Sommaire
Présidence de M. David Assouline
Secrétaires :
MM. Joël Guerriau, Guy-Dominique Kennel.
illectronisme et éducation nationale
Question n° 694 de M. Jean-Marie Mizzon. – M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. Jean-Marie Mizzon.
égalité des chances des enfants scolarisés en zone rurale
Question n° 1139 de M. Jean-François Husson. – M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. Jean-François Husson.
conséquences financières de la crise sanitaire sur les communes
Question n° 1190 de M. Hervé Maurey. – M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; M. Hervé Maurey.
mesures prévues à destination des structures d’hébergement d’urgence
Question n° 1191 de Mme Éliane Assassi. – M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement.
réglementation environnementale 2020
Question n° 955 de Mme Anne-Catherine Loisier. – M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; Mme Anne-Catherine Loisier.
surcoûts liés à la crise sanitaire du covid-19 pris en charge par les collectivités locales
Question n° 1185 de M. Patrice Joly. – M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement.
paiement des aides européennes à l’agriculture biologique
Question n° 1118 de Mme Noëlle Rauscent. – M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics ; Mme Noëlle Rauscent.
Question n° 1085 de Mme Patricia Morhet-Richaud. – M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics ; Mme Patricia Morhet-Richaud.
financement des établissements publics de coopération intercommunale sans fiscalité propre
Question n° 1161 de Mme Laure Darcos. – M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics ; Mme Laure Darcos.
Question n° 1183 de M. Max Brisson. – M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics ; M. Max Brisson.
situation des travailleurs non salariés
Question n° 1189 de M. Édouard Courtial. – M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
inquiétudes sur l’avenir de sanofi en france et dans le val-de-marne
Question n° 1137 de Mme Laurence Cohen. – M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics ; Mme Laurence Cohen.
Question n° 1001 de Mme Jocelyne Guidez. – M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics ; Mme Jocelyne Guidez.
précarité des étudiants français
Question n° 1177 de Mme Marie Mercier. – Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; Mme Marie Mercier.
déroulement des concours dans l’enseignement supérieur durant la crise sanitaire du covid-19
Question n° 1188 de Mme Françoise Laborde. – Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; Mme Françoise Laborde.
sauvetage du capillaire ferroviaire pour le fret agricole et alimentaire
Question n° 1178 de M. Jean Bizet. – Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; M. Jean Bizet.
aides à l’assainissement individuel
Question n° 942 de Mme Nadia Sollogoub. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; Mme Nadia Sollogoub.
indemnisation des copropriétaires de l’immeuble du signal du fait de l’érosion littorale
Question n° 1141 de M. Michel Vaspart. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; M. Michel Vaspart.
Question n° 1038 de M. Antoine Lefèvre. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; M. Antoine Lefèvre.
prise en charge des frais de transport en ambulance bariatrique
Question n° 1084 de Mme Catherine Deroche. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; Mme Catherine Deroche.
hôpital support en ardèche méridionale
Question n° 1145 de M. Mathieu Darnaud. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; M. Mathieu Darnaud.
Question n° 1174 de Mme Laurence Rossignol. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
extension de la prime exceptionnelle pour le personnel médico-social
Question n° 1184 de Mme Agnès Canayer. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; Mme Agnès Canayer.
application de l’article L. 231-9 du code de la sécurité sociale aux enseignants
Question n° 1169 de M. Philippe Bonnecarrère. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
insuffisance de places au sein des instituts médico-éducatifs de l’ain
Question n° 930 de M. Patrick Chaize. – Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées ; M. Patrick Chaize.
accueil et accompagnement des enfants handicapés
Question n° 1182 de Mme Christine Herzog. – Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées ; Mme Christine Herzog.
prise en charge des enfants handicapés français résidant à l’étranger
Question n° 1176 de Mme Jacky Deromedi. – Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées ; Mme Jacky Deromedi.
moyen de paiement des demandeurs d’asile
Question n° 1020 de Mme Patricia Schillinger. – M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; Mme Patricia Schillinger.
nécessaire connaissance du nombre d’habitants par commune
Question n° 1186 de M. Olivier Paccaud. – M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; M. Olivier Paccaud.
avenir du fonds européen d’aide aux plus démunis
Question n° 1192 de M. Didier Marie. – M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; M. Didier Marie.
désignation d’un délégué interministériel aux enjeux transfrontaliers
Question n° 1156 de Mme Véronique Guillotin. – M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; Mme Véronique Guillotin.
situation des écoles d’architecture
Question n° 1172 de Mme Sylvie Robert. – M. Franck Riester, ministre de la culture ; Mme Sylvie Robert.
violences sexuelles dans les sports de montagne
Question n° 1173 de M. Cyril Pellevat. – Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports ; M. Cyril Pellevat.
communication des archives de la défense nationale
Question n° 1149 de M. Pierre Laurent. – Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des armées ; M. Pierre Laurent.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances
4. Diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. – Discussion d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 200 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.
Amendement n° 244 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Amendement n° 268 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 186 du Gouvernement. – Retrait.
Amendement n° 245 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Amendement n° 187 du Gouvernement. – Adoption.
Amendements identiques nos 7 rectifié quater de Mme Nathalie Delattre, 73 rectifié de M. Vincent Segouin, 77 de M. Patrice Joly, 113 rectifié bis de Mme Dominique Estrosi Sassone, 139 rectifié de M. Dominique de Legge et 264 de Mme Annick Billon. – Devenus sans objet.
Amendement n° 30 de M. Claude Bérit-Débat. – Devenu sans objet.
Amendement n° 94 de Mme Marta de Cidrac. – Devenu sans objet.
Amendements identiques nos 20 rectifié ter de M. Pascal Martin, 76 rectifié bis de M. Michel Vaspart, 91 rectifié bis de M. Jean Bizet, 133 rectifié de M. Jean-Pierre Corbisez, 138 rectifié bis de M. Michel Raison et 141 de Mme Vivette Lopez. – Devenus sans objet.
Amendement n° 224 de Mme Michelle Gréaume. – Devenu sans objet.
Amendement n° 176 rectifié de M. Laurent Duplomb. – Devenu sans objet.
Amendement n° 55 de Mme Sylvie Robert. – Adoption.
Amendement n° 154 de M. Thani Mohamed Soilihi. – Irrecevable.
Amendement n° 223 de Mme Marie-Noëlle Lienemann. – Irrecevable.
Amendement n° 240 rectifié de M. Jean-Pierre Leleux. – Non soutenu.
Amendement n° 40 de Mme Hélène Conway-Mouret. – Irrecevable.
Amendement n° 263 de Mme Sylvie Robert. – Rejet.
Amendement n° 188 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 147 du Gouvernement. – Adoption.
Amendements identiques nos 161 de M. André Gattolin et 213 de Mme Éliane Assassi. – Irrecevables.
Amendement n° 148 rectifié de Mme Françoise Laborde. – Irrecevable.
Adoption de l’article modifié.
Article 1er bis AA (nouveau) – Adoption.
Articles additionnels après l’article 1er bis AA
Amendement n° 203 rectifié de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.
Amendement n° 48 de Mme Monique Lubin. – Rejet.
Amendement n° 246 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Amendement n° 183 rectifié bis de Mme Valérie Létard. – Devenu sans objet.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 1er bis A
Amendement n° 239 rectifié bis de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.
Amendement n° 204 rectifié de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.
Amendement n° 205 rectifié de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.
Amendement n° 62 rectifié bis de M. Patrick Kanner. – Retrait.
Amendement n° 84 rectifié quater de M. Claude Kern. – Adoption.
Amendement n° 242 rectifié bis de M. Michel Savin. – Rejet.
Amendement n° 243 rectifié de M. Michel Savin. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 247 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Amendement n° 219 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 248 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
Amendement n° 197 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 22 de M. Jean-Yves Leconte. – Retrait.
Amendement n° 23 de M. Jean-Yves Leconte. – Retrait.
Amendement n° 24 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 1er ter
Amendement n° 198 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 172 rectifié bis de M. Richard Yung. – Non soutenu.
Article 1er quater AA (nouveau)
Amendement n° 136 du Gouvernement. – Retrait.
Amendement n° 167 de M. René-Paul Savary. – Adoption de l’amendement rédigeant l’article.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l’article 1er quater A
Amendement n° 125 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 273 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Article 1er quater BA (nouveau)
Amendement n° 33 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement rédigeant l’article.
Amendement n° 249 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Amendement n° 221 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 220 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 25 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 47 rectifié de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 222 rectifié de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 1er quater B
Amendement n° 171 rectifié de M. Richard Yung. – Non soutenu.
Article 1er quater CA (nouveau)
Adoption de l’article.
Amendement n° 251 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 206 rectifié de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.
Amendement n° 234 rectifié bis de M. Jean-Marc Gabouty. – Adoption.
Amendement n° 235 rectifié bis de M. Jean-Marc Gabouty. – Devenu sans objet.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de M. David Assouline
vice-président
Secrétaires :
M. Joël Guerriau,
M. Guy-Dominique Kennel.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 20 mai 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
illectronisme et éducation nationale
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, auteur de la question n° 694, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le ministre, dans une question écrite adressée l’an passé à votre collègue secrétaire d’État chargé du numérique, j’ai alerté votre gouvernement sur un phénomène récent dont vous ne semblez pas encore bien mesurer l’ampleur. Il s’agit de l’illettrisme numérique, également appelé illectronisme.
Si je me tourne à présent vers vous, c’est afin d’évoquer, non pas le volet pratique et économique du problème que pose l’émergence de l’illectronisme, mais plutôt son traitement par votre administration, au domaine d’intervention ô combien précieux : l’éducation de nos enfants.
Dans le numéro 28 de L’État de l’école, document publié par vos services à la fin de 2018, on peut lire que « les écoles élémentaires continuent de s’équiper progressivement en matériels informatiques ». Or le constat est sans appel : « L’équipement informatique et numérique dans les écoles publiques du premier degré est moins généralisé que dans les établissements publics du second degré. »
Avouez que cette situation est particulièrement inquiétante, quand on sait que l’usage des outils informatiques, qu’il s’agisse des ordinateurs, des tablettes ou des smartphones, doit s’apprendre au plus tôt et que, pour certains, cet apprentissage ne peut se faire qu’à l’école de la République. En effet, il est prouvé que la maîtrise de l’informatique fait principalement défaut aux populations les plus fragiles et les plus socialement défavorisées, ce qui n’est pas admissible.
Monsieur le ministre, pour que l’école soit une chance pour tous les enfants de la République, l’éducation nationale entend-elle s’attaquer résolument au problème et réduire cette fracture numérique intolérable ? Ne pourrait-elle agir en ce sens par un accompagnement plus soutenu des communes, notamment de celles dont les finances sont les plus fragiles ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur Mizzon, il s’agit là d’une question très importante. Nous sommes d’accord pour constater que la France, comme d’ailleurs de très nombreux pays, connaît une fracture numérique. Néanmoins, cette fracture se réduit avec le temps et – c’est ma seule divergence avec vous sur cette question – nous en avons pleinement conscience.
Pendant la période du confinement, nous avons lutté contre la fracture numérique de manière très volontariste. Avec les services de Julien Denormandie, nous avons développé un plan de 15 millions d’euros, en particulier pour la mise à disposition de tablettes ; nous avons travaillé avec les associations, comme Emmaüs Connect ; les collectivités territoriales ont été très mobilisées, notamment pour distribuer, elles aussi, des tablettes ; nous avons mis sur pied des opérations spéciales avec La Poste pour que les professeurs puissent poster, de leur ordinateur, des textes aux élèves ne disposant pas d’équipement numérique. Nous avons également lancé l’opération « Nation apprenante », qui a également permis d’atteindre, au travers de la télévision, les familles non équipées.
Bref, face à ce problème, qui existe bel et bien, nous ne restons pas inertes.
Lors de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance, j’ai déjà eu l’occasion de parler au Sénat de la création d’un certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (Capes) en informatique et de la systématisation de l’apprentissage de la programmation, y compris à l’école primaire. Je rappelle que l’informatique est désormais une matière enseignée par l’éducation nationale : la réforme du lycée en témoigne. Dans quelque temps, nous créerons sans doute une agrégation d’informatique, à la suite du Capes.
En outre, vous mentionnez l’équipement informatique des écoles, notamment dans les communes rurales. C’est effectivement un grand sujet. En 2017 et 2018, nous avons lancé l’appel à projets « écoles numériques innovantes et ruralité » (ENIR) à destination des écoles rurales, dans le cadre des investissements d’avenir. Ce dispositif a permis de financer 3 788 écoles de 3 570 communes. À compter de 2018, c’est un montant total de 20 millions d’euros que l’État a mobilisés dans le cadre des programmes d’investissements d’avenir (PIA).
Nous allons continuer : les états généraux du numérique, qui auront lieu à Poitiers en novembre prochain, nous permettront d’aborder les prochains chantiers de la France en la matière, en insistant sur nos atouts internationaux en matière de numérique éducatif.
Enfin, avec plusieurs de mes collègues du Gouvernement, dont Julien Denormandie, nous allons élaborer d’autres plans permettant d’équiper les familles, car l’enjeu va au-delà de l’enseignement à distance.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le ministre, votre administration, comme toutes les autres, y compris les services territoriaux, dématérialise ses procédures. Désormais, la maîtrise du numérique est donc essentielle à l’accès aux droits. Or 13 millions de Français ne sont pas à l’aise avec les outils numériques, voire ne les maîtrisent pas du tout.
Il ne suffit pas de déclarer le numérique grande cause nationale : il faut y consacrer davantage de moyens !
égalité des chances des enfants scolarisés en zone rurale
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, auteur de la question n° 1139, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, la crise que nous traversons met en lumière les fractures éducatives qui durent depuis trop longtemps entre territoires urbains et ruraux. La relance qu’il nous faut préparer peut être aussi l’occasion de révolutionner nos approches et de donner toute sa place à l’éducation en zone rurale, parent pauvre de nos politiques publiques.
Sur ce sujet, deux rapports ont été rendus publics : l’un produit par le Sénat, à la suite des travaux de la mission d’information sur les nouveaux territoires de l’éducation, l’autre par Mme Berlioux, que vous avez missionnée à l’automne dernier.
Premièrement, quelles suites entendez-vous donner à ces deux rapports pour qu’ils ne restent pas lettre morte ?
Deuxièmement, quel calendrier retenez-vous pour réformer la politique éducative dans les territoires, en lien avec la refondation, que vous appelez de vos vœux, de la politique d’éducation prioritaire ? En particulier, comptez-vous sortir, comme le Sénat vous y invite, de la logique binaire qui concentre trop souvent les moyens sur les zones urbaines et périurbaines au détriment de nos territoires ruraux ?
Troisièmement et enfin, quelles mesures comptez-vous adopter pour mieux et davantage prendre en compte le temps de l’enfant, qui, compte tenu des nouvelles pratiques professionnelles des parents, des regroupements scolaires, des temps de trajets ou encore des activités périscolaires, a considérablement évolué ? Ces transformations appellent – c’est une évidence – un soutien renouvelé de l’État, mieux articulé avec les collectivités territoriales !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur Husson, il s’agit également d’une question très importante, et nous devons tous nous unir pour agir en faveur de la ruralité.
Toutes vos questions sont liées : il convient tout d’abord de savoir comment l’éducation nationale peut contribuer au rebond démographique de la ruralité. En effet, une bonne partie des problèmes que vous évoquez sont liés à la baisse du nombre d’habitants dans ces territoires.
À cet égard, j’ai pris un engagement fort, qui commande tous les autres : l’éducation doit contribuer à l’attractivité des villages pour que l’école puisse renaître, car sans enfants il n’y a pas d’école. Nous devons enclencher un cercle vertueux. C’est ce que nous avons fait avec les contrats départementaux ruraux, que nous avons enrichis pour en faire de véritables stratégies pluriannuelles et qui permettent d’identifier les besoins au plus près du terrain.
En outre, nous déployons des moyens au service de cette stratégie : contrairement à ce que vous avancez – c’est mon seul point de divergence avec vous –, les campagnes ne sont en aucun cas sacrifiées au profit des zones urbaines et périurbaines. Les budgets le prouvent, comme l’ensemble des données quantitatives ; les meilleurs taux d’encadrement sont d’ailleurs, et de loin, en zone rurale.
L’enjeu est donc essentiellement de nature qualitative. Il s’agit notamment de mieux prendre en compte le temps de l’enfant. Je vais évidemment donner suite au rapport de Salomé Berlioux, au rapport du Sénat et au rapport Azéma-Mathiot, qui, sous trois angles différents, traitent du même enjeu : mener une politique d’éducation prioritaire adaptée aux territoires ruraux.
Comme vous le soulignez, cette politique passe par une vision complète du temps de l’enfant. Or, en tant que ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, je suis en mesure de l’avoir, a fortiori dans le contexte du confinement, que nous venons de connaître, et du déconfinement.
Le déconfinement nous conduit à développer les activités périscolaires, notamment sportives et culturelles, et à préparer une rentrée particulière pour le mois de septembre prochain.
Avec l’Association des maires de France, l’Association des maires ruraux de France et l’ensemble des acteurs, nous préparons cette rentrée en tenant compte de ces sujets à la fois sociaux, appelant des mesures compensatoires, et sociétaux, exigeant une vision qualitative : il s’agit ni plus ni moins que de garantir l’attractivité de l’école rurale !
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.
M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, je vous remercie de vos propos rassurants ; mais, selon moi, ce n’est pas tout à fait ce qui se profile…
Dans mon département – notre expertise vient aussi de notre connaissance des territoires où nous sommes élus –, je me bats depuis plusieurs années avec les services de votre ministère et avec les services de l’État en général : ils doivent considérer la situation de l’éducation sur tous les points du département.
Pour ma part, je mets l’accent sur la ruralité. Bien sûr, il n’y a pas que les territoires ruraux : vous l’avez dit, le taux d’encadrement y est supérieur à la moyenne, mais ils souffrent encore de beaucoup de carences. Pour que les lignes bougent, il faut que tout le monde se mette en mouvement ensemble.
Nous devons, ensemble, nous donner les moyens de cette belle et noble ambition : garantir l’égalité des chances entre tous les enfants de France. Je vous propose de retenir, entre autres, la Meurthe-et-Moselle comme territoire pilote de ce travail : il y va de l’avenir de notre pays !
conséquences financières de la crise sanitaire sur les communes
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la question n° 1190, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Hervé Maurey. Monsieur le ministre, la crise sanitaire aura – nous le savons – de lourdes conséquences sur les finances des collectivités locales. En effet, elle va entraîner une perte de recettes que le Gouvernement a évaluée à 14 milliards d’euros pour la période 2020-2021.
Les communes seront a priori moins affectées que les régions et les départements, néanmoins elles subiront des baisses de ressources, que ce soit au titre des produits des services, des droits de place, de la taxe de séjour, de droits de mutation ou encore, dans certains cas, des loyers commerciaux.
De plus, les communes devront supporter la situation de certains syndicats dont elles sont membres et qui ne perçoivent plus de recettes, ou bien en perçoivent beaucoup moins, au titre d’un certain nombre de services, comme les piscines, les restaurants scolaires ou les centres de loisirs.
Enfin, la réduction des capacités financières de l’État, des régions, des départements et des établissements publics de coopération intercommunale se répercutera inévitablement sur les concours et subventions dont bénéficient habituellement les communes, par un effet de cascade malheureusement bien connu.
La mobilisation exceptionnelle des communes face au Covid-19 a également entraîné de lourdes dépenses supplémentaires – je pense notamment aux frais engendrés par la réouverture des écoles. Un certain nombre de communes risquent donc de connaître de réelles difficultés, particulièrement en milieu rural. Leur inquiétude est grandissante : pouvez-vous nous assurer que l’État interviendra pour qu’elles n’aient pas à subir l’impact financier de la crise ?
Les maires ont besoin d’être rassurés. Certes, nous avons entendu le Gouvernement dire qu’il n’abandonnerait pas les communes. Mais nous l’avons également entendu dire que « les collectivités locales devront faire des efforts » !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur Maurey, avant tout, je vous prie de bien vouloir excuser Jacqueline Gourault, qui m’a demandé de vous apporter les éléments de réponse suivants.
Depuis le début de la crise sanitaire, le Gouvernement prête une attention toute particulière à la situation des collectivités territoriales. Vous l’avez dit : les équilibres budgétaires sont parfois remis en cause par l’ensemble des nouvelles dépenses qu’elles ont dû engager pour gérer la crise du Covid-19.
Certaines collectivités sont potentiellement fragilisées par les dépenses déjà effectuées, mais aussi par la baisse prévisionnelle d’un certain nombre de recettes fiscales ; bien entendu, nous les avons toutes et tous en tête.
À cette équation budgétaire se sont ajoutés des facteurs de complexification, comme l’impossibilité, durant la période de confinement, de réunir les exécutifs pour adopter le budget primitif pour 2020.
Face à cette situation, comment rassurer les collectivités locales, comme vous le demandez ?
Tout d’abord, le Gouvernement s’est attaché à déployer, dès le mois de mars, des réponses concrètes en direction des collectivités territoriales ; par ordonnance, il a décalé les dates limites d’adoption des budgets et l’arrêté des comptes pour 2020. Il a également permis un certain nombre de dérogations et d’assouplissements en matière d’exécution budgétaire.
En outre, Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu ont rappelé aux préfets qu’ils disposaient de leviers permettant de soutenir la trésorerie des collectivités fragilisées, comme les avances de fiscalité et de dotation globale de fonctionnement (DGF) ou les acomptes au titre du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). Bon nombre d’élus locaux nous ont d’ailleurs sollicités à ce titre.
À ce jour, ces mesures ont bénéficié à plus d’une centaine de communes. Elles restent évidemment à disposition de toutes celles qui le souhaitent.
Le Gouvernement s’est aussi attaché à soutenir les collectivités territoriales affectées par un surcroît de dépenses en raison de la crise sanitaire, en contribuant à hauteur de 50 % aux achats de matériel. Comme vous le savez, à la suite de nombreuses observations remontées du terrain, la date de prise en compte des commandes a été avancée, comme l’a annoncé le Premier ministre.
Enfin, le Premier ministre a confié une mission au député Jean-René Cazeneuve, président de la délégation aux collectivités territoriales de l’Assemblée nationale, pour évaluer de manière fine les conséquences financières de l’épidémie sur les structures locales et proposer, en leur faveur, des mesures d’accompagnement. M. Cazeneuve devrait rendre ses propositions dans quelques jours. Il s’attachera bien entendu à les décliner en fonction du niveau de collectivité, tout particulièrement en direction du bloc communal. C’est sur la base de ses conclusions que le Gouvernement pourra concrétiser et accentuer l’accompagnement financier des collectivités locales.
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour la réplique.
M. Hervé Maurey. Monsieur le ministre, je vous remercie des éléments que vous avez bien voulu m’apporter. Malheureusement, je ne suis pas totalement rassuré : ce n’est pas le fait de décaler le calendrier d’adoption des budgets locaux qui réglera vraiment les problèmes.
J’aurais aimé obtenir, au moins, des engagements quant à la prise en charge des dépenses liées à la crise sanitaire et à la réouverture des écoles. Vous avez fait allusion au soutien du Gouvernement : pour l’instant, l’État ne doit intervenir que pour le financement des masques, et encore à hauteur de 50 %. Toute une série d’autres dépenses n’ont pas été prises en compte. Il serait important que nous ayons un engagement du Gouvernement ne serait-ce qu’à ce titre.
Au cours des dernières années, et notamment durant le précédent quinquennat, les communes ont été mises à rude épreuve avec la baisse des dotations. Or elles représentent une part importante de l’investissement public, dont on a besoin dans le cadre de la relance. Le Sénat y est très vigilant, et il est très attentif à ce que les communes soient réellement soutenues par l’État : elles ne doivent pas faire les frais de cette terrible épidémie !
mesures prévues à destination des structures d’hébergement d’urgence
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, auteure de la question n° 1191, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, face à l’urgence sanitaire provoquée par la Covid-19, le Gouvernement a été contraint de prendre diverses mesures, dont la mise à l’abri des personnes sans domicile, laquelle a été coordonnée par les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO). Néanmoins, depuis les annonces du déconfinement, de nombreuses questions demeurent, tant pour les structures d’hébergement d’urgence que pour les personnes mises à l’abri.
En premier lieu, le 115 nous a fait part d’une hausse assez significative d’appelants et de personnes sans solution depuis le début du mois de mai. À titre d’exemple, le 13 mai dernier, le 115 de mon département, la Seine-Saint-Denis, a enregistré 119 personnes laissées à la rue faute de place.
En second lieu, en raison de l’arrêt des activités liées au tourisme, les quelque 2 000 places débloquées par les hôteliers en Seine-Saint-Denis ont permis l’hébergement de centaines de personnes vulnérables. Nous nous en félicitons. Mais ces places d’hôtel seront occupées dès la reprise de l’activité. Cette situation soulève des inquiétudes, d’autant que, parmi les personnes hébergées, on compte beaucoup de familles monoparentales.
D’autres questions surgissent, comme le manque de visibilité quant au fonctionnement des structures d’hébergement pérennes, qui ont parfois dû réduire fortement leurs capacités d’accueil afin de se conformer aux gestes barrières préconisés. De fait, la place va bientôt cruellement manquer pour assurer à la fois le maintien des personnes mises à l’abri et l’accueil de nouveaux demandeurs, notamment pendant la période hivernale.
Pour l’heure, les services déconcentrés de l’État n’ont pas plus de réponses que les structures d’hébergement d’urgence. Nous craignons tous une situation difficilement gérable, mettant des personnes en danger.
De plus, de nombreux SIAO nous signalent que les personnes mises à l’abri sont souvent extrêmement vulnérables. Je pense en particulier aux familles monoparentales et aux enfants qui, pendant plus de deux mois, n’ont pas pu être scolarisés.
Enfin, la chaîne d’orientation et de parcours d’insertion ne peut être respectée à cause de l’épidémie, et faute d’une lisibilité financière et humaine.
Bien entendu, je salue le travail des personnels des SIAO ; mais quel est le plan de votre gouvernement à destination de ces services, des structures d’hébergement et des personnes accueillies ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame Assassi, depuis le premier jour du confinement, nous sommes nombreux à travailler d’arrache-pied pour apporter toute l’assistance nécessaire aux personnes en situation de très grande précarité, qu’elles se trouvent à la rue ou qu’elles vivent dans des abris de fortune.
Depuis le premier jour du confinement, nous avons ouvert plus de 20 000 places supplémentaires. Hier soir – le chiffre est colossal, et l’on peine même à y croire –, l’État, en lien avec les collectivités territoriales et les associations, a mis à l’abri près de 180 000 personnes, soit l’équivalent d’une grande ville. On voit bien l’ampleur du dispositif d’hébergement d’urgence et l’on constate à quel point il est nécessaire, face à la très grande précarité dans laquelle vivent non seulement des hommes et des femmes, mais aussi, comme vous l’avez dit, des enfants.
Pour mettre à disposition ces 20 000 places, nous avons essentiellement réquisitionné des chambres d’hôtel, ce qui nous a permis d’agir très rapidement. Aujourd’hui, la sortie du confinement est engagée et l’enjeu est bel et bien d’assurer l’accompagnement de ces familles et de ces personnes isolées.
Premièrement, nous nous sommes efforcés de limiter la propagation du virus en déployant des mesures de protection. En particulier, nous avons assuré la livraison de masques et de matériaux dans les centres ou au moyen des maraudes. Vous le savez, comme l’a annoncé le Premier ministre, le Gouvernement livrera 5 millions de masques chaque semaine aux publics fragiles, dont les personnes vivant dans ces hébergements collectifs. Nous avons également mis en œuvre des politiques de dépistage spécifiques, comparables aux tests déployés dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Deuxièmement, nous veillons à éviter les remises à la rue « sèches », comme on le dit dans le secteur de l’hébergement d’urgence. En conséquence, la trêve hivernale a été décalée à deux reprises : elle est désormais prolongée jusqu’au 10 juillet prochain. Nous avons également donné des instructions aux préfets, que le ministre de l’intérieur et moi-même avons réunis de nouveau mercredi dernier : même si la reprise d’activité impose de libérer un hôtel, il faut éviter les remises à la rue « sèches ».
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre. Troisièmement et enfin, l’accompagnement social est une priorité pour le Gouvernement.
Madame la sénatrice, je vous remercie de mettre l’accent sur ce sujet ô combien important !
réglementation environnementale 2020
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la question n° 955, adressée à M. le ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement.
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le ministre, ma question porte sur la nouvelle réglementation environnementale 2020, ou RE 2020, qui, au-delà de la révision des exigences énergétiques des bâtiments, doit introduire un nouveau critère lié à la captation et à la séquestration de carbone.
À l’issue de la concertation menée, le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique (CSCEE) recommande une empreinte carbone et un indicateur spécifique pour le carbone dans le bâtiment, mais sans niveau d’exigence pour le stockage. Or, nous le savons, les matériaux bois et biosourcés ont la particularité de séquestrer du carbone pendant toute la vie du bâtiment.
De leur côté, les professionnels de la filière de la construction, qui ne sont pas représentés au sein de ce conseil, demandent la mise en place d’un indicateur consolidé prenant en compte l’empreinte carbone globale, c’est-à-dire liée à la construction et à la capacité de stocker, ou non, du carbone dans le bâtiment, et la fixation d’exigences minimales.
Si nous n’introduisons pas une telle disposition dans la RE 2020, nous risquons de laisser passer une belle occasion de décarboner le secteur de la construction, lequel est pourtant à l’origine de plus de 20 % des émissions de gaz à effet de serre en France.
Le document de méthode publié le 21 avril dernier appelle, de ma part, deux questions précises.
La première concerne l’indicateur déterminant par rapport aux matériaux, à savoir les émissions de gaz à effet de serre des produits de construction et des équipements sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment. L’option de calcul la plus favorable aux matériaux bois et biosourcés n’apparaît plus : est-elle écartée ?
La seconde concerne l’indicateur de stock de carbone, qui correspond à la masse totale de carbone stockée dans le bâtiment : sera-t-il bien un indicateur réglementaire, assorti d’un seuil ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice, il s’agit là d’une question fondamentale. Aujourd’hui, le bâtiment représente près de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, parfois même plus. Or, par le truchement de la réglementation dite « RE 2020 », nous pouvons d’ores et déjà agir pour que les futurs bâtiments soient extrêmement protecteurs de l’environnement.
En tant qu’ingénieur des eaux et forêts, je suis, depuis le premier jour, profondément attaché à la filière bois. Je crois beaucoup en la construction en bois, dont nous pourrions parler des heures ! Certes, cette filière doit faire face à de nombreuses difficultés, y compris en amont ; mais l’aval, c’est-à-dire la construction, permettra aussi de soutenir l’amont.
Je vous le dis très clairement : pour moi, la RE 2020 est une occasion historique d’accroître, demain, la place des matériaux biosourcés, et notamment du bois. Sur ce point, je serai intransigeant.
Cela étant, le diable se cache dans les détails, notamment dans la technicité de l’élaboration des indicateurs de la RE 2020. À cet égard, j’attire votre attention sur deux points.
Premièrement, en vertu de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, on prendra dorénavant en compte, dans le cadre de la RE 2020, l’ensemble du cycle de vie du matériau.
Ainsi, le matériau biosourcé n’émet pas au moment de la production, même si, selon certains, il dégage des émissions à terme, lorsque la poudre se pétrifie, pour ainsi dire. Quoi qu’il en soit, son bilan global est bien meilleur que celui des autres matériaux.
C’est ce critère qui manquait : j’y insiste, avec la RE 2020, on prend en compte le bilan global, de la production jusqu’à la mort du matériau. Sur ce point aussi, je serai intransigeant : il faut couvrir l’ensemble du cycle de vie du matériau.
Deuxièmement, vous vous demandez si, en définitive, il faut prévoir une obligation de résultat ou une obligation de moyens. En d’autres termes, faut-il imposer le type de matériau en amont ou faut-il fixer un plafond d’émissions ?
À mon sens, il faut imposer le résultat, mais pas le moyen. Vous l’avez compris, je suis tout acquis à la production bois – ma vision est même un peu biaisée par mes premières amours –, mais, de son côté, la filière du BTP fait aujourd’hui des efforts considérables d’innovation, et il faut aussi la soutenir.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.
Mme Anne-Catherine Loisier. Me voilà rassurée, monsieur le ministre, d’autant que je connais votre attachement au matériau bois.
Reste que, comme vous l’avez souligné, le diable se cache dans les détails… Or c’est bien sur ces détails qu’un certain nombre de professionnels s’interrogent : indicateurs de stockage effectif du bois et prise en compte de l’ensemble du cycle de production.
Il me semble que nous nous sommes bien compris. En tout cas, nous attendons avec impatience les mesures à venir, que nous examinerons avec vigilance !
surcoûts liés à la crise sanitaire du covid-19 pris en charge par les collectivités locales
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly, auteur de la question n° 1185, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Patrice Joly. Monsieur le ministre, le Premier ministre a annoncé devant notre assemblée, lors des questions d’actualité au Gouvernement du 30 avril dernier, que l’État prendrait en charge 50 % du coût des masques achetés par les collectivités territoriales entre le 13 avril et le 1er juin, dans la limite de 84 centimes d’euro pour les masques à usage unique et de 2 euros pour les masques réutilisables.
Or, compte tenu de l’urgence, mais aussi des difficultés d’approvisionnement et des délais de livraison, les collectivités territoriales n’ont pas attendu le discours du Président de la République, le 13 avril dernier, pour commander des masques.
Par exemple, le conseil départemental de la Nièvre avait anticipé ses commandes pour répondre au plus vite aux besoins de ses agents sur le terrain, mais aussi des communes et de tous les personnels travaillant dans les structures départementales : agents des maisons médico-sociales, des services de la protection maternelle et infantile, des maisons de retraite, travailleurs sociaux, aides à domicile. C’est ainsi qu’il s’est procuré des masques FFP2, pour plus de 300 000 euros, le 25 mars et les 8 et 10 avril derniers.
Aujourd’hui, il ne peut prétendre à aucune aide, ce qui est incompréhensible et profondément injuste. Il paraît malvenu de reprocher aux collectivités territoriales leur souci de précaution et d’anticipation ! D’autant plus qu’il s’est agi de pallier les imprévoyances et dysfonctionnements de l’État…
À l’heure où le Gouvernement s’appuie fortement sur les élus locaux pour lutter contre le coronavirus et sortir du confinement, le remboursement prévu par l’État n’est pas à la hauteur, ni financièrement ni au regard de la période retenue.
Ces conditions de remboursement dégradées pénalisent les collectivités territoriales, dont les finances, déjà tendues avant la crise, vont devoir supporter, d’une part, les dépenses complémentaires liées à la crise sanitaire – pour les départements, une forte augmentation du RSA – et, d’autre part, une diminution importante de leurs ressources, en particulier fiscales – songeons, pour les départements toujours, aux droits de mutation et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. À titre d’exemple, ce sont plus de 7 millions d’euros que le département de la Nièvre devra absorber, sur un budget de l’ordre de 300 millions d’euros.
Dans ces conditions, il est indispensable de revoir immédiatement les modalités de calcul de la participation de l’État à l’acquisition de masques par les collectivités territoriales, avant de lancer un vaste plan de soutien des finances locales, qui permettra d’accompagner la relance économique à partir des territoires !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur, je salue l’action menée par les collectivités territoriales ; il ne se passe pas une journée, spécialement dans cette période, sans que le ministre de la ville que je suis travaille avec elles. En particulier, elles ont accompli un travail exemplaire en matière d’accompagnement social, un domaine dans lequel je me suis aussi beaucoup mobilisé, mais aussi en ce qui concerne les masques et la protection de nos concitoyens.
Ces dépenses ont évidemment pu fragiliser un certain nombre de collectivités territoriales. Le Gouvernement a donc pris un certain nombre de mesures, que j’ai détaillées en réponse à M. Maurey.
L’une consiste à prendre en charge une partie des commandes de masques, à hauteur de 50 %. Dans un premier temps, cette mesure concernait les commandes passées à partir du 28 avril, mais, à la suite d’échanges avec les présidents d’association d’élus, le Premier ministre a décidé d’avancer cette date au 13 avril. J’entends que, pour certains, ce dispositif ne soit pas suffisant ; au bout du compte, il faut bien arrêter un montant et une date…
Reste que le Gouvernement souhaite aller plus loin dans l’accompagnement des collectivités territoriales. Je ne reviens pas sur les facilités financières mises en place dès le premier jour et que je viens de préciser dans ma réponse à M. Maurey. En revanche, j’attire votre attention sur la mission confiée au député Jean-René Cazeneuve, destinée à recenser de manière très fine les difficultés financières rencontrées, pour que le Gouvernement y réponde le plus rapidement possible. Ces travaux doivent être rendus dans les tout prochains jours et seront analysés en liaison avec mon collègue Olivier Dussopt, ici présent.
J’ajoute que la ministre de la cohésion des territoires a signé au début du mois une circulaire rappelant aux préfets que la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) pouvaient être mobilisées pour des projets d’investissement rendus prioritaires par cette période particulière.
paiement des aides européennes à l’agriculture biologique
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent, auteure de la question n° 1118, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Mme Noëlle Rauscent. L’agriculture biologique se développe à un rythme soutenu depuis plusieurs années, sous l’impulsion d’un marché porteur et d’une politique de soutien mise en place dans le cadre de la politique agricole commune.
Les dernières années ont été marquées par des retards de paiement de ces aides, largement relayés par la presse ; ils mettent en difficulté de nombreuses fermes engagées dans cette démarche vertueuse. L’année 2019 aura, heureusement, été celle du rattrapage, puisque, aujourd’hui, la plupart des dossiers en retard ont été payés, au prix d’efforts considérables de l’administration et d’une grande patience des agriculteurs.
Malheureusement, certaines situations restent problématiques. Ainsi, depuis plusieurs mois, certains producteurs se voient refuser le paiement de leurs aides, voire infliger des demandes de remboursement, sous prétexte qu’ils n’ont pas respecté une règle de rotation des cultures, dont ils n’avaient pourtant pas connaissance.
En effet, à cause des retards de paiement, cette règle n’est vérifiée et communiquée que deux à trois ans après la demande d’aide, ce qui ne laisse aux producteurs aucune marge de manœuvre pour adapter leurs assolements. Or ces demandes de remboursement sont parfois très lourdes, mettant en péril l’équilibre financier des fermes concernées.
Ces producteurs, qui respectent en tout point le cahier des charges de l’agriculture biologique, demandent au ministère la possibilité de s’asseoir autour d’une table pour trouver des solutions. L’annulation de toutes les demandes de remboursement semble un préalable évident, de même que la recherche des moyens administratifs de verser les aides demandées.
Un arbitrage ministériel a été rendu sur ce sujet le mois dernier. La profession ne peut s’en satisfaire, puisqu’il n’apporte de solution qu’aux éleveurs et prive encore les céréaliers des aides bio auxquelles ils devraient pouvoir prétendre. Cela aura pour conséquence de continuer à fragiliser de manière importante les agriculteurs concernés, aux dépens de nos territoires et de l’agriculture biologique.
Les producteurs concernés souhaitent tourner la page des retards de paiement, qui ont poussé certains agriculteurs à saisir la justice il y a tout juste un an !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Madame la sénatrice Rauscent, je vous prie d’excuser l’absence de Didier Guillaume, ministre de l’agriculture, qui m’a chargé de vous transmettre sa réponse.
Vous avez attiré son attention sur les producteurs engagés en agriculture biologique qui sont sanctionnés pour ne pas avoir respecté une de leurs obligations.
Comme toutes les aides de la politique agricole commune, les mesures agroenvironnementales et climatiques ainsi que les aides à l’agriculture biologique sont assorties d’un régime de sanctions en cas d’anomalies constatées. Exigé par la réglementation européenne, ce régime est indispensable pour sécuriser l’usage de nos fonds publics ; mais, s’il doit être dissuasif, les pénalités appliquées doivent rester proportionnées.
Du fait des retards de paiement passés, le régime de sanctions n’a commencé à produire ses effets qu’à l’été 2019. Le ministre de l’agriculture et de l’alimentation avait immédiatement prêté attention aux témoignages de nombreux élus de la profession agricole sur le caractère parfois disproportionné des sanctions financières annoncées aux exploitants.
Il n’est pas souhaitable que des agriculteurs qui s’engagent volontairement dans des pratiques vertueuses pour l’environnement soient sévèrement pénalisés pour des erreurs minimes. D’autant que ces erreurs ont été accentuées par des retards d’instruction qui ont pu amener des agriculteurs à répéter une même erreur plusieurs années successives ; il en résulte pour eux un cumul de sanctions, alors que leur bonne foi n’est pas en cause.
C’est pourquoi le ministre de l’agriculture et de l’alimentation a demandé à ses services de revoir en profondeur les modalités de calcul du régime de sanctions, afin de rectifier les situations disproportionnées sur les campagnes passées, tout en restant en conformité avec le cadre prescrit par les règlements européens. Ainsi, pour les campagnes de 2015 à 2018, qui ont subi un retard d’instruction, il est notamment prévu que les sanctions soient allégées en cas de répétition d’une même anomalie plusieurs années de suite.
Certaines de ces dispositions nécessitent une modification de la réglementation. C’est la raison pour laquelle un nouveau décret, dont la publication est imminente, a été signé par le ministre de l’agriculture : il permettra à l’Agence de services et de paiement, ainsi qu’aux directions départementales des territoires et de la mer, de mettre en œuvre l’ensemble des mesures envisagées dès le mois de juin. Les versements ou annulations de pénalités qui en résulteront seront ainsi effectifs dès cet été.
Ces nouvelles dispositions apporteront une réponse aux difficultés des agriculteurs visés par des sanctions disproportionnées et garantiront pour l’avenir un régime de sanctions plus juste et plus efficace. Dans l’immédiat et très concrètement, environ 1 500 agriculteurs en bénéficieront dès cet été ; en fonction de la situation de chaque dossier, une part plus importante de leur aide pourra être versée et/ou les pénalités pourront être réduites, parfois, pour plusieurs campagnes simultanées.
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent, pour la réplique.
Mme Noëlle Rauscent. Je vous remercie de ces réponses, monsieur le ministre, mais elles ne me paraissent pas entièrement satisfaisantes. De fait, on impose aux producteurs de rembourser des aides qu’ils ont touchées en toute bonne foi, sur la base de règles qu’ils ne connaissaient pas… Ceux qui ont fait l’effort de passer au bio ne doivent pas être pénalisés, mais au contraire encouragés !
surfaces pastorales
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, auteure de la question n° 1085, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Mme Patricia Morhet-Richaud. La prise en compte des surfaces pastorales admissibles à la politique agricole commune (PAC) reste un sujet de préoccupation majeur, notamment dans les Alpes du Sud, où l’évaluation de leur admissibilité est rendue compliquée par le relief et les spécificités locales.
En effet, si l’on peut se réjouir des améliorations apportées au dispositif d’évaluation, il est encore nécessaire de faciliter les déclarations des exploitants et de perfectionner les modalités du cahier des charges de pâturage pour mieux prendre en compte certains critères.
Bien sûr, on peut se féliciter de la reconnaissance, en 2015, des surfaces pastorales peu productives, un véritable enjeu pour le modèle d’agriculture familiale et pastorale ; cette reconnaissance a été confirmée par le règlement Omnibus du 18 juillet 2018.
Monsieur le secrétaire d’État, où en sont les négociations sur la PAC 2021-2027 ? La France est-elle en mesure de garantir l’éligibilité de ces surfaces pastorales ? Alors que la pandémie de Covid-19 a stoppé les travaux en cours, je tiens à me faire l’écho de l’inquiétude des acteurs concernés : ils craignent pour l’avenir de leurs exploitations et pour la survie de l’agropastoralisme. Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour les rassurer ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Madame la sénatrice Morhet-Richaud, je vous prie d’excuser l’absence de Didier Guillaume, retenu ce matin ; il m’a demandé de répondre à votre question, relative à la reconnaissance des surfaces pastorales peu productives dans le cadre de la future PAC.
L’élevage extensif pratiqué sur ces surfaces contribue à maintenir une activité économique cruciale dans des zones rurales où peu d’alternatives existent. Il participe aussi à la préservation des paysages et de la biodiversité. C’est pourquoi la France a farouchement défendu ces surfaces et obtenu leur reconnaissance dans le cadre de la PAC actuelle, principe auquel nous sommes attachés.
L’importance de ces zones a aussi conduit le Gouvernement à mobiliser la nouvelle possibilité réglementaire pour étendre la prise en compte de ces surfaces dans trente-huit départements.
Madame la sénatrice, le ministre de l’agriculture tient à vous rassurer : la volonté de la France est intacte, et nous nous battrons pour conserver cette reconnaissance dans la future PAC.
Parallèlement à ces négociations, le ministre de l’agriculture a lancé, comme vous l’avez indiqué, un travail avec les professionnels pour faciliter et sécuriser la gestion de ces surfaces. Une réunion prévue en mars a dû être reportée, compte tenu des mesures de confinement ; elle sera reprogrammée prochainement, pour que ce travail puisse avancer.
La bonne mise en œuvre de la réglementation est essentielle pour sécuriser juridiquement l’admissibilité de ces surfaces aux aides européennes et promouvoir par ce biais le maintien de l’activité pastorale dans les zones concernées.
Nous sommes convaincus que, en travaillant collectivement, Gouvernement, organisations professionnelles agricoles et élus des territoires concernés, nous réussirons, au bénéfice de tous, à obtenir la reconnaissance de ces surfaces dans la PAC en cours d’élaboration et à améliorer les dispositions que vous avez évoquées, sur lesquelles se penchera le groupe de travail prochainement organisé.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, pour la réplique.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le ministre, je vous remercie de m’avoir transmis ces réponses du ministre de l’agriculture et de l’alimentation, dont je connais la détermination. Le Gouvernement doit être bien conscient de la nécessité de maintenir ces aides pour nos territoires.
La situation est d’autant plus préoccupante que la Commission européenne a annoncé une baisse du budget de la future PAC, qui affectera essentiellement le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader).
La période de transition 2021-2022 n’est pas plus rassurante : elle s’annonce même catastrophique au regard de la répartition État/régions proposée en avril dernier… En effet, dans la région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, une dotation Feader réduite d’un tiers mettrait fin au financement d’investissements requis par les spécificités de notre agriculture régionale, notamment en faveur du soutien au pastoralisme.
financement des établissements publics de coopération intercommunale sans fiscalité propre
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, auteure de la question n° 1161, adressée à M. le ministre de l’action et des comptes publics.
Mme Laure Darcos. Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sans fiscalité propre sont dépourvus du pouvoir de lever l’impôt ; ils ont pour seules ressources les contributions budgétaires des communes membres.
Toutefois, le code général des impôts prévoit la possibilité pour le comité d’un syndicat de lever les différentes taxes locales en lieu et place de ces contributions budgétaires. Dans ce cas, le produit fiscal à recouvrer dans chaque commune membre au profit du syndicat est réparti entre les taxes foncières, la taxe d’habitation et la cotisation foncière des entreprises.
La taxe d’habitation revêt, de toute évidence, une importance non négligeable dans les ressources des EPCI sans fiscalité propre. De fait, le montant perçu au titre de la taxe d’habitation s’est élevé en 2018 à 90 millions d’euros.
Or la loi de finances pour 2020 a supprimé la taxe d’habitation sur la résidence principale pour 80 % des ménages et gelé ses taux pour les 20 % de ménages restants. En conséquence, bien que les syndicats de communes conservent la faculté de voter le produit qu’ils souhaitent à compter de 2021, l’imposition sera désormais concentrée sur les taxes foncières et la cotisation foncière des entreprises.
En d’autres termes, vous avez fait le choix très clair de faire peser sur deux catégories de contribuables – les propriétaires et les entreprises – les éventuelles augmentations de fiscalité locale destinées à maintenir à leur niveau actuel les ressources des EPCI sans fiscalité propre.
Dans un contexte économique et social normal, cette mesure pourrait s’entendre ; mais dans le contexte de déroute économique que connaît la France en raison de l’épidémie de Covid-19, croyez-moi, monsieur le secrétaire d’État, le consentement à l’impôt risque d’être considérablement amoindri : nos entreprises sont exsangues, et les ménages connaissent des situations financières très tendues…
Dès lors, des mesures de compensation de la suppression de la taxe d’habitation seront-elles prévues dans la prochaine loi de finances pour permettre aux élus de stabiliser la fiscalité locale et d’assurer le financement des EPCI sans fiscalité propre ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Madame la sénatrice Darcos, par cette question, mais aussi par plusieurs courriers récents, vous attirez l’attention du Gouvernement sur le financement des établissements publics de coopération intercommunale sans fiscalité propre. Ma réponse sera technique – je vous prie de m’en excuser –, mais il me faut bien entrer dans les détails du financement de ces organismes.
Un syndicat de communes est un établissement public de coopération intercommunale associant des communes en vue d’œuvres ou de services d’intérêt intercommunal ; ne constituant pas un EPCI à fiscalité propre, il ne dispose d’aucun pouvoir fiscal : il n’a la faculté ni de voter les taux des impositions locales ni d’en exonérer les contribuables.
Le financement du budget d’un tel syndicat comprend une contribution des communes associées. Les quotes-parts contributives sont fixées par les communes dans les statuts du syndicat ; dans le silence des statuts et en l’absence de disposition expresse, le comité du syndicat est compétent pour établir ou modifier la répartition des charges syndicales.
Le syndicat dispose de ressources relevant soit de contributions budgétaires des communes, soit d’une taxe additionnelle sur la fiscalité locale – cette seconde possibilité reportant sur le contribuable local, au lieu des communes, le financement des services publics assurés par le syndicat.
En application de l’article 1609 quater du code général des impôts, le comité syndical peut décider de lever une part additionnelle aux quatre taxes directes locales – taxe d’habitation, taxe foncière sur les propriétés bâties, taxe foncière sur les propriétés non bâties et cotisation foncière des entreprises – en remplacement de la contribution budgétaire des communes associées. Le taux additionnel applicable et déterminé en deux étapes.
D’abord, le syndicat arrête un produit fiscal global, réparti entre les quatre taxes proportionnellement aux recettes que chacune procurerait à la commune, si l’on appliquait le taux de l’année précédente aux bases de l’année d’imposition – la procédure est prévue à l’article 1636 B octies du code général des impôts. Cette répartition est obtenue en multipliant le produit fiscal recouvré dans chaque commune par le rapport entre, d’une part, le produit théorique que chacune de ces taxes aurait procuré à la commune si l’on avait appliqué le taux de l’année précédente aux bases de l’année d’imposition et, d’autre part, le produit total que les quatre taxes auraient procuré à la commune si l’on avait appliqué le taux de l’année précédente aux bases de l’année d’imposition – madame la sénatrice, je vous transmettrai tout cela par écrit…
Ensuite, les taux d’imposition sont obtenus en divisant la part du produit de la taxe additionnelle qui doit être perçue dans chaque commune sur les redevables de chacune des quatre taxes par le total des bases nettes correspondantes imposables au profit du syndicat.
La suppression de la taxe d’habitation sur la résidence principale conduit à une nouvelle répartition des produits syndicaux entre les contribuables. Pour permettre cette compensation, les taux d’imposition de la taxe d’habitation, y compris le taux des contributions fiscalisées que nous venons d’évoquer, sont gelés de 2020 à 2022 au niveau de 2019.
Ainsi, les effets combinés du gel du taux de la taxe d’habitation à son niveau de 2019 et de la non-fiscalisation des contributions syndicales entraîneront un report de pression fiscale sur les derniers redevables de la taxe d’habitation sur la résidence principale jusqu’en 2022 et sur les redevables de la taxe d’habitation afférente aux résidences secondaires et aux locaux vacants, ainsi que sur les redevables des taxes foncières et des cotisations foncières d’entreprises.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d’État…
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Toutes les suppressions de taxe d’habitation sont, vous le savez, compensées par d’autres recettes.
Nous n’avons pas prévu de modifier les règles en la matière, même si j’entends la question que vous posez sur l’acceptabilité de l’impôt par le tissu économique.
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, vous dépassez votre temps de parole d’une façon presque inédite dans cet exercice…
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Je conclus d’une phrase, monsieur le président : soyez assurée, madame la sénatrice, que nous regarderons le sujet avec attention.
Mme Laure Darcos. Bien que je ne sois pas une experte fiscale, je crois avoir bien compris vos explications.
La compensation est très attendue, notamment dans mon département, l’Essonne. Elle est d’autant plus indispensable que, dès le début du confinement, tous ces EPCI ont joué leur rôle, souvent d’ailleurs pour pallier des manques de l’agence régionale de santé (ARS) – je pense notamment à la fourniture de masques et autres accessoires sanitaires importants. Sans compensation, ces structures seront aux abois !
Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d’État, votre réponse ne me satisfait qu’à moitié ; nous n’en serons que plus vigilants lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.
inégalités de traitement entre les professionnels du tourisme et les plateformes de locations meublées saisonnières
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, auteur de la question n° 1183, adressée à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Max Brisson. Monsieur le secrétaire d’État, depuis le 14 mars dernier, cafés et restaurants sont strictement fermés. Dans nombre de départements littoraux, en particulier en Nouvelle-Aquitaine, cette obligation de fermeture s’étendait voilà peu à tous les hébergements touristiques.
Dès l’ordre de fermeture, hôtels et campings se sont exécutés. Il n’en a pas été de même pour certains hébergeurs individuels, qui ont continué à louer par l’intermédiaire des plateformes. Cette situation a été et demeure inacceptable pour les métiers de l’hôtellerie : elle apporte une nouvelle preuve de distorsion de concurrence – soit l’absence d’égalité dans la pratique d’une même activité.
À l’aune de l’expérience du confinement et des inégalités constatées par endroits, il apparaît essentiel qu’un protocole sanitaire soit imposé à tous les hébergements touristiques, professionnels comme non professionnels.
Les hôteliers ont déjà élaboré le leur, qui énonce des prescriptions concrètes sur l’aménagement des espaces, des services de restauration et des prestations extérieures. Afin de garantir son respect, des contrôles seront, à n’en pas douter, menés strictement. En ira-t-il de même pour les hébergeurs non professionnels utilisant des plateformes ?
Comment accepter qu’un hébergeur non professionnel puisse recevoir chaque semaine un nombre substantiel de clients et les faire profiter sans contrainte particulière d’équipements comme une piscine, alors que l’hôtelier, lui, sera soumis à des règles si contraignantes qu’il risque de renoncer à toute mise en exploitation ? Comment accepter qu’un hôtel soit sanctionné pour un manquement à l’application du protocole sanitaire et que, pour un fait identique, un non professionnel ne soit nullement inquiété ?
Sans approche équitable, les inégalités perdureront entre les locations saisonnières et les hôtels, ces derniers étant soumis à des normes sanitaires strictes et fréquemment contrôlées. Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement entend-il veiller au contrôle des règles et protocoles sanitaires, auxquels les hébergeurs non professionnels ne sauraient se soustraire ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. En écho à votre question, monsieur le sénateur Brisson, je salue l’engagement des professionnels du tourisme, qui sont au premier rang des acteurs économiques subissant les effets de la crise du Covid-19.
S’il est vrai que, à la mi-mars, les hôtels n’ont pas été soumis à la même interdiction d’ouverture que les restaurants, il n’en demeure pas moins qu’ils ont été extrêmement touchés par le confinement : leur activité s’est durement ressentie – c’est peu de le dire – de l’impossibilité de se déplacer.
Par ailleurs, les professionnels de l’hôtellerie se sont engagés au côté des services de l’État, notamment en mettant des chambres à la disposition des personnels soignants et des personnes sans domicile fixe. Nous devons, les uns et les autres, les remercier pour la solidarité dont ils ont fait preuve.
Vous avez évoqué, monsieur le sénateur, le comportement de certains propriétaires de meublés de tourisme ou de plateformes, qui n’auraient pas respecté les interdictions édictées par les préfets et les maires durant les vacances d’avril ou qui s’affranchiraient des règles applicables à tous. Soyez assuré que, partout où de tels comportements ont été constatés, les forces de l’ordre ont sanctionné à la fois les propriétaires et les locataires.
Nous veillerons, comme vous le souhaitez, à assurer une équité parfaite entre les différents acteurs de la location touristique.
Aujourd’hui, si les restrictions à la location ont été levées, pour les chambres d’hôtel comme pour les meublés, les déplacements de plus de 100 kilomètres restent interdits, ce qui limite, nous en avons conscience, la reprise d’activité dans ce secteur. C’est la raison pour laquelle, comme le Premier ministre l’a souligné lors du dernier comité interministériel du tourisme, l’ensemble du Gouvernement continue de se mobiliser pour soutenir la filière, dans l’hypothèse raisonnable de départs en vacances possibles en France aux mois de juillet et août.
Nous avons pris des mesures d’urgence qui ont bénéficié au secteur de l’hôtellerie – chômage partiel et prêts garantis par l’État. Aujourd’hui, pour aller de l’avant sur le chemin de la reprise, nous allons déployer d’autres mesures pour les acteurs du secteur : exonérations de cotisations sociales patronales pour la période de mars à juin assorties d’un crédit de cotisations de 20 %, maintien du chômage partiel jusqu’en septembre, prolongement jusqu’à la fin de l’année du fonds de solidarité, renforcement des dispositifs de prêts garantis par l’État avec le prêt garanti « État saison », augmentation de 250 millions à 1 milliard d’euros de l’enveloppe des prêts tourisme de BPI France. Par ailleurs, nous avons obtenu des banques qu’elles proposent le report des mensualités sur douze mois.
Toutes ces mesures sont, je crois, utiles aux acteurs du tourisme : au-delà de l’équité que vous avez légitimement appelée de vos vœux, monsieur le sénateur, elles contribueront à accompagner la reprise d’activité dans le secteur !
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. L’activité hôtelière reste affectée, dans les grandes métropoles comme les stations balnéaires et de montagne. Les mesures d’urgence, bien sûr, ont été les bienvenues ; elles ont d’ailleurs été saluées par la profession, avec l’espérance qu’un certain nombre de contraintes soient levées.
Reste que la crise a révélé un problème structurel, que le Gouvernement devra affronter : la distorsion de concurrence entre une profession hôtelière soumise à des normes extrêmement strictes, auxquelles elle ne peut se soustraire, et le développement d’une économie qui n’a plus de collaborative que le nom, une économie en réalité spéculative, qui doit absolument être soumise aux mêmes règles.
Il n’est pas admissible qu’un pan aussi important de la richesse de la France soit victime d’une telle distorsion de concurrence !
situation des travailleurs non salariés
M. le président. La parole est à M. Édouard Courtial, auteur de la question n° 1189, adressée à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Édouard Courtial. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, artisans, commerçants, professions libérales, agriculteurs, micro-entrepreneurs : les travailleurs indépendants sont aussi divers que nombreux puisqu’ils représentent près d’un emploi sur dix en France d’ailleurs. L’Insee les désigne non pas comme des travailleurs indépendants, mais comme des travailleurs non salariés, une définition par la négative qui peine à rendre compte de la diversité du phénomène.
Ces travailleurs ont en partage l’absence de lien de subordination, mais aussi et surtout une prise de risque professionnel et personnel qui, dans le contexte de crise sanitaire actuel, les rend beaucoup plus vulnérables à l’arrêt de leur activité.
Si certains de ces travailleurs ont pu ou dû poursuivre leur activité, d’autres ont été grandement fragilisés par la période de confinement et se trouvent parfois dans une grande détresse, qu’elle soit financière ou émotionnelle. Je pense par exemple aux auto-écoles de l’Oise partenaires du Pass’permis citoyen, dispositif que j’ai mis en place lorsque j’étais président du conseil départemental et qui a aidé plus 12 000 jeunes à obtenir leur permis de conduire en contrepartie du temps accordé à une association ou à une collectivité.
Ne pouvant faire bénéficier les travailleurs non salariés du chômage partiel, l’État a mis en place à leur endroit des mesures d’urgence qui ont été élargies, car elles se sont dans un premier temps révélées trop contraignantes, tant en termes de conditions que de procédure. Ainsi, certains conseils départementaux, comme celui de l’Oise, pionnier dans ce domaine comme dans d’autres, leur ont proposé une aide d’urgence de 500 euros fondée, non plus sur leur compétence générale, aujourd’hui disparue, mais au titre de la solidarité.
Pour clarifier les choses, j’ai déposé, avec mon collègue Arnaud Bazin, une proposition de loi permettant aux conseils départementaux d’exercer une action financière et économique de soutien aux entreprises dans le cas d’une catastrophe sanitaire, comme il leur est possible aujourd’hui de le faire en cas de catastrophe naturelle. Y êtes-vous favorable, monsieur le secrétaire d’État ?
Enfin, si la phase de déconfinement a permis aux travailleurs non salariés de reprendre progressivement leur activité, le soutien qui leur a été accordé doit être pérennisé jusqu’à une reprise complète, mais aussi assoupli. Monsieur le secrétaire d’État, allez-vous prolonger certains dispositifs au-delà du mois de mai pour ces travailleurs non salariés, et surtout, allez-vous supprimer la condition d’emploi d’un salarié pour bénéficier du second volet du fonds de solidarité ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le sénateur Courtial, le fonds de solidarité mis en place par l’État et les régions vise en effet à soutenir les très petites entreprises, les micro-entrepreneurs, les indépendants et les personnes exerçant une profession libérale les plus touchés par la crise.
Ce fonds comporte deux volets. Le premier permet à l’entreprise de compenser sa perte de chiffre d’affaires par une aide d’un montant égal à la perte déclarée du chiffre d’affaires dans la limite de 1 500 euros.
Le second volet permet de verser une aide complémentaire aux entreprises les plus en difficulté qui risqueraient de se trouver dans l’impossibilité de régler leurs dettes exigibles à trente jours, notamment leurs charges fixes telles que les loyers, dues au titre des mois de mars et d’avril 2020. En effet, certaines de ces entreprises ne parviennent pas à trouver de financement alternatif, notamment des prêts, pour couvrir ces besoins. Les entreprises éligibles au second volet peuvent bénéficier d’une aide complémentaire d’un montant compris entre 2 000 euros et 5 000 euros en fonction de leur situation.
Notre objectif est d’éviter des licenciements massifs dans le contexte que nous connaissons. C’est pourquoi le choix a été fait, pour ce second volet, de concentrer les efforts dans un premier temps sur les entreprises qui emploient au moins un salarié.
Toutefois, pour tenir compte de la situation critique des entreprises des secteurs qui ont fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public entre le 1er mars et le 11 mai, le second volet du fonds a été élargi récemment aux entreprises sans salarié – ce qui me paraît répondre à votre question –, si leur chiffre d’affaires constaté lors du dernier exercice clos est supérieur ou égal à 8 000 euros.
Le fonds de solidarité est un dispositif d’aide sans précédent par son ampleur et le périmètre de ses bénéficiaires. Son périmètre est d’autant plus étendu que nous l’avons élargi de manière importante en assouplissant les critères d’accès, en portant de 70 % à 50 % la baisse de chiffre d’affaires permettant de bénéficier des aides du premier volet, et en ouvrant aux entreprises sans salarié au 24 mai l’accès au second volet.
Au 24 mai, plus de 2 400 000 demandes d’aide ont été payées pour un montant total de près de 3,2 milliards d’euros au titre du premier volet, et plus de 10 700 demandes d’aides au titre du second, pour un montant un peu inférieur à 30 millions d’euros, l’instruction de ce second volet étant plus longue.
Le fonds de solidarité est un dispositif d’urgence qui s’ajoute aux autres dispositifs mis en place par le Gouvernement depuis le début de la crise sanitaire, notamment le report des charges sociales et fiscales, les dispositifs ciblés d’exonération pour certains secteurs récemment annoncés, les prêts garantis par l’État, l’accélération du remboursement des crédits d’impôts et de TVA ou encore la faculté d’octroyer des remises d’impôts. Les entreprises qui répondent aux conditions d’éligibilité au fonds de solidarité peuvent aussi bénéficier d’un report de paiement de loyer, de factures d’eau, de gaz ou d’électricité.
Je dois m’arrêter faute de temps, monsieur le sénateur, mais je vous transmettrai des éléments complémentaires relatifs à l’articulation des compétences entre les différents niveaux de collectivités.
inquiétudes sur l’avenir de sanofi en france et dans le val-de-marne
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, auteure de la question n° 1137, transmise à M. le ministre de l’économie et des finances.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le secrétaire d’État, depuis 2008, le groupe pharmaceutique Sanofi a supprimé plus de 4 500 emplois, dont 2 500 en recherche et développement, qui constitue pourtant le cœur du métier.
Un nouveau plan de restructuration a été annoncé en début d’année, prévoyant 2 milliards d’euros d’économies d’ici à 2022, alors que les bénéfices de ce groupe s’élèvent à 7,5 milliards d’euros en 2019, et que le chiffre d’affaires a progressé de plus de 4 % cette même année.
La direction de Sanofi a en effet décidé d’axer l’essentiel de son activité sur la biotechnique et d’abandonner le secteur de la recherche sur les « petites » molécules. Sanofi se désengage d’axes thérapeutiques majeurs en termes de santé publique – anti-infectieux, neurologie, maladie d’Alzheimer, diabète, maladies cardio-vasculaires. Alors que, en 2008, notre pays comptait onze sites de recherche et développement, il n’en reste plus que quatre aujourd’hui.
Dans mon département, le Val-de-Marne, le site de Vitry-Alfortville est touché par la suppression de 124 emplois et 142 transferts inter-sites. La fermeture du site d’Alfortville, qui est spécialisé depuis plus de trente ans dans les activités majeures de sécurité du médicament, est une aberration. Elle est d’autant plus inquiétante que les conséquences n’en sont pas seulement locales ou départementales, mais nationales, mettant la France dans une situation de dépendance vis-à-vis des autres pays en termes d’approvisionnement en médicaments, comme nous l’avons malheureusement constaté à l’occasion de cette pandémie de Covid-19.
Monsieur le secrétaire d’État, le devenir d’une industrie majeure pour le pays et pour l’indépendance thérapeutique de la France est en jeu. Ces sites de recherche sont en train de disparaître de notre territoire, avec un impact direct sur les sites de production, au profit d’autres pays comme la Chine ou l’Inde. Monsieur le secrétaire d’État, qu’entendez-vous faire pour mettre un terme à ce sacrifice industriel et pharmaceutique ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Madame la sénatrice Cohen, compte tenu de son empreinte industrielle dans notre pays – il compte 34 sites et emploie 25 000 salariés –, Sanofi, septième groupe pharmaceutique mondial, fait l’objet d’une attention particulière du Gouvernement, notamment des services du ministre de l’économie et des finances qui m’a demandé d’apporter des éléments de réponse à votre question.
En matière de vaccins contre le Covid-19, le Gouvernement a récemment rappelé l’entreprise à ses obligations, en soulignant que ce vaccin devait être accessible à tous sans discrimination. Depuis, l’entreprise a fort opportunément précisé ses intentions.
Plus généralement, la crise du coronavirus a montré que nous étions devenus dépendants d’importations pour certains produits de première nécessité. Nous devons relocaliser – je souscris pleinement à vos propos sur ce sujet –, il s’agit d’un fort enjeu de souveraineté et d’emplois. Nous le faisons déjà, notamment pour les batteries ; nous devrons le faire pour le médicament. Le Gouvernement y travaille avec l’ensemble des acteurs du secteur. À n’en pas en douter, le groupe Sanofi trouvera toute sa place dans cette stratégie que l’on pourrait qualifier de souveraineté industrielle.
Cela étant dit, en réponse à vos inquiétudes sur l’évolution des effectifs consacrés à la recherche et développement de Sanofi en France, il nous semble important de souligner que la France reste au cœur de la stratégie de recherche et développement du groupe Sanofi puisque 5 000 salariés y travaillent, soit 40 % des effectifs mondiaux. La recherche et développement de Sanofi en France représente ainsi 2,3 milliards d’euros en 2019, soit 35 % de la recherche mondiale du groupe, ce qui correspond, peu ou prou, à la part de masse salariale que je viens d’évoquer.
La recherche et développement est par nature un domaine qui nécessite une grande réactivité, et il n’est pas anormal qu’une entreprise comme Sanofi réajuste en continu ses priorités au regard de l’évolution de la médecine, mais aussi au regard des compétences dont elle dispose.
En Île-de-France, plus spécifiquement dans le Val-de-Marne, le site de recherche et développement et de production de Vitry-sur-Seine a ainsi bénéficié de plus de 300 millions d’euros pour en faire un site de référence dans le domaine très prometteur des biotechnologies et de la bioproduction de médicaments, axe prioritaire du comité stratégique de filière des industries et technologies de santé.
L’État soutient aussi l’émergence du campus dédié à la bioproduction dont Sanofi est le pilote. Il permettra de doter la région Île-de-France d’un centre de formation digitalisé sur les métiers de la bioproduction. Ce projet prévoit treize modules de formation initiale et continue visant à renforcer les compétences que nous avons, afin de faire de la France un pays attractif dans la production des biomédicaments de demain. Porté par un consortium constitué d’écoles, d’industriels dont Sanofi, Novasep, Servier et Biomérieux, et d’entreprises technologiques, il sera accueilli au cœur du plateau d’excellence de Vitry, qui allie recherche et développement et bioproduction.
Madame la sénatrice, j’espère vous avoir quelque peu rassurée sur l’avenir de la recherche et développement de Sanofi en France.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai été agréablement surprise par le début de vos propos et j’ai pu espérer des convergences. Vous avez toutefois rapidement basculé, car si vous semblez d’accord avec l’analyse que j’ai faite, vous ne paraissez pas gêné par la fermeture du site d’Alfortville et la suppression de 124 emplois.
Vous indiquez que les déclarations très inquiétantes du directeur général de Sanofi, Paul Hudson, qui avait affirmé dans un premier temps que les vaccins seraient prioritairement distribués aux États-Unis, vous ont préoccupé. M. Macron est d’ailleurs intervenu. Si vous voulez que cela cesse, il faut absolument soutenir la proposition du groupe communiste républicain citoyen et écologiste de création d’un pôle public du médicament et de la recherche.
En dix ans, 1,5 milliard d’euros de crédit d’impôt recherche (CIR) ont été accordés à Sanofi. Cela devrait s’accompagner de quelques obligations, notamment de l’engagement de ne pas licencier comme le groupe envisage de le faire. Le rapport de la commission d’enquête sur la réalité du détournement du crédit d’impôt recherche de son objet et de ses incidences sur la situation de l’emploi et de la recherche dans notre pays de ma collègue Brigitte Gonthier-Maurin a malheureusement été enterré au Sénat.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le secrétaire d’État, je vous appelle à soutenir notre proposition de création d’un pôle public du médicament et de la recherche.
donation au dernier vivant
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, auteure de la question n° 1001, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Jocelyne Guidez. Je vous remercie de votre présence, monsieur le secrétaire d’État, mais je regrette que Mme la garde des sceaux n’ait pu venir répondre à ma question qui touche au code civil et entre donc dans le champ de compétence de son ministère.
Si, comme l’a dit Joseph Joubert, la justice est le droit du plus faible, alors elle doit devenir une réalité pour nos concitoyens qui sont mis contre leur gré dans des situations d’injustice. Il en est ainsi, dans certains cas, en matière d’héritage.
En effet, il arrive que, à la suite du décès de l’un de leurs parents, des enfants réclament leur part au parent survivant. Dans une telle situation, celui-ci peut être conduit à vendre certains de ses biens, comme une voiture ou une maison.
Pour faire face à cette situation, différentes possibilités sont prévues par le droit. Les époux peuvent choisir le régime matrimonial de la communauté universelle en intégrant une clause d’attribution intégrale au survivant.
Ils peuvent également opter pour la donation au dernier vivant. Dans ce cas, le conjoint survivant récupère par exemple la quotité disponible. Toutefois, il est utile de préciser que la part de cette quotité dépend du nombre d’enfants, et peut donc être très réduite.
Par ailleurs, cela entraîne des frais notariaux nécessairement pénalisants. En effet, si la somme à acquitter peut sembler dérisoire pour certaines familles, elle ne l’est pas pour d’autres qui ont parfois du mal à boucler leurs fins de mois.
Or, dès lors que le patrimoine a été constitué par les deux parents, il n’est pas juste que les successibles puissent demander leur part avant le décès du parent survivant.
C’est pourquoi, afin de protéger ce dernier, il conviendrait de modifier le droit actuel pour faire de la clause au dernier vivant le principe de droit commun. Cette mesure permettrait d’éviter aux parents de devoir se rendre chez le notaire, et les protégerait du comportement des enfants, comportement qui les contraint parfois à se séparer de leurs biens. Dans une telle hypothèse, il serait opportun de viser uniquement les couples mariés.
Il s’agit certes d’une modification importante du code civil, mais pour des raisons évidentes de justice et de bon sens, il n’est pas possible de continuer ainsi. Par conséquent, je souhaiterais connaître les pistes envisagées par le Gouvernement pour pallier cette difficulté soulevée par de nombreux Français.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Madame la sénatrice Guidez, permettez-moi d’excuser Mme la garde des sceaux, qui est retenue, et qui m’a demandé de vous apporter les éléments de réponse suivants.
La situation du conjoint survivant est régie par les régimes matrimoniaux auxquels s’ajoutent des dispositions relatives au droit des successions. La loi du 3 décembre 2001 a déjà fait du conjoint survivant un héritier légal de premier ordre ; en l’absence de testament, il vient à la succession, aux côtés des enfants du défunt, et reçoit, soit le quart de la succession en pleine propriété, soit l’usufruit de l’intégralité de la succession, le reste revenant aux enfants.
Si le défunt souhaite l’avantager de façon plus importante, la loi du 23 juin 2006 lui a permis d’en faire un héritier privilégié. Ainsi, le conjoint défunt peut lui laisser jusqu’au quart en pleine propriété du patrimoine, et trois quarts en usufruit. Le conjoint survivant peut alors jouir de l’ensemble du patrimoine successoral, et s’il ne souhaite pas une propriété partagée avec les enfants, il peut demander que son usufruit soit converti en rente viagère.
Cette faveur faite au conjoint survivant peut-être mise en œuvre très simplement, et à un coût réduit, voire nul – ce qui me paraît répondre à l’une de vos interrogations –, soit par le biais d’une donation au dernier vivant passée devant notaire, donation dont les frais sont fixes et encadrés par l’État, soit par le biais d’un simple testament, qui est gratuit.
J’ajouterai que la loi fiscale est très avantageuse pour le conjoint survivant comme pour le partenaire pacsé, puisqu’ils sont complètement exonérés de droits de succession.
Aller plus loin dans la faveur faite au conjoint survivant comme vous le proposez ne nous semble justifié ni d’un point de vue juridique ni au regard des évolutions de la société : renforcer les droits du conjoint, c’est inévitablement porter atteinte aux enfants, notamment à ceux issus d’une précédente union.
Lorsque les enfants sont communs, l’atteinte à leur droit pourrait être considérée comme tolérable, puisqu’ils récupéreront le patrimoine successoral au décès du deuxième parent. En revanche, les enfants non communs n’hériteraient pas du conjoint survivant, et ils perdraient alors définitivement tout héritage si le conjoint hérite en premier.
Il n’est donc pas envisagé à ce stade d’accroître encore davantage les droits successoraux du conjoint survivant, déjà très favorisé par la législation actuelle. Cela serait source d’un déséquilibre trop important au détriment des enfants, actuellement protégés par la réserve héréditaire.
Le rapport sur la réserve héréditaire remis à la garde des sceaux le 13 décembre dernier par un groupe de travail constitué d’universitaires et de praticiens du droit étudie cette question et permet de nourrir la réflexion sur l’évolution du droit en la matière. Mme la garde des sceaux et ses services restent à votre disposition pour échanger sur ces préconisations.
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour la réplique.
Mme Jocelyne Guidez. J’entends votre réponse et je la respecte, monsieur le secrétaire d’État, mais je ne la partage pas totalement.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Quand mon père est décédé, alors que ma mère avait l’usufruit, on nous a demandé si nous souhaitions récupérer la voiture. Vous voyez bien que certaines choses ne vont pas.
précarité des étudiants français
M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, auteur de la question n° 1177, adressée à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Marie Mercier. Madame la ministre, les étudiants français sont beaucoup trop nombreux à vivre au-dessous du seuil de pauvreté. Ils ont subi la baisse de l’aide personnalisée au logement (APL) et l’augmentation des tarifs des restaurants universitaires. Le coût de leurs mutuelles était trop élevé, si bien que nos étudiants ne sont pas toujours en bonne santé, certains s’adonnant même à la prostitution.
Pendant le confinement, nos étudiants sont rentrés chez leurs parents. Ils ont participé aux repas avec un enthousiasme certain, ce qui a augmenté les charges familiales. Ils n’ont pas pu faire les petits boulots, notamment de serveur, qu’ils font habituellement. Et pour ceux qui ne bénéficient pas d’un logement du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous), le loyer a continué à courir.
Or ce sont les parents qui paient les loyers des bailleurs privés. Les parents de nos étudiants font partie de cette grande famille des « travailleurs-payeurs » : ce sont des gens qui travaillent, qui paient des impôts, mais qui n’ont jamais droit à rien, parce que – pas de chance ! – ils sont toujours juste au-dessus du seuil qui permet de bénéficier d’une aide.
Si l’aide de 200 euros est la bienvenue, madame la ministre, envisagez-vous quelque chose pour ceux qui ne peuvent pas en bénéficier ? Ne pourrait-on imaginer, soit un écrêtement, soit, comme pour les entreprises, une compensation fiscale pour les bailleurs privés qui accepteraient de baisser leurs loyers ou d’en exonérer les étudiants ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice Mercier, je vous remercie pour cette question qui me permet de revenir sur le sujet de la précarité, notamment des étudiants qui ne sont pas boursiers sur critères sociaux.
La lutte contre la précarité étudiante est l’une de mes priorités depuis 2017. C’est pourquoi j’ai souhaité supprimer les cotisations de sécurité sociale étudiante, qui s’élevaient à plus de 200 euros par an, et les remplacer par une contribution de vie étudiante et de campus. Cette contribution permet de soutenir des étudiants, qu’ils soient boursiers ou non, notamment en matière de santé ou de vie étudiante.
C’est aussi pourquoi j’ai augmenté les bourses sur critères sociaux de 46 millions d’euros cette année. J’ai également étendu les financements des aides spécifiques, ouvertes à l’ensemble des étudiants, et j’ai essayé de faciliter au maximum leur accès.
Ces derniers mois, la question de la précarité étudiante a pris un tour plus prégnant encore du fait de l’épidémie de Covid-19. C’est pourquoi nous avons travaillé avec les représentants des étudiants, les établissements d’enseignement supérieur, le Cnous et les Crous pour mettre en place des aides à destination de l’ensemble des étudiants, qu’ils soient boursiers ou non.
Dès la fin du mois de mars, la contribution de vie étudiante et de campus a été libérée, soit un montant de plus de 139 millions d’euros cette année, pour que les établissements et les Crous puissent répondre aux besoins matériels quotidiens les plus urgents des étudiants, qu’il s’agisse de répondre à des besoins alimentaires, de les aider à acquérir un ordinateur ou à étendre leur forfait de téléphonie pour assurer la continuité pédagogique. J’ai également augmenté de 10 millions d’euros l’aide spécifique aux étudiants en situation de précarité.
Par ailleurs, comme vous le savez, le Président de la République a annoncé – et le Premier ministre a confirmé devant le Sénat – la création d’une aide spécifique pour les étudiants qui ont perdu leur stage rémunéré ou leur emploi et qui ne sont pas pris en charge par le chômage partiel. Cette aide ouverte à l’ensemble des étudiants est accessible de manière simple par voie dématérialisée.
J’ai également annoncé que nous gèlerions les frais d’inscription pour la rentrée, et nous sommes en train de travailler à la mise en place de mesures spécifiques de façon à garantir que l’accès à l’enseignement supérieur ne soit pas un privilège, mais reste ouvert à l’ensemble de notre jeunesse, y compris celle des classes moyennes qui ne bénéficient pas d’aides par ailleurs.
M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, pour la réplique.
Mme Marie Mercier. Je vous remercie de ces précisions, madame la ministre. Vous avez fait de la lutte contre la précarité étudiante votre priorité, et c’est une excellente chose.
Permettez-moi d’insister sur l’importance de ne pas oublier les loyers. « L’homme est une question de persévérance » ; je vous encourage donc à continuer dans cette voie pour aider nos étudiants.
déroulement des concours dans l’enseignement supérieur durant la crise sanitaire du covid-19
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, auteure de la question n° 1188, adressée à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question porte sur le déroulement des examens et concours dans l’enseignement supérieur durant la crise que nous traversons. Ceux-ci font l’objet de vives inquiétudes relatives au respect de l’égalité des chances des étudiants qui s’y présentent, ainsi que de la préservation de la santé et de la sécurité des usagers et des fonctionnaires.
En ce qui concerne les classes préparatoires, si l’organisation des épreuves écrites semble bien se dérouler, des incertitudes subsistent concernant l’hébergement des concurrents, notamment en Île-de-France, en raison de la fermeture des internats. Des négociations sont en cours avec les Crous, mais des solutions restent à trouver.
Ces questions d’intendance se posent également pour l’organisation des épreuves écrites en outre-mer, où la « mise en loge » des élèves, c’est-à-dire l’isolement en raison du décalage horaire, est remise en question.
La situation est plus alarmante pour les concours de première année commune aux études de santé (Paces), dont le ministère a imposé que la deuxième moitié soit maintenue malgré l’épidémie. À Toulouse notamment, aux interrogations d’ordre pédagogique suscitées par des modifications des épreuves qui les ont vidées de leur sens, s’ajoutent des inquiétudes sur le plan sanitaire, eu égard au nombre considérable de candidats – près de 3 000 au total.
À l’heure où les rassemblements de plus de dix personnes demeurent interdits, comment garantir la sécurité du millier de candidats et organisateurs réunis une journée entière en un lieu clos ?
Enfin, d’une manière générale, les établissements sont en attente de directives claires concernant le traitement à réserver aux étudiants dits à risques, ou encore présentant des symptômes du coronavirus au moment des épreuves ou en amont.
Madame la ministre, avec de nombreux collègues, je vous demande de nous préciser de manière très concrète les aides et les moyens mis en œuvre par le Gouvernement en faveur des établissements pour faciliter et sécuriser la tenue des différents examens et concours.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice Laborde, je vous remercie de votre question qui me permet de valoriser le travail exceptionnel qui a été réalisé par les établissements et par les services des ministères chargés de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur ces dernières semaines.
L’épidémie de Covid-19 constitue un défi majeur pour l’ensemble des établissements. Il nous faut conjuguer deux impératifs majeurs : la sécurité sanitaire des étudiants et des personnels, et le maintien de l’équité du traitement des candidats.
Dès le 24 mars, un comité opérationnel de pilotage interministériel consacré à l’organisation des concours et des examens a été constitué, placé sous la direction de Caroline Pascal, doyenne de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche. Plusieurs annonces ont été faites, et chaque candidat a été informé individuellement des modalités de passage de ses épreuves.
La première décision, annoncée le 15 mars, a été la limitation, à titre exceptionnel, et pour cette année seulement, du nombre de concours et des rassemblements qu’ils occasionnent. Il a ainsi été retenu que l’entrée dans l’enseignement supérieur se ferait sur dossier et sur la base du contrôle continu uniquement.
Après des consultations avec l’ensemble des établissements, nous avons déterminé les concours et examens qui devaient être maintenus pour des raisons d’équité, notamment les concours d’entrée dans les grandes écoles.
Le 17 avril, nous avons annoncé que les épreuves se dérouleraient entre le 20 juin et le 7 août dans le respect scrupuleux des normes de distanciation sociales et des exigences sanitaires.
Dans plusieurs cas, il a été également décidé que les concours écrits ne seraient exceptionnellement pas accompagnés d’épreuves orales cette année. Pour ce qui concerne les études en santé, nous avons annoncé le 26 mars que le concours d’entrée en deuxième année serait organisé à partir de la troisième semaine de juin.
Nous accompagnons les établissements, notamment celui de Toulouse que vous mentionnez, afin que les choses se passent le mieux possible pour les étudiants.
Nous avons préparé un protocole sanitaire qui a été validé la semaine dernière par la mission présidée par Jean Castex et par le ministère des solidarités et de la santé. Les équipes du ministère, les établissements et les rectorats sont mobilisés pour mettre en œuvre ce protocole qui a été publié.
Je comprends évidemment toutes les interrogations suscitées par ces nombreux changements, mais je tiens avant tout à saluer l’engagement des établissements et des centres de formation pour informer et accompagner tous les candidats dans cette période exceptionnelle.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour la réplique.
Mme Françoise Laborde. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Je sais bien que ce n’est pas facile, et si vous avez répondu de façon assez satisfaisante à ma question, le problème reste entier.
Je peine à imaginer comment les règles sanitaires pourront être appliquées dans les halls d’exposition, où 900 ou 1 000 étudiants et organisateurs seront rassemblés pour les épreuves. Je pense également au stress de ces étudiants qui jouent leur vie en si peu de temps, qu’ils soient en première ou en deuxième année, c’est-à-dire redoublants. Le concours de Paces est très difficile, mais c’est vrai de tous les concours que vous avez évoqués, avec ou sans oraux.
Permettez-moi d’ajouter, concernant les oraux, que leur maintien me semble nécessaire pour le recrutement des futurs professeurs de langues : si les candidats peuvent être très bons à l’écrit, je considère que l’accent est important.
sauvetage du capillaire ferroviaire pour le fret agricole et alimentaire
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, auteur de la question n° 1178, adressée à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Jean Bizet. Madame la ministre de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation, ma question s’adressait à votre collègue, Mme la ministre de la transition écologique et solidaire, puisqu’elle porte sur l’enjeu que représente le sauvetage du capillaire ferroviaire pour le fret agricole et alimentaire.
Le fret ferroviaire est un levier majeur de la compétitivité des entreprises de l’agroalimentaire et de l’agro-industrie. Il permet l’irrigation des territoires et représente un atout incontestable dans la transition vers une mobilité plus propre et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Responsable de seulement 0,4 % de ces émissions, il permet d’éviter cinquante camions sur les routes par train chargé et représente un outil précieux pour l’atteinte des objectifs ambitieux fixés par la loi relative à l’énergie et au climat du 8 novembre 2019.
Le fret ferroviaire doit son succès à sa capacité à être au plus près des outils industriels grâce à son réseau capillaire de 4 200 kilomètres. Or, alors que certaines lignes sont déjà fermées pour des raisons de sécurité, près du quart de ce réseau est aujourd’hui menacé. Ce sont désormais des travaux de remise en état qui s’imposent afin d’en assurer la pérennité.
À ce jour, le maintien en état des lignes capillaires ne fait l’objet d’aucun plan national concerté et financé. Les opérations, réalisées sur demande de SNCF Réseau, se font au coup par coup, et le plus souvent dans l’urgence, ce qui rend les coûts d’autant plus importants. Les chargeurs sont mis à contribution, de même que les collectivités locales.
Les incohérences sont donc nombreuses, et ma question est simple : quelle stratégie le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour développer le fret ferroviaire capillaire français et préserver la compétitivité des entreprises qui y ont recours ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Jean Bizet, vous avez souhaité appeler l’attention de la ministre de la transition écologique et solidaire et du secrétaire d’État aux transports, Jean-Baptiste Djebbari, sur les actions du Gouvernement en faveur des lignes capillaires de fret. Mes collègues vous prient d’excuser leur absence et m’ont chargée de vous répondre.
Le développement du fret ferroviaire constitue effectivement un enjeu majeur pour le monde agricole, et la préservation des lignes capillaires de fret est un facteur indispensable pour y parvenir. Le secteur agricole, tous domaines d’activité confondus, représente près d’un tiers de l’ensemble du tonnage transporté sur ces lignes.
Il existe bel et bien un plan national concerté et financé pour le maintien des lignes capillaires de fret. Depuis 2015, l’État et SNCF Réseau ont engagé une démarche consistant à travailler, ligne par ligne, avec l’ensemble des parties prenantes concernées, notamment les collectivités territoriales et les chargeurs, pour définir les conditions de leur pérennité.
Depuis 2015, l’État participe ainsi au financement des investissements en matière de régénération et de remise en état de ces lignes capillaires de fret à hauteur de 10 millions d’euros par an, aux côtés de SNCF Réseau et des autres parties prenantes. La participation de l’État représente en moyenne 30 % du coût total de cette régénération. L’ensemble des investissements réalisés depuis 2015 s’élève à 180 millions d’euros. Ils ont porté sur 35 lignes capillaires de fret, soit au total 885 kilomètres, dont près de la moitié voit transiter des productions du secteur agricole, des céréales en très grande majorité.
L’État poursuivra bien sûr ses efforts en la matière. Mon collègue Jean-Baptiste Djebbari en a fait l’une de ses priorités en définissant deux pistes de travail.
La première consiste à poursuivre et à renforcer les investissements sur le réseau. C’est dans cette perspective que nous demanderons le concours financier de l’Europe, notamment dans le cadre du Green Deal. La seconde est la création d’un modèle économique durable pour l’exploitation du réseau, avec un soutien plus spécifique aux lignes déficitaires et, notamment, au marché dit « du wagon isolé ». Là encore, il sera nécessaire d’obtenir l’engagement financier de l’Europe en appui des États membres.
Aujourd’hui, le Gouvernement travaille en étroite concertation avec les acteurs du secteur pour élaborer cette stratégie de développement du fret ferroviaire, comme le prévoit l’article 178 de la loi d’orientation des mobilités. Cette stratégie a vocation à intégrer l’ensemble des mesures nécessaires au soutien du fret capillaire ferroviaire.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour la réplique.
M. Jean Bizet. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, mais je serais tenté de dire : pourrait mieux faire ! En effet, 885 kilomètres sur un réseau qui en comporte 4 200, cela laisse encore beaucoup de marge…
Je note malgré tout deux ou trois points positifs, notamment le fait que vous intégriez la possibilité de faire appel, dans le cadre du Green Deal, au Fonds européen d’investissement stratégique. C’est effectivement une réponse au travers d’un mécanisme financier innovant. Je souhaiterais que vous puissiez préciser comment vous envisagez d’engager cette démarche.
Par ailleurs, puisqu’un plan existe et qu’il ne représente que 30 % de l’investissement de l’État, je souhaiterais que la ministre et son secrétaire d’État puissent me fournir le plan de charge des travaux de réhabilitation du réseau capillaire ferroviaire français.
aides à l’assainissement individuel
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, auteur de la question n° 942, adressée à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite vous interroger sur la politique menée en matière de mise aux normes des systèmes d’assainissement non collectif.
Tandis que le onzième programme des agences de l’eau a démarré le 1er janvier 2019, le budget de ces agences a diminué, alors même que leurs missions ont été élargies.
Ainsi, l’agence de l’eau Seine-Normandie, dans le cadre de son nouveau programme, a changé les critères d’éligibilité aux aides à l’assainissement individuel. De ce fait, certaines communes ne sont plus éligibles à ces dispositifs, alors que beaucoup d’habitants en auraient grand besoin.
Cette décision intervient au moment où les élus avaient réussi à convaincre les habitants concernés de faire procéder aux études nécessaires et préalables à la mise aux normes des installations et, surtout, après qu’ils leur ont indiqué que ces travaux allaient être subventionnés. Cette situation est particulièrement critique en zone rurale où le raccordement aux réseaux collectifs est quasiment achevé et où il ne reste que l’habitat dispersé à traiter.
Je souhaite savoir si le Gouvernement compte prendre des mesures pour que ce changement d’orientation ne soit pas perçu comme une promesse non tenue et ne vienne pas annihiler des années de travail et de mobilisation des élus.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous interrogez Mme Élisabeth Borne, qui ne peut être présente aujourd’hui. Elle m’a demandé de vous présenter ses excuses et de vous répondre.
Les onzièmes programmes d’intervention des agences de l’eau pour la période 2019-2024 ont été adoptés à l’automne 2018. Ils répondent à deux priorités du Gouvernement : d’une part, un recentrage des interventions dans une logique de solidarité territoriale ; d’autre part, la poursuite et le renforcement des interventions en faveur de la préservation des milieux aquatiques, de la biodiversité et des milieux marins.
La question des aides à l’assainissement non collectif a été largement débattue lors de l’élaboration de ces onzièmes programmes. Dans un contexte de restriction des moyens à la fois humains et budgétaires des agences de l’eau et afin de cibler davantage les interventions, qui concourent efficacement à la reconquête de la qualité des masses d’eau et de la biodiversité qui y est associée, l’assainissement non collectif n’a pas été retenu parmi les priorités ministérielles.
Certains bassins ont ainsi fait le choix d’arrêter le versement des aides à l’assainissement non collectif. D’autres, dont le bassin Seine-Normandie par exemple, ont limité ces aides aux territoires dans lesquels elles sont nécessaires pour assurer le bon état des masses d’eau ou relèvent d’une priorité d’ordre sanitaire. Ces solutions, qui résultent des échanges qui se sont tenus au sein des comités de bassin, nous apparaissent comme un compromis pragmatique.
Pour le bassin Seine-Normandie, les zones éligibles aux aides à l’assainissement non collectif sont dorénavant le littoral, qui est une zone d’influence microbienne, les territoires fragiles des têtes de bassin, ainsi que les territoires pouvant encore avoir un impact bactériologique sur des zones de baignade. Plus précisément, quatre communes du territoire dont vous avez parlé, madame la sénatrice, restent éligibles à ces aides au 1er janvier 2019. La prochaine commission des aides de l’agence de l’eau qui se réunira en juin va d’ailleurs examiner le dossier d’attribution d’une aide, qui s’élève à environ 350 000 euros, pour la réhabilitation de 58 installations d’assainissement non collectif dans la commune de Chevannes-Changy.
Par ailleurs, les propriétaires qui font procéder aux travaux de réalisation ou de réhabilitation de leurs équipements d’assainissement non collectif peuvent bénéficier d’autres aides. Je pense aux prêts de la caisse d’allocations familiales ou d’une caisse de retraite, aux aides de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), aux subventions des conseils départementaux, ou à l’éco-prêt à taux zéro.
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.
Mme Nadia Sollogoub. J’ai conservé un peu de temps pour la réplique, parce que je veux parler d’un cas très concret et très instructif.
Mme le maire de Neuffontaines, dans la Nièvre, a fait un tel effort de pédagogie auprès des 104 habitants de sa commune que 50 d’entre eux se sont lancés dans une démarche pour raccorder leur habitation à l’assainissement non collectif. Ils ont mené des études, financées à 60 %, qui ont prouvé qu’il existait une pollution avérée du cours d’eau liée à leurs installations. On leur a donc promis des aides.
Or les critères d’éligibilité ont changé : la commune de Neuffontaines n’est plus éligible à ces aides. Certaines communes voisines, dont quelques-unes disposent d’un réseau d’assainissement collectif, le sont restées, ce qui est très difficile à comprendre. Le dossier est en cours d’instruction depuis 2015 ce qui, je dois vous le dire, est devenu totalement illogique et incompréhensible pour les habitants qui souhaitaient pourtant investir dans une démarche vertueuse. Voilà la conclusion à laquelle est parvenu un habitant : il y avait assez de pollution pour déclencher les études, mais plus assez pour financer les travaux…
Alors, monsieur le secrétaire d’État, j’insiste : si l’instruction de certains dossiers a réellement été bouleversée par le changement des critères techniques et administratifs, il faut absolument la relancer, parce que c’est la parole des élus, de même que la crédibilité de l’État, qui sont en jeu.
indemnisation des copropriétaires de l’immeuble du signal du fait de l’érosion littorale
M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart, auteur de la question n° 1141, transmise à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Michel Vaspart. Monsieur le secrétaire d’État, ma question s’adresse à la fois à la ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de l’action et des comptes publics. Elle porte sur l’urgence de l’indemnisation des propriétaires, devenus malheureusement tristement célèbres, de l’immeuble du Signal à Soulac-sur-Mer.
Pour mémoire, ces propriétaires et quelques locataires avaient dû quitter leurs logements sur injonction préfectorale du fait de l’érosion littorale. Depuis 2014, ils s’acquittent donc du paiement d’un loyer pour un autre logement, de l’assurance, des charges de copropriété et, pour certains, du remboursement d’un emprunt immobilier. Ils mènent un combat pour obtenir une juste indemnisation du préjudice subi.
Depuis des mois, je devrais même dire des années, les élus, et spécialement les parlementaires, exercent une forte pression. La situation semblait s’être débloquée à la fin de 2018 avec l’adoption, dans le cadre de l’examen du texte qui a abouti à la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, d’un amendement affectant 7 millions d’euros de crédits à l’indemnisation des victimes. Je précise que cet amendement a été voté par le Sénat et l’Assemblée nationale, et que le Sénat s’est prononcé à trois reprises à la quasi-unanimité.
Un an et demi plus tard, les victimes ne connaissent toujours pas les modalités de mise en œuvre de cette mesure. Je souhaiterais connaître les raisons pour lesquelles ce délai est scandaleusement long, monsieur le secrétaire d’État : c’est totalement inadmissible de la part du Gouvernement ! Sachez que j’ai été saisi par de nombreux propriétaires, qui ont tous éprouvé un fort sentiment de trahison et d’incompréhension. C’est en leur nom que je vous demande des explications et un calendrier.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je vous prie d’excuser l’absence de la ministre de la transition écologique et solidaire, ainsi que celle du ministre de l’action et des comptes publics.
Nulle trahison dans cette affaire, et je vais m’évertuer à vous donner un certain nombre d’explications à cet égard.
Depuis l’évacuation définitive du Signal qui a été ordonnée – vous le rappeliez – en 2014, vous avez, avec d’autres parlementaires, milité pour faire adopter un régime d’indemnisation pour les propriétaires de cet immeuble menacé par le recul du trait de côte. Avec l’ouverture de crédits dans le cadre de la loi de finances pour 2019, et le report de ces crédits sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables » dans la loi de finances pour 2020, l’État dispose du financement pour une indemnisation des propriétaires des lots de la copropriété du Signal.
Toutefois, dans le cadre juridique actuel, la valeur vénale des lots est très faible. Par conséquent, il existe un risque juridique élevé si l’on autorise l’acquisition de ces biens à des montants plus favorables pour chaque propriétaire, et ce malgré les dispositions de la loi de finances pour 2019, qui ne créent pas un cadre ad hoc pour l’indemnisation, mais se limitent à l’ouverture de crédits dans la mission « Écologie ». En l’état, on ne peut pas exclure l’hypothèse qu’un juge assimilerait cette indemnisation à une libéralité.
Monsieur le sénateur, le Gouvernement n’entend évidemment pas revenir sur le vote du Parlement, mais veut seulement s’assurer que sa volonté sera bien mise en œuvre, et ce dans les meilleures conditions de sécurité juridique. Les copropriétaires du Signal pourront alors bénéficier d’une juste indemnisation.
Au-delà des biens déjà affectés par le recul du trait de côte, le ministère de la transition écologique et solidaire travaille à la mise en place d’un dispositif de prévention pour anticiper la survenance de cas similaires, sur le fondement des nombreux rapports et travaux déjà menés sur le sujet. Des orientations ont été présentées lors du conseil de défense écologique du 12 février dernier.
M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart, pour la réplique.
M. Michel Vaspart. Monsieur le secrétaire d’État, le problème, c’est que ces tergiversations, ce jeu de renvoi de balle entre le ministère des finances et celui de l’écologie dure depuis dix-huit mois. Aujourd’hui, c’est le ministère de l’écologie qui bloque. Je veux bien qu’il y ait des problèmes de droit, mais on avait largement le temps, en dix-huit mois, compte tenu du nombre de fonctionnaires travaillant dans ces ministères, de régler le problème. Or il ne l’est toujours pas : on va finir par croire que les ministres n’ont plus aucun pouvoir vis-à-vis de cette technocratie tentaculaire !
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, auteur de la question n° 1038, transmise à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Antoine Lefèvre. Ma question concerne le devenir de l’enquête publique. Depuis un décret paru fin 2018, les enquêtes publiques et les commissaires enquêteurs tendent à être remplacés par une simple consultation électronique du public. Deux régions, dont la mienne, les Hauts-de-France, ont ainsi commencé à mener cette expérimentation pour une durée de trois ans, jusqu’à fin 2021.
Parallèlement, un rapport remis au Gouvernement en septembre 2019 propose d’accélérer et de simplifier les procédures obligatoires préalables à une implantation industrielle. Le préfet peut ainsi choisir entre une enquête publique et une simple consultation électronique, ce qui marque, une fois de plus, la volonté de s’affranchir des acquis en termes de participation citoyenne, une partie de ce public n’ayant pas la possibilité de répondre à une enquête sur internet.
J’en veux pour preuve les travaux de l’actuelle mission d’information du Sénat sur la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique. En effet, comme l’a rappelé en 2019 le Défenseur des droits, Jacques Toubon – celui-ci a d’ailleurs été auditionné hier par ladite mission –, la dématérialisation à marche forcée des services publics se résume, pour certains citoyens, à un recul de leurs droits, en raison de la disparition de ces services sur certains territoires. Cela vaut, par extension, pour le service de l’enquête publique.
Ces phases obligatoires de consultation des citoyens sont de plus en plus considérées, à tort, comme une perte de temps, un frein à la croissance et à la compétitivité. Or elles constituent un dispositif essentiel au service de la démocratie locale, au cœur du fonctionnement de la démocratie participative, et le meilleur moyen de faire remonter aux décideurs le véritable ressenti du terrain grâce au commissaire-enquêteur, qui conduit son enquête de manière totalement indépendante.
La dématérialisation de l’enquête publique se ferait au détriment du présentiel et ne ferait qu’accroître les frustrations, les incompréhensions et les risques de contentieux. Pourriez-vous assurer les populations du maintien de l’enquête publique dans sa forme actuelle, monsieur le secrétaire d’État, en garantissant les procédures auxquelles le public a droit, dans le double respect de la convention d’Aarhus et des exigences du droit de l’Union européenne pour tous les projets soumis à évaluation environnementale ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Je vous prie de bien vouloir excuser l’absence d’Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Celle-ci m’a demandé de vous rassurer et de vous confirmer que l’enquête publique demeure bien le dispositif de référence en ce qui concerne la participation du public pour les projets soumis à évaluation environnementale.
Sur les recommandations du rapport du député Guillaume Kasbarian, que vous évoquiez dans votre intervention, le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique prévoit, en effet, la possibilité d’adapter les modalités de la participation du public applicables aux autorisations environnementales. Seuls les projets ne faisant pas l’objet d’une évaluation environnementale sont concernés par ces dispositions.
La consultation du public sur ces projets pourra être adaptée par décision de l’autorité administrative qui optera, à la lumière des critères définis dans la loi, entre la mise en œuvre d’une enquête publique ou la participation du public par voie électronique.
L’expérimentation conduite en Bretagne et dans votre région, les Hauts-de-France, en application de la loi pour un État au service d’une société de confiance, dite loi Essoc, vise de manière plus large les projets soumis à autorisation environnementale. L’enquête publique est remplacée par la participation du public par voie électronique, comme vous l’évoquiez, à la stricte condition que le projet ait donné lieu à une concertation préalable avec garant.
Un bilan sera adressé au Parlement à l’issue de l’expérimentation, et je ne doute pas qu’il tiendra compte de la question de l’illectronisme, ainsi que du problème de l’accès au droit de nos concitoyens.
Toujours est-il que les dispositifs existants sont conformes aux textes qui régissent la participation du public. Ils respectent notamment la convention d’Aarhus, les directives européennes et l’article 7 de la Charte de l’environnement.
La procédure par voie électronique offre des garanties au public : ainsi, les citoyens peuvent toujours demander à avoir accès à un dossier sur support papier. C’est aussi au regard de l’importance de la dimension présentielle de la participation du public que les délais de ces procédures ont été gelés dans le cadre des ordonnances relatives à l’urgence sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19. Quelques rares exceptions autorisées par décret ont été conditionnées à des critères cumulatifs très exigeants.
En conclusion, je peux vous garantir que, pour les projets soumis à évaluation environnementale, le Gouvernement est très vigilant sur le maintien de l’enquête publique qui constitue, dans notre pays, un des piliers majeurs de la démocratie participative.
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour la réplique.
M. Antoine Lefèvre. Je veux remercier le secrétaire d’État de sa réponse. Je resterai vigilant, même s’il m’a en partie rassuré sur les garanties qui continuent d’entourer les enquêtes publiques, notamment dans les dossiers environnementaux. Nous attendons le bilan de l’expérimentation pour voir comment ces adaptations pourraient être mises en œuvre. Dans ma région, les projets éoliens soulèvent de nombreux problèmes d’acceptabilité : la population souhaite évidemment être associée à la consultation de ces dossiers.
prise en charge des frais de transport en ambulance bariatrique
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, auteure de la question n° 1084, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Mme Catherine Deroche. Ma question est vraiment du ressort du ministère des solidarités et de la santé.
Monsieur le secrétaire d’État, j’appelle votre attention sur la prise en charge des frais de transport en ambulance bariatrique. Ces frais de transport sont pris en charge par l’assurance maladie sur prescription médicale, et dans un certain nombre de situations : hospitalisations, traitements ou examens pour des patients qui sont atteints d’une affection de longue durée ; traitements ou examens en rapport avec un accident du travail ou une maladie professionnelle ; lorsque l’état du patient nécessite d’être allongé ou sous surveillance en cas de trajet de longue distance ou de transports en série pour un même traitement.
L’ambulance bariatrique est spécialement équipée pour des personnes de très forte corpulence ou en situation de handicap, qui nécessitent un équipage de quatre personnes, voire davantage, et un brancard deux fois plus large. Pour ce type de transport, le remboursement s’effectue uniquement sur la base d’un transport habituel, ce qui ne couvre pas l’ensemble des frais de transport.
À chaque déplacement, le reste à charge pour le patient est très élevé et peut parfois atteindre plusieurs centaines d’euros, ce qui rend la situation difficilement supportable financièrement pour les patients, qui ne sont pas traités de manière équitable. De plus, on observe parfois un retard dans les soins, les patients hésitant à utiliser ce mode de transport pour faire des examens.
Je voudrais connaître les pistes que le Gouvernement envisage d’explorer pour résoudre les difficultés que rencontrent un nombre non négligeable de patients, qui souffrent en plus de comorbidités souvent importantes.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Catherine Deroche, le ministère des solidarités et de la santé est, comme vous le savez, particulièrement attentif à l’accès aux soins de l’ensemble des assurés, dont l’une des conditions est de pouvoir se rendre sur le lieu où ces soins sont dispensés.
La prise en charge des patients obèses a connu des évolutions notables grâce aux plans obésité qui ont été mis en place ces dernières années. Dès 2013, les 37 centres spécialisés de l’obésité ont été équipés d’une ambulance bariatrique pouvant transporter les patients avec les besoins spécifiques liés à cette pathologie.
La volonté d’améliorer la prise en charge de ces patients a été réaffirmée dans la feuille de route obésité pour les années 2019-2022, qui prévoit notamment de renforcer la structure et la lisibilité de cette offre de transport dans chaque région.
Cependant, le Gouvernement a bien conscience de l’insuffisance de l’offre actuelle et des difficultés d’accès à ces prestations, en raison notamment des suppléments facturés aux patients lorsqu’ils doivent faire appel à des transporteurs privés ou qui ne sont pas remboursés par l’assurance maladie.
Pour assurer une prise en charge à la fois pérenne et adaptée sur l’ensemble du territoire, le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, a inscrit l’amélioration de la prise en charge des transports bariatriques, via la prise en compte des équipages ou des équipements supplémentaires nécessaires dans la tarification, parmi les orientations qui cadrent les négociations conventionnelles en cours entre les représentants des transporteurs sanitaires et l’assurance maladie.
Au terme de ces négociations, qui portent également sur d’autres aspects du financement du transport sanitaire, une réponse financière opérationnelle sera donc apportée pour couvrir les prestations en ambulance bariatrique.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.
Mme Catherine Deroche. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Il est en effet important que les choses bougent, ce qui est désormais le cas, je l’ai bien compris, dans le cadre des négociations conventionnelles avec les transporteurs.
Il ne s’agit pas d’un problème très éloigné de nous. Comme d’autres collègues, qui avaient d’ailleurs posé des questions écrites en ce sens, j’ai été sollicitée par des personnes habitant la région parisienne, qui ont subi des retards de diagnostic importants, parce qu’elles hésitaient à faire des examens, et qui se retrouvent maintenant dans des situations très compliquées. Je suis contente de savoir que cette préoccupation s’inscrit dans l’actuel plan obésité.
hôpital support en ardèche méridionale
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, auteur de la question n° 1145, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai déposé cette question, à laquelle j’associe mon collègue Jacques Genest, le 27 février dernier. Depuis, l’épidémie de Covid-19 a fondu sur notre pays et a fait vaciller bien des croyances. Mais elle a aussi prouvé la justesse de certains constats : la crise sanitaire a ainsi confirmé la nécessité de donner à l’hôpital d’Aubenas la fonction dite « support ».
Au plus fort de la crise, cet hôpital aurait pu jouer un rôle majeur, notamment en termes de dépistage. Avec ses 330 000 habitants, l’Ardèche reste aujourd’hui le seul département de cette taille à ne pas disposer d’hôpital support. Quant au bassin de santé de l’Ardèche méridionale, il regroupe 100 000 habitants l’hiver et 300 000 l’été. Il a donc des besoins spécifiques liés aux nombreuses activités saisonnières et sportives, ce qui nécessite le déploiement de moyens de secours d’urgence, comme les services mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR) ou même des hélicoptères.
Renforcer le plateau technique et l’attractivité de l’hôpital d’Aubenas inciterait les praticiens à revenir exercer en Ardèche méridionale et contribuerait ainsi à lutter contre la désertification médicale qui affecte notre territoire.
Cette solution n’est pas qu’indispensable, elle est aussi réaliste, monsieur le secrétaire d’État. En effet, les efforts de tous les acteurs concernés préparent cet établissement à jouer ce rôle dans les meilleures conditions : je pense notamment à la construction d’un service des urgences neuf et à celle d’une future maison des internes.
Interrogé sur ce sujet le 11 février dernier par mon collègue député de l’Ardèche, Fabrice Brun, la secrétaire d’État Christelle Dubos a répondu qu’un décret serait publié d’ici cet été pour créer les commissions médicales de groupement, qui devront être effectives d’ici le 1er janvier 2021. Elle a ajouté que c’est à la suite de cette publication que l’agence régionale de santé (ARS) pourra éventuellement réviser son dispositif en matière de groupements hospitaliers de territoire (GHT).
Que de longues procédures pour répondre à un besoin aussi bien identifié, alors que les médecins et les élus, au premier rang desquels Jean-Yves Meyer, le maire d’Aubenas, réclament le retour de l’hôpital support !
C’est la raison pour laquelle je vous demande instamment, monsieur le secrétaire d’État, si le Gouvernement compte appliquer ce même traitement à l’Ardèche en accélérant ainsi le processus qui lui permettra de retrouver un GHT.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Mathieu Darnaud, cette question s’inscrit dans le cadre des dispositions de la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016. Celle-ci a permis la création des GHT, afin de mettre en œuvre une stratégie de prise en charge commune et graduée du patient, dans le but d’assurer une égalité d’accès à des soins à la fois sécurisés et de qualité.
Elle a ainsi garanti une bonne coopération entre les établissements de santé sur un territoire donné. Cette coopération indispensable a montré toute sa pertinence sur votre territoire, monsieur le sénateur, mais aussi au-delà, dans le cadre de la crise sanitaire que nous traversons actuellement.
En juillet 2016, la création des GHT par les agences régionales de santé s’appuyait sur un diagnostic territorial robuste comme préalable indispensable à la délimitation des périmètres des GHT, et sur la nécessité de respecter les bassins de vie et les flux de patients en vue de l’élaboration de ces groupements, afin de permettre la rédaction d’un projet médical partagé et structurant pour le territoire, et de corriger les inégalités d’accès aux soins.
Outre le fait que la période actuelle nécessite que l’ensemble des forces du système sanitaire se focalisent sur la lutte contre le Covid-19 – j’en profite pour saluer, à vos côtés, l’engagement des professionnels –, un bilan du fonctionnement effectif des différents GHT, dont le GHT Sud Drôme-Ardèche, reste indispensable avant d’envisager une concertation qui viserait à modifier d’éventuels périmètres géographiques.
Dans ce cadre, l’agence régionale de santé pourra saisir les différentes instances concernées, et ce le moment venu, une fois le bilan établi en sortie de crise.
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour la réplique.
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le secrétaire d’État, j’espère que le bilan ira dans ce sens. Le Gouvernement a insisté sur les nécessaires conclusions et les enseignements qu’il faudrait tirer de la crise, ainsi que sur les décisions qui en découleront. Je pense qu’il y aurait là une décision sage, qui permettrait de renforcer le maillage sanitaire dans un département de l’Ardèche qui en a grandement besoin.
déremboursement de l’elmiron
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, auteure de la question n° 1174, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Mme Laurence Rossignol. Ma question concerne le déremboursement de l’elmiron.
En décembre 2019, le ministère de la santé, à l’époque dirigé par Mme Agnès Buzyn, a décidé de dérembourser ce médicament.
Peu de personnes savent que l’elmiron est le seul médicament permettant de soulager la cystite interstitielle, inflammation chronique de la vessie, qui concerne les femmes dans 90 % des cas, et qui est une maladie extrêmement invalidante. Ce déremboursement est donc apparu comme particulièrement cruel à l’égard de toutes ces femmes et de toutes ces patientes qui n’avaient pas d’autre choix que de prendre ce traitement.
Il se trouve que j’ai déposé cette question au mois de février et que, depuis – monsieur le secrétaire d’État, je vais vous piquer le boulot qui vous revenait dans deux minutes, car, en plus de poser ma question, je vais aussi y répondre ! (Sourires.) –, le Gouvernement, probablement alerté par les associations de malades, les questions des parlementaires et les médecins, est revenu sur cette décision : il a publié un décret le 11 mai qui rétablit le remboursement de l’elmiron.
Au mois de février, je me posais la question de savoir si vous pouviez revenir sur votre décision. Nous sommes fin mai : la réponse est que le traitement est de nouveau remboursé depuis le 11 mai…
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Juste un mot pour remercier Mme la sénatrice Laurence Rossignol, ainsi que l’ensemble des parlementaires et des parties prenantes ayant alerté le ministère sur ce sujet, qui, cela a été rappelé, est important pour les patients. Sauf erreur, la décision a été prise par le biais d’un arrêté, non d’un décret, en date du 14 mai, non du 11 – ce sont là des précisions très marginales. Les associations de patients ont bien été prévenues de cette évolution, qui était effectivement nécessaire.
Mme Laurence Rossignol. Il s’agit effectivement d’un arrêté du 11 mai, publié le 14 mai !
extension de la prime exceptionnelle pour le personnel médico-social
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, auteur de la question n° 1184, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Canayer. La crise sanitaire actuelle a mis en lumière le rôle essentiel des personnels médico-sociaux qui accompagnent les personnes les plus fragiles, et dont la profession n’est pas toujours considérée à sa juste valeur.
Le Gouvernement, nous le savons – ma collègue députée Agnès Firmin Le Bodo, monsieur le secrétaire d’État, a eu l’occasion de vous interroger sur ce sujet la semaine dernière –, a annoncé, le 11 mai dernier, le versement d’une prime exceptionnelle, laquelle devrait notamment concerner les aides à domicile accompagnant les plus vulnérables dans leur vie courante.
Néanmoins, le financement des services d’aide à domicile étant supporté par les départements, la prime versée, si elle est de leur seul ressort, variera en fonction de la situation budgétaire de chacun d’entre eux.
Le département de la Seine-Maritime compte près de 112 services d’aide à domicile, dépensant environ 82 millions d’euros pour le soutien des personnes, âgées ou dépendantes, à domicile. Particulièrement endetté, il aura du mal à verser une prime à la hauteur de l’implication de ces hommes et de ces femmes, qui se sont mobilisés avec courage.
Mais cette question de la prime ne doit pas masquer le sujet, majeur, de la revalorisation de ces métiers, maillons essentiels de la solidarité. Le revenu médian de ces travailleurs est de 900 euros par mois, 20 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté et leur pouvoir d’achat n’a cessé de diminuer au cours des dernières années.
Il faudra donc bien plus qu’une mesure ponctuelle pour garantir la juste revalorisation des métiers de l’aide à domicile et assurer à ces salariés des conditions de travail satisfaisantes !
Ainsi, les centres communaux d’action sociale (CCAS) ou les centres intercommunaux d’action sociale (CIAS) gérant les services d’aide à domicile – je pense notamment à celui de Fécamp – sont freinés pour embaucher des personnels à temps plein par le montant du plafond de l’exonération des cotisations à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). En augmentant ce plafond, on limiterait donc le recours aux emplois précaires.
La juste revalorisation des salaires des personnes concernées dépend aussi des moyens budgétaires alloués aux départements, dont les tarifs horaires varient de 17 à 25 euros.
Je souhaiterais donc savoir quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour aider les collectivités, que ce soit les communes ou les départements, à revaloriser les professions d’aide à domicile.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Merci, madame la sénatrice Agnès Canayer, d’avoir posé cette question.
De nombreux professionnels s’interrogent, à raison, sur les conditions de versement de la prime exceptionnelle pour les services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD). Comme vous le savez – c’est la réponse « réglementaire » que je vous donne là –, le Gouvernement ne peut décider des conditions de versement et de financement de cette prime exceptionnelle. C’est une compétence des départements, vous l’avez vous-même rappelé.
Il en va de même, j’ai pu le préciser lors des questions au Gouvernement, ici, la semaine dernière, endossant cette fois-ci ma casquette de secrétaire d’État à la protection de l’enfance, pour les travailleurs sociaux des services de l’aide sociale à l’enfance, dont je salue aussi l’engagement, en particulier pendant cette période de crise.
En revanche, pour les personnels travaillant en Ehpad, le Gouvernement vient de décider que l’assurance maladie financerait la totalité des primes. Rappelons que, à la différence des SAAD, les Ehpad ont cette particularité d’être financés par les résidents eux-mêmes, à plus de 50 %, par l’assurance maladie, à environ 30 %, et par les départements au titre de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) en établissement, aux alentours de 15 %.
Pour les mêmes raisons, les personnels travaillant au sein des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), financés exclusivement par l’assurance maladie, bénéficieront aussi de la prime dans des conditions identiques.
Vous avez rappelé le dévouement exemplaire des personnels des SAAD, qui exercent des missions très difficiles au domicile des personnes fragiles. Mais, encore une fois, la décision finale appartient aux conseils départementaux.
C’est un sujet de débat, pour Olivier Véran comme pour moi-même, dans un autre contexte. Depuis plusieurs jours, plusieurs semaines même, nous en parlons régulièrement – intensément, ai-je envie de dire –, y compris avec Dominique Bussereau, président de l’Assemblée des départements de France, ou certains présidents de conseils départementaux. À l’heure où je vous parle, les échanges se poursuivent.
Pour autant, vous ne vous y opposerez pas ici, nous nous devons de respecter les compétences de chacun dans la recherche d’une solution de financement de ces primes pour les personnels des SAAD. J’espère, pour ma part, que nous pourrons le faire dans des conditions les plus proches possible de celles qui ont été retenues pour les Ehpad.
Au-delà de la question des primes, vous avez évoqué celle, plus large, de la revalorisation salariale et des perspectives de carrière. On sait effectivement que, si la problématique du pouvoir d’achat est essentielle pour nos concitoyens, il est tout aussi important, à leurs yeux, de pouvoir se projeter dans une évolution de carrière.
Le secteur médico-social figure, comme vous l’avez vu, parmi les sujets qui seront abordés dans le cadre du Ségur de la santé. Il est effectivement question d’assurer une bonne articulation entre l’hôpital, la médecine de ville et ce secteur médico-social. La question des revalorisations salariales et des perspectives de carrière sera donc mise sur la table.
De même, la prise en charge de la dépendance est une des grandes, et belles, réformes qui sont devant nous. Je ne doute pas que la problématique des services à domicile pourra, dans ce cadre également, être débattue. Ce sera le cas, notamment, dans cet hémicycle.
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.
Mme Agnès Canayer. Je me permets d’insister sur le fait que la question de la prime ne doit pas cacher celle d’une revalorisation plus générale de ces professions. En Seine-Maritime, 30 000 personnes ayant besoin d’aide à domicile profitent de ces services. Ces salariés sont vraiment un maillon essentiel de la chaîne de solidarité.
C’est pourquoi il faut ne pas renvoyer la responsabilité sur les seules collectivités ; il faut les accompagner pour qu’elles puissent mettre en place une véritable politique de soutien à ces professions.
application de l’article L. 231-9 du code de la sécurité sociale aux enseignants
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, auteur de la question n° 1169, transmise à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Philippe Bonnecarrère. Je souhaite vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur les moyens de faciliter l’exercice des mandats électifs – un sujet d’actualité ! Il peut s’agir de mandats électifs exercés au sein de collectivités locales, mais aussi de mandats dans d’autres domaines : je pense au droit du travail, avec tout ce qui relève des conseils de prud’hommes, ou aux matières sociales, avec la représentation dans les conseils d’administration des caisses d’assurance maladie ou des caisses d’allocations familiales.
La règle actuelle veut que tous les salariés soient placés dans les mêmes conditions et que tous les employeurs aient vocation à faciliter l’exercice de ces mandats. Or le ministère de l’éducation nationale, ou du moins celle de ses directions centrales qui est concernée, a adopté une position différente. Il y a donc clairement une harmonisation à trouver avec le ministère de la santé, qui, lui, a normalement la tutelle des organismes à vocation sociale.
Très concrètement, sous l’angle du ministère de la santé, l’article L. 231-9 du code de la sécurité sociale impose aux employeurs de « laisser aux salariés de leur entreprise, membres d’un conseil ou d’un conseil d’administration d’un organisme de sécurité sociale, le temps nécessaire pour se rendre et participer aux séances […] ». Sans vouloir à l’excès jouer les savants, j’ajoute qu’un arrêt du Conseil d’État de 1994 a porté extension de cette disposition à tous les agents de droit public.
À l’instant présent, nous rencontrons une difficulté pour les maîtres de l’enseignement privé, auxquels le ministère de l’éducation nationale n’accorde pas les dérogations correspondantes. De ce fait, ils ne sont pas en mesure d’assurer la présidence d’une caisse primaire d’assurance maladie ou d’une caisse d’allocations familiales. Le motif invoqué est celui d’une absence de dispositions réglementaires, ce qui est tout de même assez curieux alors que la base législative existe.
Je souhaite donc avoir confirmation, de votre part, que le ministère de l’éducation nationale voudra bien respecter les dispositions de notre code de la sécurité sociale.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Je vais répondre très précisément à votre question, monsieur le sénateur Philippe Bonnecarrère, mais permettez-moi auparavant de revenir sur le cadre, en dépit de votre exposé on ne peut plus clair.
Comme vous l’avez mentionné, malgré le rappel du dispositif légal en vigueur par la direction de la sécurité sociale, certains employeurs relevant du champ de compétences du ministère de l’éducation nationale continuent de refuser, en pratique, de fournir des autorisations d’absence avec maintien du traitement pour des participations à divers conseils – conseils d’administration, commissions ou représentations liées aux fonctions d’administrateur –, notamment dans le cadre d’organismes de sécurité sociale.
Les conseils de ces organismes de sécurité sociale ont pour mission principale de régler les affaires de chacun d’entre eux. À ce titre, la désignation de leurs membres et leur fonctionnement sont régis par les dispositions législatives du code de la sécurité sociale, notamment par ses articles L. 231-1 et suivants.
Effectivement, le premier alinéa de l’article L. 231-9 de ce même code dispose très explicitement que « les employeurs sont tenus de laisser aux salariés de leur entreprise, membres d’un conseil ou d’un conseil d’administration d’un organisme de sécurité sociale, le temps nécessaire pour se rendre et participer aux séances […] ».
Cette disposition législative a vocation à s’appliquer tant aux salariés de droit privé qu’aux agents de droit public, conformément à une jurisprudence du Conseil d’État, que vous avez rappelée, datant de 1994. Celle-ci précise que ladite disposition « a pour objet et pour effet de créer au profit de tous les membres des conseils d’administration des organismes de sécurité sociale le droit de bénéficier des autorisations d’absence nécessaires à l’accomplissement de leur mandat, que ces membres soient des salariés de droit privé ou des agents publics ».
L’application aux enseignants de l’éducation nationale, indépendamment de leur statut, s’impose donc.
Un autre article du code de la sécurité sociale spécifie par ailleurs que, en contrepartie, les organismes de sécurité sociale « remboursent également aux employeurs des membres du conseil ou administrateurs salariés les salaires maintenus pour leur permettre d’exercer leurs fonctions pendant le temps de travail […] ». L’éducation nationale peut évidemment prétendre à cette compensation monétaire.
L’ensemble de ce dispositif, qui garantit à chacun la possibilité de participer aux instances de la sécurité sociale, est d’application directe. Mon collègue Jean-Michel Blanquer m’a fait savoir, à l’occasion de votre question, qu’il rappellera, à la fois aux académies et aux établissements d’enseignement, publics et privés, les dispositions législatives, la jurisprudence applicable, ainsi que les enjeux d’une libre participation des assurés à l’administration des organismes de sécurité sociale.
insuffisance de places au sein des instituts médico-éducatifs de l’ain
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, auteur de la question n° 930, transmise à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées.
M. Patrick Chaize. Malgré l’avancée sur un plan législatif des droits pour les enfants en situation de handicap, les familles et associations de parents se heurtent à une réalité complexe, face à l’insuffisante capacité d’accueil des instituts médico-éducatifs (IME).
L’accueil en IME conjugue l’accompagnement éducatif nécessaire avec la prise en compte du handicap. Or, depuis quelques années, ces instituts sont confrontés à un important manque de places. De cette carence découlent de nombreux problèmes pour les familles concernées.
Avec 11 IME et 1 institut d’éducation motrice (IEM), le département de l’Ain dispose de 590 places autorisées, soit un taux d’équipement départemental de 3,37 contre 4,69 au niveau régional et 5,11 au niveau national. Il faudrait 100 places supplémentaires en IME pour atteindre, seulement, le taux régional !
Si des actions ont été engagées dans le cadre du schéma régional de santé de la région Auvergne-Rhône-Alpes afin de combler ce déficit de places, elles restent néanmoins insuffisantes au vu des nombreux besoins. Comment imaginer qu’un enfant, pour qui l’accompagnement spécifique proposé par les IME est reconnu nécessaire, se retrouve sans autre alternative que d’intégrer un établissement scolaire classique qui lui est absolument inadapté, malgré les dispositifs d’aide en place ?
Face à cet enjeu de santé publique et dans le contexte de nécessaire réforme de notre système de santé, à la suite des constats tirés de la crise sanitaire que nous connaissons, il s’avère indispensable d’augmenter la capacité d’accueil des IME, sur le court et le long terme, dans les départements souffrant d’un fort déficit de places, comme c’est le cas de l’Ain.
C’est pourquoi, madame la secrétaire d’État, je me permets de vous interroger sur les intentions du Gouvernement à ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Votre question, monsieur le sénateur, me permet d’indiquer que nous continuons de créer des solutions en instituts médico-éducatifs – je préfère parler de « solutions », plutôt que de « places », car les réponses à apporter peuvent être très variées selon les besoins des enfants. Nous investissons également pour mieux scolariser les enfants au sein de l’éducation nationale et organiser la coopération, indispensable pour la réussite de la scolarisation, entre cette dernière et le secteur médico-social.
Concernant la situation spécifique du département de l’Ain, sur laquelle vous m’interrogez, l’offre médico-sociale pour les enfants en situation de handicap se compose en effet de 540 places dans les IME, de 407 places dans les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP), de 36 places dans les IEM et de 553 places dans les services d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad).
L’agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes bénéficie de financements complémentaires pour faire progresser cette offre en regard des choix et des projets des familles. Il s’agit d’un budget, à l’échelle régionale, de plus de 10 millions d’euros pour les années 2019 et 2020.
Afin d’incarner et de mettre en œuvre la priorité que nous accordons à ce domaine, le Président de la République a par ailleurs exprimé une ambition forte lors de la Conférence nationale du handicap du 11 février dernier, visant l’inconditionnalité de l’accompagnement et le respect de la diversité des choix de vie.
Pour concrétiser cette ambition, nous projetons de constituer des communautés territoriales d’accompagnement des personnes handicapées, dans le cadre d’un projet dit « 360 ». L’un des axes d’intervention de ces communautés est, justement, de traiter les situations critiques, complexes, dans lesquelles aucune solution n’a été trouvée en réponse aux difficultés rencontrées au quotidien.
L’offre de places sur le territoire, dont pourra bénéficier le département de l’Ain, constitue naturellement un des volets qui viendront en soutien de cette politique, dans le respect de l’ensemble des choix de vie et besoins de scolarisation des enfants en situation de handicap.
Telles sont, monsieur le sénateur, les précisions que je tenais à vous apporter.
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.
M. Patrick Chaize. J’entends bien les engagements pris par le Gouvernement, madame la secrétaire d’État. Mais les faits sont là ! J’évoque un écart, une situation relativement aux autres départements…
Effectivement, il n’y a pas que les IME, et c’est tant mieux, car ils ne sont pas forcément adaptés à tous les enfants ! Mais, pour avoir rencontré les responsables de ces établissements, je peux vous confirmer que le manque est criant. Peut-être est-il important de rétablir l’équilibre entre les départements en déficit et les autres. C’est à ce titre que je vous demande de porter vraiment une attention particulière au département de l’Ain.
accueil et accompagnement des enfants handicapés
M. le président. La parole est à Mme Christine Herzog, auteure de la question n° 1182, transmise à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées.
Mme Christine Herzog. Ma question est la même que celle de mon collègue Patrick Chaize, mais concernant un autre département.
J’appelle votre attention, madame la secrétaire d’État, sur l’accueil et l’accompagnement des enfants handicapés.
Bien avant la crise sanitaire que nous traversons actuellement et le confinement, la scolarisation de ces enfants était un réel problème, en outre récurrent puisqu’il se répète, malheureusement, à chaque rentrée scolaire.
En Moselle, les demandes d’accompagnement pour les élèves en situation de handicap affluent, mais les moyens ne suivent pas. Les nombreux échanges que j’ai pu avoir avec les parents aboutissent au même constat : qu’il s’agisse d’obtenir une place dans un établissement spécialisé ou d’obtenir l’aide d’accompagnants, ils se heurtent à des listes d’attente, qui les laissent totalement démunis et isolés.
Le déploiement des maisons départementales des personnes handicapées, chargées du traitement des dossiers et de l’affectation des enfants, reste insuffisant pour répondre à l’ensemble des demandes. De plus, la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance prévoyait le recrutement d’accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). L’objectif n’a pas été rempli, faute de moyens financiers suffisants.
Le Président de la République a lui-même reconnu la gravité de cette situation, lors de la cinquième Conférence nationale du handicap, qui s’est déroulée le 11 février dernier. À cette occasion, il s’est engagé à ce qu’aucun enfant ne soit sans solution de scolarisation à la rentrée de septembre 2020. Il avait également annoncé le recrutement de 11 500 accompagnants des élèves en situation de handicap supplémentaires d’ici à 2022.
Par conséquent, madame la secrétaire d’État, quelles sont les mesures envisagées pour la prochaine rentrée de septembre 2020 ? Où en est le recrutement des 11 500 AESH ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Vous avez raison, madame la sénatrice, garantir une scolarisation de qualité pour tous les élèves en situation de handicap nécessite une transformation profonde du système éducatif et de l’offre médico-sociale, comme de leur évidente coopération, dont nous avons besoin. C’est ce à quoi le Gouvernement s’est engagé.
Les difficultés de scolarisation des élèves en situation de handicap que vous évoquez ne s’expliquent pas seulement par la problématique des accompagnants ou du manque de places.
L’accompagnement s’organise ainsi grâce à l’engagement permanent des établissements scolaires à s’adapter aux besoins éducatifs – c’est tout l’enjeu de la loi de 2005 : adaptation de l’environnement aux spécificités des personnes handicapées, en particulier des élèves en situation de handicap –, avec l’appui indispensable du secteur médico-social. C’est cette coopération, cette « ouverture » des murs de l’école aux spécialistes du handicap qui peut rendre la réussite possible.
La loi pour une école de la confiance, que vous avez citée, fait entrer le service public de l’école inclusive dans le code de l’éducation. Je mentionnerai la création d’un service dédié dans chaque département, doté d’une cellule de réponse aux familles, et l’accélération du déploiement des unités localisées d’inclusion scolaire (ULIS), ainsi que des unités d’enseignement externalisé, maternelles ou élémentaires, notamment pour les enfants autistes.
Aujourd’hui, plus de la moitié des 360 000 élèves en situation de handicap scolarisés bénéficient de l’intervention de 100 000 accompagnants. En 2019, 125 millions d’euros supplémentaires ont été consacrés à leur recrutement et 84 % des accompagnants bénéficient désormais d’un contrat de trois ans ou d’un contrat à durée indéterminée. Plus aucun ne travaille sous un dispositif de contrat aidé.
Leurs actions pour accompagner sans délai les élèves en situation de handicap seront amplifiées à la rentrée de 2020, conformément à l’engagement du Président de la République et du ministre de l’éducation nationale. Cet effort s’inscrit dans le prolongement d’une ambition forte, celle d’une école inclusive donnant sa juste place à chaque élève en situation de handicap, à la hauteur de ses besoins d’accompagnement.
M. le président. La parole est à Mme Christine Herzog, pour la réplique.
Mme Christine Herzog. Merci de votre réponse madame la secrétaire d’État. La fermeture des écoles et le confinement ayant accentué les problèmes de scolarisation de ces enfants, il est urgent et impératif que des solutions soient enfin apportées, et ce dès le mois de septembre prochain.
prise en charge des enfants handicapés français résidant à l’étranger
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi, auteur de la question n° 1176, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées.
Mme Jacky Deromedi. Lors de la Conférence nationale du handicap, le 11 février dernier, le Président de la République a pris plusieurs engagements : qu’il n’y ait plus aucun enfant sans solution de scolarisation au mois de septembre prochain, qu’un forfait diagnostic autisme et troubles « dys » soit mis en place pour les 0 à 12 ans ; que tous les enfants disposent d’une solution, dès la rentrée prochaine, pour les accompagnants d’élèves en situation de handicap ; que les créations de structures adaptées en France soient suffisantes pour faire disparaître, d’ici à la fin de 2021, les départs contraints vers la Belgique.
Pouvez-vous nous dire, madame la secrétaire d’État, où vous en êtes sur tous ces points ?
Par ailleurs, je n’ai pas entendu un mot pour les enfants français en situation de handicap ou « dys » qui résident à l’étranger. Ils n’ont pas les mêmes droits que ceux qui vivent en France ou outre-mer !
En effet, les familles qui en ont les moyens constituent des équipes de spécialistes autour de leurs enfants, afin qu’ils aient une chance de progresser et, parfois, de pouvoir à nouveau intégrer un cycle dit normal. Cet accompagnement de tous les instants est épuisant, physiquement, moralement et financièrement.
Lorsqu’elles ne le peuvent pas financièrement, les familles doivent rentrer en France, avec toutes les conséquences que cela implique au niveau de la scolarité des autres enfants et de la situation professionnelle des parents, et sans certitude d’obtenir une place pour l’enfant.
Une autre solution est le déménagement en Belgique, où elles sont pratiquement certaines de trouver une place et de voir leur enfant correctement pris en charge. Toutefois, le problème familial reste le même pour ce qui est des conséquences sur les autres enfants et sur la situation professionnelle.
Une autre possibilité, encore, est d’accepter d’envoyer l’enfant dans un pensionnat spécialisé en Belgique, loin de la famille. Ce scénario a de très nombreuses conséquences, tant pour l’enfant – à son handicap s’ajoute une rupture émotionnelle fort préjudiciable à son comportement – que pour la famille, avec un risque d’éclatement.
Madame la secrétaire d’État, quelles mesures concrètes peuvent être mises en œuvre pour aider ces familles et faire en sorte que tout enfant en situation de handicap ou « dys » soit accompagné et pris en charge, qu’il réside en France ou à l’étranger.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Vos préoccupations sont les nôtres, madame la sénatrice, et notre détermination est totale ! Elle s’inscrit dans le cadre des objectifs posés par le Président de la République, voilà quelques mois, lors de la Conférence nationale du handicap du 11 février 2020. Ce dernier a appelé à la responsabilité de tous, pour une société qui s’adapte, qui ne laisse plus des personnes et leurs aidants, comme vous le dites très justement, seuls face à des difficultés parfois immenses, avec, pour conséquence, des départs non choisis vers l’étranger.
Concrètement, nous agissons pour créer de nouvelles solutions, permettant de répondre à tous les besoins des familles, y compris dans les situations les plus complexes ou les difficultés les plus sévères. Des financements sont dégagés en 2020, notamment pour prévenir les départs non choisis en Belgique – je parle bien de départs subis –, innover en matière de logement inclusif pour les adultes, mais aussi les jeunes adultes, ou encore permettre le développement de petites unités autisme, avec intervention croisée entre santé et médico-social.
Cet investissement en France sera conjugué avec une action pour mieux réguler la qualité et les financements des établissements belges, car, sur ce sujet aussi, nous avons un devoir de qualité. Un travail de conventionnement sera engagé en ce sens pour les structures accompagnant les adultes français, comme c’est déjà le cas pour les enfants.
Ce que la Conférence nationale du handicap a apporté, c’est aussi un projet pour l’accompagnement inconditionnel de toutes les personnes en situation de handicap, précisément afin de prévenir les risques d’errance ou de rupture rencontrés par certaines d’entre elles ou leurs familles. Cela paraît évident, mais, en fait, notre système n’est aujourd’hui pas structuré pour répondre à cette exigence d’accompagnement.
Nous poserons des leviers concrets, avec un numéro unique pour toutes les personnes en grande difficulté afin de lutter contre ce risque d’errance et la mise en place, dans les territoires, de communautés d’acteurs en charge, ensemble, de les accompagner. Nous réussirons si État, collectivités et acteurs de l’accompagnement unissent leurs forces.
La crise a suscité spontanément ces coopérations, si essentielles. Nous sommes en train de soutenir leur action ; elles sont des laboratoires pour construire l’avenir, avec les associations, dont je tiens ici à saluer l’engagement, et avec nos partenaires locaux.
Soyez certaine de ma détermination, madame la sénatrice ! Je remercie vraiment tous ceux qui sont les acteurs de sa concrétisation. Pendant la crise, ils ont rendu tout cela possible !
Je précise enfin que, dans le cadre de la sortie de crise et de la reprise de la scolarisation, les enfants en situation de handicap sont prioritaires pour l’accès à l’école.
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi, pour la réplique.
Mme Jacky Deromedi. Merci, madame la secrétaire d’État. J’ai conscience des efforts réalisés, mais je voudrais que plus soit fait pour les enfants qui résident à l’étranger. Je sais que ce n’est pas facile, que priorité est donnée à la situation en France – c’est un peu normal –, mais, tout de même, les enfants à l’étranger ont aussi de nombreux besoins et certaines familles n’ont pas les moyens de supporter les coûts. Il ne faut pas les punir doublement !
moyen de paiement des demandeurs d’asile
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, auteur de la question n° 1020, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
Mme Patricia Schillinger. J’attire l’attention de M. le ministre de l’intérieur sur la modification du moyen de paiement des demandeurs d’asile et ses conséquences sur la couverture de leurs besoins de base.
Depuis le 5 novembre 2019, la carte ADA, qui permet aux demandeurs d’asile de bénéficier de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), est devenue une simple carte de paiement sans possibilité de retrait d’argent liquide ni d’achat en ligne.
Selon différentes associations, cette nouvelle carte est totalement inadaptée à la situation des demandeurs d’asile. Privés de liquidités, ils verraient se multiplier de nombreux obstacles, et ce plus particulièrement en zone rurale, comme à Ferrette, dans le département du Haut-Rhin.
En effet, il n’est pas toujours aisé de trouver des commerces où il est possible de régler par carte bancaire, ou sinon seulement au-delà de montants incompatibles avec les faibles ressources dont disposent les demandeurs d’asile.
De nombreux commerces de proximité tels que les boulangeries, La Poste, les transports, mais aussi les cantines scolaires leur sont ainsi rendus inaccessibles.
Leur accès au réseau solidaire et d’entraide est également fragilisé, puisque ces acteurs ne sont généralement pas équipés de terminaux de paiement électronique.
Le mécanisme du cashback, censé pallier le défaut d’accès à des liquidités, semble, lui, ne pas fonctionner, et, quand il fonctionne, il produirait des effets stigmatisants.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme considère que le fait de ne pas permettre aux demandeurs d’asile de disposer librement des ressources qui leur sont allouées porte atteinte à leur dignité. Elle rappelle que l’État doit leur assurer un niveau de vie digne qui garantisse leur subsistance et protège leur santé physique et mentale.
En conséquence, quelles mesures envisagez-vous pour permettre aux demandeurs d’asile de disposer d’un minimum de liquidités et préserver ainsi les solidarités fragiles durement construites au sein des territoires ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, la mise en place d’une carte de paiement permet, en limitant la circulation d’argent liquide, d’éviter que l’allocation pour demandeur d’asile serve à d’autres fins que celles d’assurer des conditions de vie décentes aux demandeurs d’asile. C’était bien l’objet de cette carte de paiement lorsqu’elle a été mise en place.
D’ailleurs, avant sa généralisation au territoire métropolitain, cette mesure a fait l’objet d’une expérimentation durant plusieurs mois en Guyane. Aucune difficulté majeure n’a été relevée. Les retours, en particulier ceux des acteurs économiques, ont été positifs et ont montré que la mise en place d’une carte de paiement en lieu et place d’une carte de retrait ne dégradait en rien les conditions de vie des demandeurs d’asile.
Dans le cas de Ferrette, la localité que vous évoquez, je tiens à vous informer que le gestionnaire des deux structures d’hébergement pour demandeur d’asile implantées localement s’est engagé à équiper ses résidences de terminaux de paiement, les fameux TPE.
En outre, un aménagement important du dispositif a été consenti avec le déplafonnement total du nombre de transactions autorisées. De la sorte, quel que soit le montant de leur transaction, les demandeurs d’asile peuvent continuer à acheter leurs produits de première nécessité dans les supermarchés et les commerces dotés de TPE.
Le bilan réalisé par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a d’ailleurs confirmé la possibilité pour les demandeurs d’asile de procéder à de petits achats avec une carte 100 % paiement, 44 % des transactions ayant ainsi porté sur un montant inférieur à 10 euros en novembre 2019.
De la même manière, alors que les associations craignaient que les demandeurs d’asile hébergés dans des zones rurales moins bien pourvues en commerces ne puissent disposer librement de leur allocation, il ressort de ce bilan que la carte de paiement a été largement utilisée sur l’ensemble du territoire métropolitain, selon une répartition régionale correspondant à celle des allocataires.
La mise en œuvre de cette mesure continuera de faire l’objet d’un suivi attentif par mes services – je puis vous rassurer, madame la sénatrice –, en lien évidemment avec les associations accompagnant les demandeurs d’asile.
Nous veillerons, le cas échéant, à adapter le dispositif de façon à résoudre les difficultés concrètes qui seraient avérées.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour la réplique.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie.
Ferrette est une petite commune rurale qui accueille quand même plus d’une centaine de demandeurs d’asile. Il est donc important qu’on les suive, et je reviendrai vers vous à ce sujet. Après le Covid-19, on ne sait pas vraiment quels commerces de proximité seront encore présents sur ce territoire. En outre, pour les associations, il s’agit de faciliter l’encadrement des demandeurs d’asile.
nécessaire connaissance du nombre d’habitants par commune
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, auteur de la question n° 1186, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
M. Olivier Paccaud. À l’heure des technologies connectées toujours plus précises, n’est-il pas cocasse que quasiment aucune commune de France ne soit en mesure de connaître le chiffre exact de ses habitants ? Pourquoi ? Parce que se déclarer à la mairie ou notifier son déménagement n’est pas obligatoire en France, contrairement à de nombreux pays.
Pourtant, la population française s’avère de plus en plus mobile. Ainsi, plus de 10 % de nos compatriotes changent de lieu de résidence chaque année.
Outre que c’est une élémentaire pratique de courtoisie et de savoir-vivre, rendre obligatoire le signalement par les habitants de leur arrivée et de leur départ permettrait aux communes de disposer d’une vision juste de leur population afin d’améliorer le fonctionnement et l’évolution de leurs services publics vis-à-vis des aînés, pour les politiques scolaire, périscolaire et d’accueil de la petite enfance, et de n’oublier personne dans les dispositifs qu’elles mettent en place.
Par ailleurs, la pratique du recensement ne serait plus nécessaire et les dotations de l’État au budget des communes seraient davantage en lien avec une réalité plus juste et actualisée de la population.
Cette déclaration, réclamée par de très nombreux élus locaux, et qui s’avérerait précieuse, monsieur le secrétaire d’État, en matière de lutte contre le terrorisme, pourrait être dématérialisée et commune à l’ensemble des membres d’une même famille.
La mairie en accuserait alors réception et pourrait, si besoin, vérifier les déclarations. Un récépissé constituant certificat de domiciliation et valable jusqu’à l’éventuel départ de la commune serait fourni aux nouveaux habitants. Ce document ferait office de justificatif de domicile, nécessaire pour l’accomplissement de toute formalité administrative.
Un amendement que j’avais déposé sur le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, adopté par le Sénat le 5 mars dernier, instaure ce certificat de domiciliation.
La récente distribution de masques dans de très nombreuses communes de France a démontré, s’il en était encore besoin, que la connaissance précise du nombre d’habitants d’un logement pouvait être utile.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, voici ma question : le Gouvernement va-t-il soutenir cette proposition simple et de bon sens lorsqu’elle sera examinée à l’Assemblée nationale ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la mise en place d’un nouveau dispositif visant à contraindre l’ensemble de nos concitoyens à se déclarer en mairie, proposition qui a fait l’objet, comme vous le soulignez, d’un débat ici même lors de l’examen du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique.
À cette occasion, le Gouvernement avait fait part de ses très fortes réserves, et ce pour plusieurs raisons que je vais rappeler, monsieur le sénateur.
En premier lieu, l’exécutif s’est engagé à lutter contre l’inflation législative, notamment à l’égard des collectivités territoriales, et à poursuivre une démarche de simplification et d’allégement des normes et des procédures. Or la mise en place d’une obligation de déclaration de domiciliation en mairie créerait des contraintes et des charges nouvelles pour les communes qui paraissent peu justifiées.
En deuxième lieu, la création d’une obligation de déclaration du domicile se traduirait par la constitution d’un traitement de données à caractère personnel et appellerait par conséquent une attention particulière au regard des exigences constitutionnelles relatives à la protection des libertés publiques.
En effet, le cadre juridique national et européen applicable aux traitements de données à caractère personnel précise que les données sont collectées pour des finalités qui doivent être déterminées, explicites et légitimes. Il en résulte qu’un tel fichier devrait avoir des finalités limitées et conformes à ce cadre juridique et ne pourrait être justifié par son existence même.
En troisième lieu, vous présentez cette obligation de déclaration comme un outil permettant d’effectuer un recensement de la population française. Or le recensement effectué par l’Insee est déjà pleinement satisfaisant (M. Olivier Paccaud fait un signe de dénégation.) : les données qu’il établit permettent aux communes de disposer d’éléments chiffrés sous forme anonyme afin d’évaluer les caractéristiques de leur population et de gérer en conséquence les services publics locaux, y compris en période de crise sanitaire.
Pour l’ensemble de ces motifs, monsieur le sénateur, le Gouvernement reste défavorable à ce dispositif.
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour la réplique.
M. Olivier Paccaud. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien entendu votre réponse, qui est dans la lignée de ce que votre collègue a dit au mois de mars. Simplement, c’est une demande des élus locaux, c’est une demande des élus des petites communes ! Par ailleurs, vous me parlez de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), mais vous avez quand même souligné, comme moi, que ce dispositif existait dans de nombreux autres pays d’Europe. Ce qui est valable dans d’autres pays – sans jamais avoir été considéré comme contraire à la réglementation européenne – pourrait très bien l’être aussi en France !
J’y insiste une dernière fois : il s’agit d’une demande des élus locaux.
avenir du fonds européen d’aide aux plus démunis
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, auteur de la question n° 1192, adressée à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Didier Marie. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères et porte sur l’avenir du Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD), qui inquiète l’ensemble des associations d’aide de mon département intervenant en faveur des publics précarisés.
Depuis 2014, l’Union européenne soutient l’aide alimentaire au moyen de ce Fonds européen d’aide aux plus démunis. En fournissant une aide alimentaire et matérielle à 16 millions de personnes en Europe, ce fonds constitue le principal outil européen de lutte contre la pauvreté. Il finance, en France, un tiers des repas distribués.
Or, dans le contexte des négociations du nouveau cadre budgétaire européen pour la période 2021-2027, il apparaît que les moyens dévolus à l’aide alimentaire européenne vont être largement diminués à partir de 2021.
Ce fonds, qui était doté d’un budget de 3,8 milliards d’euros pour la période 2014-2020, devrait en effet fusionner avec le fonds social européen FSE+, fonds dans lequel le budget de l’aide alimentaire se chiffrerait entre 2 et 3 milliards d’euros pour sept ans.
Si un tel scénario était confirmé, l’aide alimentaire européenne subirait une baisse drastique de ses moyens.
Cette aide représente pourtant un socle incontournable pour lutter contre la pauvreté et ses conséquences, en ce qu’elle permet, en plus de mettre à disposition des denrées alimentaires, que se développent autour d’elle d’autres mesures d’accompagnement allant de l’aide à la recherche d’emploi à l’accès à l’éducation, à la culture et aux loisirs.
Il s’agit de la réponse irremplaçable, car parfois unique, à l’urgence que vivent des millions de personnes en France et dans toute l’Europe.
Le contexte actuel rend d’autant plus impératif le maintien de ces moyens pour permettre aux associations de poursuivre leurs activités de soutien aux populations pauvres et précaires.
La crise économique et sociale qui se profile, conséquence de la crise sanitaire mondiale, ne manquera pas d’aggraver la pauvreté et la précarité, privant des millions de personnes, en France et ailleurs, d’un accès à une alimentation suffisante.
Comment le Gouvernement prévoit-il d’agir pour faire de l’aide alimentaire un pilier du FSE+, avec un budget dédié et renforcé, et ainsi lui permettre de continuer à répondre aux besoins immédiats de ces populations ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, dans les circonstances de crise que nous vivons en ce moment, soyez assuré que la protection de nos concitoyens les plus vulnérables est évidemment un volet essentiel de l’action nationale et européenne du Gouvernement pour répondre à l’urgence de la crise.
À cet égard, la France a apporté tout son soutien à l’initiative d’investissement en réaction au coronavirus, le Coronavirus Response Investment Initiative Plus (CRII+), portée par la Commission européenne, qui a permis de simplifier le recours au FEAD en cette période difficile.
Comme vous l’avez indiqué, la négociation du budget européen pour la période 2021-2027 se poursuit. La Commission européenne a proposé le regroupement de différents instruments financiers à vocation sociale, dont le FEAD, dans un nouveau fonds, le FSE+, lequel serait globalement doté de 120 milliards d’euros sur la période.
Lors des prochaines étapes de la négociation, le Président de la République portera avec force la voix de l’Europe sociale, au travers notamment du financement de l’aide alimentaire.
Ainsi, soyez assuré que la France est résolue et combative quant au maintien des enveloppes consacrées à l’aide aux plus démunis au sein du budget européen.
Au niveau national, et sous l’égide de ma collègue secrétaire d’État, Christelle Dubos, un travail de consultation avec les associations du secteur a été entamé en décembre 2019, sur la base des recommandations formulées par l’inspection générale des affaires sociales.
En tout état de cause, les moyens consacrés à l’aide alimentaire seront préservés par rapport à la période actuelle ; c’est un engagement du Gouvernement.
Par ailleurs, comme le Président de la République a eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises, la France persistera dans son choix politique d’utiliser ces enveloppes pour financer des achats de denrées.
Soyez assuré de l’attachement sincère de l’exécutif au modèle français de l’aide alimentaire, qu’il ne s’agit aucunement de remettre en cause, mais au contraire de conforter et de pérenniser, d’autant plus dans le contexte d’épidémie que nous connaissons.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour la réplique.
M. Didier Marie. Merci, monsieur le secrétaire d’État, de votre réponse. Je souligne que les bénévoles de mon département, comme ceux des autres départements français, que ce soient ceux du Secours populaire, du Secours catholique, de la Banque alimentaire, des Restos du cœur, pour ne citer qu’eux, attendent le soutien du Gouvernement pour venir en aide à nos concitoyens les plus démunis.
J’espère que nous passerons des paroles aux actes et que les moyens seront effectivement au rendez-vous.
désignation d’un délégué interministériel aux enjeux transfrontaliers
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, auteure de la question n° 1156, transmise à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Mme Véronique Guillotin. La France métropolitaine a des frontières avec huit pays. De très nombreux Français sont donc concernés les problématiques de la transfrontalité, au premier rang desquels les 360 000 travailleurs frontaliers, notamment en matière d’aménagement du territoire, de mobilité, bien évidemment, mais également de santé et aussi de développement économique, en particulier dans le cas de frontières communes avec des pays particulièrement attractifs, comme le Luxembourg.
La région Grand Est en est un parfait exemple, avec la proximité de la Suisse, de l’Allemagne, de la Belgique et du Luxembourg. Des espaces de discussion, d’échanges, d’innovation, de réalisations y ont vu le jour, tels que les fameux groupements européens de coopération territoriale (GECT), l’établissement public d’aménagement Alzette-Belval, unique en son genre, les eurodistricts, ou encore des plateformes numériques comme Frontaliers Grand-Est ou le Centre européen de la consommation.
L’État et les élus locaux ont créé et font vivre ces structures afin de mener, à l’échelle des territoires, des projets communs et durables au service de la facilitation de la vie quotidienne des frontaliers.
Ces dispositifs sont agiles et mériteraient d’être davantage encouragés par l’État.
Les idées et les bonnes volontés ne manquent pas, monsieur le secrétaire d’État, mais des difficultés persistent. Lorsque nous échangeons avec nos voisins sur les questions transfrontalières, nous échangeons principalement avec des gouvernements sur des politiques de codéveloppement dont les sujets relèvent pour beaucoup de l’État. Le sujet de la santé est particulièrement intéressant en la matière.
C’est pourquoi nous manquons cruellement d’un interlocuteur national, d’une personne en capacité de négocier d’égal à égal avec les États voisins, de faire travailler ensemble les diverses administrations, de piloter les relations entre le Quai d’Orsay, les divers ministères, les actions de l’État sur les territoires et les collectivités.
Les élus et les acteurs locaux qui font vivre depuis des décennies ce dialogue transfrontalier sont en attente d’un engagement fort de l’État, car, malgré une vraie volonté de coconstruction, ces relations peuvent être particulièrement déséquilibrées quand, de notre côté de la frontière, un territoire fragile à la gouvernance morcelée doit négocier avec un État voisin économiquement surpuissant.
Pour toutes ces raisons, j’aimerais savoir si le Gouvernement envisage la création d’un poste de délégué interministériel aux questions transfrontalières.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères conduit depuis plusieurs années une stratégie par frontière qui vise, vous l’avez rappelé, à encourager la coopération transfrontalière sous l’égide d’un ambassadeur pour les commissions intergouvernementales, la coopération et les questions transfrontalières.
Cette coopération transfrontalière est une dimension de plus en plus importante de la construction européenne ; elle est aussi une condition de bon fonctionnement du Marché unique.
Ainsi, la stratégie par frontière, en ce qui concerne l’Allemagne, est définie aujourd’hui par le traité d’Aix-la-Chapelle, dont la coopération frontalière est l’un des plus importants chapitres.
Nous examinons actuellement la possibilité de conclure un traité similaire avec nos amis italiens, mais nous avons d’autres projets concernant nos autres voisins, avec lesquels nous nous proposons de définir d’un commun accord, et en fonction des spécificités de chaque cas, les orientations et les organes d’une coopération frontalière renforcée et mutuellement avantageuse, en phase avec les directives et les recommandations de l’Union européenne.
Ces orientations diplomatiques doivent naturellement pouvoir s’appuyer sur une bonne coopération des efforts nationaux. C’est ce que nous faisons en étroite relation avec le préfet chargé des questions transfrontalières à l’Agence nationale de la cohésion des territoires, qui est, par nature, interministérielle.
La récente crise sanitaire en effet montré que la dimension frontalière de notre vie socioéconomique devait être pleinement intégrée dans certains des processus de décision nationale, car les interdépendances économiques et sociales qui existent désormais entre la France et ses voisins ne peuvent pas et ne doivent pas, en raison de leur ampleur, être ignorées. Nous l’avons par exemple constaté avec la question de la libre circulation des personnels français de santé employés chez nos voisins suisses et luxembourgeois.
Les conseillers diplomatiques auprès des préfets de région ont ainsi joué un rôle important, afin de coordonner au mieux les décisions mises en œuvre dans les pays frontaliers, décisions qui n’ont pas été sans incidence pour nos concitoyens concernés.
La crise liée au Covid-19 a clairement démontré que nul ne vit et ne peut vivre en vase clos ; nous devons donc réfléchir à la mise en place d’un suivi interministériel encore davantage coordonné et structuré sur ces questions essentielles pour l’avenir de l’Europe.
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour la réplique.
Mme Véronique Guillotin. Je vous remercie de cette réponse. Je ne sais pas si vous m’avez répondu précisément sur le délégué interministériel, mais une solide coordination d’État est vraiment importante pour les territoires fragiles – et je pense en particulier à ceux qui sont frontaliers du Luxembourg. Il faut vraiment que la France se positionne dans un dialogue d’État à État sur des sujets éminemment importants comme le développement économique et la santé.
situation des écoles d’architecture
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, auteure de la question n° 1172, adressée à M. le ministre de la culture.
Mme Sylvie Robert. Ces dernières années, l’enseignement de l’architecture a fait l’objet d’une attention particulière. Tour à tour, plusieurs rapports ont rappelé la nécessité de l’inscrire dans les dispositifs de l’enseignement supérieur et de la recherche et de lui affecter les ressources nécessaires à ses missions de formation initiale, mais aussi continue, de recherche et d’expertise.
Confortée par la stratégie nationale pour l’architecture et la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, cette ambition architecturale s’est traduite par une réforme du statut des écoles nationales supérieures d’architecture (ENSA) et du corps des enseignants-chercheurs, concrétisée par la publication de deux décrets en 2018.
Malheureusement, cette ambition se heurte de plein fouet à la faiblesse – pour ne pas dire à l’inexistence – des moyens budgétaires qui devraient lui être dévolus afin qu’elle puisse réellement prendre corps. Autrement dit, l’écart entre l’ambition théorique affichée et la réalité des budgets qui lui sont consacrés est très important.
Pour preuve, la dépense moyenne pour un étudiant d’une ENSA s’élève à 7 597 euros, soit un investissement inférieur de 35 % à l’investissement consenti pour un étudiant dans le supérieur.
De surcroît, les dotations par étudiant selon les ENSA sont très inégales, créant ainsi une rupture d’égalité manifeste entre les étudiants, sans justification aucune.
Aucun transfert humain et financier n’a non plus accompagné la réforme précitée, puisque plus de soixante postes administratifs sont restés vacants faute de publication sur la bourse de l’emploi public.
Il s’ensuit que les enseignants-chercheurs, accompagnés des agents administratifs volontaires, ont pallié cette défaillance, s’éloignant néanmoins de leurs tâches principales. Cet état de fait ne peut perdurer, vous l’imaginez, sous peine d’épuisement généralisé et de paralysie de l’ensemble des ENSA.
À l’instar d’autres établissements de l’enseignement supérieur, la situation patrimoniale s’avère aussi critique pour plusieurs écoles et un investissement massif se révèle donc impérieux pour mieux accueillir les étudiants et les enseignants.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, il est urgent de répondre aux besoins financiers et humains des ENSA, qui sont amenées – encore plus, je le crois – à jouer un rôle majeur dans la société de demain.
Par conséquent, quels moyens comptez-vous octroyer aux ENSA pour leur permettre d’accomplir pleinement et sereinement leurs missions, lesquelles, dans le contexte post crise sanitaire, vont s’avérer encore plus essentielles ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Franck Riester, ministre de la culture. Madame la sénatrice Robert, permettez-moi de faire un petit rappel au sujet de la réforme de 2018, aboutissement de plusieurs années de réflexion et de concertation sur les écoles d’architecture, qui tend à les rapprocher du modèle universitaire et s’inscrit dans la stratégie nationale pour l’architecture de 2015.
Dans la foulée, cinq décrets ont permis de mettre en œuvre cette réforme : une autonomie scientifique, pédagogique, administrative et financière des ENSA ; un ancrage territorial renforcé avec la présence des métropoles, des régions, des regroupements universitaires et de l’ordre des architectes dans les conseils d’administration ; l’institution auprès des collectivités territoriales d’une mission d’expertise des politiques publiques de l’architecture, du patrimoine, de l’urbanisme et des paysages ; la reconnaissance – vous y avez fait référence – du statut d’enseignant-chercheur ; l’adaptation des processus de recrutement des enseignants-chercheurs.
La question financière et humaine n’a pas été oubliée, même s’il reste évidemment des chantiers à conduire.
S’agissant d’abord de la question des moyens humains, les postes d’enseignant-chercheur ont été sanctuarisés et 65 postes ont été créés en lien avec le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Nous avons contribué à la déprécarisation des enseignants-chercheurs avec des transferts de postes de contractuel à titulaire, ce qui a permis un rattrapage à 66 % des titulaires.
Pour autant, et pour le dire clairement, je ne suis sourd ni à ce que vous dites, madame la sénatrice, ni aux inquiétudes et difficultés que m’ont relayées dans une lettre collective des directeurs et des présidents de conseil d’administration, lesquels ont été reçus par mes services et le seront pas moi-même prochainement.
Je leur ai annoncé la publication immédiate des postes administratifs vacants en complément de ceux qui ont déjà été publiés en 2019 ou ouverts au concours pour 2020, l’autorisation de recrutement de 149 enseignants-chercheurs en 2020 et le lancement d’une mission de l’inspection générale des affaires culturelles (IGAC) pour faire un bilan d’étape de la mise en œuvre de la réforme.
Alors, bien sûr, la question de l’immobilier est centrale et les besoins d’investissement dans le patrimoine immobilier de ces écoles d’architecture sont importants : on compte 195 000 mètres carrés vieillissants. Cela fait partie des projets sur lesquels nous travaillons.
Je voudrais conclure sur une vision prospective, car j’ai également annoncé dans mon courrier du 4 mars l’ouverture d’une réflexion sur l’avenir de la formation et de la recherche en architecture, en lien avec l’évolution de la profession d’architecte.
Vous le voyez, nous sommes totalement mobilisés sur cette question de l’enseignement supérieur d’architecture.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.
Mme Sylvie Robert. Je vous remercie beaucoup de ces réponses, monsieur le ministre. Vous savez comme moi qu’un certain nombre d’écoles étaient en grève avant la période de confinement. Vous avez annoncé des chantiers très importants qui, comme je l’indiquais dans ma question, s’avéreront l’être sûrement davantage encore, en particulier au regard des questions écologiques, pour lesquelles l’architecture a toute sa part.
Pour que les enseignants, mais aussi les étudiants, puissent faire une rentrée sereine en septembre prochain, le lancement de ces grands chantiers de réflexion est important, mais il est crucial que des moyens soient dégagés à cette fin dans le projet de loi de finances pour 2021.
Je compte sur vous, monsieur le ministre.
violences sexuelles dans les sports de montagne
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, auteur de la question n° 1173, adressée à Mme la ministre des sports.
M. Cyril Pellevat. Depuis quelques mois, le sport français est secoué par une accumulation inédite de révélations de cas de violences sexuelles et de viols.
À la fin de février 2020, madame la ministre, vous avez annoncé une série de mesures pour lutter contre ce fléau. Une cellule ministérielle dédiée à ce sujet a été créée et chargée de suivre les affaires qui sont signalées à vos services.
Pourtant, dans le cadre du groupe d’études sénatorial Développement économique de la montagne, que j’ai l’honneur de présider, il a été fait état du dysfonctionnement de cette plateforme. En effet, lors d’une audition consacrée aux violences sexuelles dans les sports de montagne, la personne auditionnée, pourtant impliquée dans la défense des victimes, nous a informés des difficultés à trouver le courriel ou le numéro de téléphone permettant de contacter cette cellule.
Aussi, pourriez-vous nous informer des modalités de saisine de cette cellule ?
Par ailleurs, pensez-vous que votre ministère a suffisamment communiqué sur son existence pour en faire un outil efficace de lutte contre les violences sexuelles ?
Enfin, n’aurait-il pas fallu créer une cellule ad hoc, indépendante des fédérations et du ministère, pour garantir sa pleine impartialité ? En effet, aucune enquête n’a été mise en œuvre, comme l’a relevé un article de Mediapart paru samedi, par la cellule créée concernant des allégations de violences sexistes à l’École nationale de ski et d’alpinisme (ENSA), pourtant sous tutelle du ministère des sports. Et si des enquêtes administratives ont été ouvertes, bien que tardivement, l’une est menée par l’ENSA elle-même, dont la gestion du dossier doit nous interroger, et la seconde, confiée à la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS), porte uniquement sur les conditions d’exercice des éducateurs mis en cause. Elle est donc incomplète, car elle ne vise pas à enquêter sur la gestion des alertes par l’école.
De nombreux témoignages existent et ont été portés à la connaissance de votre ministère. Je vous demande d’accorder une attention toute particulière aux victimes, qui vivent un véritable parcours du combattant, quand elles n’abandonnent pas avant le terme des procédures, découragées face à ce qu’elles considèrent comme une impunité.
Que comptez-vous faire, madame la ministre ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Monsieur le sénateur Pellevat, je souhaite tout d’abord vous remercier de votre question, qui vous honore. Elle interroge la capacité de la puissance publique, au niveau national comme au niveau local, à protéger nos enfants.
Cette question des violences faites aux enfants, nous nous la sommes beaucoup cachée collectivement. Depuis plus de dix-huit mois et mon arrivée au ministère, cette question des violences dans le sport, je ne l’ai pas évitée. La parole des victimes s’est libérée, et nous avons découvert des faits inacceptables.
Ces faits, je ne les accepte pas. Nous avons posé le sujet de manière ouverte et transparente comme jamais, nous l’avons fait en écoutant et en agissant. On m’a critiquée, comme si je me désolidarisais du mouvement sportif, dont je suis issue, comme s’il fallait défendre celui-ci comme un tout, d’un seul tenant.
Certes, mon rôle est de défendre le sport, car j’ai été sportive, j’ai été dirigeante bénévole et éducatrice sportive. Je connais les bienfaits du sport pour nos enfants en termes de santé et d’éducation. Le sport mérite d’être encore plus valorisé par notre société.
Je veux redire aux éducateurs et aux éducatrices qu’ils sont admirables, qu’on leur fait confiance. Néanmoins, face à ces crimes et à ces délits, j’ai pris mes responsabilités. J’ai réuni tout le mouvement sportif et mobilisé les associations spécialisées. Nous mettons désormais en place des dispositifs nouveaux, comme celui qui vise à contrôler l’honorabilité des bénévoles. Les victimes et les autorités ont dit ce qui ne se disait pas : nous avons créé une cellule de traitement spécifique renforcée qui travaille d’arrache-pied et a été saisie en quelques mois de plus de 150 affaires.
Nous avons sécurisé un circuit de traitement et d’information robuste dans les affaires qui font l’objet de plusieurs types de procédures : administratives, judiciaires, voire disciplinaires sportives. Cela vaut pour tous nos établissements, nos services centraux comme déconcentrés, nos fédérations et nos clubs. Tous les faits font l’objet d’un contrôle administratif. Tous les faits font l’objet d’un signalement au procureur de la République aux termes de l’article 40 du code de procédure pénale et tous peuvent amener à des procédures disciplinaires.
Aucun cas signalé n’est à l’abandon, cela vaut aussi pour les faits que vous mentionnez à l’École nationale des sports de montagne (ENSM). Le ministère s’est saisi des signalements dès le mois de février. Nous aurons connaissance prochainement des résultats des enquêtes en cours.
Notre ministère n’est plus aveugle, toute la chaîne des responsabilités est examinée, car cette chaîne, depuis des dizaines d’années, a fauté à tous les étages.
C’est pourquoi j’ai aussi missionné une inspectrice générale du ministère pour étudier la manière d’être encore plus efficace en réponse à la détresse des victimes. Elle nous fournira ses premières pistes de réponse en juin. Elles porteront sur le contrôle de l’honorabilité, la formation des éducateurs et la prévention au sein des établissements et des fédérations.
Vous me demandez, monsieur le sénateur, si nous pourrions faire mieux. Je vous le dis humblement : oui, probablement. Quoi qu’il en soit, les agents du ministère et moi-même sommes plus que jamais mobilisés. Si la parole se libère et si l’on parle de ces sujets en ce moment, c’est peut-être parce que les victimes, les sportives et les sportifs, se sont senties soutenues. Sachez que nous ne faiblirons pas.
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.
M. Cyril Pellevat. Je vous remercie, madame la ministre, des réponses que vous m’avez apportées. Je fais également partie du monde du sport puisque je participe à une organisation. Je n’ignore donc pas les difficultés qui sont les vôtres. Je sais aussi que la loi du silence a pu régner un moment. Je vous remercie des actions qui ont été menées. On le constate, la parole se libère. J’espère qu’il n’y aura pas d’autres freins et que des enquêtes complètes pourront être conduites afin de sanctionner les personnes fautives.
communication des archives de la défense nationale
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, auteur de la question n° 1149, adressée à Mme la ministre des armées.
M. Pierre Laurent. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur l’accès aux archives historiques. Je souhaite attirer votre attention sur les conséquences néfastes du décret du 2 décembre 2019, qui rend plus restrictive l’application de l’instruction générale interministérielle n° 1300 de 2011.
D’innombrables documents de la période 1940-1970 tamponnés « secret », jusqu’ici accessibles librement, sont de nouveau soumis à une procédure de déclassement longue et fastidieuse. Ces restrictions risquent d’entraîner des délais de communication très longs, voire de rendre impossible l’accès à des archives pourtant communicables de plein droit selon le code du patrimoine.
Les chercheurs usagers des archives publiques françaises, en particulier du service historique de la défense, sont depuis peu dans l’impossibilité de consulter des documents postérieurs à 1940 qui devraient être accessibles selon la loi, au prétexte qu’ils ont été tamponnés « secret » lors de leur production. Cela concerne, notamment, toutes les pratiques opérées dans les terres alors colonisées par la France, ou se trouvant sous des statuts proches – protectorats et mandats.
Cette restriction peut avoir des conséquences extrêmement dommageables pour la recherche de la vérité, fondement de la recherche historique, et pour la réputation internationale de la France en ce domaine.
En outre, ces restrictions risquent de criminaliser toute personne qui divulguerait des informations contenues dans des archives estampillées « secret défense » qui, depuis des années, voire des décennies, ont été massivement communiquées.
Pour toutes ces raisons, de nombreux acteurs, dont un collectif de douze historiens de divers pays, mais aussi les membres de l’association Josette et Maurice Audin, expriment une vive inquiétude et demandent que l’instruction générale interministérielle n° 1300 et ses modalités d’application soient réexaminées. Comptez-vous prendre des mesures en ce sens ?
Pourriez-vous également m’indiquer le rôle qu’a joué le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) dans l’élaboration de ce décret du 2 décembre 2019 ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des armées. Monsieur le sénateur, vous évoquez les difficultés de communication des archives conservées par le service historique de la défense.
Je souhaite vous indiquer que le ministère applique la loi et les règles. Les premières règles sont celles de communicabilité posées par le code du patrimoine – communicabilité après cinquante ans, sauf exception – et celles relatives à la protection du secret édictées par le code pénal et par l’instruction interministérielle n° 1300 de 2011, qui vient appuyer cette protection du code pénal.
Ces règles indiquent que communiquer aujourd’hui un document classifié sans démarquage préalable menace la sécurité juridique des lecteurs comme celle des personnels des dépôts d’archives.
Cette obligation de protection s’impose à tous et a été rappelée à la mi-juillet 2019 par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.
Pour appliquer ces règles, il convient de procéder à une déclassification de chaque document revêtu d’une mention de classification, ce qui entraîne, comme vous l’avez souligné, une mise en œuvre complexe et des délais globalement longs.
En aucun cas, le service historique ne ferme des fonds dont la consultation est indispensable au travail de mémoire.
Conscientes de la gêne occasionnée dans l’exercice des missions des chercheurs et historiens par la mise en œuvre de ces instructions, Florence Parly et moi-même avons pris des mesures d’application immédiate.
Premièrement, le chef du service historique des archives a été autorisé à prendre des décisions de déclassification sur les documents du ministère de plus de cinquante ans. Seuls les documents classifiés par des autorités extérieures au ministère continuent ainsi à nécessiter un accord exprès du service émetteur.
Deuxièmement, après un accord interministériel, nous avons accéléré la procédure en faisant procéder à une déclassification au carton d’archives pour les archives de la période 1940-1946.
M. le président. Je vous demande de bien vouloir conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État. Désormais, la décision de déclassification sera réalisée au carton. Nous étudions actuellement l’extension de cette procédure de déclassification au carton à une nouvelle période postérieure à 1946.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État. Une procédure de recrutement temporaire de 30 agents dédiés à la mission de déclassification a été exceptionnellement autorisée.
Bref, nous avons engagé plus d’agents et nous avons prévu des facilités de déclassification pour que les chercheurs puissent consulter le plus rapidement possible, sans risque pour eux, les archives indispensables à leur travail, car leur travail est indispensable à nous tous !
M. le président. Madame la secrétaire d’État, vous avez dépassé votre temps de parole de cinquante secondes, c’est beaucoup ! Je vous ai laissée faire parce que vous répondiez à la dernière question.
La parole est à M. Pierre Laurent, pour la réplique.
M. Pierre Laurent. Je vous remercie d’avoir autorisé ce dépassement, monsieur le président. C’est parce que la question était importante que Mme la secrétaire d’État a pris quelques secondes de plus pour me répondre !
Je citerai un exemple pour montrer les difficultés, voire les incohérences politiques, auxquelles tout cela conduit. Le Président de la République a décidé d’ouvrir les archives dans l’affaire Maurice Audin. Le service interministériel a mis à disposition des archives, mais il s’agit d’archives triées. Pour le reste, si les mesures que vous venez d’évoquer n’étaient pas prises, le travail des historiens pour aller au bout de la vérité serait entravé.
Les premières mesures que vous annoncez sont nécessaires. J’espère qu’elles permettront véritablement aux historiens de travailler dans les meilleures conditions.
M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Rappels au règlement
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, demain, le Parlement sera saisi d’une déclaration du Gouvernement sur la mise en place de l’application StopCovid suivie d’un vote dans chaque assemblée en vertu de l’article 50-1 de la Constitution.
Comment ne pas être surpris de la réapparition de ce petit serpent de mer, alors que beaucoup tenaient ce projet pour enterré, car trop tardif, inutile et efficace ?
Comment, surtout, ne pas s’élever contre la place réservée au Parlement dans la mise en œuvre de ce système numérique, qui soulève de lourds problèmes en matière de libertés publiques ?
Il nous sera demandé de nous prononcer demain soir, alors que le Gouvernement a déjà annoncé que l’application était prête à être mise en œuvre dès ce week-end.
Certes, M. Cédric O conditionne cette mise en œuvre au vote du Parlement, mais il exerce dans le même temps une pression difficilement acceptable en tentant de présenter le vote comme acquis et la mise en place de StopCovid comme évidente.
Monsieur le président, nous l’avons déjà constaté après le vote négatif du Sénat sur le plan de déconfinement, les votes qui ne sont que de simples avis, à la différence du vote de confiance à l’Assemblée nationale, importent peu à l’exécutif. Il est paradoxal de constater que l’accord de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) apparaîtra sans doute plus important que celui du Sénat.
Le 13 mai, M. le Premier ministre indiquait dans un courrier que la « décision n’était pas encore prise » et « qu’elle le sera après les nécessaires débats qui seront organisés au Sénat ».
Pourquoi donc annoncer avant même les débats la mise en œuvre de StopCovid dès vendredi soir ? Pourquoi une telle obstination, une telle précipitation de dernière minute, alors que beaucoup estiment qu’elle n’a pas d’utilité ? La vérité est peut-être ailleurs…
Selon Cédric O, l’application « pourrait être disponible dans les magasins Apple et Android dès ce week-end ». Vraiment, le naturel de la « start-up nation » revient toujours au galop ! Le commerce avant tout, le commerce toujours, avec la promotion, une fois de plus, des géants du numérique, alors qu’il s’agit d’une mission régalienne de protection de la santé publique ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
La parole est à M. le rapporteur général, pour un rappel au règlement.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est un rappel au règlement pour lequel je suis mandaté par la commission des finances, qui vient de se réunir à l’instant et souhaite exprimer un certain agacement, monsieur le ministre.
Nous nous sommes réunis il y a plus d’un mois, les 21 et 22 avril derniers, pour examiner un projet de loi de finances rectificative d’urgence. Le Gouvernement nous a expliqué qu’il fallait agir sans tarder, qu’un certain nombre de mesures étaient attendues. Le Sénat a joué le jeu dans les délais extrêmement réduits qui lui étaient impartis. Nous avons fini d’examiner ce texte à trois heures du matin et nous sommes parvenus à un accord en commission mixte paritaire, comme vous le savez.
Le Sénat avait voté à la quasi-unanimité un amendement prévoyant, sur mon initiative, un taux de TVA réduit à 5,5 % sur les masques de protection, sur les gels hydroalcooliques et non hydroalcooliques de protection, ainsi que sur les équipements de protection. Nous sommes le 26 mai et, de manière très étonnante, le texte réglementaire définissant la liste des équipements de protection n’est toujours pas paru.
Cela signifie concrètement que les collectivités, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), et les différents utilisateurs de ces équipements de protection continuent à payer une TVA de 20 %, ce qui n’est évidemment pas la volonté du Parlement. On nous explique qu’il y aura par la suite des régularisations de TVA.
À l’instant, notre collègue Philippe Adnot m’a cité l’exemple d’une usine qui se voit appliquer par une direction de l’État un taux de TVA à 5,5 % et par une autre direction de l’État un taux de TVA à 20 % !
Ma question est très simple : pourquoi, plus d’un mois après, alors que le texte était justifié par l’urgence et que nous nous réunissons de nouveau pour examiner d’autres dispositions d’urgence, les services de l’exécutif sont-ils incapables de publier un arrêté visant à prévoir les conditions dans lesquelles le taux de TVA à 5,5 % s’applique ?
Il existe certes des règles européennes, mais bizarrement un arrêté a déjà été pris pour les dons de ces équipements. La définition que nous avions retenue était donc déjà conforme aux principes fixés au niveau européen.
J’ai appelé tous les services de l’exécutif, j’avoue mon étonnement, voire mon exaspération. La volonté du Parlement est-elle respectée ? On peut en douter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – MM. Vincent Éblé et Franck Menonville applaudissent également.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
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Diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne
Discussion d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (projet n° 440, texte de la commission n° 454, rapport n° 453, avis nos 444 et 451).
Notre séance se déroule dans les conditions de respect des règles sanitaires mises en place depuis le mois de mars.
Je rappelle que l’hémicycle fait l’objet d’un nettoyage et d’une désinfection avant et après chaque séance. Il en est de même pour les micros après chaque intervention. J’invite chacune et chacun à veiller au respect des distances de sécurité. Les entrées et les sorties de la salle des séances, pour les sénateurs, devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle.
Je rappelle également que tous les orateurs, y compris le Gouvernement, s’exprimeront depuis leur place, sans monter à la tribune.
Enfin, monsieur le ministre, mes chers collègues, afin de limiter la circulation de documents, vous êtes invités à utiliser vos tablettes et la fonctionnalité « En séance » sur notre site internet pour prendre connaissance du dérouleur et des amendements, même si ces documents demeurent à votre disposition.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà maintenant un peu plus de deux semaines que la France sort progressivement du confinement.
Pendant longtemps, nos concitoyens ont attendu avec inquiétude ou espoir, parfois même les deux, la date fatidique du 11 mai. Ils sont désormais dans l’attente des futures étapes de ce déconfinement.
Nombreux sont ceux qui veulent savoir si les restrictions apportées à la liberté de circulation seront levées ou allégées, si les bars, les cafés, les restaurants rouvriront leurs portes et s’ils pourront partir en vacances cet été. Retrouver ce qui fait au fond le sel de la vie sociale, reprendre une vie plus normale, tel est aujourd’hui le souhait de nos concitoyens.
Nous devons nous réjouir de ces impatiences qui manifestent un puissant désir de retrouver le vivre ensemble. Dans le même temps, nous ne pouvons pas ignorer que cette période est source de contraintes, voire d’angoisses. Il est vrai que, pour un certain nombre de nos concitoyens, le confinement a pu paraître protecteur à bien des égards : d’un point de vue économique, puisqu’un salarié sur deux a été placé en chômage partiel ; d’un point de vue social, puisque d’importants filets de sécurité ont été mis en place pour accompagner les plus fragiles ; et d’un point de vue sanitaire enfin, puisque chacun était appelé à rester chez soi, loin du virus.
Au désir de se retrouver répond donc l’inquiétude du jour d’après. Y aura-t-il une seconde vague ? Les entreprises seront-elles suffisamment résilientes ? Les emplois seront-ils préservés ? La sécurité de tous sera-t-elle toujours assurée ?
Face à ce paradoxe auquel chacun d’entre nous est confronté, nous devons avancer sur une ligne de crête, ajuster les dispositifs et faire preuve d’agilité. Souvenons-nous que se précipiter signifie étymologiquement tomber la tête en avant. Faisons preuve de prudence, c’est ce que souhaite le Gouvernement, et de pragmatisme. Telle est la philosophie de ce projet de loi. Il vise à répondre à une multitude de questions et d’impératifs, ce qui explique son caractère singulièrement protéiforme.
Il s’agit tout d’abord d’un projet de loi qui vise à garantir la continuité du service public. Tel est le sens des mesures tendant au maintien en service d’un certain nombre de militaires ou encore de l’augmentation du plafond de jours de mobilisation des réservistes de la police nationale. Je pourrais aussi citer la possibilité d’engagement de la réserve civique auprès des entreprises chargées d’une mission de service public.
Ce projet de loi contient aussi des mesures destinées à permettre à l’administration de mener à bien des réformes que vous avez votées. Vous ne l’ignorez pas, l’administration a dû suspendre un certain nombre de ses activités en raison du confinement, parce qu’elle a notamment réorienté ses moyens vers la gestion de la crise sanitaire. Je pense ici au ministère des solidarités et de la santé.
C’est la raison pour laquelle certaines réformes telles que celles du divorce, du versement des pensions alimentaires ou encore de la justice pénale des mineurs doivent être reportées pour être mises en œuvre dans de bonnes conditions. Il en va de même pour certaines réformes intéressant Mayotte, la Martinique et la Guadeloupe, mais aussi la Polynésie française. Je sais que la ministre des outre-mer s’en est expliquée.
Par ailleurs, ce projet de loi a pour objectif de faciliter la reprise de notre vie économique et sociale, tout en s’attachant à maintenir les droits des salariés. Tel est le sens des mesures visant à simplifier le recours au prêt de main-d’œuvre ou encore la possibilité pour les travailleurs saisonniers de demeurer trois mois supplémentaires sur le sol national.
La commission des affaires sociales a également adopté des amendements visant à limiter dans le temps les dispositifs dérogatoires tendant à assouplir les règles relatives au contrat d’insertion, aux contrats aidés ou aux contrats courts.
C’est cette même logique de protection qui avait conduit le Gouvernement à rendre possible la validation de droits à la retraite de base au titre de l’activité partielle ou encore l’intéressement dans les entreprises de moins de onze salariés, de même que le maintien des garanties de protection sociale complémentaire pour les salariés en chômage partiel pour une durée pouvant aller jusqu’à six mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. La commission des affaires sociales du Sénat a introduit dans la loi la possibilité de déroger aux règles de cumul emploi-retraite que pratiquent les caisses de retraite en faveur des personnels soignants pendant la période épidémique. Le Gouvernement est favorable à cette mesure.
Certaines dispositions dont l’urgence n’est pas totalement décorrélée de la crise du Covid-19 ont été placées au sein de l’article 2, ou transformées en articles additionnels, à l’Assemblée nationale ou au Sénat en commission. Elles sont relatives à l’indemnisation des victimes d’essais nucléaires, au statut des volontaires internationaux en ambassade ou encore à la gestion des fonds européens par les régions.
Les incertitudes pesant sur le calendrier parlementaire nous ont conduits à privilégier ce vecteur pour vous les présenter. L’ordre du jour du mois de juin est particulièrement contraint. Il est soumis à l’évolution de la situation sanitaire. Des projets de loi électoraux vous seront vraisemblablement soumis, de même qu’un troisième PLFR qui comprendra d’importantes mesures de relance. Enfin, à l’automne, vous le savez comme moi, il n’y a guère de temps à consacrer à autre chose qu’au budget. Nous saisissons donc l’occasion de ce vecteur pour un nombre limité de mesures dont nous avons besoin.
En outre, certaines de ces mesures avaient déjà été examinées par le Sénat au moment de la discussion du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP). Je pense au Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen), ou au seuil de revente à perte.
L’article 3 visait à habiliter le Gouvernement à prescrire la centralisation du dépôt sur le compte du Trésor des disponibilités des personnes morales soumises aux règles de la comptabilité publique et d’organismes privés chargés d’une mission de service public. Malgré la précision introduite par les groupes LaREM, MoDem et Les républicains à l’Assemblée nationale, qui a exclu de ce dispositif les organismes gérant un des régimes de retraite, la commission des finances du Sénat a supprimé cet article.
M. André Reichardt. Eh oui !
M. Marc Fesneau, ministre. Je comprends qu’il s’agit là avant tout d’une opposition à la méthode retenue par le Gouvernement plus qu’au fond de la mesure. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement propose que cet article soit rétabli.
L’article 4 du projet de loi concerne le Brexit. Des explications plus approfondies vous seront données par ma collègue Amélie de Montchalin.
Enfin, l’article 5 vise à prévoir un mécanisme de contrôle parlementaire des mesures réglementaires prises sur le fondement des habilitations prévues dans ce projet de loi.
Après ces explications sur le fond des mesures présentées dans ce projet de loi, permettez-moi de dire quelques mots sur la méthode.
Vous l’aurez compris, ce projet de loi concerne un très grand nombre de périmètres ministériels, ce qui n’était pas arrivé depuis les lois Warsmann de simplification du droit. C’est donc une chose assez rare et qui me permet, même si plusieurs de mes collègues nous rejoindront au cours des débats, de répondre au nom du Gouvernement à vos questions et à vos amendements.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Nous y sommes sensibles !
M. Marc Fesneau, ministre. Certains se sont émus et regretteront encore que ce projet de loi soit un texte « fourre-tout », selon l’expression qui a été utilisée en commission des lois. Mais je ne suis pas sûr que le dépôt de seize textes particuliers, soit autant de projets de loi que de périmètres ministériels, eût été préférable en termes de lisibilité !
De plus, et je m’exprime en tant que ministre chargé des relations avec le Parlement, organiser le calendrier d’examen de seize textes par l’Assemblée nationale et le Sénat eût été pour moi une véritable gageure !
S’agissant du recours aux habilitations, je n’ignore pas la sensibilité particulière qui s’attache au recours à l’article 38 de la Constitution. Je la comprends d’autant mieux que j’étais parlementaire – il pourrait m’advenir de le redevenir –, mais ce recours aux ordonnances est pleinement justifié par l’incertitude entourant l’évolution de la situation économique, sociale, sanitaire et administrative de notre pays à court terme. C’est sur ce fondement que le Conseil d’État, dans son avis rendu public, a validé le procédé.
Le Gouvernement aurait pu se contenter, d’ailleurs, de mettre « en dur » les habilitations portant sur des dispositions législatives brèves et dont la rédaction est simple ou déjà avancée, comme l’y invitait le Conseil d’État. Il a pourtant veillé à aller plus loin, comme il s’y était engagé.
Sur les 40 habilitations à légiférer par ordonnances, 16 ont été mises « en clair », si vous me permettez cette expression, à l’Assemblée nationale. Au stade de l’examen en commission, le Sénat a poursuivi ce travail précieux, puisque le projet de loi ne comporte plus que 10 habilitations, certes au prix de quelques suppressions, s’agissant par exemple de l’article 3. Nous allons continuer ce travail en séance avec la transformation de l’habilitation sur la réserve civique, les instances consultatives des agences régionales de santé (ARS), le droit au chômage partiel des intermittents du spectacle, ou encore le maintien des garanties collectives de protection sociale complémentaire pour les salariés placés en position d’activité partielle.
Le Gouvernement, conscient de la nécessité de préserver les droits du Parlement pendant la période de l’habilitation à légiférer par ordonnances, ne s’est pas opposé à la mise en place d’un dispositif ad hoc de contrôle à l’article 5 du projet de loi.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Quel orateur !
M. Marc Fesneau, ministre. Certes, il demande que le délai prévu pour prendre les ordonnances prévues aux articles 1er et 2 soit à nouveau de six mois, et non pas de trois mois, comme vous le proposez. Ce délai est justifié, là encore, par l’incertitude entourant l’évolution économique dans les prochains mois et par le calendrier de négociation du futur budget européen. Je ne doute pas que nous aurons l’occasion de revenir plus précisément sur un certain nombre de ces points.
Enfin, je n’ignore pas que ce projet de loi suscite des divergences entre le Gouvernement et votre assemblée. C’est d’ailleurs la vertu du débat parlementaire, auquel je suis, comme vous, très attaché.
Je me réjouis de la qualité des travaux menés par vos commissions. Je voudrais saluer en particulier les trois rapporteurs, Mme Jourda, MM. Savary et de Montgolfier, qui ont chacun permis d’enrichir le texte et de confirmer sans les modifier plus de 13 dispositions votées par l’Assemblée nationale. Je forme donc le vœu que les débats soient l’occasion de trouver un compromis sur un certain nombre de dispositions restant en suspens.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis comporte des dispositions visant, comme vient de le dire Marc Fesneau, à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances diverses mesures nécessaires pour tirer les conséquences de la fin de la période de transition dans le contexte de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
Avant d’en venir au détail des dispositions, je souhaiterais rappeler d’où nous venons et où nous souhaitons aller, car j’ai bien conscience de la difficulté que nous éprouvons tous à suivre le feuilleton du Brexit, qui dure maintenant depuis plus de trois ans.
L’accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, entré en vigueur le 1er février dernier, marque l’aboutissement de plus de deux ans de négociations difficiles conduites par le négociateur en chef au nom de l’Union, Michel Barnier. Cet accord préserve en particulier les droits acquis des citoyens britanniques et européens, notamment leurs conditions de séjour et de travail. C’était la première de nos priorités.
Les citoyens français qui résidaient au Royaume-Uni avant la fin de la période de transition pourront continuer à y vivre, travailler et étudier dans les mêmes conditions que celles qui prévalent actuellement. Réciproquement, les citoyens britanniques qui résidaient déjà sur le territoire français bénéficieront des mêmes droits qu’aujourd’hui.
Notre mobilisation est totale pour la construction du futur partenariat avec le Royaume-Uni. Nous avons engagé le 2 mars dernier, toujours sous l’égide de Michel Barnier, une nouvelle négociation qui doit aboutir d’ici à la fin de la période de transition prévue par l’accord de retrait. Celle-ci doit s’achever le 31 décembre, mais elle peut être prolongée, à la demande du Royaume-Uni et avec l’accord de l’Union, d’un an ou de deux ans.
Durant cette période de transition, l’accord de retrait prévoit que le droit de l’Union continue de s’appliquer au Royaume-Uni dans sa quasi-totalité. C’est un élément important de protection pour nos entreprises et nos concitoyens, qui permet de se préparer à une situation nécessairement différente de celle d’aujourd’hui. À la fin de cette période, seuls continueront en effet à s’appliquer l’accord de retrait et, si la négociation aboutit, l’accord sur la relation future.
Notre objectif dans cette négociation est clair : nous souhaitons conclure avec le Royaume-Uni un accord ambitieux et équilibré qui couvre un vaste champ – entre autres, le commerce, la pêche, les transports ou la sécurité –, tout en préservant les principes et les intérêts de l’Union.
Construire une telle relation ambitieuse et équilibrée prend du temps, nécessite des compromis et comporte son lot d’incertitudes et de difficultés. Je me dois de vous dire à ce jour que, si notre mobilisation est totale et si les Vingt-Sept sont unis, les incertitudes n’ont jamais été aussi grandes, et d’abord sur le calendrier.
Les Britanniques nous placent face à une contrainte de temps inédite pour négocier et ratifier l’ensemble du futur partenariat. Il nous reste désormais six mois de discussions, si nous devons nous en tenir à la fin prévue de la période de transition, laquelle doit s’achever le 31 décembre. Le refus, à ce stade, de toute prolongation de la période de transition n’est pas de notre fait, mais bien de celui des Britanniques.
Le défi est majeur, tant les sujets sont complexes et nombreux. À cela s’ajoute l’épidémie du coronavirus, qui nous a fait perdre un temps de négociation précieux, puisque les sessions ont été suspendues pendant près de deux mois. Elles ont repris depuis quelques semaines, mais uniquement par vidéoconférences, dans des conditions très différentes de celles qui prévalent en ce genre de circonstances ; mais les contraintes sanitaires s’imposent à tous. Ce n’est pas sans conséquence sur le rythme des négociations.
Le deuxième bloc d’incertitudes concerne le fond du dossier. Ces négociations sont d’autant plus difficiles à mener que les points de départ étaient éloignés. Les échanges de ces dernières semaines entre l’équipe de négociation dirigée par Michel Barnier et les Britanniques ont été peu constructifs – et je le dis en termes diplomatiques…
Les Britanniques ont en effet rendu publiques la semaine dernière leurs propositions précises, qui sont par de nombreux aspects très éloignées du mandat que nous avons confié à Michel Barnier. Les sujets de divergences sont toujours la pêche, la gouvernance de l’accord et les conditions de concurrence équitable.
L’objectif demeure, Michel Barnier l’a confirmé, de tout faire pour défendre le mandat que les États membres lui ont confié le 25 février. Il est, selon nous, absolument inacceptable et hors de question de céder à l’approche sélective des Britanniques. Nous voulons nous assurer, au contraire, que les négociations progressent au même rythme sur tous les sujets, et pas uniquement sur ceux qui relèvent des seuls intérêts des Britanniques.
Je vous le dis clairement, nous ne pouvons pas sacrifier les intérêts de nos pêcheurs, de nos agriculteurs, de nos entreprises, de nos concitoyens, sous prétexte de trouver un accord dans les délais et aux conditions imposés par les Britanniques. C’est pourquoi il est plus que jamais de notre devoir de nous préparer, comme nous l’avions fait pendant la phase de négociation de l’accord de retrait, à tous les scénarios et en particulier à une absence d’accord à la fin de la période de transition. Tel est l’objet de la demande d’habilitation présentée par le Gouvernement à l’article 4 du présent projet de loi.
Avant d’en venir au contenu des dispositions, je souhaite vous présenter l’approche que le Gouvernement a retenue pour cette demande d’habilitation.
En premier lieu, le dispositif proposé se fonde sur le modèle, que vous connaissez, de ce que nous avions prévu dans le cadre de la loi d’habilitation de janvier 2019 pour préparer l’hypothèse d’une sortie sans accord.
L’habilitation que nous demandons aujourd’hui tient bien évidemment compte de l’évolution du contexte, qui n’est plus le même, et des différences tenant principalement à l’entrée en vigueur de l’accord de retrait.
Les dispositions qui vous sont proposées à l’article 4 permettent de traiter trois types de situations : d’abord, celles qui ne sont pas couvertes par l’accord de retrait ; ensuite, celles qui apparaîtraient en cas d’absence d’accord sur la relation future à l’issue de la période de transition, et qui sont du domaine bilatéral ; enfin, les situations particulières qui n’ont pas été identifiées jusqu’à présent, mais pourraient se présenter, et que nous envisageons par précaution dans le but de protéger nos concitoyens et les personnes qui se trouvent aujourd’hui sur notre sol.
En tout état de cause, je tiens à le rappeler, la démarche de la France est pleinement respectueuse des compétences et des actions de l’Union européenne, dans le cadre de la négociation conduite au niveau européen. Les échanges que nous avons avec Michel Barnier sur ces dispositions sont, bien entendu, positifs, et nous n’entravons en rien sa capacité à négocier en notre nom.
Certains sur ces travées – j’ai pu suivre vos échanges en commission – s’interrogent sur la nécessité de légiférer par ordonnances sur certaines de ces dispositions. Je veux leur dire que l’habilitation est nécessaire, car il convient d’adopter rapidement les mesures qui s’imposent dans un contexte très incertain, évoluant rapidement, notamment compte tenu des contraintes qui pèsent sur le déroulement de la négociation. Une incertitude pèse ainsi sur la date de fin de la période de transition.
Nous répétons souvent, à l’heure actuelle, que gouverner c’est prévoir. Or prévoir, c’est aussi anticiper. Le Gouvernement se doit donc d’être en mesure de protéger sans délai les personnes et les entreprises qui pourraient pâtir de l’effet couperet de la fin de la période de transition. Personne, je crois, ne peut contester ce besoin de protection.
Le Parlement aura, bien sûr, l’occasion d’exercer son contrôle et continuera d’être très régulièrement informé de l’état des négociations avec le Royaume-Uni. Je fais cet effort en me rendant disponible, aussi souvent qu’il est nécessaire, afin d’être auditionnée au sein des différentes commissions et en particulier à votre invitation, monsieur le président Bizet.
La durée de l’habilitation a fait l’objet d’un long débat, il y a une dizaine de jours, à l’Assemblée nationale. Je le dis très solennellement, car j’ai moi-même été parlementaire, à l’instar de Marc Fesneau : je sais combien il importe au Parlement de ne pas être dessaisi de ses prérogatives, auxquelles vous connaissez mon attachement. Vous savez aussi quelle importance j’accorde au travail parlementaire et à nos échanges. Vous connaissez enfin mon engagement à défendre les intérêts de tous les Français dans cette négociation. Mais on ne saurait passer de bon accord dans la précipitation !
Nous préférons signer un bon accord dans dix-huit ou trente mois, plutôt que conclure un accord à tout prix, coûte que coûte, à la fin de l’année. Si nous agissions de la sorte, vous pourriez légitimement nous interroger sur le rôle que nous avons tenu pour protéger les pêcheurs, les agriculteurs et les entrepreneurs des départements dont vous êtes originaires.
Vous le savez, le choix d’étendre la période de transition revient aux Britanniques. Compte tenu de l’état d’avancement de la négociation, et en dépit du fait que les Britanniques s’y refusent pour le moment, personne ne peut exclure que cette période sera allongée. Il s’agit de trouver un juste équilibre entre les deux objectifs du Gouvernement : d’une part, limiter au maximum la période d’habilitation dans un esprit de consensus avec le Parlement et, d’autre part, maintenir une cohérence entre la négociation et la durée de la période de transition.
Dans cet esprit de compromis, j’avais proposé, lors de la première lecture du texte à l’Assemblée nationale, que le Gouvernement bénéficie d’une habilitation pour une durée de dix-huit mois, jusqu’au 31 décembre 2021. Les députés ont décidé de réduire cette période à quinze mois. Ce compromis me semble répondre aux exigences parlementaires et préserver en partie l’hypothèse d’une première extension limitée de la transition, qui est le principal message politique que nous devons envoyer aujourd’hui aux Britanniques, avec le soutien unanime du Parlement français.
L’habilitation doit en effet permettre d’anticiper dès à présent les mesures nécessaires dans la perspective d’une fin de période de transition repoussée, mais aussi de réagir à d’éventuelles nouvelles problématiques ou à des situations inédites. Je vous propose d’approuver ce compromis, adopté dans une démarche qui se voulait constructive et attentive aux inquiétudes du Parlement.
J’en viens aux dispositions de l’article 4.
Elles concernent, premièrement, la circulation des personnes et des marchandises. Nous souhaitons en particulier nous assurer, quelles que soient les conditions retenues, que le tunnel sous la Manche continue de fonctionner et qu’il ne ferme pas.
Le deuxième point s’attache à la continuité de la circulation de certains matériels de défense exportés vers le Royaume-Uni, qui sont soumis à une autorisation préalable. La fin de la période de transition nous obligera, en vertu du droit de l’Union européenne, à transformer nos licences dites « de transfert » en licences d’exportation. Nous vous proposons de l’autoriser dans un délai raisonnable.
Troisième point, nous vous demandons de nous permettre d’anticiper des problématiques ciblées dans une perspective de stabilité financière et de protection des assurés et des épargnants, et pour la bonne exécution des contrats en cours, notamment en matière d’assurance vie et de gestion des plans d’épargne en actions (PEA), pour lesquels est imposée une certaine proportion d’actifs de l’Union européenne. Il serait dommageable pour les épargnants de devoir liquider rapidement ces actifs souvent illiquides, en particulier s’agissant des PEA-PME.
Enfin, le projet de loi prévoit des dispositions protectrices pour les ressortissants britanniques qui vivent en France, afin de leur permettre de poursuivre leurs activités dans notre pays. Or la suppression de cet alinéa a été votée par la commission. Je veux y revenir, très brièvement.
La rédaction de ces dispositions, qui s’inspire de celle retenue pour la loi d’habilitation de janvier 2019, permet de couvrir des situations qui n’ont pas encore été identifiées. En effet, même si nous avons fait un énorme travail afin que la grande majorité des sujets soient traités dans l’accord de retrait ou bien, nous l’espérons, dans le cadre de l’accord sur la relation future, nous ne pouvons pas exclure aujourd’hui l’émergence de sujets résiduels, qui pourraient nécessiter une intervention au niveau national, mais qui, par définition, ne sont pas encore connus.
Cette habilitation permettra, par exemple, à certaines professions soumises à des conditions d’exercice liées à l’appartenance à l’Union – avocats, experts-comptables, architectes, médecins – de poursuivre leur activité si l’accord trouvé n’était pas assez protecteur pour elles ou s’il n’y avait pas d’accord. Ladite habilitation doit être considérée non comme un blanc-seing accordé au Gouvernement, mais comme l’application d’un principe de prudence.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes engagés dans une négociation sans précédent. Grâce à nos efforts collectifs et à votre soutien, nous avons franchi une première étape, celle de la sortie ordonnée du Royaume-Uni de l’Union européenne.
Le Gouvernement n’a pas eu besoin de faire usage de l’habilitation que vous lui aviez confiée en janvier 2019. Avec vous, je forme le vœu que nous puissions de nouveau trouver un accord ambitieux avec le Royaume-Uni d’ici à la fin de la période de transition, et que nous n’ayons pas à faire usage de l’habilitation que je vous demande de nous accorder aujourd’hui.
Je le dis très solennellement, il faut nous préparer à toutes les éventualités et notamment à protéger les Français face à l’incertitude du Brexit. Le Gouvernement rendra compte devant le Sénat. Vous le savez, je suis prête à venir devant vous aussi souvent que vous le jugerez utile pour vous tenir informés de l’état d’avancement de ces négociations.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est ce que nous souhaitons !
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’intitulé de ce projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne est difficile à retenir, tant sont divers les sujets qu’il traite.
Vous avez évoqué l’un et l’autre, madame le secrétaire d’État, monsieur le ministre, le fondement légal de ce texte : l’article 38 de la Constitution. En effet, le projet de loi qui est arrivé sur le bureau de l’Assemblée nationale comportait exclusivement des demandes tendant à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances, sur le fondement de cet article. En le découpant en alinéas, on dénombrait pas moins de 40 demandes !
Nous avons trouvé, dans un premier temps, quelque peu désobligeant pour le Parlement ce projet de loi fondé sur l’urgence, sur l’incertitude liée à la crise sanitaire et sur celle du calendrier parlementaire. Ces arguments présentés au début de la crise, nous les avons entendus !
Il est plus difficile d’entendre le Gouvernement développer ces éléments à ce moment du débat parlementaire, dans la mesure où le Parlement a toujours été présent et à la hauteur, me semble-t-il, des enjeux de cette crise. Il s’agit en effet du sixième projet de loi dont nous sommes saisis depuis le début de la crise sanitaire, après deux projets de loi d’urgence, un projet de loi organique et deux projets de loi de finances rectificative.
Parfois saisi de ces textes dans des conditions d’extrême rapidité, le Parlement, je le répète, a toujours répondu présent. Le Sénat a trouvé un accord avec le Gouvernement et nos collègues de l’Assemblée nationale. J’ajoute que le dernier projet de loi d’urgence est passé sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel précisément en raison des garanties qui avaient été introduites par le Sénat sur l’initiative de son rapporteur, qui n’est autre que le président de la commission des lois, Philippe Bas.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Merci de le rappeler !
M. André Reichardt. Quel cumulard !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Ce sont ces garanties qui ont permis au Conseil constitutionnel de confirmer la constitutionnalité de ce projet de loi ! Le Parlement n’a donc jamais failli. Vous cherchez à l’enjamber en le dessaisissant des pouvoirs et des compétences qui sont les siens, pour que le Gouvernement puisse prendre des décisions dont il rendra compte a posteriori… Cela nous a paru, je le répète, quelque peu désobligeant.
Ce caractère désobligeant et vexatoire était accentué par le fait que l’intégration dans la loi d’un certain nombre de ces dispositions ne posait guère de difficultés. Le Conseil d’État estime en effet que des dispositions simples, ou dont la rédaction est suffisamment avancée, peuvent parfaitement être intégrées dans le processus législatif, et donc directement dans la loi, sans en passer par l’habilitation.
Le Gouvernement a parfaitement entendu ce que je viens de dire. Ayant vous-même été parlementaire, monsieur le ministre, comme vous l’avez rappelé, vous savez que le Parlement peut être chatouilleux non par esprit de susceptibilité, mais tout simplement parce que le débat démocratique se déroule au Parlement.
L’Assemblée nationale a fait la même analyse que nous. De 40 habilitations à légiférer par ordonnances, nous sommes donc passés à 24, puis, après le passage du texte en commission au Sénat, à 10 habilitations. Après ce débat, comme vous l’avez indiqué, ce nombre sera encore moindre, ce qui nous permettra de faire notre travail parlementaire.
Comment avons-nous fait ce travail au sein de la commission des lois, mais aussi de la commission des affaires sociales et de celle des finances, dont parleront respectivement mes collègues René-Paul Savary et Albéric de Montgolfier ? Nous avons simplement appliqué les règles posées par l’article 38 de la Constitution.
Premièrement, dès lors qu’une disposition pouvait être inscrite « en clair » dans la loi, nous l’avons fait.
Deuxièmement, nous avons eu à cœur de vérifier que les habilitations demandées étaient précises. Lorsque le Parlement se dessaisit de ses pouvoirs, il doit en effet savoir sur quels pans du droit il le fait.
Lorsque les termes n’étaient pas précis, parce que l’habilitation demandée nous paraissait trop large ou que son périmètre était trop indéfini, le Gouvernement ou nous-mêmes les avons précisés – nous aurons l’occasion d’en reparler –, quand nous n’avons pas écarté purement et simplement ces demandes.
Enfin, nous avons eu à cœur de limiter dans le temps ces habilitations. Le projet de loi initial prévoyait des durées de six à trente mois, qui sont passées de six à quinze mois lors de l’examen à l’Assemblée nationale, puis aujourd’hui de trois à sept mois. Le délai pour déposer le projet de loi de ratification est quant à lui passé de trois à deux mois.
Je vous ai parlé de méthode de travail, de l’article 38 de la Constitution, et j’ai bien conscience de n’avoir pas encore abordé le fond du texte.
Monsieur le ministre, vous avez employé pour qualifier ce texte l’expression « fourre-tout », que la commission des lois n’a fait que reprendre. Certains ont même parlé d’un projet de loi « gloubi-boulga », c’est-à-dire constitué d’ingrédients divers et variés dont on se demande ce qu’ils font ensemble et qui donnent un résultat assez indigeste…
Nous digérerons très bien ce projet de loi, rassurez-vous (Sourires.), mais il m’est extrêmement compliqué de le synthétiser devant vous. Je peux cependant vous indiquer de quelles typologies relèvent les mesures qu’il nous a été demandé de prendre.
Certaines mesures sont directement en lien avec l’épidémie, comme la fin anticipée des saisons sportives, dont nous débattrons, l’adaptation des compétences dans les fédérations de chasse, la prolongation du versement d’allocations – je pense à l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) –, et la réorientation des procédures pénales, certaines n’ayant pas pu faire l’objet d’un examen pendant la crise du Covid-19.
Les autres mesures visent à reporter l’examen de textes, comme celui portant réforme de la justice, ou celui relatif à l’extinction des agences « des cinquante pas géométriques », que certains d’entre vous découvriront à l’occasion de la discussion du présent projet de loi.
D’autres mesures, enfin, sont prises du fait de l’interruption de la navette, comme celles prévues dans le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, ou encore celles liées à la méthodologie d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, au seuil de revente à perte, à l’encadrement des promotions, autant de textes importants dont la discussion s’est arrêtée en cours de route. Je pense aussi à la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne, dite loi Dadue, aux textes relatifs au Brexit et au droit de la consommation.
La commission des lois a apporté un soin particulier à l’examen des dispositions relatives à la justice, comme le fera l’ensemble du Sénat.
La justice est le marqueur de notre État de droit, lequel est un ensemble de règles acceptées par tous, qui s’appliquent et sont sanctionnées de façon uniforme sur l’ensemble du territoire.
Pour ne pas demeurer à l’état de principe, la Justice, avec un grand J, doit aussi s’incarner dans un système judiciaire qui doit fonctionner correctement. Ainsi les principes que nous souhaitons voir appliquer demeureront-ils crédibles.
Au moment d’engager cette discussion, nous sommes à la croisée des chemins, car le système judiciaire est dysfonctionnel ; c’est un point sur lequel nous pourrions longtemps nous attarder, mais tel n’est pas l’objet de ce projet de loi. Pendant la crise sanitaire, le plan de continuation de l’activité des juridictions n’ayant permis que de traiter les urgences, le stock de dossiers est désormais extrêmement important.
Il y va de la crédibilité de la justice d’apurer ce stock dans des conditions raisonnables, ce qu’il ne faut pas faire au mépris des principes sur lesquels repose notre État de droit. Nous aurons cette discussion, car, sous des dehors quelque peu techniques, elle porte sur nos principes mêmes.
Nous aborderons ainsi le sujet des cours criminelles, qui remplacent les cours d’assises à titre expérimental, au moment où le Gouvernement nous demande de tripler cette expérimentation sans aucune évaluation, ce à quoi la commission s’est opposée.
Nous discuterons également du report de l’entrée en vigueur de l’ordonnance relative au code de la justice pénale des mineurs, un débat qui n’a jamais eu lieu devant le Parlement. Or les règles sont acceptées seulement dès lors qu’elles ont fait l’objet d’un débat démocratique ; c’est l’essence de ce que nous faisons dans cet hémicycle !
Tels sont les éléments que je souhaitais évoquer rapidement ; pour le reste, nous aurons l’occasion de nous expliquer longuement au cours du débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais évoquer deux sujets qui ont concerné la commission des affaires sociales : le droit du travail et les retraites.
Nous avions abordé ces questions en affirmant un principe et en exprimant un regret.
Un principe : légiférer dans l’urgence, certes, mais pas au-delà de ce que commande la situation de crise, et dans la mesure du possible en toute connaissance de cause. Il faut bien reconnaître qu’un certain nombre d’études d’impact manquaient au dispositif. Nous avons donc exclu les habilitations trop larges, les dispositifs permanents et les chiffrages par trop approximatifs.
Un regret : voir légalisées, en responsabilité, bien sûr, certaines décisions déjà prises. Celles-ci ont parfois un fort impact financier, alors même que les textes d’urgence n’ont pas manqué, comme l’a brillamment rappelé notre collègue Muriel Jourda.
Comme le Gouvernement aime à le souligner, le dispositif d’activité partielle, qui devrait animer nos débats une bonne partie de l’après-midi et de la soirée, a été l’un des plus généreux d’Europe ; nous l’avons tous bien entendu.
Or ce dispositif, qui a permis rapidement de maintenir jusqu’à présent un certain statu quo sur le front de l’emploi, incite peu à la reprise d’activité. Il faut donc en sortir de manière très progressive et ciblée, faute de quoi les sommes considérables qui ont été engagées n’empêcheront pas, demain, les licenciements.
Le présent projet de loi habilite le Gouvernement à prévoir des règles différentes d’un secteur à l’autre, afin de cibler au mieux le soutien public sur les entreprises les plus en difficulté. Toutefois, même celles qui ne connaissent pas de gros problèmes devront continuer à être encadrées.
En revanche, les paramètres d’indemnisation des salariés en activité partielle et de remboursement par les pouvoirs publics relèvent du décret. C’est par ce moyen que le Gouvernement a décidé de compenser intégralement la rémunération des salariés, à hauteur de 70 %. Il a d’ores et déjà annoncé vouloir réduire, également par voie de décret, cette couverture pour certaines activités à compter du 1er juin.
Les différents amendements que nous examinerons et qui tendent à reporter dans le temps la possibilité pour le Gouvernement d’adapter ces règles relatives à l’activité partielle n’atteindront peut-être pas l’objectif recherché par leurs auteurs. Nous aurons l’occasion d’en discuter.
Il faut permettre une adaptation à plusieurs vitesses du dispositif, en fonction de la situation et des caractéristiques des entreprises, de manière à inciter à un retour à l’activité très important tout en limitant les impacts sociaux de la crise économique.
Nous resterons bien sûr vigilants, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, sur la mise en œuvre de ces mesures. Il reste à ce stade nombre d’interrogations sur les paramètres qu’il est envisagé de modifier, et surtout sur l’impact attendu de ces mesures. Nous attendons des précisions de la part du Gouvernement.
Sur l’initiative de la commission des affaires sociales, plusieurs habilitations en matière de droit du travail ont été inscrites en clair dans le projet de loi, concernant l’indemnisation du chômage, la représentation des travailleurs indépendants, le prêt de main-d’œuvre, ainsi que, conjointement avec la commission des lois, le mandat des conseillers prud’hommes et la représentation des salariés des TPE. Ces mesures, le plus souvent ponctuelles, ne justifiaient pas une habilitation à légiférer par ordonnance.
La commission s’est par ailleurs attachée à clarifier la rédaction des articles visant à assouplir les règles relatives aux contrats courts, d’une part, et aux contrats d’insertion et contrats aidés, d’autre part, en veillant notamment à bien limiter dans le temps la possibilité de déroger par accord d’entreprise aux règles de renouvellement des CDD.
La commission des affaires sociales a été saisie, notamment, de trois points relatifs aux retraites.
Le premier porte sur l’usage d’une partie des réserves des régimes complémentaires des indépendants, pour soutenir les cotisants. Bien qu’il ne soit pas dans la vocation de ces réserves de financer de telles aides, au vu du contexte exceptionnel que nous connaissons, la commission a validé une situation de fait, l’aide de 1 milliard d’euros ayant déjà été versée et financée sur les réserves du régime complémentaire des indépendants, et destinée aux artisans et commerçants actifs. Nous avons d’ailleurs laissé cette souplesse, également, pour les caisses complémentaires, comme celles des professions libérales, notamment des avocats.
Le second point concerne la validation des périodes d’activité partielle au titre de la durée d’assurance permettant l’ouverture des droits à la retraite. La commission a choisi de limiter strictement le champ du dispositif à la période de la crise sanitaire. Elle l’a fait pour deux raisons : le chiffrage de la mesure est, pour le moment, impossible et sa pérennisation pourra se faire avec beaucoup plus de visibilité dans le cadre d’un prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Enfin, troisième point, la commission a souhaité donner une base légale aux règles de cumul entre emploi et retraite pour les soignants.
Voilà les quelques précisions que je souhaitais apporter, au nom de la commission des affaires sociales.
J’en terminerai avec deux réflexions personnelles. D’une part, le Parlement n’est pas là que pour régulariser ; n’en prenez pas trop l’habitude, monsieur le ministre ; nous comprenons vos motivations, mais tout de même !
M. le président. Il faut conclure.
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. D’autre part, soyons attentifs ; il y aura, avant la fin des débats, des annonces relatives au déconfinement, donc ne traitons pas différemment les départements en fonction de la couleur qui leur est attribuée ;…
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. … aux départements verts, il serait tout permis, et les départements rouges seraient montrés du doigt !
M. le président. Vous pourrez vous exprimer à l’occasion du débat, monsieur le rapporteur pour avis.
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Donc, finissons-en avec ce type de mesures ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre collègue Muriel Jourda vient de le souligner, ce projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne peut être qualifié de texte « fourre-tout ».
Quelques-unes de ses dispositions intéressent la commission des finances. Je veux notamment citer celles qui sont liées au risque juridique qu’entraînerait la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, en particulier pour ce qui concerne la sécurisation des contrats d’assurance vie pour les ressortissants français et l’introduction de règles adaptées pour la gestion des placements collectifs et pour les plans d’épargne en actions.
Toutefois, je souhaite concentrer mon propos sur l’article 3 du texte, délégué au fond par la commission des lois à la commission des finances, qui n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés. Cet article habilite le Gouvernement à prendre par ordonnances, dans un délai de douze mois, les mesures relevant du domaine de la loi pour prescrire le dépôt, sur les comptes du Trésor, des disponibilités non seulement des personnes morales soumises aux obligations de la comptabilité publique, mais également des organismes publics ou privés chargés d’une mission de service public.
Certains organismes, dont les collectivités, que nous connaissons bien ici, ont d’ores et déjà l’obligation de déposer leurs fonds auprès du Trésor ; je pense aux établissements publics de santé ou à certaines personnes morales de droit privé ou public, et l’article 26 de la loi organique relative aux finances publiques (LOLF) prévoit une obligation similaire pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Pour vous donner un ordre de grandeur, les dépôts des différents organismes qui déposent leurs comptes auprès du Trésor représentaient 128,4 milliards d’euros au 31 décembre 2019.
Je le rappelle, puisqu’il y a, à ce sujet, des amendements et des inquiétudes chez certains collègues : la centralisation de ces trésoreries ne revient pas à une appropriation, par l’État, de ces dépôts ; simplement, l’État joue, en quelque sorte, le rôle de teneur de compte, comme une banque le fait pour un particulier.
Par ailleurs, cette obligation de centralisation souffre quelques aménagements : ces organismes peuvent demander une dérogation, si, par exemple, ils requièrent des services que l’Agence France Trésor ou que la direction générale des finances publiques ne pourraient leur fournir.
En outre, la centralisation des dépôts me semble présenter un certain nombre d’avantages, en matière de gestion des deniers publics, notamment celui de réduire le coût des émissions de titres de financement par l’État. Ce sujet, celui de la dette, est sensible cette année, puisque, je vous le rappelle, l’État devra emprunter – j’espère que, contrairement à moi, vous êtes bien assis – 324,6 milliards d’euros sur les marchés… Ainsi, le fait de pouvoir centraliser un certain nombre de dépôts diminue ipso facto le coût de l’endettement de la France.
Néanmoins, il y a des interrogations. La commission des finances ne s’oppose pas sur le fond ou par principe à la centralisation des dépôts, mais, pas plus que les rapporteurs qui viennent de s’exprimer, elle ne valide la méthode employée par le Gouvernement pour introduire ce dispositif dans le projet de loi.
Tout d’abord – cela a été dit par Muriel Jourda –, le champ de l’habilitation est beaucoup trop large, puisqu’il fait référence aux « organismes publics ou privés chargés d’une mission de service public ». C’est tellement large que, même à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a dû se défendre en expliquant qu’il n’incluait pas les fédérations sportives – il valait mieux l’écrire que le dire – ni les ordres professionnels ; il a même dû exclure expressément du champ de l’article 3 la trésorerie des caisses de retraite.
L’habilitation est donc beaucoup trop large et le Gouvernement n’est pas en mesure de citer – peut-être le ministre pourra-t-il le faire – ne serait-ce qu’un organisme visé au travers de cette centralisation des trésoreries.
En conséquence, il n’est pas possible de savoir dans quelle mesure une ordonnance doit être prévue et, dans un certain nombre de cas, on peut même se demander s’il s’agit d’une mesure réglementaire ou législative.
Enfin, il me semble prématuré d’inscrire ces dispositions dans le présent projet de loi, puisque, manifestement, le Gouvernement n’a pas encore commencé les concertations indispensables avec les différents organismes. Il serait donc sans doute plus utile de profiter d’un prochain texte. On nous annonce un projet de loi de finances rectificative (PLFR) ; il faudrait sans doute attendre ce texte ou, à tout le moins, avoir commencé les consultations nécessaires, avant de prévoir une ordonnance, sur le fondement d’une habilitation qui est, je le répète, beaucoup trop large.
Tous ces éléments expliquent la position de la commission des finances en faveur de la suppression de l’article 3. Peut-être le ministre pourra-t-il nous convaincre, en citant les organismes visés, de le garder et nous expliquer pourquoi une mesure législative est nécessaire, mais, à ce stade et faute d’explications, nous ne pouvons que vous proposer la suppression de cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains – Mme Sylvie Vermeillet et M. Jean-Marc Gabouty applaudissent également.)
M. André Reichardt. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre. Monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances, vous m’avez interrogé sur un arrêté portant sur le taux de TVA applicable aux masques et aux gels hydroalcooliques. Peut-être ne parlons-nous pas de la même chose, mais un arrêté a été pris…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Sur les tenues de protection !
M. Marc Fesneau, ministre. Vous m’avez bien parlé des masques ? Or un arrêté a été publié le 7 mai dernier à ce sujet.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Mais quid des tenues de protection ?
M. Marc Fesneau, ministre. Je me renseignerai sur ce point, mais j’avais cru comprendre que vous me parliez des masques et des gels hydroalcooliques, et je ne voulais pas laisser un rappel au règlement sans réponse : un arrêté a donc bien été publié voilà plus de trois semaines sur les gels hydroalcooliques et sur les masques.
Je me renseignerai sur la deuxième partie de votre question.
M. le président. Je suis saisi, par MM. Kanner, Sueur, Kerrouche et Marie, Mme Lubin, MM. P. Joly, Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Leconte, Sutour et Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Meunier et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe, MM. Raynal, Botrel, Carcenac et Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud, Lalande et Lurel, Mme Taillé-Polian, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. M. Bourquin et Boutant, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daunis, Devinaz et Duran, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mme Guillemot, MM. Houllegatte et Jacquin, Mmes G. Jourda et Lepage, MM. Lozach, Magner, Manable et Mazuir, Mme Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont, Préville et S. Robert, MM. Roger, Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (n° 454, 2019-2020).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Éric Kerrouche, pour la motion.
M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « nous pensons que la vie démocratique doit reprendre tous ses droits ». Cette affirmation, prononcée vendredi dernier par M. le Premier ministre, nous la partageons. Oui, la démocratie doit reprendre tous ses droits et, en l’espèce, la démocratie parlementaire aussi. Or ce n’est pas l’image donnée par ce texte, qui se prive ainsi des conditions de la confiance.
Les crises ont un pouvoir révélateur, du meilleur comme du pire. Cette crise épidémique donne une image crue de la pratique de votre pouvoir, monsieur le ministre. En matière de vie démocratique, force est de constater que, depuis le 23 mars dernier, les parlementaires sont devenus des acrobates de haute voltige. Ils légifèrent dans la précipitation, parfois à l’aveugle, sans pouvoir procéder à des auditions, voire sans pouvoir amender afin d’adopter, quoi qu’il en coûte, le texte conforme. En outre, les délibérations se font, par nécessité, à effectif limité et ce sont autant de voix en moins qui résonnent dans cet hémicycle.
Pourtant, même et surtout en temps de crise, le Parlement est bien, au sens étymologique du terme, l’endroit où l’on parle. Dans cette enceinte, on débat pour faire la loi, l’expression de la volonté générale à laquelle tous les citoyens ont le droit de concourir, personnellement ou par leurs représentants.
En définitive, sur quoi, dans ce texte, les parlementaires seraient-ils autorisés à parler, donc à légiférer ? Ce texte était, initialement, truffé de 40 demandes d’habilitation à légiférer par ordonnance ; ce recours massif ne relève pas uniquement de l’urgence, il traduit à l’envi le refus du débat contradictoire par le Gouvernement. Ces 40 habilitations se seraient ajoutées aux précédentes, dont on verra in fine si la ratification est inscrite à l’ordre du jour. Chaque alinéa de ce texte était donc un blanc-seing ; chaque article était un cavalier législatif, dont le caractère urgent était plus que relatif.
Si certaines habilitations sont directement liées à la crise, d’autres viennent tout simplement pallier le retard pris par le Gouvernement – c’est le cas pour ce qui concerne le code de la justice pénale des mineurs – ou servent à recycler des dispositions insérées dans des textes en cours de navette. C’est, par exemple, le cas du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dit ASAP, ou du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, dit DDADUE, en méprisant, la plupart du temps, les travaux du Sénat.
Ainsi, dans cette enceinte où l’on parle, nous serions surtout autorisés par ce gouvernement à nous taire…
Faut-il le rappeler, l’habilitation n’est pas une délégation du pouvoir législatif : le Parlement conserve, avec le référendum, le monopole de faire la loi. Il s’agit juste d’une extension momentanée du pouvoir réglementaire ; il faut constamment le garder à l’esprit. Or les délais d’habilitation à légiférer retenus par le Gouvernement dans ce texte étaient anormalement longs pour des mesures dites « d’urgence ».
Par ailleurs, Guy Carcassonne le rappelait – je ne peux que citer sa pensée –, les ordonnances ont souvent « rendu un […] grand service : [elles ont] prouvé que […], pour faire de bonnes lois, on n’a pas encore inventé mieux que le Parlement. Les ordonnances […] sont […] comme des projets qui deviendraient directement des lois. Ce sont généralement des textes défectueux, dont les malfaçons ne se révèlent qu’a posteriori, là où se serait sans doute trouvé un parlementaire pour soulever, fût-ce ingénument, le problème qui ne s’est découvert qu’après, à l’occasion de contentieux multiples. Le tamis parlementaire a des vertus intrinsèques. À qui pourrait les oublier, cette législation de chefs de bureau que sont les ordonnances le rappelle [utilement]. Elles sont à n’utiliser qu’avec modération ». Une modération, que, manifestement, le Gouvernement ne connaît pas.
Fort heureusement, Mme la rapporteure l’a dit, les 40 demandes d’habilitation ont été ramenées à 10, au moyen notamment de transpositions en clair, par l’Assemblée nationale et par la commission des lois du Sénat. Il s’agissait également, en la matière, de recommandations du Conseil d’État. Les 4 articles initiaux du projet de loi ont ainsi été multipliés quasi par 8.
Malgré ce « tamis parlementaire », ce texte demeure comme la créature de Frankenstein : les juxtapositions ne lui donnent pas vraiment de corps. Par ailleurs, son absence de ligne directrice et de cohérence complexifie son examen. En outre, le Gouvernement fait la preuve de la mauvaise qualité initiale du texte : il dépose des amendements de séance kilométriques et en quantité industrielle – non moins de 30 amendements sur un texte qui contenait, je le rappelle, 4 articles –, ajoutant encore – seringue sur le gâteau, si j’ose dire – une habilitation relative au dopage, jugée, heureusement, irrecevable.
Un texte comme le projet de loi ASAP était de la même veine ; il comportait 40 articles et avait fait l’objet de 23 amendements de séance du Gouvernement. Le projet de loi relatif à la bioéthique comportait 44 articles et avait fait l’objet de 22 amendements gouvernementaux de séance.
Cette façon de légiférer n’a jamais été satisfaisante ; elle l’est encore moins en temps de crise. Or mal légiférer parce que le texte initial est médiocre et parce que les conditions ne sont pas réunies pour son bon examen, c’est nuire à la qualité de la loi, qui touche le quotidien des Français ; donc c’est nuire au quotidien des Français.
En définitive, la pratique actuelle de l’exécutif, même si elle a pu, initialement, se justifier, n’est que l’exacerbation de sa pratique antérieure, fondée sur une pensée teintée de libéralisme : la concentration du pouvoir, qui se justifierait par un Parlement immature et manquant de réactivité.
Pour s’extraire de la délibération et du débat contradictoire, les moyens sont toujours les mêmes : procédure accélérée, devenue procédure « LGV » – loi à grande vitesse –, texte fourre-tout, qui noie le Parlement, tout en glissant çà et là une nouvelle dose de dérégulation du droit social, texte troué par des ordonnances et même refus de consultation quand la démocratie sociale est jugée superflue, ce dont s’offusque même le Conseil d’État. Le texte que nous examinons en est une confirmation ; espérons que les dispenses de consultation obligatoire ne soient pas rétablies en commission mixte paritaire (CMP).
Ce que nous souhaitons exprimer, au travers de cette motion tendant à opposer la question préalable, c’est que la crise n’autorise pas le dessaisissement du Parlement, même si la tentation des pleins pouvoirs est forte sous la Ve République.
Puisque, comparativement à d’autres, notre Parlement est l’un des plus faibles parmi les démocraties occidentales, il faut que les pratiques gouvernementales ne le dessaisissent pas encore un peu plus. Le Parlement a fait la démonstration – vous l’avez constaté, monsieur le ministre – de sa capacité extrême d’adaptation, parce que les circonstances l’exigeaient ; il a assumé pleinement ses responsabilités.
L’économie ne devait pas et ne doit pas s’effondrer, c’est vrai, mais la démocratie parlementaire, non plus. Petit à petit, un phénomène d’accoutumance à la marginalisation du Parlement s’installe : ce qui était l’exception devient la règle et l’anormalité devient une nouvelle normalité. Comme s’il était contaminé, lui aussi, par un étrange virus, le Parlement s’atrophie. C’était d’ailleurs la perspective de votre révision constitutionnelle. Or, quand le Parlement est malmené, c’est la démocratie qui s’abîme.
Il y a, dans l’histoire, des contrastes. Certains ont récemment tissé une métaphore martiale autour de la période exceptionnelle que nous vivions. Soit, mais, en temps de guerre, le Parlement n’a pas toujours été marginalisé, voire muselé. Je ne partage pas ses orientations idéologiques, mais Churchill a toujours souhaité, peut-être parce qu’il vivait dans le berceau de la démocratie parlementaire, maintenir les prérogatives du Parlement. Chacune de ses décisions était soumise à débat. Comme le disait André Pierre, il voulait apporter à l’Angleterre et au monde la preuve que l’on pouvait faire la guerre et vaincre sans porter atteinte aux libertés du peuple et que le courant de confiance mutuelle existant entre le Gouvernement et les élus de la Nation était l’un des plus sûrs garants de la victoire.
Nos institutions sont le socle de notre démocratie, monsieur le ministre, et leur bon fonctionnement contribue à la confiance collective et, tout simplement, à notre pacte républicain. Parce que nous sommes plus qu’attachés aux droits du Parlement, en ce qu’ils garantissent la délibération, le débat, la contradiction, nous lançons une alerte et nous demandons le rejet de ce texte, au travers de l’adoption de cette motion tendant à opposer la question préalable.
La crise sociale sans précédent que nous traversons, que nous devrons surmonter, trouvera ses solutions non dans la verticalité, dans la mise en sourdine du Parlement, mais dans la vitalité démocratique, dans la dialectique des chambres, dans la consultation des corps intermédiaires. C’est une question de confiance.
Jamais Créon ne pourra gouverner sans Antigone. Vous avez raison, monsieur le ministre, oui, il est temps que la démocratie reprenne tous ses droits ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la motion de nos collègues du groupe socialiste et républicain ne manque pas, je dois le dire, de fondement et d’arguments en sa faveur.
Elle résonne dans notre hémicycle, me semble-t-il, comme un coup de semonce. Si l’on ne peut pas dire que ce projet de loi soit, au travers de l’interprétation très extensive qu’il fait de l’article 38 de la Constitution, contraire à celle-ci, on doit tout de même admettre qu’il y a une distance considérable entre la pratique des habilitations législatives qui s’est instaurée depuis quelques années et le sens que les constituants ont entendu donner à cette faculté dérogatoire.
Rappelons-nous l’article 38 : on y souligne, dès les premiers mots, que c’est « pour l’exécution de son programme » que le Gouvernement peut demander au Parlement de l’habiliter à prendre, par ordonnances, des mesures législatives. Le mot « programme » n’est pas dénué de portée dans la Constitution, car on le retrouve dans l’une des dispositions les plus importantes de notre loi fondamentale : celle de l’article 49. Le programme, ce sont les engagements sur lesquels le Gouvernement engage sa responsabilité devant le Parlement.
Or nous voilà saisis de multiples dispositions législatives qui sont, à l’évidence, à la périphérie du programme du Gouvernement et qui ne justifieraient bien évidemment pas que celui-ci engageât sa responsabilité ; on se dirait qu’il a des choses tout de même plus importantes à réaliser que la mise en œuvre de ces habilitations législatives. En outre, le Gouvernement lui-même présente nombre de ces mesures comme des dispositions d’ordre technique.
C’est la raison pour laquelle j’ai, pour ce qui me concerne, longuement hésité avant de prendre la parole pour m’opposer à votre motion, mes chers collègues. En effet, tout aurait dû m’orienter vers cette solution.
Néanmoins, dans un instant de raison, je me suis dit que, si nous adoptions votre motion, alors le Gouvernement, dans un dialogue singulier avec l’Assemblée nationale – dialogue qui ressemble parfois à une sorte de monologue à plusieurs voix, si l’on peut s’exprimer ainsi (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations amusées sur les travées du groupe SOCR.) –, en arriverait à adopter un nombre beaucoup plus grand d’habilitations que celui que nous espérons imposer, au travers d’un rapport de force entre les deux assemblées. Cela s’appelle le bicamérisme.
Monsieur le ministre, vous êtes entré dans cet exercice parlementaire avec 37 habilitations ; l’Assemblée nationale les a elle-même ramenées à 24 ; notre rapporteur s’apprête à vous proposer de les faire descendre à 10. Eh bien, mes chers collègues, je voudrais que nous obtenions satisfaction, parce que notre position me paraît raisonnable. Il peut se trouver que certaines habilitations soient justifiées ; dès lors, adoptons-les, tout en gardant un droit de regard et en faisant en sorte que leur durée soit limitée et que le Gouvernement ait à revenir devant le Parlement chaque fois qu’il aura besoin que de nouveaux pouvoirs lui soient conférés.
C’est la raison pour laquelle la commission des lois et son rapporteur, qui m’a autorisé exceptionnellement à prendre la parole, à condition que je n’en abuse pas – peut-être est-ce malheureusement déjà le cas ? Non, ce n’est pas le cas, me dit-elle –, ont décidé, non pour être agréable au Gouvernement – mais, si cela lui est agréable, j’en serai ravi – de prendre position contre cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. J’aurai du mal à parler derrière le président Bas, mais je vais quand même vous donner l’avis du Gouvernement.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous en avez le droit !
M. Marc Fesneau, ministre. J’en ai le droit, mais j’aurai quand même du mal…
Monsieur Kerrouche, je n’adhère pas au terme de « médiocre » que vous avez employé pour qualifier le texte. Je ne suis pas sûr qu’il soit médiocre de s’occuper d’un certain nombre de sujets qui préoccupent les Français ; je pense aux travailleurs saisonniers, aux étudiants, aux Français qui sont au chômage partiel.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. C’est facile !
M. Marc Fesneau, ministre. Non, ce n’est pas facile ; réellement, il ne me paraît pas médiocre de s’occuper de ces questions.
Je l’ai dit moi-même dans mon intervention, ce texte est protéiforme.
Pourquoi protéiforme ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Euphémisme !
M. Marc Fesneau, ministre. Parce que la crise est protéiforme et que nous devons répondre à un grand nombre de sujets en même temps – nous pouvons au moins nous mettre d’accord là-dessus. Tout l’honneur du débat parlementaire consiste à essayer de régler simultanément un certain nombre de dossiers, tous très complexes et très imbriqués : il y a la question des étudiants, celle des travailleurs saisonniers, celle d’un certain nombre d’organismes qui ne pourraient plus fonctionner si l’on n’adoptait pas certaines dispositions. C’est cela que j’ai essayé de vous dire dans mon intervention liminaire.
Par ailleurs, j’ai souvent entendu, tant dans cet hémicycle qu’à l’Assemblée nationale, l’idée selon laquelle il fallait écouter le Conseil d’État ; mais c’est strictement ce qu’a fait le Gouvernement sur ce texte. Au fond, le Conseil d’État n’a pas remis en cause les principes du texte, il a simplement indiqué qu’il était préférable d’inscrire un certain nombre d’habilitations « en dur » ; c’est ce que nous avons fait. Nous sommes même allés au-delà des recommandations du Conseil d’État sur ce texte, puisque, en début de discussion, nous avions indiqué que nous souhaitions, chaque fois que c’était possible, que l’habilitation soit levée et remplacée par une inscription en dur dans le texte ; je veux à cet égard saluer le travail de l’ensemble des ministères.
C’est le travail qui a été accompli, M. le président de la commission des lois l’a rappelé, à l’Assemblée nationale et par la commission des lois du Sénat, et que nous poursuivrons au cours des débats à venir.
J’aurai peut-être un petit point divergence avec le président de la commission des lois, si je puis me permettre. La vie politique est faite de rapports de force, mais il peut aussi arriver qu’on soit d’accord sans avoir besoin de tels rapports. Sur cette affaire d’ordonnances, il me semble que nous n’étions pas en désaccord quant à l’objectif d’inscrire ces mesures, en dur, dans la loi.
Vous avez salué l’utilité du bicamérisme, monsieur le président Bas. Je partage pleinement l’idée selon laquelle le dialogue permanent entre l’Assemblée nationale et le Sénat est un dialogue utile, pour la qualité de la loi produite et pour le Gouvernement, parce que cela permet d’avoir des regards de nature différente, qui peuvent utilement se compléter. C’est d’ailleurs ce qui a été fait sur ce texte.
Enfin, vous l’avez dit, monsieur Kerrouche, nous vivons une situation exceptionnelle, même si nous en sortons. Vous l’avez indiqué, et je le reconnais bien volontiers, le Parlement a su s’adapter et prendre ses responsabilités. Ce n’est rien de plus que cela que nous essayons de poursuivre, avec des modalités différentes, puisque la plupart de ces habilitations sont transformées en articles. Nous voulons faire en sorte, dans les contingences sanitaires, dont il ne m’appartient pas de discuter – ces contingences sanitaires, imposées au Sénat et à l’Assemblée nationale, ont été mises en application – et dans les contingences d’urgence, de prendre nos responsabilités.
Sur ce point, nous pourrions nous rejoindre, j’en suis sûr : nous avons nos responsabilités à prendre. Vous l’avez fait depuis le début de cette crise et c’est bien ce que l’on doit aux Français.
Ainsi, souhaitant évidemment avoir ce débat pour toutes ces raisons, le Gouvernement a émis un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. Didier Marie. Monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, disons-le d’emblée, ce projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ne nous convient pas.
J’évoquerai, tout d’abord, la méthode.
Voilà des mois que le Gouvernement veut un Parlement aux ordres : systématisation de la procédure accélérée, recours massif aux ordonnances, conditions déplorables d’examen des textes. Avec l’état d’urgence sanitaire, ces mauvaises pratiques se sont encore amplifiées. Certes, la crise sanitaire, économique et sociale nécessite d’agir vite, mais pas au prix du mépris du Parlement.
Monsieur le ministre, vous qui êtes chargé des relations avec le Parlement, sachez que nous n’acceptons pas d’être dessaisis de notre capacité de faire la loi ; nous n’acceptons pas de nous satisfaire d’une habilitation puis d’une loi de ratification que, la plupart du temps, nous attendons longtemps ; nous n’acceptons pas qu’il ne nous reste qu’à « encadrer » des ordonnances et à vous laisser gouverner seuls. Nous ne nous habituons pas à ce que vous confiniez le Parlement ; nous sommes là pour faire la loi, pour la nourrir, par le dialogue et l’échange, et pour agir en responsabilité.
Avec ce texte, vous nous livrez la quintessence de votre conception du travail parlementaire : à l’origine, le projet de loi ne contenait pas moins d’une quarantaine de demandes d’habilitation. Le Conseil d’État s’en est ému et l’Assemblée nationale, suivant l’avis de cette institution, les a ramenées à 24.
Sans colonne vertébrale, sans lien entre les articles, ce texte est un fourre-tout, un salmigondis, un enchaînement de cavaliers législatifs dont l’essentiel n’a pas de lien avec la crise sanitaire. Quel rapport entre la justice des mineurs, les chèques-restaurant, les victimes des essais nucléaires, les volontaires internationaux, la situation des doctorants, la réglementation des ventes à perte ou encore le Brexit ? Un véritable inventaire à la Prévert…
La commission des lois du Sénat a fait, comme à l’accoutumée, son travail avec sérieux. Je salue les options proposées par sa rapporteure pour ramener le nombre des habilitations à 10, pour réduire la durée de celles-ci, pour transposer certaines dispositions dans le dur de la loi et pour supprimer un certain nombre de dispositions. À cet égard, je souligne l’initiative unanime de la commission des finances de proposer la suppression de l’article 3, par lequel le Gouvernement s’apprêtait à faire main basse sur la trésorerie de toute une série d’institutions, dont on ne connaît d’ailleurs même pas la liste.
Si, sur la forme, les avancées sont significatives, nous regrettons que la commission ne nous ait pas suivis sur le fond, car l’esprit de ce texte reste préoccupant. Au détour de mesures anecdotiques se tapissent un certain nombre de mauvais coups, avec, je le regrette, l’assentiment de la majorité sénatoriale.
Ainsi, l’article 1er decies porte subrepticement atteinte aux droits des travailleurs en assouplissant les règles d’encadrement des contrats à durée déterminée et de contrats de mission, favorisant ainsi une plus grande précarité.
Autre exemple, pour répondre au besoin de main-d’œuvre agricole, le Gouvernement porte la durée de séjour des travailleurs saisonniers étrangers de six à neuf mois, mais sans droits nouveaux, et il autorise les étudiants étrangers à travailler jusqu’à 80 % du temps sans prévention pour la qualité de leurs études. Voilà une main-d’œuvre bon marché : vous appelez cela « pragmatisme » ; nous répondons : « utilitarisme » !
Dernier exemple – nous aurons l’occasion d’en citer d’autres –, l’utilisation des volontaires internationaux pour remédier aux lacunes en ressources humaines du ministère des affaires étrangères.
D’autres sujets nous préoccupent, notamment en matière de justice, comme l’extension de l’expérimentation des cours criminelles sans évaluation ni recul, alors que, dans le même texte, on souhaite mobiliser plus de jurys populaires. De même, nous nous inquiétons de l’absence de débat parlementaire sur la réforme de la justice des mineurs et du report de sa mise en œuvre.
Enfin, nous proposons de supprimer l’article 4 relatif aux conséquences du Brexit, considérant que ce sujet nécessite à lui seul un débat approfondi et plus large que les seuls sujets abordés dans ce texte, dès que le Royaume-Uni aura fait connaître, le 1er juillet prochain, son intention de prolonger ou non la période de transition.
Monsieur le ministre, ce texte, que vous aviez intitulé, à l’origine, « projet de loi portant diverses dispositions urgentes » n’a rien d’un texte d’urgence pour répondre aux conséquences de la crise du Covid-19.
Pour notre part, nous avions déposé un certain nombre d’amendements pour répondre à cette crise : prolongation du chômage partiel, gratuité des masques, confirmation du droit à l’interruption volontaire de grossesse, protection des jeunes vulnérables, sécurisation du droit au séjour, soutien aux collectivités locales, sécurisation des parcours d’insertion, maintien du versement des pensions alimentaires par les CAF, etc. Nous regrettons que la commission ait, une fois de plus, fait un usage extensif de l’article 45 de la Constitution, nous privant d’un débat sur bon nombre de ces sujets.
Monsieur le ministre, pour nous, l’urgence est sociale. Ce projet de loi est malheureusement vide de mesures pour y répondre.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes.
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
Mme Josiane Costes. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, vous pardonnerez autant que vous comprendrez, je l’espère, que je revienne sur la forme de ce projet de loi, celle-ci étant indissociable de son fond.
Ce texte se présente à l’évidence comme une compilation de dispositions disparates, qui visent largement à habiliter le Gouvernement à prendre des ordonnances dans les domaines les plus divers. Les conséquences du Brexit côtoient les contrats de travail, et les pouvoirs des fédérations sportives les titres-restaurant, pour ne citer que ces quelques exemples.
Cela a déjà été dit, mais il faut bien y revenir, la cohérence et la clarté qui manquent à ce projet de loi ont des conséquences directes sur la qualité de la délibération parlementaire. Si l’on y ajoute les délais d’examen du texte – un problème que le seul contexte sanitaire ne saurait justifier –, on ne peut s’empêcher de penser que ce projet de loi condense en lui-même tous les défauts que l’on adresse couramment aux évolutions, néfastes, de la procédure législative : recours quasi systématique à la procédure accélérée, délai pour le dépôt des amendements incompatible avec une réflexion poussée, habitude de légiférer par ordonnances, pratique malheureuse des lois fourre-tout, qui évoque le triste souvenir des lois Warsmann. Les conditions extrêmes d’examen de la loi du 11 mai dernier n’ont apparemment pas permis d’inverser la donne.
Bien sûr, les circonstances actuelles exigent certains accommodements. Nous en convenons tous. Aussi le Sénat a-t-il réorganisé ses travaux comme l’imposait la crise sanitaire, mais les modalités d’examen de ce projet de loi traduisent une forme de déconsidération et ne doivent en aucun cas constituer un précédent.
Pour toutes ces raisons, il est malaisé de se forger une opinion aboutie sur ce texte. Puisqu’il m’est impossible d’en traiter dans ses détails comme dans sa globalité, je ne relèverai que quelques points saillants.
Concernant les conséquences de la crise sanitaire, nous nous réjouissons des dispositions qui protègent ceux qui en ont le plus souffert, par l’incertitude qui plane désormais sur leur situation ou la précarité qui les touche. La prolongation des titres de séjour, le maintien des garanties de protection sociale complémentaire pour les salariés en activité partielle et l’adaptation des règles relatives aux contrats d’insertion s’inscrivent tous dans cette lignée. Nous nous en félicitons. Il en va également ainsi de la mobilisation des réserves des caisses complémentaires des indépendants, de la prise en compte des périodes d’activité partielle pour les droits à la retraite et de la dérogation aux règles de cumul emploi-retraite pour les soignants.
Les conséquences que cette crise emporte sont multiples et probablement, pour certaines, encore inconnues. Il est heureux que l’action de l’État réduise ses effets néfastes, en s’adaptant dans chaque domaine. Je pense particulièrement au fonds de soutien aux restaurateurs et à la singularité de son mode de financement.
Il importe cependant de veiller à ce que certains remèdes ne s’inscrivent pas dans le droit commun. Il est raisonnable que les circonstances actuelles, qui conjuguent incertitude et nécessité d’une reprise économique, exigent une adaptation par accord d’entreprise des règles relatives aux contrats courts, mais il serait regrettable que celle-ci devienne la norme. C’est à raison que la commission des affaires sociales du Sénat a prévenu un tel glissement, en fixant un terme à son application.
Concernant l’habilitation relative au Brexit, on ne peut, en premier lieu, que se satisfaire de la réduction de sa durée d’application. Il faut observer, dans un second temps, que, si la plupart des domaines en cause relèvent de questions techniques qui justifient, compte tenu de l’urgence, le recours aux ordonnances, ce n’est pas le cas de tous. Le maintien des licences et des autorisations de transfert vers le Royaume-Uni de produits et matériels de défense comme les problèmes que soulèvent certains contrats d’assurance et plans d’épargne en actions demandent une solution juridique pour laquelle les ordonnances sont adaptées.
En revanche, la désignation de l’autorité nationale chargée de la sécurité du tunnel sous la Manche et la définition du régime des ressortissants britanniques sur le territoire national ne justifient en rien une telle habilitation. C’est là se priver inutilement des vertus de la délibération parlementaire.
Enfin, le groupe RDSE soutient les amendements que Mme la rapporteure de notre commission des lois a apportés au texte : la réduction du délai d’habilitation, la suppression d’un potentiel effet rétroactif et l’amélioration du dispositif d’information des parlementaires garantissent à raison le bon exercice par les chambres de leur mission constitutionnelle de contrôle. Il en va également de la sécurité juridique de notre droit, principe qui a été éprouvé au cours des derniers mois et qu’il nous importe de réhabiliter au mieux et au plus vite. La qualité de la loi dépend de celle du dialogue entre le Gouvernement et le Parlement. Plus qu’une question de légistique ou une observation pratique, c’est un impératif démocratique.
C’est pour cette raison que le groupe RDSE sera très attentif aux débats, qui lui permettront d’éclairer son jugement et de décider de son vote. Nous devons dès maintenant poser les premiers jalons de la méthode que nous appliquerons pour conduire l’action de l’État dans la gestion d’une crise qui survivra à son volet sanitaire. La transparence, le dialogue institutionnel et la délibération parlementaire sont des éléments essentiels, voire tout bonnement nécessaires à la réussite de toute politique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Sylvie Vermeillet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre pays traverse depuis plus de deux mois une crise sanitaire sans précédent, qui a des conséquences considérables et diverses en matière économique, sociale, administrative et sanitaire.
C’est la raison pour laquelle, ces dernières semaines, nous avons été appelés, pour y faire face, à effectuer les aménagements nécessaires à notre cadre juridique, au travers de l’examen et du vote de plusieurs projets de loi. Nous sommes aujourd’hui de nouveau réunis pour nous prononcer sur une série de mesures qui viendront compléter ces dispositifs.
Sur la forme, il est vrai que les délais d’examen ont été courts. Comme l’ensemble des Français, nous privilégions autant que faire se peut le télétravail, ce qui complexifie notre activité, celle de l’administration du Sénat et de nos collaborateurs, mais l’urgence de la situation et son caractère inédit commandent que l’on légifère plus rapidement et que l’on adapte nos conditions de travail. Nous sommes en capacité de le faire.
Par ailleurs, ce texte contenait initialement un certain nombre – pour ne pas dire un nombre certain – d’habilitations à légiférer par ordonnances. Comme tout parlementaire, je n’en suis pas friand, même si je reconnais que le recours aux ordonnances peut s’avérer utile lorsqu’il est mû par l’urgence et la technicité des mesures. Toutefois, grâce au travail réalisé par nos collègues députés, puis au sein de notre Haute Assemblée – j’en profite pour rendre hommage à Mme la rapporteure et à MM. les rapporteurs pour avis –, un très grand nombre de dispositions ont été inscrites « en dur », « en clair » – autrement dit, quel que soit le vocabulaire retenu, elles figureront directement dans le texte. Le Conseil d’État s’était prononcé en faveur d’une telle démarche pour les dispositions brèves dont la rédaction était simple ou déjà très avancée ; le Gouvernement comme le Parlement ont épousé cette voie. Ce travail devrait se poursuivre aujourd’hui en séance, dans une démarche commune de clarification que nous pouvons saluer.
Pour finir sur les débats de forme, il me semble important de rappeler que le contrôle du Parlement sur la préparation et la mise en œuvre des quelques ordonnances restantes, introduit à l’Assemblée nationale et dont la rédaction a été précisée par le Sénat, permettra d’achever de rassurer ceux qui craignent un hold-up démocratique. Le rôle du Parlement a bien été préservé.
J’en viens maintenant au fond du texte.
Certains ont qualifié ce projet de loi de « fourre-tout ». Je retiendrai, pour ma part, un texte très dense, certes, mais qui se justifie par la multitude des secteurs touchés. Il vient répondre à plusieurs attentes de la population, exposée à des difficultés économiques et à des incertitudes sur l’avenir, et accompagne les conditions d’une relance de l’activité.
Je pense aux droits à la retraite au titre des périodes d’activité partielle. Notre groupe a d’ailleurs déposé un amendement sur ce sujet, afin de revenir à la rédaction de l’Assemblée nationale, qui nous semble plus protectrice.
Je pense également à l’augmentation de la durée de travail annuel maximale autorisée pour les étudiants étrangers, à la sécurisation des parcours d’insertion ou encore à la neutralisation de l’effet de la crise sanitaire sur la transformation des CDD en CDI dans la fonction publique.
Je pense, enfin, à la prise en compte de l’impact de la crise sur les entreprises dans l’adaptation du dispositif d’activité partielle, dont nous souhaitons nous assurer qu’elle intègre une attention aux secteurs qui dépendent de l’activité d’entreprises fermées du fait de la crise sanitaire.
En tant que commissaire aux lois, je ne peux pas ne pas m’arrêter un instant sur les dispositions relatives au fonctionnement de la justice.
Des réserves ont été émises en commission sur l’extension à trente départements de l’expérimentation de la cour criminelle. Elles s’expliquent par la sensibilité de ces sujets, confrontée aux incertitudes liées à la période particulière de crise que nous continuons à traverser. J’espère que nous trouverons, dans la suite de l’examen du texte, des points d’accord sur ce dispositif, qui a fait l’objet, à titre expérimental, de notre approbation dans le cadre de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
Je veux également saluer le report opportun de l’entrée en vigueur de plusieurs réformes civiles et pénales, qui n’a pas été remis en cause par la commission. Il devrait notamment permettre à l’autorité judiciaire d’être prête pour l’application de réformes indispensables et à notre Haute Assemblée de pouvoir mener, dans des délais raisonnables, le débat parlementaire envisagé sur le nouveau code de la justice pénale des mineurs. Les auditions ont d’ailleurs commencé, monsieur le président de la commission des lois.
Je veux enfin saluer les dispositions relatives aux territoires d’outre-mer, qui n’auraient pas trouvé rapidement de véhicules législatifs dans lesquels s’insérer, alors même qu’elles sont très attendues localement. Je pense à la prolongation d’un an de l’activité des agences des cinquante pas géométriques de la Guadeloupe et de la Martinique et, par conséquent, au report du transfert des espaces concernés aux collectivités territoriales. Je pense également à la prolongation de deux ans de l’activité de la commission d’urgence foncière de Mayotte, chargée d’aider les particuliers dans leurs démarches de régularisation foncière, avant qu’elle ne soit transformée en groupement d’intérêt public.
Pour compléter ces adaptations particulièrement bienvenues, nous présenterons tout à l’heure un amendement qui permet de maintenir l’échéance de la création du conseil de prud’hommes de Mayotte.
Mes chers collègues, je crois sincèrement que le texte dont nous débattons aujourd’hui a fait et continuera de faire l’objet d’un travail de réflexion commune, dans une démarche de clarification partagée, auxquels ont consenti et participé les commissions saisies.
Certes, des points de divergence demeurent à ce stade concernant la durée des habilitations d’abord, notamment s’agissant du Brexit. Les délais ont été jugés trop longs et contradictoires avec l’urgence du projet de loi. J’attire cependant votre attention sur le fait que nous n’avons absolument aucune visibilité quant à la reprise d’une activité « normale ». Ce temps supplémentaire permettrait de tenir compte de cet état de fait, pour une meilleure organisation du travail du Gouvernement, face, notamment, concernant les mesures relatives au Brexit, à l’incertitude profonde sur la durée de la période de transition. Nous en débattrons dans les prochaines heures.
Nous aurons également à débattre de la centralisation des trésoreries publiques, qui permettrait de réduire l’endettement et l’appel aux marchés de l’État, dans un contexte de forte sollicitation du Trésor.
Je veux croire, mes chers collègues, que notre Haute Assemblée saura dépasser ces divergences, afin d’avancer sur des sujets essentiels pour accompagner la reprise, dans l’intérêt de notre pays.
M. le président. La parole est à Mme Christine Herzog.
Mme Christine Herzog. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 3 du projet de loi transmis au Sénat habilite le Gouvernement, pour une durée de douze mois, à renforcer la centralisation des trésoreries publiques.
Cette demande d’habilitation pose problème, car elle élargit l’obligation de dépôt au Trésor public pour plusieurs organismes, particulièrement les collectivités territoriales. Or, en transférant leurs trésoreries sur le compte du Trésor public, non seulement celles-ci perdront une autonomie de gestion, mais elles seront également privées des ressources financières procurées par les intérêts.
Par ailleurs, cette centralisation s’appliquerait aussi aux organismes chargés d’une mission de service public, notamment ceux qui interviennent dans des secteurs essentiels tels que le transport, l’eau, l’énergie ou l’assainissement. Le moment est mal choisi pour les priver d’une gestion autonome, qui leur permet d’agir de manière plus souple et de déployer des capacités d’investissement plus que jamais nécessaires.
Dans la crise que nous traversons actuellement, cette perte de recettes constituerait un frein supplémentaire à l’autonomie fiscale des collectivités. Elle viendrait s’ajouter – faut-il le rappeler – à la baisse continue des dotations de l’État et à la suppression récente de la taxe d’habitation. Enfin, les pertes budgétaires ont encore été alourdies par la gestion de l’épidémie du Covid-19, qui a entraîné des coûts supplémentaires imprévus.
Un tel contexte ne peut que fragiliser les collectivités, au moment où elles ont un rôle majeur à jouer dans le soutien et la relance du tissu économique local.
Pour toutes ces raisons, je soutiens sans réserve la suppression de l’article 3, adoptée dans le texte de la commission des lois. C’est une condition indispensable de l’adoption de ce projet de loi.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui est, si je puis dire, une énième illustration d’une désinvolture assumée du Gouvernement à l’égard du Parlement et de la démocratie parlementaire.
Monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, vous profitez de l’état d’urgence sanitaire pour demander à la représentation nationale de se dessaisir de ses droits, en faisant de la législation par ordonnances la règle, alors même que, comme l’a souligné Mme la rapporteure, le Parlement a démontré sa réactivité face à la crise sanitaire.
Vous demandez au Parlement une délégation de son pouvoir législatif dans des domaines aussi variés que le droit social, le droit de la consommation, les finances publiques, le droit pénal, le droit d’asile, le droit européen, le code de la défense, le code de l’environnement, sans lien avec la gestion de la pandémie, aux seules fins de faire l’économie d’un débat de fond et d’éviter d’avoir à justifier vos choix devant les députés et les sénateurs.
Dans sa version initiale, ce projet de loi prévoyait 40 ordonnances, que le Gouvernement entendait prendre dans un temps extrêmement resserré, faisant fi du principe constitutionnel de clarté de l’élaboration de la loi. La seule ligne directrice de ce texte sans cohérence est de pallier le retard pris par le Gouvernement en amont de la crise sanitaire, reprenant des dispositions éparses de textes en cours de navette parlementaire.
Comment pourrions-nous accepter, en cette période d’incertitude et d’inquiétude, en cette période de défiance profonde de la population à l’égard de l’exécutif, le blanc-seing que vous demandez, alors qu’une cinquantaine d’ordonnances plus anciennes doivent encore être ratifiées ? Comment pourrions-nous accepter l’instrumentalisation de l’urgence sanitaire pour nous départir de notre pouvoir législatif pour un temps anormalement long, les délais des habilitations prévues initialement variant entre six et quinze mois à compter de la publication de la loi ? Nous saluons, à cet égard, le travail de la commission des lois, qui a réduit le champ et la durée de nombreuses ordonnances et qui a rappelé que le Gouvernement devrait présenter les projets de loi de ratification de ces dernières dans un délai de deux mois.
Comment accepter que, dans ce brouillard législatif, le Gouvernement puisse profiter de la confusion et de l’inquiétude générale pour prendre des mesures qui vont nuire aux Français ? Ne nous y trompons pas : si certaines mesures sont directement liées à l’épidémie de Covid-19 – il y va ainsi des règles applicables au chômage partiel, de la fin anticipée des saisons sportives, de la prolongation du versement de l’allocation pour les demandeurs d’asile et des contrats aidés –, d’autres, en revanche, et non des moindres, sont des attaques en règle contre le droit du travail ou le pouvoir judiciaire, ou encore en faveur d’intérêts particuliers, voire purement électoraux.
Pour illustrer mon propos, quelle urgence y a-t-il à favoriser l’ouverture de la saison de la chasse, alors que nos concitoyens sont encore limités dans leur liberté d’aller et venir et doivent se soumettre aux gestes barrières afin d’éviter une seconde vague ? Que dire de la possibilité laissée aux employeurs de multiplier les contrats à durée déterminée hors de toute contrainte et de déroger au nombre de vacations dans toute une série de missions publiques ? Nous le savons, l’assouplissement des règles relatives au CDD et à l’intérim s’est toujours accompagné d’une précarisation des conditions d’emploi pour les travailleurs concernés, sans effet significatif en termes de relance économique, d’autant que cette mesure a été aggravée par la commission des affaires sociales, qui ne souhaitait pas que les dérogations aux règles de renouvellement des CDD existantes soient neutralisées par la durée de trente-six mois prévue à l’article 1er bis A. Il s’agit des contrats conclus dans le cadre des parcours emploi compétences, en particulier des contrats uniques d’insertion.
Quelle urgence y avait-il à inscrire dans ce texte une mesure du projet de loi ASAP permettant aux entreprises de moins de onze salariés de mettre en place un dispositif d’intéressement par décision unilatérale de l’employeur et de prévoir sa reconduction tacite, alors que, dans le même temps, nous savons que de nombreuses familles risquent de voir leurs revenus diminuer à partir de juin si les enfants ne retournent pas à l’école ?
Que dire encore de l’allongement de la durée de séjour des travailleurs étrangers afin de disposer d’une main-d’œuvre peu contraignante et corvéable à merci ? Si la mesure est de bon sens, rien n’est prévu sur leurs conditions de travail et de rémunération. Or il semble que les contraintes sanitaires renforceront le caractère inacceptable des conditions de travail de ces travailleurs, pourtant essentiels. Dans le même temps, rien ou presque n’est prévu pour les travailleurs saisonniers.
La plupart de ces affaiblissements pourront se prolonger plusieurs mois après la fin de l’état d’urgence. Au lieu de proposer un grand plan de relance, avec des droits sociaux nouveaux et des filets de sécurité pour tous, ce texte ne fait qu’étendre la précarité et la casse des conquis sociaux.
De même, comment justifier l’élargissement de l’expérimentation des cours criminelles – rejeté en commission –, à rebours des engagements pris par le Gouvernement au moment du débat sur la réforme de la justice ?
Malgré le travail sénatorial et la réduction du nombre d’habilitations de 24 à 10, le recours aux ordonnances participe de la dégradation du Parlement. Cela n’est pas acceptable. Le Parlement n’est pas une institution qu’il faudrait occuper afin de se donner bonne figure. Dans cette période d’entre-deux, entre confinement et perspectives de déconfinement total, nous refusons d’être infantilisés et revendiquons le respect de notre légitimité démocratique. Renoncer encore et toujours à nos compétences, c’est oublier que le mandat qui nous a été confié par les Françaises et les Français doit être respecté. C’est oublier que, si, à l’instar de la vie économique, sociale et culturelle, la démocratie a été percutée de plein fouet par la crise que le pays traverse, elle doit rester debout, ne pas être malmenée, bafouée, bâillonnée, sous peine de faire violence aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, auxquelles nous sommes très majoritairement ici attachés.
L’urgence ne justifie pas la précipitation. Elle ne justifie pas que le Parlement soit entravé dans sa capacité d’analyse et de décision éclairée. C’est pourquoi nous voterons contre ce projet de loi, qui n’a d’urgent que le titre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ces dernières semaines ont mis un coup d’arrêt à notre économie.
Notre PIB s’est contracté de 5,8 % au premier trimestre, un record depuis 1949. Nous savons que nous allons devoir faire face, dans les prochains mois, à une crise économique d’une ampleur considérable et préoccupante. Nous devons l’anticiper et nous y préparer.
Ce texte que nous examinons comporte plusieurs mesures en ce sens. Il s’agit d’assurer la pérennité des entreprises fragilisées par la crise. Pour cela, l’État a largement activé le régime de chômage partiel, permettant de mettre en sommeil bon nombre d’entre elles. L’économie redémarre doucement, sans doute trop lentement encore et, pour l’accompagner, nous devons apporter aux entreprises la flexibilité dont elles ont besoin.
Le confinement a engendré d’importantes pertes d’activités qui ne sont pas sans conséquences sur les contrats de travail. Dans les six prochains mois, les CDD, les contrats de mission ou encore les contrats uniques d’insertion pourront être conclus ou renouvelés pendant une durée de trente-six mois, contre vingt-quatre mois auparavant. Il faudra cependant les encadrer par des accords d’entreprise et, bien évidemment, comme c’est prévu dans le texte, les limiter dans le temps.
Autre mesure à destination des TPE, un régime d’intéressement pourra être mis en place pour une durée maximale de trois ans. Le groupe Les Indépendants croit beaucoup à l’intéressement, qui lie l’intérêt des entreprises à celui des salariés. C’est, à nos yeux, un dispositif juste, qui permet de partager le fruit de l’activité avec ceux qui contribuent à la faire naître. Cette mesure contribuera aussi à relancer l’économie.
Toutefois, avant de parler d’intéressement, il faut préalablement qu’il y ait création de richesses. À cet égard, notre groupe voulait proposer que les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), déjà très mobilisés en faveur des entreprises de leur territoire, puissent octroyer et gérer eux-mêmes les aides aux entreprises en difficulté, bien évidemment en complémentarité avec les régions. Je regrette que l’amendement en ce sens de mon collègue Emmanuel Capus ait été rejeté au titre de l’article 40 de la Constitution. L’exécutif recourt beaucoup – beaucoup trop – aux ordonnances, mais nous nous bridons parfois nous-mêmes.
M. Loïc Hervé. C’est bien vrai !
M. Franck Menonville. Il est aussi prévu que les salariés concernés par une activité partielle disposeront des mêmes droits à la retraite que s’ils avaient été employés à plein temps. C’est là une mesure importante dans le contexte actuel.
Le secteur privé n’est pas le seul à devoir s’adapter aux circonstances exceptionnelles de cette crise que nous traversons. La fonction publique a elle aussi besoin de souplesse. Ainsi, les militaires et les chercheurs pourront voir leurs droits et contrats prolongés. Par ailleurs, nous nous félicitons des dispositifs permettant le cumul des pensions civiles et militaires avec les revenus liés aux activités dans les hôpitaux publics et privés, au plus fort de la crise. C’est bien là le minimum que nous devions à toutes celles et à tous ceux qui se sont mis au service de la santé de nos concitoyens durant le pic de l’épidémie.
La situation des travailleurs étrangers en France a aussi été impactée par la pandémie. Elle a besoin d’être clarifiée. Le plafond d’activité des travailleurs saisonniers étrangers présents en France au 16 mars sera relevé de six à neuf mois ; bien évidemment, cette mesure est limitée dans le temps. Ces travailleurs sont particulièrement nécessaires dans les secteurs agricoles et viticoles, entre autres. À cet égard, je soutiens l’inscription par la commission du correctif à la loi Égalim (loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous). Ces mesures sont nécessaires au secteur agricole, déjà très fragilisé avant cette crise et encore plus aujourd’hui.
Les étudiants étrangers seront également autorisés à travailler de manière dérogatoire – jusqu’à 80 % –, en attendant la reprise effective des cours.
Tout comme l’économie, l’ensemble de l’activité sociale doit reprendre. C’est absolument indispensable.
Je pense notamment à la justice. Le retard accumulé en la matière est considérable. Pour faire face à cet afflux, les tribunaux vont devoir employer des moyens exceptionnels. Nous souhaitons cependant que cela ne nuise pas au respect des règles et des procédures les plus élémentaires, en particulier au tirage au sort des jurés d’assises. Il est impératif que le public puisse assister à ces procès. Nous vous proposerons de voter des amendements en ce sens, car c’est véritablement, à nos yeux, la base du principe républicain.
Le projet de loi comporte des dispositions très diverses. En effet, près de 40 sujets différents y sont abordés. En raison de l’urgence, le Gouvernement a demandé à être largement habilité à légiférer par ordonnances. L’Assemblée nationale puis notre commission des lois ont fortement contribué à réduire le nombre d’habilitations, passé de 24 à 10. Nous le saluons.
Les dispositions correspondantes ont été intégrées au texte. Elles seront ainsi débattues, dans le respect des impératifs de l’urgence, par le Parlement, qui a fait preuve d’une grande réactivité ces derniers mois, notamment depuis le début de la crise. En effet, cinq lois ont été votées depuis la fin du mois de mars.
Aujourd’hui, l’heure est à la relance. Nous devons tous être mobilisés pour favoriser un retour à la normalité progressive et continue dans notre pays, tout en gardant à l’esprit que nous devrons apprendre à vivre ensemble avec le virus. Pour autant, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, le Gouvernement ne doit pas contourner le débat parlementaire par un recours excessif aux ordonnances.
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour la première fois depuis plus de douze semaines, nous avons le plaisir d’examiner un projet de loi dans des délais, non pas raisonnables, mais qui permettent à chacune des deux assemblées d’y apporter son regard, son expérience et, donc, de l’améliorer.
La crise sans précédent que nous avons traversée justifie naturellement l’urgence et la rapidité d’examen des différents textes auxquels le groupe Union Centriste a toujours apporté un appui constructif et bienveillant, car notre pays avait besoin de mesures urgentes, qu’elles soient sanitaires, économiques ou sociales.
Avec deux lois, une organique et une ordinaire, une loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire et deux lois de finances rectificatives, le Parlement s’est largement mobilisé, même dans des conditions matérielles difficiles.
Le Gouvernement, afin de pouvoir agir vite, devait légitimement bénéficier du soutien préalable des législateurs que nous sommes, mais sous l’œil des parlementaires soucieux du contrôle de l’action gouvernementale que nous ne sommes pas moins.
Si l’état d’urgence sanitaire est toujours déclaré, nous sommes arrivés aujourd’hui dans une temporalité différente : après la période de confinement qui a nécessité de légiférer rapidement, et donc le plus souvent par ordonnances, nous sommes désormais dans une période de déconfinement progressif, qui doit être celle non pas du maintien de l’état d’exception, mais de la préparation du retour à l’état ordinaire, habituel, pour toute prise de décision démocratique.
Ainsi, le recours massif aux ordonnances, tel qu’il était prévu par le projet de loi initial, ne se justifie plus, comme l’a d’ailleurs signifié le Conseil d’État. Ce positionnement a d’abord été repris par nos collègues députés, puis par notre commission des lois. Sous l’impulsion des parlementaires, ce sont entre trois et quatre fois moins d’habilitations à légiférer par ordonnances qui figurent aujourd’hui dans le texte. Les 10 habilitations restantes s’ajoutent d’ailleurs aux 57 ordonnances déjà prises en application de la loi d’urgence du 23 mars dernier.
Au passage, il est illusoire d’imaginer que ces dernières seront ratifiées par le Parlement. C’est regrettable, car une habilitation n’a de sens que s’il y a contrôle de son utilisation par la ratification. C’est aussi dommageable à la qualité de la norme, ce que nous constatons d’ailleurs dans ce texte : nombre d’amendements viennent en quelque sorte combler les manquements, les oublis ou les erreurs des ordonnances déjà présentées par le Gouvernement. Je pense notamment aux difficultés rencontrées pour certains contrats dans les structures d’insertion ou aux oubliés de l’apprentissage.
Au-delà de l’urgence et de la méthode, que nous avons malgré tout suivie, il est toujours difficile pour un parlementaire d’accepter de se dessaisir de son pouvoir de législateur au profit du pouvoir exécutif. Ce n’est pas dans nos gènes, et encore moins, ici, au Sénat. La notion d’urgence doit donc être prise avec gravité et j’invite chacun d’entre nous à l’utiliser avec parcimonie.
J’aimerais, à ce stade, saluer le travail d’analyse et de proposition de nos trois rapporteurs, respectivement de la commission des lois, de la commission des affaires sociales et de la commission des finances, qui ont travaillé avec des objectifs communs que nous partageons : écrire « en clair » un maximum de dispositions ; restreindre le champ des habilitations tout en les inscrivant dans des délais raisonnables, c’est-à-dire réduits, par rapport au texte initial ; rétablir les consultations obligatoires ; et limiter au maximum les mesures du texte à des dispositifs dérogatoires en réponse à l’état d’urgence sanitaire.
Le projet de loi qui nous est soumis contient des mesures très diverses, voire trop, qui présentent un caractère parfois d’urgence, parfois de rattrapage et parfois d’opportunité. C’est entre ces trois qualificatifs qu’il a fallu choisir pour enrichir et resserrer le texte. Il nous faut néanmoins envisager les dispositions proposées à l’aune d’un double impératif : répondre à la crise par des mesures dont la plupart prolongent des décisions déjà prises et anticiper certaines décisions nécessaires à l’action.
Sur le fond, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, nous partageons une grande partie de vos objectifs. Ce projet de loi vise à accompagner la reprise du pays à la sortie du confinement dans toutes ses dimensions tout en le préparant aux échéances futures, comme le Brexit.
Face à un risque de récession inédite, il est essentiel de relancer notre pays, aujourd’hui à l’arrêt. Les enjeux sont d’importance : il s’agit d’assurer la continuité des services publics et l’organisation des pouvoirs régaliens, de réamorcer la pompe en relançant notre économie tout en évitant que les difficultés des entreprises ne se traduisent par un chômage de masse et par un accroissement des difficultés de nos concitoyens. C’est un enjeu immense.
Nombre de mesures proposées nous paraissent nécessaires, qu’elles touchent à la prorogation de divers mandats en dehors du champ politique, à la continuité des missions dans lesquelles nos forces armées sont engagées ou encore à diverses mesures sectorielles touchant, par exemple, aux domaines de la recherche ou du sport.
Ce projet de loi répond aussi à un souci de protection des salariés. Je pense notamment aux mesures qui favorisent la reprise de l’activité des entreprises tout en offrant un cadre plus sécurisant aux salariés.
En revanche, certaines mesures, comme celles qui sont contenues à l’article 3 et prévoient une mutualisation de la trésorerie de nombreux acteurs publics au sein du Trésor, nous paraissent manquer de préparation et de précision. Les objectifs d’une telle mutualisation peuvent être entendus, mais il faut travailler à un meilleur encadrement et à une meilleure définition de son périmètre si vous souhaitez la rendre acceptable. En effet, elle pourrait priver plusieurs organismes publics, ainsi que les collectivités territoriales, de ressources induites en rigidifiant leurs mouvements et besoins de trésorerie au seul profit de l’État. Nous devons pouvoir mesurer précisément son impact. Le rapporteur général et de nombreux groupes ont ainsi souhaité sa suppression dès le stade de la commission. Il faut la maintenir.
À titre plus personnel, je me réjouis, avec Catherine Di Folco, ma corapporteure du projet de loi de transformation de la fonction publique, que nous ayons pu faire adopter plusieurs amendements visant notamment l’élargissement, hors état d’urgence sanitaire, de la mise à disposition à titre gratuit des agents territoriaux ou hospitaliers auprès des hôpitaux ou des Ehpad, selon la volonté des employeurs publics, ou encore à la « neutralisation » des effets de l’état d’urgence sur la transformation de CDD en CDI dans les trois versants de la fonction publique.
En conclusion, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, sans entrer davantage dans le détail de ce texte, vous aurez compris que les membres du groupe Union Centriste soutiennent les orientations de ce projet de loi et voteront donc en sa faveur, tout en conservant un regard naturellement attentif sur sa mise en œuvre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Michel Canevet. Excellente intervention !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Di Folco. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Di Folco. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous entamons l’examen d’un projet de loi que tout le monde qualifie d’assez particulier.
Dans son avis, le Conseil d’État constatait assez pudiquement que ce projet de loi traitait d’une grande variété de domaines. Mme le rapporteur de la commission des lois a utilisé, non sans humour, un terme plus « casimiresque » que juridique, qui décrit pourtant judicieusement la structure de ce texte.
C’est par cet aspect que je commencerai mon propos. De tels textes rendent forcément plus difficiles le travail parlementaire, l’enrichissement de la loi, le contrôle de l’action du Gouvernement. Le rapport de la commission des lois a qualifié ce texte de « projet de loi le plus hétérogène depuis le début des années 2010 ».
En outre, le Conseil d’État a constaté que l’étude d’impact se bornait à fournir des indications très parcellaires sur certaines habilitations.
Même si nous pouvons comprendre les particularités des circonstances actuelles, nous condamnons cette méthode qui nous oblige à discuter, pêle-mêle, des réservistes de la police, des tickets-restaurant, de la justice pénale, des compétitions sportives ou encore des suites des essais nucléaires dans le Pacifique.
Comme l’ont souligné tous les orateurs, le projet de loi initial était constitué en tout et pour tout d’une quarantaine d’habilitations à légiférer par ordonnances. Elles portaient parfois sur des durées qui ne justifiaient guère l’urgence. Je pense, par exemple, aux dispositions concernant le Brexit. Il y a vraiment de quoi rester perplexe.
Malgré tout cela, à partir du texte déjà amendé dans le bon sens par l’Assemblée nationale, nos commissions des lois, des affaires sociales et des finances ont réalisé un travail considérable et remarquable. Elles ont équilibré les mesures, réduit les durées d’habilitation et amélioré les rédactions juridiques.
Pour ces raisons, nous tenons à remercier nos rapporteurs : Mme Jourda, M. Savary et M. de Montgolfier. Ils ont joué le jeu et ont été suivis par leurs commissions dans cette démarche, fidèles à ce qui a toujours été l’un des principaux soucis du Sénat : enrichir et améliorer la loi.
Toutefois, malgré cet effort salutaire, il faut bien reconnaître que nous faisons souvent pour le mieux avec ce que l’on nous donne. Une fois le texte promulgué, on s’interrogera sans doute sur sa lisibilité pour nos concitoyens. Même maintenant, ce projet de loi ne brille ni par sa clarté ni par son intelligibilité.
Au-delà de ces questions de forme, qu’en est-il du fond du texte ? Nombre de choses, que je ne pourrais guère résumer ici sans risquer de vous ennuyer par un inventaire à la Prévert, qui ne serait qu’une répétition imparfaite de ce qui a déjà été dit. Je ne m’arrêterai donc que sur quelques points, parmi beaucoup qui auraient pu être soulevés.
Parfois, le recours aux ordonnances se justifie indéniablement. C’est la raison pour laquelle nous avons voté de larges habilitations le 23 mars dernier. Mais nous ne pouvons que nous interroger face au dépôt d’un texte qui ne comprenait initialement que des ordonnances, alors que nombre d’entre elles pouvaient aisément être immédiatement inscrites dans la loi. Il ne doit pas y avoir de glissement vers un recours systématique à l’ordonnance – à plus forte raison lorsque la procédure allant de l’habilitation à la ratification finit parfois par être plus longue que la procédure législative ordinaire.
C’est donc avec satisfaction que je constate que les habilitations ne sont plus qu’au nombre de 10, complétant un processus entamé à l’Assemblée nationale. Il s’agit non pas d’une simple suppression, mais bien d’un enrichissement, car certaines mesures objectivement abouties ont pu être utilement inscrites « en clair » dans la loi. Je pense, par exemple, aux durées d’engagement des militaires, au temps de travail des adjoints de sécurité et volontaires de la gendarmerie ou encore au prolongement de l’expérimentation du relèvement du seuil de revente à perte.
La commission des affaires sociales, pour sa part, a inscrit dans la loi les habilitations portant sur le prêt de main-d’œuvre, sur l’indemnisation du chômage et sur la représentation des salariés des TPE.
La commission des lois a néanmoins été plus circonspecte sur certains dispositifs. C’est en particulier le cas de l’extension à trente départements de l’expérimentation des cours criminelles. Comme l’a expliqué Mme le rapporteur, ce dispositif fait courir le risque de détourner de son objet cette expérimentation pour en faire un simple outil de gestion du stock d’affaires. Laissons donc de côté cette extension problématique afin de pouvoir, le moment venu, procéder à une évaluation rigoureuse de cette expérimentation en fonction de ses seuls mérites.
Enfin, l’article 3 a été supprimé par la commission des finances. Il habilitait le Gouvernement, pour une durée d’un an, à prendre par ordonnances des mesures relevant du domaine législatif en vue de renforcer la centralisation des fonds détenus par certaines personnes morales sur le compte unique du Trésor.
La commission des finances n’avait pu obtenir d’informations précises sur les organismes concernés, ce qui n’est pas satisfaisant quand il est question d’une habilitation de longue durée, prise dans l’urgence. Le Gouvernement a déposé un amendement pour restaurer cet article : nous attendrons donc des explications plus détaillées de sa part. Le rapporteur général de la commission des finances a d’ailleurs émis de nombreuses réserves sur ce rétablissement dans son intervention.
Pour conclure, nous avons donc affaire à un projet de loi assez baroque, qui interroge presque plus par sa forme que par son fond. Néanmoins, nous estimons que le travail effectué par les commissions a permis de le bonifier et de le toiletter suffisamment pour le rendre acceptable. C’est sur cette base que groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi nous interpelle à la fois par ce qu’il contient et par ce qu’il ne contient pas.
Je commencerai, bien évidemment, par ce qu’il contient.
Nous traversons une crise d’une exceptionnelle gravité, qui impose des mesures tout aussi exceptionnelles. Vous en avez pris certaines, comme le chômage partiel qui a probablement évité des faillites en nombre et leur corollaire, les pertes d’emplois – tout du moins pour le moment. Au fur et à mesure qu’apparaissent les difficultés, vous avez besoin d’adapter les différents dispositifs.
Si nous comprenons que vous devez agir dans l’urgence, nous n’admettons pas la mise à mal du travail parlementaire, pas plus que celle du dialogue social. Cette frénésie d’habilitations qui mène, entre autres, à une mise aux enchères moins-disantes du code du travail ne peut durer plus longtemps.
Ce projet de loi a notamment pour objectif de modifier le régime des contrats à durée déterminée, à rebours de ce qui avait été acté en 2017 : depuis les ordonnances Travail, les entreprises ne pouvaient retoucher ces contrats qu’à la seule condition d’offrir des garanties au moins équivalentes à celles des accords de branche. Si ce texte était adopté en l’état, ce ne serait plus le cas : jusqu’à la fin de l’année, les conventions d’entreprise pourront fixer le nombre maximal de renouvellements d’un contrat de travail à durée déterminée, fixer les modalités de calcul du délai de carence entre deux CDD et prévoir les cas dans lesquels ce délai n’est pas applicable. Dans cette nouvelle configuration, les dérogations pourraient être négociées au sein de l’entreprise pour tous les contrats courts signés avant la fin de l’année. Or nous savons que les syndicats peinent à se faire entendre à cet échelon.
Alors que la démocratie sociale est déjà fragilisée, vous engagez les salariés vers le risque d’un quasi-tête-à-tête avec leurs employeurs, ce qui peut s’avérer très compliqué en cette période. Vous affirmez vouloir protéger les salariés les plus précaires et, dans le même temps, vous gravez dans le marbre la libéralisation du régime des CDD.
Vous ouvrez aussi la porte à une modification du fonctionnement des comités sociaux et économiques (CSE) et vous permettez l’utilisation des réserves de certains régimes de retraite à des fins d’aides sociales. Certes, le tout pour un temps a priori déterminé et dans le but, encore une fois, de pallier l’urgence. Promis, nous dites-vous, ça s’arrêtera là. Vous savez pourtant que l’enfer peut être pavé de bonnes intentions…
Venons-en maintenant à ce que ce projet de loi ne contient pas.
Depuis le 11 mai dernier, notre pays revient peu à peu à la vie. Lentement, prudemment, mais – espérons-le – sûrement. Ce retour à la vie, comme il est de mise après un cataclysme, est saisissant de contrastes. Celui que je relève en premier et auquel je ne peux m’empêcher de faire référence, c’est le changement de discours du Président de la République : après avoir fustigé sur le quai d’une gare « ceux qui ne sont rien », il rend hommage à ces femmes – fort nombreuses – et à ces hommes qui ont tenu le pays depuis le 15 mars dernier en continuant leur travail. Puissent ceux qui les croisent sans jamais les regarder se le rappeler.
Autre contraste, celui de pans de notre économie hier florissants, comme l’aéronautique, le tourisme ou l’automobile, qui se retrouvent, du jour au lendemain, plongés dans l’incertitude la plus totale.
Qu’il s’agisse de ceux qui nous ont maintenus en vie, au sens propre comme au sens figuré, ou de ceux qui, demain, seront menacés de dépression économique, il nous faut tracer des perspectives. Pas des perspectives pour après-demain, ni même pour demain, mais des perspectives immédiates. Or ce projet de loi qui arrive au début du déconfinement ne déconfine pas grand-chose. C’est qu’il vous faut, si vous voulez prendre au mot le Président de la République, détricoter à peu près tout ce que vous avez tricoté depuis trois ans, à savoir votre politique fiscale pour remettre enfin un minimum de justice sociale dans ce pays, à savoir votre vision très élitiste de la société, où seule avait droit de cité la « start-up nation », à savoir votre réforme du chômage, qui s’avérait déjà fort injuste et qui s’avérera inique dans les circonstances actuelles si vous n’y mettez fin, à savoir votre discours lénifiant sur l’égalité femmes-hommes, qui ne trouvait aucune concrétisation réelle.
En fait, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, nous n’avons pas besoin d’un acte de contrition télévisé dont nous doutons d’ailleurs terriblement de la sincérité. Nous voulons des mesures propres à remettre au cœur de la société ceux qui la maintiennent au quotidien et ceux qui en sont exclus. Le tout par une réforme fiscale courageuse et après un vrai débat parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi est un texte fourre-tout, qui pose de sérieuses questions de principe quant aux droits du Parlement. Comme plusieurs d’entre nous l’ont rappelé, la crise sanitaire ne justifie pas tout.
Je concentrerai mon intervention sur l’article 4, qui traite du Brexit et que j’ai examiné avec un intérêt particulier en tant que rapporteur de la loi du 19 janvier 2019, dont cet article est en quelque sorte le « petit frère ». La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, bien qu’elle ne soit pas saisie pour avis, en a débattu par visioconférence la semaine dernière.
Il s’agit aujourd’hui d’habiliter le Gouvernement à combler les vides juridiques susceptibles d’apparaître à l’issue des négociations en cours entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, notamment si ces négociations devaient échouer. L’hypothèse d’un no deal n’est pas une simple vue de l’esprit : les négociations, cela n’aura échappé à aucun d’entre nous, se passent très mal. Des blocages de fond demeurent sur des sujets cruciaux tels que la pêche ou l’équité des conditions de concurrence. Les tensions demeurent vives sur les sujets théoriquement résolus des contrôles à effectuer en mer d’Irlande, des droits des citoyens et des droits de douane. L’impasse devient évidente, les Britanniques ne souhaitant pas prolonger la période de transition.
C’est la raison pour laquelle je ne suis pas hostile à une habilitation symétrique de celle que nous avions accordée au Gouvernement l’an dernier. Je vous rappelle, mes chers collègues, que toutes les majorités ont, de tout temps, eu recours aux ordonnances à un moment ou un autre.
Le texte transmis par l’Assemblée nationale était toutefois très insatisfaisant. Nous ne pouvons accepter des habilitations « balai » permettant au Gouvernement de combler d’éventuels oublis, alors que cela fait maintenant presque quatre ans, comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, que nous sommes prévenus qu’il y aura un Brexit.
Le Gouvernement demandait initialement un délai d’habilitation de trente mois, que l’Assemblée nationale a ramené à quinze mois. C’est mieux, mais c’est encore trop.
Sur ces deux points, le texte élaboré par la commission des lois, grâce au travail de son rapporteur, Muriel Jourda, me satisfait pleinement. Il comporte les deux amendements que j’avais envisagé de déposer au nom de notre commission. J’apporte donc mon entier soutien à la nouvelle rédaction de l’article 4 issue des travaux de la commission des lois, en particulier au délai d’habilitation réduit à sept mois.
En conclusion, mes chers collègues, la crise sanitaire ne doit pas nous faire perdre de vue le Brexit. Les citoyens doivent s’y préparer. Je voudrais redire ici que les ressortissants britanniques restent tout à fait bienvenus sur notre territoire, contrairement à certaines déclarations entendues de l’autre côté de la Manche, vendredi soir dernier. Il doit en aller de même pour les citoyens français au Royaume-Uni.
Toutefois, madame la secrétaire d’État, je demande l’application de la règle de la réciprocité : si les Anglais veulent nous appliquer une quarantaine de deux semaines en arrivant au Royaume-Uni, je demande l’application de la même quarantaine aux Anglais qui souhaiteraient venir chez nous.
Enfin, mes chers collègues, n’oublions pas que les entreprises aussi doivent se préparer, car les conséquences du Brexit viendront malheureusement s’ajouter au cataclysme économique qui s’annonce. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ferai quelques réponses rapides avant d’entamer l’examen des articles.
Monsieur Marie, vous avez dit de ce texte qu’il était profondément antisocial. Il s’agit pourtant de prolonger un certain nombre de mesures de protection des salariés, notamment au travers du dispositif de chômage partiel. J’avoue être quelque peu étonné de cet argument.
Par ailleurs, vous dites que l’article 3 viserait à faire main basse sur l’argent de je ne sais quelle structure. Comme l’a souligné le rapporteur général, cela fait une vingtaine d’années que les collectivités locales participent à un dispositif de ce type, à hauteur de 130 milliards d’euros. Et je réponds aussi en cela à Mme Herzog. Nous ne faisons pas main basse sur l’argent de qui que ce soit. N’employons pas de mots qui fassent peur. Aucune collectivité n’est jamais venue se plaindre de ce dispositif. J’ai été maire et je vous prie de croire que je l’aurais fait si tel avait été le cas.
Madame Assassi, je ne crois pas que nous profitions de l’état d’urgence sanitaire. Personne n’en profite et personne ne peut s’en réjouir – ce n’est d’ailleurs pas votre cas. Nous essayons d’adapter des dispositifs en fonction de notre situation sanitaire, qui est aussi celle de la plupart des pays du monde.
Il est d’ailleurs paradoxal que vous reconnaissiez que certaines de ces mesures sont intéressantes tout en souhaitant le rejet global de ce texte. Nous aurons l’occasion d’en reparler au cours du débat. Vous voudriez aller plus loin sur certains sujets, mais ce n’est pas une raison pour occulter ceux que nous essayons de résoudre étape par étape.
Enfin, madame Assassi, vous connaissant, je ne crois pas qu’il y ait le moindre risque pour que la démocratie soit bâillonnée et j’ai plutôt tendance à m’en réjouir.
Monsieur Mohamed Soilihi, je remercie votre groupe de son soutien constant et de votre vigilance sur certains sujets, en particulier l’outre-mer. Nous aurons l’occasion d’en débattre.
Monsieur Menonville, vous avez souligné les questions de l’intéressement et du statut des salariés à temps partiel et vous nous avez invités à nous mobiliser sur la relance. Muriel Pénicaud, qui nous a rejoints, et moi-même ne manquerons pas d’y revenir lors de la discussion de l’article concerné. Je tiens à redire l’importance du débat parlementaire.
Monsieur Hervé, vous avez rappelé à juste titre que ce projet de loi visait à prolonger un certain nombre de dispositifs votés en mars dernier. Vous appelez à la vigilance, comme tous les orateurs, sur les projets de loi d’habilitation. Mais nous y avons déjà répondu, d’une certaine façon, au travers de ce qu’a souhaité le Gouvernement et de ce qu’ont souhaité l’Assemblée nationale et la Haute Assemblée. Tout cela me paraît aller dans le bon sens et je tiens à vous remercier de vos mots.
Madame Costes, vous avez appelé à la vigilance de votre groupe et précisé que vous vous détermineriez à l’issue du débat, ce qui est une lourde charge à assumer pour nous tous. J’espère que votre vote sera un bon juge de paix de la qualité de nos échanges. Je comprends votre appel à la vigilance, rien de plus normal dans un débat parlementaire.
Madame Di Folco, il s’agit effectivement d’un texte qui aborde pêle-mêle beaucoup de sujets et j’ai apprécié la mesure de vos propos. Je n’ai d’ailleurs pas essayé d’éluder la question.
Si nous avons devant nous autant de sujets, c’est que la crise emporte des conséquences sur l’ensemble du tissu social et économique de la société et sur son organisation. Elle est non pas sectorielle, mais totale, d’où le côté pêle-mêle de ce texte. Je comprends les difficultés que cela peut représenter en termes de lisibilité pour nos concitoyens. Le président Bas a dit qu’il s’agissait, pour l’essentiel, de dispositions techniques. Nos compatriotes ont besoin qu’on réponde à leurs sollicitations, notamment ceux d’entre eux qui sont en CDD et voient leurs contrats arriver à leur terme sans solution, ceux qui sont en situation de chômage partiel ou ceux qui s’inquiètent pour l’avenir de leur entreprise ou de telle ou telle structure.
Nous devons répondre concrètement à ces interrogations immédiates. Je comprends votre logique et la nécessité d’une vision plus globale, mais il s’agit de l’étape suivante, celle du plan de relance, qui sera aussi celle de la grande visibilité.
Au travers du présent projet de loi, nous nous efforçons de répondre très concrètement aux sujets évoqués par les uns et par les autres.
Madame Lubin, je voudrais vous remercier de votre regard plutôt « acceptable » sur ce texte, notamment grâce au travail du Sénat que je tiens à saluer.
Vous avez dit de ce projet de loi qu’il allait accroître la précarité. Nous en débattrons dès l’article 1er, mais je crois au contraire que ce texte permet de limiter la précarité. J’aurais aimé, même si rien n’est jamais parfait, que vous saluiez les mesures prises dans la loi du 23 mars dernier. Il s’agit ici de les prolonger sous d’autres formes. C’est bien un gage de notre volonté collective de préserver les plus fragiles. Ces dispositions visent toutes à limiter les conséquences économiques, et donc sociales, de cette crise qui est encore pleinement devant nous.
Monsieur Poniatowski, je laisserai Amélie de Montchalin vous répondre sur la question européenne, n’étant pas un éminent spécialiste du sujet.
Vous avez souligné, comme d’autres, que la crise sanitaire ne justifiait pas tout, y compris en termes de procédure parlementaire. Nous partageons d’autant plus volontiers votre point de vue que nous avons inscrit le maximum de dispositions en dur. Mais la crise nécessite beaucoup de choses et notamment d’avancer clairement sur un certain nombre de sujets. Je ne préjuge pas de l’article 4, dont nous débattrons.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite à mon tour répondre à certaines de vos allusions et interventions.
Monsieur Marie, vous auriez souhaité un débat dédié après le 1er juillet. Mais la crise sanitaire nous empêche d’organiser les débats parlementaires comme nous le souhaiterions. En outre, le calendrier est souvent particulièrement chargé à l’automne. Dès lors, il nous semblait dangereux de ne pas prendre certaines des dispositions que nous pouvions prendre dès maintenant et qui visent à protéger nos concitoyens. Les questions d’assurance vie, d’épargne ou celles qui sont liées au tunnel sous la Manche inquiètent les acteurs et les épargnants.
Il nous semblait difficile, alors que le contexte financier n’est pas bon, de pousser les épargnants à liquider dans les pires conditions leur épargne, par manque de visibilité sur la protection que nous pourrions leur apporter. C’est pourquoi il était pour nous important d’agir maintenant sur ce sujet. Certes, nous y verrons sans doute un peu plus clair le 1er juillet, je vous le concède. Pour autant, je ne suis pas sûre que nous aurions le temps, entre le 1er juillet et le 31 décembre, de prendre toutes les dispositions que nous vous présentons.
Madame Costes, vous m’avez demandé pourquoi le Gouvernement voulait légiférer par ordonnances s’agissant du tunnel sous la Manche et des ressortissants britanniques.
Pour ce qui concerne le tunnel sous la Manche, nous ne souhaitons pas arriver à la conclusion qu’il faudrait deux autorités ferroviaires dans le tunnel. Nous cherchons à négocier avec les Britanniques, pour justement conserver le caractère dual, mais unifié, de la commission intergouvernementale sur la sécurité ferroviaire. L’ordonnance n’interviendrait qu’en dernier recours, c’est-à-dire si tout échoue. Il paraît donc nécessaire de pouvoir légiférer par ordonnances « au cas où ».
La réduction du délai d’habilitation à sept mois ne me paraît pas satisfaisante. Selon moi, nous avons intérêt, politiquement, en tant que Parlement uni derrière le Gouvernement, à indiquer aux Britanniques que nous sommes prêts à négocier douze mois de plus, s’ils souhaitent aller dans cette voie. Nous devons faire preuve d’une grande ouverture, parce que, je le répète, un accord coûte que coûte n’est pas ce que nous cherchons.
Madame Assassi, vous avez parlé de « désinvolture », soulignant qu’il n’y avait pas d’urgence. Or, s’il y a un sujet sur lequel nous ne sommes pas désinvoltes et où il y a urgence, c’est bien le Brexit.
Mme Éliane Assassi. Je n’en ai pas parlé !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Nous ne pouvons pas laisser penser aux entreprises, aux pêcheurs ou aux agriculteurs que nous serions prêts à leur faire subir une double peine, celle de la crise économique et sociale qui s’annonce et celle du choc du Brexit. Le fait de présenter au Parlement un texte nous permettant d’anticiper, de prévoir et de protéger est l’opposé d’une attitude désinvolte !
Mme Éliane Assassi. C’est vous qui êtes désinvolte, je n’ai pas parlé du Brexit !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Monsieur Hervé, vous avez considéré comme opportuniste le fait d’introduire les problématiques du Brexit dans ce texte. Je le répète, il y a urgence à rassurer, à protéger et à amener tous les Français à se préparer, comme l’a dit M. Ladislas Poniatowski.
Ce texte montre que le Gouvernement prévoit un certain nombre de choses, mais que, pour autant, de nombreux aspects ne dépendent pas de nous. Ainsi, accord ou pas, la situation sera différente après le Brexit, pour ce qui concerne les contrôles et les procédures, que nous souhaitons les moins invasifs possible. J’y insiste, un accord de libre-échange ne signifie pas « zéro contrôle ». D’ailleurs, nos entrepreneurs, nos agriculteurs et nos pêcheurs nous demandent de contrôler ce qui entrera sur le territoire du marché intérieur, parce qu’il y va de la crédibilité européenne.
Monsieur Poniatowski, selon vous, une habilitation de quinze mois est trop longue. Vous incitez ainsi à la vigilance sur les mesures « balai ». Entre l’accord de retrait et le large accord commercial auxquels nous travaillons, nous voyons apparaître des angles morts. Je pense notamment aux conditions d’exercice d’un certain nombre de professions libérales, qui ne seront peut-être pas couvertes par l’accord commercial et qui ne sont pas concernées par l’accord de retrait.
Certains pourraient vous dire que nous n’avons pas besoin de texte. Je préfère, au nom du Gouvernement, donner aux personnes concernées une sécurité juridique absolue sur le fait qu’elles pourront continuer à exercer leurs activités. C’est un sujet que nous sommes aujourd’hui capables d’identifier.
Ces sujets d’angle mort ou de frottement apparaîtront si l’accord commercial ne couvre pas tout le champ permettant de préserver la capacité des ressortissants britanniques à exercer leurs activités chez nous. Nous devons être capables de leur dire que nous ne mettrons pas de barrières à la poursuite de leur activité en France : c’est un signal politique fort, que vous souhaitez également envoyer.
Permettez-moi de revenir sur la question du délai de quinze mois. Si vous pensez que nous sommes en capacité d’avoir un bon accord dans sept mois, je vous suis et le délai d’habilitation de quinze mois n’est effectivement plus opportun. Mais Michel Barnier le dit avec insistance, nous n’avons pas, aujourd’hui, réuni les conditions d’une bonne négociation nous permettant de préserver nos intérêts, y compris après avoir fait du chemin, et de nous assurer que, sur la gouvernance, la pêche et des conditions de concurrence équitables, cet accord nous permet, pour les dix ou vingt ans à venir, d’envisager les choses avec confiance.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement, pour ne pas revenir devant vous avec la même disposition dans six mois, vous propose de nous faire confiance pour les quinze prochains mois, sur les quatre sujets dont nous parlons.
Bien sûr, nous souhaiterions pouvoir négocier douze mois de plus avec les Britanniques. Ni Michel Barnier ni moi-même n’avons aujourd’hui le pouvoir d’imposer ce point de vue. Il est donc important que le Parlement envoie un signal politique fort.
Au fond, il y a deux discussions parallèles : comment le Gouvernement français échange-t-il avec son Parlement ? quel signal le Parlement envoie-t-il à son Gouvernement en termes de confiance ? Il s’agit de nous donner douze mois de plus pour trouver un meilleur accord que ce que les Britanniques veulent nous proposer sous la contrainte du temps. C’est un débat utile, qui permettra d’envoyer un signal diplomatique. Je le concède, il n’est pas de même nature que les demandes d’habilitation traditionnelles, ce qui rend peut-être les choses plus difficilement lisibles.
Je suis ici parfaitement honnête en vous disant qu’il y a là non pas une manigance, mais la volonté de nous mettre tous ensemble dans une position de force face aux Britanniques, pour soutenir Michel Barnier.
M. Ladislas Poniatowski. Et sur la quarantaine décidée par les Britanniques, madame la secrétaire d’État ?
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du royaume-uni de l’union européenne
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme M. Jourda, au nom de la commission des lois, d’une motion n° 269.
Cette motion est ainsi rédigée :
Constatant que les amendements nos 154, 223, 40, 161, 213 et 148 visent à étendre le champ d’une habilitation à légiférer par ordonnances et qu’ils sont contraires au premier alinéa de l’article 38 de la Constitution, le Sénat les déclare irrecevables en application de l’article 44 bis, alinéa 10, de son Règlement.
En application du dernier alinéa de l’article 44 bis, alinéa 10, du règlement, ont seuls droit à la parole l’auteur de la demande d’irrecevabilité, un orateur d’opinion contraire, la commission saisie au fond – chacun disposant de deux minutes et demie –, ainsi que le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à Mme le rapporteur, pour la motion.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je l’ai indiqué dans la discussion générale, l’article 38 de la Constitution obéit à un certain nombre de règles. Ainsi, le Parlement ne peut pas se voir imposer le transfert de ses pouvoirs par une habilitation trop large ou trop longue. Il ne peut pas non plus se mettre dans une situation de servitude volontaire, c’est-à-dire demander une extension de l’habilitation à légiférer par ordonnance qu’il aurait donnée au Gouvernement. Or tel est justement l’objet des amendements visés par cette motion.
Je vous demande donc, mes chers collègues, d’adopter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, sur le double fondement de l’article 38 de la Constitution et de l’article 44 bis de notre règlement.
M. Marc Fesneau, ministre. Le Gouvernement partage l’analyse de la commission, qui constate que ces amendements tendant à élargir le champ d’une habilitation à légiférer par ordonnance et qui sont donc, par conséquent, contraires à l’article 38 de la Constitution.
Il ne peut donc être que favorable à l’adoption de la motion proposée par la commission des lois.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 269, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
(La motion est adoptée.)
M. le président. En conséquence, les amendements nos 154, 223, 40, 161, 213 et 148 sont déclarés irrecevables.
Article 1er
I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, les mesures relevant du domaine de la loi et, le cas échéant, les étendre et les adapter aux collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution :
1° (Supprimé)
2° Afin, face aux conséquences de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, d’assurer le maintien des compétences et des moyens humains nécessaires à la continuité de l’exercice des missions militaires et de service public ou à la poursuite de l’activité économique :
a et b) (Supprimés)
c) Étendant, pendant l’état d’urgence sanitaire déclaré en application de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face l’épidémie de covid-19 et prorogé par l’article 1er de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, à l’ensemble des personnes morales chargées d’une mission de service public la possibilité de recourir à la réserve civique, pour la seule exécution de ladite mission de service public et à l’exclusion de toute autre ;
d) Permettant, pendant l’état d’urgence sanitaire déclaré en application du même article 4 et une durée n’excédant pas six mois à compter de son terme et afin de limiter les fins et les ruptures de contrats de travail, d’atténuer les effets de la baisse d’activité, de favoriser et d’accompagner la reprise d’activité, l’adaptation des dispositions relatives à l’activité partielle, notamment en adaptant les règles aux caractéristiques des entreprises en fonction de l’impact économique de la crise sanitaire sur ces dernières, à leur secteur d’activité ou aux catégories de salariés concernés en tenant compte notamment de la situation particulière des artistes à employeurs multiples ;
e à h) (Supprimés)
i) Permettant, pour les saisons sportives 2019/2020 et 2020/2021, d’adapter les compétences et les pouvoirs des fédérations sportives et des ligues professionnelles afin de modifier le régime applicable aux contrats des sportifs et entraîneurs professionnels ;
j) (Supprimé)
k) Permettant aux autorités compétentes pour la détermination des modalités d’organisation des concours et sélections pour l’accès à l’enseignement militaire, ainsi que des modalités de délivrance des diplômes et qualifications de l’enseignement militaire, d’apporter à ces modalités toutes les modifications nécessaires pour garantir la continuité de leur mise en œuvre, dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats ;
l à o) (Supprimés)
3° Ainsi que les mesures :
a) (Supprimé)
b) Permettant, pour les salariés placés en position d’activité partielle, le maintien de garanties de protection sociale complémentaire applicables, le cas échéant, dans l’entreprise, nonobstant toute clause contraire des accords collectifs ou des décisions unilatérales et des contrats collectifs d’assurance pris pour leur application, pour une durée n’excédant pas six mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire déclaré en application de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 précitée, ainsi que l’adaptation des conditions de versement et du régime fiscal et social des contributions dues par l’employeur dans ce cadre ;
c à e) (Supprimés)
II. – (Supprimé)
III. – Pour chacune des ordonnances prévues au présent article, un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de deux mois à compter de sa publication.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, sur l’article.
M. Max Brisson. Lors de l’examen de cet article 1er, nous aurons notamment à débattre du dispositif de l’activité partielle.
Je souhaite appeler votre plus grande attention sur la situation exceptionnelle que connaissent de nombreux acteurs du champ artistique et culturel, notamment les établissements publics de coopération culturelle. Alors qu’il leur avait été assuré, mi-avril, qu’ils pouvaient bénéficier du dispositif d’activité partielle, l’ordonnance du 22 avril 2020 les en exclut. Dès le lendemain et à plusieurs reprises les semaines suivantes, le ministre de la culture déclarait : « Nous sommes en train de faire en sorte que toutes ces mesures soient applicables aux établissements publics à vocation industrielle et commerciale relevant des collectivités territoriales. » Le 5 mai, il précisait qu’ils pourraient « désormais bénéficier des aides de l’État ».
Or, une semaine plus tard, un certain nombre d’établissements se sont vu signifier par leur Direccte (direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) qu’ils n’étaient pas éligibles à ces dispositifs.
Ces atermoiements et ce manque de clarté sont une source de difficultés supplémentaires pour un secteur fragile et qui a perdu l’essentiel de ses recettes.
De plus, sur le fond, ce choix, s’il était confirmé, marquerait une rupture économique majeure pour ces établissements, dont les budgets auront à supporter sur plusieurs années les effets du confinement et leur exclusion des dispositifs du chômage partiel.
Si l’État ne venait pas en aide à ces structures, il imposerait également une charge supplémentaire aux collectivités territoriales.
Enfin, vous ne pouvez ignorer la portée non seulement économique, mais aussi symbolique d’une telle disposition pour un pays profondément attaché aux activités culturelles.
Aussi, dans le prolongement des démarches de la présidente de la commission de la culture, Mme Catherine Morin-Desailly, je tiens à appeler votre bienveillance, au-delà des clivages politiques, sur les amendements nos 55 et 263 portés par Sylvie Robert, dont l’adoption permettrait de sécuriser l’emploi artistique et culturel. Ils sont le reflet du travail de fond des groupes mis en place par la commission de la culture, inquiète face à un vrai risque d’écroulement de pans entiers de la culture dans notre pays.
M. Philippe Mouiller. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Dans sa forme première, l’article 1er n’avait d’autre but que d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur plus d’une trentaine de thématiques.
Les sujets étaient aussi divers et variés que les règles ayant trait aux CDD, à la prolongation des mandats des conseillers prud’homaux, à l’organisation de la défense française, ou encore aux prérogatives des fédérations sportives pendant la pandémie. Aucun de ces sujets n’est sans importance et la plupart auraient mérité un projet de loi, afin que le Parlement n’ait pas à se délester en urgence de sa compétence à amender les décisions gouvernementales.
Fort heureusement, l’Assemblée nationale et le travail en commission au Sénat ont permis de vider pour moitié cet article de sa substance. Ainsi, plusieurs sujets, notamment la question primordiale des étrangers, sont revenus dans le champ des compétences législatives du Parlement, sans nécessiter le recours à l’article 38 de la Constitution.
Nous entendons que le droit français offre à l’exécutif la possibilité de légiférer par ordonnance. Toutefois, comprenez que nous sommes en démocratie et que notre système a été bâti sur la capacité du Parlement à contrôler et corriger si nécessaire l’action gouvernementale. Il n’est pas tolérable de nous faire travailler dans ces conditions, sur des sujets disparates, avec une méthode qui bride le législateur dans son pouvoir d’amendement des projets de loi.
Souffrez donc, madame, monsieur les ministres, que nous existions et que nous nous exprimions.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. Je veux revenir sur certains aspects de ce qu’ont excellemment dit mes collègues, notamment Éric Kerrouche, Didier Marie et Monique Lubin, s’agissant de cet article 1er.
Je pense en particulier aux mesures relatives à la justice. Voyez-vous, le jury populaire est une tradition en France. Mais plus qu’une tradition, c’est une forme d’exercice de la justice très importante, et perçue comme telle. La justice est rendue au nom du peuple français, qu’il s’agisse de magistrats professionnels ou d’un jury populaire en présence de magistrats professionnels.
Il a été décidé qu’il y aurait une expérimentation dans quelques départements, pour mettre en œuvre des cours criminelles départementales. L’expérimentation suppose qu’on évalue, au bout d’un certain temps, les conséquences de la mesure. Or voilà qu’à la faveur de l’état d’urgence sanitaire, sans rapport avec la question, il est proposé d’étendre la mesure à trente départements !
Un tel fonctionnement est intolérable et incompréhensible, car non respectueux du droit. Par conséquent, nous soutenons puissamment l’amendement que Mme la rapporteure Muriel Jourda a présenté pour supprimer cette extension d’une expérimentation dont on ne connaît aucun des effets.
Par ailleurs, nous proposerons d’aller plus loin que l’amendement présenté par Mme la rapporteure sur la question de la justice des mineurs. Je serai bref parce qu’il me reste peu de temps.
Mme la garde des sceaux nous a dit que tout cela se ferait par ordonnance, mais dans le cadre d’une immense concertation avec le Parlement. Nous avons répondu : si immense concertation il va y avoir, en quoi est-il nécessaire d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance ? Pourtant, l’ordonnance est toujours d’actualité, et l’on nous dit qu’il faut retarder encore un peu davantage.
À cela nous disons : « non ». Sur ce sujet si important de la justice des mineurs, nous demandons un projet de loi et un débat parlementaire.
M. le président. L’amendement n° 200, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Ce projet de loi est une voiture « balai », pour reprendre la formulation de Muriel Jourda, destinée à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances.
Je veux à mon tour reconnaître le travail de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui ont considérablement réduit le nombre et le périmètre des habilitations.
Néanmoins, l’article 1er prévoit une habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnances des dispositions sur des sujets aussi éloignés et importants que : le fait d’assurer le maintien des compétences et des moyens humains nécessaires à la continuité de l’exercice des missions militaires et de service public ou à la poursuite de l’activité économique ; la limitation des fins et des ruptures de contrat de travail ; l’atténuation des effets de la baisse d’activité ; l’accompagnement de la reprise d’activité ; l’adaptation de dispositions relatives à l’activité partielle, des règles, notamment aux caractéristiques des entreprises en fonction de l’impact économique de la crise sanitaire sur ces dernières, de leur secteur d’activité ou des catégories de salariés concernés, en tenant compte de la situation particulière des artistes à employeurs multiples ; ou encore le maintien de la garantie d’une protection sociale complémentaire applicable. On le voit, cette énumération donne le tournis, elle ressemble à une liste à la Prévert.
Vous le savez, mes chers collègues, nous désapprouvons le recours aux ordonnances, qui s’exonèrent totalement du contrôle du Parlement. L’état d’urgence ne peut justifier de confiner la démocratie. Or le recours étendu et quasi illimité aux ordonnances revient à donner un blanc-seing à un pouvoir qui, déjà, concentre de nombreuses prérogatives.
C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article, qui, outre ce recours exponentiel aux ordonnances, si je puis m’exprimer ainsi, n’apporte aucune réponse aux conséquences réelles et profondes de la crise sociale, économique et de santé liée au Covid-19.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Ma chère collègue, j’ai indiqué, avec beaucoup de force – du moins je l’espère – et beaucoup de sincérité – j’en suis sûre – à quel point le texte initial me paraissait très éloigné de ce que devait être un bon usage de l’article 38 de la Constitution.
L’article 1er tel qu’il nous est arrivé de l’Assemblée nationale prévoyait 15 habilitations, que nous avons ramenées en commission à 5. Ce chiffre, qui pourra peut-être même être encore abaissé au cours de notre débat dans l’hémicycle, me paraît désormais raisonnable, de sorte que je ne peux émettre qu’un avis défavorable sur votre demande de suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Madame la sénatrice, pour les mêmes motifs que Mme la rapporteure, qui a employé le mot « raisonnable » pour évoquer la réduction du nombre d’habilitations à légiférer par ordonnances, je suis défavorable à cet amendement.
Au-delà des sujets de fond sur lesquels nous sommes en désaccord, vous vous appuyez par cet amendement sur votre refus de l’habilitation à légiférer par ordonnances. Sur ce point, nous avons déjà répondu dans la discussion générale. Les uns et les autres, nous avons essayé de réduire au maximum le nombre d’ordonnances. Les sujets encore concernés nécessitent une telle procédure.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 244, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi
par les mots :
jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Sur le fond, peu importe pour le moment. Ce qui pose problème, c’est de mettre en vacances le Parlement au-delà de l’échéance de l’état d’urgence.
Ce texte tend à habiliter le Gouvernement à légiférer seul, car nous sommes en état d’urgence. Vous avez voulu prolonger cet état d’urgence jusqu’au 10 juillet inclus ; ce n’était pas mon choix. Ayez la cohérence de n’accorder cette habilitation exceptionnelle que jusqu’au terme de l’état d’urgence sanitaire.
Je m’étonne que le fait de bafouer ainsi le Parlement ne fasse pas plus bondir les démocrates que vous prétendez être, mes chers collègues ! On ne légifère pas sans le Parlement. La Macronie a perdu la majorité absolue à l’Assemblée nationale, et je comprends qu’elle demande une immunité plus longue que prévu. Mais on ne fait pas la loi sans le peuple, ses représentants et les territoires. Pas de restriction de liberté pour la démocratie représentative.
Ici, dans cette Haute Assemblée, nous représentons les régions, les départements, les EPCI, plus simplement les collectivités territoriales, les communes, leurs habitants, leurs élus et leurs agents. Dans le mot « collectivités », on entend bien commun, intérêt général, proximité et communauté. Dans le mot « territoriales », on entend terroir, terre, identité, attachement et racines.
Entendez-vous et comprenez-vous encore ces deux mots, mes chers collègues ? C’est tout l’inverse de l’individualisme et du progressisme de la « start-up nation ». On comprend dès lors pourquoi ce gouvernement en marche perpétuelle et déraciné cherche à se soustraire au contrôle du Parlement pour plusieurs mois. J’aurais aimé que le Gouvernement, qui nous demande notre aval pour légiférer à tout-va, ait été aussi exemplaire que nos maires dans la gestion de crise. Ces derniers ont fait un travail formidable de proximité et d’efficacité, agissant avec un engagement total.
Nous sommes ici leurs représentants. Ce sont eux qui sont bafoués par ce programme fourre-tout. La confiance, cela ne se décrète pas, cela se gagne. Moi-même, comme des milliers de maires et des millions de Français, je n’ai pas confiance dans ce gouvernement en sursis.
Si vous ne votez pas cet amendement, vous laissez se créer un dangereux précédent pour notre droit. Vous validez un glissement du droit d’exception vers le droit commun. Le monde d’après sera ce que nous en ferons. Là encore, vous serez tenus responsables : ne devenez pas des coupables volontaires !
Ne dévoyez pas notre démocratie, ne cédez pas vos droits et, surtout, vos devoirs de parlementaires, ne laissez pas le pouvoir jacobin prendre les rênes seul, en écartant le peuple et ses représentants.
M. le président. L’amendement n° 268, présenté par Mme M. Jourda, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I.- Alinéa 1
Supprimer les mots :
, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi,
II.- Après l’alinéa 15
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
.… – Les ordonnances prévues au présent article sont prises dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi. À titre dérogatoire, les ordonnances prévues au d du 2° du I sont prises dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Si vous le permettez, monsieur le président, j’évoquerai les trois amendements en discussion commune.
Je propose en effet une position quelque peu intermédiaire. Initialement, le Gouvernement nous avait sollicités pour que nous habilitions le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour une période de six mois. En commission, nous avions envisagé un délai de trois mois, tandis que M. Ravier nous propose de faire coïncider ce délai avec la fin de l’état d’urgence. Pour ma part, je défends, mes chers collègues, ce délai de trois mois pour les cinq habilitations qui restent encore prévues à l’article 1er.
Toutefois, s’agissant du chômage partiel, le Gouvernement répond qu’il lui faut davantage de temps, pour adapter les règles à l’évolution de la réalité de la situation économique. Je dois le dire, je suis assez sensible à cette argumentation, tout comme la commission.
Par l’amendement n° 268, je propose donc que nous conservions un délai général de trois mois, à l’exception des dispositions concernant les règles d’activité partielle, pour lesquelles nous donnerions au Gouvernement un délai pour légiférer par ordonnances de six mois, ce qui lui laisserait le temps d’évaluer la situation économique et d’adapter les dispositions.
M. le président. L’amendement n° 186, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer le mot :
trois
par le mot :
six
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre. Plutôt que de présenter cet amendement, j’en viens directement à la solution de compromis proposée par Mme Jourda.
Simplement, j’attire votre attention sur le fait que nous vous présenterons un amendement visant à habiliter le Gouvernement à légiférer afin de compléter le dispositif de chômage partiel. Par conséquent, en commission mixte paritaire ou en nouvelle lecture, il faudra vérifier que la solution de compromis envisagée ici couvre bien ce nouveau dispositif relatif au chômage partiel.
Sous cette réserve, je retire donc l’amendement du Gouvernement au profit d’un avis favorable sur l’amendement de Mme la rapporteure.
M. le président. L’amendement n° 186 est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 244.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 122 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 191 est présenté par Mme Prunaud et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 122.
M. Marc Fesneau, ministre. Par cet amendement, il est proposé de supprimer une demande d’habilitation puisque la mesure concernée sera inscrite en dur dans le texte et, partant, l’alinéa 5 de l’article 1er.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 191.
Mme Laurence Cohen. Au milieu de la crise que nous connaissons, il faut saluer l’engagement sans faille de tous les professionnels, en première ou seconde ligne, mais aussi de tous les bénévoles qui ont continué à faire vivre la solidarité. Les associations ont pu maintenir leurs activités et redoubler d’efforts, malgré des difficultés importantes d’un point de vue logistique, mais aussi économique. À ce titre, je veux rappeler la situation alarmante d’Emmaüs, qui a dû faire appel aux dons pour la première fois depuis sa création. J’espère qu’il y aura une fin heureuse et un engagement massif de l’État.
Parallèlement, plus de 260 000 personnes se sont inscrites sur la plateforme jeveuxaider.gouv.fr, intégrant de fait la réserve civique. Malheureusement, cet engagement exemplaire est aujourd’hui en train d’être totalement dénaturé. On le sait, un certain nombre d’entreprises ayant une mission de service public ne pourront pas, dans les semaines qui viennent, reprendre leur pleine activité.
L’exposé des motifs du projet de loi évoque notamment La Poste, qui fonctionne à flux tendu depuis des années. Ainsi, l’absence d’un certain nombre de salariés pour des raisons de santé ou de garde d’enfants conduit l’entreprise à de grandes difficultés pour remplir sa mission de service public. La seule solution qu’a trouvée le Gouvernement, c’est de recourir à la réserve civique. Dit autrement, il s’agit de remplacer des salariés par des bénévoles.
Vous le comprendrez, cela nous pose deux problèmes.
Tout d’abord, du côté des salariés, on nie ainsi leur savoir-faire, en les mettant en concurrence avec des personnes bénévoles, d’autant, faut-il le rappeler ici, que ce dumping social est déjà partiellement à l’œuvre, avec l’ouverture toujours plus grande des structures d’accueil du service civique, à tel point que l’Agence du service civique elle-même s’inquiète de la recrudescence des emplois déguisés au sein du dispositif.
Ensuite, du côté des bénévoles, ils se sont inscrits sur la plateforme et se sont engagés dans la réserve pour faire fonctionner la solidarité et venir en aide aux personnes dans le besoin. Il ne s’agissait pas pour eux de faire fonctionner des entreprises en remplaçant des salariés ! Les limitations apportées par la rapporteure en commission sont un premier pas, mais nous semblent encore insuffisantes pour régler vraiment le problème.
Si on reprend l’exemple de La Poste, les réservistes pourraient se retrouver en position de distribuer le courrier ou la presse ou de tenir les guichets de La Banque postale.
Une telle situation pose question, surtout quand on se rappelle la vocation de la réserve civique. C’est la raison pour laquelle il ne nous paraît pas légitime d’aller vers une telle extension.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Ces deux amendements sont parfaitement identiques, alors que leurs motivations diffèrent complètement.
Nous discuterons tout à l’heure du fond de l’article, je le dis pour ma collègue Laurence Cohen, afin qu’elle ne pense pas que je méprise son argumentation.
Le fait de vouloir inscrire clairement ce dispositif dans le projet de loi me paraît tout à fait louable, même si j’apporterai quelques petites réserves à la rédaction proposée par le Gouvernement. Sur le principe, je suis bien sûr favorable à la suppression de cette habilitation.
La commission émet donc un avis favorable sur ces deux amendements identiques.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 122 et 191.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 245, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Supprimer les mots :
et une durée n’excédant pas six mois à compter de son terme
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Il s’agit tout simplement pour moi de maintenir fermement mon opposition à laisser le Gouvernement légiférer seul pour une durée supérieure à celle de l’état d’urgence. C’est une atteinte manifeste aux droits du Parlement et, donc, aux droits de tous ceux que nous représentons.
M. le président. L’amendement n° 187, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Après les mots :
article 4 et
insérer les mots :
pouvant entrer en vigueur si nécessaire à compter du 1er juin 2020 pour
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais profiter de l’occasion qui m’est donnée pour faire un point rapide sur l’activité partielle, ce qui éclairera l’ensemble de nos débats. Le nombre d’amendements témoigne de l’importance de ce sujet.
Tout d’abord, je voudrais m’excuser par avance de mon départ de l’hémicycle vers dix-huit heures, devant me rendre à l’Assemblée nationale pour participer au débat sur la proposition de loi visant à instaurer un congé de deuil de douze jours consécutifs pour le décès d’un enfant mineur, texte que vous aviez adopté à l’unanimité. Je vous rejoindrai plus tard.
Pour ce qui concerne l’activité partielle, qui fait l’objet de plusieurs amendements, vous avez, sur toutes les travées, salué un dispositif massif, inédit et indispensable pour sauvegarder l’emploi et protéger les compétences dans la situation de crise que nous avons connue. Il s’est agi d’une crise brutale, qui ne pouvait être anticipée ni par les entreprises ni par les salariés. Au total, plus d’un million d’entreprises, sur les 1,3 million ayant des salariés, ont eu recours au dispositif de l’activité partielle, pas forcément pour tous les salariés ou tout le temps. Sur une période de trois mois, 12 millions de salariés auront été concernés à un moment ou à un autre par l’activité partielle, communément appelée « chômage partiel ».
Grâce à l’habilitation du Parlement, nous avons pu élargir le dispositif aux salariés d’entreprises qui n’étaient pas, initialement, éligibles : les VRP multicarte, les travailleurs à domicile, les assistantes maternelles, qui sont au forfait jour, les marins-pêcheurs. La liste était longue des salariés qui n’avaient pas droit à l’activité partielle.
Nous avons apporté, en quarante-huit heures, des réponses visant à sécuriser les employeurs et les salariés. Nous avons réformé les modalités de prise en charge en supprimant le reste à charge pour les entreprises jusqu’à 4,5 fois le SMIC. Nous avons récemment mis en place, pour une plus grande justice sociale, un système permettant que les périodes d’activité partielle comptent pour la retraite, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Bref, nous avons, par un filet de protection, accompagné massivement les salariés et, par voie de conséquence, les entreprises, qui conservent leurs compétences.
Nous avons annoncé hier une évolution du dispositif à partir du 1er juin ; l’objectif est notamment que le dispositif accompagne la reprise de l’activité, puisque nous y sommes, mais sans se substituer à l’activité. Concrètement, cela veut dire que nous ne modifions pas, au 1er juin, la rémunération du salarié, qui est de 84 % du net, 100 % s’il est au SMIC, mais que la prise en charge par l’État et par l’Unédic, qui était intégrale – les 70 % du brut versés par l’entreprise à ses salariés lui étaient à 100 % remboursés –, devient partielle : les entreprises seront désormais remboursées de 60 % du brut.
Mais le sujet que nous voulons évoquer aujourd’hui – j’en viens au présent amendement – est celui de la différenciation sectorielle. On le voit bien : certains secteurs reprennent, et toutes les conditions, conditions de marché et conditions sanitaires, sont réunies pour qu’ils le fassent, même si c’est difficile partout, y compris là où l’on reprend – la mise en place des conditions sanitaires, qui est indispensable, entraîne une moindre productivité. Dans certains secteurs en revanche, la reprise n’est pas possible : à la date d’aujourd’hui, les bars et les restaurants ne sont pas ouverts ; une bonne partie des secteurs du tourisme, de la culture, du sport ne peuvent pas reprendre leur activité.
Il y aura certainement des évolutions dans les jours et les semaines qui viennent, en fonction de la situation sanitaire, mais il est très important pour nous de pouvoir, à compter du 1er juin, différencier sectoriellement. C’est pourquoi nous avons de nouveau besoin, en vue des prochains mois, que vous nous accordiez cette capacité d’action et d’adaptation du dispositif. Le but est que ce dispositif colle au plus près du terrain : filet de protection massif au départ, accompagnement de la reprise dans un deuxième temps, avec certainement des différenciations sectorielles qui n’étaient jusqu’ici pas prévues.
Voilà toutes nos intentions. Je souhaitais vous les expliquer : il est important que vous soyez éclairés concernant cette capacité d’adaptation que nous vous demandons de nous accorder à partir du 1er juin, objet de l’amendement n° 187.
M. le président. Quel est l’avis de la commission de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. L’amendement n° 245 de M. Ravier vise à supprimer l’extension à six mois au-delà du terme de l’état d’urgence sanitaire de la faculté accordée au Gouvernement de prendre par ordonnances des mesures d’adaptation des dispositions relatives à l’activité partielle. Nous en avons déjà débattu ; il nous paraît préférable d’accorder une certaine souplesse au Gouvernement. C’est la raison pour laquelle l’avis de la commission est défavorable sur cet amendement.
Quant à l’amendement du Gouvernement, il vise à préciser que lesdites dispositions relatives à l’activité partielle pourraient être adaptées par ordonnance à partir du 1er juin, en prévoyant notamment un reste à charge pour les entreprises et une adaptation selon les secteurs, selon les territoires, selon le type d’activité, selon que l’activité partielle a été ou non imposée.
Nous sommes très vigilants. Des contre-propositions sont faites : plutôt que le 1er juin, certains proposent le 1er septembre, d’autres le 1er octobre ; certains vont même jusqu’au 1er décembre. Nous pensons qu’il est important de pouvoir envisager la reprise des activités – le rebond l’exige. La diminution de l’activité a déjà été telle qu’il ne faut pas que notre pays, comparé à ses voisins européens, se retrouve déstabilisé dans le cadre de cette reprise, s’agissant d’un déconfinement qui, du point de vue de l’évolution de l’épidémie, semble – je touche du bois, comme on dit – se passer le plus correctement possible. Il semblerait en effet que l’épidémie soit finalement en voie d’extinction, même s’il reste des cas sporadiques – il y aura toujours des foyers, ainsi le veut l’épidémiologie, mais il sera possible de les contenir grâce à un certain nombre de mesures.
Nous pouvons accepter la date du 1er juin, c’est clair, c’est net, mais seulement pour certaines activités. Soyons bien d’accord, madame la ministre : il n’est pas question d’une entrée en vigueur définitive pour tout le monde, mais seulement pour certaines activités dont on peut envisager la reprise à partir du 1er juin. (Mme la ministre le confirme.) Pour d’autres secteurs d’activité, ce sera peut-être le 1er juillet ; pour d’autres encore, le 1er septembre. C’est ainsi, en tout cas, que nous voyons les choses.
C’est la raison pour laquelle nous avons émis un avis favorable sur cet amendement, étant entendu que son adoption ferait tomber, me semble-t-il, monsieur le président, un certain nombre d’autres amendements dont les auteurs proposent des dates différentes.
La question mérite d’être débattue. Personne ne détient la vérité en ce domaine. Notre position consiste plutôt à dire qu’il est temps, désormais, de passer à une reprise des activités économiques, de faire en sorte que reprennent toutes celles qui peuvent reprendre, et d’éviter les effets d’aubaine. Si l’on place un malade sous perfusion, il est bien certain – c’est le médecin qui parle – que c’est pour le sauver ; mais l’acharnement thérapeutique est à proscrire. Il arrive un moment où il faut faire face aux réalités économiques. C’est pourquoi nous choisissons d’emprunter cette voie.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, je précise que, si l’amendement n° 187 du Gouvernement, qui a reçu un avis favorable de la commission des affaires sociales, était adopté, ce vote ne ferait pas tomber d’autres amendements – il n’est pas en discussion commune avec les suivants. Il se peut, en revanche, que M. le rapporteur nous dise que ceux-ci sont satisfaits par l’adoption de celui-là.
Je mets aux voix l’amendement n° 245.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote sur l’amendement n° 187.
M. Didier Marie. Madame la ministre, cet alinéa 6 de l’article 1er nous préoccupe. Tout le monde ici est évidemment favorable à une reprise de l’activité : tout le monde souhaite que notre pays redémarre le plus vite possible. Mais nous savons, les uns et les autres, qu’un certain nombre de pans de l’activité resteront malheureusement en souffrance.
Nous aurions aimé avoir quelques précisions sur la nature des « secteurs d’activité » ou des « catégories de salariés », selon les termes du texte, qui pourraient être concernés. Nous ne voudrions pas, d’une part, que, cet amendement étant adopté, le montant de l’indemnité de chômage partiel baisse pour certaines catégories de salariés, ni que, d’autre part, dans certaines entreprises où l’activité redémarre mais reste encore insuffisante, d’autres salariés ne bénéficient plus de ce dispositif.
Je voudrais que vous répondiez à ces préoccupations de telle sorte que nous puissions voter en conscience, considérant tout de même qu’un certain nombre des amendements suivants, dont l’objet est de reporter cette date à septembre ou à octobre, nous paraissent plus sûrs. Nous pensons même que nous aurions vraisemblablement pu aller encore plus loin dans le temps.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le sénateur, pour éclairer complètement notre discussion, je vais être un peu plus précise sur les modalités, les secteurs, les catégories de salariés, les types de dispositifs.
Pour ce qui concerne les secteurs, nous avons déjà pris une mesure en vertu de laquelle, à partir du 1er juin, la prise en charge du dispositif par l’État ne sera plus intégrale, sauf pour les entreprises des secteurs qui font l’objet de restrictions exceptionnelles. Après une observation approfondie de l’économie, nous constatons aujourd’hui une reprise dans beaucoup de secteurs. Il faut continuer à accompagner mais, dès lors qu’une entreprise fonctionne à moitié, aux deux tiers, aux trois quarts, il n’est pas choquant qu’une partie du dispositif, 15 % du total, reste à sa charge ; c’est même logique dans le cadre d’un accompagnement de reprise. Nous ne coupons pas le chômage partiel ; nous accompagnons simplement la reprise par une dégressivité de sa prise en charge par l’État.
En revanche – c’est pourquoi la date du 1er juin est importante –, il existe des secteurs pour lesquels il serait dramatique que nous diminuions la prise en charge dès maintenant : les hôtels, les cafés, les restaurants, les entreprises qui en dépendent, le secteur touristique, l’activité culturelle, l’événementiel, les festivals, les grands événements sportifs seraient très profondément pénalisés s’ils subissaient à la fois l’interdiction de fait, pour des raisons sanitaires, de mener leur activité et la disparition d’une partie de la prise en charge.
C’est justement pour cette raison que nous avons besoin de la date du 1er juin : pour pouvoir protéger ces secteurs. La majeure partie des secteurs économiques sont dans une dynamique de reprise importante ; il est normal, pour eux, de prévoir un petit reste à charge. Je vous rappelle que, avant l’entrée en vigueur des mesures que nous avons prises il y a trois mois, l’État ne prenait jamais en charge, au-delà du SMIC, le remboursement des salaires en cas de chômage partiel. Nous sommes désormais à 4,5 SMIC ! Le reste à charge va donc être très modeste par rapport à ce qui existait dans le passé.
En revanche, il faut évidemment protéger les secteurs que j’ai évoqués.
Concernant par ailleurs les salariés, il faut soulever le sujet des parents qui ne peuvent pas faire garder leur enfant à l’école. Le Premier ministre a confirmé aujourd’hui qu’à partir du 2 juin, soit mardi prochain, et pour les quelques semaines qui restent avant les vacances, si l’école est ouverte, il n’y a pas de raison que l’État se substitue à l’employeur et le chômage partiel au salaire les jours où l’école atteste qu’elle pourra accueillir l’enfant. Nous allons demander à toutes les écoles de fournir une attestation certifiant que l’enfant peut être accueilli tel et tel jour, ou peut l’être complètement, ou ne peut pas l’être du tout. Le chômage partiel sera fonction de ce document : il sera possible les jours où l’enfant n’est pas accueilli. Vous savez que, d’ores et déjà, la moitié environ des salariés en chômage partiel le sont non pas à 100 %, mais en partie seulement. C’est donc quelque chose que les entreprises savent organiser sans problème.
Voilà une autre raison de différencier.
Il y a une troisième raison. Nous rencontrions, ce matin, avec le Président de la République, les partenaires sociaux du secteur de l’automobile. Tout le monde ici est extrêmement conscient de la grave crise que traverse ce secteur, qui était déjà, avant la pandémie de Covid-19, en pleine mutation sur le plan numérique et sur le plan écologique. La crise du Covid-19, avec la chute de la demande et l’impossibilité pour les chaînes de production de continuer à fonctionner, a évidemment donné un coup très dur à notre industrie automobile, qui est très importante pour le pays – fabricants, sous-traitants, mais aussi concessionnaires et garagistes : l’ensemble de la chaîne, amont et aval compris.
Dans ce contexte, nous voudrions, pour certains secteurs concernés par le plan de relance, dont l’automobile, donc, disposer d’une faculté d’adaptation pour mettre en œuvre un système de plus longue durée permettant de ne pas risquer des licenciements dans quelques mois. Au lieu de mettre des salariés au chômage, les entreprises concernées pourraient, sous condition d’un accord d’entreprise et, évidemment, d’une homologation par l’État, bénéficier de mesures, appelées à durer plus longtemps, de réduction du temps de travail assorties, le cas échéant, d’un complément de rémunération apporté par l’État. Cela éviterait des licenciements massifs et permettrait aux entreprises de garder leurs compétences.
Voilà le genre d’adaptations que nous voulons pouvoir faire avant que de grandes vagues de licenciements arrivent, et pour les éviter. D’où l’importance, encore une fois, dans les trois cas, parents d’élèves, secteurs comme celui du tourisme ou aménagements plus pérennes, d’une date du 1er juin pour pouvoir mettre en œuvre ces adaptations.
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Madame la ministre, sera-t-il prévu, dans le dispositif, de donner une certaine latitude aux Direccte ? Y compris au sein d’une même profession, d’un même corps de métier, il peut y avoir des différences.
Mme Monique Lubin. Prenez la restauration : un restaurant qui dispose de 50 ou 60 mètres carrés de surface, comme il en existe, aura beaucoup moins de possibilités d’appliquer les mesures qu’un restaurant de 200 mètres carrés. Une certaine souplesse est-elle envisageable, même si, malheureusement, les Direccte n’ont plus assez d’agents ?
M. le président. Mes chers collègues, après vérification, je précise qu’en effet les seize amendements suivants sont incompatibles avec celui-ci : si l’amendement n° 187 est adopté, ils tomberont. Je le dis afin que ceux d’entre vous qui auraient souhaité s’exprimer sur ces amendements puissent le faire maintenant ; après, il sera peut-être trop tard.
La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. J’avais bien compris qu’il en était ainsi, monsieur le président – je devais intervenir pour défendre l’amendement n° 7 rectifié quater.
Madame la ministre, je ne voudrais surtout pas que vous interprétiez mes propos comme une critique de ce qui a été fait par le Gouvernement. Je crois en effet que le système qui a été mis en place a permis aux entreprises de tenir et aux salariés de continuer à percevoir une rémunération correcte, même lorsque la compensation n’était pas intégrale. Le dispositif a été excellent.
Je ferai néanmoins une remarque, eu égard aux propos de notre rapporteur. Une moindre indemnisation ne saurait faciliter le redémarrage de l’activité économique. En dehors peut-être des secteurs marchands où la consommation a été en partie différée dans l’attente du déconfinement, et encore – la reprise y reste très progressive –, dans beaucoup de secteurs la progression est aujourd’hui excessivement lente, tout simplement parce que notre économie a beaucoup trop ralenti – je pense qu’elle aurait dû beaucoup moins ralentir. Quand on voit que certaines grandes entreprises ont tout arrêté, on se dit qu’il faudra peut-être, à l’avenir, s’organiser différemment. Si tout le monde avait continué à tourner à 10 % ou 20 % de sa capacité, le redémarrage aurait sans doute été beaucoup plus facile.
Nous étions, ces derniers jours, au pic du chômage partiel, ou presque ; or il faut gérer cette situation un peu comme la crise sanitaire : ce n’est pas le moment de se relâcher en matière d’aide aux entreprises. Et je crains que des entreprises qui tournaient à 10 % pendant le confinement ne tournent, au mois de juin, qu’à 25 % ou 30 % de leurs capacités. Elles ont besoin d’être accompagnées, surtout dans une période où traditionnellement, en France – et je crains que, malheureusement, cette année ne déroge pas à la règle –, on constate une baisse de l’activité économique, notamment manufacturière. Il aurait été préférable, pour faciliter le redémarrage, de maintenir une prise en charge complète du chômage partiel, peut-être pas, d’ailleurs, jusqu’à 4,5 SMIC, pour les personnes qui ne travaillent pas pendant cette période.
Naturellement, le budget qui y sera finalement consacré sera fonction du degré auquel l’économie progresse à nouveau ; mais un tel dispositif n’a pas de rôle à jouer dans le déclenchement de la reprise. Je ne voudrais pas que l’on inverse les rôles en arrêtant maintenant le chômage partiel sous prétexte que, dit-on, « il faut travailler ». Il faut travailler, d’accord ; encore faut-il que les entreprises reçoivent des commandes et que le système redémarre.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern, pour explication de vote.
M. Claude Kern. Mon collègue Pascal Martin et moi-même sommes sur la même ligne que Jean-Marc Gabouty. Il y a certes des secteurs d’activité – vous les avez cités – qui vont avoir besoin de ce chômage partiel ; mais il y a également des métiers spécifiques, dans des secteurs divers et variés, qui seront contraints de rester en chômage partiel – je ne citerai que le métier de commercial –, tout simplement parce que les entreprises, leurs clients en général, ne leur ouvrent plus la porte, par mesure de précaution, pour des raisons sanitaires.
Madame la ministre, avez-vous dressé une liste des adaptations, ou comptez-vous le faire ? Allez-vous plutôt avancer au cas par cas ? Nous aimerions savoir où l’on va. Vous avez cité un certain nombre de métiers, mais il y en a beaucoup d’autres. Un décret va-t-il fixer une liste ? Je pose la question.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. « Un dispositif de chômage partiel comme on n’en a pas vu en Europe », avez-vous dit, madame la ministre. Certes ! Mais c’est vrai aussi de notre déficit de croissance : on n’en a pas vu de pareil en Europe… (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
La critique est aisée mais l’art est difficile, j’en ai bien conscience. Simplement, il faut bien faire attention aux effets pervers quand on prend une mesure économique, notamment quand on prend une mesure que je qualifie volontiers de mise en salariat de la fonction publique de l’ensemble de l’économie française. Il y a là un vrai sujet.
Souvenons-nous du débat sur le PLFR 1 : Albéric de Montgolfier vous avait bien dit, ici même, que les chiffres du chômage partiel étaient très sous-estimés. Il y a eu, depuis, une LFR 2 ; nous attendons maintenant le PLFR 3, certes pas pour avoir les chiffres définitifs. Il est évident que ce dispositif qui a contribué à soutenir la confiance – il faut le dire – a aussi eu ses effets pervers. Il faudra mesurer l’effet, massif, de cette mesure, dont l’histoire dira s’il a été, en définitive, si bénéfique que cela pour l’économie française.
Je voterai cet amendement, mais le chômage partiel laisse pendants un certain nombre de problèmes. En particulier, il ne concerne que le salariat. Or il n’y a pas que des salariés en France, madame la ministre ! Les non-salariés souffrent aussi beaucoup et, en la matière, les dispositifs qui sont prévus pour l’instant risquent de ne pas suffire, tant s’en faut. Vous aurez beau me parler du Fonds de développement économique et social (FDES), etc., ça ne suffira pas. La casse épargnera le salariat et, une fois encore, notre pays se sera habitué au salariat et aux aides d’État. Nous sommes un peu piqués à la dépense publique, dans ce pays !
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. J’interviens en lieu et place de Mme Dominique Estrosi Sassone, qui souhaitait que son amendement soit défendu, au regard de la situation touristique de son département, les Alpes-Maritimes, notamment.
Madame la ministre, nous avons bien entendu quelle était votre volonté, et votre discours ne peut être que soutenu. Mais les différents amendements proposés par les sénateurs avaient l’avantage d’être beaucoup plus clairs, notamment de clarifier la situation en proposant une date précise.
La difficulté est que, compte tenu de l’amendement du Gouvernement que nous allons voter, nous allons encore devoir attendre que celui-ci prenne des dispositions claires. Or nous arrivons au mois de juin : les entreprises, notamment dans le domaine du tourisme, ont besoin d’avoir une vision précise de la situation pour essayer d’imaginer leur future organisation dans un contexte extrêmement difficile.
Il est urgent que la décision, quelle qu’elle soit, soit prise ; toutes les entreprises l’attendent. C’est ce qui motivait notre amendement : le besoin de clarification. Nous entendons votre discours ; cette demande forte des entreprises du tourisme doit elle aussi être entendue.
M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart, pour explication de vote.
M. Michel Vaspart. Je ne peux que souscrire à ce qui a été dit par les uns et par les autres. Il y avait deux types d’amendements : l’objet des uns était le maintien du chômage partiel jusqu’au 1er septembre ; celui des autres, peut-être un peu plus précis, se limitait au maintien du dispositif pour les entreprises en difficulté. Cela permettait davantage de clarté.
Avec le présent amendement, c’est sous forme d’ordonnances que le Gouvernement va prendre ses décisions. Nous trouvions qu’il était plus clair d’introduire cette disposition dans le texte de loi. Et le délai du 1er juin me paraît très court compte tenu de la situation économique des entreprises françaises. Le fait de prolonger un peu plus longtemps le chômage partiel permettrait de limiter les dégâts de la crise économique qui est train d’arriver.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. Je prends les devants concernant un amendement que j’ai déposé, l’amendement n° 55, qui a trait à une catégorie que vous connaissez bien, à savoir les artistes, intermittents et techniciens du secteur culturel.
M. le président. Il ne tombera pas, ma chère collègue : vous pourrez le défendre en temps et en heure.
Mme Sylvie Robert. Merci de cette précision, monsieur le président – nous n’en étions pas sûrs.
Mme Laure Darcos. J’ai moi aussi cosigné l’amendement de ma collègue Dominique Estrosi Sassone.
Au-delà des restaurants et du secteur du tourisme, cette question touche énormément de monde. J’ai reçu une pluie de courriels d’entreprises de mon département de l’Essonne, émanant de secteurs auxquels on ne pense pas, le commerce d’objets publicitaires ou le commerce de gros de fournitures dentaires par exemple – on sait que les dentistes, pendant trois mois, ont été complètement immobilisés.
En plus de tout ce qui est commerce de gros alimentaire, beaucoup de secteurs sont encore aux abois. J’aimerais donc moi aussi que ce dispositif de chômage partiel puisse être prolongé au moins jusqu’au 1er septembre.
M. le président. La parole est à M. Pascal Martin, pour explication de vote.
M. Pascal Martin. J’ai déposé, avec Claude Kern, l’amendement n° 20 rectifié ter concernant les entreprises les plus en difficulté ; notre objectif était de porter la date au 1er octobre. Il me semblait plus précis, premièrement, de donner une date, le 1er octobre, et, deuxièmement, de viser les entreprises en difficulté.
Je regrette cet amendement. Je citais notamment le secteur de la communication dans son objet, qui a perdu quasiment 100 % de son chiffre d’affaires depuis le 15 mars. Pour les nombreuses entreprises de ce secteur, un véritable problème est à venir.
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote.
M. Claude Bérit-Débat. J’ai déposé un amendement, l’amendement n° 30, qui allait dans le même sens – il s’agissait de prolonger le dispositif jusqu’au 1er septembre. Il visait plus particulièrement les entreprises de gros, qui permettent aux bars, aux restaurants, aux activités de plein air de fonctionner, et qui devront contribuer à la reprise économique annoncée dans ce secteur.
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Nous ne voterons pas cet amendement n° 187 du Gouvernement. Il nous semble que cette disposition est trop précoce, nonobstant les explications données par Mme la ministre. Quant à certaines observations qui ont été faites, si ce dispositif représente certes une aide en direction d’une partie substantielle de notre population, je rappelle que, sans ces aides, une partie substantielle de la population, là aussi, pourrait basculer dans la pauvreté. Il faut soutenir cette population au maximum de nos capacités.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour explication de vote.
M. Jean Bizet. Partageant l’état d’esprit qui vient d’être exprimé par Claude Bérit-Débat, je voudrais insister sur les concepts d’amont grossiste et de filière, qui apparaissent peut-être moins précisément dans l’amendement du Gouvernement – mais Mme la ministre pourra certainement fournir cette précision. Derrière toutes les entreprises de l’hôtellerie et de la restauration, il y a toute une logique de filière dont on sait très bien qu’elle remonte jusqu’à des entreprises ou des coopératives agroalimentaires pour atteindre le tissu agricole sur l’ensemble du territoire national.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Je m’associe pleinement aux demandes de mes collègues : il nous faut des précisions, madame la ministre. L’affaire est en effet d’importance.
Ce qui a justifié la position de la commission, qui s’est exprimée en faveur du 1er juin, c’est que la différenciation relève de la législation, tandis que la prise en charge relève du règlement. L’État a choisi, jusqu’à présent, de prendre en charge à 100 % le chômage partiel dans le cadre de la crise. Il rend désormais possible, dans le cadre de la reprise de l’activité, une différenciation, si j’ai bien compris, madame la ministre : après le 1er juin, dans certains secteurs, la prise en charge pourra continuer de se faire à 100 %, mais pas dans d’autres – lesquels, nous ne le savons pas.
Vous nous dites aujourd’hui – nous l’apprenons – que l’État ne prendra plus à sa charge que 85 % des 70 % du brut. Actuellement, l’État assume intégralement l’indemnisation de l’activité partielle. Désormais, pour éviter l’effet d’aubaine, l’employeur aura à sa charge 15 % de cette indemnisation. Mais cela reste peu, et ce n’est pas une obligation. Il est donc plus intéressant d’anticiper dans la fixation d’une date que d’attendre. Si l’on attend, mettons, le 1er septembre, cela veut dire que l’État prend en charge à 100 % jusqu’à cette date, et qu’ensuite on passe automatiquement à un autre dispositif, qui sera moins généreux.
Autant, me semble-t-il, différencier…
M. Jean-Marc Gabouty. Non !
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. … et éviter les effets d’aubaine. Partout où l’activité peut reprendre, lorsque c’est économiquement faisable, il faut inciter les entrepreneurs à reprendre.
En revanche, pour d’autres secteurs, ceux qui ont déjà été énumérés notamment – mais nous avons besoin de précisions –, il faut bel et bien continuer cette perfusion de l’État ; à défaut, les salariés de ces secteurs passeront tous par la case chômage.
C’est ce qui a motivé notre avis : le besoin de différenciation. Il faut en arriver à du cousu main !
M. Jean Bizet. Absolument !
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. C’est pourquoi, aussi, il faut préciser à qui incombe la responsabilité sur les territoires : le préfet de région ? le préfet de département ? Je pense qu’il faut aller au plus près des territoires afin de prendre en compte les spécificités de chaque entreprise.
Je répète par ailleurs qu’il faut arrêter de différencier les territoires en fonction d’une couleur, verte ou rouge. Si des pénalisations sont ainsi créées, attention aux problèmes de concurrence différenciée – je pense en effet que les choses évoluent.
C’est véritablement, donc, un gage de confiance que la commission a voulu vous donner, madame la ministre. Nous vous demandons de nous tenir informés, de nous rendre des comptes. Aujourd’hui même, avant que nous votions, il faut nous donner des précisions sur les secteurs d’activité – nous en avons tous besoin.
M. Philippe Mouiller. Exactement !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez soulevé beaucoup de questions, et ce sont effectivement celles qui se posent au quotidien.
Avec cette crise sanitaire, nous vivons depuis presque trois mois une situation tout à fait inédite. L’arrêt brutal de l’économie était nécessaire pour endiguer l’épidémie, mais il est survenu comme un coup de tonnerre dans un ciel serein.
Il y a trois mois, on pouvait se réjouir ici même d’une augmentation de 16 % du nombre d’apprentis, d’une baisse du taux de chômage à 8,1 %, et même à 7,9 % en métropole : certes, il fallait continuer les efforts, car le chômage restait à un niveau élevé, mais il était au plus bas depuis onze ans. C’était il y a trois mois : cela nous paraît bien loin !
Nous avons apporté un soutien massif et immédiat aux entreprises en veillant à la simplicité des dispositifs. À cet égard, un indicateur est tout à fait intéressant : 60 % des salariés couverts travaillent dans des entreprises de moins de 50 salariés – et je sais combien vous êtes attachés aux PME et TPE. Le chômage partiel a donc bien servi à sauver l’emploi dans nos territoires, car ce sont les TPE et PME qui irriguent notre pays sur les plans de l’économie et de l’emploi.
Toutefois, le temps est venu de faire évoluer le dispositif, car le contexte a changé. Beaucoup de secteurs ont repris. Dans le pays, le taux d’activité est remonté à 65 %. Mais certains secteurs restent à l’arrêt complet, car ils n’ont pas le droit de reprendre. Je pense en particulier aux cafés et restaurants. Or – vous l’avez dit à juste titre à propos des grossistes – beaucoup d’autres secteurs en dépendent directement : eux non plus ne peuvent pas rouvrir aujourd’hui. Si nous voulons différencier, c’est précisément pour que la reprise se poursuive.
Il s’agit tout de même de l’argent des Français ; les montants en jeu sont très élevés – nous en sommes tous conscients – et il faut concentrer l’effort là où l’on en a besoin. Il y a deux mois et demi, on avait besoin d’argent dans tous les secteurs, partout, quelle que soit la taille de l’entreprise. À présent, on en a besoin dans certains secteurs et dans certaines filières pour des raisons structurelles, du fait d’une interdiction plus longue ou de la nature même des métiers exercés.
Par définition, les clients d’un restaurant sont installés les uns près des autres ; ils se retrouvent ensemble, dans la convivialité. Les gestes barrières sont donc plus difficiles à appliquer dans un tel établissement qu’ailleurs. Nous avons élaboré avec les professionnels un guide sanitaire en vue de la réouverture des restaurants et des bars ; ce document sera publié à la fin de la semaine. Mais – on le voit bien –, ces règles seront difficiles à suivre dans la durée.
Il faut coller à la réalité du terrain, en maintenant un effort massif en faveur des secteurs les plus en difficulté tout en accompagnant les autres domaines. Il n’y a aucun couperet ! Nous allons procéder de manière progressive. À mon sens, c’est ainsi que l’État doit assurer la reprise économique en assumant son rôle social.
Concrètement – c’est un paradoxe –, les taux de prise en charge sont définis par voie réglementaire, mais leur différenciation exige un cadre législatif.
Afin d’éviter toute rupture d’égalité, nous allons fixer, par décret, une liste de secteurs sur la base des codes de la nomenclature d’activités française, ou codes NAF. Les bars et les restaurants seront bien sûr inclus, de même que les entreprises qui dépendent complètement d’eux. Un grossiste qui ne vit que parce qu’il alimente les bars doit être pris en compte lui aussi. Les secteurs concernés seront, grosso modo, la restauration, le tourisme, qui est très fortement touché, et de larges pans de la culture et les sports, qui, d’ailleurs, relèvent également du tourisme. Quelques autres secteurs peuvent aussi être concernés.
En procédant par décret, nous pourrons plus facilement nous adapter : selon l’évolution de la situation sanitaire, nous pourrons lever telle ou telle contrainte d’ici à deux ou trois mois, et certaines activités aujourd’hui à l’arrêt pourront reprendre.
La décrue du chômage partiel est amorcée, et heureusement. Depuis le début de la crise, les demandes cumulées des entreprises concernent 12,8 millions de salariés sur les 20 millions que compte le secteur privé, soit plus de 60 % d’entre eux.
Au mois d’avril dernier, 8,5 millions de Français ont été effectivement au chômage partiel. En soi, ce chiffre est énorme. Néanmoins, les entreprises ont sollicité le chômage partiel avant de savoir si elles en auraient entièrement besoin. Rassurez-vous : au titre des salariés qui, en définitive, ne sont pas concernés, l’État ne débourse pas un seul centime ! De surcroît, environ la moitié de ces 8,5 millions de personnes travaillent une partie du temps.
Avec la reprise d’activité, ces situations vont se multiplier. Par exemple, compte tenu des normes sanitaires, tel salon de coiffure ne pourra pas accueillir autant de clients qu’en temps normal : sur ses cinq salariés, trois reprendront le travail et les deux autres resteront quelque temps au chômage partiel.
Il y a quelques jours, je me suis rendue sur un chantier du bâtiment. La semaine dernière, je suis allée, à Valenciennes, sur le site d’une entreprise automobile ; dans ces deux cas, les salariés reviendront en trois vagues.
J’y insiste : c’est important que l’État continue à accompagner les entreprises. Nous n’allons pas, pour toujours, mettre sous perfusion l’économie française. Quand bien même nous en serions capables, cela n’aurait aucun sens, économiquement ou financièrement. En d’autres termes, nous ne nationalisons pas l’emploi !
Après le 1er juin, rien ne changera pour les salariés : leur rémunération restera la même. En revanche, pour les employeurs en dehors des secteurs en difficulté, lesquels conserveront un remboursement à 100 %, l’État remboursera 85 % des sommes dépensées, ce remboursement concernant non plus 70 % du brut, mais 60 %. Les 15 % restants seront à leur charge.
Ainsi, pour un salarié au chômage partiel à temps plein percevant deux fois le SMIC, l’entreprise devra payer 300 euros par mois : l’effort reste donc d’une ampleur très mesurée, mais nous envoyons un signal aux entrepreneurs. Si nous attendons que la situation soit optimale, nous ne pourrons pas redémarrer. Or la France est le pays où l’arrêt de l’économie a été le plus fort.
Il faut repartir ; mais, pour les entreprises, le reste à charge est assez modeste, d’autant que, pour des salariés au SMIC, le chômage partiel demeure intégralement remboursé.
De surcroît, vous avez longuement évoqué l’enjeu de la visibilité et, à juste titre, vous avez beaucoup parlé du tourisme.
La semaine dernière, le comité interministériel du tourisme s’est réuni sous l’autorité du Premier ministre pour défendre notre activité touristique. Vous connaissez ces chiffres par cœur : notre pays accueille, chaque année, quelque 90 millions de touristes étrangers, et le tourisme représente 7 % du PIB en France. Or ce secteur majeur est extrêmement touché par la crise. Nous avons pris, en sa faveur, une série de mesures économiques et sociales, en particulier au titre du chômage partiel : sa prise en charge sera maintenue plus longtemps et à un niveau plus élevé que dans d’autres secteurs, qui, eux, ont pu reprendre.
La visibilité nous impose également d’assurer, pour certains secteurs, un accompagnement spécifique au cours des mois qui viennent, voire pour un ou deux ans dans certains cas.
Je prends de nouveau l’exemple de l’automobile ; ce secteur est en pleine mutation. De surcroît, avec la crise économique et la baisse de la demande, il pourrait subir des plans de licenciements massifs. Le risque est réel.
Vous connaissez la situation de certains de nos constructeurs automobiles ; au moins l’un d’entre eux connaît de graves difficultés. Sa faillite entraînerait à la fois un drame social et, dans des métiers à haute valeur ajoutée, une perte de compétences tout à fait dommageable pour l’avenir.
Nous devons être en mesure d’adapter les dispositifs au cas par cas, selon les entreprises : le cas échéant, au lieu de licencier, il faudra trouver un accord pour que les salariés puissent travailler moins d’heures et que l’État compense en partie le différentiel de temps de travail, afin de limiter la perte du pouvoir d’achat. Pendant les heures « chômées », les salariés pourront bénéficier de formations. Globalement, on accompagnera la mutation de ce secteur, qui, comme le tourisme et la culture, exige de la visibilité. L’aéronautique devra certainement, lui aussi, bénéficier d’un tel plan de relance.
Au-delà des larges filets de protection que nous avons déployés depuis deux mois et demi pour faire face à l’urgence, il va falloir accompagner la relance dans des secteurs appelés à connaître de fortes mutations.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère avoir mieux répondu à vos interrogations. Je précise enfin que le fonds de garantie constitué en faveur des indépendants a été largement sollicité. Son deuxième étage, qui relève des régions, est financé par l’État, les régions et les assureurs.
Rien n’est parfait, mais, quand on se compare, on peut dire que l’on a bien protégé notre économie pendant la première phase. À présent, il faut réussir la deuxième phase, à savoir l’accompagnement de la reprise !
M. le président. En conséquence, les amendements nos 7 rectifié quater, 73 rectifié, 77, 113 rectifié bis, 139 rectifié, 264, 30, 94, 20 rectifié ter, 76 rectifié bis, 91 rectifié bis, 133 rectifié, 138 rectifié bis, 141, 224 et 176 rectifié n’ont plus d’objet.
L’amendement n° 55, présenté par Mme S. Robert, MM. Kerrouche et Marie, Mme Lubin, MM. P. Joly, Kanner, Sueur et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat, Jacques Bigot et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes de la Gontrie, Grelet-Certenais, Guillemot et Harribey, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, M. Jomier, Mme G. Jourda, MM. Lalande et Leconte, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, MM. Raynal et Roger, Mme Rossignol, M. Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Après la première occurrence du mot :
notamment
insérer les mots :
en permettant aux salariés de démontrer leurs relations contractuelles par tous moyens écrits et
La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Cet amendement vise à rétablir une précision essentielle pour que les ordonnances relatives à l’activité partielle prennent bien en compte la spécificité des relations contractuelles dans le domaine artistique et culturel. Il faut indiquer que ces dernières peuvent être établies « par tous moyens écrits ».
Mes chers collègues, nous savons que le dispositif d’activité partielle est accessible aux artistes et techniciens du spectacle. Mais, aujourd’hui, son application cause de véritables difficultés dans le secteur culturel, où, selon l’usage, les promesses d’embauche prennent parfois la forme d’un simple courriel, voire d’un SMS.
Ces dispositions ont reçu un avis favorable à l’Assemblée nationale. Eu égard à la situation de la culture dans notre pays, une telle précision est loin d’être inutile : pour les artistes et les techniciens, elle faciliterait grandement le recours à l’activité partielle !
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. La commission éprouve, elle aussi, les préoccupations qui viennent d’être exprimées pour ce qui concerne le domaine artistique.
Cet amendement vise à réintroduire une disposition que nous avons supprimée. Il s’agit de permettre aux salariés de démontrer leurs relations contractuelles par tous moyens écrits. Cet objectif est sans doute important ; mais, pour l’atteindre, aucune mesure législative n’est nécessaire. De surcroît, ces dispositions sont satisfaites par la jurisprudence. Nous confirmons donc notre position.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. En principe, les salariés obtenant une promesse d’embauche sont bien éligibles à l’activité partielle, quelle que soit la modalité écrite retenue, y compris le courriel, et même si le contrat n’a pas commencé. Il convient simplement de respecter un minimum de formalisme pour attester de la réalité de la volonté d’embauche.
Les auteurs de cet amendement relèvent que, dans le secteur culturel notamment, ce formalisme n’est pas toujours observé ; en résultent des zones d’ambiguïté.
M. le rapporteur pour avis le souligne avec raison, la jurisprudence est claire à cet égard ; mais, dans la pratique, les acteurs peinent à s’y retrouver ; en résulte un assez grand volume de contentieux, que l’on peut qualifier de superflus.
En toute rigueur, une telle précision n’est pas indispensable. Mais, dans la pratique – et, par les temps qui courent, j’ai tendance à placer la pratique au-dessus de tout –, elle est la bienvenue pour clarifier le droit applicable : le Gouvernement émet donc un avis favorable.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Pour ma part, j’ai de la sympathie pour cet amendement. En effet, le secteur culturel mériterait parfois d’être plus et mieux administré.
J’en ai parlé avec M. le ministre de la culture pas plus tard qu’en fin de matinée : parfois, les établissements publics administratifs, ou encore les établissements publics industriels et commerciaux – autant de démembrements de l’État – recrutent avec un formalisme on ne peut plus léger. Telle personne apprend qu’elle sera employée de telle à telle date, et elle doit signer son contrat le jour même !
Madame la ministre, je pense notamment à la Réunion des musées nationaux – Grand Palais : avec la fermeture de tous les grands musées, les intermittents et les vacataires du patrimoine qui dépendent d’elle sont dans une situation très préoccupante. La pratique de cet établissement public de l’État laisse clairement à désirer, alors même qu’il devrait connaître par cœur la jurisprudence : il est bon d’écrire dans le droit ce qu’une telle institution devrait faire d’elle-même !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Mes chers collègues, nous nous trouvons face à notre responsabilité de législateur.
Bien sûr, nous sommes réunis pour faire du droit et, comme avocate, je peux entendre l’avis de M. le rapporteur pour avis. Mais nous sommes dans une situation de crise ; à l’évidence, un grand nombre de personnes travaillant dans le domaine de la culture ont de graves difficultés à trouver un interlocuteur, puis à faire valoir leurs droits, étant donné le caractère informel de leur recrutement.
Aidons ces professionnels : soyons très précis et pédagogues. Ce texte n’a pas vocation à s’ancrer dans le droit pour l’éternité. Mais, dans la situation actuelle, qui est si particulière, il me semble très utile que cette précision soit énoncée de manière très nette. Ainsi, ces personnes pourront faire valoir leurs droits même si, en lieu et place d’un contrat en bonne et due forme, elles ne disposent que d’une correspondance informelle.
Je tiens donc à contrebattre, de manière très respectueuse, l’avis très rigoureux donné par M. le rapporteur pour avis. En la matière, il faut faire preuve d’un peu de plasticité !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 55.
(L’amendement est adopté.) – (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. le président. Je suis saisi de huit amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 100 rectifié bis est présenté par MM. Mohamed Soilihi et Rambaud, Mme Cartron, M. Buis, Mmes Rauscent, Schillinger et Constant, MM. Iacovelli, Lévrier, Richard, Marchand et les membres du groupe La République En Marche.
L’amendement n° 137 rectifié est présenté par M. Raison, Mme Renaud-Garabedian, MM. Perrin, Milon, Cambon et Bonne, Mme Micouleau, M. Grand, Mme L. Darcos, M. Sol, Mme A.M. Bertrand, MM. Bascher et Brisson, Mme Gruny, MM. Bouchet, Mouiller, Bonhomme, Houpert et Hugonet, Mme Richer, M. Piednoir, Mmes Estrosi Sassone et Malet, MM. B. Fournier et Gremillet, Mme Lamure, M. Daubresse, Mme Bruguière, M. Chaize, Mme Duranton, M. de Nicolaÿ, Mmes Deroche et Lassarade, MM. Vogel et Schmitz, Mme Dumas, MM. Babary, Pierre, Saury et Charon, Mmes Morhet-Richaud, Di Folco et Chauvin, M. Chatillon, Mmes Deromedi, F. Gerbaud et Berthet, MM. Longuet, Priou, Kennel, Pointereau et Grosperrin, Mme Troendlé, MM. Bazin et Cuypers, Mme Thomas, M. Rapin, Mme Raimond-Pavero, M. Dallier, Mme Eustache-Brinio, M. Courtial et Mme Giudicelli.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 6
Après les mots :
secteur d’activité
insérer les mots :
, notamment lorsqu’il dépend de l’activité économique d’entreprises fermées administrativement,
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour présenter l’amendement n° 100 rectifié bis.
M. Thani Mohamed Soilihi. L’habilitation dont il s’agit tend à autoriser le Gouvernement à apporter des adaptations pour ajuster les dispositions relatives à l’activité partielle, dans le prolongement de l’article 11 de la loi d’urgence du 23 mars dernier. Ainsi, on pourra prévoir la différenciation du dispositif d’activité partielle en fonction des secteurs d’activité pour préserver ceux qui souffrent le plus des effets de la crise sanitaire, comme l’hôtellerie et la restauration.
Nous soutenons cette mesure de bon sens, grâce à laquelle l’État pourra poursuivre son engagement. Depuis le début de la crise sanitaire, celui-ci déploie les dispositifs de protection nécessaires pour éviter des licenciements, préserver l’emploi et conserver les compétences au sein des entreprises.
Si la volonté gouvernementale est de soutenir les entreprises qui, pour l’heure, restent fermées, de nombreuses autres sociétés, sans faire l’objet d’une fermeture administrative, voient leur activité atteinte du fait de leur dépendance économique à ces entreprises. C’est le cas des fournisseurs ou prestataires de l’hôtellerie, de la restauration et du tourisme, qui représentent un certain nombre de TPE et de PME réparties sur l’ensemble de notre territoire. Cet amendement vise à accorder une attention particulière à ces secteurs.
Enfin, je saisis cette occasion pour évoquer l’amendement n° 154, qui a été déclaré irrecevable et qui, lui, avait pour objet les CDD d’insertion. J’espère que ces dispositions seront bientôt reprises, par exemple par le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour présenter l’amendement n° 137 rectifié.
M. Jérôme Bascher. Il est défendu !
M. le président. Les six amendements suivants sont également identiques.
L’amendement n° 21 rectifié est présenté par MM. Savin, Darnaud, Kennel et Brisson, Mmes Noël et Thomas, M. Rapin, Mme Raimond-Pavero, M. Dallier, Mmes Deromedi et Di Folco, MM. Mandelli et Vogel, Mmes Dumas et Micouleau, MM. Regnard, Mouiller, Meurant, Chatillon, Courtial, Schmitz et Bouchet, Mme Gruny, MM. Leleux, Bonhomme, Calvet et Gremillet, Mme A.M. Bertrand, M. Chaize, Mme Lassarade, MM. Pierre et Pointereau, Mmes Imbert, Deroche et Berthet, MM. Forissier, Lefèvre, de Nicolaÿ et Babary, Mmes Ramond et Duranton, MM. Piednoir, Cambon et Genest, Mmes Lopez et L. Darcos, M. Reichardt, Mme M. Mercier, MM. Vaspart et D. Laurent, Mme Richer, MM. de Legge, Panunzi et Cuypers, Mme Chauvin, MM. Bonne, Bascher, Pellevat et Segouin, Mme Eustache-Brinio et MM. Sido, Longuet, Gilles et Priou.
L’amendement n° 90 rectifié bis est présenté par MM. Bizet, Bas et Bazin, Mmes Bonfanti-Dossat et Bruguière, MM. Danesi, Huré et Laménie, Mme Lamure, MM. Magras, Milon et Paul et Mme Troendlé.
L’amendement n° 93 est présenté par Mme de Cidrac.
L’amendement n° 177 rectifié bis est présenté par MM. Duplomb, J.M. Boyer, Karoutchi, Moga, Détraigne et B. Fournier, Mme Vullien, MM. Paccaud, Houpert, Canevet et Frassa, Mmes F. Gerbaud, Billon, Troendlé et Goy-Chavent, M. Hugonet, Mmes Chain-Larché et Bonfanti-Dossat et MM. H. Leroy, Chevrollier et Charon.
L’amendement n° 185 rectifié ter est présenté par Mmes Létard, Vullien, Joissains, Vermeillet et Vérien, MM. Janssens, Henno, Capo-Canellas et Longeot, Mme Morin-Desailly, MM. Kern et Médevielle, Mme Guidez, MM. Prince, Cigolotti, Le Nay et Cadic, Mme Saint-Pé, M. Vanlerenberghe, Mme Gatel et MM. Cazabonne, Maurey, Lafon et L. Hervé.
L’amendement n° 261 rectifié bis est présenté par Mme Morhet-Richaud, MM. Karoutchi, Frassa, Daubresse, Segouin et Cuypers, Mme M. Mercier, MM. Cardoux et Courtial et Mmes Troendlé et Berthet.
Ces six amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 6
Compléter cet alinéa par les mots :
, de celle des activités fermées administrativement ainsi que de celle des entreprises qui les approvisionnent les plus dépendantes de ces activités
La parole est à M. Philippe Mouiller, pour présenter l’amendement n° 21 rectifié.
M. Philippe Mouiller. Il est défendu !
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour présenter l’amendement n° 90 rectifié bis.
M. Jean Bizet. Il est également défendu, monsieur le président. Toutefois, j’insiste sur la notion de logique de filière, car, sur ce sujet, Mme la ministre ne nous a pas répondu. Comme l’a dit M. Bérit-Débat, si l’on ne fait pas attention à l’amont de diverses filières, bon nombre d’entreprises ne connaîtront pas l’après-crise !
M. le président. L’amendement n° 93 n’est pas soutenu.
La parole est à M. Michel Vaspart, pour présenter l’amendement n° 177 rectifié bis.
M. Michel Vaspart. Il est défendu !
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, pour présenter l’amendement n° 185 rectifié ter.
Mme Valérie Létard. Défendu !
M. le président. L’amendement n° 261 rectifié bis n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission des affaires sociales sur les amendements restant en discussion ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Comme les nombreux auteurs de ces amendements, nous déplorons un manque de précision sur ce sujet.
Toutefois, nous émettons un avis défavorable sur les amendements identiques nos 100 rectifié bis et 137 rectifié au profit des amendements suivants, rédigés de manière plus précise et auxquels nous sommes donc favorables.
Ces dispositions permettront de traiter la situation spécifique des activités fermées administrativement et des entreprises qui les approvisionnent, celles qui en dépendent le plus.
M. Jean Bizet. Absolument !
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Il faut véritablement avoir une vision plus large de la situation, considérer l’ensemble des filières et, ainsi, éviter des effets dominos pour des activités qui ne peuvent pas fonctionner l’une sans l’autre. Non seulement cette précision est utile, mais elle a le mérite de ne pas imposer de calendrier.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Nous avons déjà débattu de ces propositions, et je comprends bien leur sens, dans la logique de filière exposée par M. Bizet.
Néanmoins, les dispositions prévues dans le cadre de la rédaction actuelle, que Mme la ministre vient de détailler, couvrent déjà ces cas de figure. Elles permettent de tenir compte des impacts économiques de la crise sanitaire sur les entreprises de ces secteurs : ces précisions ne sont donc pas nécessaires.
Nous sollicitons le retrait de l’ensemble de ces amendements ; à défaut, nous émettrons un avis défavorable.
M. Jean Bizet. Cela va mieux en le disant, monsieur le ministre. C’est un Normand qui parle : une grande confiance n’exclut pas une petite méfiance !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Monsieur le ministre, au sujet des salariés du secteur culturel, le Gouvernement vient d’invoquer l’argument opposé… En somme, nous avons inversé les positions !
Nous avons chacun des contradictions à assumer. Mais, en l’occurrence, il me semble que les choses vont mieux en le disant. Certaines entreprises pourraient être exclues des dispositifs de soutien, et la dynamique économique s’en trouverait alors cassée. Le Gouvernement pourrait défendre une vision plus large, comme il l’a fait précédemment.
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour explication de vote.
M. Michel Canevet. Comme le souligne M. le rapporteur pour avis, il est nécessaire d’apporter cette précision, car les secteurs connaissent des évolutions différentes. En outre, j’invite le Gouvernement à prendre en compte non seulement certains secteurs bien identifiés, mais aussi tous ceux qui y sont rattachés.
Le secteur de l’hôtellerie et du tourisme est particulièrement affecté : ses recettes sont à zéro, les entreprises sont à l’arrêt, excepté quelques restaurants qui proposent de la vente à emporter. Mais d’autres secteurs associés sont également en grande difficulté, comme les blanchisseries industrielles qui travaillent pour ces établissements et qui, elles aussi, ne fonctionnent plus.
Il faut tenir compte de la réalité des situations. Un critère de perte de 80 % du chiffre d’affaires risque d’exclure des entreprises qui sont, de facto, fragilisées par la crise que nous traversons.
Monsieur le ministre, je le répète, il faut prendre en compte les réalités des filières dans leur ensemble ; prenons garde à ne pas exclure tel ou tel secteur pour de simples motifs administratifs. Il faut soutenir ces entreprises !
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Monsieur le ministre, certaines entreprises de mon département, qui sont au bord du dépôt de bilan, ont engagé il y a quelques jours une procédure de sauvegarde auprès du tribunal de commerce.
Or, dans le dialogue entre les juges et les chefs d’entreprise, l’un des enjeux, c’est la visibilité des mesures de soutien. Ces dispositions apportent une réponse claire ; elles permettent de prendre, immédiatement, des décisions vitales pour un certain nombre d’entreprises.
Cette clarification est urgente, et nous avons là une nouvelle occasion de l’apporter. Un certain nombre de filières sont lourdement atteintes par la crise, et beaucoup de personnes attendent des décisions, y compris celles qui sont appelées à examiner la situation des entreprises en difficulté !
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Tout d’abord, je tiens à remercier M. le rapporteur pour avis de sa dernière intervention : c’est notre rôle de préciser, autant que possible, le contenu des ordonnances. C’est tout le sens de ce débat ! Nous l’avons fait au sujet du secteur culturel, et nous nous félicitons de ce que l’amendement n° 55, de Mme Sylvie Robert, ait été adopté. En la matière, il faut faire de même.
Comme M. Mouiller, j’ai en tête un exemple de mon département, celui d’une entreprise de café. On se demande bien quelles difficultés une telle société peut éprouver en ce moment ; mais elle est placée en liquidation judiciaire, car la restauration représente l’essentiel de ses débouchés.
Nous sommes donc bien face à une logique de filière : en précisant ainsi le texte de l’ordonnance, cette entreprise pourra faire valoir ses droits auprès du tribunal de commerce. Nous voterons ces très bons amendements !
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Mes chers collègues, c’est bien beau de dire que l’on va s’intéresser à toutes les filières, dans une logique intégrée. Mais il faut aussi s’intéresser à tous les acteurs des filières !
Je le dis très solennellement. Aujourd’hui, le Président de la République a cru bon d’aller dans le Pas-de-Calais, département d’une région ô combien automobile, pour annoncer un plan de relance pour le secteur. Il s’agit d’un très bon plan ; je n’ai pas de critique à formuler à cet égard. Mais le chef de l’État a oublié que, pour ce secteur, le premier acteur économique régional, c’est le président de la région des Hauts-de-France.
C’est la région qui est compétente en matière de développement économique. À ce titre, elle a beaucoup fait, et Valérie Létard peut le confirmer : si une vice-présidente de la région s’est occupée du secteur industriel dans le Nord-Pas-de-Calais, c’est bien elle !
MM. Bruno Sido, Jean Bizet et Michel Canevet. Bravo Valérie ! (Mme Valérie Létard sourit.)
M. Jérôme Bascher. C’est un peu dommage de dire : « On va s’occuper de tout le monde » en oubliant les acteurs de la reprise. C’est un peu dommage que le Président de la République n’ait pas convié le président Bertrand pour qu’il entende ses annonces !
Cette précision étant apportée, à la demande de M. Savary, je retire l’amendement n° 137 rectifié.
M. le président. L’amendement n° 137 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 100 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 21 rectifié, 90 rectifié bis, 177 rectifié bis et 185 rectifié ter.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 240 rectifié n’est pas soutenu.
L’amendement n° 263, présenté par Mme S. Robert, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Compléter cet alinéa par les mots :
et en adaptant les règles aux caractéristiques des employeurs mentionnés aux 3° à 7° de l’article L. 5424-1 du code du travail, des établissements publics à caractère industriel et commercial de l’État, des groupements d’intérêt public, des sociétés publiques locales et des établissements publics de coopération culturelle
La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Les salariés des établissements publics à caractère industriel et commercial de l’État, des groupements d’intérêt public et des sociétés publiques locales peuvent être placés en activité partielle, dès lors que ces employeurs exercent une activité industrielle et commerciale à titre principal, c’est-à-dire que le produit de cette activité constitue la part majoritaire de leurs ressources.
Fort bien, mais cette disposition entrave le recours à l’activité partielle pour nombre d’établissements publics, singulièrement dans les secteurs culturel et touristique. Or, en plus de faire face à de graves difficultés, ces établissements sont soumis à une injonction contradictoire : labels du ministère de la culture pour la plupart – centres dramatiques nationaux et scènes nationales, par exemple –, ils sont incités, comme il est d’ailleurs normal, à honorer les contrats d’artistes et à payer le service non fait – vous savez bien qu’un grand nombre d’activités culturelles, forcément annulées, ont néanmoins été payées.
Résultat : ces établissements sont plongés dans des difficultés majeures, d’autant que les coûts fixes demeurent. C’est pourquoi je propose d’adapter le dispositif d’activité partielle à la réalité économique de chaque établissement public, au lieu de fonder l’accès à l’activité partielle seulement sur un critère de statut juridique, voire de montant de la subvention publique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à élargir l’applicabilité de l’activité partielle à certains employeurs publics. Or il ne semble pas opportun de prévoir une extension de l’activité partielle dans le cadre d’une habilitation destinée, au contraire, à organiser la sortie progressive du dispositif. C’est la raison pour laquelle l’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. À l’argument du rapporteur pour avis, j’ajoute que l’ordonnance du 22 avril 2020 a ouvert le dispositif d’activité partielle aux établissements publics à caractère industriel et commercial de l’État, aux groupements d’intérêt public et aux sociétés publiques locales, à la condition que ces employeurs exercent une activité industrielle et commerciale à titre principal – en d’autres termes, une activité dont le produit constitue la part majoritaire de leurs ressources.
Le Gouvernement considère que cette condition est légitime pour apprécier la prise en charge au titre de l’activité partielle des salariés de droit privé de ces établissements, dans la mesure où ceux-ci bénéficient par ailleurs d’une prise en charge de l’État via les subventions d’équilibre ; ils ne sont donc pas aussi menacés que les autres entreprises commerciales par les difficultés économiques actuelles. Le critère de la part majoritaire des ressources permet de cibler les établissements dont le modèle économique est le plus fortement détérioré. Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
Par ailleurs, je salue le souhait des collectivités territoriales, partenaires incontournables, que les structures culturelles locales qu’elles financent majoritairement ou cofinancent avec l’État puissent également participer pleinement à ces solidarités, sans distinction de forme juridique.
À cet égard, madame la sénatrice, le Gouvernement s’est engagé à prendre dans les tout prochains jours toutes les mesures nécessaires pour que les établissements culturels à vocation industrielle et commerciale relevant des collectivités territoriales bénéficient soit d’un dispositif d’activité partielle, soit d’un dispositif ad hoc, afin de protéger l’activité artistique de ces établissements.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. Monsieur le ministre, je comprends de votre réponse qu’une nouvelle disposition sera prise permettant aux établissements publics de coopération culturelle relevant des collectivités territoriales de bénéficier de l’activité partielle. Je m’en félicite, nonobstant l’avis défavorable sur mon amendement, en attendant avec impatience de voir de quel dispositif il s’agira.
Néanmoins, j’insiste : un certain nombre d’établissements culturels, singulièrement les labels de l’État, connaissent déjà de graves difficultés, et il sera difficile pour les collectivités territoriales comme pour le ministère, compte tenu des coûts fixes, de remédier à leur modèle économique dégradé.
M. le président. L’amendement n° 188, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Permettant la création d’un dispositif alternatif à l’activité partielle permettant d’accompagner les entreprises connaissant une baisse durable d’activité, en contrepartie d’engagements notamment en matière de maintien dans l’emploi ;
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre. Cet amendement vise à autoriser le Gouvernement à prévoir par ordonnance un nouveau dispositif alternatif à l’activité partielle, afin d’accompagner les entreprises subissant une baisse durable d’activité potentiellement au-delà de la fin de l’année 2020. En effet, alors que, dans certains secteurs d’activité, les entreprises seront durablement affectées par la crise, le dispositif actuel d’activité partielle, prévu pour répondre à une situation d’urgence, n’a pas été conçu pour un tel accompagnement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Monsieur le ministre, je m’attendais à ce que vous soyez plus loquace sur cet amendement, déposé hier…
M. Jérôme Bascher. Il fait du teasing !
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Il s’agit d’habiliter le Gouvernement à créer par ordonnance un dispositif alternatif à l’activité partielle qui permettrait d’accompagner les entreprises subissant une baisse durable d’activité pendant une période plus longue que la simple crise sanitaire, en contrepartie d’engagements, notamment en matière de maintien dans l’emploi, bien au-delà même de 2020.
Ce dispositif peut paraître intéressant, mais admettez que la rédaction de l’habilitation est bien vague – trop vague.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. C’est fait pour !
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Nous voulons plus de précisions sur les objectifs du Gouvernement. En attendant, j’émets un avis défavorable. Monsieur le ministre, qu’avez-vous derrière la tête ?
M. Jean-François Husson. Des sièges vides !
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Je vous pose la même question que le rapporteur pour avis, monsieur le ministre : qu’avez-vous derrière la tête ? Nous vous avons vu attraper au vol la chemise qui vous a été préparée et vous contenter de lire l’argumentaire. Peut-être ne savez-vous pas tout à fait ce qu’il y a derrière cet amendement…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. … de dernière minute !
Mme Monique Lubin. En tout cas, c’est un fait que vous avez été peu loquace.
Voilà très exactement le type d’amendement qui pose question, surtout venant d’un gouvernement qui s’est fait une habitude de procéder par habilitations. Pourquoi devrions-nous voter aujourd’hui une mesure qui s’appliquera dans plus de six mois, dans une configuration économique que nous ne pouvons absolument pas apprécier, tant nous sommes dans l’inconnu ?
Il est évident qu’un certain nombre d’entreprises auront encore besoin d’être soutenues ; mais lesquelles et dans quelles conditions ? Cette méthode pour en décider n’est vraiment pas très sérieuse.
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Cet amendement vient casser tout l’argumentaire que nous avons entendu depuis le début de ce débat et, avec lui la confiance que nous accordions au Gouvernement en matière d’accompagnement du chômage partiel.
Depuis le début, vous faites valoir la sincérité du Gouvernement et la nécessité de prendre des mesures particulières, secteur par secteur, pour apporter dans l’urgence des réponses concrètes aux entreprises. Et voilà que vous nous soumettez une habilitation sans contours, sans délai, sans mesures : le flou est complet ! Si vous pensez rassurer les entreprises de la sorte, vous faites erreur.
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Je signalais précédemment que certaines ordonnances comportent des dispositions défectueuses et mal écrites. Nous en avons sous les yeux la parfaite illustration. Il ne suffit pas de dire à la Haute Assemblée : « Aie confiance… » Avoir confiance, comment le pourrions-nous, avec des mesures aussi vagues ?
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Rien ne va dans cet amendement : ni la méthode, ni le dispositif, ni l’exposé des motifs.
D’abord, il est surprenant que le Gouvernement amende en permanence un projet de loi de ce type, qu’il a quand même eu un peu de temps pour préparer.
Ensuite, le voilà qui nous demande une habilitation à légiférer par ordonnance – une de plus – dans les termes les plus vagues : « un dispositif alternatif », cela ne veut rien dire, absolument rien !
Ce n’est même pas que nous serions suspicieux ; peut-être les arrière-pensées de la ministre du travail et de son cabinet sont-elles inspirées par de bonnes intentions.
M. Jean-François Husson. Peut-être…
Mme Laurence Rossignol. Simplement, on ne donne pas même au Parlement, à qui on demande l’autorisation de légiférer par ordonnance, une vague idée du dispositif alternatif qu’on envisage. J’imagine, monsieur le ministre, que vous-même ne le savez pas. C’est bien le problème : Mme la ministre du travail aurait peut-être pu nous répondre si elle n’était pas partie…
Vous assurez la permanence. C’est difficile pour vous, mais, quant à nous, il va de soi que nous voterons contre cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Je vais répondre à Philippe Mouiller.
M. Jean-François Husson. Tiens, te voilà ministre ? (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. Le Gouvernement, depuis tout à l’heure, réclame de la précision. Seulement, le voilà qui revient à sa politique normale : le « en même temps ». Avec une telle politique, on fait forcément tout et son contraire !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Bonne chance !
M. Marc Fesneau, ministre. J’espère que c’est sincère. (Sourires.)
Je n’assure pas une permanence, mais, vous le voyez bien, ce texte comporte plusieurs dispositifs ; certains de mes collègues sont plus spécialisés que d’autres.
M. Philippe Mouiller. Justement, où est Mme Pénicaud ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. C’est un choix…
M. Marc Fesneau, ministre. Ne nous faisons pas de griefs. Pour ma part, il est vrai que je ne suis pas un spécialiste de ces questions. Néanmoins, je vais m’efforcer de vous apporter des éléments de réponse ; quand vous aurez mieux saisi la philosophie du Gouvernement, vous ne nous prêterez pas de mauvaises intentions.
Quel est l’enjeu ? Nous devons réfléchir dès à présent – d’où le choix d’une ordonnance – à des dispositifs différents de celui dont vous avez discuté tout à l’heure, le dispositif d’activité partielle classique. De fait, certaines activités économiques vont être affectées durablement, bien au-delà du dispositif prévu. Songeons au secteur aéronautique : nous prenons des dispositions immédiates et d’autres qui porteront à beaucoup plus long terme.
Le Gouvernement vous demande ainsi la possibilité d’engager un dialogue avec les entreprises et les partenaires sociaux, un dialogue qui sera d’ailleurs assez long, en vue de prendre à moyen terme, plutôt d’ici à la fin de l’année, des dispositions répondant à l’exigence d’agir dans la longue durée. Je ne sais pas, monsieur Bascher, si c’est là du « en même temps » ; je ne le crois pas. En même temps, si j’ose dire, nous sommes obligés de réfléchir à la fois à des dispositifs immédiats et aux voies et moyens adaptés au cycle qui suivra.
Il ne s’agira pas du dispositif de chômage partiel, mais d’un autre dispositif, qui n’est pas sur la table. Il n’y a pas d’arrière-pensées. Simplement, nous essayons de réfléchir un peu plus loin…
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. … que nous ?
M. Marc Fesneau, ministre. … que ce qui est d’ores et déjà prévu.
Je reconnais volontiers les affaires de forme, sur lesquelles le sénateur Duplomb m’a précédemment alerté.
M. Jean-François Husson. Le sénateur Mouiller !
M. Marc Fesneau, ministre. Reste que, au-delà de l’activité partielle, nous devons réfléchir aux dispositifs qui suivront, et le faire dès à présent. C’est pourquoi le Gouvernement vous demande de l’habiliter à réfléchir avec les partenaires sociaux et les acteurs économiques à de nouveaux dispositifs pour le moyen terme.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le ministre, sentez-vous à l’aise : moi non plus je ne suis pas un spécialiste de ces questions ; cela ne me dissuade pas de prendre la parole… (Sourires.)
Vous nous assurez que le Gouvernement n’a pas d’arrière-pensées. Je ne demande qu’à vous croire. Seulement, s’il n’a pas d’arrière-pensées, il doit au moins avoir une pensée. (Nouveaux sourires.) Si oui, laquelle ?
S’il s’agit de réfléchir, vous n’avez pas besoin de notre autorisation. Réfléchir avec les partenaires sociaux, fort bien ; nous vous y encourageons. L’objectif est de trouver une solution à moyen terme ? C’est parfait : vous n’êtes donc pas pressé et n’avez pas besoin qu’on vous habilite à prendre des ordonnances dans un délai limité pour écrire des règles dont, pour l’instant, vous n’avez pas idée.
Dès lors, je vous suggère de retirer cet amendement et de revenir nous voir, rue de Vaugirard, 15 ter, où nous sommes à votre disposition. S’il s’agit d’aider des entreprises qui n’auront plus accès au chômage partiel pour éviter qu’elles ne licencient, nous serons évidemment à vos côtés. Vous pourrez compter sur nous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Je suis quelque peu gêné de prendre la parole après le président de la commission des lois, mais je pensais, monsieur le ministre, que, plutôt que d’aéronautique, vous nous parleriez d’automobile, puisque des mesures doivent être annoncées, avec des contreparties.
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. S’il s’agit de mettre en œuvre des engagements qui vont être pris, dites-le-nous !
Au-delà du manque de précision, l’avis défavorable procède de la logique que la commission des affaires sociales a suivie : des mesures exceptionnelles, liées à la crise, ont été prises jusqu’à la fin de l’année, mais, pour ce qui est du moyen terme, il sera intéressant que le Parlement retravaille les mesures d’accompagnement envisagées.
Notre avis n’est donc pas négatif quant à un dispositif alternatif. En revanche, nous entendons que le Parlement soit mieux pris en compte. Il est particulièrement cavalier de présenter des amendements aussi peu précis.
M. le président. L’amendement n° 147, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Rédiger ainsi cet alinéa :
i) Permettant l’adaptation, pour les saisons 2019/2020 et 2020/2021, du régime applicable aux contrats des sportifs et entraîneurs professionnels salariés ;
La parole est à Mme la ministre.
Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Cet amendement vise à corriger l’alinéa 8 de l’article 1er, relatif aux contrats des sportifs et entraîneurs professionnels salariés.
Tel que modifié par les députés, cet alinéa renvoie aux fédérations sportives et aux ligues professionnelles la modification du régime de ces contrats. Or ces questions de droit du travail relèvent non pas de la compétence des fédérations, mais bel et bien de la loi et des dispositions spécifiques au code du sport, ainsi que du dialogue social.
Le Gouvernement propose simplement de corriger cette coquille, pour retrouver le sens initial de l’habilitation sur les contrats des sportifs. Cette disposition permettra d’adapter le régime, en particulier la durée des contrats des sportifs et entraîneurs des clubs français, afin de tenir compte des conséquences de l’arrêt des championnats nationaux et de la poursuite d’autres championnats, notamment au niveau européen.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il s’agit bien d’une coquille : avis favorable.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 126 rectifié est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 201 rectifié est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 12 et 14
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 126 rectifié.
M. Marc Fesneau, ministre. L’alinéa 14 de l’article 1er vise à donner au Gouvernement la possibilité d’agir par ordonnance pour maintenir les droits et la protection sociale complémentaire des salariés en cas d’activité partielle. Il n’est plus nécessaire, dans la mesure où le Gouvernement présentera un amendement portant article additionnel après l’article 1er quater A pour inscrire ces dispositions dans le dur de la loi.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 201 rectifié.
Mme Laurence Cohen. Si cet amendement est identique à celui du Gouvernement, il n’est pas motivé par les mêmes raisons : nous voulons vraiment supprimer cette disposition, pas la réintroduire un peu plus loin dans la loi !
Pour répondre à la crise, le Gouvernement prévoit que les accords d’entreprise pourront déterminer le nombre de renouvellements de contrats à durée déterminée.
Le nombre de renouvellements possibles pour un CDD, le délai de carence entre deux contrats courts et les cas dans lesquels ce délai de carence n’est pas applicable pourraient désormais être fixés par accords d’entreprise – des assouplissements issus d’un amendement gouvernemental.
Les ordonnances Macron de 2017 avaient déjà assoupli le droit en la matière, mais la branche professionnelle restait le verrou. Aujourd’hui, il faut un accord de branche pour déroger au droit du travail, qui prévoit qu’on ne peut renouveler un CDD plus de deux fois.
Ce détricotage supplémentaire du code du travail dégrade la qualité de l’emploi et entraînera une précarisation accrue.
En favorisant les contrats précaires au détriment des contrats à durée indéterminée, le Gouvernement prétend relancer l’économie. En réalité, il va précariser davantage notre société, d’autant que les mesures présentées comme provisoires deviennent bien souvent permanentes – l’excuse a déjà servi par le passé…
Nous sommes particulièrement inquiets d’une disposition qui aggrave les reculs d’une loi que nous avions combattue, la loi El Khomri. L’assouplissement des règles relatives aux CDD et à l’intérim s’est toujours accompagné d’une précarisation des conditions d’emploi pour les travailleurs concernés, sans effet notable en termes de relance économique.
L’argument de la nécessité de s’adapter à la crise est d’autant plus fallacieux que les règles sont déjà largement flexibles et que les employeurs peuvent y recourir facilement pour déroger au principe de l’emploi en CDI.
Pour ces raisons, nous demandons la suppression de l’alinéa 14 de l’article 1er, et nous voterons contre l’amendement du Gouvernement tendant à réintroduire cette disposition.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. La commission des affaires sociales est favorable à l’amendement du Gouvernement, visant à supprimer une habilitation, transformée en clair par l’amendement n° 125 portant article additionnel après l’article 1er quater A. Il s’agit de prendre des mesures dérogatoires en termes de protection sociale complémentaire pour les salariés placés en activité partielle.
L’amendement n° 201 rectifié étant identique, je ne puis pas lui donner un avis défavorable… Il me semble pourtant, madame Cohen, que l’alinéa visé ne correspond pas exactement à votre intention ; je vous suggère donc de retirer l’amendement.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 126 rectifié et 201 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 1er bis AA (nouveau)
Par dérogation aux articles 22 et 24 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture et à l’article 87 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, l’ensemble des mandats des membres du conseil national et des conseils régionaux de l’ordre des architectes qui sont en cours à la date de publication de la présente loi sont prolongés de six mois.
En conséquence et par dérogation aux mêmes dispositions, les renouvellements par moitié des conseils précités devant intervenir à l’extinction des mandats qui sont en cours à la date de publication de la présente loi sont reportés de six mois. – (Adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er bis AA
M. le président. L’amendement n° 31 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis AA
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - A. - 1° Les dispositions du présent I sont applicables aux mandats suivants, lorsqu’ils sont arrivés à échéance entre le 12 mars 2020 et la date d’entrée en vigueur du présent I et qu’il n’a pas été pourvu à leur renouvellement ou à leur remplacement à cette date, ou lorsqu’ils arrivent à échéance entre la date d’entrée en vigueur du présent I et le 31 juillet 2020, sauf prorogation de ce délai jusqu’à une date fixée par décret et au plus tard le 30 novembre 2020 :
a) Mandats des représentants des salariés au sein des organes collégiaux d’administration, de surveillance ou de direction des personnes morales de droit privé, lorsque ces représentants sont élus par les salariés ;
b) Mandats des représentants des salariés actionnaires au sein desdits organes ;
2° Le présent article n’est pas applicable aux mandats faisant l’objet d’adaptations particulières par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ou la présente loi ou en application de celles-ci.
B. – Les mandats mentionnés au A du présent I sont prorogés jusqu’à la date de leur renouvellement ou de l’entrée en fonction des nouveaux membres nommés en remplacement et au plus tard le 30 septembre 2020, sauf prorogation de ce délai jusqu’à une date fixée par décret et au plus tard le 31 décembre 2020.
C. – Lorsque le mandat est arrivé à échéance entre le 12 mars 2020 et la date d’entrée en vigueur du présent I, aucune nullité des délibérations n’est encourue du seul fait que le titulaire de ce mandat n’a pas été convoqué ou n’a pas pris part aux délibérations entre la date d’échéance du mandat et la date d’entrée en vigueur du présent I.
II. – Le B du I de l’article 184 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises est ainsi rédigé :
« B. - Pour l’application du A, les modifications statutaires nécessaires à l’élection ou à la désignation des administrateurs et des membres du conseil de surveillance représentant les salariés ou les salariés actionnaires sont proposées lors de l’assemblée générale ordinaire organisée en 2020.
« L’entrée en fonction de ces administrateurs et membres du conseil de surveillance intervient au plus tard :
« 1° Pour les administrateurs et membres du conseil de surveillance représentant les salariés qui sont élus par ces derniers, ainsi que pour les administrateurs et membres du conseil de surveillance représentant les salariés actionnaires, à la plus tardive des dates entre l’expiration d’un délai de six mois après l’assemblée générale portant les modifications statutaires nécessaires à leur désignation et le 30 septembre 2020, sauf report de cette dernière date jusqu’à une date fixée par décret et au plus tard le 31 décembre 2020 ;
« 2° Pour les administrateurs et membres du conseil de surveillance représentant les salariés autres que ceux mentionnés au 1°, six mois après l’assemblée générale portant les modifications statutaires nécessaires à leur désignation.
« Les 1° et 2° du A du présent I entrent en vigueur à l’issue du mandat du représentant des salariés actionnaires en cours à la date de la publication de la présente loi. »
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre. Le contexte actuel rend difficile la tenue dans des conditions satisfaisantes des élections nécessaires à la nomination de certains représentants des salariés et des représentants des salariés actionnaires dans les organes de gouvernance. Afin d’assurer la continuité de cette représentation essentielle, le présent amendement tend à proroger les mandats des représentants qui ont expiré sans pouvoir être renouvelés ou remplacés en raison du contexte sanitaire.
En outre, pour offrir une souplesse aux entreprises confrontées aux difficultés matérielles d’organisation de ces élections, l’amendement vise à aménager la date limite d’entrée en fonction des représentants qui devront être désignés à la suite du renforcement des obligations de représentation des salariés et des salariés actionnaires par la loi Pacte.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Nous avons précédemment repoussé un amendement trop large, que j’avais qualifié d’« amendement balais », sur tous les mandats non politiques. Cet amendement-ci est précis : avis favorable.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er bis AA.
L’amendement n° 106 rectifié, présenté par MM. Mandelli et Bazin, Mme Lavarde, MM. D. Laurent, Calvet, Sol, Vaspart et Bonhomme, Mmes L. Darcos, Gruny et M. Mercier, MM. B. Fournier et Savin, Mme Estrosi Sassone, MM. Mouiller, Piednoir, Vogel, Milon, Cardoux et Danesi, Mmes Lassarade, de Cidrac, Puissat, Imbert et Deromedi, M. Dallier, Mmes Raimond-Pavero et Di Folco, M. Rapin et Mmes Lamure et Berthet, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis AA
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 20 de l’ordonnance n° 2019-552 du 3 juin 2019 portant diverses dispositions relatives au groupe SNCF est ainsi modifié :
1° Aux premier et dernier alinéas des I et II et aux premier et second alinéas des III et IV, les mots : « jusqu’au 30 juin 2020 » sont remplacés par les mots : « jusqu’au 31 décembre 2020 ou jusqu’à trois mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 si cette date est postérieure au 30 septembre 2020 » ;
2° Au V, les mots : « le 30 juin 2020 » sont remplacés par les mots : « le 31 décembre 2020 ou trois mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 si cette date est postérieure au 30 septembre 2020 ».
La parole est à M. Arnaud Bazin.
M. Arnaud Bazin. Il s’agit de prolonger de quelques mois la disposition transitoire prévue en ce qui concerne la composition des conseils d’administration des sociétés SNCF, SNCF Réseau, SNCF Voyageurs et SNCF Gares & Connexions.
Les mesures transitoires faisant suite à la transformation du groupe devaient s’appliquer du 1er janvier au 30 juin 2020, date à laquelle les élections professionnelles devaient avoir désigné les représentants des salariés dans les nouveaux conseils d’administration. Or, comme vient de le signaler M. le ministre, ces élections sont très compliquées à organiser d’ici au 30 juin. Les auteurs de l’amendement proposent donc de repousser l’échéance au 31 décembre 2020 ou à trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, si cette date était postérieure au 30 septembre prochain.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Cet amendement est précis et justifié par la crise sanitaire : avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Cet amendement de précision est très utile, d’autant que des décisions de gouvernance doivent être prises à la SNCF : avis favorable.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er bis AA.
Article 1er bis A
À compter du 12 mars 2020 et pour une durée n’excédant pas six mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire déclaré en application de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, peuvent être conclus ou renouvelés pour une durée totale de trente-six mois :
1° Par dérogation au quatrième alinéa des articles L. 5132-5, L. 5132-11-1, L. 5132-15-1 du code du travail, et sans préjudice des dérogations et exceptions prévues aux mêmes articles L. 5132-5, L. 5132-11-1, L. 5132-15-1, les contrats à durée déterminée, conclus en application de l’article L. 1242-3 du même code ;
2° Par dérogation au dernier alinéa de l’article L. 5132-6 dudit code, les contrats de mission des entreprises de travail temporaire d’insertion ;
3° Par dérogation aux articles L. 5134-25-1, L. 5134-23, L. 5134-69-1 et L. 5134-67-1 du même code, et sans préjudice des durées supérieures à trente-six mois et des dérogations prévues aux mêmes articles L. 5134-25-1, L. 5134-23, L. 5134-69-1 et L. 5134-67-1, les contrats uniques d’insertion conclus en application de l’article L. 5134-19-1 du même code et le versement des aides à l’insertion professionnelle qui y sont associées ;
4° Par dérogation au 1 du I de l’article 78 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, les contrats conclus par les employeurs mentionnés à l’article L. 5213-13-1 du code du travail, sans que la durée du renouvellement n’excède le terme de l’expérimentation prévue à l’article 78 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 précitée, soit le 31 décembre 2022.
M. le président. L’amendement n° 203 rectifié, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume, Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, MM. Gay, Gontard et P. Laurent, Mme Lienemann, M. Ouzoulias, Mme Prunaud et M. Savoldelli, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. L’article 1er bis A, introduit par l’Assemblée nationale, permet à titre dérogatoire, pendant la période d’état d’urgence sanitaire et jusqu’à six mois au-delà, de conclure ou de renouveler pour une durée de trente-six mois, au lieu de vingt-quatre en temps normal, les contrats courts signés au titre de la politique de l’emploi et les contrats aidés. La commission des affaires sociales a étendu cette disposition au contrat unique d’insertion.
Nous l’avons régulièrement expliqué : le recours facilité aux contrats précaires ne permettra pas d’améliorer la situation économique du pays. Au reste, ces mesures s’appliquent déjà depuis des années, sans succès. Pour relancer l’économie, il faut au contraire s’appuyer, par exemple, sur le secteur de l’économie sociale et solidaire, mais aussi sur les services publics, ainsi que sur des contrats protecteurs, aux antipodes de ceux visés par cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. La suppression proposée irait à l’encontre de la position de la commission des affaires sociales : avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 48, présenté par Mme Lubin, M. Kanner, Mme Féret, MM. Daudigny, Kerrouche et Marie, Mmes Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Meunier et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat, Jacques Bigot et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert et Daunis, Mme de la Gontrie, MM. Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud et Fichet, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Guillemot et Harribey, MM. Houllegatte, Jacquin et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Lalande et Leconte, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mme Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roger, Sueur et Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Rédiger ainsi cet alinéa :
À compter du 12 mars 2020 et pour une durée n’excédant pas six mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire, peuvent être conclus ou renouvelés pour une durée totale de trente-six mois :
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Pour la détermination de l’indemnité d’activité partielle mentionnée au II de l’article L. 5122-1 du code du travail au bénéfice des salariés des structures mentionnées au 3° de l’article L. 5132-4 du même code, les contrats de travail conclus en application du 3° de l’article L. 1242-2 dudit code, sont réputés avoir été conclus en application de contrats de mise à disposition sur la base d’un volume horaire calculé de la façon suivante :
a) Pour les salariés nouvellement inscrits dans l’association intermédiaire en mars 2020, selon une estimation du nombre d’heures qui auraient dû être réalisées ;
b) Selon les prévisions contractuelles quand un volume horaire était prévu dans le contrat de travail ;
c) Selon le nombre d’heures déclarées comme réalisées du plus favorable des trois derniers mois clos avant le début de l’état d’urgence sanitaire.
La parole est à Mme Monique Lubin.
Mme Monique Lubin. Cet amendement a pour objet de sécuriser les parcours d’insertion des publics fragiles. Il vise à leur ouvrir la possibilité de bénéficier de l’activité partielle en permettant le renouvellement de leur contrat de travail ou la conclusion d’un nouveau contrat de travail en cas de mise à disposition, même sans mission associée.
Ce dispositif, lié à la particularité des contrats à durée déterminée d’usage, permettra d’adapter et de sécuriser l’accès des publics concernés à l’activité partielle.
M. le président. L’amendement n° 246, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
pour une durée n’excédant pas six mois à compter de
par les mots :
jusqu’à
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. À nouveau, j’estime que, si le Gouvernement souhaite légiférer seul, nous n’avons plus de raison d’être. Le Gouvernement a déjà pris cinquante-sept ordonnances ! Le Parlement lui a déjà accordé de proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet inclus. Dépasser le cadre strict prévu par la loi me semble dangereux pour notre démocratie.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 5 rectifié bis est présenté par Mme N. Delattre, MM. Arnell, Artano et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, MM. Dantec, Gabouty, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Jeansannetas, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde, M. Léonhardt, Mme Pantel et MM. Requier, Roux, Vall et Cazabonne.
L’amendement n° 13 rectifié ter est présenté par MM. Bonhomme et Mandelli, Mmes Lamure et Micouleau, M. Vogel, Mme Di Folco, MM. Pierre, Bonne et Gremillet, Mmes Billon et Vullien, M. Grosdidier, Mme de Cidrac, MM. Guené et Pellevat, Mme Sollogoub, MM. Brisson et Piednoir, Mme Duranton, M. Vial, Mmes Berthet, Lassarade et Malet, M. Kennel, Mme Bories, MM. de Nicolaÿ, Luche, Gilles et Dallier, Mmes Imbert et Lanfranchi Dorgal, MM. Mouiller, B. Fournier, Bouchet et Sido et Mmes Thomas et Canayer.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
.… – À compter du 12 mars 2020 et pour une durée n’excédant pas six mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire déclaré en application de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, pour la détermination de l’indemnité d’activité partielle mentionnée au II de l’article L. 5122-1 du code du travail au bénéfice des salariés des structures mentionnées au 3° de l’article L. 5132-4 du même code, les contrats de travail conclus en application du 3° de l’article L. 1242-2 dudit code, sont réputés avoir été conclus en application de contrats de mise à disposition sur la base d’un volume horaire calculé de la façon suivante :
a) Pour les salariés nouvellement inscrits dans l’association intermédiaire en mars 2020, selon une estimation du nombre d’heures qui auraient dû être réalisées ;
b) Selon les prévisions contractuelles quand un volume horaire était prévu dans le contrat de travail ;
c) Selon le nombre d’heures déclarées comme réalisées du plus favorable des trois derniers mois clos avant le début de l’état d’urgence sanitaire.
La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié bis.
M. Jean-Claude Requier. Dans la période de crise actuelle, le maintien des salariés en parcours d’insertion revêt un intérêt particulier pour éviter une exclusion durable du monde du travail en conservant un lien avec l’employeur, qui peut poursuivre son action d’accompagnement et de formation dans l’attente de la reprise d’activité.
Le Gouvernement a souhaité faire bénéficier l’ensemble des salariés de la mesure renforcée d’activité partielle afin de préserver l’emploi face à cette crise. Pour autant, en raison de particularités juridiques, les associations intermédiaires et les entreprises de travail temporaire d’insertion voient leur accès à cette mesure de soutien remis en cause en raison d’une insécurité juridique liée à la nature de leurs contrats d’insertion. Le présent amendement, proposé par Mme Delattre, vise donc à adapter l’accès à l’activité partielle à la particularité des contrats à durée déterminée d’usage d’insertion.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour présenter l’amendement n° 13 rectifié ter.
M. François Bonhomme. Le présent amendement vise à sécuriser l’accès à l’activité partielle compte tenu de la période particulière que nous vivons, en attendant – espérons-le – des jours meilleurs qui nous permettront de revenir à un dispositif moins exceptionnel.
M. le président. Les deux amendements suivants sont également identiques.
L’amendement n° 111 est présenté par Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 117 rectifié est présenté par MM. Capus, Malhuret, Menonville et Guerriau, Mme Mélot et MM. Lagourgue, Wattebled, Bignon, Chasseing, Amiel, Fouché, Decool, Laufoaulu et A. Marc.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – À compter du 12 mars 2020 et pour une durée n’excédant pas six mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire, pour la détermination de l’indemnité d’activité partielle mentionnée au II de l’article L. 5122-1 du code du travail au bénéfice des salariés des structures mentionnées au 3° de l’article L. 5132-4 du même code, les contrats de travail conclus en application du 3° de l’article L. 1242-2 dudit code, sont réputés avoir été conclus en application de contrats de mise à disposition sur la base d’un volume horaire calculé de la façon suivante :
a) pour les salariés nouvellement inscrits dans l’association intermédiaire en mars 2020, selon une estimation du nombre d’heures qui auraient dû être réalisées ;
b) selon les prévisions contractuelles quand un volume horaire était prévu dans le contrat de travail ;
c) selon le nombre d’heures déclarées comme réalisées du plus favorable des trois derniers mois clos avant le début de l’état d’urgence sanitaire.
La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour présenter l’amendement n° 111.
Mme Sophie Taillé-Polian. Le Gouvernement n’a plus qu’à piocher la bonne rédaction parmi ces différents amendements, qui visent tous à permettre que le secteur de l’insertion par l’activité économique bénéficie du chômage partiel. Cette mesure est réclamée sur toutes les travées.
En tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Travail et emploi », mon collègue Emmanuel Capus et moi-même avons rédigé le même amendement. Quelle que soit la rédaction retenue, nous souhaitons que l’insertion par l’activité économique puisse bénéficier du chômage partiel. Cela nous semble une bonne chose compte tenu de la crise actuelle.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour présenter l’amendement n° 117 rectifié.
M. Franck Menonville. Comme vient de le dire notre collègue Sophie Taillé-Polian, ces deux amendements identiques ont été rédigés en commun.
M. le président. L’amendement n° 183 rectifié bis, présenté par Mmes Létard et Vullien, MM. Delcros, Longeot, Henno, Janssens, Détraigne, Moga, Le Nay, Prince, Kern, Médevielle, Canevet, Cigolotti, Cadic et Capo-Canellas, Mmes Joissains, Vérien, Guidez, Vermeillet, Morin-Desailly, Perrot, Billon, Saint-Pé et Gatel et MM. Vanlerenberghe, Cazabonne, Lafon et L. Hervé, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - Pour la détermination de l’indemnité d’activité partielle mentionnée au II de l’article L. 5122-1 du code du travail au bénéfice des salariés des structures mentionnées au 3° de l’article L. 5132-4 du même code, les contrats de travail conclus en application du 3° de l’article L. 1242-2 dudit code, sont réputés avoir été conclus en application de contrats de mise à disposition sur la base d’un volume horaire calculé de la façon suivante :
a) Pour les salariés nouvellement inscrits dans l’association intermédiaire en mars 2020, selon une estimation du nombre d’heures qui auraient dû être réalisées ;
b) Selon les prévisions contractuelles quand un volume horaire était prévu dans le contrat de travail ;
c) Selon le nombre d’heures déclarées comme réalisées du plus favorable des trois derniers mois clos avant le début de l’état d’urgence sanitaire.
La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. L’amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Six de ces amendements en discussion commune visent à inscrire dans la loi le calcul de l’indemnité d’activité partielle pour les associations intermédiaires de l’insertion par l’activité économique, compte tenu de la spécificité de ces structures.
Ces amendements sont satisfaits par la pratique actuelle de la DGEFP, qui est précisée dans une simple foire aux questions du ministère du travail. Cependant, on voit mal pourquoi cette pratique ne serait pas sécurisée juridiquement.
Si tous ces amendements ont le même objet, certains ont une rédaction plus précise que d’autres. C’est pourquoi la commission a émis un avis favorable sur les amendements nos 5 rectifié bis, 13 rectifié ter, 111 et 117 rectifié et un avis défavorable sur les amendements nos 48 et 183 rectifié bis.
Quant à l’amendement n° 246, il vise à supprimer l’extension à six mois au-delà de l’état d’urgence sanitaire des assouplissements prévus par l’article. Compte tenu de l’incertitude actuelle, il est préférable d’accorder cette souplesse au Gouvernement. L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Conscient de la particularité du secteur de l’insertion, pour lequel il importe de garantir la continuité des parcours individuels et d’éviter toute rupture de prise en charge, le ministère du travail a très tôt indiqué la possibilité pour les structures d’insertion de renouveler à titre exceptionnel les CDDU arrivés à échéance.
Une inscription de cette dérogation dans la loi n’apparaît pas nécessaire, puisque, comme l’indiquait le rapporteur pour avis, elle se pratique déjà. Lorsqu’ils sont apparus justifiés et opportuns, les renouvellements ont eu lieu et ont garanti la continuité des parcours d’insertion.
Le niveau de norme choisi par l’administration paraît adapté pour mettre en œuvre avec souplesse cette dérogation exceptionnelle, tout en prémunissant les acteurs de tout risque lors des opérations de contrôle du recours à l’activité partielle.
Je demande donc le retrait de ces amendements. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Lorsqu’elle était présente en séance, Mme la ministre du travail a émis un avis favorable sur un amendement de Mme Robert qui procédait de la même logique, en indiquant que, même si l’écriture dans la loi du dispositif visé n’apparaissait pas nécessaire, rien n’empêchait de sécuriser ce qui se pratique déjà. Il serait bon que nous procédions à cette sécurisation demandée par les acteurs de l’insertion par l’activité économique.
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Permettez-moi d’évoquer la pratique concernant notamment la reconduction des contrats dans le secteur de l’insertion.
Lorsqu’une situation particulière se présente, comme celle que nous vivons aujourd’hui, les acteurs de ce secteur dialoguent avec la Direccte, qui leur fait une réponse en fonction de la pertinence de la demande, mais, surtout, des budgets disponibles. Le système actuel ne permettant aucune lisibilité quant aux budgets complémentaires qui seront alloués, il n’est donc pas sécurisé.
Les structures d’insertion et tous les acteurs du monde économique et social se plaignent de ce manque de visibilité. Aucune consigne n’étant donnée concernant les budgets complémentaires, ces acteurs sont à la merci d’une décision ou d’une non-décision. C’est pourquoi il est fondamental et urgent de voter ces amendements.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 rectifié bis et 13 rectifié ter.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, les amendements nos 111, 117 rectifié et 183 rectifié bis n’ont plus d’objet.
Je mets aux voix l’article 1er bis A, modifié.
(L’article 1er bis A est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er bis A
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 239 rectifié bis, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume, Assassi, Prunaud et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos est abrogée.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. L’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 a ouvert des dérogations dangereuses au droit du travail en matière de congés payés et de jours de repos pour tous les secteurs, ainsi que des dérogations concernant la durée maximale du travail et le repos dominical.
Les entreprises n’ont pas attendu pour mettre en place ces dispositifs, y compris les grands groupes qui bénéficient déjà du chômage partiel et des aides financières de l’État. Je pense à Alstom, qui a imposé à ses salariés de poser avant fin avril onze jours de repos, dont cinq jours de congés payés. Ces salariés n’ont pas eu le choix de leurs jours de congé, qu’ils ont dû prendre pendant le confinement, ce qui, vous en conviendrez mes chers collègues, est loin d’être des vacances.
À la Société générale, un accord a obligé les salariés à poser dix jours de congés payés et de RTT entre mi-mars et fin mai. Chez BNP Paribas, la direction a imposé unilatéralement la prise de dix jours avant fin mai. Cette décision brutale a été extrêmement mal vécue par les salariés.
Certaines entreprises ont également imposé à leurs salariés de réduire ou de déplacer leurs congés d’été. Ainsi, chez PSA, un accord diminue de trois à deux semaines consécutives la durée minimale des congés estivaux. Cette remise en cause brutale des congés d’été est une double sanction pour les salariés, qu’ils aient été confinés ou qu’ils aient continué de travailler sans beaucoup de protection.
Par l’ordonnance de mars 2020, une brèche supplémentaire a été ouverte au socle des droits sociaux de notre pays. Le risque est de voir cette brèche maintenue au-delà du 31 décembre 2020.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous demandons l’abrogation de cette ordonnance.
M. le président. L’amendement n° 204 rectifié, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les quatrième et cinquième alinéas du b du 1° du I de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 sont supprimés.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. L’amendement est défendu.
M. le président. L’amendement n° 205 rectifié, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le sixième alinéa du b du 1° du I de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 est supprimé.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. L’amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Ces trois amendements tendent à revenir sur les mesures d’urgence en matière de congés et de temps de travail.
L’amendement n° 239 rectifié bis vise à abroger l’ordonnance du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos, qui a été prise sur le fondement de la loi d’urgence du 23 mars.
Les mesures de cette ordonnance relatives à l’adaptation des règles de prise des congés payés ont donné lieu à de nombreux accords collectifs sans susciter d’opposition majeure. Elles permettent aux entreprises de s’organiser en vue de la reprise de l’activité économique. Supprimer ces mesures aujourd’hui poserait un problème de sécurité juridique.
Par ailleurs, les dérogations aux règles de durée de travail n’ont à ce jour donné lieu à aucun décret sectoriel. Aucune entreprise ne peut donc actuellement porter la durée quotidienne du travail à douze heures, par exemple, sans que l’administration ait son mot à dire. Conserver cette facilité pourrait toutefois se révéler utile dans certains secteurs stratégiques.
Les amendements nos 204 rectifié et 205 rectifié visent à supprimer des habilitations sur le fondement desquelles a été prise cette ordonnance pour permettre aux employeurs de déroger respectivement aux règles de prise de congés payés et de jours de repos et aux règles d’ordre public en matière de durée du travail.
L’avis sur ces trois amendements est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. L’amendement n° 239 rectifié bis vise à abroger l’ordonnance du 25 mars 2020.
La faculté d’adapter la durée du travail, à la hausse ou à la baisse, selon les cas, permet aux entreprises de faire face aux difficultés économiques liées à la pandémie de Covid-19 et participe ainsi de l’aide indispensable au tissu économique et au maintien de l’emploi des salariés en entreprise.
L’ordonnance encadre le dispositif, qui ne concerne que six jours de congé et dix jours de repos au maximum, garantissant ainsi le maintien d’un repos minimum pour les salariés. Les partenaires sociaux se sont emparés de ce dispositif, comme l’a rappelé votre rapporteur pour avis. De nombreux accords de branches et d’entreprise ont déjà été signés. Le dispositif est donc jugé pertinent et adapté par les forces économiques et sociales sur le terrain.
J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement n° 239 rectifié bis, ainsi que sur les amendements nos 204 rectifié et 205 rectifié.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Les réponses qui viennent de m’être faites par le rapporteur pour avis et par le ministre sont incroyables. En cette période de crise qui ébranle la société dans son entier, les salariés ont une grosse crainte concernant leur avenir : ils ont peur de perdre leur emploi. Nous savons que la secousse sera terrible. Or vous me répondez qu’il n’y a pas eu de vague, pas de protestation, et, fort de cet argument, vous proposez de continuer.
Les jours de repos et les congés payés ont été conquis par des luttes. En 2020, grâce à la modernisation de notre société, nous devrions travailler non pas 35 mais 32 heures, voire moins, car c’est possible ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous pouvez rire ! Pour vous, le jour d’après sera encore pire que celui d’avant. Dès qu’il s’agit de détériorer les conditions de travail des salariés, il y a consensus dans l’intérêt des entreprises. Mais le détricotage du code du travail n’a pas rendu l’économie plus florissante ! Dans cette crise terrible, ce ne sont pas les grands groupes qui engrangent des milliards qui trinquent, mais bien les salariés !
Cela ne semble gêner personne que, sous prétexte de crise sanitaire, les droits soient copieusement remis en cause par voie d’ordonnance. Je suis pourtant certaine, mes chers collègues, que, si l’on vous imposait de telles conditions, vous ne les accepteriez pas de si bonne grâce. Il y a deux poids, deux mesures !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 239 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 135 rectifié quater, présenté par M. Segouin, Mme Eustache-Brinio, MM. Vaspart, Brisson et B. Fournier, Mme Lavarde, M. Cuypers, Mme Chauvin, M. Danesi, Mme Deroche, M. Lefèvre, Mme de Cidrac, MM. Saury, Regnard et de Nicolaÿ, Mme Deromedi, MM. Bonne et Cambon, Mmes Di Folco et Dumas, MM. Milon, Frassa, Rapin et Piednoir, Mmes Thomas et Chain-Larché, MM. Vogel et Gilles, Mme Morhet-Richaud, MM. Gremillet et J.M. Boyer et Mmes Imbert et Berthet, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Par dérogation aux titres II et IV du livre Ier de la troisième partie du code du travail et aux stipulations conventionnelles applicables dans l’entreprise, l’établissement ou la branche, un accord d’entreprise ou de branche peut autoriser l’employeur à imposer aux salariés placés en activité partielle bénéficiant du maintien intégral de leur rémunération sur le fondement de stipulations conventionnelles, d’affecter des jours de repos conventionnels ou une partie de leur congé annuel excédant vingt-quatre jours ouvrables, à un fonds de solidarité pour être monétisés en vue de compenser tout ou partie de la diminution de rémunération subie, le cas échéant, par les autres salariés placés en activité partielle.
II. – Par dérogation aux titres II et IV du livre Ier de la troisième partie du code du travail et aux stipulations conventionnelles applicables dans l’entreprise, l’établissement ou la branche, un accord d’entreprise ou de branche peut autoriser la monétisation, des jours de repos conventionnels ou d’une partie de leur congé annuel excédant vingt-quatre jours ouvrables, sur demande d’un salarié placé en activité partielle en vue de compenser tout ou partie de la diminution de rémunération qu’il a subie, le cas échéant.
III. – Les jours de repos conventionnels et de congé annuel mentionnés au I et II du présent article susceptibles d’être monétisés sont les jours acquis et non pris, qu’ils aient ou non été affectés à un compte épargne temps.
IV. – Les jours de repos conventionnels mentionnés aux I et II du présent article sont ceux prévus par un dispositif de réduction du temps de travail maintenu en vigueur en application de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, par un dispositif de jours de repos conventionnels mis en place dans le cadre des dispositions prévues aux articles L. 3121-41 à L. 3121-47 du code du travail, et ceux prévus par une convention de forfait conclue sur le fondement la section 5 du chapitre Ier du titre II du livre Ier de la troisième partie du même code.
V. – Le nombre total de jours de repos conventionnels et de congé annuel pouvant être monétisés en application du I et du II ne peut excéder cinq jours par salarié.
VI. – Les I, II, III et IV s’appliquent à compter du 12 mars 2020 et jusqu’au 31 décembre 2020.
La parole est à M. Michel Vaspart.
M. Michel Vaspart. Cet amendement, déposé par Vincent Segouin, a pour objet d’insérer dans le présent projet de loi une mesure permettant par accord collectif la mise en œuvre de deux mécanismes visant à compléter les revenus des salariés dans le cadre d’un placement en activité partielle.
Le premier mécanisme permet à l’employeur d’organiser une solidarité entre les salariés de l’entreprise de façon à monétiser les jours de repos et les jours de congés payés de ceux qui n’ont pas subi de perte de rémunération vers ceux qui ont vu leur rémunération diminuer du fait de leur placement en activité partielle.
Le second mécanisme, qui repose sur le volontariat des salariés, vise à permettre aux salariés qui ont subi une baisse de leur rémunération du fait de leur placement en activité partielle de compléter leurs revenus par la monétisation de jours de repos ou de jours de congés payés.
Dans les deux cas, seuls les jours de repos conventionnels et les jours de congés payés correspondant à la cinquième semaine peuvent faire l’objet d’une monétisation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. L’idée de monétiser des jours de congé ou des jours de repos non pris pour maintenir la rémunération des salariés placés en activité partielle semble dans le contexte actuel très positive. (Mmes Laurence Cohen et Sophie Taillé-Polian s’esclaffent.)
Mme Sophie Taillé-Polian. On aura tout entendu !
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Ce mécanisme fonctionnerait, soit sur l’initiative de l’employeur via un fonds de solidarité, soit sur demande du salarié concerné. Il pourrait trouver à s’appliquer dans de nombreuses entreprises dans lesquelles l’indemnisation de l’activité partielle est variable selon les catégories de salariés.
Le dispositif de fonds de solidarité pourrait être imposé par l’employeur, mais il serait conditionné à la conclusion d’un accord d’entreprise, ce qui constitue une garantie qui nous paraît suffisante. Le droit actuel a déjà permis à de nombreuses entreprises de conclure des accords innovants pour faire face aux conséquences de l’épidémie. Cet amendement peut leur permettre d’aller plus loin. L’avis est donc favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. En cette période où une partie des salariés placés en activité partielle subit des pertes de revenus, cet amendement vise à faciliter les solidarités au sein de l’entreprise.
Le Gouvernement est favorable aux deux mesures proposées, qui permettent l’une et l’autre le maintien de la rémunération des salariés en activité partielle.
La mise en place d’un fonds de solidarité par accord collectif permettra aux partenaires sociaux de déterminer les conditions de mise en œuvre du mécanisme les mieux adaptées à l’entreprise.
La monétisation des jours de repos et exceptionnellement de la cinquième semaine de congés payés, dans le respect des engagements européens, qui prévoient que les quatre premières semaines de congés payés sont prises sous forme de repos, offrira également une souplesse aux salariés en activité partielle qui souhaitent compléter leur rémunération.
L’avis est donc favorable.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Devant un tel élan de générosité, je regrette de ne pas avoir déposé un amendement tendant à permettre aux dirigeants d’entreprise dont le salaire s’élève à un certain nombre de fois le SMIC de faire un don à leur entreprise pour aider les salariés. Vous l’auriez certainement tous accepté, n’est-ce pas ?…
On demande toujours aux mêmes de payer ! Nous en avons ri, avec ma collègue Laurence Cohen, tellement c’est ubuesque. La souplesse, c’est formidable, mais c’est toujours pour les mêmes ! On incite toujours à la grande générosité des autres, c’est-à-dire des salariés. Pensons plutôt à une autre répartition des richesses et sortons de cet état d’esprit.
Mme Monique Lubin. Tout à fait !
Mme Esther Benbassa. Évitons que le jour d’après ne soit pire que le jour d’avant !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er bis A.
Article 1er bis B
(Non modifié)
Afin de faire face aux conséquences des mesures prises pour limiter la propagation de l’épidémie de covid-19, les fédérations sportives délégataires et les ligues professionnelles constituées en application de l’article L. 132-1 du code du sport peuvent prendre, à compter de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire et au plus tard jusqu’au 31 décembre 2020, toute mesure ou décision visant à :
1° Adapter les règles édictées, notamment en application des 1° à 3° de l’article L.131-16 du même code, pour les compétitions sportives qu’elles organisent et à l’issue desquelles sont délivrés les titres nationaux, régionaux ou départementaux ;
2° Adapter les règles et critères leur permettant de procéder aux sélections correspondantes.
Ces mesures peuvent être prises par les instances dirigeantes de la fédération sportive délégataire ou, le cas échéant, de la ligue professionnelle, dans le respect de leurs dispositions statutaires. Ces instances peuvent prévoir qu’elles sont d’application immédiate ou rétroactive.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern, sur l’article.
M. Claude Kern. Je souhaite revenir sur la décision, annoncée à l’occasion de la présentation de la stratégie nationale de déconfinement du 28 avril dernier, d’arrêter la saison 2019-2020 pour les sports professionnels, notamment pour le football.
Pourquoi avoir pris une décision aussi rapide, sans aucun échange avec les acteurs concernés ? Pourquoi des pays européens qui ont un championnat de football majeur, tels que l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne, ont-ils au contraire décidé de reprendre ? Pourquoi ne pas avoir attendu de connaître l’évolution de la situation sanitaire fin mai ? Au regard des informations dont nous disposons et de l’évolution de la situation sanitaire, d’autres schémas de reprise auraient pu être imaginés.
L’ampleur de la situation incite certes à la prudence et nécessite des prises de décisions rapides. Toutefois, cette décision est désormais lourde de conséquences à long terme et risque d’affaiblir un peu plus la place du sport, particulièrement du football français sur la scène européenne et de le rendre ainsi plus vulnérable face à la concurrence des grands championnats voisins.
Les enjeux sont multiples, notamment économiques. La perte est estimée à plus de 700 millions d’euros. Cette décision provoque donc une certaine incompréhension, d’autant plus que plusieurs pays européens ont fait des choix radicalement différents.
Un sportif de haut niveau a besoin de cinq à six semaines d’entraînement intensif pour être en forme physiquement. Par ailleurs, pour éviter une chute trop brutale du nombre de licenciés, il faut travailler sur des protocoles de reprise par discipline. Permettre à nos jeunes de pratiquer leur activité sportive favorite nous évitera d’assister à des organisations sauvages regroupant illégalement des centaines de personnes comme on a pu le voir ce week-end.
Pour en revenir à l’économie du sport, si le plan Tourisme dévoilé par le Premier ministre le 14 mai dernier comprend un certain nombre de mesures utiles et bienvenues à la préservation de la filière sport, celles-ci doivent cependant être renforcées pour éviter qu’un trop grand nombre de clubs ne soient menacés.
Madame la ministre, merci de nous apporter une réponse claire pour rassurer tous les sportifs,…
M. le président. Il faut conclure !
M. Claude Kern. … les nombreux dirigeants et bénévoles des 360 000 clubs, les 112 000 entreprises du sport et leurs 448 000 salariés.
M. le président. L’amendement n° 62 rectifié bis, présenté par MM. Kanner, Kerrouche et Marie, Mme Lubin, MM. P. Joly, Sueur et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat, Jacques Bigot et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes de la Gontrie, Grelet-Certenais, Guillemot et Harribey, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, M. Jomier, Mme G. Jourda, MM. Lalande et Leconte, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Rossignol, M. Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Pendant la période de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 et pour faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie de covid-19 et répondre aux demandes de mesures prises pour limiter cette propagation, les fédérations sportives mentionnées au chapitre Ier du titre III du livre Ier du code du sport et des ligues professionnelles mentionnées au chapitre II du titre III du livre Ier du même code sont autorisées à procéder à la modification de la réglementation, de la durée et de l’organisation des compétitions et des saisons sportives 2019/2020 et 2020/2021, à compter du 12 mars 2020.
La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. À la suite de la suppression par l’Assemblée nationale d’une partie de l’ordonnance prévue au i du 2° du I de l’article 1er, le présent amendement a pour objet de combler un vide juridique, en donnant une base légale aux décisions d’annulation des compétitions et d’arrêt des saisons sportives prises par les fédérations.
Alors que la crise a déjà beaucoup fragilisé les ligues et les fédérations, cet amendement vise à les protéger des conséquences juridiques et financières – j’y reviendrai lors de la présentation d’un prochain amendement – de la décision brutale prise le 28 avril par le Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. J’entends vos arguments, monsieur le président Kanner. Il me semble toutefois que l’article 1er bis B du projet de loi satisfait déjà votre demande. Je vous invite donc à retirer votre amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roxana Maracineanu, ministre. On ne peut que partager les objectifs visés au travers de cet amendement, mais la rédaction actuelle de l’article 1er bis B sécurise déjà les décisions des fédérations et des ligues professionnelles pour les compétitions des saisons 2019-2020 et 2020-2021.
De plus, sachez que cette rédaction a été élaborée en concertation avec les acteurs du sport et qu’elle apporte des précisions supplémentaires par rapport à la proposition que vous faites, puisqu’elle intègre une modification des règles spécifiques aux manifestations de sport amateur et des règles sur les conditions administratives et financières des clubs.
Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Kanner, l’amendement n° 62 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Patrick Kanner. Je suis très heureux de la réponse de Mme la ministre. Puisque cet amendement est satisfait par un texte plus complet, je le retire avec plaisir.
M. le président. L’amendement n° 62 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 84 rectifié quater, présenté par MM. Kern, Lozach, Savin et Rambaud, Mme Jouve, MM. Karam et Laugier, Mme Duranton, MM. Gabouty, Janssens, Vaspart, Prince et Danesi, Mme Lavarde, MM. Regnard, Détraigne, Todeschini et Delcros, Mme Sollogoub, M. Chasseing, Mme Joissains, MM. Moga, Frassa, Reichardt, Mizzon, Lefèvre et de Nicolaÿ, Mmes Saint-Pé et Mélot, MM. Lagourgue et Louault, Mmes N. Delattre et Billon, MM. Grosperrin, Henno, Dufaut et Gremillet, Mme Férat, MM. Bouchet et Kennel, Mmes Goy-Chavent et Gatel, MM. Pointereau, Vogel, Chatillon, Wattebled et P. Martin, Mme C. Fournier et M. L. Hervé, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
et à l’issue desquelles sont délivrés les titres nationaux, régionaux ou départementaux
La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Cet amendement vise à ne pas limiter le champ d’application du présent article aux seules compétitions délivrant des titres, afin d’intégrer notamment des épreuves qualificatives ou de classement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Mon cher collègue, la rédaction que vous proposez n’indique pas précisément ce que vous venez d’exposer. En réalité, vous supprimez toute précision. J’avoue ne pas bien saisir les enjeux de votre amendement, qui est beaucoup trop large. J’attends donc avec intérêt l’avis de Mme la ministre des sports. Pour l’heure, je m’en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roxana Maracineanu, ministre. Il s’agit d’un amendement d’ajustement, qui est porté par plusieurs sénateurs qui suivent les questions relatives au sport. La rédaction proposée permettra d’appliquer le dispositif à l’ensemble des compétitions organisées par les fédérations délégataires et les ligues professionnelles, et non simplement à celles à l’issue desquelles sont délivrés des titres de champion. Ce point avait été évoqué lors de la concertation sur le sujet. Cette précision est la bienvenue. Nous y sommes donc favorables.
Je tiens par ailleurs à insister sur l’intérêt majeur de l’article 1er bis B pour le secteur du sport.
Au regard de la situation exceptionnelle que nous vivons, nos fédérations et nos ligues ont été contraintes de mettre un terme définitif à leurs compétitions sportives pour la saison 2019-2020. Environ un tiers des rencontres et des matches qui restaient encore à disputer ont donc été annulés. Au niveau amateur comme professionnel, les ligues et les fédérations ont dû prendre des décisions sur la fin des championnats et sur les dates ou sur les conditions d’accession ou de relégation entre deux divisions, avec des conséquences sportives qui n’ont évidemment pas satisfait tous les clubs, mais aussi des conséquences financières, les financements étant attribués en fonction des classements et du niveau des compétitions.
Ces décisions n’ont pas été faciles à prendre, d’autant que les fédérations ont dû statuer un peu dans l’urgence, sans cadre juridique adapté ni règles prévues d’avance. C’est pourquoi l’objectif de cet article est de sécuriser ces décisions imposées par la crise sanitaire et leurs conséquences pour les fédérations et les ligues.
Je souhaite également lever une ambiguïté, soulevée lors du débat à l’Assemblée nationale, concernant les décisions que les fédérations et les ligues professionnelles pourraient prendre au titre de la saison 2020-2021 et jusqu’au 31 décembre 2020.
Le texte prévoit que leurs instances dirigeantes auront la possibilité de tirer les conséquences d’éventuels forfaits des clubs dans les poules qui seront constituées en début de saison, de tels forfaits pouvant impacter les règles de repêchage ou le format des championnats. En effet, à ce stade, plusieurs clubs, notamment de niveau intermédiaire, sont encore dans l’incertitude quant aux conditions dans lesquelles ils pourront débuter la saison prochaine.
Nous souhaitons laisser la possibilité aux fédérations et aux ligues d’ajuster ces règles en début de saison dans le respect de leur cadre statutaire. La reprise en sera plus simple, et les conséquences, y compris financières, pour les clubs – je ne parle pas là évidemment que du football – en seront moins importantes.
M. le président. L’amendement n° 242 rectifié bis, présenté par MM. Savin et Buffet, Mmes Di Folco et Lamure, M. Forissier, Mme Procaccia, MM. Charon et Brisson, Mme Lopez, M. Dufaut, Mme Duranton, MM. Vanlerenberghe, Henno et Grosperrin, Mmes Billon et Mélot, MM. Lagourgue et Genest, Mmes Dumas et Deromedi, MM. Wattebled, Longeot, Milon, Rapin et Laugier, Mme Vermeillet, M. Bonne, Mme Chauvin, MM. Houpert, Chatillon et Canevet, Mmes M. Mercier et Gruny, MM. de Nicolaÿ et Mouiller, Mme Morhet-Richaud, MM. B. Fournier et Fouché, Mmes Imbert, de Cidrac et Puissat, MM. Roux, Gremillet, Segouin, Pierre, Chasseing et Moga, Mmes Thomas, Chain-Larché, Noël et Guidez, MM. Danesi et Lefèvre, Mme Goy-Chavent, MM. Mandelli, Bouchet, D. Laurent, Détraigne et Panunzi, Mme Vérien, MM. Théophile, Frassa, Sol, Vaspart, Longuet, Kennel, Dallier, Pointereau, Calvet, Vogel et Decool et Mmes Micouleau et Deseyne, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
Les fédérations sportives délégataires et les ligues professionnelles peuvent décider de reprendre les compétitions professionnelles afin d’achever la saison 2019-2020, si la situation sanitaire le permet et après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 du code de la santé publique.
Elles définissent pour ce faire, sous leur responsabilité, et en accord avec l’État, un protocole sanitaire adapté à la reprise des compétitions qui détermine les conditions dans lesquelles les sportifs, les personnels nécessaires et le public peuvent participer à ces compétitions.
La parole est à M. Michel Savin.
M. Michel Savin. Depuis l’annonce du 28 avril dernier du Premier ministre de l’arrêt des championnats professionnels, nous sommes nombreux à nous interroger sur la décision qui a été prise.
Quelles sont les raisons qui ont poussé le Gouvernement à faire le choix d’arrêter totalement les compétitions professionnelles ? Pourquoi avoir pris une décision aussi rapide, sans aucun échange avec les acteurs concernés ? Pourquoi ne pas avoir attendu, comme l’ont fait d’autres pays européens, de connaître l’évolution de la situation sanitaire fin mai ?
La situation incite à la prudence et nécessite des décisions rapides. Nous vous avons interrogée en ce sens, madame la ministre, mais de nombreuses questions restent en suspens.
Le sens de mon amendement est clair : il vise à donner la possibilité d’envisager une reprise de la saison actuelle, sous réserve bien sûr d’un avis du comité de scientifiques ainsi que d’un protocole sanitaire adapté.
Rien n’est imposé à personne, et le pouvoir reste tout entier dans les mains des ligues et des fédérations, dont les décisions sont sécurisées par l’article 1er bis B du projet de loi.
Si, dans quelque temps, en pleine crise économique et sociale, on nous demande de voter des aides de l’État – c’est-à-dire des contribuables – d’un montant de plusieurs centaines de millions d’euros pour sauver le foot français, je veux être sûr et certain que les bonnes décisions auront été prises au bon moment et par les bonnes personnes.
Cet amendement vise simplement à donner aux acteurs la possibilité de revoir les choses s’ils le souhaitent au regard de la situation actuelle et en toute transparence.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Cet amendement me semble s’adresser essentiellement au Gouvernement, afin d’obtenir un certain nombre d’explications. Je les attends moi aussi avec impatience. Je m’en remets donc à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roxana Maracineanu, ministre. Monsieur le sénateur, je partage votre souhait d’une reprise rapide des championnats, afin de protéger les intérêts économiques de nos clubs, à condition que les règles sanitaires soient respectées pour protéger la santé des joueurs. Je suis tout à fait d’accord pour soutenir la reprise de la saison 2019-2020 au niveau européen pour les deux clubs qui vont représenter la France en Champions League au mois d’août prochain.
Il va falloir mettre en place les conditions d’une reprise des activités sportives en groupe et des compétitions, en mode dégradé peut-être, c’est-à-dire avec moins de supporters, et ce avant un retour progressif à la normale, on l’espère, dès le mois d’août.
La proposition que le Premier ministre et moi-même avons faite d’arrêter la saison 2019-2020 répondait à une demande des instances. Je ne peux donc pas vous laisser dire qu’il n’y a pas eu de concertation. En tant que ministre, j’ai vocation à parler avec Mme Boy de la Tour, présidente de la Ligue professionnelle de football, avec M. Le Graët, président de la Fédération française de football, mais pas avec les présidents des clubs, même si, évidemment, je les rencontre à d’autres occasions.
C’est bien sûr dans l’intérêt général du football qu’a été évoquée la possibilité d’une reprise du championnat 2019-2020 le 13 juin et d’une fin le 3 août. Nous n’avons fait que répondre aux demandes, après de nombreuses concertations organisées avec l’ensemble des acteurs, y compris les ligues professionnelles et les syndicats de joueurs, qui ont bien sûr été entendus.
Si la compétition doit reprendre au mois d’août, il est clair que les décisions prises par ces instances l’auront été dans l’intérêt général du football. La Ligue, en signant un contrat avec un nouveau diffuseur pour la saison 2020-2021, a cherché à donner des assurances solides à l’ensemble des acteurs du football professionnel, mais aussi à ceux du football amateur, en leur faisant bénéficier d’une manne financière importante, dont ils ont besoin. C’est ce contrat que les instances désiraient sécuriser : elles ne voulaient plus d’un argent qui n’aurait profité qu’à un petit nombre de clubs, sur lequel elles n’auraient eu aucune garantie, et dont le versement aurait pu, comme aujourd’hui pour le championnat 2019-2020, être suspendu par le diffuseur.
Aujourd’hui, je pense que ces considérants n’ont rien à faire dans la loi : c’est au mouvement sportif d’en décider. Ce que nous faisons dans cette loi, c’est de sécuriser les décisions des instances, et non de prendre les décisions à leur place, que ce soit au sujet du déroulement des championnats ou de l’arrêt ou non des compétitions. Les décisions ont été prises de manière démocratique par les instances, et je crois qu’il est de mon devoir, comme du vôtre, de les pérenniser : il est important que les personnes en place, élues selon un processus démocratique, puissent prendre des décisions en toute responsabilité.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Savin, l’amendement n° 242 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Michel Savin. Tout d’abord, madame la ministre, si je vous entends bien, vous êtes d’accord pour soutenir la reprise des compétitions au niveau européen, mais pas au niveau français. C’est un peu surprenant.
Ensuite, il n’est pas question que nous nous immiscions dans les décisions des ligues et des fédérations. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle mon amendement tend à donner la possibilité à ces instances de débattre en interne et de choisir si elles veulent ou non redémarrer les compétitions. Je n’impose rien !
Aujourd’hui, on se focalise sur une ligue qui mobilise l’attention : la Ligue professionnelle de football. On sait que, derrière ce sport, ce sont des millions d’euros qui sont en jeu. Personnellement, je n’ai pas envie que l’argent public serve demain à renflouer le football professionnel – je le dis clairement –, surtout s’il existe d’autres solutions.
M. Jérôme Bascher. Eh oui !
M. Michel Savin. Actuellement, à cause de l’arrêt du championnat, les droits de diffusion ne sont plus versés à la Ligue professionnelle de football. Je ne dis pas que cela pourrait entraîner un arrêt définitif du championnat, mais a-t-on réellement étudié toutes les possibilités pour minimiser l’impact économique de cet événement, qui va peser lourd ?
Les recettes des championnats des autres sports professionnels reposent essentiellement sur la billetterie et le partenariat. Ils ont très peu ou pas de recettes issues des droits télévisés ; ils ne sont donc pas dans la même situation.
Le football disposait, quant à lui, d’une manne financière importante. Or les diffuseurs ont décidé de ne plus verser ces sommes, parce que le championnat s’est arrêté. Je crains – on verra dans quelques semaines si j’ai raison – qu’on ne nous sollicite bientôt collectivement, État et collectivités locales, pour soutenir le football professionnel. C’est pourquoi je propose de nouveau d’offrir aux ligues et aux fédérations la possibilité de décider librement et démocratiquement l’éventuelle reprise des compétitions.
J’aurais retiré mon amendement si vous m’aviez dit que vous proposeriez pour le championnat français ce que vous proposez pour le championnat européen. Dommage…
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Le sport professionnel est au point mort depuis le 17 mars dernier. Le 28 avril, le Premier ministre aurait pu annoncer qu’il suspendait les compétitions dans l’attente d’une évolution de l’épidémie et de propositions du conseil scientifique, qui, dans cette affaire, n’est manifestement que purement décoratif. Or, comme l’ont dit nos collègues de la majorité sénatoriale ici présents, la décision a été prise d’arrêter l’ensemble des championnats de manière brutale, autoritaire et inconsidérée. C’est regrettable, parce que, aujourd’hui, nos concitoyens n’ont pas d’autre choix que de suivre la Bundesliga à la télévision et, bientôt, les ligues italienne et portugaise.
Si, dans le domaine du sport professionnel, la France est au point mort, vous en portez la responsabilité, madame la ministre. Il faudra l’assumer : c’est un choix que nous paierons cher dans les compétitions à venir !
Dans ces circonstances, la réponse apportée par la majorité sénatoriale consiste à dire qu’il faut tout arrêter et permettre aux fédérations de se remobiliser, autant que de besoin. Nous voterons à contrecœur contre cet amendement, car il est malheureusement déjà trop tard. Comme l’avait fait le CNO, les fédérations nous écrivent aujourd’hui que l’on ne peut plus revenir en arrière et que l’on est dans la seringue. Cette seringue, c’est vous qui l’avez créée, madame la ministre, jusqu’à atteindre un résultat déplorable pour notre pays sur le plan sportif. Vous en porterez la responsabilité devant les 17 millions de nos concitoyens licenciés, les 17 millions de Français qui pratiquent un sport sans être licenciés, tous ceux qui aiment le sport et qui aiment regarder le sport français à la télévision.
En votant contre cet amendement, nous vous ferons peut-être plaisir, madame la ministre, mais nous agissons en conscience, non pour cautionner votre mauvaise décision, mais pour que vous assumiez vos responsabilités.
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour explication de vote.
M. François-Noël Buffet. Je veux ajouter à ce que notre collègue Savin a brillamment exposé, mais aussi aux propos du président Kanner, même si je ne partage pas sa conclusion, que la décision du Gouvernement était, me semble-t-il, hâtive. Bien que j’en comprenne les ressorts, en raison des circonstances, cette décision a été prise de façon définitive sans laisser aucune chance de reprise au championnat de France de Ligue 1 dans la période qui s’ouvre.
Le présent amendement a pour objet de trouver une solution permettant cette reprise. Nous voyons que les championnats étrangers recommencent et que la France, pourtant titrée à deux reprises au plan mondial, est à l’arrêt.
Toutes les décisions prises par le Gouvernement l’ont été sur le fondement d’un avis donné par le conseil scientifique – nous le savons, et nous le comprenons d’ailleurs –, sauf en la circonstance. Pourquoi ne pas permettre aux fédérations de consulter ce conseil, dont l’avis pourrait ne pas varier, mais qui pourrait aussi changer et ainsi faciliter, dans des conditions sanitaires parfaites, une reprise du championnat. Cela contribuerait à donner à ce championnat la fin qu’il mérite.
Sportivement, les choses se feront naturellement. Économiquement, il existe un intérêt évident à ce que le championnat reprenne, car il y a des emplois en jeu dans le monde du football. Prêter de l’argent aux clubs et leur garantir des emprunts signifie qu’ils pourront peut-être passer cette période, mais aussi qu’ils devront rembourser cet argent.
Au moment où on nous demande d’aller voter le 28 juin prochain – sans que l’on puisse faire campagne d’ailleurs : pas de réunions publiques, de tractage, ni de marchés –, au moment où on nous annonce – et c’est heureux – un retour aux terrasses des cafés à partir du 3 juin, la réouverture des cinémas et des théâtres, ainsi que la possibilité de partir en vacances à compter du mois de juillet, au moment où on nous dit que les choses s’arrangent finalement, on constate que le Gouvernement a fait un choix définitif et trop hâtif. Rien ne l’y obligeait pourtant – je ne vais pas entrer dans le détail.
Il ne faudrait pas laisser passer cette chance. Avec cet amendement, c’est finalement une possibilité qui est offerte aux instances, qui décideront de s’en emparer ou pas. Laissez la porte ouverte à cette possibilité !
M. le président. La parole est à M. Claude Kern, pour explication de vote.
M. Claude Kern. J’étais assez tenté de suivre Michel Savin, mais, finalement, je partage la même position que M. Kanner : je crois que l’on ne peut pas revenir en arrière. Aujourd’hui, beaucoup de clubs ont pris acte d’une décision qui, il est vrai, a été brutale. Je pense que ce n’était pas au Premier ministre de faire cette annonce, mais à chaque ligue. Il aurait effectivement pu fixer une orientation sans arrêter de choix.
Aujourd’hui, je le répète, je crois que l’on ne peut plus revenir en arrière. Aussi ne voterai-je malheureusement pas cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roxana Maracineanu, ministre. Évidemment, monsieur Kanner, que j’assume cette décision d’avoir protégé la santé de nos athlètes, comme celle de tout citoyen français. Les athlètes ont eu à se confiner chez eux comme l’ensemble des Français. Du coup, ils ont perdu en qualités physiques, en capacité d’entraînement. Ils doivent revenir progressivement à la compétition.
Même si nous espérons tous la réouverture des stades et des équipements sportifs, on ne peut pas faire une telle annonce du jour au lendemain. On ne peut pas dire le 3 juin : ça y est, les sportifs ressortent et les événements vont pouvoir reprendre. Vous le savez, vous avez été ministre des sports, du moins ministre de la ville exerçant sa tutelle sur un secrétariat d’État aux sports,…
M. Patrick Kanner. Ministre de la ville, de la jeunesse et des sports !
Mme Roxana Maracineanu, ministre. … il y a des sportifs derrière les événements sportifs. Il faut respecter le processus de montée en puissance de ces sportifs lors des entraînements.
Il faut aussi que les activités sportives reprennent en groupe. Or les sportifs n’ont pas encore accès aux tests. Certains clubs ont certes pris des initiatives, mais celles-ci ne s’inscrivent pas dans la philosophie défendue par le Gouvernement en matière d’utilisation des tests. Il est pourtant indispensable que les sportifs soient en sécurité pour la reprise de l’entraînement en groupe. Par ailleurs, je le répète, ces athlètes ont besoin d’un certain nombre de semaines pour s’entraîner ensemble avant que les compétitions ne puissent reprendre.
Monsieur Savin, nous militons tous pour que les compétitions redémarrent en France aussi, dès le mois d’août. Simplement, ce que vous évoquez, c’est une reprise du championnat 2019-2020, et non le début de la saison 2020-2021. À vos arguments, qui sont d’ordre économique, puisque vous vous demandez si la France est prête à assumer le fait que l’on soutienne des clubs professionnels, je réponds : oui, évidemment !
J’assume aussi le fait qu’on ait aidé les clubs professionnels, qu’on les ait considérés comme des entreprises qui cotisent tout au long de l’année. D’ailleurs, en calculant ces cotisations, on s’aperçoit qu’il était tout à fait normal que les clubs bénéficient du chômage partiel, qu’ils puissent avoir accès aux PGE. La Ligue professionnelle de football a d’ailleurs bénéficié d’un prêt garanti par l’État qu’elle pourra rembourser dès le mois d’août grâce au contrat qui la lie au diffuseur de la nouvelle saison. C’est ce raisonnement qui a été tenu.
Monsieur le sénateur, ces considérants ont bien sûr été pris en compte. La décision du Premier ministre, la mienne ensuite ont évidemment été prises en concertation avec les instances, sous l’autorité du Haut Conseil de la santé publique. Nous n’avons pas décidé dans notre coin, sans consulter personne. Vous avez dû voir tous les guides que le ministère des sports a publiés : ils sont élaborés avec les fédérations et le Haut Conseil de la santé publique.
On ne peut pas se passer de l’avis des scientifiques, parce que nos deux priorités sont la santé des joueurs et la reprise progressive des activités sportives, qui ont subi un grave choc économique à cause de la crise sanitaire. On a envie que ces activités reprennent le plus rapidement possible, mais pas à n’importe quel prix.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Madame la ministre, personne dans cet hémicycle, me semble-t-il, n’a reproché au Gouvernement les mesures qu’il a prises concernant le confinement. Nous avons été tout à fait responsables. C’est le déconfinement que vise l’amendement de Michel Savin.
Je ne comprends pas que vous ne laissiez pas aux instances le choix de reprendre les compétitions. Finalement, vous ne faites pas confiance au mouvement sportif pour mettre fin ou non aux championnats, selon des règles et des possibilités propres à chaque activité sportive.
Il faut quand même faire attention à ne pas mettre en péril ces activités. On a beaucoup parlé de football. Je vais me permettre de parler d’un sport qui résonne davantage avec l’accent du sud-ouest.
La survie du Top 14 est en jeu si vous ne montrez pas davantage de souplesse et si vous ne faites pas davantage confiance aux responsables du rugby, confrontés à de graves difficultés. J’entendais récemment le président d’un club de rugby de mon département, la section paloise, dire que, dans le cadre actuel, son équipe ne pourrait jouer que trois matches et pas davantage. Un véritable péril plane sur un sport qui ne bénéficie pas des mêmes droits de télévision que le football.
Si vous ne vous adaptez pas aux réalités de chaque ligue et de chaque fédération, l’avenir du sport en France est en grand péril : faites confiance au mouvement sportif ! En ce qui me concerne, j’espère que Michel Savin maintiendra son amendement, car je veux le voter.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 242 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 243 rectifié, présenté par MM. Savin et Kern, Mme Procaccia, MM. Charon et Brisson, Mme Lopez, M. Dufaut, Mme Duranton, MM. Vanlerenberghe, Henno et Grosperrin, Mmes Billon et Mélot, MM. Lagourgue et Genest, Mmes Dumas et Deromedi, MM. Wattebled, Longeot, Milon, Rapin et Laugier, Mme Vermeillet, M. Bonne, Mme Chauvin, MM. Houpert, Chatillon et Canevet, Mmes M. Mercier et Gruny, MM. de Nicolaÿ et Mouiller, Mmes Di Folco et Morhet-Richaud, M. B. Fournier, Mme Lamure, M. Fouché, Mmes Imbert, de Cidrac et Puissat, MM. Roux, Gremillet, Pierre et Moga, Mmes Thomas, Chain-Larché, Jouve, Noël et Guidez, MM. Danesi et Lefèvre, Mme Goy-Chavent, MM. Mandelli, Bascher, Bouchet, D. Laurent, Détraigne et Panunzi, Mme Vérien, M. Théophile, Mme Berthet, MM. Forissier, Frassa, Sol, Vaspart, Longuet, Kennel, Dallier, Pointereau, Calvet, Vogel et Decool et Mmes Micouleau et Deseyne, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
Au plus tard le 30 juin 2020, le comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 du code de la santé publique remet un avis sur les risques sanitaires attachés à la reprise des compétitions sportives professionnelles et amateurs pour la saison sportive 2020/2021.
Le comité de scientifiques examine également les risques sanitaires et les précautions à prendre pour l’organisation matérielle des compétitions et l’accueil du public.
La parole est à M. Michel Savin.
M. Michel Savin. Cet amendement prolonge l’intervention que vient de faire à l’instant Max Brisson. Il tend à prévoir, au plus tard le 30 juin, la remise d’un avis du comité de scientifiques sur la reprise des compétitions sportives tant professionnelles qu’amateurs, afin d’envisager sereinement le cadre dans lequel cette reprise pourrait se dérouler.
Certaines ligues ou fédérations ont d’ores et déjà annoncé des dates de reprise pour leurs championnats. C’est une bonne chose, mais sur quels fondements ces annonces reposent-elles ? Je n’ai pas entendu parler d’un quelconque avis scientifique sur le sujet, ce qui, au regard de l’enjeu, me semble très important.
L’avis du comité de scientifiques concernera également l’accueil du public dans les enceintes sportives. Le public est un élément central en termes d’ambiance dans les stades, bien sûr, mais également en termes économiques, notamment pour toutes les fédérations et ligues qui ne bénéficient pas ou de très peu de droits de diffusion – je pense aussi au sport féminin. On ne pourrait que regretter que la saison 2020-2021 se joue à huis clos ; mais si les conditions sanitaires l’exigent, nous devrons nous y plier.
Depuis plusieurs jours, les représentants de certaines disciplines font état des très graves difficultés que provoquerait le déroulement des compétitions à huis clos, du fait d’un modèle économique fondé essentiellement sur la billetterie. C’est pourquoi, au regard des enjeux sanitaires et économiques, il me semble déterminant que les décisions du Gouvernement en la matière fassent l’objet d’une véritable analyse scientifique et d’une véritable concertation avec les acteurs concernés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Sagesse.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roxana Maracineanu, ministre. Je veux encore une fois vous rassurer sur le fait que nous consultons les acteurs semaine après semaine et même jour après jour : les fédérations nous proposent des guides, que nous validons avec le HCSP. Je suis devenue leur meilleure amie, je les connais par cœur ! Chaque décision que je prends est aujourd’hui entérinée par le HCSP.
Ce sont bien entendu les scientifiques qui donneront leur avis. Je serai même encore plus optimiste que vous : dès le 2 juin, les annonces concernant la réouverture des équipements sportifs seront faites en concertation avec les fédérations, les ligues professionnelles, les clubs professionnels de tous les sports et, évidemment, le Haut Conseil de la santé publique. Avant le 30 juin, nous aurons donc un avis de ce Haut Conseil ; nous recueillerons aussi l’avis de tous ces intervenants pour que les compétitions puissent redémarrer.
Comme vous l’avez dit, les activités reprendront dans des conditions dégradées, parce que l’on ne pourra pas tout de suite remplir les stades comme avant. Progressivement, nous essaierons de tendre vers ce chiffre de 4 999 personnes présentes dans une même enceinte, parce que, dans un stade de football, il est possible de gérer les flux, de suivre le parcours des spectateurs, depuis leur domicile jusqu’au moment où ils s’assoient dans l’enceinte sportive.
Notre objectif, c’est la reprise des compétitions. Nous savons bien que de nombreuses entreprises travaillant dans le secteur événementiel sont gravement touchées par la crise sanitaire et que l’activité doit être relancée, mais nous redémarrerons selon les capacités qui sont les nôtres et en fonction de ce que nous imposera le HCSP. Il faudra veiller attentivement à la santé des uns et des autres et favoriser une reprise progressive de l’activité compte tenu du risque de transmission du virus lors de ces événements, qui rassemblent du monde.
Quant à la reprise du championnat 2020-2021, je vous l’ai dit, c’est notre objectif, ainsi que celui des instances fédérales et professionnelles, d’une part, parce qu’elle conditionne la signature d’un contrat économique primordial – on croise tous les doigts pour ce contrat puisse être honoré comme il se doit – et, d’autre part, parce que ce contrat contribue aussi à financer le sport amateur. Je sais que vous êtes attentif à la survie des associations du sport amateur, du football amateur en particulier, qui bénéficieront d’un pourcentage non négligeable des sommes perçues en vertu de ce contrat.
La reprise de la saison 2020-2021 est notre priorité, mais, encore une fois, elle ne se fera pas à n’importe quel prix : nous ne voulons pas mettre en danger la santé des supporters, qui ont évidemment envie de revenir dans les stades. Je sais aussi que le public a envie de revoir du football ou du rugby à la télévision. Les compétitions vont repartir, mais à la vitesse à laquelle elles le peuvent.
Je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, parce qu’il est en réalité déjà satisfait ; à défaut, j’y serai défavorable.
M. le président. Monsieur Savin, l’amendement n° 243 rectifié est-il maintenu ?
M. Michel Savin. J’en suis désolé, madame la ministre, mais je vais le maintenir.
L’avis du comité de scientifiques est, vous l’avez dit, nécessaire. Inscrire cette mesure dans la loi rassurera l’ensemble des présidents de club, de fédération et de ligue. Vous le savez bien, chaque instance fonctionne différemment, et on ne peut pas traiter le foot, qui se joue dans un stade, comme le basket ou le handball, qui se pratiquent dans des salles fermées, dans lesquelles les spectateurs sont très proches du terrain. Chaque sport doit avoir une réglementation bien spécifique.
La crainte de beaucoup de fédérations et de ligues, c’est que le huis clos tombe comme une sentence. Jouer les compétitions à huis clos serait préjudiciable et catastrophique en termes économiques pour certains sports. C’est la raison pour laquelle le comité de scientifiques doit donner un avis, discipline par discipline, capacité d’accueil par capacité d’accueil.
Si je souhaite maintenir mon amendement, ce n’est pas parce que je doute de vos intentions, c’est parce que, je le répète, je préfère inscrire ce dispositif dans la loi. Ainsi, on s’assure que l’ensemble des fédérations et des ligues en auront connaissance. Elles sont très inquiètes sur les conditions de la reprise et doivent être rassurées.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern, pour explication de vote.
M. Claude Kern. Cette fois-ci, je suivrai Michel Savin, parce que son amendement permettra effectivement de rassurer les ligues, les fédérations et les clubs, qui en ont grandement besoin.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Michel Savin m’ayant passé le ballon avec maestria (Sourires.), je vais tenter de le faire rebondir, même si j’ai beaucoup moins de talent que lui.
Mon collègue l’a dit, pour les fédérations et les ligues de certains sports professionnels, comme le rugby, le huis clos entraînera la mort des clubs les plus fragiles. Il faut mettre en place des protocoles pour que chaque ligue et chaque fédération, dans le respect des mesures sanitaires nécessaires, puissent s’organiser.
Dans le monde du rugby, un tiers des recettes provient de ce qu’on appelle les recettes de convivialité. On serait quand même dans une situation surprenante si les restaurants, les cafés, les plages – c’est le cas dans mon département –, les lieux de convivialité rouvraient, mais pas les stades, d’autant que, pour les clubs de rugby, l’essentiel des recettes résulte des ventes dans les stades – elles sont même supérieures au montant des droits de diffusion.
Comme l’a très bien dit Michel Savin, il faut le plus possible laisser les ligues s’organiser, en concertation avec vous, bien sûr, madame la ministre, et en fonction des réalités de chaque sport. Voilà pourquoi je voterai son amendement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roxana Maracineanu, ministre. J’ai l’impression que c’est une méthode que vous voulez inscrire dans la loi. Or, je tiens à vous rassurer, c’est exactement cette méthode que nous employons, puisque nous émettons un avis différencié en consultant le HCSP et nous donnons un avis circonstancié à chaque proposition fédérale. Derrière, nous défendons ces positions au sein de la cellule interministérielle présidée par Jean Castex, qui, je le rappelle, est également président de l’Agence nationale du sport. Il est donc très au fait de tous ces sujets, ce qui n’est pas le cas du HCSP.
J’ai peur qu’il ne soit contre-productif d’inscrire dans la loi la nécessité de suivre à la lettre les avis du Haut Conseil. Le risque est justement d’être obligé de jouer à huis clos jusqu’à fin septembre ou fin octobre. Au contraire, nous avons pris la décision, en responsabilité, de demander au mouvement sportif de nous faire part de ses contraintes, de demander aux responsables des équipements sportifs de prévoir la possibilité de gérer des flux de spectateurs à l’intérieur des installations sportives et d’organiser au mieux ces flux.
À la limite, on préférerait ne pas avoir à travailler sur des jauges : on aimerait sortir de ce qui a été préconisé pendant le confinement et dans l’urgence. Aujourd’hui, on aimerait accueillir les personnes en tenant compte de la capacité des installations sportives et en faisant en sorte que les distances entre les spectateurs puissent être respectées.
En fait, on aimerait apporter notre savoir-faire, qui s’appuie sur les connaissances bien précises des fédérations, au HCSP, et non lui laisser la liberté de décider. On a respecté 98 % de ses préconisations jusqu’ici, mais il y a quand même les 2 % restants. Si on lui avait laissé les mains libres, peut-être qu’on ne serait pas là à discuter de la possibilité d’une reprise des compétitions. Il faut effectivement écouter les préconisations, mais le ministère doit aussi pouvoir garder une marge de décision et de proposition.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er bis B, modifié.
(L’article 1er bis B est adopté.)
Article 1er bis
(Non modifié)
Jusqu’à la date de reprise effective des cours dans les universités et les établissements d’enseignement supérieur, l’étranger présent en France à la date du 16 mars 2020 et titulaire de la carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » prévue à l’article L. 313-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est autorisé, de manière dérogatoire, à exercer une activité professionnelle salariée dans la limite de 80 % de la durée de travail annuelle.
M. le président. L’amendement n° 247, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Revenons à la raison d’être de ce texte : habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour répondre au caractère urgent d’une crise sanitaire exceptionnelle. Le reste, c’est du hors sujet ou, en tout cas, il devrait en être ainsi.
Les étrangers ayant une carte de séjour portant la mention « étudiant » continuent à être assistés par les aides de notre pays, qui sait se montrer si généreux avec les autres, sacrifiant trop souvent les siens. Il est de notoriété publique que la précarité étudiante s’aggrave de jour en jour, et pas seulement pour les étudiants étrangers.
Cependant, quand le marché entend le mot « étudiant » ou encore le mot « étranger », il entend « main-d’œuvre à bas coût ». Ainsi, vous voudriez permettre aux étudiants étrangers d’exercer une activité professionnelle salariée dans la limite de 80 % du temps de travail annuel : il s’agit véritablement d’une filière déguisée pour le travail saisonnier étranger et une concurrence de l’intérieur imposée à nos compatriotes.
Cela va peut-être vous surprendre, mais la raison d’être d’un étudiant est d’étudier ! Plutôt que de leur donner le droit de travailler en France, il serait préférable de faire en sorte que les étudiants étrangers obtiennent un diplôme ou une formation leur permettant de travailler dans leur pays et de participer, ainsi, à son développement.
Ce dispositif, soutenu par la droite libérale, constitue une dérégulation supplémentaire du droit du travail, qui vise à faire avancer l’agenda politique de la majorité présidentielle. Sans rapport avec la crise sanitaire, il n’a rien à faire dans ce texte d’urgence. Je demande donc la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je voudrais d’abord rappeler les circonstances dans lesquelles s’inscrivent les mesures que le Gouvernement a intégrées dans le texte s’agissant de l’immigration.
La crise a engendré plusieurs cas de figure.
Il y a, sur notre territoire, des étrangers en situation régulière qui voudraient, soit repartir chez eux parce qu’ils bénéficient, par exemple, d’un visa de court séjour, soit renouveler leur titre de séjour de façon régulière. Les premiers ne peuvent pas partir du fait de l’arrêt des transports internationaux ; les seconds ne peuvent pas se rendre dans les préfectures, car celles-ci sont fermées.
Il y a aussi des étrangers en situation irrégulière. Qu’ils veuillent ou non rentrer chez eux, le Gouvernement doit normalement les y inviter avec beaucoup de fermeté, jusqu’à l’expulsion. Or on ne peut pas le faire non plus, puisque ces étrangers, présents de fait sur le territoire national, ne peuvent pas repartir, à nouveau faute de transports internationaux.
Ces situations exigent que l’on prenne un certain nombre de décisions, ayant vocation à gérer l’urgence.
En l’occurrence, que propose le Gouvernement ? Pour les étudiants, déjà autorisés à travailler à hauteur de 60 % de la durée de travail annuelle, il propose, alors que les facultés sont fermées et que ces étudiants sont obligés de rester sur le territoire national, de leur assurer des moyens de subsistance en leur permettant de travailler un peu plus – à hauteur de 80 % de la durée de travail annuelle – jusqu’à la reprise des cours. En réalité, on essaie de traiter une situation transitoire, dans laquelle des étudiants se retrouvent désœuvrés et ne peuvent plus rentrer chez eux, même s’ils le souhaitent.
La proposition du Gouvernement m’apparaissant relativement équilibrée, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Je précise que ce dispositif a été introduit par les députés pour les motifs tout juste évoqués par votre rapporteur.
En définitive, monsieur Ravier, on ne fait rien d’autre que de chercher des solutions à des situations concrètes : certaines personnes venues étudier en France souhaiteraient repartir dans leur pays d’origine, mais elles ne le peuvent pas compte tenu des difficultés – elles ne vous auront pas échappé – à se déplacer par-delà les frontières.
Vous ne pouvez pas, à la fois, reprocher que l’on mette les gens en situation d’assistanat – je n’aime pas ce terme, je vous le dis tout de suite – et empêcher par cet amendement la mise en place d’un dispositif permettant à ceux qui connaissent des difficultés de pouvoir travailler un peu plus durant cette période. D’ailleurs, je rappelle que le dispositif est encadré temporellement. Il y a, dans votre argumentation, quelque chose d’assez antinomique. L’avis est défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Une fois n’est pas coutume, le dispositif issu des travaux de l’Assemblée nationale nous semble équilibré. Il tient effectivement compte de la situation très particulière que rencontrent les étudiants étrangers cette année – d’ailleurs, c’est toute l’année qui a été particulièrement compliquée pour eux, et ceux qui découvraient notre pays dans le même temps ont été assez étonnés depuis le début…
Compte tenu de la détresse de nombre de ces étudiants, et alors même qu’ils continuent à étudier à distance et poursuivent leur cursus dans des conditions parfois très complexes, il est important de leur permettre d’avoir quelques moyens complémentaires de subsistance. J’ajouterai que c’est la première année où nombre d’étudiants étrangers ont dû faire face à des frais de scolarité supplémentaires.
Si certains considèrent, à raison, qu’un étudiant doit étudier, accepter uniquement des étudiants étrangers dont les familles sont en mesure de financer l’ensemble de leur séjour sans complément de revenus reviendrait à faire une sélection par l’argent encore pire que celle qui prévaut actuellement. C’est une problématique prégnante de par le monde quand on songe à faire des études en France, même si notre pays est loin d’être le pire en la matière.
Compte tenu de la situation particulière cette année, l’équilibre trouvé dans le présent texte mérite, me semble-t-il, d’être soutenu.
M. le président. L’amendement n° 219, présenté par Mmes Benbassa, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
À la première phrase du troisième alinéa du I de l’article L. 313-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le taux : « 60 % » est remplacé par le taux : « 80 % ».
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. L’article L. 313-7 du Ceseda prévoit actuellement qu’un étranger titulaire d’une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » est autorisé à travailler à 60 % de la durée de travail annuelle. Par cet article 1er bis, le Gouvernement nous propose d’augmenter cette durée de travail à 80 % de manière dérogatoire jusqu’à la date de reprise effective des cours dans les universités et les établissements d’enseignement supérieur.
Nous ne pouvons, hélas, nier la situation de nombre d’étudiants étrangers. Leur quotidien est précaire et leurs ressources particulièrement faibles.
Ce dispositif est à double tranchant : certes, il pourrait constituer un complément de revenus non négligeable pour les étudiants étrangers, mais il est également représentatif de la manière dont le Gouvernement aborde la question des migrants sur son territoire.
Pour l’exécutif, l’étranger ne saurait bénéficier de véritables droits. Ceux-ci devraient donc être dérogatoires, partiels, temporaires, conditionnés à une conjoncture spécifique et utiles à l’économie française. Nous estimons au contraire que l’État devrait être garant de toutes les personnes touchées par la précarité. Il est donc de son devoir de sécuriser les droits des étudiants étrangers et de ne pas les conditionner à l’urgence sanitaire.
Nous souhaitons, par cet amendement, faire en sorte que le dispositif ici présenté n’ait pas une application limitée dans le temps, mais soit inscrit de manière pérenne et durable dans le Ceseda.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Nous parlons ici d’une dérogation ponctuelle, liée au fait que les étudiants se retrouvent désœuvrés à la suite de la fermeture des universités. Sans cela, effectivement, ils devraient étudier. L’équilibre trouvé, qui leur permet d’étudier tout en travaillant, mais dans une proportion de la durée annuelle de travail raisonnable, ne doit pas être modifié durablement. L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Effectivement, il n’est pas question pour nous de changer le droit tel qu’il est aujourd’hui. La seule chose qu’il nous revient de faire, c’est de résoudre les situations d’urgence rencontrées par un certain nombre de personnes – ici, il s’agit des étudiants étrangers, mais nous traiterons d’autres cas ultérieurement, comme nous en avons évoqué d’autres en début d’après-midi –, et ce pour ne pas les plonger dans la précarité.
L’équilibre actuellement défini entre temps consacré aux études et temps consacré au travail nous semble le bon. Nous n’avons pas l’intention de le modifier. C’est pourquoi l’avis est défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er bis.
(L’article 1er bis est adopté.)
Article 1er ter
(Non modifié)
Durant l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 et prorogé par l’article 1er de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, et dans les six mois à compter du terme de cet état d’urgence sanitaire, l’étranger présent en France à la date du 16 mars 2020 et titulaire de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « travailleur saisonnier » prévue à l’article L. 313-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est autorisé, de manière dérogatoire, à séjourner et à travailler en France pendant la ou les périodes fixées par cette carte et qui ne peuvent dépasser une durée cumulée de neuf mois par an.
M. le président. L’amendement n° 248, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Tout le temps et en toutes circonstances, tout pour l’immigration !
Le chômage explose, mais votre priorité, c’est d’aider les emplois étrangers. Ce n’est plus illogique, cela devient masochiste ! Au contraire, soutenons les agriculteurs qui emploient des Français, grâce à des primes ou l’incitation fiscale ! Les Français sont courageux, ils sont travailleurs. Arrêtez de les faire passer pour des fainéants, comme l’a si bien et si scandaleusement exprimé Emmanuel Macron !
Encourager l’immigration, c’est encourager le regroupement familial et, donc, laisser s’installer chez nous des gens qui vont profiter de notre modèle social. Nous le savons, celui-ci est le plus généreux et, en conséquence, le plus suicidaire du monde.
Où sont les bonnes résolutions du confinement ? Au plus fort de la tempête, quand le Gouvernement sentait la peur d’être submergé par la vague, nous étions en guerre. Ses membres, en guise de testament, venaient se confesser chacun leur tour. On entendait alors parler de patriotisme, de solidarité nationale, de souveraineté nationale. La frontière devenait bienveillante ; la communauté nationale, une réalité.
L’Union européenne a prouvé qu’elle était une chimère, inutile et inefficace, mais, l’été arrivant, la vision du front s’éloignant, vous voilà à chercher de la main-d’œuvre saisonnière au-delà de nos frontières !
L’article que nous examinons prévoit de prolonger de six à neuf mois la durée de séjour et de travail des étrangers titulaires de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « travailleur saisonnier ». Une seule chose ne m’étonne pas : neuf mois sur douze, c’est 80 % du temps de travail, exactement ce que vous venez de proposer pour les étudiants étrangers à l’article 1er bis, sur lequel je me suis exprimé.
Bref, toujours plus de main-d’œuvre à bas coût, et on ne se donne pas les moyens de remettre en activité des travailleurs français ! Pour vous, ils sont trop chers, trop exigeants et trop protégés par le droit du travail. Mais, que voulez-vous, nos compatriotes souhaitent une rémunération à la hauteur de l’effort fourni. C’est sans doute trop demander pour un certain patronat « en marche » et un système fiscal français devenu le plus socialiste et, donc, le plus confiscatoire du monde. Ou quand on unit le pire de la droite et le pire de la gauche…
La précarité de nombreux Français, accentuée par la crise sanitaire, économique et sociale actuelle, exige que le principe de priorité nationale soit de mise pour le travail saisonnier et que tous les moyens soient employés pour permettre aux travailleurs français en difficulté d’obtenir un emploi. La situation actuelle exige une main-d’œuvre nombreuse dans certains secteurs,…
M. le président. Il faut conclure !
M. Stéphane Ravier. … mais la crise sanitaire nous enseigne aussi l’importance de la solidarité nationale et nous impose le devoir impérieux de revoir notre modèle économique dans ce sens.
M. le président. Il faut conclure, monsieur Ravier !
M. Stéphane Ravier. Merci, monsieur le président, de m’accorder les vingt secondes que vous accordez aux autres !
M. le président. Vous en êtes à quatorze secondes supplémentaires, quinze maintenant…
M. Stéphane Ravier. Il reste une ligne dans mon intervention, si vous me le permettez.
M. le président. C’est trop tard !
M. Stéphane Ravier. Vous êtes si pointilleux avec moi ! Vous avez pris la fâcheuse habitude de m’interrompre !
M. le président. Vous avez largement dépassé votre temps de parole.
M. Stéphane Ravier. Vous êtes fidèle à vous-même : la censure !
M. Jean Bizet. On avait déjà compris !
M. Stéphane Ravier. C’est mesquin !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Qu’en est-il de la situation, factuelle, qui justifie l’article dont il est demandé ici la suppression ?
Se trouvent actuellement sur le sol français des travailleurs saisonniers – comme leur nom l’indique, ils viennent faire les saisons –, qui sont étrangers. Ils sont autorisés à travailler six mois, mais, de fait, ils ne peuvent pas repartir et ceux qui, au contraire, voudraient entrer sur notre territoire ne le peuvent pas, car les flux internationaux n’existent plus. Il s’agit donc d’autoriser les travailleurs coincés ici à pouvoir travailler trois mois de plus.
Sachant que les travailleurs qui devaient entrer en France pour commencer leur travail saisonnier ne peuvent pas le faire, la décision me semble assez équilibrée, encore une fois pragmatique et de nature à répondre à une situation ponctuelle, engendrée par l’urgence sanitaire.
L’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. On n’est jamais ni surpris ni déçu par les arguments que vous développez, monsieur le sénateur Ravier.
M. Stéphane Ravier. C’est déjà ça !
M. Marc Fesneau, ministre. Certes, mais il faut rappeler la réalité, comme vient très bien de le faire votre rapporteur.
Des travailleurs saisonniers sont présents à l’intérieur de nos frontières et ne peuvent pas en sortir. Parallèlement, des secteurs ont besoin, comme chaque année, de main-d’œuvre saisonnière pour des raisons de structure de l’emploi ou d’activité économique – ce n’est pas une nouveauté et cela ne vaut pas moins dans votre département que dans d’autres départements de France. Les travailleurs saisonniers auxquels ils avaient l’habitude de recourir ne peuvent pas entrer en France du fait de la fermeture des frontières.
Autrement dit, nous avons des travailleurs saisonniers qui ne peuvent pas repartir, des travailleurs saisonniers qui ne peuvent pas venir et des exploitations qui ont besoin de main-d’œuvre. Nous répondons simplement à cette exigence, en permettant que des personnes qui pourraient travailler ne soient pas empêchées de le faire par le dispositif légal, afin d’occuper des postes difficiles à pourvoir.
Il ne s’agit pas de stigmatiser les uns ou les autres, de prétendre quoi que ce soit s’agissant des Français. Nous savons que certains secteurs – il y en a des tas – peinent à trouver de la main-d’œuvre. Ce dispositif vient simplement, de manière temporaire, proroger jusqu’à neuf mois l’autorisation de travail de personnes qui ne peuvent pas sortir de nos frontières, pour apporter des réponses à des problématiques économiques.
Je suis sûr, monsieur Ravier, qu’il y a dans votre département des producteurs agricoles qui s’inquiètent de savoir comment ils vont procéder à la récolte. Nous essayons de résoudre leur problème, tout en traitant la situation des travailleurs saisonniers. C’est aussi simple que cela !
L’avis est défavorable.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion de l’article 1er ter.
Article 1er ter (suite)
Mme la présidente. L’amendement n° 197, présenté par Mme Benbassa, M. Collombat, Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Au second alinéa de l’article L. 313-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le mot : « six » est remplacé par le mot : « neuf ».
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. La pandémie que connaît notre pays affectera durablement notre économie. D’ores et déjà, certains secteurs sont fortement touchés et tournent au ralenti. C’est le cas, notamment, du monde agricole, qui souffre actuellement d’une pénurie de main-d’œuvre, le nombre de travailleurs saisonniers ayant fortement chuté en raison de l’épidémie.
Pour faire face à cette situation, le Gouvernement a décidé d’allonger de six à neuf mois la durée pendant laquelle des travailleurs saisonniers étrangers peuvent exercer une activité professionnelle sur notre territoire, et ce à titre dérogatoire, tant que l’état d’urgence sanitaire sera de mise. Nous aurions pu nous réjouir de cette mince avancée pour les travailleurs étrangers saisonniers, si celle-ci n’était pas due à une simple question conjoncturelle.
Pour l’exécutif, le droit des personnes étrangères est uniquement une variable d’ajustement, n’ayant vocation à évoluer qu’en fonction des situations. Le Gouvernement ne fait que peu de cas de cette population migrante, simplement considérée comme de la main-d’œuvre susceptible d’amortir les répercussions de la pandémie sur notre économie.
Si des droits sont accordés, ils doivent être durables, et non conditionnés à l’urgence sanitaire. La rédaction de l’article 1er ter n’est donc pas satisfaisante, puisque le dispositif proposé ne revêt qu’un caractère temporaire. Ainsi, afin de reconnaître davantage la valeur des travailleurs saisonniers étrangers, le présent amendement vise à modifier le Ceseda de manière pérenne et à faire en sorte que les nouveaux droits accordés le soient sans limitation dans le temps.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je rappelle la situation actuelle des travailleurs saisonniers étrangers : ceux qui sont présents ne peuvent pas quitter le territoire et ceux qui devaient venir ne peuvent pas entrer en France. C’est la conjonction de ces deux facteurs qui conduit à proposer aux travailleurs saisonniers présents de pouvoir travailler plus qu’ils n’ont le droit de le faire.
A contrario, ma chère collègue, vous sollicitez une transformation d’un travail saisonnier en travail quasi permanent. Or il ne s’agit pas ici de modifier les règles de fond instaurées par le Ceseda. Dès lors, l’avis est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Faut-il un dispositif pérenne, comme vous nous le suggérez, madame la sénatrice Benbassa ? La réponse du Gouvernement est clairement non, pour les raisons précédemment invoquées sur d’autres dispositions.
La mesure proposée n’a pas de lien avec la crise sanitaire et une telle modification pérenne des règles d’immigration en France n’a pas sa place dans le présent texte.
Notre pays a fait le choix, partagé par plusieurs autres États membres, de fixer la durée maximale annuelle de séjour en France des travailleurs saisonniers à six mois, pour s’assurer que leur résidence dans leur pays d’origine conserve bien sa qualité de résidence habituelle. L’extension à neuf mois doit rester ponctuelle, comme prévu dans la mesure qui vous est proposée.
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. L’amendement n° 22, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Kerrouche, Marie, Sueur, Kanner et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat, Jacques Bigot et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais, Guillemot et Harribey, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Rossignol, M. Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
.… – Au premier alinéa de l’article L. 313-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « quatre ».
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. L’état d’urgence sanitaire, nous l’espérons, durera moins de quatre mois. Ce n’est donc pas la raison pour laquelle on augmente de six à neuf mois la durée maximale pendant laquelle des travailleurs saisonniers étrangers peuvent exercer une activité professionnelle sur notre territoire : c’est parce que l’on a bien vu combien il était difficile, sans liberté de circulation, de soutenir certains secteurs d’activité et combien ces travailleurs saisonniers étaient indispensables au fonctionnement de notre économie, y compris quand elle fonctionne au ralenti.
Compte tenu de cette observation sur l’importance des travailleurs saisonniers, observation tirée des événements des dernières semaines, nous proposons deux modifications du Ceseda. Si vous le permettez, madame la présidente, je vais les exposer conjointement, et donc présenter également l’amendement n° 23.
Mme la présidente. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 23, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Kerrouche, Marie, Sueur, Kanner et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat, Jacques Bigot et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais, Guillemot et Harribey, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Rossignol, M. Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, et ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
.… – Au 1° de l’article L. 314-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la référence : « L. 313-23, » est supprimée.
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. L’amendement n° 22 vise à mettre fin à une situation illogique : la limitation à trois ans de la carte pluriannuelle portant la mention « salarié saisonnier ». Nous proposons de porter cette limite à quatre ans, ce qui correspond à la durée de droit commun de toute carte pluriannuelle.
L’amendement n° 23 vise, quant à lui, à ce que la carte pluriannuelle portant la mention « salarié saisonnier » ne soit plus exclue des titres de séjour pouvant déboucher sur l’obtention d’une carte de résident.
Ces deux propositions constituent, certes, des modifications du Ceseda sur le long terme, mais elles sont motivées par un constat tiré des dernières semaines : ces travailleurs saisonniers, dont nous souhaitons qu’ils restent des travailleurs saisonniers, sont indispensables à l’économie française. Par conséquent, nous devons leur accorder autre chose qu’un statut d’utilité et de précarité.
Mme la présidente. Puisque vous avez déjà défendu l’amendement n° 23, monsieur Leconte, j’appelle également l’amendement n° 24, ces deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 24, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Kerrouche, Marie, Sueur, Kanner et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat, Jacques Bigot et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais, Guillemot et Harribey, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Rossignol, M. Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Par dérogation au 1° de l’article L. 314-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, les étrangers mentionnés au premier alinéa du présent article sont considérés comme ayant leur résidence régulière en France.
Vous avez la parole pour présenter cet amendement, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. En fait, j’essayais d’échapper à la décision de la direction de la séance de mettre les amendements nos 23 et 24 en discussion commune, le second étant un amendement de repli.
Connaissant l’attachement de la rapporteure à ne pas modifier le Ceseda – même si elle a donné certains avis favorables en d’autres endroits du texte –, je propose une prise en compte de la carte pluriannuelle pour l’obtention de la carte de résident, au moins pour les travailleurs saisonniers qui, compte tenu de la situation, auront travaillé neuf mois en France cette année.
Cette exception devrait pouvoir convenir à Mme la rapporteure, dans l’hypothèse où elle ne souhaiterait pas reconnaître l’exigence qu’il y a à sortir de la précarité un certain nombre de travailleurs saisonniers étrangers.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Notre collègue Leconte m’a enlevé les mots de la bouche : oui, il ne faut pas modifier les règles de fond du Ceseda ! Je ne pense pas l’avoir fait pour d’autres dispositifs.
Il est demandé de modifier la durée de validité de la carte pluriannuelle portant la mention « salarié saisonnier », en la faisant passer de trois à quatre ans. Il m’apparaît essentiel, dans ce projet de loi, d’en rester à des mesures ayant un lien avec la crise sanitaire, ce qui, pour moi, n’est pas le cas ici. L’avis est donc défavorable sur l’amendement n° 22.
S’agissant des amendements nos 23 et 24, nous retrouvons la même logique que précédemment, consistant à transformer un travailleur saisonnier en travailleur permanent.
Le statut de travailleur saisonnier, je le rappelle, n’existe que parce que ce dernier peut justifier le maintien de son domicile habituel à l’étranger. Avec une telle mesure, nous sortirions donc du dispositif de travailleur saisonnier. Il en existe d’autres : les cartes de séjour salarié ou travailleur temporaire. Il est parfaitement possible de solliciter ces titres de séjour, mais, dans ce cas, le travailleur ne sera plus considéré comme un travailleur saisonnier.
Il ne me paraît pas raisonnable de permettre, ainsi, un glissement insensible d’un statut à un autre, sans différenciation possible à l’avenir, d’où un avis défavorable sur l’amendement n° 23.
Je suis également défavorable à l’amendement n° 24, toujours pour les mêmes motifs. Nous ne devons pas, dans le cadre d’un travail saisonnier, ouvrir la porte à un séjour durable. Encore une fois, celui-ci est possible en sollicitant d’autres titres de séjour, avec des garanties différentes.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. L’article 1er ter a pour objet de permettre à des travailleurs saisonniers présents en France à la date du 16 mars – et uniquement à ceux-ci – de travailler et séjourner plus longtemps, compte tenu de la situation actuelle, dans laquelle, comme nous l’avons indiqué précédemment avec Mme la rapporteure, ils ne peuvent pas organiser à court terme leur retour au pays et peuvent répondre aux importants besoins de main-d’œuvre constatés dans le secteur agricole, du fait de l’impossibilité rencontrée par d’autres travailleurs saisonniers de venir en France.
Il ne s’agit pas de permettre à ces travailleurs de revenir travailler une année de plus en France avec le même titre de séjour. Une telle mesure ne répond pas aux enjeux actuels du séjour et du travail de ces personnes.
En outre, et ce n’est pas le moindre des problèmes posés par l’amendement n° 22, la différenciation de la durée des titres de séjour au bénéfice d’une partie des travailleurs saisonniers – seulement ceux qui étaient présents en France au 16 mars – introduit une complexité inutile dans la gestion du droit au séjour.
D’autres mesures que celles qui sont proposées par le Gouvernement ont été mises en place pour ces travailleurs, en particulier une simplification des démarches à effectuer pour bénéficier d’une autorisation provisoire de travail pour prolonger un contrat de travail ou en exécuter un nouveau.
S’agissant de l’amendement n° 23, comme je l’ai indiqué précédemment, l’objet du présent projet de loi n’est pas de mettre en place une réforme pérenne des règles de séjour en France.
En outre, la proposition, portée par cet amendement, d’intégrer la durée de séjour passé sous couvert de la carte de séjour pluriannuelle réservée aux travailleurs saisonniers dans la durée de séjour nécessaire pour donner accès à la carte du résident de longue durée est contraire, et c’est aussi simple que cela, à la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, harmonisant les conditions de délivrance de la carte de résident de longue durée par les autorités de chaque État membre. Son article 3 dispose que les ressortissants de pays tiers qui séjournent en tant que travailleurs saisonniers sont exclus de son champ.
Un dispositif tel que celui qui est proposé à l’amendement n° 23 serait donc contraire au droit communautaire.
Pour toutes ces raisons, l’avis est défavorable sur les amendements nos 22 et 23, ainsi que sur l’amendement n° 24, dont j’ai compris qu’il était un amendement de repli.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Compte tenu des explications données – madame la rapporteure, nous reviendrons sur le sujet des modifications de fond du Ceseda, car vous en avez acceptées sur d’autres dispositions –, je vais retirer les deux premiers amendements.
En revanche, concernant le dernier, si l’on autorise des personnes à rester travailler neuf mois en France, il faut en tirer les conséquences en termes de droit au séjour. C’est simplement ce que nous proposons, et c’est une disposition exceptionnelle, au regard d’une année où, contrairement à l’usage, les travailleurs saisonniers seront restés neuf mois en France, et non la moitié de l’année en France et l’autre dans leur pays d’origine.
Par conséquent, je retire les amendements nos 22 et 23, mais je maintiens l’amendement n° 24, qui me semble être la suite logique des dérogations accordées cette année, compte tenu des circonstances.
Mme la présidente. Les amendements nos 22 et 23 sont retirés.
Je mets aux voix l’amendement n° 24.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er ter.
(L’article 1er ter est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er ter
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 198, présenté par Mme Benbassa, M. Collombat, Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste communiste républicain citoyens et écologistes, est ainsi libellé :
Après l’article 1er ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La perte d’un emploi liée aux conséquences de l’épidémie de Covid-19 ne peut être opposée au renouvellement du titre de séjour mention « travailleur temporaire », pendant l’état d’urgence sanitaire et dans un délai de six mois à compter de la fin de celui-ci.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Actuellement, les personnes étrangères titulaires d’un CDD bénéficient d’un titre de séjour portant la mention « travailleur temporaire ».
Malheureusement, la pandémie liée au Covid-19 a rudement éprouvé notre économie. De nombreuses entreprises ont dû cesser leur production, faute d’activité.
Comme tous les salariés en France, les travailleurs étrangers ont également été impactés. Or, pour ces populations, leur présence sur le sol français est conditionnée au maintien dans l’emploi. Sans activité professionnelle, il est à craindre que leur titre de séjour mention « travailleur temporaire » ne soit considéré comme caduc par les autorités françaises.
Une telle situation serait injuste pour ces travailleurs dont la perte d’emploi ne serait due qu’aux circonstances sanitaires et non à un manque de compétences. Il est essentiel que, pour les travailleurs étrangers présents légalement sur notre territoire, la peur de l’expulsion et du chômage ne s’ajoute pas à l’anxiété engendrée par la pandémie.
Ainsi, il est proposé à travers cet amendement que la perte d’un emploi en raison de l’épidémie de Covid-19 ne puisse être opposée au renouvellement du titre de séjour des travailleurs temporaires pendant l’état d’urgence sanitaire, et dans un délai de six mois à compter de la fin de celui-ci. Une telle proposition devrait permettre de sécuriser la situation des salariés étrangers présents actuellement en France.
Mme la présidente. L’amendement n° 172 rectifié bis n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Nous passons du travailleur saisonnier au travailleur temporaire étranger, dont je rappelle que l’obtention de son titre de séjour est conditionnée à la délivrance d’une autorisation de travail. De la sorte, s’il n’a plus de travail, ce peut être source de difficulté, comme l’a expliqué notre collègue Benbassa.
Outre que la rédaction de l’amendement n° 198 est assez large – que faut-il entendre par « perte d’un emploi liée aux conséquences de l’épidémie de Covid-19 » ? –, il me semble surtout que le projet de loi permet de régler de façon satisfaisante la situation des travailleurs confrontés à cette difficulté – passagère – que constitue la perte de leur emploi, dans la mesure où la prolongation de tous les titres de séjour est de plein droit pour six mois à compter du 16 mars dernier.
L’avis est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Je rejoins absolument ce que vient de dire Mme la rapporteure.
Par ailleurs, cet amendement aboutit à une prescription formulée de manière trop générale et dont les contours sont insuffisamment précis, ce qui donnerait lieu et matière à de nombreux contentieux.
Dans le contexte de l’épidémie, et compte tenu de ses effets sur l’économie, il est évidemment attendu de l’administration, dans le cadre de l’examen de l’ensemble de la situation d’un étranger confronté à ce problème, qu’elle regarde, à l’occasion du renouvellement de son titre de séjour, les conditions et les circonstances dans lesquelles il a perdu son emploi.
Il nous semble qu’il faut en rester au droit en vigueur. L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Le fait que plusieurs membres du groupe La République En Marche aient cru nécessaire d’aborder ce sujet témoigne qu’une clarification serait probablement bienvenue. Il est donc heureux qu’un tel amendement ait été déposé.
Dès lors que la personne concernée perd son emploi, il est souhaitable que son séjour en France ne soit pas remis en cause. Or, même si j’entends ce qui vient de nous être dit, ce sur quoi se fonde la délivrance de ce titre est remis en cause par la perte d’emploi. C’est la raison pour laquelle il me paraît utile d’apporter cette précision dans le texte, quitte à en améliorer la rédaction pendant la navette. Aussi, nous voterons cet amendement, qui, je le répète, met en avant la difficulté à laquelle pourraient être confrontés les étrangers titulaires d’une carte de séjour portant la mention « travailleur temporaire » à la suite de la perte de leur emploi dans cette période compliquée, sans qu’ils soient certains d’en retrouver un avant l’expiration de leur titre.
Encore une fois, plusieurs membres du groupe La République En Marche ont eux aussi identifié cette difficulté. Je crois donc que nous pouvons au moins apporter cette précision dans le texte.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 198.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er quater AA (nouveau)
I. – À titre exceptionnel et jusqu’au 31 décembre 2020, les instances chargées de la gestion des régimes complémentaires d’assurance vieillesse et des régimes d’invalidité-décès prévus au chapitre V du titre III et au chapitre IV des titres IV et V du livre VI du code de la sécurité sociale sont autorisées à proposer une action de soutien à leurs assurés en activité visant à faire face aux difficultés économiques et sociales liées à l’épidémie de covid-19.
Les instances chargées de la gestion des régimes mentionnés au premier alinéa du présent I fixent les critères d’attribution des aides proposées aux assurés de ces derniers et proposent un financement de ces actions. La mobilisation éventuelle d’une partie des réserves financières des régimes ne peut être prévue au titre de ce financement qu’au regard de la liquidité des actifs correspondants et dans des proportions ne remettant pas en cause les capacités des régimes à servir leurs engagements à terme dans les conditions définies par leurs règlements.
Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent I et les modalités d’approbation des décisions prévues au deuxième alinéa par le ministre en charge des affaires sociales.
II. – Les commissions des affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat sont informées sans délai des décisions prises en application du I par les instances chargées de la gestion des régimes.
III. – Les I et II entrent en vigueur au 12 mars 2020.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 50 est présenté par Mme Lubin, MM. Daudigny, Kanner, Kerrouche et Marie, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Meunier et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat, Jacques Bigot et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert et Daunis, Mme de la Gontrie, MM. Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud et Fichet, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Guillemot et Harribey, MM. Houllegatte, Jacquin et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Lalande et Leconte, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mme Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roger, Sueur et Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 202 rectifié est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume, Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, MM. Gay, Gontard et P. Laurent, Mme Lienemann, M. Ouzoulias, Mme Prunaud et M. Savoldelli.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Monique Lubin, pour présenter l’amendement n° 50.
Mme Monique Lubin. Nous proposons tout simplement de supprimer l’article 1er quater AA, qui, à notre sens, donne un sérieux coup de canif dans le système actuel des retraites, en permettant un droit de tirage, si je puis dire, sur les caisses de retraite des indépendants pour financer des aides sociales.
Certes, monsieur le rapporteur pour avis nous a bien dit qu’il veillerait à ce que cette mesure soit limitée dans le temps, à ses conditions de mise en œuvre, mais vous savez bien que ce qui est censé être exceptionnel peut quelquefois trouver son public et être amené à être pérennisé. Ce qui nous gêne également, c’est qu’on nous demande de nous prononcer a posteriori sur une autorisation qui, de toute façon, a déjà été accordée.
De même, on a entendu parler pendant un certain temps d’une réforme des retraites, et l’on ne sait pas ce qu’il adviendra, à l’avenir, de nos futurs systèmes de retraite. Certains pourraient être tentés d’y revenir. Aussi, si l’on commence à toucher aux réserves de ces régimes de retraite, cela pose problème.
Manifestement, nous ne sommes pas les seuls à considérer cette situation comme problématique, puisque le Gouvernement, reprenant un certain nombre des arguments que je viens d’avancer, a déposé un amendement tendant, certes, à autoriser ce droit de tirage, mais en en limitant le montant en euros sonnants et trébuchants et en interdisant la vente d’actifs. Quand on sait que le régime général, précisément, ne vend pas d’actifs et préfère demander l’aide de l’Acoss, il est un peu étonnant que cet article prévoie la possibilité de telles cessions.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 202 rectifié.
Mme Laurence Cohen. Il est défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Effectivement, cet article autorise la cession éventuelle d’une partie des réserves financières des régimes des professions indépendantes au regard de la liquidité des actifs correspondants. Or, par définition, les réserves servent à faire face aux aléas économiques ou démographiques pour assurer le versement des pensions.
Vous l’avez dit, madame Lubin, nous sommes mis devant le fait accompli, puisque le Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants, la CPSTI, a déjà distribué 1 milliard d’euros aux artisans et commerçants, tandis que d’autres régimes réclament de pouvoir l’imiter. C’est ce qui a conduit la commission des affaires sociales à réfléchir à une solution de compromis en bornant au maximum le dispositif, de manière à prévenir toute dérive. D’ailleurs, le Gouvernement a déposé un amendement dont la rédaction reprend presque à l’identique – à un mot près – la rédaction que je proposerai.
Par conséquent, ne souhaitant pas revenir sur la solution proposée par notre commission, nous émettons un avis défavorable sur ces amendements de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Ces amendements visent à supprimer la validation législative des décisions prises par les instances décisionnelles des régimes de retraite des travailleurs indépendants et des professionnels libéraux, alors que ce sont ces instances elles-mêmes qui ont souhaité apporter un soutien à leurs assurés en difficulté.
Monsieur le rapporteur pour avis, vous dites que nous avons été mis devant le fait accompli, mais, après tout, ces instances ont délibéré librement, ont fait des choix, pour accompagner, par des aides ponctuelles et exceptionnelles, en plus des aides encore plus significatives accordées par l’État – elles ne s’y substituent pas –, un certain nombre de leurs assurés en difficulté.
Qu’un encadrement soit nécessaire, nous en reparlerons, et ce sera fait, mais, je le dis devant vous, reconnaissons que cette décision a été prise sur l’initiative autonome de ces régimes, sur laquelle tendent de revenir ces amendements. L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 50 et 202 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 136, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Le Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants mentionné à l’article L. 612-1 du code de la sécurité sociale et les instances de gouvernance des organismes mentionnés aux articles L. 641-5 et L. 651-1 du même code sont autorisés à affecter en 2020 une partie des réserves financières des régimes d’assurance vieillesse complémentaire et des régimes d’invalidité décès mentionnés aux articles L. 635-1, L. 640-1, L. 652-9 et L. 654-1 dudit code, dont ils assurent la gestion, au financement d’une aide financière exceptionnelle destinée aux cotisants de chacun de ces régimes et, le cas échéant, à leurs conjoints collaborateurs afin de faire face aux difficultés économiques et sociales liées à l’épidémie de covid-19.
II. – Les décisions d’affectation des réserves des régimes mentionnés au I du présent article sont soumises à l’approbation du ministre chargé de la sécurité sociale, qui s’y oppose dans un délai de quarante jours si :
1° La décision d’affectation des réserves d’un régime d’invalidité décès aboutit à ce que celles-ci soient inférieures à un montant égal à 150 % du montant des prestations versées par le régime en 2019 ;
2° La décision d’affectation des réserves d’un régime complémentaire d’assurance vieillesse aboutit à calculer un horizon d’extinction des réserves de ce régime inférieur à trente ans ;
3° La décision d’affectation des réserves conduit à céder des actifs financiers ou immobiliers dans des conditions de marché défavorables ;
4° La décision d’affectation des réserves aboutit à calculer pour chaque régime un fonds de roulement inférieur à trois échéances mensuelles de prestations ;
5° Le montant des réserves affectées par chaque organisme dépasse 1 milliard d’euros.
III. – Le présent article entre en vigueur le 23 mars 2020.
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre. L’amendement de M. Savary, qui suit, étant de même nature que celui du Gouvernement et allant dans le bons sens, je m’y rallie volontiers.
M. Ladislas Poniatowski. C’est très élégant !
M. Arnaud Bazin. Absolument !
Mme la présidente. L’amendement n° 167, présenté par M. Savary, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – À titre exceptionnel, le Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants mentionné à l’article L. 612-1 du code de la sécurité sociale et les instances de gouvernance des organismes mentionnés aux articles L. 641-5 et L. 651-1 du même code sont autorisés à affecter en 2020 une partie des réserves financières des régimes d’assurance vieillesse complémentaire et des régimes d’invalidité décès mentionnés aux articles L. 635-1, L. 640-1, L. 652-9 et L. 654-1 dudit code, dont ils assurent la gestion, au financement d’une aide financière exceptionnelle destinée aux cotisants de chacun de ces régimes et, le cas échéant, à leurs conjoints collaborateurs afin de faire face aux difficultés économiques et sociales liées à l’épidémie de covid-19.
II. – Les décisions d’affectation des réserves des régimes mentionnés au I du présent article sont soumises à l’approbation du ministre chargé de la sécurité sociale, qui s’y oppose dans un délai de quarante jours si :
1° La décision d’affectation des réserves d’un régime d’invalidité décès aboutit à ce que celles-ci soient inférieures à un montant égal à 150 % du montant des prestations versées par le régime en 2019 ;
2° La décision d’affectation des réserves d’un régime complémentaire d’assurance vieillesse aboutit à calculer un horizon d’extinction des réserves de ce régime inférieur à trente ans ;
3° La décision d’affectation des réserves conduit à céder des actifs financiers ou immobiliers dans des conditions de marché défavorables ;
4° La décision d’affectation des réserves aboutit à calculer pour chaque régime un fonds de roulement inférieur à trois échéances mensuelles de prestations ;
5° Le montant des réserves affectées par chaque organisme dépasse 1 milliard d’euros.
III. – Le présent article entre en vigueur le 23 mars 2020.
La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Le Gouvernement fait montre de bonne volonté ; il fait même un effort considérable, puisque ces deux amendements tendant à encadrer le dispositif prévu à cet article sont identiques, à un mot près.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Celui du Sénat est meilleur ! (Sourires.)
M. René-Paul Savary. Nous proposons une nouvelle rédaction de l’article 1er quater AA, afin de mieux préciser les conditions de mobilisation éventuelle des réserves des régimes complémentaires des indépendants en inscrivant dans la loi clairement des critères de soutenabilité à préserver pour ces derniers. Ceux-ci concernent ainsi le niveau des réserves à l’issue du prélèvement éventuel, la liquidité des actifs permettant d’assurer les échéances de prestations ou encore les conditions de cession des actifs. Enfin, un plafond de 1 milliard d’euros est prévu à la mobilisation des réserves de chaque organisme pour cette aide.
Nous avons veillé à la fois à ne pas mettre en péril l’équilibre du régime par des prélèvements trop importants sur les réserves et à ne pas remettre en cause les prestations qui sont servies, tout en permettant qu’il soit répondu aux préoccupations des différents régimes.
Le régime des indépendants a déjà engagé des actions, et d’autres régimes demandent à le suivre ou, pour certains, à réduire les cotisations tout en maintenant les prestations à un niveau identique. On ne peut être que très favorable à cette prise en charge d’un certain nombre de difficultés liées à la crise que nous vivons, dès l’instant où les réserves sont suffisantes pour que soit assuré l’équilibre dans les années qui viennent et sans créer un encouragement à des ventes d’actifs – par exemple, des biens immobiliers – en cette période compliquée.
Cette exigence d’un maintien des liquidités et d’un niveau de réserves suffisant nous permet de rejoindre la position du Gouvernement, sans qu’il soit désormais nécessaire de recourir à une habilitation à légiférer par ordonnance. C’est clair, net et précis !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Comme vous l’avez compris, l’avis est favorable, et le Gouvernement retire son amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 136 est retiré.
La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Le Gouvernement est grand seigneur en s’en remettant à l’amendement de M. Savary, s’étant rendu compte que cet article était une erreur.
Je continue néanmoins à considérer que, en dépit de sa nouvelle rédaction, cet article donne un sacré coup de canif dans ces régimes de retraite. Dès lors qu’on l’autorise une fois, pourquoi cette opération ne serait-elle pas renouvelée ? On sait que, à l’avenir, les régimes de retraite risquent d’être mis à mal par la situation économique qui se profile. Aussi, vous auriez mieux fait de reconnaître jusqu’au bout votre erreur et de considérer que cet article n’était tout simplement pas bon.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. François Bonhomme. Faites pénitence ! (Sourires.)
M. Marc Fesneau, ministre. J’assume non seulement cette disposition, mais également le fait de me rallier à la rédaction proposée par M. Savary.
Aussi, ne cherchons pas de querelles inutiles. Je le répète, madame Lubin, si vous voulez me faire dire, ce soir, que j’assume la rédaction proposée par votre collègue, identique à un mot près à celle que proposait le Gouvernement, la réponse est oui. Je constate qu’il existe un désaccord entre nous, mais c’est tout l’intérêt du débat démocratique.
Les mesures d’encadrement prévues permettent justement de lever les craintes que vous pouvez avoir. On ne peut pas à la fois demander aux partenaires siégeant dans ces organismes de prendre des décisions en toute autonomie et, quand ils en prennent, sans que personne les y ait poussés et sans que personne les ait imposées, pour aider ceux qui sont en grande difficulté face à une crise exceptionnelle, ne pas le saluer.
Par ailleurs, le législateur apporte un certain nombre de garanties permettant d’assurer l’équilibre de ces régimes et de les préserver de toute mise en péril.
Encore une fois, je me réjouis de pouvoir émettre un avis favorable sur l’amendement de M. Savary.
Mme Laurence Rossignol. Chaque fois qu’un ministre dit « j’assume », ça cache une entourloupe !
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Les explications de M. Savary et celles de M. le ministre sont relativement inquiétantes.
Vous justifiez le maintien de ce dispositif et son encadrement par le fait que des caisses de retraite s’y sont déjà engagées. Mais rien n’empêchera demain une autre caisse de retraite, dans d’autres circonstances, face à une autre crise – espérons-le de moindre ampleur –, de faire de même.
Les réserves de l’ensemble de ces caisses ont un objectif : assurer les retraites de celles et de ceux qui ont cotisé. En dérogeant à cette règle, comme le disait notre collègue Monique Lubin, vous enfoncez un coin, vous créez un précédent, et rien ne nous garantit qu’à l’avenir ces précédents ne se reproduisent pas.
Nous sommes donc effectivement très inquiets, et vous ne pouvez pas vous retrancher derrière les décisions prises par les responsables de ces caisses de retraite. Ce ne serait pas la première fois que vous contesteriez une décision prise par des partenaires sociaux. Si vous considérez que c’est une erreur, monsieur le ministre, il faut l’assumer et revenir dessus.
Mme la présidente. En conséquence, l’article 1er quater AA est ainsi rédigé.
Article 1er quater A
I. – À titre exceptionnel, sont prises en considération en vue de l’ouverture du droit à pension, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, les périodes comprises entre le 1er mars 2020 et le 31 décembre 2020 pendant lesquelles l’assuré perçoit l’indemnité horaire mentionnée au II de l’article L. 5122-1 du code du travail.
II. – Les dépenses résultant de l’application du I sont prises en charge par le Fonds de solidarité vieillesse prévu à l’article L. 135-1 du code de la sécurité sociale.
III. – Le I est applicable aux périodes de perception de l’indemnité horaire mentionnée au II de l’article L. 5122-1 du code du travail à compter du 1er janvier 2020 pour les pensions de retraite prenant effet à compter du 12 mars 2020.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 32 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 101 rectifié est présenté par MM. Mohamed Soilihi, Lévrier, Iacovelli, Théophile et les membres du groupe La République En Marche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Le b du 2° de l’article L. 135-2 est complété par les mots : « ainsi que de l’indemnité horaire mentionnée au II de l’article L. 5122-1 du même code » ;
2° Le 2° de l’article L. 351-3 est ainsi modifié :
a) Les références : « aux articles L. 5122-4 et L. 5123-6 » sont remplacées par la référence : « à l’article L. 5123-6 » ;
b) Sont ajoutés les mots : « ou de l’indemnité horaire mentionnée au II de l’article L. 5122-1 du même code ».
II. – Le I du présent article est applicable aux périodes de perception de l’indemnité horaire mentionnée au II de l’article L. 5122-1 du code du travail à compter du 1er janvier 2020 pour les pensions de retraite prenant effet à compter de la publication de la présente loi.
La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 32.
M. Marc Fesneau, ministre. Cet amendement vise à rétablir la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale s’agissant de la création de droits à la retraite au titre de l’activité partielle.
La rédaction adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale permet de créer de manière permanente des droits au profit des salariés, et non pas seulement pour la période de crise sanitaire. La pérennisation de la validation des droits à la retraite au titre de l’activité partielle indemnisée se justifie d’abord pour des raisons d’équité. En effet, les périodes de chômage sont réputées assimilées dans la prise en compte des trimestres de retraite. En outre, le recours à l’activité partielle, certes massif en ce contexte de crise sanitaire – nous en avons parlé longuement cet après-midi –, n’est pas seulement un dispositif de crise ; des ruptures de droits peuvent survenir – cela a déjà pu être le cas dans quelques situations plus marginales, mais réelles.
Un dispositif pérenne sera plus protecteur pour les salariés.
Enfin, en tout état de cause, le coût de cette mesure financée par le FSV devrait être limité.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour présenter l’amendement n° 101 rectifié.
M. Thani Mohamed Soilihi. Dans sa rédaction initiale, l’article 1er quater A visait à sécuriser les droits sociaux des travailleurs dont l’activité est partielle, en permettant de créer, de manière pérenne, des droits à la retraite au titre des périodes correspondantes.
Il s’agissait d’un dispositif particulièrement bienvenu. Or la commission l’a restreint aux périodes d’activité partielle comprises entre le 1er mars 2020 et le 31 décembre 2020, non sans risque pour la prise en compte des difficultés de certains secteurs comme l’agriculture ou la restauration, qui, nous le savons, se prolongeront probablement au-delà de la seule année civile 2020.
Cet amendement a donc pour objet de rétablir l’article 1er quater A dans sa rédaction initiale, en supprimant cette limitation dans le temps.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. L’avis favorable sur les amendements du Gouvernement ne pouvait pas durer. (Sourires.) Dans le cas présent, nous émettons un avis défavorable. La commission a entendu limiter cette mesure en faveur des salariés en activité partielle, d’un coût très important, à la période de crise.
Certes, il nous paraît légitime de pérenniser la validation des droits à la retraite au titre de l’activité partielle indemnisée. Néanmoins, il faut en mesurer l’impact, surtout si ces mesures devaient être prolongées. Je rejoins le souci de Monique Lubin d’être attentif à l’équilibre des caisses de retraite.
Monsieur le ministre, vous nous dites que le coût ne devrait pas être très élevé. Il n’empêche que ces trimestres seront validés pour le calcul de la retraite à taux plein – vous pourrez peut-être nous indiquer, au passage, où en est la réforme des retraites, actuellement au point mort.
Si, pour les salariés concernés, cette année 2020 compte parmi les vingt-cinq meilleures années prises en compte pour le calcul de leur pension, celle-ci sera amenée à diminuer. Il faut donc en évaluer les répercussions, en recettes comme en dépenses.
Nous souhaitons que cette activité partielle ouvre droit à des mesures sociales – légitimes, compte tenu de cette crise – jusqu’au 31 décembre. Nous ne sommes pas opposés à leur prorogation, mais le temps viendra où l’on pourra en discuter, dans le cadre des projets de loi de financement de la sécurité sociale ou d’autres véhicules législatifs, éventuellement pour les inscrire dans le code de la sécurité sociale.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Je me permets de tempérer le sentiment de bien faire du Gouvernement.
Si cette mesure va effectivement permettre aux salariés à temps partiel de continuer d’accumuler des trimestres pour le calcul de leur pension de retraite, pour autant, elle ne donnera pas lieu à un complément de rémunération entrant dans le calcul de celle-ci. Ce n’est donc qu’une demi-mesure. Les salariés qui auront travaillé à temps partiel pendant la période de confinement verront, certes, celle-ci prise en compte pour le calcul de leur pension, mais, au final, elle s’en trouvera réduite. Après avoir perçu des salaires dégradés, ils percevront des pensions dégradées !
Il aurait fallu que le Gouvernement aille au bout, en prévoyant une prise en compte des rémunérations précédentes pour déterminer le montant de la retraite.
Cela étant, nous sommes encore moins d’accord avec la position de la commission. Nous voterons donc l’amendement du Gouvernement, tout en ayant l’impression de voter une demi-mesure.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre. Mme Rossignol donne un demi-accord – ce serait excessif de dire un demi-satisfecit –…
M. André Reichardt. Parce que c’est aussi un demi-refus !
M. Marc Fesneau, ministre. … sur la mesure proposée par le Gouvernement.
Pour répondre au rapporteur pour avis et essayer de vous convaincre, je veux dire que cette crise a révélé une faille dans le dispositif, laquelle, sans en faire grief à qui que ce soit, lui était préexistante. C’est cela que nous essayons de résoudre à travers ce dispositif.
Par ailleurs, les mesures de temps partiel, on le sait bien, se prolongeront au-delà du 31 décembre. C’est pourquoi nous proposons dès à présent de pérenniser ce dispositif et de combler ce trou dans la raquette – je n’aime guère cette expression –, même s’il est vrai qu’il sera d’un coût budgétaire important.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 32 et 101 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er quater A.
(L’article 1er quater A est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er quater A
Mme la présidente. L’amendement n° 125, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 1er quater A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Les salariés et, le cas échéant, leurs ayants droit, garantis collectivement dans les conditions prévues à l’article L. 911-1 du code de la sécurité sociale contre le risque décès, les risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, les risques d’incapacité de travail ou d’invalidité, les risques d’inaptitude et le risque chômage, ou qui bénéficient d’avantages sous forme d’indemnités ou de primes de départ en retraite ou de fin de carrière, continuent de bénéficier de ces garanties lorsqu’ils sont placés en position d’activité partielle, indépendamment des stipulations contraires de l’acte instaurant les garanties dans les conditions prévues au même article L. 911-1 et des clauses du contrat collectif d’assurance souscrit par l’employeur ou du règlement auquel il a adhéré.
Le non-respect de ces dispositions prive les garanties mentionnées au premier alinéa du présent I de leur caractère collectif et obligatoire au sens de l’article L. 242-1 du même code.
II. – Sans préjudice de stipulations plus favorables, lorsque les garanties mentionnées au I sont financées, au moins pour partie, par des primes ou des cotisations assises sur les revenus d’activité des salariés soumis à cotisations sociales au sens du même article L. 242-1 ou à la contribution mentionnée à l’article L. 136-1 du même code et déterminées par référence à cette rémunération, l’assiette de calcul des primes et des cotisations au titre du financement des garanties des salariés placés en position d’activité partielle et celle servant à déterminer les prestations sont reconstituées selon le mode de calcul défini par l’acte instaurant les garanties dans les conditions prévues à l’article L. 911-1 dudit code et le contrat collectif d’assurance ou le règlement, en substituant aux revenus d’activité précités l’indemnité brute mensuelle due en application de l’article L. 5122-1 du code du travail pour les périodes pendant lesquelles cette dernière a été effectivement perçue.
La détermination d’assiettes de calcul des cotisations et des prestations supérieures à celles résultant du premier alinéa fait l’objet d’une convention collective, d’un accord collectif ou d’une décision unilatérale du chef d’entreprise et d’un avenant au contrat collectif d’assurance souscrit par l’employeur ou au règlement auquel il a adhéré.
La reconstitution d’assiette pour le calcul des cotisations et la détermination des prestations au titre des garanties mentionnées au premier alinéa du I, ainsi que, le cas échéant, l’application d’une répartition du financement des garanties plus favorable aux salariés, ne remettent pas en cause le caractère collectif et obligatoire de ces garanties au sens de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale.
III. – À titre exceptionnel compte tenu de l’état d’urgence sanitaire et de ses impacts économiques sur les entreprises, sont accordés sans frais ni pénalités par les organismes mentionnés à l’article 1er de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, sur demande des employeurs, des reports ou délais de paiement des primes et cotisations dues au titre du financement des garanties mentionnées au I au bénéfice des salariés placés en activité partielle.
Par dérogation aux articles L. 113-3 et L. 145-6 du code des assurances, L. 221-8 du code de la mutualité et L. 932-9 du code de la sécurité sociale et indépendamment des clauses du contrat collectif d’assurance souscrit par l’employeur ou du règlement auquel il a adhéré, si le débiteur de l’obligation de payer les primes ou cotisations pendant la période définie au IV n’a pas exécuté son obligation, les organismes assureurs ne peuvent pas suspendre les garanties ou résilier le contrat à ce titre. À compter de la fin de cette période, ces reports ou délais de paiement des primes ou cotisations ne peuvent avoir pour effet, pour les employeurs et le cas échéant les salariés, de payer ou précompter plus de deux échéances, au cours d’une période au titre de laquelle le contrat prévoit le versement d’une échéance, sous réserve que les primes ou cotisations dues au titre de la période définie au IV soient versées au plus tard le 31 décembre 2020.
IV. – Le présent article est applicable à compter du 12 mars 2020 et jusqu’au 31 décembre 2020 s’agissant des I et II, et jusqu’au 15 juillet 2020 s’agissant du III.
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre. Comme nous nous y étions engagés – je l’ai rappelé au début de notre échange cet après-midi –, nous proposons cet amendement, qui vise à inscrire dans le dur du projet de loi l’habilitation initialement prévue à légiférer par ordonnance pour sécuriser les garanties de protection sociale complémentaire mise en place dans les entreprises au profit des salariés et permettre de reporter le paiement des primes et cotisations correspondantes.
Des conventions collectives et des contrats d’assurance prévoient que les garanties des salariés sont suspendues dans le cas où leur contrat de travail est suspendu. Dans le contexte du recours massif à l’activité partielle, qui emporte la suspension du contrat de travail, cette situation n’est pas acceptable.
Le Gouvernement entend garantir que les salariés resteront bénéficiaires notamment de leur couverture santé ou prévoyance mise en place dans l’entreprise. Ainsi, cet amendement tend à rendre obligatoire, depuis le 12 mars et jusqu’au 31 décembre 2020, le maintien des garanties collectives de protection sociale complémentaire pour les salariés en activité partielle, indépendamment des conventions, accords et décisions unilatérales de l’employeur, ainsi que des clauses des contrats d’assurance. Le non-respect de ces dispositions législatives dérogatoires aurait pour conséquence de priver le régime d’entreprise mis en place du bénéfice des exemptions de cotisations sociales liées à la mise en place des garanties.
L’amendement prévoit des dispositions d’ordre public par défaut pour les régimes dont les cotisations et les prestations sont assises sur la rémunération soumise à cotisations sociales. L’indemnité d’activité partielle brute mensuelle constituera l’assiette minimale pour le calcul des primes ou cotisations d’assurance, ainsi que des prestations. Les employeurs seront ensuite libres de proposer une assiette plus importante et de proposer une répartition entre les salariés et les employeurs plus favorable aux salariés.
Enfin, l’amendement tend à permettre aux salariés et aux employeurs de bénéficier jusqu’au 15 juillet prochain, sans frais ni pénalités, de reports et de délais de paiement des primes et cotisations dues depuis le 12 mars auprès de l’organisme assureur, avec interdiction pendant cette période de résilier les contrats d’assurance et de suspendre les garanties en cas de défaut de paiement des primes et cotisations. Les employeurs et salariés devront ensuite s’acquitter des paiements suspendus ou reportés dans la limite de deux échéances simultanées, sous réserve que l’ensemble des échéances aient été honorées au 31 décembre 2020.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Vous voyez, monsieur le ministre, quand vous voulez, il n’y a pas besoin d’ordonnance. Inscrire cette disposition en clair dans la loi est une bonne chose : avis favorable.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er quater A.
L’amendement n° 273, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 1er quater A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Par dérogation, les Français expatriés rentrés en France entre le 1er mars 2020 et le 30 septembre 2020 n’exerçant pas d’activité professionnelle sont affiliés à l’assurance maladie et maternité sans que puisse leur être opposé un délai de carence. Les modalités d’application du présent article peuvent être précisées par décret.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Les Français luttent contre cette épidémie sur le sol national, mais aussi partout dans le monde. Plus de 3 millions de Français, vous le savez, sont établis hors de France.
Une des premières mesures qui avait été adoptée lors du premier texte relatif à l’état d’urgence sanitaire avait été d’abroger pour quelques mois le délai de carence en cas de retour sur le sol national pour être éligible à la sécurité sociale. Ce dispositif arrivant à échéance le 1er juin, cet amendement vise à prolonger jusqu’au 30 septembre 2020 l’abolition du délai de carence.
Comme vous le savez, nous rapatrions un certain nombre de nos compatriotes. Nous avons mis en place, avec Jean-Yves Le Drian, un plan sanitaire. Il est important que ces personnes puissent, une fois de retour, bénéficier des prestations de la sécurité sociale sans délai.
Cet amendement fait écho au débat que nous avons eu la semaine dernière à l’occasion de l’examen de la proposition de loi du président Retailleau. Les parlementaires de tous les groupes avaient émis le souhait d’un tel amendement. Le vœu du Sénat peut être satisfait ce soir.
M. François Bonhomme. À la bonne heure !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Présenté ainsi, la commission ne peut être que favorable à cet amendement. Il est tombé du ciel tout à l’heure, on vient de le découvrir. Il serait donc plus exact de dire que, à titre personnel, puisque la commission n’a pas pu se prononcer, j’y suis favorable. Mais nous n’allons pas interrompre la séance et la réunir pour cela, d’autant qu’il peut faire l’unanimité. Il répond à la préoccupation de nos amis Français de l’étranger. Il vise à prolonger un dispositif de la loi d’urgence.
Cela étant, nous serions intéressés de savoir combien de personnes seraient concernées par ce dispositif.
M. Jean Bizet. Absolument !
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Je n’ai pas de statistiques. Je puis seulement vous dire qu’il y a eu à ce stade une dizaine d’évacuations sanitaires. Quand bien même une seule personne serait concernée, nous aurions besoin de prendre cette disposition.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Que c’est beau !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Nous devons assistance aux Français établis hors de France. Je sais que c’est un souci permanent de la Haute Assemblée, qui travaille d’arrache-pied sur tous les dispositifs allant en ce sens.
Nous serons d’ailleurs, dans un autre domaine, conduits à proposer au Parlement des dispositions pour proroger le mandat des conseillers consulaires, car nous n’allons pas pouvoir organiser le scrutin consulaire dans les conditions épidémiques actuelles à l’échelon mondial. Nous en avons également discuté la semaine dernière. Tout cela, naturellement, figurera dans des projets de loi dont nous débattrons très prochainement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Monsieur le secrétaire d’État, vous parlez d’or ! En une semaine, vous avez écouté le Sénat, vous avez entendu les propos de Bruno Retailleau lors de l’examen de sa proposition de loi et ceux des Français de l’étranger. J’entends encore l’adresse de Christophe-André Frassa à votre endroit disant que les Français de l’étranger ne sont pas des compatriotes de seconde zone.
M. François Bonhomme. Surtout à Monaco ! (Sourires.)
M. Jérôme Bascher. Quelques sénateurs ici, qui vous ont eu comme collègue au Sénat, se souviennent que vous défendiez vous-même à l’époque ce genre de mesures. Il est bon qu’en quelques années la cohérence et votre travail persévérant arrivent à se rejoindre, une fois encore, dans cet hémicycle. (Nouveaux sourires.)
C’est donc avec un grand soulagement que je transmettrai demain cette avancée à mes collègues représentant les Français de l’étranger, que je verrai pour une autre proposition de loi qui sera examinée sans doute prochainement, pour aller encore plus loin pour les Français de l’étranger. Je voterai évidemment cette très bonne proposition, que le président Retailleau appelait de ses vœux la semaine dernière.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, d’être venu en séance défendre cet amendement, que nous attendions. La mesure, qui avait été prévue en mars, allait jusqu’au 1er juin. Or la pandémie n’est pas encore terminée.
Dans un certain nombre de pays, quand on perd son emploi, on perd son assurance maladie. Je pense, en particulier, au Brésil. Un certain nombre de personnes m’ont d’ailleurs interrogé sur ce point, car elles craignaient de se retrouver dans cette situation. Elles ont besoin d’avoir accès directement à la protection universelle maladie (PUMa) dès leur retour en France. Il est donc important d’accepter un tel amendement, car il s’agit d’une mesure vitale.
Je vous ai interpellé la semaine dernière sur le délai de carence pour la caisse des Français de l’étranger. Il serait utile que quelques millions sur les sommes débloquées pour l’action sociale puissent permettre, après un échange entre vous, la DSS et la Caisse des Français de l’étranger, de régler la question. Il serait également utile, dans les circonstances actuelles, que ceux qui ont perdu leur revenu, mais souhaitent rester à l’étranger, puissent s’affilier à la caisse à des tarifs plus bas. Ce serait le deuxième étage de la fusée.
Quoi qu’il en soit, nous sommes déjà satisfaits que le couperet du 1er juin ne s’applique pas.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er quater A.
Article 1er quater BA (nouveau)
I. – À titre exceptionnel et par dérogation aux deuxième et troisième alinéas de l’article L. 161-22 du code de la sécurité sociale, une pension de vieillesse peut être entièrement cumulée avec une activité professionnelle exercée entre le 12 mars 2020 et le 1er juillet 2020 dans les établissements de santé publics, privés d’intérêt collectif et privés.
II. – À titre exceptionnel et par dérogation au premier alinéa de l’article L. 161-22 du code de la sécurité sociale ainsi qu’aux dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 84 et de l’article L. 85 du code des pensions civiles et militaires, les revenus perçus par les personnes mentionnées à l’article L. 2 du même code au titre d’une activité exercée entre le 12 mars 2020 et le 1er juillet 2020 dans les établissements énumérés à l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière peuvent être entièrement cumulés avec une pension.
III. – Les I et II entrent en vigueur au 12 mars 2020.
Mme la présidente. L’amendement n° 33, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
À titre exceptionnel et par dérogation aux dispositions en vigueur, une pension de vieillesse peut être entièrement cumulée avec une activité professionnelle exercée dans un établissement de santé ou un établissement médico-social pendant les mois compris dans la période d’état d’urgence sanitaire déclarée par l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre. La Caisse nationale d’assurance vieillesse a mis en place depuis mars une règle de gestion dérogatoire aux règles de cumul emploi-retraite prévues par le code de la sécurité sociale. Celle-ci permet pour les personnels soignants le cumul intégral et lève le critère de carence applicable. Une instruction similaire a été donnée à la CNRACL par le Gouvernement.
Si le Gouvernement partage le souci de la commission de régulariser juridiquement le dispositif mis en place, il conviendrait qu’il soit rédigé en termes plus généraux pour éviter de mettre en difficulté les caisses d’assurance vieillesse, en reprenant directement dans la loi la règle de gestion qui n’a soulevé aucun problème d’application.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Il s’agit de régulariser le cumul emploi-retraite.
La décision prise par le directeur de la CNAV, conformément aux prérogatives qui sont les siennes, relève du législateur. La commission a donc souhaité la borner. Cela étant, cette question devrait nous interpeller : ne devrions-nous pas, après la période de crise, donc après le 31 décembre, revoir les règles du cumul emploi-retraite, puisque les régimes et les périodes de carence varient selon les professions ? Ce n’est pas le sujet aujourd’hui ; nous aurons l’occasion d’en reparler.
En l’état, nous ne pouvons être que favorables à cette dérogation, qui vise notamment à permettre aux soignants ayant repris leur activité de manière rapide et volontaire d’être rémunérés, sans carence ni plafonnement de revenus.
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Je souhaite plutôt poser une question.
À titre personnel, je suis favorable au cumul emploi-retraite pour les personnels soignants qui sont allés apporter leur concours à l’hôpital pendant cette crise. Les explications du rapporteur pour avis m’ont permis d’avoir quasiment une réponse à ma question, mais je voudrais bien être certaine que l’inscription dans la loi concerne uniquement la période et les personnels cités. S’agit-il bien d’un régime d’exception ?
Inscrire le cumul emploi-retraite dans la loi serait un changement de philosophie – nous en avons souvent discuté en travaillant sur l’emploi des seniors. Cela signifie qu’il faudrait que nous ayons un débat. Je veux donc être certaine qu’il s’agit d’une mesure extrêmement cadrée.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre. Soyez rassurée, madame la sénatrice, le dispositif est cadré dans le temps, puisqu’il est lié au personnel mobilisé pendant la crise sanitaire, et il ne concerne que les personnels cités. La mesure ne s’appliquera d’ailleurs qu’à quelques dizaines de personnes, pas plus.
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Un peu plus quand même !
M. Marc Fesneau, ministre. L’objectif est uniquement de traiter les situations créées par la crise sanitaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Je suis bien sûr favorable à cet amendement cadré dans le temps et limité à une profession. Je précise simplement, pour faire écho aux propos de notre collègue et du rapporteur pour avis, que le cumul emploi-retraite est déjà possible. La seule difficulté aujourd’hui, c’est qu’on ne peut pas reprendre une activité dans le même établissement. Celui qui a pris sa retraite est contraint de travailler ailleurs, quelle que soit la profession. S’il souhaite rester dans le même établissement, il a un délai de carence de six mois : voilà le dispositif général. On en pense ce qu’on veut, mais il est quand même très bancal.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Je confirme à ma collègue qu’il s’agit d’une dérogation bien limitée dans le temps visant à éviter le délai de carence et le plafonnement des revenus. À défaut, la pension diminuerait. Il serait malheureux que des soignants qui se sont engagés dans une cause sociétale ne soient pas dignement rémunérés.
Mme la présidente. En conséquence, l’article 1er quater BA est ainsi rédigé.
Article 1er quater B
(Non modifié)
I. – La durée de validité des documents de séjour suivants, qu’ils aient été délivrés sur le fondement du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ou d’un accord bilatéral, arrivés à expiration entre le 16 mai 2020 et le 15 juin 2020, est prolongée de cent quatre-vingts jours :
1° Visas de long séjour ;
2° Titres de séjour, à l’exception de ceux délivrés au personnel diplomatique et consulaire étranger ;
3° Autorisations provisoires de séjour ;
4° Récépissés de demandes de titres de séjour.
II. – La durée de validité des attestations de demande d’asile arrivées à expiration entre le 16 mai 2020 et le 15 juin 2020 est prolongée de quatre-vingt-dix jours.
III. – Le présent article est applicable à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et en Nouvelle-Calédonie.
Mme la présidente. L’amendement n° 249, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Cet article permet aux étrangers séjournant en France dont les documents de séjour arrivent à échéance entre le 16 mai et le 15 juin 2020 de les prolonger de 180 jours, soit six mois. Certains étrangers qui, pour des raisons prévues par notre droit commun déjà bien laxiste, voyaient leurs documents de séjour arriver à expiration le 15 juin auront le droit d’être sur notre territoire jusqu’au 15 décembre. Quel est le rapport entre le mois de décembre et la fin de l’état d’urgence début juillet ? On se le demande !
De plus, l’article L. 311-4 code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit déjà une dérogation de trois mois après expiration dans certains cas et pour les étrangers ayant un titre de séjour pluriannuel.
Cette disposition vise donc la filière préférée des mondialistes : celle des demandeurs d’asile, qu’on ne déboute jamais vraiment de ce droit tout en le galvaudant.
Cette tendance est consternante : toujours plus de laxisme, jamais plus de fermeté ! Vous auriez pu proposer, par exemple, de faire respecter le droit français et d’expulser au moins les déboutés testés positifs au Covid-19. (Mme Laurence Cohen s’esclaffe.)
Les frontières ne sont pas une aberration sanitaire. Cette affirmation assénée sans explication est contraire au bon sens élémentaire et démontre l’entêtement idéologique de nos dirigeants. Pourtant, c’est bien entre les quatre murs de nos appartements qu’ils ont décidé de nous confiner, érigeant de nouvelles frontières à nos libertés sans que nous le contestions. Cela s’appelle être pragmatique !
Nous aurions peut-être pu éviter cette crise ou en limiter les effets si nous avions appliqué le principe de précaution de protection aux frontières.
Pour des raisons sanitaires et sécuritaires évidentes, le contrôle de l’immigration doit être effectué dans le cadre strict prévu par la loi. La situation d’urgence actuelle ne justifie pas de succomber à la facilité administrative en prolongeant la validité des documents de séjour pour une durée de six mois.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je rappelle que nous parlons, en l’occurrence, de personnes étrangères en situation régulière sur le territoire qui bénéficient d’un titre de séjour et qui sont dans l’incapacité d’en demander le renouvellement du fait de l’arrêt du fonctionnement des préfectures.
Mme Françoise Gatel. Eh oui !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Afin que ces personnes en situation régulière ne se retrouvent pas en situation irrégulière pour des raisons qui ne seraient pas de leur fait, il est proposé de proroger leur titre de séjour. Le Gouvernement a indiqué – M. le ministre pourra peut-être nous le confirmer – qu’à la mi-juin la délivrance des titres de séjour pourrait reprendre grâce, notamment, à l’embauche ou à l’affectation de 200 équivalents temps plein.
Ce qui nous est proposé me semble raisonnable. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Effectivement, madame la rapporteure, l’objectif est bien de permettre aux personnes concernées de reprendre dès le mois de juin les démarches administratives. Il s’agit donc d’une mesure temporaire pour tenir compte de la situation administrative particulière créée par la crise sanitaire.
Monsieur Ravier, je sais que vous avez toujours la réponse à tout et que tout irait mieux si on vous écoutait. Si vous avez une solution contre le virus – vous seriez peut-être le seul au monde aujourd’hui –, je vous invite à déposer un brevet !
Plutôt que d’asséner des vérités qui ne sont au fond que des contrevérités, vous feriez mieux de faire preuve d’un peu de modestie au vu de la situation de l’ensemble des pays du monde face au Covid-19, même s’il s’agit presque du plus petit être vivant en termes de taille. (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Je trouve cet amendement pathétique au vu des arguments développés, mais c’est habituel avec M. Ravier. Si le vaccin contre la Covid n’est toujours pas disponible, par contre, il en existe un contre la rage ! (Rires et applaudissements sur de nombreuses travées.)
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 221, présenté par Mmes Benbassa, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Remplacer la date :
15 juin
par la date :
4 septembre
II. – Alinéa 6
Rédiger ainsi cet alinéa :
… Attestations de demandes d’asile.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le présent article prolonge les différents types de titres de séjour dont bénéficient les personnes étrangères pouvant ou ayant pu expirer entre le 16 mai et le 15 juin 2020. Ainsi est prolongée pour 180 jours la validité des visas de long séjour, des titres de séjour, à l’exception de ceux délivrés au personnel diplomatique et consulaire étranger, des autorisations provisoires de séjour et des récépissés de demandes de titres de séjour. Les attestations de demande d’asile bénéficieront, elles, d’une prolongation de leur validité pendant 90 jours.
Nous saluons ces décisions, qui semblent aller dans le bon sens. Deux éléments nous interpellent cependant.
Tout d’abord, nous ne jugeons pas nécessaire de marquer une différence entre les attestations de demande d’asile et les autres types de séjours en termes de durée de leur validité. Le présent amendement vise par conséquent à harmoniser cet élément afin que tous les titres et attestations de séjour bénéficient d’un renouvellement de leur effectivité pour 180 jours.
Ensuite, il est à craindre que la date du 15 juin ne soit précipitée. Les préfectures sont surchargées de demandes multiples ; elles pourraient ainsi ne pas avoir repris une activité normale à cette date. Par prudence, nous proposons de repousser cette échéance au 10 juillet, soit à la fin prévue de l’état d’urgence sanitaire, prolongé par la loi du 11 mai 2020. Cette disposition devrait permettre aux préfectures de gérer au mieux leur charge de travail et de ne pas traiter les demandes des étrangers dans une hâte contre-productive.
Mme la présidente. L’amendement n° 220, présenté par Mmes Benbassa, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Remplacer la date :
15 juin
par la date :
10 juillet
II. – Alinéa 6
Rédiger ainsi cet alinéa :
…. Attestations de demande d’asile.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Il s’agit d’un amendement d’appel visant à alerter la Haute Assemblée sur les risques que pourrait engendrer le déconfinement pour l’activité de nos administrations préfectorales.
Depuis le 11 mai, les Français ont retrouvé une relative liberté. Il est pour l’heure difficile d’évaluer l’impact de cet événement sur la circulation du coronavirus parmi nos concitoyennes et nos concitoyens. Le risque d’une deuxième vague n’est pas à négliger, de nouveaux clusters semblant en effet se déclarer dans des abattoirs et des écoles au sein de zones pourtant classées vertes.
À la lumière de ces éléments, un nouveau pic de la pandémie est à craindre, même si nous espérons que ce ne sera pas le cas. Une telle éventualité signifierait probablement le reconfinement de la population au mois de juin et pour une durée indéterminée. Cela engendrerait une incapacité de nos préfectures à traiter les demandes des personnes migrantes dans des conditions adéquates.
Afin de permettre la décongestion progressive des services préfectoraux, il est proposé par cet amendement de décaler la date d’expiration des titres de séjour du 15 juin au 4 septembre. Une telle proposition permettrait de sécuriser les droits des étrangers susceptibles de se trouver en situation irrégulière au cours de l’été tout en donnant aux préfectures la possibilité de traiter les demandes dans un délai raisonnable.
Mme la présidente. L’amendement n° 25, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Kerrouche, Marie, Sueur, Kanner et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat, Jacques Bigot et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais, Guillemot et Harribey, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Rossignol, M. Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 1 et 6
Remplacer la date :
15 juin
par la date :
10 juillet
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. L’Assemblée nationale fait le pari que les préfectures pourront fonctionner à 100 % le 15 juin. Répondre d’un seul coup à l’ensemble des demandes qui vont arriver et résorber le stock qui n’a pas été traité depuis plus de trois mois, c’est juste impossible ! Nous proposons donc de ne pas retenir le 15 juin comme date d’expiration de la validité des titres de séjour et de proroger cette validité jusqu’au 10 juillet, date votée il y a peu par notre assemblée pour la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Une telle proposition paraît raisonnable : elle permettrait aux préfectures de redémarrer progressivement et de pouvoir accueillir les demandeurs dans de bonnes conditions, d’autant qu’elles vont devoir également s’adapter à un nouveau système. En effet, nous examinerons ultérieurement un article visant à changer un certain nombre de dispositions sur les questions de demandes de titres de séjour et de renouvellement.
Pour toutes ces raisons, nous proposons de fixer le délai prévu non au 15 juin, mais au 10 juillet, date de fin de l’état d’urgence sanitaire, afin que les préfectures se préparent. Elles pourront ainsi travailler plus sereinement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il s’agit de prolonger tous les titres qui expireront non pas avant le 15 juin, nous l’avons compris, mais avant le 4 septembre ou le 10 juillet, selon l’amendement que l’on considère.
Monsieur Leconte, vous avez peut-être raison, ce redémarrage au 15 juin pourrait ne pas donner les résultats attendus. Pour ma part, je n’en sais rien. Il s’agit néanmoins d’une disposition dérogatoire. De ce fait, elle doit être la plus strictement limitée possible, quitte à ce que le Gouvernement revienne vers nous pour demander une prolongation pour face aux difficultés que vous anticipez. Vous pourrez alors nous dire : j’avais raison !
Je propose dans l’immédiat, s’agissant d’une dérogation, qu’elle soit strictement limitée en raison des éléments qui nous sont donnés, c’est-à-dire un redémarrage au 15 juin avec un surcroît de personnel. J’émets donc un avis défavorable sur l’ensemble des amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Vous proposez de proroger ou de prolonger la durée de validité des titres arrivant à expiration entre le 16 mai et le 10 juillet, ou le 4 septembre.
Le Gouvernement ne souhaite pas que cette prolongation soit différente en ce qu’elle prolongerait les attestations de demande d’asile de 180 jours et non de 90 jours.
Avec la mise en place du déconfinement, les services de la préfecture vont pouvoir rouvrir et de nouvelles demandes pourront être reçues dès le 15 juin au plus tard en vertu des instructions données aux préfectures.
J’ajoute, c’est important, que ceux dont le titre de séjour expire au 15 juin seront évidemment traités dans les premiers par les services de la préfecture, qui se mettent en bon ordre pour pouvoir le faire. Par ailleurs, ceux dont les titres de séjour expiraient avant ont déjà bénéficié d’une prorogation. Il n’y aura donc pas de difficulté en termes de volume de dossiers à traiter.
Par ailleurs, M. Leconte justifie sa demande par le fait que d’autres mesures seront votées, qui viendront surcharger le travail des préfectures.
M. Jean-Yves Leconte. Je n’ai pas parlé de surcharge !
M. Marc Fesneau, ministre. Ce n’est pas péjoratif : vous avez parlé de davantage de travail.
Il me semble préférable d’en rester au cadre défini par les précédents dispositifs. Les titres qui approchaient de l’expiration ont été prolongés pour que les dossiers soient traités dans des délais raisonnables, comme le soulignait Mme Benbassa. Certes, madame la sénatrice, vous avez raison, personne ne sait ce qu’il en sera du virus. Certains prétendent le savoir, mais j’avoue humblement, comme vous, que je n’en sais rien. Quoi qu’il en soit, nous sommes dans une situation de déconfinement et de réouverture des services préfectoraux. La situation administrative de ceux dont le titre de séjour arriverait à expiration à ces horizons-là sera évidemment traitée en priorité. C’est pourquoi je suis défavorable à ces trois amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. On peut avoir des divergences de fond sur un certain nombre de sujets, mais la demande formulée notamment par Jean-Yves Leconte au nom du groupe socialiste est très pragmatique.
Comment les choses se passent-elles dans la vraie vie ? Je vais régulièrement à la préfecture, et j’imagine que bon nombre de mes collègues ici en font autant. Je constate très régulièrement des files d’attente en temps normal pour les demandes ou renouvellements de titres de séjour. Cela fait maintenant trois mois que les préfectures sont fermées : je vous laisse imaginer combien de personnes sont potentiellement susceptibles de faire le déplacement. Si la file d’attente est trop longue, elles seront invitées à retourner chez elles, idem les jours suivants. Cela peut durer un certain temps. Quel stress pour une personne dont le titre de séjour approche de la date d’expiration et qui attend son renouvellement !
J’ai compris que les demandes des personnes dont le titre de séjour arrive à expiration le 15 juin seront traitées en priorité. Il n’en reste pas moins que ce stress pourrait leur être évité. Il pourrait aussi être évité aux services de la préfecture, qui vont être mis sous pression.
Accorder quelques jours supplémentaires, qui plus est en cohérence avec la date retenue par le Gouvernement de fin potentielle de l’état d’urgence sanitaire, donnerait un peu d’air à tout le monde. Il me paraît donc intéressant de voter cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je connais bien la préfecture de Rouen et le bureau des étrangers, et je sais combien la file d’attente peut être longue, même en temps normal. Nous allons malheureusement probablement voter tout à l’heure, à l’article suivant, des dispositions qui changeront les modes de travail pour ces opérations. Les préfectures devront alors s’adapter aux nouvelles dispositions. Elles n’y arriveront pas en trois semaines ! C’est pourquoi nous proposons que soit prorogée la durée de validité des titres de séjour jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 89 rectifié est présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Kerrouche et Marie, Mme Lubin, MM. Sueur, Kanner et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat, Jacques Bigot et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais, Guillemot et Harribey, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Rossignol, M. Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 170 rectifié ter est présenté par MM. Yung, Iacovelli et Bargeton, Mmes Schillinger et Cartron, M. Dennemont et les membres du groupe La République En Marche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 5
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… - Pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire déclaré en application de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face l’épidémie de Covid-19 et prorogé par l’article 1er de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, les étrangers titulaires d’un visa de court séjour et les étrangers exemptés de l’obligation de visa qui, en raison de restrictions de déplacement, sont contraints de demeurer sur le territoire national au-delà de la durée maximale de séjour autorisée se voient délivrer par l’autorité compétente une autorisation provisoire de séjour. Les modalités d’application du présent article et la durée maximale de l’autorisation provisoire de séjour sont précisées par décret.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 89 rectifié.
M. Jean-Yves Leconte. Il s’agit de trouver une solution pour les étrangers titulaires d’un visa Schengen, donc un visa de court séjour, et les ressortissants de pays dispensés d’une obligation de visa. Compte tenu de la fermeture des frontières à l’intérieur de l’espace Schengen et de l’impossibilité de sortir de notre pays, ces personnes se retrouvent bloquées depuis plusieurs mois sur notre territoire.
Jusqu’à présent, aucune disposition n’a été prise pour prendre en compte cette situation, que nous avions tenté d’évoquer lors de l’examen de la loi établissant l’état d’urgence sanitaire. Pour résoudre ce problème, il aurait alors fallu élargir le périmètre d’une habilitation à légiférer par ordonnance, ce qui n’était pas possible.
Ces personnes devraient avoir le droit de se rendre en préfecture pour demander une autorisation provisoire de séjour. Elles sont actuellement en passe d’être en situation irrégulière, le délai de 180 jours depuis leur entrée dans l’espace Schengen étant dépassé. Nous proposons donc une solution provisoire pour résoudre la situation de ces personnes présentes sur le territoire national, qui étaient entrées dans l’espace Schengen avec la volonté d’y faire un court séjour.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour présenter l’amendement n° 170 rectifié ter.
M. Thani Mohamed Soilihi. Aux arguments avancés par Jean-Yves Leconte, j’en ajouterai un autre, qui se trouve être aussi une recommandation de la Commission européenne qu’il conviendrait de concrétiser. La Commission invite en effet les États membres à délivrer un visa de long séjour ou un permis de séjour temporaire aux titulaires d’un visa de court séjour et aux personnes exemptées de visa qui sont obligés de rester au-delà de la durée maximale de 90 jours sur toute période de 180 jours.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Ces deux amendements posent en termes identiques le problème des étrangers qui sont entrés régulièrement sur notre territoire, soit sans visa, car ils en sont exemptés, soit avec un visa de court séjour, et qui se retrouvent, du fait de l’arrêt des transports internationaux, en situation irrégulière, car le délai légal durant lequel leur présence est autorisée est expiré. Il faut donc trouver une solution.
Les auteurs des amendements proposent de prévoir une autorisation provisoire de séjour dont les conditions, notamment la durée maximale, seraient fixées par décret. Dans la mesure où cette demande est limitée à la crise sanitaire et liée au fait que les transports internationaux sont hors d’état de fonctionner, il me semble qu’il s’agit d’une bonne réponse à une véritable difficulté, qui n’avait pas encore été traitée par le Gouvernement. L’avis est donc favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Le Gouvernement voit très bien quel est l’objectif de la mesure, mais, depuis la mise en place de l’état d’urgence sanitaire, c’est ainsi que les choses se passent. Certes, les personnes ne vont pas à la préfecture, puisque la procédure prend une forme dématérialisée. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas eu besoin jusqu’à présent de véhicule législatif pour cela.
Peut-être existe-t-il des cas particuliers non résolus, mais, au fond, cette question a été réglée. Depuis la mise en place de l’état d’urgence sanitaire, dans les cas d’expiration des visas de court séjour, les services préfectoraux ont reçu les demandes de prolongation et sécurisé la présence sur le territoire national des personnes se trouvant dans la situation d’insécurité que vous avez eu raison d’évoquer.
Ces situations, je le répète, sont déjà traitées par les préfectures.
J’entends ce que dit Mme la rapporteure. Il est vrai que tout dispositif produit ses propres dysfonctionnements, et il serait prétentieux de dire que tout est parfait. Mais il me semble que le dispositif actuel fonctionne, et ce depuis le 16 mars dernier.
Ne voyant pas l’utilité du dispositif proposé, j’émets un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Le problème est réel. J’ai interrogé le ministre de l’intérieur et la secrétaire d’État chargée des affaires européennes, qui m’ont répondu qu’il suffisait de se rendre dans les préfectures pour demander une autorisation provisoire de séjour. Encore faut-il réussir à les joindre ! Par ailleurs, les préfectures ne donnent pas toujours les mêmes réponses. Il est par conséquent important d’inscrire cette mesure dans la loi.
Une deuxième difficulté mériterait d’être traitée au niveau européen : ces personnes apparaîtront par la suite comme s’étant trouvées en situation irrégulière dans l’espace Schengen, puisqu’elles auront dépassé le délai de 180 jours. Il faudrait donc trouver le moyen de prévoir ces cas dans le système d’information sur les visas, afin qu’elles ne soient pas blacklistées lors de leur prochaine demande d’entrée dans l’espace Schengen, si elles sont dispensées de visas, ou de visa.
Il faut donc d’abord, en votant ces amendements, faire en sorte que toutes les préfectures fonctionnent à l’identique, puis mener l’opération susdite au niveau européen.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Monsieur le ministre, je ne comprends pas le raisonnement que vous opposez aux auteurs des amendements et à Mme la rapporteure. Le dispositif proposé, étroitement circonscrit, vise à empêcher les différences de traitement qui peuvent exister selon les territoires, grâce à l’assurance générale conférée par la loi. En outre, ce dispositif ne semble pas vous poser de difficultés majeures. Pourquoi, dans ces conditions, ne l’acceptez-vous pas ?
Je ne pense pas qu’un traitement au cas par cas soit une bonne chose. Ces amendements, que bien entendu nous voterons, visent à permettre un traitement général et généralisé de ces situations sur l’ensemble du territoire, ce qui me semble être la meilleure des solutions.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 89 rectifié et 170 rectifié ter.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 47 rectifié, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Kerrouche, Marie, Sueur, Kanner et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat, Jacques Bigot et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais, Guillemot et Harribey, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Rossignol, M. Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer deux paragraphes ainsi rédigés :
… – Une autorisation provisoire de séjour est délivrée à tout étranger dont la demande de titre de séjour n’a pu être engagée ou n’a pu aboutir en raison de l’état d’urgence sanitaire.
…. – Durant la période de l’état d’urgence sanitaire déclaré en application de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 et prolongé par l’article 1er de la loi n° 2020-546 du 11 mai prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, une autorisation provisoire de séjour est accordée aux jeunes étrangers accédant à la majorité ou un récépissé de première demande de titre de séjour aux jeunes fêtant leur dix-neuvième anniversaire pendant toute la durée de suspension de l’activité des services préfectoraux liés à la lutte contre le virus Covid-19.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. La loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a prévu la prolongation pour 90, puis 180 jours de divers documents de séjour expirant entre le 16 mars et le 15 mai 2020. Pour autant, ni les ordonnances du 25 mars et du 22 avril ni le présent projet de loi ne prennent en compte une large catégorie de personnes dont la situation nécessiterait un traitement d’urgence de la part des préfectures : celles qui attendaient un rendez-vous dans ces administrations, annulé du fait du confinement, les jeunes accédant à la majorité, etc.
Pour les préfectures, déjà saturées en temps normal, l’organisation d’une reprise d’activité à partir du 15 juin dans des conditions normales pour répondre à ces besoins représentera un véritable défi. Nous proposons au travers de cet amendement, comme nous l’avons fait précédemment, de régulariser une partie de ces situations qui n’ont pas, je le répète, été prises en compte jusqu’à présent.
Mme la présidente. L’amendement n° 222 rectifié, présenté par Mmes Benbassa, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
.… – Durant la période de l’état d’urgence sanitaire déclaré en application de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 pour faire face à l’épidémie de Covid-19 et prolongé par l’article 1er de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, une autorisation provisoire de séjour est accordée aux jeunes étrangers accédant à la majorité.
Un récépissé de première demande de titre de séjour est dispensé aux jeunes à leur dix-neuvième anniversaire pendant toute la durée de suspension de l’activité des services préfectoraux, liée à la lutte contre le virus Covid-19.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. La pandémie liée au Covid-19 a rendu encore plus vulnérables des populations qui l’étaient déjà auparavant. Parmi elles se trouvent les personnes étrangères.
Tout au long du confinement, des associations comme la Cimade n’ont eu de cesse de nous alerter sur la précarité grandissante des personnes migrantes, notamment les plus jeunes entrés dans l’âge adulte depuis peu. Ceux-ci semblent être les plus démunis, parce qu’ils ne sont souvent pas accompagnés de leurs parents. Ils n’ont, par ailleurs, pas acquis une expérience de vie solide qui leur permettrait de mener à bien leurs démarches administratives. Autonomes par le droit, en raison de leur âge, ces jeunes adultes migrants ne le sont pas dans les faits.
Le présent amendement a pour objet de leur offrir une relative stabilité en délivrant automatiquement une autorisation provisoire de séjour aux personnes accédant à la majorité. Il est également proposé de fournir un récépissé de demande de titre de séjour à ceux qui atteignent l’âge de 19 ans pendant l’état d’urgence sanitaire.
Il n’est pas acceptable qu’à la peur de l’expulsion s’ajoute celle engendrée par l’épidémie de coronavirus. Une telle mesure devrait donc permettre aux jeunes migrants d’aborder avec moins d’inquiétude leur séjour sur le territoire français.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Monsieur Leconte, madame Benbassa, nous ne pouvons pas toujours être d’accord.
Vos amendements visent, certes, à tenir compte de la situation particulière que nous vivons, mais en faisant fi de l’existence même d’un droit de l’immigration : il suffirait d’avoir été présent sur le territoire et de déclarer que l’on a voulu engager une procédure de régularisation de sa situation, même si on ne l’a pas fait, pour pouvoir bénéficier d’un titre de séjour. Il me semble que cette conséquence ne serait pas judicieuse.
De la même façon, aux termes de l’amendement n° 222 rectifié, il suffirait d’avoir 19 ans pour se voir délivrer le récépissé d’un dépôt de dossier que l’on ne demande même pas de déposer…
Si nous pouvons déroger de façon raisonnée, raisonnable et priorisée au droit de l’immigration pour les raisons particulières qui ont été précédemment énoncées, il ne me paraît pas possible de le faire pour l’ensemble de ces règles.
L’avis est donc défavorable sur les deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Il s’agit, au fond, toujours du même sujet, sur lequel nous avons un désaccord.
Selon nous, il convient de raisonner à droit constant. Nous souhaitons, comme l’a dit Mme la rapporteure, prévoir un certain nombre de mesures pour tenir compte des situations particulières de grande fragilité liées à la crise du coronavirus, mais pas davantage.
Pour ces raisons et celles qui ont été exposées par Mme Jourda, l’avis est défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er quater B, modifié.
(L’article 1er quater B est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er quater B
Mme la présidente. L’amendement n° 171 rectifié n’est pas soutenu.
Article 1er quater CA (nouveau)
I. – Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 311-4, les mots : « d’une attestation de demande de délivrance ou de renouvellement d’un » sont remplacés par les mots : « d’un document provisoire délivré à l’occasion d’une demande de » ;
2° À l’article L. 311-5, les mots : « d’un récépissé de » sont remplacés par les mots : « d’un document provisoire délivré à l’occasion d’une » ;
3° L’article L. 311-5-1 est ainsi modifié :
a) Après le premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Dans l’attente de la délivrance de la carte de résident, l’étranger a le droit d’exercer la profession de son choix dans les conditions prévues à l’article L. 314-4.
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions dans lesquelles l’étranger est autorisé à séjourner en France dans l’attente de la délivrance de la carte de résident. » ;
b) Les deux derniers alinéas sont supprimés ;
4° L’article L. 311-5-2 est ainsi modifié :
a) Après le premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Dans l’attente de la délivrance de la carte de séjour mentionnée au présent article, l’étranger a le droit d’exercer la profession de son choix dans les conditions prévues à l’article L. 314-4.
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions dans lesquelles l’étranger est autorisé à séjourner en France dans l’attente de la délivrance de cette carte de séjour. » ;
b) Les deux derniers alinéas sont supprimés ;
5° Le dernier alinéa de l’article L. 312-2 est ainsi rédigé :
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions dans lesquelles l’étranger est autorisé à séjourner en France jusqu’à ce que l’autorité administrative ait statué. » ;
6° L’article L. 511-1 est ainsi modifié :
a) Au 5° du I, les mots : « récépissé de la demande de carte » sont remplacés par les mots : « document provisoire délivré à l’occasion d’une demande de titre » ;
b) Au 2° et au c du 3° du II, les mots : « de son récépissé de demande de carte » sont remplacés par les mots : « du document provisoire délivré à l’occasion d’une demande de titre » ;
7° L’article L. 765-1 est ainsi modifié :
a) À la fin du premier alinéa, les mots : « et lui en délivre récépissé » sont supprimés ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions dans lesquelles l’autorité administrative autorise la présence de l’étranger en France pendant l’instruction de sa demande. »
II. – À la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 821-1 du code de la sécurité sociale et à la première phrase du troisième alinéa de l’article L. 244-1 du code de l’action sociale et des familles, les mots : « d’un récépissé de » sont remplacés par les mots : « d’un document provisoire délivré à l’occasion d’une ».
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Le présent article, introduit en commission par notre collègue François-Noël Buffet, reprend les termes de l’article 38 du projet de loi ASAP tel qu’il avait été adopté au Sénat en février 2020. Les dispositions introduites supprimaient toute référence législative au récépissé dans le Ceseda, au profit d’un document provisoire délivré à l’occasion d’une demande de titre de séjour. Cette suppression est issue d’une volonté de déployer un nouveau service de dépôt en ligne et d’instruction dématérialisée des demandes de titres de séjour. Ce procédé pose trois problèmes majeurs.
Tout d’abord, le déploiement de la dématérialisation pénalise les étrangers. Exposées à une grande précarité, ces personnes ont souvent des difficultés pour accéder à internet. Afin de ne pas rompre l’égalité entre les requérants étrangers, il est impératif de maintenir un caractère facultatif aux procédures en ligne.
Ensuite, la rédaction de l’article proposée par M. Buffet renvoie au domaine réglementaire la délivrance des récépissés. Alors que nous nous battons aujourd’hui pour éviter que l’exécutif n’ait systématiquement recours aux ordonnances, il est paradoxal que le Sénat souhaite se dessaisir d’un domaine législatif qui lui revient de droit.
Enfin, le Ceseda prévoit qu’un récépissé autorise légalement les personnes à séjourner sur notre sol, mais aussi et surtout à voyager, à travailler ou à accéder à des avantages sociaux. Lui substituer un simple document provisoire aux contours flous ne garantit aucunement qu’il n’y aura pas, en l’occurrence, d’atteinte aux droits des étrangers.
En l’état, nous ne pouvons soutenir cet article.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 26 est présenté par M. Leconte, Mmes de la Gontrie et S. Robert, MM. Kerrouche, Marie, Sueur, Kanner et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat, Jacques Bigot et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais, Guillemot et Harribey, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, MM. Raynal et Roger, Mme Rossignol, M. Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 250 est présenté par M. Ravier.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 26.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la rapporteure, vous faites une entorse à votre propre règle, puisque, avec cet article, il s’agit non plus d’une mesure d’urgence, mais d’une disposition appelée à perdurer. On nous propose en effet d’inscrire dans le présent texte, qui devrait être d’urgence, des dispositions dont nous avons déjà débattu lors de la loi ASAP. La remarque méritait d’être faite !
On modifie les procédures via une disposition que M. Buffet nous propose d’intégrer dans le projet de loi, mais qui a déjà été adoptée dans la loi ASAP. Voilà pourquoi je disais qu’il fallait que les préfectures s’adaptent ! C’est aussi pour cette raison que j’évoquais précédemment la question du 10 juillet…
Doit-on refaire le débat sur la loi ASAP ? Oui et non…
Depuis l’examen de ce texte, nous avons mis en place au sein de notre assemblée une mission d’information sur la lutte contre l’illectronisme. On sait en effet que de nombreuses personnes ne sont tout simplement pas en mesure d’utiliser les services en ligne. Or qu’est-il proposé ici ? Que l’ensemble des procédures liées aux demandes d’obtention et de renouvellement des titres de séjour se fassent de manière dématérialisée ! Sont concernées, en particulier, des personnes étrangères qui peuvent avoir des problèmes de maîtrise de notre langue et qui connaissent souvent une grande précarité… Cette disposition pose donc une difficulté, même si je reconnais qu’elle présente aussi beaucoup d’avantages.
Par ailleurs, les droits qui étaient attachés au récépissé relevaient du domaine législatif, comme l’a rappelé Esther Benbassa. Désormais, ils seront transmis au pouvoir réglementaire. C’est un paradoxe ! Il s’agit donc de faire confiance, d’accepter l’idée que les droits attachés aux documents provisoires remis, lesquels seront des codes-barres, seront de même nature que les récépissés actuels…
Monsieur le ministre, nous vous demandons des garanties, comme nous l’avions fait lors de la discussion de la loi ASAP. Le ministère de l’intérieur n’est pas plus représenté aujourd’hui, dans cet hémicycle, que lors de l’examen de cette loi. Certes, le Gouvernement l’est, me direz-vous… Mais pas la personne à la tête de l’administration qui devra mettre ce dispositif en musique !
Enfin, et je regrette là aussi que le ministre de l’intérieur ne soit pas devant moi,…
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Leconte !
M. Jean-Yves Leconte. … si vous faites confiance à la dématérialisation en matière de droit des étrangers, pourquoi ne pas accorder la même confiance aux documents d’identité des Français ? Dématérialisons complètement les demandes de renouvellement !
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Jean-Yves Leconte. Nous proposons donc de supprimer cet article, qui nous semble déséquilibré.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour présenter l’amendement n° 250.
M. Stéphane Ravier. Cet article permet aux étrangers de séjourner en France sans attestation de demande de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour, et sans récépissé clairement établi, mais simplement avec un document provisoire qui leur permettrait, par ailleurs, d’exercer une activité professionnelle.
Je vous trouve bien timorés finalement, mes chers collègues. Tant qu’on y est, abrogeons tout papier d’identité ! Comme cela, tout le monde pourra venir dans notre beau pays… Vous serez enfin heureux dans le pays du vivre ensemble que vous appelez de vos vœux, mais dont vous ne voulez pas, bien sûr, en bas de chez vous.
Dans ce pays du vivre ensemble, des centaines de quartiers et de villes sont devenues des zones d’ultraviolence. Cette violence, n’en déplaise à une artiste sans talent et sans public,…
Mme Laurence Cohen. Ouh !
M. Stéphane Ravier. … n’est pas le fait de la police, dont je salue le travail, mais de la racaille qui y vit et qui déteste tout ce qui peut incarner la France.
Nos compatriotes continueront, eux, de se pousser pour faire de la place aux autres, et vous vous féliciterez de toute cette diversité que vous ne voyez qu’à la télé ou dans les bureaux de vote, clientèle bien fidèle et pour l’instant docile.
La facilité administrative et les aménagements dérogatoires vis-à-vis des étrangers menacent d’aggraver la situation de crise dans laquelle nous nous trouvons. L’urgence impose la prudence en matière sanitaire et sécuritaire, ce qui implique des règles claires et un cadre strict. De plus, la possibilité d’exercer une activité professionnelle avec un simple document provisoire peut accentuer le phénomène de création de faux documents. De telles mesures risquent d’entraîner une confusion administrative au niveau des entreprises et du suivi par l’État.
On nous avait promis des changements après cette crise sanitaire, les voici : toujours plus de laxisme pour les filières d’immigration et un déséquilibre démographique encouragé !
Le confinement n’est toujours pas terminé pour nos restaurants, bars et cafés, ces lieux de vie qui sont au cœur de nos modes de vie. Encadrés par les contraintes, surveillés et contrôlés de près, tous ces petits patrons devront faire des efforts surhumains pour relancer leur activité. Dans le même temps, M. Castaner continue à accueillir toute la misère du monde et Mme Belloubet ouvre les centres de détention.
À l’image de cette France qui se retrousse les manches, envers et contre tout, je ne me résigne pas : je demande la suppression de cet article ajouté par la commission des lois à majorité, rappelons-le, Les Républicains.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je ne suis pas certaine que notre collègue François-Noël Buffet reconnaisse son amendement après les propos que l’on vient d’entendre…
En réalité, que s’est-il passé ? Nous nous sommes rendu compte, comme vous tous, que, à l’occasion de cette crise sanitaire, il devenait extrêmement difficile d’obtenir des récépissés dans certaines administrations, notamment dans les préfectures. La dématérialisation est une façon d’obtenir, même en cas de fermeture des bureaux au public, un document administratif, celui-là ou d’autres, comme vous le disiez précédemment, monsieur Leconte.
L’amendement de François-Noël Buffet avait pour but de renvoyer au pouvoir réglementaire, dont elles relèvent, les modalités de délivrance par l’administration d’un récépissé lors du dépôt d’une demande de titre de séjour ou lors de son renouvellement. Il s’agit donc de renvoyer au pouvoir réglementaire ce qui est de son domaine, pour que soit mise en place dans le cadre de mesures réglementaires cette dématérialisation, laquelle ne précarisera pas grand monde. En effet, elle ne s’appliquera que dans la mesure où la personne faisant une demande de titre de séjour peut bénéficier de ladite matérialisation. Je persiste à penser qu’il s’agit d’un bénéfice.
Cet amendement assez simple, loin de porter tous les malheurs du monde, me paraît de nature à résoudre un certain nombre de situations, dans la mesure où le pouvoir réglementaire mettra en œuvre la dématérialisation. Celle-ci se fera non pas au détriment des personnes qui déposent une demande mais plutôt à leur avantage, puisqu’elles ne seront pas obligées de se rendre dans une préfecture trop encombrée.
Ce faisant, monsieur Leconte, modifions-nous durablement le Ceseda ? Vous avez raison de dire que tel est le cas. Je fais cependant une différence - peut-être la ferez-vous aussi ? - entre les règles dont nous parlons, et dont je ne cesse de dire qu’elles sont de fond, et une règle procédurale qui vise tout simplement à modifier la matérialité d’un récépissé. Vous reconnaîtrez que celle-ci n’entraîne pas un grand changement du droit des étrangers.
Voilà pourquoi cet amendement de M. Buffet, devenu article du présent projet de loi, m’a paru acceptable, même s’il modifie, à long ou à plus court terme, des éléments relevant d’une règle de procédure.
L’avis est donc défavorable sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Si ces deux amendements sont de même nature, j’ai bien compris que leur objet n’était pas tout à fait le même, à moins que quelque chose ne m’ait échappé… (Sourires.)
M. Jérôme Bascher. Non, vous suivez parfaitement, monsieur le ministre ! (Nouveaux sourires.)
M. Ladislas Poniatowski. Ça en fait au moins deux ! (Exclamations amusées sur diverses travées.)
M. Marc Fesneau, ministre. Monsieur Leconte, en soulevant cette question, vous revenez sur le débat d’il y a quelques semaines sur la simplification administrative. Nous voyons tous quels écueils peuvent rencontrer ceux qui n’ont pas accès à cette nouvelle procédure. Dans le même temps, il ne m’a pas échappé que vous avez évoqué précédemment, deux ou trois amendements en amont, la difficulté d’obtenir un titre auprès des préfectures, du fait des longues files d’attente et des moyens insuffisants.
Le changement de terminologie – le récépissé devient une attestation - vient simplement acter le fait que l’on passe d’une procédure papier à une procédure dématérialisée. Comme vous l’avez dit, madame la rapporteure, ce changement est plutôt un bénéfice pour les demandeurs. Par ailleurs, l’attestation produite sera sans doute mieux sécurisée, puisqu’elle comprendra un QR code, qui permettra de mieux identifier d’éventuelles fraudes.
Pour ces raisons, et au-delà du débat sur la loi ASAP auquel je n’ai pas assisté, je ne vois pas ce qu’il faudrait changer dans la mesure proposée, qui nous paraît aller dans le bon sens. Vous avez raison, il faut considérer les écueils qui peuvent compliquer l’accès à la procédure dématérialisée, mais l’accès à une préfecture n’est pas chose facile non plus, notamment à cause du déplacement.
Je voudrais rendre à César ce qui est à César : cet article n’est pas issu d’un amendement gouvernemental et ne figurait pas dans le texte initial. J’assume cependant la position du Gouvernement : nous sommes favorables à cette disposition, parce qu’elle permet d’avancer rapidement sur ce sujet et de résoudre les difficultés perçues par les uns et les autres.
Monsieur Ravier, vous avez répété une fois de plus une partie, maintes fois redite, du programme électoral de votre formation politique, et c’est votre droit.
M. Stéphane Ravier. L’art de la politique, c’est la répétition !
M. Marc Fesneau, ministre. Certes, mais la politique consiste aussi à regarder précisément les choses.
M. Stéphane Ravier. Je vous invite à le faire !
M. Marc Fesneau, ministre. Or ce vous avez dit est inexact. Le remplacement du récépissé par une attestation n’entraîne pas une plus grande libéralité, car le nouveau document sera, au contraire, davantage sécurisé.
Plutôt que de le caricaturer, intéressez-vous au dispositif ! Vous constaterez qu’il est plus sûr, et cela nous évitera une confrontation stérile.
Il existe un dispositif visant à encadrer les procédures de demande d’asile, et il n’est pas question pour nous d’en changer. Alors, ne vous saisissez pas de toute occasion et de tout mot au détour d’un texte pour développer un argumentaire qui tombe à côté du sujet ! Nous parlons de dématérialisation et de sécurisation des procédures, et de rien d’autre.
Pour ces raisons, et tout en distinguant les options qui nous ont été présentées, j’émets un avis défavorable sur les deux amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la rapporteure, si nous avons repris l’amendement que nous avions défendu lors de l’examen de la loi ASAP, ce n’est pas pour recommencer le débat. Simplement, à partir du moment où les attestations de demande de titre séjour relèveront exclusivement du pouvoir réglementaire, nous tenons à ce que les droits attachés aux récépissés soient maintenus. Ces garanties ne nous ont pas été données jusqu’à présent. Il importe d’affirmer que les personnes titulaires de ces documents provisoires bénéficieront des mêmes droits qu’aujourd’hui.
Sur la question de la dématérialisation, on peut évoluer, mais, dans ce cas, l’évolution doit être complète. Ce qu’on fait pour ces documents, il faut le prévoir aussi pour les renouvellements de passeport et de carte d’identité. Dès lors qu’il est possible d’envoyer une photo et que les empreintes sont déjà dans le fichier, à quoi ça sert de continuer à demander aux gens de se déplacer en mairie ?
Si on commence à faire vraiment confiance à la technologie et à la dématérialisation, le ministère de l’intérieur doit aussi bouger sur ces sujets, ce que nous attendons depuis longtemps.
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. J’entends bien vos craintes, monsieur Leconte, mais il me semble y avoir répondu lorsque j’ai émis un avis sur l’amendement qui a été adopté en commission : les droits qui découlent de ce document, qu’il soit matérialisé ou dématérialisé, sont bien précisés par loi et non plus par le règlement.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Je ferai trois remarques.
En premier lieu, il s’agit d’une modification de fond du Ceseda. On nous a indiqué à plusieurs reprises que nous n’étions pas là pour ça ; nous en prenons acte et, dans la suite des débats, nous aurons l’occasion d’y revenir.
En deuxième lieu, la dématérialisation des procédures administratives pose un grand nombre de problèmes à beaucoup de publics, et on peut imaginer assez aisément que les personnes concernées par les demandes de titre de séjour ne sont pas parmi celles qui accèdent le plus facilement à l’outil numérique. D’ailleurs, de nombreuses associations, ainsi que le Défenseur des droits, au travers de son rapport intitulé Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics, ont alerté le Gouvernement à ce sujet. Il faut le prendre en considération ; il n’est pas nécessaire d’ajouter des difficultés aux personnes concernées.
En troisième lieu, enfin, il me semble que le récépissé de demande de titre de séjour n’est pas seulement cité dans la partie législative du Ceseda, il l’est également dans la partie législative du code de la sécurité sociale et dans la partie législative du code de l’action sociale et des familles, qu’il n’est pas prévu de modifier. En outre, le récépissé de demande de renouvellement de titre de séjour fait partie de la liste, publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 22 janvier 2019, des documents permettant le franchissement des frontières au sein de l’espace Schengen. Nous nous inquiétons donc de savoir si la dématérialisation n’entraînera pas toute une série de difficultés à ces sujets.
Pour toutes ces raisons, il me semble utile de supprimer cet article.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 26 et 250.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er quater CA.
(L’article 1er quater CA est adopté.)
Article 1er quater C
(Non modifié)
Par dérogation au deuxième alinéa de l’article L. 744-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le bénéfice de l’allocation pour demandeur d’asile est prolongé pour les personnes qui auraient cessé d’y être éligibles à compter du mois de mars 2020. Le bénéfice de cette prolongation de droits prend fin le 31 mai 2020.
Pour celles des personnes mentionnées au premier alinéa du présent article qui se sont vu reconnaître la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, le bénéfice de l’allocation prend fin le 30 juin 2020.
L’autorité compétente conserve la possibilité de mettre fin à ce versement dans les conditions prévues aux articles L. 744-7 et L 744-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Le présent article prolonge le bénéfice de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) pour les personnes étrangères qui auraient cessé d’y être éligibles à compter du mois de mars 2020. Nous ne pouvons que saluer une telle décision, l’ADA permettant à plusieurs milliers de personnes migrantes de recevoir quotidiennement un revenu. Cette somme est souvent la seule qui leur est attribuée et qui leur permet de survivre.
Cet article nous donne par ailleurs l’occasion d’appeler l’attention du Gouvernement sur un problème qui pourrait bientôt se poser aux étrangers bénéficiaires de cette allocation.
En raison de l’obsolescence programmée des cartes de paiement de l’ADA, l’Office français de l’immigration et de l’intégration devra remplacer 60 000 de ces cartes d’ici à la fin du mois d’août. Afin de pouvoir récupérer leur moyen de paiement, les personnes bénéficiant de l’ADA seront donc convoquées prochainement par les directions territoriales de l’OFII. Or, dans certaines régions particulièrement vastes, comme la Bretagne ou la Nouvelle-Aquitaine, les directions territoriales sont peu nombreuses. Il sera donc difficile pour certaines personnes migrantes de récupérer leur carte sans déroger à la limite autorisée de cent kilomètres de déplacement. Par conséquent, nous espérons que le Gouvernement mettra en place un régime dérogatoire, afin de permettre aux demandeurs d’asile de bénéficier de leurs droits, tout en respectant les préconisations gouvernementales en matière de trajet autorisé.
Mme la présidente. L’amendement n° 251, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Pour le Marseillais que je suis, aujourd’hui est une date historique ; c’est une sorte de fête, sinon nationale, du moins communale. Bien sûr, il y a le 14 juillet 1789, mais, pour les Marseillais, le 26 mai 1993, c’est la prise de la Coupe d’Europe, puisqu’on parlait précédemment de football.
M. Jérôme Bascher. Grâce à un beau but de Basile Boli !
M. Stéphane Ravier. Exactement ! Un but marqué à la suite d’un corner d’Abedi Pelé. Bref, le 26 mai est un jour particulier pour nous ; l’Olympique de Marseille et Marseille seront à jamais les premiers et seront toujours les seuls, n’en déplaise aux supporters parisiens…
Revenons à nos débats.
On ne trouve plus d’argent pour nos armées, pour nos hôpitaux, pour les services publics dans nos territoires, mais prolonger le bénéfice de l’allocation pour demandeur d’asile est une évidence que personne, dans cet hémicycle, ne s’autoriserait à remettre en cause ; personne, sauf votre serviteur, bien entendu.
Cet article prolonge la durée du bénéfice des allocations jusqu’au 31 mai 2020 pour les demandeurs d’asile ayant cessé d’y être éligibles au mois de mars 2020 et jusqu’au 30 juin 2020 pour ceux qui bénéficient de l’allocation en qualité de réfugiés ou au titre de la protection subsidiaire. La maîtrise des dépenses coûteuses, et même ruineuses quand il s’agit de l’immigration, est une nécessité impérieuse.
Les mesures dérogatoires en matière de droit d’asile ne font qu’alourdir le coût de la crise et aggraver ses conséquences économiques et sociales. Le rapport de la Cour des comptes du 5 mai dernier, dressant le bilan de l’année 2019, indique que les seuls procédures et dispositifs prévus par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile nous ont coûté 6 570 000 euros. Une étude du CEPII, service de recherches économiques rattaché au Premier ministre, Édouard Philippe, publiée en 2018, a estimé le coût de l’immigration à 1,65 point du PIB annuel sur trente ans, ce qui représente 40 milliards d’euros par an. Et encore, l’étude en question s’arrête en 2011 ; cela fait donc sûrement beaucoup plus…
Au moment où la Commission annonce une chute de 8,2 % de notre PIB, je crois que nous avons trouvé une belle source d’économie structurelle pour éviter la crise, sur le court et le long terme. Cette solution exige des frontières et de l’ordre, mais, pour cela, il faudrait au moins une crise sanitaire grave et deux mois pleins de confinement pour vous retirer vos œillères idéologiques. Tout cela a bien eu lieu, mais rien n’y a fait ; l’autre, toujours l’autre, avant les nôtres…
Malgré tout, je vous demande, mes chers collègues, de montrer que le bon sens reprend ses droits dans cet hémicycle, en votant cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. De quoi parlons-nous ? De la situation des demandeurs d’asile, de personnes étrangères présentes sur notre territoire, qui ont le droit de percevoir une allocation pour demandeur d’asile. Nous parlons de ceux dont la situation, tranchée pendant cette période de confinement, n’a pu avoir de suites du fait, vous l’aurez compris, de la fermeture d’un certain nombre d’administrations.
Ceux à qui a été reconnue la qualité de bénéficiaire du droit d’asile ont droit à une autre allocation, qui prend le relais de l’ADA. Ce que propose le texte qui nous est soumis, au travers de cet article que le présent amendement vise à supprimer, c’est que, dans la mesure où ces personnes ne peuvent pas engager, pour des raisons purement administratives, les démarches nécessaires pour obtenir cette autre allocation, on continue de leur verser l’ADA, car l’allocation devant se substituer à celle-ci n’est pas versée. On prévoit donc, au travers de ce texte, qu’elles puissent continuer de percevoir l’ADA jusqu’à la fin du mois de juin.
Sur le fondement de cet article, ceux qui ont été déboutés du droit d’asile pourraient également continuer de percevoir l’ADA, à laquelle ils n’ont plus droit et alors qu’ils n’ont droit à aucune autre allocation, étant en situation irrégulière. En réalité, ils devraient être expulsés, mais ils ne le seront pas, parce que les reconduites à la frontière n’ont pas encore totalement repris sur notre territoire, même si elles ne se sont pas arrêtées non plus et qu’un certain nombre ont pu avoir lieu.
Nous sommes donc dans une situation dans laquelle des personnes, totalement dépourvues de ressources, se retrouvent en situation irrégulière sur notre territoire, mais ne peuvent pas nécessairement en partir ni être expulsées. Il est donc proposé de leur laisser le bénéfice de cette allocation, qui se situe, en moyenne, à 395 euros par mois par foyer – je précise que cela concerne à peu près 8 000 personnes en France –, jusqu’à la fin du mois de mai, moment auquel on peut espérer que la situation se régularisera, notamment pour ce qui concerne les expulsions.
Soyons pragmatiques. Effectivement, nous nous retrouvons avec des personnes présentes sur le territoire et qui ne devraient pas y être, mais elles le sont pour des raisons de fait, qui tiennent à l’arrêt des déplacements internationaux. Or, si nous ne leur versons pas une somme minimale, ayant besoin de vivre, elles se débrouilleront peut-être par des moyens moins légaux, puisqu’elles ne peuvent pas non plus travailler ; elles travailleraient donc dans des conditions clandestines ou auraient des activités qui ne sont pas licites.
Par conséquent, mes chers collègues, si vous voulez faire preuve de pragmatisme, vous rejetterez l’amendement qui vient de vous être présenté.
Cela dit, je ne vous demande même pas de faire preuve de pragmatisme ; je vous demande, tout simplement, de faire preuve d’humanité, en ne laissant pas en France, sur notre territoire, des gens qui y sont maintenus de fait et qui seraient complètement dépourvus de ressources. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Très bien ! Ça fait du bien d’entendre ça !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Mme la rapporteure a très bien précisé les choses. Je n’allongerai donc pas les débats en détaillant la position du Gouvernement, qui s’appuie globalement sur les mêmes motifs.
Je veux simplement rappeler que les bénéficiaires de l’allocation pour demandeur d’asile, une allocation de subsistance versée sous conditions de ressources, font manifestement partie des personnes en situation de pauvreté bénéficiaires des prestations sociales durant la période d’état d’urgence pour lutter efficacement contre la propagation du virus sans dégrader les conditions de vie des personnes précaires. Les demandeurs d’asile qui auraient dû quitter le lieu d’hébergement mis à leur disposition ont été exceptionnellement autorisés à s’y maintenir, par cohérence avec ces mesures d’accompagnement. Il est nécessaire d’éviter toute rupture du versement de l’ADA, qui constitue, pour ces personnes, l’unique source de revenus, l’unique moyen de subsistance.
En outre, la mesure est proportionnée et ne saurait en aucun cas être considérée comme participant d’un détournement de la procédure d’asile.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret, pour explication de vote.
Mme Corinne Féret. Je me permets de prendre la parole pour explication de vote sur cet amendement, après une longue série d’amendements de M. Ravier sur le thème des étrangers. J’ai bien compris que c’était votre fonds de commerce, monsieur Ravier, et que cela vous a permis, à chaque occasion, d’essayer de nous convaincre. Néanmoins, vous serez déçu, vous ne nous avez pas convaincus avec les arguments que porte votre parti politique…
Je vois que vous ne m’écoutez pas, monsieur Ravier, et c’est bien dommage, parce que vous êtes intervenu plusieurs fois, et je pensais que ce que je voulais vous dire pouvait vous intéresser.
M. Stéphane Ravier. Je vous écoute religieusement !
Mme Corinne Féret. Je ne vous demande pas une écoute religieuse, je vous demande simplement une écoute respectueuse. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. Stéphane Ravier. Religieusement, c’est respectueusement !
Mme Corinne Féret. Je reprends, et je vous prie de m’excuser, madame la présidente, si je dépasse un peu mon temps de parole.
Je voulais intervenir solennellement, parce que, si vos propos et vos amendements relèvent bien évidemment de votre liberté, monsieur Ravier, vous avez proposé – cela ne doit pas nous étonner – un certain nombre d’amendements ayant pour seul objet l’étranger, les étrangers.
M. Stéphane Ravier. C’est dans le texte !
Mme Corinne Féret. Je le répète, c’est votre fonds de commerce, c’est ainsi que vous essayez de nous convaincre, mais, vous serez déçu, vous ne nous avez pas convaincus.
Une fois que j’ai dit cela, j’ai une question à vous poser, monsieur Ravier. Puisque les étrangers sont votre fonds de commerce, vous êtes-vous dit, en rédigeant vos amendements, que vous pourriez, vous aussi, être étranger dans un autre pays, dans un pays lointain ? Vous êtes-vous demandé si, ce que vous proposez au travers de ces amendements, vous l’accepteriez, si vous seriez heureux de vivre dans ce pays lointain, si celui-ci proposait la même organisation de la société, le même vivre ensemble ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er quater C.
(L’article 1er quater C est adopté.)
Article 1er quater
Le livre III de la troisième partie du code du travail est ainsi modifié :
1° L’article L. 3312-5 est ainsi modifié :
a) Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;
b) Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – Par dérogation au I du présent article, l’employeur d’une entreprise de moins de onze salariés dépourvue de délégué syndical ou de membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique peut également mettre en place, par décision unilatérale, un régime d’intéressement pour une durée comprise entre un et trois ans, à la condition qu’aucun accord d’intéressement ne soit applicable ni n’ait été conclu dans l’entreprise depuis au moins cinq ans avant la date d’effet de sa décision. Il en informe les salariés par tous moyens.
« Le régime d’intéressement mis en place unilatéralement en application du présent II vaut accord d’intéressement au sens du I du présent article et au sens de l’article 81 du code général des impôts. Les dispositions du présent titre s’appliquent à ce régime, à l’exception des articles L. 3312-6 et L. 3314-7. » ;
2° Le titre IV est complété par un chapitre VII ainsi rédigé :
« CHAPITRE VII
« Intéressement mis en place unilatéralement
« Art. L. 3347-1. – Les dispositions du présent titre en tant qu’elles concernent les accords d’intéressement s’appliquent aux régimes d’intéressement mis en place unilatéralement en application du II de l’article L. 3312-5, à l’exception de celles prévues aux sections 1 à 3 du chapitre Ier et aux articles L. 3344-2, L. 3344-3 et L. 3345-4. »
Mme la présidente. L’amendement n° 206 rectifié, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume, Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, MM. Gay, Gontard et P. Laurent, Mme Lienemann, M. Ouzoulias, Mme Prunaud et M. Savoldelli, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. L’article 1er quater, inséré dans le projet de loi par l’Assemblée nationale, reprend les dispositions de l’article 43 du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, adopté par le Sénat le 5 mars 2020. Il ouvre la possibilité aux entreprises de moins de onze salariés qui n’ont pas de délégué syndical ou de membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique de négocier un accord d’entreprise pour mettre en place un dispositif d’intéressement, par une décision unilatérale de l’employeur.
Nous nous étions déjà opposés à cette disposition, et, dans la continuité de notre position, nous demandons la suppression d’un dispositif qui vise à justifier l’absence de revalorisation des salaires par l’association au résultat de travailleurs et de travailleuses qui ne sont pas décisionnels dans les orientations de l’entreprise.
De plus, ce dispositif est extrêmement coûteux pour la sécurité sociale, puisque, en 2019, la suppression du forfait social a entraîné une perte de recettes de 700 millions d’euros. Vous le voyez, il s’agit d’une source de revenus facile à récupérer.
M. Jérôme Bascher. Bah voyons !
Mme Laurence Cohen. Pour ces raisons, nous demandons la suppression de cet article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Cet amendement de suppression va à l’encontre de la position de la commission. Nous sommes assez partisans du développement de l’intéressement, de la façon la plus simple possible. La commission a donc émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 234 rectifié bis, présenté par MM. Gabouty, Requier, Arnell, Artano, Bonnecarrère, Cabanel, Cadic, Chasseing, Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, MM. Canevet, Capus, Danesi, Decool, Delcros, Gold et Guerriau, Mme Guillotin, M. Jeansannetas, Mme Jouve, M. Labbé, Mmes Laborde et Lamure, MM. Le Nay et Longeot, Mme Loisier, MM. Kern, Moga et Maurey, Mmes Gatel et Pantel, M. Roux, Mme Joissains et M. Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 5, première phrase
Remplacer le mot :
onze
par le mot :
cinquante
et le mot :
cinq
par le mot :
deux
La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Une large majorité de notre assemblée, me semble-t-il, et le Gouvernement sont favorables au développement de l’intéressement, y compris dans les PME et les TPE.
Cet amendement a pour objet d’étendre le bénéfice de l’intéressement par décision unilatérale de l’employeur, dans les conditions restrictives citées par Mme Cohen – pas de délégué syndical, de délégué du personnel ou de représentant au comité social et économique –, aux entreprises de moins de cinquante salariés, au lieu de onze. En outre, pour le délai d’absence d’accord d’intéressement, il s’agit de prévoir une durée de deux ans au lieu de cinq.
Les dispositions de la loi Pacte relatives à l’intéressement avaient pour objectif de favoriser la conclusion de contrats d’intéressement dans les entreprises de moins de cinquante salariés – au-dessus de cinquante salariés, il y a d’autres dispositifs obligatoires –, en supprimant le forfait social. L’impact, sur la progression du nombre de contrats conclus, de cette mesure favorable aux entreprises qui avaient déjà mis en place l’intéressement n’a pas encore pu être évalué. Le but affiché de la suppression du forfait social était l’incitation, mais on n’a pas encore assez de recul pour en connaître les conséquences. Pour ma part, j’avais émis quelques réserves quant à l’efficacité d’une mesure simplement incitative.
Le présent projet de loi représente, selon moi, une excellente occasion pour inciter les PME de dix à cinquante salariés à s’orienter vers une adhésion durable au régime d’intéressement, en permettant à ces entreprises de bénéficier, pendant trois ans, du dispositif dérogatoire mis en place par décision unilatérale.
Cet amendement respecte tant la position de la commission des affaires sociales – cela ne change strictement rien pour ce qui concerne les entreprises de moins de onze salariés, cela étend simplement le dispositif aux entreprises comptant onze à cinquante salariés – que les limites proposées par le Gouvernement, puisque l’on renvoie, pour le renouvellement au bout de trois ans, au régime général sur l’accord d’intéressement.
Mme la présidente. L’amendement n° 235 rectifié bis, présenté par MM. Gabouty, Requier, Arnell, Artano, Bonnecarrère, Cabanel, Cadic, Canevet, Capus, Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, MM. Danesi, Decool et Gold, Mme Loisier, MM. Chasseing et Kern, Mme Gatel, MM. Guérini et Guerriau, Mme Lamure, M. Le Nay, Mme Joissains, MM. Delcros, Longeot, Maurey et Moga, Mmes Guillotin et Laborde, M. Labbé, Mme Jouve, M. Jeansannetas, Mme Pantel et MM. Roux et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 5, première phrase
Remplacer le mot :
cinq
par le mot :
deux
La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Le délai de cinq ans, qui figure dans le texte, séparant, d’une part, la date d’effet de mise en place par décision unilatérale et, d’autre part, la dernière conclusion ou même l’application d’un contrat d’intéressement, ne semble pas justifié.
Faisons le calcul : la durée d’un contrat d’intéressement étant de trois ans, cela reviendrait à priver de ce dispositif les entreprises ayant conclu un contrat d’intéressement au cours des huit dernières années, ce qui paraît tout à fait excessif. En effet, l’application d’un contrat d’intéressement au cours des cinq dernières années signifie – un contrat étant signé pour trois ans – que l’on revient huit ans en arrière. Ainsi, si une entreprise a conclu, il y a sept ans et demi, un contrat d’intéressement pour trois ans, elle ne sera pas éligible au dispositif proposé.
Il s’agit d’un amendement de repli.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. L’article 1er quater permet aux très petites entreprises, celles de moins de onze salariés, de mettre en place des dispositifs d’intéressement par voie unilatérale lorsqu’elles ne disposent pas de délégué syndical ou d’élu au comité social et économique. Il est en effet particulièrement difficile à ces entreprises de négocier des accords d’intéressement.
L’amendement n° 234 rectifié bis vise, d’une part, à élargir aux entreprises de moins de cinquante salariés la possibilité de mettre sur pied un accord d’intéressement de façon unilatérale et, d’autre part, à abaisser le délai de carence de cinq à deux ans.
La commission estime que la dérogation au principe de la mise en œuvre de l’intéressement par accord n’est justifiée que pour les très petites entreprises. De fait, même si des progrès sont possibles, la part des salariés couverts par un accord d’intéressement est trois fois plus importante dans les entreprises comptant de onze à quarante-neuf salariés que dans les entreprises de moins de onze salariés. La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
L’amendement de repli n° 235 rectifié bis ne concerne que les délais de carence. On peut considérer que, si un accord a pu être conclu dans un passé récent, il n’est pas impossible de trouver à nouveau les interlocuteurs nécessaires pour en négocier un nouveau. La commission s’en remet donc à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Je vais prendre un peu temps pour répondre aux questions soulevées par ces deux amendements, qui préoccupent un certain nombre de personnes.
Au travers de votre premier amendement, monsieur Gabouty, vous proposez que la mesure puisse s’appliquer aux entreprises de moins de cinquante salariés au lieu de onze et de réduire de cinq à deux ans la période entre la dernière conclusion d’un accord et la date d’effet de mise en place, par décision unilatérale, d’un nouvel intéressement.
L’intéressement est un dispositif facultatif d’épargne salariale, qui fait l’objet d’une négociation collective par les partenaires sociaux, à l’échelon de l’entreprise, entre la direction et les représentants du personnel ou, par référendum, directement avec le personnel, l’accord, étant dans ce cas, ratifié à la majorité des deux tiers des salariés. Il est bon, je pense, de rappeler le dispositif. Or cette dernière possibilité ne permet pas d’avoir une couverture suffisante des entreprises concernées. C’est d’ailleurs pour cela que la mesure avait été initialement proposée. En effet, seulement 3,2 % des salariés des entreprises de un à neuf salariés étaient couverts par un accord d’intéressement en 2017, contre plus de 10 % dans les entreprises de dix à quarante-neuf salariés et environ 70 % dans les entreprises de plus de 1 000 salariés.
Bien que le taux de couverture de l’intéressement demeure relativement faible dans les entreprises de dix à quarante-neuf salariés, il n’en demeure pas moins qu’il est trois fois supérieur à celui des entreprises de moins de onze salariés. C’est pourquoi nous avons ciblé ces entreprises au travers de l’article 1er quater.
Par ailleurs, il convient de noter que, pour inciter les PME de onze à cinquante salariés à mettre en place l’intéressement, des mesures ont été prévues par la loi Pacte, notamment la mise en place d’accords types par branche professionnelle, auxquels elles peuvent adhérer par décision unilatérale. Pour les entreprises qui ne sont pas couvertes par des accords de branche, des accords types d’intéressement ont également été créés par le Gouvernement, afin de faciliter la négociation et la conclusion des accords.
La mesure doit également être limitée à la mise en place de l’intéressement pour la première fois, ce qui conduit à fixer une période d’absence préalable d’accord. Par conséquent, le délai de deux ans au lieu de cinq que vous proposez ne paraît pas constituer un délai suffisant pour considérer qu’il s’agit d’un premier accord, dans la mesure où la durée légale d’un accord d’intéressement est de trois ans. En effet, cela signifierait qu’une entreprise pourrait avoir conclu, il y a cinq ans, un accord échu et non renouvelé il y a deux ans et pouvoir remettre en place ce dispositif, mais, cette fois, par décision unilatérale ; cela serait paradoxal.
En outre, les entreprises qui ne rempliront pas la condition de délai de cinq ans auront toujours la possibilité de conclure un accord selon les modalités de droit commun. Elles ne seront donc pas privées de l’accès à l’intéressement.
Le Gouvernement a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
Vous proposez, au travers de l’amendement n° 235 rectifié bis, de réduire à deux ans la période de carence. Pour les mêmes raisons que précédemment, cette mesure ne peut bénéficier d’un avis favorable du Gouvernement. La possibilité de mettre en place un régime d’intéressement par décision unilatérale est une mesure d’amorçage et doit donc être limitée à la mise en place de l’intéressement pour la première fois. Le Gouvernement a également émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, pour explication de vote.
M. Michel Canevet. Je regrette un peu les positions du rapporteur pour avis et du Gouvernement.
Selon moi, on a intérêt à avancer sur cette question de l’intéressement et de la participation aux fruits de l’expansion de l’entreprise, parce que la question de la juste répartition des richesses se pose, et il faut, pour les entreprises de petite taille, des dispositifs permettant d’avancer de façon significative.
Or les propositions de Jean-Marc Gabouty en la matière sont justement de nature à faire progresser, dans notre pays, l’intéressement et la participation aux fruits de l’expansion de l’entreprise. Il est donc dommage que ces positions, un peu administratives, soient défendues.
Il me semble au contraire que, eu égard notamment au contenu du dernier rapport de la Cour des comptes, qui évoquait la surcharge de travail de l’administration du travail, il serait utile de dispenser les accords d’intéressement de la validation de la Direccte et de l’inspection du travail.
Pourquoi, finalement, tout cela ne pourrait-il pas être suffisamment encadré par la loi, de telle façon que l’on se dispense de ces validations et que les agents de cette administration puissent se consacrer à autre chose, à leur cœur de métier, le contrôle du travail ? Ce personnel est accaparé par des charges administratives extrêmement importantes, et cette question de l’intéressement en est une illustration.
Il faut donc se poser la question de savoir s’il est pertinent de continuer ainsi.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Je veux apporter tout mon soutien à ces amendements, certes techniques, mais qui correspondent réellement à l’actualité et au vécu des entreprises.
J’ai entendu votre argumentation, monsieur le ministre, et je l’approuve, mais il y a une différence notoire : nous sommes dans une situation d’état d’urgence. On ne s’inscrit donc pas dans la durée, avec la gestion et la volonté d’avoir le bilan de la loi Pacte, puisque c’est trop court pour l’instant. Nous sommes dans une situation de crise, dans laquelle des entreprises doivent parfois trouver, lorsqu’elles ne peuvent verser des primes, des outils d’intéressement, de mobilisation ou de retour, en contrepartie de l’implication des salariés au cours de cette période extrêmement difficile.
Or comment faire lorsque l’on n’est pas certain de son résultat en fin d’année, parce que l’on est quand même dans une période de perturbation économique ? La mise en place de l’outil de l’intéressement, dans ce contexte particulier, est un bon outil. En revanche, il nécessite un aménagement lié à la crise ; c’est l’esprit même de l’amendement proposé.
Je soutiens donc complètement vos arguments, monsieur le ministre, mais cet amendement est typiquement adapté à cette période extrêmement particulière. Il faut avoir ce regard.
Il s’agit d’un amendement qui correspond réellement aux réalités de terrain. Lorsque l’on est, comme moi, un élu de la ruralité, avec plein de PME et de petites entreprises, on a des retours des salariés. Ces derniers sont prêts à s’impliquer, à travailler malgré la crise, mais ils ont besoin d’un retour et ils comprennent que le système de primes n’est pas forcément adapté, parce qu’il faut disposer de temps et de la capacité d’en verser, au regard des résultats.
Pour les mobiliser, dans l’esprit que la droite a toujours soutenu, l’intéressement est l’outil fondamental. Il faut envisager cet amendement dans le contexte de l’état de crise. J’appelle donc tous mes collègues à le soutenir.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Quand on parle d’intéressement ou de participation, on pense évidemment à Serge Dassault, à qui il est arrivé, ici, d’évoquer le sujet…
C’est d’abord une idée profondément gaulliste. « Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples », disait le général de Gaulle. Pour l’intéressement, c’est exactement l’inverse : voilà une idée simple dont l’administration française a fait quelque chose de compliqué ! On voit bien à quel point Jean-Marc Gabouty a dû triturer les textes pour arriver à une proposition de bon sens. C’est quand même un peu dommage.
Comment voulez-vous résoudre le problème du pouvoir d’achat en France avec des mesures aussi technocratiques ? On a totalement dénaturé des principes fondamentaux et de bon sens, répondant aux aspirations des Françaises et des Français aujourd’hui, pour en faire un « machin » technocratique ! C’est absolument insupportable !
On va encore en rajouter une couche au nom du bon sens. Monsieur le ministre, le bon sens voudrait qu’une loi simplifie véritablement la distribution de l’intéressement et de la participation. Voilà ce que nous attendons ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville, pour explication de vote.
M. Franck Menonville. Comme j’ai pu l’indiquer lors de la discussion générale, nous sommes favorables à ces amendements de justice et de bon sens défendus par notre collègue Jean-Marc Gabouty.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson, pour explication de vote.
M. Jean-François Husson. Comme Franck Menonville vient de le dire, ces amendements sont justes.
Monsieur le ministre, je pense qu’il faut prendre en compte les efforts consentis, en cette période, par les salariés des entreprises. On a beaucoup parlé du personnel soignant, mais, pour que la France active exprime toute sa puissance, il faut que, dans toutes les entreprises, des femmes et des hommes donnent de leur temps : ils doivent pouvoir bénéficier d’un juste retour.
Dans son discours du 13 mars dernier, le Président de la République déclarait qu’il faudrait modifier complètement le dispositif, « quoi qu’il en coûte ». Monsieur le ministre, il faut peut-être aussi écouter celles et ceux qui vous soutiennent au Sénat. Je crois que la mesure proposée est placée sous le signe de la justice. Faites montre ici de l’esprit de concorde et d’unité nationale que vous appelez de vos vœux !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Mes chers collègues, voici une idée très simple, qui est partagée par l’ensemble des Françaises et des Français : quand, à l’instar des soignants, on donne de son temps, dans des conditions de travail parfois difficiles, notamment en cette période de Covid-19, on attend avant tout des augmentations de salaires !
M. Michel Canevet. Justement !
Mme Laurence Cohen. Plutôt que d’invoquer l’intéressement, augmentez les salaires et arrêtez de voter des budgets de misère !
M. Michel Canevet. Ce n’est pas du tout la même chose !
M. Jean Bizet. Ça ne marche pas comme ça !
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Puisque nous en sommes aux grands débats gauche-droite, je dirai que ce n’est pas une mesure juste : c’est juste une mesure, qui, en l’espèce, ne répond absolument pas aux exigences des salariés…
M. Michel Canevet. Mais si !
M. Éric Kerrouche. Avec un salaire médian proche de 1 800 euros, le plus important, c’est d’augmenter les salaires dans le temps, sachant que la caractéristique principale de l’intéressement est d’être variable. Il faut accroître le pouvoir d’achat de façon pérenne, raison pour laquelle nous ne soutiendrons pas ces amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Je remercie mes collègues d’avoir excellemment plaidé en faveur de mes amendements.
Il ne faut pas opposer intéressement et salaire, parce que l’intéressement est pris sur le résultat de l’entreprise, avant impôt et distribution de dividendes. (M. Michel Canevet applaudit.)
M. André Reichardt. À condition qu’il y en ait…
M. Jean-Marc Gabouty. Finalement, l’intéressement est donc pris sur les dividendes et, en partie, sur l’État, via l’impôt sur les sociétés. Il représente 17 milliards d’euros versés aux salariés chaque année, ce qui ne me paraît pas négligeable. Cela n’empêche pas, ensuite, les négociations salariales au niveau des branches, etc. C’est un complément.
Par ailleurs, vous avez indiqué, monsieur le ministre, que, dans les entreprises de dix à cinquante salariés, la conclusion d’un accord d’intéressement était trois fois plus fréquente que dans les entreprises de moins de dix salariés, mais on ne saurait se satisfaire d’un taux de 10 %… Le ministre de l’action et des comptes publics, s’exprimant dimanche soir à titre personnel, s’est montré plus ambitieux en la matière : il s’est déclaré très favorable au principe de l’intéressement, dans la perspective d’un partage de la richesse. Je précise que je ne me suis pas inspiré de ses propos : mes amendements ont été rédigés bien avant ! (Sourires.)
Enfin, vous dites qu’un délai de deux ans est trop court, mais il y a une ambiguïté dans la rédaction du texte, qui fait référence à la fois à la conclusion et à l’application d’un contrat d’intéressement. Il faut soit modifier le texte, soit changer la durée de carence.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je crois que nous sommes parvenus à un point crucial du débat, puisque ces amendements ont trait aux attentes fondamentales de nos concitoyens au sortir de la crise sanitaire.
L’intéressement présente des caractéristiques très particulières, qui ont conduit ses inventeurs, voilà maintenant près de soixante ans, à prendre un certain nombre de précautions pour trouver un bon équilibre.
Je rejoins la préoccupation qu’a exprimée Mme Cohen : il ne faut évidemment pas que l’intéressement dissuade l’employeur d’augmenter les salaires. Or l’employeur n’a pas à acquitter de cotisations sociales sur les sommes versées aux salariés au titre de l’intéressement. Par conséquent, dans le régime de l’intéressement, des conditions particulières pouvant justifier cette dérogation à la distribution de revenus aux salariés ont été prévues : traditionnellement, un accord de branche ou d’entreprise est requis.
Le texte prend acte du fait que, dans les entreprises comptant peu de salariés, il y a peu d’accords, car il y a peu de représentants du personnel et de délégués syndicaux pour en négocier.
Compte tenu de l’extrême gravité de la crise économique que nous traversons et de la difficulté, pour les employeurs, d’augmenter les salaires, ne faudrait-il pas faire bouger davantage que ne le prévoit le texte qui nous est soumis les lignes de partage entre ce qui peut relever de l’intéressement et ce qui doit relever du salaire ? Telle est la question que nous nous posons. Nous ne voulons évidemment pas hypothéquer les possibles hausses de salaires à venir, mais nous entendons tout de même permettre ici et maintenant aux salariés de notre pays qui n’ont pas la chance de bénéficier d’un accord d’entreprise d’avoir accès à l’intéressement.
Mme Laurence Cohen. C’est incroyable…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Les amendements de M. Gabouty ont le mérite de soulever les problèmes et de nous faire avancer plus avant sur la voie d’une prise en compte de cette aspiration de nos concitoyens à plus de revenus, aspiration qui s’est également manifestée par une demande très forte à pouvoir bénéficier d’heures supplémentaires exonérées de charges sociales et fiscales. Il est important d’entendre cette attente des salariés de notre pays, au moment où ils sont si inquiets pour l’avenir.
Cela étant, les deux amendements de M. Gabouty sont très différents. La commission des affaires sociales a émis un avis favorable sur l’amendement n° 235 rectifié bis, qui vise à faciliter l’accès à l’intéressement en prenant en compte l’absence d’accord d’entreprise depuis au moins deux ans, alors que le texte qui nous est soumis mentionne un délai de cinq années.
Mes chers collègues, j’appuie très fortement cet amendement, qui me paraît de nature à permettre aux salariés des petites entreprises, dont les employeurs n’ont pas toujours les moyens d’augmenter les salaires de manière plus souple, d’accéder à l’intéressement. C’est un objectif noble,…
Mme Françoise Gatel. Absolument !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. … parce que ces salariés ne bénéficieront pas de hausses de salaires. Les exonérations de cotisations sociales permettront aux employeurs de faire tout de même un effort, au moment où l’activité va pouvoir reprendre.
En revanche, la commission des affaires sociales a été plus restrictive sur l’amendement n° 234 rectifié bis, qui tend à ouvrir les nouvelles souplesses en matière d’intéressement non pas seulement aux entreprises de moins de onze salariés, mais à toutes celles de moins de cinquante salariés. Je dois dire que, à la lumière des échanges que nous avons eus, je serais, à titre personnel, prêt à aller jusque-là, à tendre la main à M. Gabouty, s’il veut bien la saisir (Sourires.),…
M. Michel Canevet. Très bien !
M. Jérôme Bascher. Il a le bras long ! (Nouveaux sourires.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. … pour essayer de trouver un consensus qui ne s’est pas spontanément dégagé, mais qui nous permettrait de faire œuvre utile en ce moment si critique pour de nombreux salariés de notre pays.
M. Michel Canevet. Absolument !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je vous prie de m’excuser d’avoir été un peu long, mais je tenais à rappeler les fondements de l’intéressement, en laissant ici de côté la participation. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Je veux expliquer pourquoi j’ai proposé un avis défavorable sur l’amendement n° 234 rectifié bis.
Je partage entièrement ce qui a été dit sur l’intéressement. Cependant, nous nous sommes focalisés sur les petites entreprises, où l’intéressement doit pouvoir découler d’une décision unilatérale de l’employeur, faute d’interlocuteurs. Nous avons ainsi cherché à limiter le champ d’un dispositif lié à la crise sanitaire que nous connaissons. Dans un cadre plus général, on ne pourrait qu’être partisan d’un assouplissement de l’intéressement.
En conclusion, si les avis des commissions sont divergents, ils ne sont pas opposés, me semble-t-il. (Sourires.) Chacun votera en fonction de ses convictions !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre. M. le rapporteur pour avis parle presque comme un centriste… (Exclamations amusées sur des travées des groupes UC et Les Républicains.) Dans ma bouche, c’est plutôt un compliment !
Le président Bas a eu raison de rappeler les objectifs de l’intéressement et de le distinguer de la participation.
Nos divergences ne portent pas sur le principe de l’intéressement, dont, me semble-t-il, nous partageons tous les objectifs. D’ailleurs, le Gouvernement a pris des engagements à cet égard au travers de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) puis des dispositifs adoptés à partir du mois de mars pour faire face à la crise du Covid-19.
Notre approche diffère en ce qu’il nous semble que l’intéressement peut aussi être un outil puissant pour favoriser le dialogue social, d’où l’avis défavorable émis par le Gouvernement sur vos amendements, monsieur le sénateur Gabouty : la dérogation au dialogue social doit être l’exception.
L’intéressement permet de combiner amélioration du pouvoir d’achat et renforcement du dialogue social au sein des entreprises. C’est la raison pour laquelle nous sommes attentifs aux seuils d’effectifs et aux durées d’application des accords : il ne faudrait pas dévoyer l’objectif de promotion du dialogue social. La vertu de ce dispositif n’est pas que d’accroître les revenus des salariés.
C’est pourquoi je maintiens, hélas, l’avis défavorable du Gouvernement sur ces deux amendements.
Mme la présidente. En conséquence, l’amendement n° 235 rectifié bis n’a plus d’objet.
Mes chers collègues, nous avons examiné 90 amendements au cours de la journée ; il en reste 99.
La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.
5
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 27 mai 2020 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures quinze à vingt heures quinze :
(Ordre du jour réservé au groupe UC)
Débat sur le thème : « La crise du Covid-19 : révélateur de la dimension cruciale du numérique dans notre société. Quels enseignements et quelles actions ? » ;
Débat sur le thème : « La crise du Covid-19 : relocalisation des productions stratégiques pour assurer notre souveraineté. Lesquelles, où, comment ? ».
À vingt et une heures trente :
Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat et d’un vote sur cette déclaration, en application de l’article 50-1 de la Constitution, relative aux innovations numériques dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 27 mai 2020, à zéro heure cinq.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication