les Anglais, ainsi qu’avec certains acteurs américains, qui, semble-t-il, ne sont pas forcément si avancés que cela sur le sujet. En tout cas, ils ne le sont pas forcément plus que nous !
Toutefois, nous avons considéré qu’avec 75 % à 80 % de personnes captées, que ce soit dans le métro, à l’air libre ou dans un supermarché, le dispositif était suffisamment solide.
D’ailleurs, nous en avons tiré une conséquence qui n’est pas sans importance : une personne notifiée pourra prendre contact avec son médecin et avoir accès à un test et un arrêt de travail. Si nous acceptons une telle conséquence, c’est bien que nous avons confiance dans la solidité et la fiabilité du système informatique.
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez voulu faire de StopCovid un projet français, piloté par l’Inria et avec l’appui de nombreux industriels qui s’investissent dans notre pays. Vous avez fait le choix de recourir à notre savoir-faire national pour le mettre au service de l’intérêt général et du progrès humain, dans un domaine où l’on excelle souvent trop discrètement. Vous avez parlé de panache… Ma moustache en a frémi ! (Sourires.)
À ce jour, les tests ont été menés sur les 100 références de téléphone les plus utilisées par les Français, de 17 marques différentes. Les tests ont démontré que l’application fonctionnait de manière très satisfaisante sur l’ensemble des modèles du parc de référence.
Pour autant, près de 23 % des Français ne disposent pas de smartphone ou ne sont pas à l’aise avec le numérique. Or, le virus n’a pas de frontière et touche toutes les classes sociales. Ce public, dont il n’est pas imaginable qu’il puisse être exclu du processus, désire souvent être acteur dans le combat contre le Covid-19.
C’est pourquoi de nombreuses entreprises françaises se sont investies dans la recherche et le développement de produits innovants, pouvant répondre à cette attente. Je pourrai par exemple citer Sigfox, une société toulousaine spécialiste des réseaux de télécommunication bas débit, qui travaille à un prototype de bracelet connecté indépendant de Google et d’Apple.
La France, comme d’autres pays, d’ailleurs, ne ferme pas la porte à la solution du bracelet connecté pour des tiers dépourvus de smartphone, à l’instar des personnes âgées, bien sûr, ou des personnes modestes. Le Gouvernement doit pouvoir proposer des solutions à ces publics, pour qu’ils soient eux aussi en mesure, sur la base du volontariat, de compléter l’action des médecins et de l’assurance maladie.
Monsieur le secrétaire d’État, à ce jour, l’option d’un bracelet connecté est-elle toujours envisagée ? D’autres choix de ce type sont-ils à l’étude pour favoriser la participation bénévole de ces Français, éloignés des objets connectés ? Si oui, l’État entend-il contribuer à la distribution de ces outils ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Je crois avoir commencé à répondre à cette question, mais je souhaite ajouter quelques éléments d’information.
Tout d’abord, nous avons fait travailler sur cette application, depuis plusieurs semaines, des spécialistes de l’inclusion numérique et de l’accessibilité aux personnes en situation de handicap. L’application sera donc simple – je crains même qu’elle ne déçoive ceux d’entre vous qui accepteraient de la télécharger, du fait de sa grande simplicité –, mais, du coup, elle est très compréhensible. Elle est, par ailleurs, accessible aux personnes en situation de handicap, ce qui me semble extrêmement important.
Ensuite, au-delà des éléments que j’évoquais précédemment, nous allons tout faire pour encourager l’adoption de cette application par les populations que nous avons plus de mal à contacter. Nous souhaitons ainsi travailler avec les associations de collectivités territoriales – nous avons d’ailleurs commencé à le faire avec certaines d’entre elles. Je m’entretiendrai demain, par visioconférence, avec les associations caritatives, car nous tenons aussi à pouvoir protéger les populations dont elles s’occupent.
S’agissant de l’objet connecté que vous évoquez, monsieur le sénateur Lévrier, il est développé par une société française, Withings. Nous travaillons avec elle sur la création d’une montre, cet objet présentant l’intérêt de ne pas pouvoir être perdu dans diverses circonstances, y compris par les personnes âgées.
Les premiers tests sont bons. Ils montrent que nous réussissons à incorporer le protocole Robert dans la montre. Reste un certain nombre de questions s’agissant du déploiement ou de l’industrialisation massive, si jamais nous devions le faire.
Il faudra aussi que nous discutions avec les collectivités territoriales et avec vous, parlementaires, des efforts que nous sommes prêts à faire pour protéger les Français, sachant que le coût devrait avoisiner les 50 euros par objet.
Toutes ces questions sont encore devant nous et donneront lieu, j’imagine, à des discussions nourries.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Je tiens tout d’abord à remercier toutes celles et tous ceux qui ont travaillé sur ce sujet : les rapporteurs, mais aussi les orateurs, qui nous ont parfaitement expliqué les enjeux du débat.
Après avoir écouté les uns les autres, ce n’est pas tant le danger de l’application StopCovid qui m’inquiète le plus ; c’est son efficacité ! Il faut considérer cette application à sa juste mesure. Il serait paradoxal, à mon sens, d’être plus exigeant en termes de données personnelles avec StopCovid qu’avec les Gafam.
J’entends bien sûr les réactions des uns et des autres – nous sommes peut-être même, ici, au cœur d’un débat portant plus sur l’équilibre à trouver entre protections collectives et libertés publiques que sur la lutte contre le Covid-19.
Toutefois, mes chers collègues, même si certains indicateurs peuvent sembler rassurants, la maladie rôde toujours ! Elle menace encore les plus fragiles, ceux d’entre nous qui risquent leur vie. Rappelons que nous ne disposons, pour l’heure, ni d’un vaccin ni d’un traitement, et nous n’avons pas non plus l’assurance d’en disposer très prochainement.
Faudrait-il rester passifs et ne compter que sur le confinement, avec son cortège de drames économiques et sociaux, pour lutter contre la maladie ou son éventuel retour ? Je m’étais exprimé en ce sens lors du débat sur les brigades anti-Covid. Je persiste et signe : nous n’avons pas d’autres moyens de lutter contre la maladie que de tester, tracer et isoler. Si l’application StopCovid y participe, tant mieux !
Soyons clairs, le recours à la technologie n’est pas, par essence, liberticide. C’est l’usage que l’on en fait qui l’est ! Ce qui tue, c’est le bras, non l’épée ! En tant que parlementaires, nous devrons donc être vigilants sur ce point.
En attendant, notre devoir est de tout faire pour protéger les populations et relancer l’activité de notre pays.
Ma question est double, monsieur le secrétaire d’État. Quels moyens allez-vous consacrer pour promouvoir l’application et atteindre l’objectif de 56 % à 60 % d’usage que vous avez fixé ? D’autres pays, notamment en Europe, sont-ils susceptibles de faire le même choix que nous, le choix de la souveraineté numérique ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. J’ai peur de vous décevoir, monsieur le sénateur Henno, mais je n’espère pas atteindre 56 % de la population couverte. Je n’y crois pas, pour tout dire ! Je n’ai pas eu l’occasion de vérifier ce point, mais il me semble qu’une seule application est possédée par plus de 60 % de la population française. Une seule ! Mon objectif n’est certainement pas d’atteindre ce niveau.
Par ailleurs, une couverture de 60 % de la population française n’aurait pas beaucoup de sens, puisque nous réfléchissons en termes de bassin de vie. Donc, si une ville est couverte, c’est une très bonne chose. Or – je ne reviens pas sur la question des urbains actifs, qui ont le meilleur taux d’équipement en smartphone –, c’est cela que nous ciblons.
Encore une fois, les travaux épidémiologiques, dont la dernière livraison, en provenance de l’université d’Oxford et de l’Imperial College, date d’hier, montrent que, dès les premiers téléchargements, on évite des contaminations. On peut estimer, si j’en crois les discussions que j’ai eues avec le scientifique en charge de ces recherches, que l’atteinte d’un peu moins de 10 % d’un bassin de vie suscite un effet systémique de protection. Au-delà, l’efficacité augmente de manière linéaire. Et, il l’écrit lui-même, dès les premiers téléchargements, des contaminations sont évitées.
En ce qui concerne la question de la souveraineté, à ce jour, les Anglais sont alignés sur notre position ; les Italiens, les Allemands, les Autrichiens et les Suisses ont fait un autre choix ; les Espagnols réservent encore leur avis.
Ce qui doit mobiliser notre énergie, c’est la recherche d’un compromis. Le protocole Désiré, qui peut être déployé de façon centralisée ou décentralisée, pose encore des questions techniques, compte tenu de sa complexité, mais il est plus protecteur de la vie privée.
J’espère que nous allons tirer le fil et faire en sorte de trouver un chemin européen. Malheureusement, celui-ci reste encore incertain.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Pendant plusieurs semaines, la vie de notre pays s’est pratiquement arrêtée. Pendant plusieurs semaines, les Français ont été enfermés chez eux, privés de leur liberté fondamentale d’aller et de venir. Pendant plusieurs semaines, notre pays a lutté, à l’aveugle, contre l’épidémie de Covid-19.
Voilà un mois, le triptyque « protéger, tester, isoler » a guidé les conditions de notre liberté, pour partie retrouvée. Il consiste à passer de la lutte à l’aveugle à la lutte informée.
Notre stratégie a été largement guidée par les capacités disponibles en équipements de protection, en tests, en applications. Aucune de ces capacités ne suffit à elle seule, mais toutes sont nécessaires, je le crois, et, vu la connaissance que nous avons actuellement du virus, peut-être encore insuffisantes.
D’autres pays ont procédé autrement. Je pense à la Corée du Sud, qui, instruite par des épidémies précédentes, a misé sur la connaissance la plus fine possible de la propagation du virus et sur l’information de la population.
Si nous n’avons pas été prêts, monsieur le secrétaire d’État, pour cette épidémie, il n’est pas interdit de l’être pour la prochaine ! L’application StopCovid testée en grandeur nature pourrait servir à nouveau face à une maladie encore plus insidieuse et à la létalité encore plus élevée.
Si nous n’avons pas été prêts pour cette épidémie, d’autres le seront, avec moins de garanties pour nos données de santé, nos libertés et notre souveraineté, comme l’ont souligné Philippe Bas et Bruno Retailleau. Pour informer plutôt que d’enfermer, je suis favorable à l’usage d’une application raisonnée, maîtrisée, avec des garanties publiques et individuelles.
Je m’interroge toutefois sur un point – ce n’est pas tout à fait celui qu’Olivier Henno a évoqué : sur quels éléments se fondent les évaluations à 10 %, 50 % ou 60 % de diffusion de l’application au sein de la population pour conclure à son efficacité ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Une étude principale traite de ce sujet : c’est celle de l’université d’Oxford et de l’Imperial College que je citais précédemment, dont le premier opus est paru le 13 mars dernier.
Cette équipe, composée de spécialistes du virus Ebola, du coronavirus lié au syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et du coronavirus responsable du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS), a travaillé sur la problématique du contact tracing et imaginé très tôt le déploiement d’outils numériques.
Le principal problème avec cette épidémie, c’est effectivement, comme vous le savez, qu’elle est propagée par des personnes n’ayant pas conscience d’être porteuses du virus, qu’elles soient en période d’incubation ou qu’elles soient asymptomatiques de manière définitive.
Cette étude, qui, par ailleurs, a le soutien de l’Inserm, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, et de l’Institut Pasteur, confirme d’autres travaux menés ici et là. Elle est donc tout à fait centrale et devrait être encore précisée dans les jours à venir ; pour la petite histoire, les précisions étaient attendues plus tôt, mais certains des chercheurs sont tombés malades.
C’est la plus complète qui existe, ne serait-ce que parce que la prochaine livraison intégrera, entre autres éléments, des éléments de dynamique comportementale. Ces derniers, améliorant encore les modélisations, me permettent aujourd’hui de vous apporter le taux de 10 %, tiré des discussions que j’ai eues avec cette équipe de recherche.
Ces scientifiques sont à la pointe de la connaissance. D’ailleurs, les épidémiologistes comme Simon Cauchemez et Arnaud Fontanet, de l’institut Pasteur, ou encore Vittoria Colizza, de l’Inserm, considèrent cette équipe comme extrêmement solide ; ce sont d’ailleurs ses travaux qui les ont conduits à prendre officiellement position en faveur des outils de protection des contacts.
Je tiens à votre disposition les résultats obtenus. Il est extrêmement intéressant d’examiner l’impact en termes de morts et de contaminations d’un jour gagné dans la prévenance des contacts. C’est exponentiel ! Au bout d’une dizaine de jours, les écarts se comptent en dizaines de milliers de morts, ce qui, évidemment, est la caractéristique d’une courbe exponentielle.
Monsieur le sénateur Milon, je serais ravi d’évoquer tous ces sujets avec vous, en un peu plus de deux minutes, en dehors de cet hémicycle.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville. (M. Patrick Kanner applaudit.)
Mme Angèle Préville. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, limiter la propagation de l’épidémie en cassant les chaînes de transmission est un impératif auquel nous souscrivons. En revanche, recourir à une application de suivi des contacts rapprochés est un choix très discutable.
Sur le plan de l’efficacité, tout d’abord, la théorie pure et parfaite sur laquelle se fonde application est, indépendamment même de la question du volontariat, difficilement transposable à la réalité des Français : elle nie l’exclusion numérique, résultant soit de la couverture inégale de notre territoire, soit de l’équipement en smartphones de la population, qui est loin d’être de 100 % – pour cette dernière raison, plus de 20 % des Français sont d’office exclus du dispositif, en majorité des populations à risque. Bref, vous vous apprêtez à mettre en place un système qui, d’avance, est très difficilement opérationnel.
Ensuite, la génération de données de santé en transit dans le cloud comporte un risque important de vol de ces données. Ce sont la vie privée des utilisateurs et leurs données personnelles et de santé qui sont en jeu ! Le piratage n’est pas une vue de l’esprit : à n’en pas douter, toutes ces données suscitent d’ores et déjà des convoitises, que vous semblez ignorer. Rien de ce qui est sur nos smartphones n’est anonyme ou secret…
Le risque pesant sur la sécurité informatique d’une telle application me conduit à cette question : pouvez-vous garantir que le système ne sera pas hacké ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Madame la sénatrice, je serai très direct : non, je ne puis pas vous le garantir !
En revanche, je vous garantis que nous prenons toutes les mesures possibles, d’ailleurs parfois disproportionnées par rapport à la sensibilité des données en question. De fait, si j’étais un hacker intéressé par les données personnelles des Français, je préférerais probablement m’attaquer aux systèmes informatiques de certains hôpitaux, qui comportent des noms, des prénoms et des historiques de pathologies – de telles attaques sont d’ailleurs une réalité.
Les données de StopCovid se limiteront à une liste de crypto-identifiants, représentant des contacts de personnes testées positives ; nulle part, absolument nulle part, il n’y aura une liste de personnes testées positives. Ces données-là sont d’un intérêt extrêmement limité, d’autant qu’elles sont très difficiles à rapprocher d’une identité.
Tout est affaire de proportionnalité : en l’occurrence, nous avons pris toutes les mesures possibles pour assurer la protection de ces données, dont, par ailleurs, je le répète, la sensibilité est limitée. Nous avons même demandé à des hackers d’attaquer notre solution, de manière à mettre au jour des failles et à pouvoir les combler.
Plus généralement, je regrette que le niveau de préparation de nos hôpitaux et de nos entreprises, mais aussi de nos institutions – nous ne sommes pas mieux lotis que les autres –, reste encore insuffisant en termes de protection contre les attaques malveillantes, qui sont amenées à se multiplier, malgré le travail remarquable de l’Anssi.
Nous devons sensibiliser encore plus les Français – les attaques contre les particuliers ont sensiblement augmenté pendant le confinement, avec le niveau d’utilisation –, les entreprises françaises, les institutions françaises et, évidemment, les opérateurs de santé français.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour la réplique.
Mme Angèle Préville. Quelque soin que vous aurez pris, il reste que les données des Français pourront être saisies par qui voudra s’en emparer… C’est un problème, surtout s’agissant de données particulièrement intéressantes pour diverses personnes, voire des États.
Au passage, nous aurons aussi abandonné une part de liberté. Vous savez ce que disait Benjamin Franklin à ce sujet : « Un peuple qui est prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux. »
En prime, nous aurons gagné une ambiance de défiance généralisée… Ne faudrait-il pas plutôt parier sur la confiance, une confiance réciproque qui s’est un peu perdue ces derniers temps ? Comme l’explique l’historien Noah Harari, « une population informée et motivée est beaucoup plus puissante et efficace qu’une population ignorante et contrôlée par la police ».
Oui, la citoyenneté est un puissant facteur de réussite, fédérateur par essence ; il est dommage de ne pas actionner ce levier constitutif de notre République !
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Monsieur le président, monsieur le président du Sénat, madame la garde des sceaux, madame, monsieur les secrétaires d’État, à la suite de Bruno Retailleau, je serai plutôt satisfaite d’apporter mon soutien à ce projet, qui nous permet de revenir sur la notion de souveraineté numérique, mise en exergue par le Sénat l’année dernière, à la faveur de sa commission d’enquête sur le sujet.
Le Gouvernement a donc décidé de développer sa propre application en vue d’accompagner le déconfinement. Je ne reviendrai pas sur les nombreuses apories de ce projet ; elles ont déjà été soulignées. J’attirerai plutôt l’attention – M. le secrétaire d’État n’en sera pas étonné – sur un aspect plus discret du débat, mais essentiel, car il souligne la potentielle impuissance de l’État dans le monde numérique.
Dans la genèse de l’application StopCovid, le Gouvernement s’est heurté au refus des deux géants Apple et Google de lever certaines barrières techniques sur leur système d’exploitation. Vous avez trouvé une astuce, mais admettez, monsieur le secrétaire d’État, que c’est inadmissible !
En réalité, la puissance publique s’est retrouvée dans la position de n’importe quel développeur d’applications face au duopole Apple-Google, qui impose ses conditions sans se justifier et de façon opaque.
Cette situation est d’autant moins acceptable qu’elle aurait pu être prévenue, si un principe de neutralité des smartphones avait été consacré, comme le Sénat l’avait proposé en adoptant une proposition de loi de la commission des affaires économiques, votée à l’unanimité des groupes politiques de notre assemblée le 19 février dernier.
Monsieur le secrétaire d’État, cette crise sans précédent doit être l’occasion de tirer des enseignements et des leçons pour l’avenir et de mettre fin aux errements du passé. En particulier, il est temps d’adopter un principe de neutralité des terminaux.
En février dernier, le Gouvernement était favorable sur le fond à la solution proposée par la commission, mais trouvait que, sur la forme, il était prématuré d’adopter ce texte à l’échelon national. Il y a là un peu d’ironie… Aujourd’hui, après plusieurs expériences, y compris celle de l’échec du projet européen en la matière, a-t-il l’intention d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Larcher. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Madame la présidente Primas, j’aurais été déçu si vous ne m’aviez pas interrogé sur ce sujet – il faut dire que la situation s’y prête…
Sur le fond, vous avez raison : ce qui s’est passé est inadmissible. De fait, aujourd’hui, nous n’avons pas les moyens juridiques de contraindre Apple et Google à modifier leur attitude dans ce qui s’apparenterait, si nous étions dans le champ commercial, à un abus de position dominante. C’est à peu près de cela qu’il s’agit : « Vous me proposez une innovation, je vais la faire moi-même et vous obliger à passer par mon système »… Mais comme ce sont des États qui développent et qu’il n’y a donc pas d’intérêts commerciaux, la situation n’entre pas dans cette classification.
Reste que cette expérience apporte de l’eau au moulin de tous ceux, dont vous faites partie, qui dénoncent une situation oligopolistique et un marché fermé sur des infrastructures qui pourraient s’apparenter à des infrastructures essentielles.
Nous en avons débattu voilà quelques mois, lors de l’examen de la proposition de loi dont vous avez parlé. J’avais expliqué, en effet, que nous préférions agir au niveau européen, pour des raisons évidentes.
Or le Digital Services Act – excusez ces termes anglais – devrait passer d’ici à la fin de l’année à la Commission européenne. La France veillera à ce qu’il comporte des dispositions importantes sur la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, pour employer une expression assez générale.
En raison de la crise du Covid, la Commission européenne a envisagé de décaler ce texte à l’année prochaine ; la France a beaucoup pesé pour qu’il soit maintenu cette année, ce qui vient d’être confirmé.
Soyez assurée, madame Primas, que la France fera tout pour que les enjeux de régulation des géants de l’internet soient inclus dans ce texte. S’ils devaient ne pas l’être, je pense que nous en reparlerions à l’échelon national. Dans l’immédiat, laissons l’année se terminer et laissons sa chance à l’Europe. (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat interactif.
Vote sur la déclaration du Gouvernement
M. le président. À la demande du Gouvernement, le Sénat est appelé à se prononcer par un vote sur la déclaration du Gouvernement relative aux innovations numériques dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19.
Conformément à l’article 39, alinéa 6, de notre règlement, il va être procédé à un scrutin public ordinaire dans les conditions prévues à l’article 56 du règlement ; aucune explication de vote n’est admise.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 105 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 313 |
Pour l’adoption | 186 |
Contre | 127 |
Le Sénat a approuvé la déclaration du Gouvernement relative aux innovations numériques dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 28 mai 2020 :
De neuf heures à treize heures :
(Ordre du jour réservé au groupe RDSE)
Proposition de loi visant à apporter un cadre stable d’épanouissement et de développement aux mineurs vulnérables sur le territoire français, présentée par Mme Josiane Costes et plusieurs de ses collègues (texte n° 311, 2019-2020) ;
Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, visant à encourager le développement de l’assurance récolte, présentée par MM. Yvon Collin, Henri Cabanel, Mme Nathalie Delattre et plusieurs de leurs collègues (texte n° 708, 2018-2019).
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe SOCR)
Proposition de loi visant à rendre effectif et à renforcer le plafonnement des frais bancaires, présentée par MM. Patrick Kanner, Claude Raynal, Vincent Éblé, Mme Laurence Rossignol et M. Jacques Bigot et plusieurs de leurs collègues (texte n° 339, 2019-2020) ;
Débat sur le thème : « Les conditions de la reconstruction du pacte social national dans le cadre de la sortie de la crise sanitaire. »
À l’issue de l’ordre du jour de l’après-midi et, éventuellement, le soir :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (texte de la commission n° 454, 2019-2020).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)
nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission des lois pour faire partie de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :
Titulaires : M. Philippe Bas, Mme Muriel Jourda, MM. René-Paul Savary, Loïc Hervé, Mme Monique Lubin, MM. Didier Marie, et Thani Mohamed Soilihi ;
Suppléants : Mmes Catherine Di Folco, Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Albéric de Montgolfier, Hervé Marseille, Éric Kerrouche, Mmes Josiane Costes et Esther Benbassa.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication